Philippe Raynaud La Politesse des Lumières. Les lois, les mœurs

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les pièges qui guettent ces amateurs
doués, artistes incomplets mais éru-
dits, qui se réfugient dans le génie
des vrais créateurs pour tromper
leurs défaillances et finissent par y
trouver une certaine fierté, comme
le montre la joie éclatante de la Tzi-
gane Mamousia, mère de Maria,
redonnant tout leur éclat à de faux
anciens violons.
Faut-il en conclure que « ce n’est
pas l’art, mais le cœur qui séduit le
monde » (p. 1247) ? Robertson Davies
ne répond pas.
Sylvie Bressler
Philippe Raynaud
La Politesse des Lumières.
Les lois, les mœurs,
les manières
Paris, Gallimard, 2013, 298 p., 23
À la fin du XVIIIesiècle, on pouvait
encore apercevoir, sans doute, entre
les manières de la noblesse et celles
de la bourgeoisie, une différence ;
car il n’y a rien qui s’égalise plus
lentement que cette superficie de
mœurs qu’on nomme les manières,
mais au fond tous les hommes pla-
cés au-dessus du peuple se res-
semblaient ; ils avaient les mêmes
idées, les mêmes habitudes, sui-
vaient les mêmes goûts, se livraient
aux mêmes plaisirs, lisaient les
mêmes livres, parlaient la même
langue.
Ces lignes de l’Ancien Régime et
la Révolution évoquent une égalisa-
tion des conditions qui diffère de
celle que Tocqueville associe géné-
ralement à l’âge démocratique : non
pas la revendication égalitaire dans
le domaine du droit, mais l’unifor-
misation des manières et des com-
portements sociaux. Le XVIIIesiècle
ne promeut pas seulement l’égale
liberté des hommes, il pratique aussi
un rapprochement des mœurs aris-
tocratiques et bourgeoises qui serait
une source importante de la Révolu-
tion. À quoi bon combattre encore
pour le monde ancien lorsque l’art de
vivre des élites se branche sur le
goût pour la modernité ?
Le livre de Philippe Raynaud
explore cette arrière-chambre des
Lumières que constitue la réflexion
sur les mœurs, la politesse et la civi-
lité. En marge de la montée en puis-
sance de l’individu démocratique,
Montesquieu, Voltaire, Hume, Rous-
seau ou Kant pensent la civilité et la
politesse comme de nouvelles
manières de faire société. Certes, les
Lumres n’inventent pas le thème de
la « civilisation des mœurs » qui,
comme y a insisté Norbert Elias, naît
dans la société curiale moderne et
s’épanouit au XVIIesiècle. Mais l’au-
teur de ce livre montre très bien que
les Lumières confèrent une portée
indissociablement éthique, sociale
et politique au progrès des manières.
Si la politesse n’est pas le signe indu-
bitable de la vertu, elle contribue,
concurremment au droit, à pacifier
les mœurs et à élever l’individu.
L’ouvrage nous invite à renouer
les fils d’une « conversation » qui se
mène dans l’Europe des salons et
dont, selon l’auteur, nous aurions tort
de sous-estimer la portée. Si la poli-
tesse a mauvaise presse, cela est en
grande partie au soupçon d’hypo-
crisie qui pèse sur elle. Or les pen-
seurs des Lumières ne sont nulle-
ment aveugles à ce risque. Philippe
Raynaud montre que même les
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