Philippe Raynaud La Politesse des Lumières. Les lois, les mœurs

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les pièges qui guettent ces amateurs
doués, artistes incomplets mais érudits, qui se réfugient dans le génie
des vrais créateurs pour tromper
leurs défaillances et finissent par y
trouver une certaine fierté, comme
le montre la joie éclatante de la Tzigane Mamousia, mère de Maria,
redonnant tout leur éclat à de faux
anciens violons.
Faut-il en conclure que « ce n’est
pas l’art, mais le cœur qui séduit le
monde » (p. 1247) ? Robertson Davies
ne répond pas.
Sylvie Bressler
misation des manières et des comportements sociaux. Le XVIIIe siècle
ne promeut pas seulement l’égale
liberté des hommes, il pratique aussi
un rapprochement des mœurs aristocratiques et bourgeoises qui serait
une source importante de la Révolution. À quoi bon combattre encore
pour le monde ancien lorsque l’art de
vivre des élites se branche sur le
goût pour la modernité ?
Le livre de Philippe Raynaud
explore cette arrière-chambre des
Lumières que constitue la réflexion
sur les mœurs, la politesse et la civilité. En marge de la montée en puissance de l’individu démocratique,
Montesquieu, Voltaire, Hume, Rousseau ou Kant pensent la civilité et la
politesse comme de nouvelles
manières de faire société. Certes, les
Lumières n’inventent pas le thème de
la « civilisation des mœurs » qui,
comme y a insisté Norbert Elias, naît
dans la société curiale moderne et
s’épanouit au XVIIe siècle. Mais l’auteur de ce livre montre très bien que
les Lumières confèrent une portée
indissociablement éthique, sociale
et politique au progrès des manières.
Si la politesse n’est pas le signe indubitable de la vertu, elle contribue,
concurremment au droit, à pacifier
les mœurs et à élever l’individu.
L’ouvrage nous invite à renouer
les fils d’une « conversation » qui se
mène dans l’Europe des salons et
dont, selon l’auteur, nous aurions tort
de sous-estimer la portée. Si la politesse a mauvaise presse, cela est en
grande partie dû au soupçon d’hypocrisie qui pèse sur elle. Or les penseurs des Lumières ne sont nullement aveugles à ce risque. Philippe
Raynaud montre que même les
Philippe Raynaud
La Politesse des Lumières.
Les lois, les mœurs,
les manières
Paris, Gallimard, 2013, 298 p., 23 €
À la fin du XVIIIe siècle, on pouvait
encore apercevoir, sans doute, entre
les manières de la noblesse et celles
de la bourgeoisie, une différence ;
car il n’y a rien qui s’égalise plus
lentement que cette superficie de
mœurs qu’on nomme les manières,
mais au fond tous les hommes placés au-dessus du peuple se ressemblaient ; ils avaient les mêmes
idées, les mêmes habitudes, suivaient les mêmes goûts, se livraient
aux mêmes plaisirs, lisaient les
mêmes livres, parlaient la même
langue.
Ces lignes de l’Ancien Régime et
la Révolution évoquent une égalisation des conditions qui diffère de
celle que Tocqueville associe généralement à l’âge démocratique : non
pas la revendication égalitaire dans
le domaine du droit, mais l’unifor148
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