Santé publique à Neuchâtel et en Suisse : Un système peu avenant

Santé publique à Neuchâtel et en Suisse :
Un système peu avenant, des défis motivants !
Laurent Kurth, Institut du droit de la santé, Neuchâtel, le 19 septembre
2013
Seules les paroles prononcées font foi
"Salutations"
1. Propos introductifs
En préambule, permettez-moi de remercier l'Institut du droit de
la santé de l'opportunité offerte au généraliste que je suis
d'exposer une vision politique sur les enjeux du système de
santé et sur les défis qui nous attendent et ainsi de pouvoir
développer dans un cadre indépendant quelques axes de cette
vision générale.
J'apprécie d'autant plus que la vision systémique me paraît
aujourd'hui faire défaut dans la plupart des débats sur la
politique de santé et que les occasions sont trop rares de
pouvoir débattre d'enjeux généraux en dehors de toute
contingence liée à une décision à prendre, à un arbitrage à
rendre ou à une crise à juguler.
Evidemment, l'exercice est difficile après l'exposé du professeur
Tanner, dont l'expérience internationale risque vite de rendre
anecdotiques les préoccupations nationales ou cantonales. Son
intervention nous permet néanmoins de mettre nos
préoccupations en perspective et, au besoin, d'en relativiser
quelques-unes.
Intervenant à sa suite, je souhaite toutefois prendre quelques
précautions : je m'exprime aujourd'hui devant un public pour
l'essentiel composé de spécialistes alors que je suis à la tête du
département cantonal de la santé depuis moins de 4 mois. Cela
m'incite d'abord à solliciter votre indulgence face aux lacunes
ou imprécisions qui vous heurteront. Ensuite, je me dois de
préciser que la vision exposée est un regard encore personnel,
développé au cours des 4 mois écoulés avec les collaborateurs
qui m'entourent et au gré des rencontres avec les acteurs du
secteur, regard auquel il manque encore sur certains points
l'enrichissement et la perception de mes collègues, et qui ne
peut donc à ce stade se prévaloir de toute la légitimid'une
conception de l'ensemble du collège gouvernemental. Enfin,
vous me pardonnerez également d'évoquer avant tout les
enjeux du système neuchâtelois, dont nombre de questions
renvoient néanmoins à des problématiques plus larges et
connues ailleurs.
Ces précautions exprimées, je vous propose un regard en trois
parties :
- une première partie consacrée à quelques constats,
essentiellement critiques et liés à l'organisation politique et
économique de notre système de santé;
- une deuxième partie, je mettrai en évidence quelques
enjeux, davantage reliés, eux, à l'évolution de notre
société et aux défis qu'elle lance à notre système de
santé;
- et une troisième, je tenterai d'esquisser quelques
pistes d'une politique cantonale de la santé, dans les
limites posées par les constats et enjeux préalablement
évoqués.
2. Quelques constats
Pour débuter le chapitre des constats, permettez-moi d'évoquer
une interpellation qui m'a été adressée à plusieurs reprises
depuis l'annonce de la répartition des départements au début
de la législature, en apparence anecdotique, mais qui, à mes
yeux, en dit long du regard porté sur le domaine de la santé.
Ainsi, alors que le gouvernement venait d'annoncer qu'il m'avait
confié la responsabilité du département de la santé, nombreux
sont ceux venus me dire "tu as repris les hôpitaux ?". Et
d'ajouter : "tu es courageux !".
A entendre ces commentaires, la politique de la santé se
résumerait donc à la gestion des hôpitaux. Et le domaine étant
si sensible, la population si peu préparée à affronter des
choix dans ce domaine, qu'il faudrait être un peu inconscient
(poliment exprimé par "courageux") pour oser s'y atteler.
Ce qui saute pourtant immédiatement aux yeux et qui est
d'ailleurs souvent énoncé par les spécialistes au vu des
multiples enjeux qui sont devant nous dans ce domaine
(promotion, prévention, médecine de 1er recours, coordination,
vieillissement, pénurie, financement, etc. autant d'éléments
sur lesquels nous reviendrons), c'est que la politique de santé
ne se résume pas à la gestion d'un système de soins, que
le système de soins ne se sume pas à l'hôpital, et que
l'hôpital ne se résume pas à ses missions aigües ou à ses
disciplines de chirurgie. Dans notre canton comme dans bien
d'autres lieux pourtant, ce sont ces dernières qui monopolisent
le débat politique, souvent l'attention du public et souvent aussi
une part importante des ressources.
Le deuxième constat qui s'impose aussi très clairement, c'est la
nécessité de formes fondamentales dans notre système
de santé et l'urgence de certaines d'entre elles. La principale
difficulté que j'ai pu identifier à ce jour est d'ailleurs la
conjonction de ces deux dimensions, les changements
profonds nécessitant généralement temps, concertation et
mûrissement (d'autant plus si la population n'est pas préparée à
être confrontée à des choix), que l'urgence n'accorde
évidemment pas.
En outre, si entreprendre dans l'urgence des réformes
profondes semble déjà difficile en soi, le climat qui règne à
l'heure actuelle à Neuchâtel en matière de santé rend l'exercice
impossible. Un climat les clivages politiques alimentent
les traditionnels clivages gionaux et réciproquement, où
des pratiques internes à certaines institutions
s'apparentent à celles de la guerre civile, l'absence de
direction claire et de visibilité sur les enjeux, les rôles, les
limites et les choix à venir entrave toute initiative. Cette
ambiance délétère s'érige en obstacle infranchissable pour
emmener des réformes, mais pénalise aussi gravement
l'ensemble du système. Qu'il s'agisse de susciter des
vocations dans la formation, de recruter des compétences
et des talents, d'attirer de nouveaux médecins, de motiver
les collaborateurs des institutions, de favoriser ou décider
des investissements ou de susciter des collaborations
nouvelles, le défaut de confiance apparaît presque dans
toutes les situations et pénalise gravement toute nouvelle
dynamique. Le retour à plus de sérénité et de confiance
apparaît donc comme une condition préalable à toute tentative
de réforme.
A ce constat relativement pessimiste, on ajoutera encore ce
que j'appellerai les nombreuses incohérences du système
de pilotage. Alors que notre système fédéraliste accorde par
principe une importante responsabilité aux autorités cantonales
dans l'organisation sanitaire, on a en réalité progressivement
privé le politique des moyens d'actions essentiels.
Quelques exemples :
- le pouvoir politique cantonal ne peut que très
marginalement décider d'une approche sociale (par le
budget) de la prise en charge des coûts des soins et se
voit imposer un modèle "par tête" (cotisations lamal).
L'échec de celui-ci impose toutefois aux cantons des
correctifs sociaux via les subsides accordés sur les primes
d'assurances, dont le coût à Neuchâtel avoisine 60% du
coût hospitalier dans le budget cantonal;
- toute tentative de limiter les coûts par le contrôle de l'offre
est vouée à l'échec : les acteurs privés ne connaissent
(presque) pas de limites (voir activité des infirmières à
domicile lorsque l'activité de NOMAD est limitée) et l'accès
aux prestations des cantons voisins a été largement
libéralisé. Chaque tentative de limitation de la quantité
chez nous conduit ainsi systématiquement à une même
conséquence : le développement des prestations en-
dehors du système neuchâtelois de santé publique, la
perte de substance économique et d'emplois et le
développement de prestations hors canton, à charge
néanmoins du système de financement cantonal;
A eux deux, les subsides pour les primes d'assurance-
maladie et les hospitalisations hors canton coûtent ainsi
à l'Etat de Neuchâtel environ 150 millions de francs par
an, soit presque autant que l'ensemble de l'HNe, en
échappant toutefois à tout contrôle public sur les
prestations qu'ils financent.
- à cela s'ajoute, sans que le canton ne puisse s'y opposer,
le transfert en cours, de prestations jusqu'ici financées sur
le mode facultatif des assurances complémentaires, en
direction de l'assurance-obligatoire, c'est-à-dire à charge
d'un système de financement par tête, et de l'impôt (voir
explosion des hospitalisations hors canton dans le cadre
lamal);
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