116 / Andrée Feillard et Pieternella van doorn-Harder
politique qui suivit la chute du Président Soeharto, apparut un nouveau concurrent,
auparavant clandestin, le mouvement né dans les campus des universités généra-
listes et d’inspiration Frères Musulmans, qui devint politiquement inuent à travers
le Parti de la Justice Prospère (PKS, Partai Keadilan Sejahtera, anciennement PK)
que l’on compare volontiers au Refah et à l’AKP en Turquie.
La question des femmes allait souligner tout particulièrement leurs trajec-
toires opposées.
Ce sont les débats concrets provoqués par la libéralisation du système politique
et les tentatives d’islamisation du droit qui ouvrirent le débat, parfois très animé, au
public. Le rôle du mieux-disant islamiste fut en partie tenu par le PKS. Et alors que
certains jeunes traditionalistes et réformistes étaient attirés par la fraîcheur de ce
parti promettant une lutte efcace contre la corruption, les dirigeantes féministes
traditionalistes devinrent au contraire le fer de lance de la critique anti PKS et donc
les porte-parole du nouveau féminisme islamique.
Deux questions ont émergé autour desquelles se sont cristallisés les enjeux en ce
début de xxie siècle : la polygamie, qui connaît depuis quelques années un regain
de popularité et une loi « anti-pornographie », votée en 2008, qui régule le vête-
ment de la femme, ses expressions et ses mouvements en public.
Notre contribution expose ici ces deux polémiques où les femmes traditiona-
listes sont des acteurs clés. Si la loi anti-pornographie est devenue le symbole de
l’activisme pro-charia visant à contrôler le corps de la femme, le débat autour de la
polygamie dépasse les questions de relectures religieuses, celles du droit humain
des femmes et de la décence publique, pour s’étendre à celui des abus psycholo-
giques et domestiques, à la qualité de la vie familiale, au droit des enfants et à
l’ingérence de l’État dans la vie privée.
Limitée par la loi sur le mariage de 1974 et considérée comme indésirable par
la majorité des Indonésiens, l’enjeu de la polygamie est important car c’est un test
pour une nouvelle ouverture à la charia et aux interprétations littérales qui ont
acquis une plus grande visibilité depuis 1998. Néanmoins, l’activisme en faveur
de la polygamie est freiné non seulement par les théologiennes traditionalistes,
mais aussi par une société civile plus critique, inuencée par les médias désormais
libres où chaque détail de la vie du polygame peut devenir public. La révélation de
nouveaux mariages polygames, comme celui du téléprédicateur le plus populaire
d’Indonésie, Aa Gym, initialement tenu secret, a démontré les sentiments ambigus
des Indonésiens, et des femmes en particulier, à l’égard de l’institution oubliée de
la polygamie.
La loi anti-pornographie a, quant à elle, suscité une réaction très vive, à la diffé-
rence du voile islamique (jilbab) qui s’était répandu dans les années 1990 sans
grande polémique, en tant qu’accessoire obligé d’une islamisation « tardive » de
la société en Indonésie, le plus grand pays musulman du monde par sa population,
mais aussi le plus éloigné de la Terre Sainte. Cette loi xant les règles de bien-
séance générale, majoritairement destinée aux femmes, impliquait une restriction
considérable des libertés individuelles dans la toute jeune démocratie. Son vote