Retour sur le désencastrement 7 Polanyi ou la science économique vue comme une institution inf luençant l’évolution des systèmes économiques Nicolas Brisset Les prêts entre proches ou l’invisibilité des transactions intimes 41 Gilles Lazuech Productivité marginale et concurrence dans les travaux d’Enrico Barone 63 Critiques et apports au modèle de Walras Claire Baldin, André Legris, Ludovic Ragni Le sport dans l’enseignement de l’éducation physique et sportive française durant les années 1960 101 De l’égalité d’accès aux inégalités de réussite Michaël Attali & Jean Saint-Mar tin Réguler le dopage ? Les failles de la gouvernance sportive 127 « L’affaire Puerto » comme illustration Bastien Soulé & Ludovic Lestrelin Devenir dominant Revue européenne des sciences sociales SOMMAIRE 161 2012 European Journal of Social Sciences Les grandes étapes de l’expérience de la mobilité sociale ascendante Jules Naudet Les usages de la biologie en sciences sociales Revue européenne des sciences sociales 191 Comparaison entre le naturalisme socio-anthropologique du dix-neuvième siècle et celui d’aujourd’hui Dominique Guillo Regards sur la société musulmane du ixe siècle 227 Du triomphe du conformisme juridique au déclin de la pensée philosophique arabe Issam Toualbi-Thaâlibî Comptes rendus de lecture 50-1 253 Librairie Droz S.A. 11, rue Firmin-Massot - CP 389 CH-1211 Genève 12 www.droz.org – [email protected] n°50-1 Droz ISBN 978-2-600-01613-1 2012 Librairie Droz RESS_couv_50_1.indd 1 03.05.12 11:06 FONDATEUR GIOVANNI BUSINO COMITÉ DE RÉDACTION MASSIMO BORLANDI (Université de Turin) PASCAL BRIDEL (Université de Lausanne) MOHAMED CHERKAOUI (CNRS / Université Paris-Sorbonne) MAX ENGAMMARE (Directeur de la Librairie Droz, Genève) BENOIT PELOPIDAS (Stanford University) JEAN-YVES PRANCHÈRE (Université Libre de Bruxelles) SECRÉTARIAT DE RÉDACTION IVAN JAFFRIN : [email protected] CONTACT Pour toute correspondance éditoriale ou proposition d’articles, veuillez contacter le comité de rédaction. Pour passer commande d’un numéro ou vous abonner à deux numéros consécutifs, veuillez contacter la Librairie Droz. LIBRAIRIE DROZ 11 rue Firmin-Massot CH - 1211 Genève 12 SUISSE / SWITZERLAND + 41 22 346 66 66 (t.) + 41 22 347 23 91 (f.) [email protected] TARIFS ET ABONNEMENT Abonnement annuel: 100 € (institutions) – 60 € (particuliers) Numéro: 60 € (institutions) – 40 € (particuliers) Revue européenne des sciences sociales 279 Antoine DELESTRE et Clara LÉVY, 2010, Penser les totalitarismes, Éditions de l’Aube, « Monde en cours », 361 p. Compte rendu par Romy Sauvayre (Université de Pau – Laboratoire SET / CNRS). Qu’est-ce que le totalitarisme ? Quelles sont ses origines ? Qu’est-ce qui le caractérise ? Si les historiens et les politologues se sont largement penchés sur cette question, avancent les auteurs de cet ouvrage richement documenté, les sociologues sont demeurés en retrait, discrets, voire absents. L’ambition de cet ouvrage, préfacé par Emmanuel de la Taille et sélectionné pour concourir au prix « Livre et Droits de l’Homme » 2011, est double. Les auteurs, maîtres de conférences à l’Université Nancy 2, proposent d’une part de dresser une typologie du totalitarisme en s’appuyant sur des événements historiques, et, d’autre part, d’offrir des pistes de réflexion, d’action et de compréhension aux victimes et aux décideurs (politiques ou religieux) (p. 58). Le lecteur oscille ainsi d’un point de vue général sur les exactions d’États et de chefs totalitaires, au vécu poignant de l’indicible au travers les mots des victimes. Les exemples mobilisés sont puisés pour une grande part dans les groupes politiques totalitaires (fascisme, nazisme, stalinisme), mais également dans les groupes religieux contestés ou les sectes : il est alors aisé de tisser des liens entre ces deux sphères qui sont rarement présentées conjointement. Les quatre parties et les quinze chapitres, numérotés en continu, que compte l’ouvrage, seront donc consacrés aux totalitarismes. La première partie (quatre chapitres, 45 pages) présente un panorama historique de la naissance du totalitarisme que les auteurs situent à la Première Guerre mondiale eu égard à la « banalisation nouvelle de l’ultra-violence » (p. 20) qui s’est illustrée à cette période. Ce sera, d’une part, avec deux notions, « la dignité humaine et les droits de l’homme » (p. 46) que Delestre et Lévy aborderont le fait totalitaire, et d’autre part, au moyen de faits historiques, d’archives, d’ouvrages, de lettres, de témoignages émouvants qu’ils transporteront le lecteur dans différentes formes de totalitarisme. La deuxième partie (trois chapitres, 152 pages) aborde l’organisation totalitaire. Les auteurs y présentent leur modèle du totalitarisme qui se caractérise par « l’hypothèse d’un continuum » (p. 62). En somme, tout ce qui porte atteinte aux droits de l’homme et à la dignité humaine est de nature totalitaire. Delestre et Lévy relient la forme la plus extrême du totalitarisme, incarnée par les camps de concentration, les goulags, les génocides et les États dictatoriaux, avec des formes plus ténues représentées par divers groupes séquestrant, humiliant et torturant autrui (gangs, mafia, certains groupes religieux ou sectaires). En plus de réaliser des rapprochements entre divers groupes totalitaires ou « à tendance totalitaire » (p. 114), leurs composantes ne sont pas oubliées. L’on plonge alors successivement aux côtés du chef totalitaire, des adeptes zélés ou « seconds couteaux » (p. 155), et des victimes au sein des camps de concentration. Le tableau dressé est alors loin d’être manichéen : l’on découvre par exemple des bourreaux qualifiés de victimes et des victimes devenues bourreaux. Ce PDF ne peut être ni vendu ni diffusé sur Internet. © Librairie Droz S.A. 280 Comptes rendus de lecture Dans la troisième partie (cinq chapitres, 90 pages), plus disparate, les auteurs abordent la question de la violence propre aux régimes totalitaires, à savoir les génocides ou « nettoyages ethniques » (p. 217), et la torture qui se rencontre également dans certaines démocraties. Cette section est également l’occasion, pour Delestre et Lévy, d’appliquer le modèle totalitaire à d’autres groupes comme ceux relevant de l’islamisme radical ou de groupes « à tendance totalitaire » comme certaines « sectes communicationnelles politico-religieuses » (p. 252). Ils se posent alors la question de la sortie de ces groupes totalitaires et de la reconstruction qui lui succède. Les auteurs s’appuient sur la typologie de la rupture proposée par Gérald Bronner dans Vie et mort des croyances collectives : la dissonance, la concurrence et l’incohérence. Ils ajoutent à ce modèle un quatrième moteur de la rupture qui repose sur l’influence du chef totalitaire devenu autodestructeur (p. 293). Il s’ensuivrait une prise de conscience des adeptes accompagnée d’une part de désespoir, de reconstruction et d’une réadaptation difficile. Enfin la quatrième partie (trois chapitres, 21 pages), conclusive, rapproche plus nettement différents types de groupes allant de l’état totalitaire à la famille à tendance totalitaire. Delestre et Lévy abordent également les questions de méthodologie, et la posture scientifique choisie et adoptée vis-à-vis du totalitarisme. Les auteurs affirmaient déjà, dans l’introduction, leur posture engagée s’opposant ainsi à la neutralité scientifique qu’ils réprouvent dans le cas de l’étude du totalitarisme. « Notre démarche se situe en tout cas aux antipodes de celle des sociologues qui préfèrent se taire au nom de la neutralité du scientifique pour ne pas avoir à qualifier de totalitaire (ou d’un adjectif équivalent) tel ou tel groupe » (p. 56). « Céder au relativisme absolu ou au fantasme de la neutralité scientifique ne peut que nous conduire à comprendre, à tolérer et finalement à cautionner tous les totalitarismes » (p. 58). Les auteurs endossent par exemple un ton volontairement engagé pour aborder la question du déni ou des formes d’« aveuglement » volontaire devant la « réalité totalitaire » des victimes, des autorités, du groupe totalitaire, des adeptes, et des « compagnons de route » (p. 100). Ils appuient notamment leur propos sur certains intellectuels qui portent, selon eux, la responsabilité du développement du totalitarisme et « ont aussi en commun de n’accepter de voir que ce qu’ils croient, que ce qui ne les dérange pas, même quand il s’agit de violences évidentes, de crimes et pire encore, “ils ferment la bouche aux victimes” » (p. 100-101). Le lecteur sera peut-être surpris par cette prise de position s’opposant ainsi à la neutralité axiologique prônée par Max Weber. Mais cette absence de neutralité scientifique est ici érigée en ligne de conduite morale : pour Delestre et Lévy, l’on ne peut pas accepter d’être neutre vis-à-vis des totalitarismes charriant leur lot de tortures, de génocides et d’atteintes à l’intégrité humaine. Cette prise de position, qui est affichée et assumée tout au long de l’ouvrage, ne laisse pas le sociologue indifférent et relance un débat ancien. Puisque la neutralité axiologique est une posture scientifique difficile à satisfaire, une sorte d’idéal, qui plonge le chercheur dans un paradoxe en ce qu’il est lui-même l’un des Ce PDF ne peut être ni vendu ni diffusé sur Internet. © Librairie Droz S.A. Revue européenne des sciences sociales 281 protagonistes du monde qu’il étudie, est-elle possible, envisageable ou acceptable dans tous les contextes sociaux à la portée du sociologue ? Est-ce là introduire des valeurs dans les sciences sociales ou assumer une posture intenable ? Le sociologue doit-il n’étudier que des phénomènes pour lesquels il parvient à la neutralité et éviter avec soin les autres ? Virginie PREVOST, 2010, Les Ibadites. De Djerba à Oman, la troisième voie de l’Islam, Turnhout, Brepols, « Fils d’Abraham », 200 p. Compte rendu par Youcef Djedi (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines). Le livre de Virginie Prevost sur l’ibadisme arrive à point nommé à un moment où l’on constate un regain d’intérêt pour cette petite « Église » islamique. Par exemple, les 27 et 28 novembre 2011 eurent lieu les « Communautés ibâdites du Maghreb médiéval », dans le cadre des journées d’étude du programme « Maghribadites », organisées par Cyrille Aillet à l’Université Lyon 2. Virginie Prévost y a présenté « Les transformations de l’ibadisme après la conquête fatimide : historiographie et pistes d’étude ». Si cette « bouture » du hāriğisme, comme l’appelait Carl H. Becker, ne cesse d’attirer l’attention depuis près d’un demi-siècle, l’on peut déplorer qu’elle n’ait pas encore trouvé son Max Weber. En tout état de cause, l’auteure apporte ici, comme l’indique la quatrième de couverture, « la toute première synthèse sur l’ibadisme ». Les sept chapitres qui composent cet ouvrage donnent une vue d’ensemble que le lecteur non familiarisé avec ce rejeton du premier schisme dans l’islam ne peut qu’apprécier. Ceci d’autant plus que l’auteure a agrémenté son texte de photos (p. 126-127 ; p. 185-200), qui illustrent bien la tonalité architecturale de l’ibadisme, à laquelle se résume le quatrième chapitre consacré à l’« Art sacré » (p. 103-118). Dans les annexes (p.165-183) elle a inséré, notamment, des cartes (Sultanat d’Oman, réseaux commerciaux dans l’Océan indien et au Sahara et en Afrique noire), une courte généalogie des imams rustumides et une liste des imams omanais. Après une brève introduction, Prevost consacre son premier chapitre (p. 7-42) à l’histoire de l’ibadisme, qui va de sa naissance à Baṣra à l’Oman contemporain et aux actuelles communautés maghrébines. Dans le second chapitre (p. 43-59), elle fait un choix assez judicieux de thèmes constitutifs de la doctrine ibadite, dont ceux de la prédestination, du Coran créé, de l’« amitié » et de l’« inimitié » en Dieu, des noms et des attributs divins. Le troisième chapitre (p. 61-102) – le plus long de l’ouvrage – est une anthologie d’écrits ibadites, à travers laquelle l’auteure retrace les contours de cette petite « Église », depuis son passé charismatique de « secte » de martyrs jusqu’à la conception mozabite de l’excommunication et jusqu’au mouvement réformiste moderne, en passant par les rapports avec le hāriğisme, les principes de l’imamat, la préservation de l’ibadisme. Ce PDF ne peut être ni vendu ni diffusé sur Internet. © Librairie Droz S.A.