Delestre Antoine et Lévy Clara, Penser les totalitarismes

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Retour sur le désencastrement
7
Polanyi ou la science économique vue comme une institution
inf luençant l’évolution des systèmes économiques
Nicolas Brisset
Les prêts entre proches ou l’invisibilité des transactions intimes
41
Gilles Lazuech
Productivité marginale et concurrence
dans les travaux d’Enrico Barone
63
Critiques et apports au modèle de Walras
Claire Baldin, André Legris, Ludovic Ragni
Le sport dans l’enseignement de l’éducation physique
et sportive française durant les années 1960
101
De l’égalité d’accès aux inégalités de réussite
Michaël Attali & Jean Saint-Mar tin
Réguler le dopage ? Les failles de la gouvernance sportive
127
« L’affaire Puerto » comme illustration
Bastien Soulé & Ludovic Lestrelin
Devenir dominant
Revue européenne des sciences sociales
SOMMAIRE
161
2012
European Journal of Social Sciences
Les grandes étapes de l’expérience de la mobilité sociale ascendante
Jules Naudet
Les usages de la biologie en sciences sociales
Revue
européenne
des sciences
sociales
191
Comparaison entre le naturalisme socio-anthropologique
du dix-neuvième siècle et celui d’aujourd’hui
Dominique Guillo
Regards sur la société musulmane du ixe siècle
227
Du triomphe du conformisme juridique au déclin
de la pensée philosophique arabe
Issam Toualbi-Thaâlibî
Comptes rendus de lecture
50-1
253
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Revue européenne des sciences sociales
279
Antoine DELESTRE et Clara LÉVY, 2010, Penser les totalitarismes, Éditions de
l’Aube, « Monde en cours », 361 p.
Compte rendu par Romy Sauvayre (Université de Pau – Laboratoire SET / CNRS).
Qu’est-ce que le totalitarisme ? Quelles sont ses origines ? Qu’est-ce qui le caractérise ?
Si les historiens et les politologues se sont largement penchés sur cette question, avancent les auteurs de cet ouvrage richement documenté, les sociologues sont demeurés
en retrait, discrets, voire absents. L’ambition de cet ouvrage, préfacé par Emmanuel de
la Taille et sélectionné pour concourir au prix « Livre et Droits de l’Homme » 2011, est
double. Les auteurs, maîtres de conférences à l’Université Nancy 2, proposent d’une
part de dresser une typologie du totalitarisme en s’appuyant sur des événements historiques, et, d’autre part, d’offrir des pistes de réflexion, d’action et de compréhension aux
victimes et aux décideurs (politiques ou religieux) (p. 58). Le lecteur oscille ainsi d’un
point de vue général sur les exactions d’États et de chefs totalitaires, au vécu poignant de
l’indicible au travers les mots des victimes. Les exemples mobilisés sont puisés pour une
grande part dans les groupes politiques totalitaires (fascisme, nazisme, stalinisme), mais
également dans les groupes religieux contestés ou les sectes : il est alors aisé de tisser des
liens entre ces deux sphères qui sont rarement présentées conjointement.
Les quatre parties et les quinze chapitres, numérotés en continu, que compte l’ouvrage,
seront donc consacrés aux totalitarismes. La première partie (quatre chapitres, 45 pages)
présente un panorama historique de la naissance du totalitarisme que les auteurs situent
à la Première Guerre mondiale eu égard à la « banalisation nouvelle de l’ultra-violence »
(p. 20) qui s’est illustrée à cette période. Ce sera, d’une part, avec deux notions, « la dignité
humaine et les droits de l’homme » (p. 46) que Delestre et Lévy aborderont le fait totalitaire,
et d’autre part, au moyen de faits historiques, d’archives, d’ouvrages, de lettres, de témoignages émouvants qu’ils transporteront le lecteur dans différentes formes de totalitarisme.
La deuxième partie (trois chapitres, 152 pages) aborde l’organisation totalitaire. Les
auteurs y présentent leur modèle du totalitarisme qui se caractérise par « l’hypothèse
d’un continuum » (p. 62). En somme, tout ce qui porte atteinte aux droits de l’homme
et à la dignité humaine est de nature totalitaire. Delestre et Lévy relient la forme la
plus extrême du totalitarisme, incarnée par les camps de concentration, les goulags, les
génocides et les États dictatoriaux, avec des formes plus ténues représentées par divers
groupes séquestrant, humiliant et torturant autrui (gangs, mafia, certains groupes religieux ou sectaires). En plus de réaliser des rapprochements entre divers groupes totalitaires ou « à tendance totalitaire » (p. 114), leurs composantes ne sont pas oubliées. L’on
plonge alors successivement aux côtés du chef totalitaire, des adeptes zélés ou « seconds
couteaux » (p. 155), et des victimes au sein des camps de concentration. Le tableau dressé
est alors loin d’être manichéen : l’on découvre par exemple des bourreaux qualifiés de
victimes et des victimes devenues bourreaux.
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Comptes rendus de lecture
Dans la troisième partie (cinq chapitres, 90 pages), plus disparate, les auteurs abordent
la question de la violence propre aux régimes totalitaires, à savoir les génocides ou
« nettoyages ethniques » (p. 217), et la torture qui se rencontre également dans certaines
démocraties. Cette section est également l’occasion, pour Delestre et Lévy, d’appliquer
le modèle totalitaire à d’autres groupes comme ceux relevant de l’islamisme radical
ou de groupes « à tendance totalitaire » comme certaines « sectes communicationnelles
politico-religieuses » (p. 252). Ils se posent alors la question de la sortie de ces groupes
totalitaires et de la reconstruction qui lui succède. Les auteurs s’appuient sur la typologie
de la rupture proposée par Gérald Bronner dans Vie et mort des croyances collectives : la dissonance, la concurrence et l’incohérence. Ils ajoutent à ce modèle un quatrième moteur de
la rupture qui repose sur l’influence du chef totalitaire devenu autodestructeur (p. 293).
Il s’ensuivrait une prise de conscience des adeptes accompagnée d’une part de désespoir,
de reconstruction et d’une réadaptation difficile.
Enfin la quatrième partie (trois chapitres, 21 pages), conclusive, rapproche plus nettement
différents types de groupes allant de l’état totalitaire à la famille à tendance totalitaire.
Delestre et Lévy abordent également les questions de méthodologie, et la posture scientifique choisie et adoptée vis-à-vis du totalitarisme. Les auteurs affirmaient déjà, dans
l’introduction, leur posture engagée s’opposant ainsi à la neutralité scientifique qu’ils
réprouvent dans le cas de l’étude du totalitarisme. « Notre démarche se situe en tout cas
aux antipodes de celle des sociologues qui préfèrent se taire au nom de la neutralité du
scientifique pour ne pas avoir à qualifier de totalitaire (ou d’un adjectif équivalent) tel ou
tel groupe » (p. 56). « Céder au relativisme absolu ou au fantasme de la neutralité scientifique ne peut que nous conduire à comprendre, à tolérer et finalement à cautionner
tous les totalitarismes » (p. 58). Les auteurs endossent par exemple un ton volontairement engagé pour aborder la question du déni ou des formes d’« aveuglement » volontaire devant la « réalité totalitaire » des victimes, des autorités, du groupe totalitaire, des
adeptes, et des « compagnons de route » (p. 100). Ils appuient notamment leur propos
sur certains intellectuels qui portent, selon eux, la responsabilité du développement du
totalitarisme et « ont aussi en commun de n’accepter de voir que ce qu’ils croient, que
ce qui ne les dérange pas, même quand il s’agit de violences évidentes, de crimes et pire
encore, “ils ferment la bouche aux victimes” » (p. 100-101).
Le lecteur sera peut-être surpris par cette prise de position s’opposant ainsi à la neutralité axiologique prônée par Max Weber. Mais cette absence de neutralité scientifique est
ici érigée en ligne de conduite morale : pour Delestre et Lévy, l’on ne peut pas accepter
d’être neutre vis-à-vis des totalitarismes charriant leur lot de tortures, de génocides et
d’atteintes à l’intégrité humaine. Cette prise de position, qui est affichée et assumée tout
au long de l’ouvrage, ne laisse pas le sociologue indifférent et relance un débat ancien.
Puisque la neutralité axiologique est une posture scientifique difficile à satisfaire, une
sorte d’idéal, qui plonge le chercheur dans un paradoxe en ce qu’il est lui-même l’un des
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Revue européenne des sciences sociales
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protagonistes du monde qu’il étudie, est-elle possible, envisageable ou acceptable dans
tous les contextes sociaux à la portée du sociologue ? Est-ce là introduire des valeurs dans
les sciences sociales ou assumer une posture intenable ? Le sociologue doit-il n’étudier
que des phénomènes pour lesquels il parvient à la neutralité et éviter avec soin les autres ?
Virginie PREVOST, 2010, Les Ibadites. De Djerba à Oman, la troisième voie de
l’Islam, Turnhout, Brepols, « Fils d’Abraham », 200 p.
Compte rendu par Youcef Djedi (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines).
Le livre de Virginie Prevost sur l’ibadisme arrive à point nommé à un moment où l’on
constate un regain d’intérêt pour cette petite « Église » islamique. Par exemple, les 27
et 28 novembre 2011 eurent lieu les « Communautés ibâdites du Maghreb médiéval »,
dans le cadre des journées d’étude du programme « Maghribadites », organisées par
Cyrille Aillet à l’Université Lyon 2. Virginie Prévost y a présenté « Les transformations
de l’ibadisme après la conquête fatimide : historiographie et pistes d’étude ». Si cette
« bouture » du hāriğisme, comme l’appelait Carl H. Becker, ne cesse d’attirer l’attention depuis près d’un demi-siècle, l’on peut déplorer qu’elle n’ait pas encore trouvé son
Max Weber. En tout état de cause, l’auteure apporte ici, comme l’indique la quatrième
de couverture, « la toute première synthèse sur l’ibadisme ».
Les sept chapitres qui composent cet ouvrage donnent une vue d’ensemble que le
lecteur non familiarisé avec ce rejeton du premier schisme dans l’islam ne peut qu’apprécier. Ceci d’autant plus que l’auteure a agrémenté son texte de photos (p. 126-127 ;
p. 185-200), qui illustrent bien la tonalité architecturale de l’ibadisme, à laquelle se
résume le quatrième chapitre consacré à l’« Art sacré » (p. 103-118). Dans les annexes
(p.165-183) elle a inséré, notamment, des cartes (Sultanat d’Oman, réseaux commerciaux dans l’Océan indien et au Sahara et en Afrique noire), une courte généalogie des
imams rustumides et une liste des imams omanais.
Après une brève introduction, Prevost consacre son premier chapitre (p. 7-42) à l’histoire de l’ibadisme, qui va de sa naissance à Baṣra à l’Oman contemporain et aux actuelles
communautés maghrébines. Dans le second chapitre (p. 43-59), elle fait un choix assez
judicieux de thèmes constitutifs de la doctrine ibadite, dont ceux de la prédestination, du
Coran créé, de l’« amitié » et de l’« inimitié » en Dieu, des noms et des attributs divins.
Le troisième chapitre (p. 61-102) – le plus long de l’ouvrage – est une anthologie d’écrits
ibadites, à travers laquelle l’auteure retrace les contours de cette petite « Église », depuis
son passé charismatique de « secte » de martyrs jusqu’à la conception mozabite de l’excommunication et jusqu’au mouvement réformiste moderne, en passant par les rapports
avec le hāriğisme, les principes de l’imamat, la préservation de l’ibadisme.
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