Revue européenne des sciences sociales 279
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Antoine DELESTRE et Clara LÉVY, 2010, Penser les totalitarismes, Éditions de
l’Aube, « Monde en cours », 361 p.
Compte rendu par Romy Sauvayre (Université de Pau – Laboratoire SET / CNRS).
Qu’est-ce que le totalitarisme ? Quelles sont ses origines ? Qu’est-ce qui le caractérise ?
Si les historiens et les politologues se sont largement penchés sur cette question, avan-
cent les auteurs de cet ouvrage richement documenté, les sociologues sont demeurés
en retrait, discrets, voire absents. L’ambition de cet ouvrage, préfacé par Emmanuel de
la Taille et sélectionné pour concourir au prix « Livre et Droits de l’Homme » 2011, est
double. Les auteurs, maîtres de conférences à l’Université Nancy 2, proposent d’une
part de dresser une typologie du totalitarisme en s’appuyant sur des événements histo-
riques, et, d’autre part, d’orir des pistes de réflexion, d’action et de compréhension aux
victimes et aux décideurs (politiques ou religieux) (p. 58). Le lecteur oscille ainsi d’un
point de vue général sur les exactions d’États et de chefs totalitaires, au vécu poignant de
l’indicible au travers les mots des victimes. Les exemples mobilisés sont puisés pour une
grande part dans les groupes politiques totalitaires (fascisme, nazisme, stalinisme), mais
également dans les groupes religieux contestés ou les sectes : il est alors aisé de tisser des
liens entre ces deux sphères qui sont rarement présentées conjointement.
Les quatre parties et les quinze chapitres, numérotés en continu, que compte l’ouvrage,
seront donc consacrés aux totalitarismes. La première partie (quatre chapitres, 45pages)
présente un panorama historique de la naissance du totalitarisme que les auteurs situent
à la Première Guerre mondiale eu égard à la « banalisation nouvelle de l’ultra-violence »
(p. 20) qui s’est illustrée à cette période. Ce sera, d’une part, avec deux notions, « la dignité
humaine et les droits de l’homme » (p. 46) que Delestre et Lévy aborderont le fait totalitaire,
et d’autre part, au moyen de faits historiques, d’archives, d’ouvrages, de lettres, de témoi-
gnages émouvants qu’ils transporteront le lecteur dans diérentes formes de totalitarisme.
La deuxième partie (trois chapitres, 152 pages) aborde l’organisation totalitaire. Les
auteurs y présentent leur modèle du totalitarisme qui se caractérise par « l’hypothèse
d’un continuum » (p. 62). En somme, tout ce qui porte atteinte aux droits de l’homme
et à la dignité humaine est de nature totalitaire. Delestre et Lévy relient la forme la
plus extrême du totalitarisme, incarnée par les camps de concentration, les goulags, les
génocides et les États dictatoriaux, avec des formes plus ténues représentées par divers
groupes séquestrant, humiliant et torturant autrui (gangs, mafia, certains groupes reli-
gieux ou sectaires). En plus de réaliser des rapprochements entre divers groupes totali-
taires ou « à tendance totalitaire » (p. 114), leurs composantes ne sont pas oubliées. L’on
plonge alors successivement aux côtés du chef totalitaire, des adeptes zélés ou « seconds
couteaux » (p. 155), et des victimes au sein des camps de concentration. Le tableau dressé
est alors loin d’être manichéen : l’on découvre par exemple des bourreaux qualifiés de
victimes et des victimes devenues bourreaux.