La Planeterrella, une expérience pédagogique en planétologie et

Vol. 102 - Juin 2008 Jean LILENSTEN…
La Planeterrella, une expérience pédagogique
en planétologie et physique des plasmas
par Jean LILENSTEN,Mathieu BARTHÉLÉMY
Laboratoire de planétologie de Grenoble
Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble
CNRS-UJF - 38041 Grenoble Cedex 9
Cyril SIMON
Research and Scientific Support Department of ESA
ESTEC - Noordwijk - The Netherlands
et Philippe JEANJACQUOT
Lycée Charlie Chaplin - 69152 Décines Cedex
RÉSUMÉ
Nous présentons ici une expérience de physique des plasmas qui permet de recons-
tituer une grande partie des phénomènes conduisant à la formation d’aurores boréales.
Il s’agit de tirer des électrons sur une sphère magnétisée dans une enceinte à vide. Cette
expérience, inspirée de la Terrella de Kristian BIRKELAND au tournant du XIXe-XXesiècle,
permet la visualisation de très nombreuses situations géophysiques et astrophysiques.
Bien que délicate, elle est réalisable en lycée.
1. LA TERRELLA DE KRISTIAN BIRKELAND
En 1733, dans le premier traité sur les aurores boréales (Traité historique et physique
de l’aurore boréale), Jean-Jacques DORTOUS DE MAIRAN décrit de façon intuitive, mais
très visionnaire le lien entre les aurores et le Soleil : « Il est certain, comme on le démon-
trera d’après un grand nombre d’observations qui ne sont pas équivoques, que l’Atmo-
sphère du Soleil […] atteint quelquefois jusqu’à l’Orbite Terrestre. C’est alors que la
matière qui compose cette Atmosphère venant à rencontrer les parties supérieures de
notre air, en deçà des limites où la Pesanteur universelle, quelle qu’en soit la cause,
commence à agir avec plus de force vers le centre de la Terre que vers le Soleil, tombe
dans l’Atmosphère terrestre à plus ou moins de profondeur, selon que la pesanteur spéci-
fique est plus ou moins grande, eu égard aux couches d’air qu’elle traverse, ou qu’elle
surnage ».
Quelques années plus tard, en 1747, l’astronome suédois Anders CELSIUS et son
assistant Olof HIORTER découvrent que le champ magnétique est un ingrédient indispen-
sable de la physique des aurores boréales. Au cours du XIXesiècle, les géographes établis-
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sent que les aurores polaires se produisent préférentiellement autour des pôles magné-
tiques, dessinant ce qu’on appellera les « ovales auroraux ». Les travaux en électroma-
gnétisme au XIXesiècle conduisent également à postuler l’existence de particules char-
gées, les électrons, qui seront mis en évidence par THOMSON en 1901. On les appelait alors
« les rayons de cathode ».
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Figure 1 : Le laboratoire de Kristian BIRKELAND.
À gauche, l’électronique de puissance et à droite la pompe à vide.
À la fin du XIXesiècle, le physicien norvégien Kristian BIRKELAND, expérimentateur
de génie, eut l’idée somptueuse de tirer des « rayons de cathode » sur une sphère magnétisée
suspendue dans une enceinte à vide. Dans son esprit, la cathode représentait le Soleil, les
rayons représentaient l’atmosphère solaire, que PARKER définira plus tard, en 1959, comme
étant le « vent solaire », et la sphère magnétisée, suspendue sur une potence, représentait
la Terre. Sa vie durant, il construisit jusqu’à quatorze variantes de son expérience. Cette
expérience s’appelle « la Terrella ». Elle permit de faire la première démonstration en
laboratoire du mécanisme des aurores polaires en reconstruisant, en les visualisant, les
ovales auroraux. Les notes de Birkeland ne sont pas très précises, mais son expérience a
été remontée récemment à l’Université de Tromsø par l’ingénieur Terje BRUNTDLAND à
partir de l’expérience originale. On sait ainsi que le vide est de l’ordre du Pascal, et la
tension de quelques centaines de volts.
En inversant les polarités de son expérience, Kristian BIRKELAND fut également le
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premier à visualiser l’anneau de courant, découvert en 1959 lors du premier vol spatial
des USA par James VAN ALLEN, ce qui lui valut le prix Crawford de physique. Malheu-
reusement, Kristian BIRKELAND donna une mauvaise interprétation à son observation, l’as-
similant aux anneaux de Saturne.
2. UNE NOUVELLE EXPÉRIENCE : LA PLANETERRELLA
Après plusieurs constructions de Terrella, nous avons imaginé une expérience dérivée,
aux possibilités plus nombreuses. Kristian BIRKELAND a en effet eu une idée étrange, reco-
piée depuis systématiquement : il a suspendu sa sphère, rendant son montage très difficile
à modifier. Dans le montage proposé ici, la
sphère est posée sur un socle qu’on peut
déplacer à volonté et dont on peut régler la
hauteur, à l’image des tubes supportant des
parasols. L’aimant, lui aussi est ainsi facile
à orienter dans la direction désirée. La buse
elle-même est attachée à une roue insérée
dans une encoche, dans une potence
recourbée. Ainsi, elle peut être déplacée à
volonté et positionnée dans toutes les direc-
tions autour de son axe (cf. figure 3). Dans
la configuration Terrella, il n’est pas
possible d’avoir deux sphères, car elles
s’attirent en raison des champs forts. Dans
notre nouvelle expérience, on peut multi-
plier le nombre de sphères et ainsi, regarder
des interactions dans des configurations
multiples.
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Figure 2 : À gauche, un ovale auroral observé et photographié par Kristian BIRKELAND. À droite, la Terre
et son ovale photographiés par le satellite de la NASA Dynamic Explorer dans l’ultraviolet.
(Crédit L.A. FRANK, université d’Iowa, NASA).
Figure 3 : Plan de la Planeterrella.
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Nous utilisons une cloche à vide de cinquante litres d’un diamètre de
50 cm. Elle est construite en plexiglas. Le coût est un premier avantage. Un deuxième
avantage est que le plexiglas est opaque pour le rayonnement UV, ce qui constitue une
protection pour les spectateurs. En corollaire, on ne peut ainsi pas faire d’analyse spec-
trale dans l’UV depuis l’extérieur de l’enceinte. Il faut insérer le spectromètre à l’inté-
rieur.
Les deux sphères ont un diamètre respectivement de dix et cinq centimètres. Elles
sont fabriquées dans un métal non magnétique (aluminium). Kristian BIRKELAND utilisait
du cuivre. Le vide doit être de l’ordre de la dizaine de Pascal, et peut donc être obtenu
avec une pompe primaire. La tension est supérieure à environ 500 V pour une intensité
de l’ordre du dixième de mA au mA. Par la suite, nous prendrons des valeurs de 1000 V
et A dans les applications numériques. Ainsi, les électrons émis ont une énergie de
1 keV, ou encore J. Pour le moment, nous utilisons dans les sphères des
aimants permanents en terre rare. L’intensité est d’environ 0,5 T à la surface des aimants,
qui ont une taille d’un demi-centimètre. Leur positionnement se fait simplement en utili-
sant un socle de pâte à modeler à l’intérieur des sphères.
3. OBSERVATIONS
Les électrons émis par la cathode heurtent le gaz ambiant, créant des électrons, des
ions éventuellement excités et des molécules dans des états excités. Certaines désexcita-
tions se font par émission de lumière visible, que nous décrirons dans la partie consacrée
à la physique du phénomène. La lumière est plus intense dans les régions de plus grande
concentration d’électrons. C’est cette lumière qui a été observée par Kristian BIRKELAND,
et qui est visible sur les images qui suivent.
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Figure 4 : Les ovales auroraux sur l’une des sphères de la planeterrella. On voit des reflets sur la sphère
et sur le côté gauche de la photographie.
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3.1. Reproduction des observations de Birkeland
Toutes les configurations observées par Kristian BIRKELAND sont reproductibles
dans cette nouvelle configuration. Sur la figure 4 (cf. page ci-contre), on voit très bien
les ovales auroraux. Ici, la sphère est l’anode et la buse est cathode.
Sur la figure 5, la buse électrique est devenue anode et la petite sphère est la cathode.
Les électrons émis sont rabattus dans un plan perpendiculaire aux champs magnétique et
électrique, créant un anneau de courant. Cet anneau est également observable dans la
configuration où la buse est cathode, mais moins lumineux que les ovales auroraux, il est
difficile à bien mettre en évidence. C’est l’anneau ci-dessous que Kristian BIRKELAND
avait pris pour les anneaux de Saturne.
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Figure 5 : La petite sphère à l’avant sert de cathode et la buse électrique à gauche sert d’anode. Au milieu,
on voit la petite sphère se refléter sur l’enceinte de plexiglas.
Qu’offre donc cette expérience en termes de possibilités supplémentaires ?
3.2. Visualisation plus efficace des phénomènes
Plutôt que de tirer les électrons par la buse, on peut à présent utiliser une sphère en
cathode et une autre en anode. C’est ce qui est montré sur la figure 6 (cf. page ci-après).
Cette figure est particulièrement intéressante. Au premier plan, les ovales auroraux se
forment sur une planète magnétisée. À l’arrière-plan, l’étoile-cathode est également magné-
tisée. Ici, on voit le halo coronal, avec, autour des pôles, des trous coronaux comparables
à ceux observés sur le Soleil. Il faut cependant se garder de pousser trop loin l’analogie :
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