
Page 5 N° 12 - septembre 2016 Actualités UNAFAM 92
« LA PLACE DES FAMILLES »
Nous devons commencer par préciser de quelle famille nous
parlons : si nous pensons, comme le font les thérapeutes fami-
liaux, le patient dans sa famille, il est, en ce sens, aussi « la
famille » ; mais si nous pensons le patient et sa famille, la fa-
mille prend la forme de « l’entourage familial ». Cette question
se pose d’emblée à notre écoute selon notre profession et l’ins-
titution qui encadre notre rencontre avec le « patient ». Aussi,
elle est au cœur des réflexions que j’aimerais vous apporter
aujourd’hui à partir de mon expérience de psychologue travail-
lant avec une équipe d’une cinquantaine de bénévoles - tous
concernés par les troubles psychiques d’un de leurs membres
(d’un proche) - au sein d’une association de familles (UNAFAM)
dont la mission principale est d’accueillir d’autres familles
(entourage familial) en quête d’information et de soutien.
Mon propos portera aujourd’hui, plus précisément, sur la place
à accorder (ou non) à « l’entourage familial » dans la prise en
charge du patient : sachant que les positionnements adoptés
découleront, nécessairement, des représentations que nous
avons de la participation de cet entourage dans l’origine ou le
maintien des symptômes du patient.
Or ces représentations ont subi des changements importants
au cours du siècle dernier. Très schématiquement, nous (1)
avons synthétisé cette évolution en 4 grandes étapes permet-
tant une mise en perspective des différentes représentations
de la famille au cours de l’histoire de la psychiatrie contempo-
raine.
Cette histoire commence dans l’après-guerre, moment où s’ini-
tie le glissement des soins de l’hôpital vers la cité avec le déve-
loppement de la politique de secteur dans les années 1960.
1. Dans ce moment de l’après-guerre, la famille est considé-
rée comme un milieu pathogène dont il faut extraire la per-
sonne malade, le thérapeute viendrait réparer les torts d’autre-
fois. Ainsi, pour soigner la personne malade, il faut alors l’iso-
ler de sa famille.
2. Cette représentation va évoluer, dans le contexte d’une
époque contestataire où la famille, comme la plupart des insti-
tutions, sera perçue comme un lieu enfermant, aliénant. C’est
le mouvement de l’antipsychiatrie. Dans cette approche, pour
soigner la personne malade il faut soigner la famille. C’est le
début des thérapies familiales.
3. Dans un troisième temps, une approche plus complexe com-
mence à se mettre en place, la famille pouvant être à la fois
fragilisée et aidante. La notion de « thérapie avec la famille »
plutôt que « thérapie de la famille » a permis de sortir d’une
vision essentiellement pathologique des liens familiaux et
d’être attentif aux ressources de ces liens pour la personne
malade (c’est la notion d’alliance thérapeutique). Pour soigner
la personne malade il faut soutenir la famille.
4. De nos jours, les familles de patients souffrant de psychoses
graves sont considérées comme des familles « normales » con-
frontées à une maladie ou un ensemble de maladies d’origine
cérébrale. Cette approche fait rentrer les troubles psychia-
triques dans le champ de la médecine générale : pour soigner
la personne malade, comme dans la majorité des maladies au
long cours, la famille doit participer et dans une certaine me-
sure, prendre le relais des soins. Nous arrivons ainsi à la notion
d’aidant familial.
Force est de constater qu’entre la première et la dernière étape
nous assistons à un véritable changement de paradigme en ce
qui concerne la place de la famille ! Selon le sociologue Nor-
mand Carpentier, « historiquement, la famille est d’abord consi-
dérée comme la « cause » des problèmes de santé avant de
devenir, dans un contexte de désinstitutionalisation de la psy-
chiatrie une « solution » pour maintenir la personne dans son
milieu … (la famille) passe d’un modèle pathologique à un mo-
dèle de compétence (…) et la maison familiale devient le pre-
mier lieu de relocalisation du patient psychiatrique : 60 à 70%
des personnes présentant des troubles psychiatriques vivent
dans leur famille. (2) » Quelles conséquences cette évolution et
ce changement de paradigme ont-ils produit dans le rapport
entre les professionnels et l’entourage familial ?
En vérité, nous le savons, ces conceptions n’ont pas évolué de
façon linéaire ni homogène. Nous retrouvons ces différentes
approches coexistant dans presque toutes les institutions. Con-
crètement, dans la psychiatrie « post-moderne », le recours à
l’entourage familial (de plus en plus fréquent) peut se faire par
conviction, par manque d’option, et parfois par imposition insti-
tutionnelle à partir de directives guidées par des plans ministé-
riels, sans forcément y retrouver, de la part des intervenants
directs, ni une prise en compte des difficultés particulières vé-
cues par cet entourage ni l’adhésion aux notions de famille
« aidante » (avec des fragilités mais aussi des compétences) ou
« d’alliance thérapeutique tripartite ».
L’entourage familial peut alors se retrouver confronté à des
discours et des pratiques contradictoires et discontinues, sans
parler du changement presque radical auquel il doit faire face
entre les dispositifs faisant partie de la psychiatrie infanto-
juvénile et ceux de la psychiatrie adulte. Nous recevons fré-
quemment à l’Unafam des situations ressenties par l’entourage
comme très ambivalentes, voire paradoxales. Un véritable tirail-
lement dans la nébuleuse des intervenants qui, en difficulté
pour communiquer entre eux, peuvent prendre des décisions
sur la prise en charge du patient à partir de leur seul périmètre
d’action - la complexité et la contextualisation du/des symp-
tômes pouvant être éludées. De plus, les efforts de l’entourage
pour échanger et partager des informations peuvent être reçus
(interprétés) de manières totalement différentes à l’intérieur de
cette cacophonie de représentations de la « famille ».
Pour illustrer mon propos, je vous présenterai ici le cas d’un
jeune homme de 22 ans - que nous appellerons Thomas - dont
la mère est venue nous rencontrer il y a quelques années.
Participation de l’Unafam 92 au Colloque :
« CLINIQUE DES PASSAGES : DE L’ADOLESCENCE A L’AGE ADULTE »
Notre dernier bulletin (N° 11— mars 2016) vous a informé de l’organisation du Colloque : « CLINIQUE DES PASSAGES : DE L’ADO-
LESCENCE A L’AGE ADULTE » par le Collège de Psychiatrie Publique de l’Adolescent des Hauts de Seine (CPPA 92), le 22 janvier
2016 au Château d’Asnières. Dans le programme, l’atelier intitulé « LA PLACE DES FAMILLES » a été animé par le Dr Laurent
James, psychiatre et thérapeute familial à l’Espace Famille 92 et Eliane Collombet, chargée de mission psychologue à l’Unafam 92.
Eliane Collombet a préparé un résumé de son intervention qui fera partie d’une brochure à diffuser auprès des professionnels des
structures présentes au colloque. Cette réflexion nous concernant tous, notre comité à décidé de la partager avec nos adhérents et
partenaires.