brèves
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Virologie, Vol. 13, n° 2, mars-avril 2009
Le masque de la Mort noire
La grande peste noire de 1347-1350 a marqué la mémoire collective de l’humanité
occidentale. Elle est communément attribuée à une bactérie, Yersinia pestis, qui a
depuis provoqué bien d’autres épidémies ravageuses. Toutefois, de nombreuses
anomalies peuvent être trouvées dans les rapports forts précis de l’époque. Les auteurs
de cet article émettent une hypothèse audacieuse qui repose essentiellement sur des
données écrites britanniques, qu’ils comptent renforcer par des études approfondies à
venir dans d’autres pays européens : la « peste noire » aurait été d’origine virale.
La peste noire ne s’est pas répandue uniformément en tache d’huile, comme on l’atten-
drait d’une infection dont le réservoir est le rat et le vecteur la puce. Au contraire, elle a
diffusé le long des voies de grande circulation humaines, marchés et pèlerinages, épar-
gnant presque entièrement certains pays, en étouffant d’autres. Elle progressait vite,
environ 6 km par jour, vitesse compatible avec le déplacement d’un homme à pied
ou à cheval. La mortalité associée présentait un pic estival, débutant au printemps et
s’achevant à l’automne, à l’inverse des épidémies de peste répertoriées au XXe siècle,
et pouvant correspondre aux périodes idéales des voyages humains – on ne part pas à
Saint-Jacques en plein hiver.
D’autres détails sont d’importance. Toute épidémie de peste est précédée d’une forte
mortalité chez les rats. Nos ancêtres le savaient ; cette surmortalité n’est pas mentionnée
dans les écrits historiques, non pas parce qu’elle a été oubliée, mais parce qu’elle n’a
pas eu lieu. La période d’incubation de la peste, sous ses différentes formes, est brève,
au plus de dix jours. Or, c’est à l’occasion de la « peste noire » que la formule « quaran-
taine » a été inventée : quarante jours, parce qu’au bout de trente jours d’isolement,
rien n’était joué. Les descriptions de l’époque mentionnent en effet, entre le contage
et la période fulminante, une dizaine de jours asymptomatiques, suivis de 22 jours
pauci-symptomatiques (éternuements, toux) permettant au voyageur de poursuivre
son chemin. Aucune épidémie de peste authentique ne répond à ce critère. Enfi n, les
auteurs émettent l’hypothèse que cette infection virale serait venue des steppes d’Asie
centrale, aurait progressé vers l’Europe occidentale, et permettant la sélection d’êtres
humains résistants, dotés de la mutation CCR5 delta 32, bien connue par ailleurs,
dont la prévalence est élevée dans les pays où est venue s’éteindre la « peste noire »
(Scandinavie). Pour eux, jamais une infection bactérienne n’aurait pu conduire à un tel
processus de sélection.
En bref : la « peste noire » aurait été due à un virus d’Asie centrale, voyageant à pied et
à cheval, selon les routes religieuses et commerciales de l’époque, avec une « incuba-
tion » de 32 jours, transmis par voie respiratoire inter-humaine en l’absence de vecteur
animal. Le virus est peut-être encore là… mais je doute qu’on trouve un cadavre bien-
veillant permettant de l’archéologie moléculaire. Un article passionnant à la marge de
la virologie.
Bibliographie
1. Bossak BH, Welford MR. Did medieval trade activity and a viral etiology control the spatial extent
and seasonal distribution of Black Death mortality ? Sous presse : Med Hypotheses (2009), doi :10.1016/
j.mehy.2008.12.045
Mots clés :
peste noire, virus à transmission
respiratoire, hypothèse historique
M.-É. Lafon
Laboratoire de virologie,
EA2968, PRES Université
de Bordeaux et CHU de Bordeaux
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