ENTRETIEN ANNE-MARIE LAZARINI
THéâTRE ARTISTIC-ATHéVAINS / CHAT EN POCHE
DE GEORGES FEYDEAU / MES ANNE-MARIE LAZARINI
LA PERFECTION
Ravel
Chat en poche
Pourquoi avoir choisi de monter Chat en
poche de Feydeau ?
Anne-Marie Lazarini : Cette pièce est pour moi
la quintessence de l’art du quiproquo. Fey-
deau met en route une machine infernale, une
mécanique implacable qui entraîne les per-
sonnages dans une folie totale. Pas de cocu-
Bordeaux. Un jeune homme arrivant de Bor-
deaux se présente : l’étudiant Dufausset est
pris pour le ténor Dujeton, et cette première
méprise s’installe durablement. Dès lors, l’en-
chaînement des quiproquos submerge les
personnages : c’est le triomphe de l’absurde,
du nonsense. Je prends au pied de la lettre
“INSCRIRE LA MISE
EN SCÈNE DANS CET
ENTRE-DEUX ENTRE LE
Anne-mArie lAzArini
fiage ici, mais des ratages et quiproquos en
cascade. Un bourgeois de la capitale, Pacarel,
souhaite acquérir un renom artistique en fai-
sant jouer à l’Opéra le Faust que sa fille a réé-
crit d’après Gounod. Pour ce faire, il est résolu
à engager un ténor réputé venu de l’Opéra de
la première réplique de Dufausset lorsqu’il
arrive chez Pacarel : « Une maison de fous… ».
Ce degré de folie s’apparente selon moi à celle
qui règne dans Alice de Lewis Carroll, où l’hé-
roïne rencontre des personnages insensés,
rapetisse ou grandit sans s’en étonner. Les
personnages chez Feydeau ne maîtrisent rien,
et se croient dans la normalité alors qu’ils
naviguent en pleine folie. Cette mécanique de
la folie, c’est très drôle et c’est du grand art !
En quoi cet engrenage génère-t-il selon vos
propres termes un « comique de destruc-
tion » ?
A.-M. L. : Tout d’abord, Feydeau porte un regard
critique sur la bourgeoisie, un monde qu’il
connaissait bien parce que c’était le sien. Toutes
ses pièces dépeignent la bourgeoisie, des êtres
souvent bêtes, bornés et prétentieux. Obses-
sionnels, prisonniers d’une idée fixe, les per-
sonnages de Chat en poche s’enferment en eux-
mêmes, ils ne voient rien, n’entendent rien et ne
posent pas de questions. Ce qui est formidable,
c’est que l’écriture même porte cette destruc-
tion, cette perte du réel pour les personnages
et les situations. Ce n’est pas leur psychologie
qui guide ou égare les personnages, ce sont les
mots qu’ils disent qui les entraînent dans ce
délire, qui ne manque d’ailleurs pas de contra-
dictions et invraisemblances. Ils sont piégés par
le langage donc par l’écriture. Cette dimension
m’intéresse particulièrement.
La scénographie reflète-t-elle cette incur-
sion de la folie ?
A.-M. L. : Avec notre scénographe François
Cabanat, nous avons effectivement voulu
créer un espace qui tremble, qui n’est pas tout
à fait normal. Suscitant comme une impres-
sion de vertige, le plateau semble pencher
d’un côté, les murs de l’autre, et des meubles
irréalistes et insensés évoquent l’univers du
conte. Les personnages disjonctent et cette
folie qui s’ignore s’enclenche au cœur de cette
anormalité, porteuse d’une dimension poéti-
que. Les surréalistes pourraient revendiquer
Chat en poche ! Je souhaite inscrire la mise en
scène dans cet entre-deux entre le normal et
l’anormal, entre l’ordre et le désordre.
Propos recueillis par Agnès Santi
Théâtre Artistic-Athévains, 45 bis rue
Richard-Lenoir, 75011 Paris. A partir du 4 mars,
du mardi au samedi à 20h30 sauf mercredi
et jeudi à 19h, samedi 16h et 20h30,
dimanche 15h. Tél. 01 43 56 38 32.
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© Bruno Perroud
© D. R.
ENTRETIEN LAURENCE DE MAGALHAES
LE MONFORT
FESTIVAL
FESTIVAL (DES)ILLUSIONS
Pourquoi avoir initié ce temps fort, une nou-
veauté dans votre programmation ?
Laurence de Magalhaes : Ce festival s’inscrit dans
la continuité de notre travail et reflète notre pro-
grammation annuelle, en créant un effet de loupe
sur les spectacles programmés. Cela nous per-
tous les publics, même si aujourd’hui notre public
d’habitués se dirige facilement vers des œuvres
singulières. Pendant le festival, théâtre, danse,
magie, cirque… se côtoient, et nous accueillons
plusieurs jeunes compagnies.
En quoi le Festival permet-il de conquérir de
nouveaux publics ?
“AFFIRMER NOTRE LIGNE
ÉDITORIALE ET ATTIRER
lAurence de mAgAlhAeS
met d’affirmer notre ligne éditoriale et d’attirer de
nouveaux publics, et cela permet aux artistes de
s’inscrire dans une dynamique pendant un mois
au sein du théâtre. Il est important pour nous de
valoriser le travail dans la durée. Certains objets
hybrides ne peuvent être programmés pendant un
mois, grâce au Festival, nous pouvons les mettre
en lumière, défendre des formes particulières
qu’on aime beaucoup, promouvoir des œuvres
différentes, hybrides, pas encore familières de
L. de M. : Pendant trois semaines, le public
pourra voyager d’un spectacle à l’autre, d’un
champ disciplinaire connu à une totale décou-
verte. Chaque soir, quatre spectacles sont pro-
grammés, à 19h et 21h, dans La Cabane et la
grande salle. La Cabane est un outil d’accom-
pagnement des artistes, un lieu de résidence
pour diverses compagnies, et un espace de
programmation pour des sorties de résidence
et des spectacles plus intimistes. On s’est rendu
compte que les publics souvent ne se croisent
pas : les publics du théâtre, de la danse ou du
nouveau cirque sont différents. Grâce aux par-
cours du Festival, qui bouscule le rythme de la
saison, un adepte du théâtre dit “de texte” peut
découvrir et aimer un spectacle de nouveau cir-
que. Dans un esprit de service public, le Festival
permet à des artistes et spectateurs de divers
horizons de se rencontrer et d’échanger.
Propos recueillis par Agnès Santi
Le Monfort, 106 rue Brancion, 75015 Paris.
Qui-Vive, magie renouvelée avec Thierry Collet
et Eric Didry, L’Histoire du rock, entre
documentaire et fiction par Thomas Quillardet
et Raphaële Bouchard, Pleurage et
Scintillement, duo intimiste par Jean-Baptiste
André et Julia Christ, Ceux qui restent,
témoignage essentiel sur la Shoah par David
Lescot, Vielleicht, par Mélissa Von Vépy, femme
marionnette, Andromaque, ravivée par le Collectif
La Palmera, Les Larmes de Bristlecone, drôle
de conférence par Cille Lansade et des circas-
siens, Parade, film de Olivier Meyrou sur Fabrice
Champion, Nos Limites, duo remarquable
de Matias Pilet et Alexandre Fournier.
Du 5 au 23 mars 2014. Tél. 01 56 08 33 88.
Lire notre gros plan page 32.
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ENTRETIEN FRANÇOIS RANCILLAC
THéâTRE DE L’AQUARIUM
DE RASMUS LINDBERG / MES FRANÇOIS RANCILLAC
LE MARDI OÙ MORTY
EST MORT
scène Le mardi où Morty est mort
Un maelstrom de folie pas douce et d’humour fort noir »
Pouvez-vous nous présenter Rasmus
Lindberg ?
François Rancillac : Rasmus Lindberg est né
en 1980 à Luleå, à 900 km au nord de Stoc-
kholm, pas très loin du cercle polaire. Après
des études de mise en scène dans la capitale,
il a décidé de revenir au pays pour y vivre, y
écrire et y monter ses spectacles. Ce sentiment
d’habiter au bout du monde, loin du « centre »,
traverse profondément ses personnages -
des êtres perdus au milieu d’eux-mêmes qui
se persuadent que la géographie est la pre-
mière responsable de leur malheur existentiel.
Lindberg écrit à partir de ce « décentrage ». Il
invente un théâtre assez décalé par rapport à
la « norme culturelle », n’hésitant pas à aller
chercher une autre énergie du côté des arts
dits mineurs (comme la BD et le dessin animé)
pour raconter nos désarrois contemporains.
Des désarrois qui s’expriment à travers une
appréhension de la temporalité extrêmement
mouvante…
F. R. : Le temps, si déboussolé, si compressé
dans notre monde internautique, devient chez
Lindberg une véritable matière à fiction. Dans
Le mardi où Morty est mort, passé, présent et
manière totalement libre : au gré des récits, des
flash-backs, des associations d’idées voire des
sautes d’humeur… De même, les espaces s’en-
trecroisent et les dialogues sont sans cesse
entrelardés de pensées intérieures. Comme
si, chez lui, le dérèglement du monde contem-
porain devenait matière à jeu, en poussant au
bord de la crise de nerfs ses personnages dans
un univers au bord de l’implosion.
Et c’est ce qui arrive, un certain mardi… ?
F. R. : Oui, le chien Morty, échappant à son maî-
tre, va provoquer à son corps défendant, une
série de catastrophes qui vont enfin remettre
“RASMUS LINDBERG
INVENTE UN THÉÂTRE
ASSEZ DÉCALÉ PAR
RAPPORT À LA « NORME
FrAnçoiS rAncillAc
futurs possibles s’interpénètrent en perma-
nence, fonctionnant comme dans un cerveau
en roue libre où tout repère chronologique sta-
ble a disparu. Le temps se réorganise donc de
en branle des personnages englués jusqu’à
la gorge dans leur médiocrité, leurs renon-
cements ou leur découragement. Et alors la
vie reprend les rênes et les fait valdinguer cul
par-dessus tête hors de leurs ornières. Et alors
explosent les cœurs rétrécis, les désirs refou-
lés, les âmes compressées. Alors le temps
perd les pédales, les situations s’emboîtent
comme des poupées gigognes, l’espace sort de
ses gonds et les personnages s’entrechoquent
comme les marionnettes d’un Guignol affolé.
Le côté clownesque de cette écriture (quand
les clowns sont désespérément drôles ou drô-
lement désespérés) a été pour moi une invita-
tion à aller chercher là où j’ai peu l’habitude de
travailler en tant que metteur en scène. Une
incitation à diriger autrement les acteurs, les
© Régis Nardoux
poussant à un jeu exaspéré voire farcesque en
même tant que millimétré.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
* Traduction de Marianne Ségol-Samoy et Karine
Serres, texte publié par les Editions Espaces 34.
Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de
Vincennes, route du Champ-de-Manœuvre,
75012 Paris. Du 25 mars au 13 avril 2014. Du
mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h.
Tél. 01 43 74 99 61. www.theatredelaquarium.com
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