NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 1 Réforme de la Constitution les prochaines étapes Jean-Jacques Urvoas* * Député PS du Finistère, membre de la commission des lois F aut-il commencer par revenir sur le vote du 21 juillet ? Sans doute, car la réalité est un tout petit plus complexe que celle que les médias, toujours pressés, ont bien voulu diffuser. Ainsi, aux termes de l’art. 89 de la Constitution, la majorité des 3/5 nécessaire pour l’adoption d’une révision se calculait sur les suffrages exprimés. Et en l’espèce, s’il y a 906 parlementaires en fonction – 576 députés (un siège est vacant en raison d’une annulation par le conseil constitutionnel1) et 330 sénateurs –, seuls 905 ont pris part au vote2. Comme 9 se sont abstenus3, la base de calcul est donc de 896 suffrages exprimés. Il fallait alors 538 voix pour que la réforme soit adoptée. Et comme le texte a obtenu 5394 voix, c’est une majorité de 2 voix d’avance qui a sauvé la droite. De ce fait, si Jack Lang a bien voté en faveur du texte, sa seule voix ne peut être considérée comme décisive. En effet, même s’il avait voté « contre », la réforme aurait été acquise. 1 Décision du 26 juin 2008 invalidant l’élection le 3 février 2008 de la députée socialiste Françoise Vallet dans la 1ère circonscription d’Eure et Loire. 2 Jean-Louis Masson, sénateur de la Moselle a refusé de voter afin de protester contre « le démantèlement massif de la présence militaire » dans son département. 3 André Wojciechowski, député UMP de la Moselle, Philippe Folliot, député Nouveau Centre du Tarn, Denis Badré, sénateur UDF des Hauts de Seine, Marcel Deneux, sénateur UDF de la Somme, André Vallet, sénateur UDF des Bouches du Rhône, Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur UDF du Pas de Calais, Michel Charasse, sénateur RDSE du Puy de Dôme, François Fortassin, sénateur RDSE des Hautes Pyrénées, Philippe Adnot, sénateur « non inscrit » de l’Aude. 4 On notera pour l’Histoire qu’en théorie le gouvernement pouvait compter sur le soutien de 476 parlementaires de l’UMP, 54 centristes du Sénat et de l’Assemblée, 8 radicaux valoisiens du Sénat, de 5 non inscrits des deux assemblées qui avaient approuvé le texte en seconde lecture et de 20 radicaux de gauche, soit un total de 558. www.jean-jaures.org NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 2 Réforme de la Constitution les prochaines étapes Pour rejeter le texte, les hypothèses d’école sont nombreuses et varient selon que l’on choisit comme base le passage d’un vote favorable à un vote contre, ou le passage d’un vote favorable à l’abstention, ou encore le passage de l’abstention à un vote négatif. Ainsi, il aurait fallu, à nombre de suffrages exprimés égal (896), que deux parlementaires ayant voté en faveur de l’adoption votent contre. C’est en cela, que le retournement de Jack Lang seul n’aurait pas suffi. Il aurait fallu, à nombre de votants contre l’adoption inchangé (357), que quatre parlementaires ayant voté « pour » s’abstiennent pour rejeter le projet. Il aurait fallu, à nombre de votants en faveur de l’adoption inchangé (539), que trois élus s’étant abstenu votent « contre » pour rejeter le projet. A partir de ces trois hypothèses théoriques, il est encore possible d’imaginer des croisements. Par exemple, si un parlementaire ayant voté en faveur de l’abstention avait voté « contre » (Jack Lang par exemple) et qu’un autre élu s’étant abstenu (Michel Charasse ?) avait aussi voté « contre », le projet aurait été rejeté… Ainsi selon le postulat privilégié, on peut légitimement considérer que l’adoption du projet de loi constitutionnelle a tenu à deux, à trois ou à quatre parlementaires… Mais là n’est évidemment pas l’essentiel puisqu’au terme d’une réunion fatalement formelle dès lors que le texte ne pouvait plus être amendé, cette 24ème révision de la Constitution a été votée et personne ne remet en cause sa légitimité. Le projet va donc être promulgué mais, pour autant, le chantier ouvert par cette loi sur « la modernisation des institutions de la Vème République » n’est pas encore clos. En effet, tout comme dans le texte actuel de la Constitution où vingt-trois articles prescrivent l’intervention d’une loi organique, on relève dans les nouveaux articles pas moins de neuf références à des lois organiques, six, au moins, à des lois ordinaires et neuf renvois au minimum à des modifications du règlement des assemblées. Une « loi organique » est une loi définie comme telle par la Constitution ayant pour objet, selon une procédure particulière que celle-ci détermine dans son article 46, de préciser ou de compléter les dispositions constitutionnelles. Ce sont donc des lois qui donnent à notre Loi fondamentale une relative brièveté et www.jean-jaures.org NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 3 Réforme de la Constitution les prochaines étapes aux institutions une certaine souplesse puisque leur modification est moins exigeante que celle de la Constitution. A cet égard, elles vont être indispensables à la mise en application des principaux points de la réforme : — le référendum d’initiative populaire (art. 11 de la Constitution), — la liste des emplois ou fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président ne s’exerce qu’après avis public de la commission compétente de chaque assemblée (art. 13), — l’adoption par le Parlement de résolutions (art. 34-1), — la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée et le Sénat (art. 39), — les conditions d’exercice du droit d’amendement (art. 44), — l’exception d’inconstitutionnalité (art. 61-1), — le conseil supérieur de la magistrature (art. 65), — la saisine du conseil économique, social et environnemental par voie de pétition (art. 69), — la saisine du Défenseur des droits, ses attributions et modalités d’intervention (art. 71-1). Ce seront autant de débats dans lesquels la gauche pourra tenter d’infléchir les visions de l’UMP, même si la procédure spéciale applicable pour l’examen de ces futures lois organiques ne laisse grand espoir sur l’issue. L’article 46 de la Constitution définit, en effet, une méthode spécifique pour leur adoption rendant plus difficile leur modification. « Simplement marquée par un long temps de réflexion et des pouvoirs accrus du Sénat » comme le dira dans sa présentation Michel Debré lors de son intervention devant le Conseil d’Etat le 27 août 1958, on y retrouve, en fait, de manière à peine atténuée, une part de la « rigidité » constitutionnelle destinée à leur assurer « une plus grande stabilité et un plus grand respect ». Ainsi parce la portée des lois organiques mérite réflexion, leur texte ne peut être soumis à l’examen de la première assemblée saisie qu’à l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt. Et faute d’accord entre les deux assemblées, il ne peut être adopté par l’Assemblée nationale en lecture définitive qu’à la majorité absolue et dans « un scrutin public à la tribune » comme le précise le règlement de l’Assemblée nationale5. 5 Cette procédure du « dernier mot » n’est pas applicable si la loi organique concerne le Sénat. Dans ce cas, l’accord de la Chambre Haute est indispensable ; ce qui lui confère un véritable droit de veto. Comme l’écrit Guy Carcassonne dans son commentaire de la Constitution (La Constitution, Editions du Seuil, 8ème édition, 2007, p. 219) « voilà qui est bien pour le protéger de toute agression, mais aussi contre toute évolution, ce qui est nettement moins bien ». www.jean-jaures.org NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 4 Réforme de la Constitution les prochaines étapes De plus, particularité essentielle mais logique dans la mesure où les lois organiques ont vocation à entrer dans le bloc de constitutionnalité, elles ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la Constitution. Compte tenu de la composition actuelle des deux assemblées, où le gouvernement dispose d’une majorité absolue, il n’y a donc aucun doute sur l’issue de ces futurs débats. On peut d’ailleurs regretter que le texte constitutionnel de 1958 n’ait pas prévu d’exigences plus élevées pour l’adoption de ces lois organiques qui occupent une place à part dans l’ordonnancement juridique puisqu’elles se situent à l’intermédiaire entre les lois ordinaires et la loi constitutionnelle. Plutôt que l’application exclusivement majoritaire, il n’aurait pas été absurde d’imaginer que leur adoption dépende d’un minimum de consensus en prévoyant des règles de majorité qualifiée (trois cinquièmes ou deux tiers). En effet, débarrassé, pour ces futures lois, de la contrainte d’un vote en termes identiques par les deux chambres et surtout de l’obligation d’atteindre la barre des trois cinquièmes des suffrages exprimés, le Président pourra faire ce qu’il veut, du moins tant qu’il bénéficie du soutien de sa majorité. Il pourrait même décider de ne pas faire voter telle ou telle loi organique puisque nulle part ne figure de contrainte de calendrier pour les faire adopter. En sus, des lois ordinaires devront organiser la concrétisation : — de l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales (art. 1), — de l’expression pluraliste des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation (art. 4), — de la représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale (art. 24), — de la composition de la commission qui doit se prononcer sur le découpage électoral (art. 25), — des conditions de présentation par le président d’une des deux assemblées d’une proposition de loi au Conseil d’Etat avant son examen en commission (art. 39), — des règles d’organisation et de fonctionnement des commissions d’enquête (art. 51-2). Enfin, de très nombreuses modifications des règlements intérieurs sont expressément prévues soit par le projet soit que cette exigence découle du dispositif même des articles modifiés. C’est ainsi notamment le cas pour : — la possibilité ouverte au président de chaque assemblée de soulever l’irrecevabilité des initiatives parlementaires qui ne sont pas du domaine de la loi (art. 41), — la réforme de la procédure législative pour les lois ordinaires ou organiques (art. 42 et 46), www.jean-jaures.org NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 5 Réforme de la Constitution les prochaines étapes — le nombre de commissions permanentes (art. 43), — l’exercice du droit d’amendement (art. 44), — les modifications apportées dans la fixation de l’ordre du jour (art. 48), — les conditions d’engagement de la responsabilité du gouvernement (art. 49-3), — définir les droits des groupes de l’opposition et des groupes minoritaires (art. 51-1), — fixer les conditions de création des commissions d’enquête (art. 51-2), — organiser le recours devant la Cour de justice des Communautés européennes contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité (art. 88-6). Si rien, dans les débats des deux lectures, n’est intervenu permettant de fixer un échéancier pour ces adaptations, le rapport de Jean-Luc Warsmann publié le 15 mai 2008, indiquait cependant qu’elles « devront ainsi intervenir avant le début de l’année prochaine ».6 Le Parlement aura donc bien des occasions de prendre au mot le Président de la République. Celui-ci, on s’en souvient, était directement intervenu, le mercredi 16 juillet, à quelques jours du vote, dans le journal Le Monde se disant prêt à d’ultimes concessions dont aucune n’était, d’ailleurs, de nature constitutionnelle. Il a ainsi développé toute une série de mesures destinées à « garantir » selon ses termes, de nouveaux droits à l’opposition et aux groupes parlementaires. Cette immixtion dans les affaires internes du Palais Bourbon avait d’ailleurs irrité Bernard Accoyer puisque pour l’essentiel, les dispositions envisagées relevaient du règlement intérieur. On notera au passage cette curieuse manière de revaloriser le Parlement qui consiste à attendre l’achèvement du débat pour promettre ce que l’on refuse d’inscrire dans la Constitution7… Aussi, est-ce à bon droit que Bernard Frimat, sénateur socialiste intervenant au nom de son groupe à Versailles, a pu commencer son propos par cette adresse : « Il faut [donc] attacher à un article de presse la même valeur juridique qu’à un article de la Constitution ». 6 Rapport n°892, Assemblée nationale, 2008, p. 511. 7 En effet, durant les deux lectures, la plupart des propositions de Nicolas Sarkozy avaient fait l’objet d’amendements déposés par les socialistes qui furent, avec constance, rejetés par l’UMP… www.jean-jaures.org NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 6 Réforme de la Constitution les prochaines étapes Sur le fond, et pour les échanges à venir, les engagements de Nicolas Sarkozy concernent : — l’égalité du temps de parole entre la majorité et l’opposition dans les débats au Parlement, « en particulier dans les questions d’actualité », — la possibilité pour l’opposition d’obtenir un « certain nombre » de commissions d’enquête « chaque année » ; — la « participation de l’opposition » à la commission qui sera créée sur le redécoupage électoral, — l’ association de l’opposition à la détermination du mode d’élection des députés des Français de l’étranger, — la réponse systématique de l’opposition à des propos du Président « qui concernent la politique française » dans les médias, — la garantie du droit d’amendement. Ils rejoignent pour l’essentiel, les intentions affichées par le président de l’Assemblée dans un courrier adressé le 9 juillet aux présidents des groupes parlementaires. Celui-ci précisait même : « dès l’adoption de la révision constitutionnelle, je réunirai un groupe de travail pluraliste, associant les représentants de tous les groupes parlementaires afin de préparer une réforme du règlement intérieur ». Engagement réaffirmé, le 18 juillet 2008, dans une tribune libre publiée par Libération « Parlementaires, réfléchissez ». D’une manière encore plus précise que Nicolas Sarkozy, le président de l’Assemblée nationale se disait favorable à : — un droit de tirage pour les groupes parlementaires permettant d’obtenir la création de commissions d’enquête parlementaire et de missions d’information dans un nombre à déterminer par législature, — la fixation d’un temps de parole égal entre majorité et opposition, pour les activités de contrôle du gouvernement par l’Assemblée nationale, — la fixation d’un temps de parole égal entre majorité et opposition, pour les questions au gouvernement, revenant ainsi à la pratique antérieure à 1981, en réfléchissant à la possibilité de mettre en place un droit de réplique et de suite, — l’attribution aux groupes d’opposition d’un temps de parole plus important, dans le cadre de l’adoption d’une réforme du règlement permettant de fixer une durée des débats pour l’examen du texte, tel que cela figurait dans le règlement de l’Assemblée nationale entre 1935 et 1969, — l’attribution de la présidence d’une commission permanente à l’opposition inscrite dans le règlement de l’Assemblée nationale, — l’attribution du poste de président ou de rapporteur d’une mission d’information à un membre d’un groupe de l’opposition, inscrite dans le règlement de l’Assemblée nationale, www.jean-jaures.org NOTE n°4 - Fondation Jean-Jaurès - 24 juillet 2008 - page 7 Réforme de la Constitution les prochaines étapes — l’attribution aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires de moyens proportionnellement plus importants. Ces propositions, pour ne pas être nouvelles8, sont à l’évidence intéressantes. Si au moment de leur publication, elles furent, à juste titre, vécues comme « une manœuvre grossière de dernière minute » de l’exécutif, elles résonnent aujourd’hui comme autant de pistes de travail qu’il appartiendra à l’opposition de savoir saisir. Au total et concrètement, nous sommes donc encore loin du terme de ce chantier constitutionnel.. Sur les 47 dispositions nouvelles, seules 22 sont applicables à compter de la publication de la loi constitutionnelle, 9 ont vu leur entrée en vigueur fixé par le texte constitutionnel au 1er mars 2007. Toutes les autres dépendent des futures lois. 8 Elles sont notamment toutes contenues dans la note n°14 publiée par l’auteur à la Fondation JeanJaurès en mai 2008 et intitulée « réforme constitutionnelle : de nouveaux droits pour l’opposition ? ». www.jean-jaures.org