L`homme et la mer : influence de la mer sur le développement des

L'HOMME
ET
LA
MER'
Influence
de
la
mer
sur
le
développement
des sociétés
Par
HENRI
ROTSCHI
Chef de la section d'océanographie physique de l'Institut français
d'Océanie (Nouméa, Norrvelle-Calédonie),
H.
Rotschi a pris
part
d
l'expédition
((
Capricorn
))
organisée en
1952-1953
par la
Scrìpps Institution
of
Oceanography de l'Université de
Californie.
II
est également membre de la section d'océanographie physique
ah
Comité national français de géodésìe et gtfophysique.
L'HOMME
PREND
CONSCIENCE
DE
LA
MER
Explorations jusqu'au
XIXe
siMe
A la naissance des civilisations, aussi loin que remonte la connaissance que
nous avons de la science de nos ancêtres, l'océan qui embrasse la terre
d'un
flot ininterrompu
))
est considéré comme un fleuve dont l'écoulement,
tel une roue, cerne les limites du monde.
Le
traverser est une entreprise homé-
rique que seuls les plus braves
ou
les plus cupides tenteront.
Avant d'entreprendre une telle aventure, ce sont les marchands qui, de
génération en génération, et probablement pendant de nombreux siècles,
tracent leur route sur de fragiles esquifs
à
rames, dotés de voiles rudimentaires
et sans gouvernail, le long de rivages dont les arrière-pays sont détenteurs de
toutes les richesses de l'époque
:
aromates, épices, ivoire, or, argent, gemmes
et bois précieux. Deux mille ans av.
J.-C.,
c'est-à-dire longtemps avant que
la guerre de Troie n'ait eu lieu, les Phéniciens, ces pionniers du commerce
international et de la découverte des mers, fondent des établissements
sur
les
rivages de la mer Rouge et
de
l'océan Indien. En mer Arabique les premiers
phares font leur apparition, entretenus par une caste de prêtres voués au feu
continu, qui servent de boîte
à
lettres pour les navigateurs de l'époque et de
bibliothèque parlée, qui reçoivent tous les renseignements sur les routes
suivies, les dangers rencontrés, les techniques de navigation employées, les
formes des côtes, les régimes des vents et des courants. Des écoles sont fondées
o~
s'enseigne l'art de naviguer et de tracer une route
à
partir des observations
astronomiques.
C'est la mer Méditerranée qui sert réellement de berceau
à
cette prodigieuse
1.
Cet article.
rMigC
sans que l'auteur ait
eu
connaissance de
celui de
M.
Deacon, publié dans cette
m&me
rewe
il
Y
a
quelques mois
(vol.
IX
(1958).
n'2)
comporte
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aventure humaine, celle qui conduit les hommes sur les grandes voies océani-
ques, attirés d‘abord par des buts purement lucratifs, ensuite par le seul
besoin de connaissance désintéressée. Les Phéniciens qui essaiment d’est en
ouest, après avoir passé les Colonnes d’Hercule, descendent vers le sud le
long des côtes africaines et remontent vers le nord le long des rivages européens
jusqu’à l’Angleterre, dans des régions
le froid, le brouillard, les vents
violents et les forts courants de marée
qui
les déconcertent
-
car
ils sont tota-
lement inconnus en Méditerranée
-
et contre lesquels ils ne sont pas armés,
les refoulent vers le sud.
A cette navigation côtière, petit cabotage de marchands plus soucieux de
l’intérêt de leur commerce que du développement de la géographie, succède
bientôt l’ère des grandes explorations maritimes, ouverte par Pytheas le
Marseillais,
330
ans av.
J.-C.
Géographe et astronome, celui-ci pousse
jusqu’au cercle polaire et se trouve bloqué dans sa progression vers le nord
par les glaces dérivantes devant lesquelles
il
fait demi-tour. Il semble avoir
reconnu au passage la Grande-Bretagne, les îles Shetland et l’Islande ou la
Norvège. Que rapporte-t-il de ce voyage? Ni
or,
ni
argent, ni rien qui se vende,
mais une reconnaissance des abords des régions arctiques et une explication
astronomique et rigoureuse du soleil de minuit. Ce pere des océanographes
est le premier
à
recourir aux calculs astronomiques pour déterminer la position
d‘un lieu.
Les grandes explorations maritimes entraînent dans leur sillage l’imagination
de tous les intellectuels méditerranéens et les poussent
à
exercer leur sagacité
sur tous les aspects de
la
géographie sensibles aux hommes de cette époque.
Pythagore déduit la sphéricité de la terre des récits des marins. Avec Hépdote,
Aristote, Hipparque et Ptolémée, il jette les bases de ce qui sera un jour l’oda-
nographie. On sonde,
on
trace des cartes,
on
détermine la position des ports,
on
calcule dans le ciel les distances parcourues. Les courants, les vents et les
marées ne sont plus les manifestations terrifiantes de dieux en colère, mais des
auxiliaires dont on a appris
h
se servir pour élargir les voies maritimes, le
long desquelles coule le flot des échanges humains et qu’utilisent tour tour
armées, idées, richesses.
Est grand,
fort
et puissant le pays dont les ports sont les plus nombreux, les
plus vastes, les plus commodes et les mieux situés pour canaliser ce flot ininter-
rompu de biens matériels, ressort de toutes les actions humaines, les routes
qui y conduisent étant jalonnées d’un grand nombre de feux et de marques
soigneusement entretenus.
I1
n’est point de puissance hors de la mer,
sinon
par et
pour
elle.
La paix romaine change tout cela; aux aventures océaniques, elle préfère
les conquêtes continentales
-
et les vieilles frayeurs séculaires, les peurs
superstitieuses renaissent au cœur des héritiers des premiers découvreurs..
Ce
sont les Vikings et les Arabes qui entretiennent le feu sacré et tentent
les premières traversées de l’Atlantique. Les seconds introduisent dans le
.
4
monde occidental l’usage du gouvernail
à
étambot, de la boussole et de l‘astro-
labe. A pirtir de ces améliorations techniques, toutes les grandes navigations
sont possibles. C’est sans elles cependant que les Vikings, dans des barques non
pontées, aux voiles carrées, explorent la mer du Nord, atteignent la Gaule
et le sud de l’Angleterre. Ils découvrent l’ouest de la Grande-Bretagne, puis
l’Islande, le Groenland et débarquent en Amérique du Nord.
Quelques siècles plus tard, Henri le Navigateur lance ses caravelles
à
la
découverte de
la
route
du
pays des épices et de l’or et, moins de cent ans après,
Vasco de Gama atteint les Indes. A cette progression des Occidentaux vers
l’&est
répond,
à
peu près
à
la même époque, l’invasion du Pacifique par les
Polynésiens, qui confient leur vie
à
leurs frêles pirogues
à
balanciers et
à
la
connaissance qu’ils ont des étoiles.
Puis, Christophe Colomb ayant montré le chemin des Amériques, c’est la
grande ruée
à
la recherche de routes inédites et directes vers l’Asie et
à
la
découverte du seul continent qui soit encore
à
découvrir, le continent antarc-
tique, auquel
on
attribue nettement plus d’attraits qu’il n’en possède en réalité.
C’est Balboa
qui
découvre le Pacifìque, Magellan qui fait le tour du monde
et procède aux premiers sondages par grands fonds,
Cook,
qui,
à
la place d’un
continent antarctique, découvre un océan couronnant la terre autour du pôle,
sillonne le Pacifique du nord au sud et d’est en ouest, suivi bientôt de Bougain-
ville et de beaucoup d’autres, chasseurs de phoques et chasseurs de baleines
en particulier.
Finalement, c’est la recherche du passage par le nord, dans laquelle s’illus-
trent surtout Davis, Hudson, Barentz et Béring.
Au seuil du
XIX~
siècle la terre est bien connue...
ou
presque;
il
ne reste plus
à
découvrir que quelques îles perdues dans l’immensité liquide et
à
explorer
les pôles. Mais l’on ne sait rien des profondeurs océaniques, de la nature des
fonds et de leurs formes.
Géographie
des
mers
et
documents nautiques
Quarante siècles au moins se sont écoulés depuis qu’un homme, par la
curiosité et le goût du lucre, a pris la mer. Quel est le fruit de tant d’efforts?
Une
Gkographie physique de la mer,
publiée en
1855
par
le
lieutenant Maurry,
de la marine américaine; celui-ci rassemble les renseignements qui
ont
ét6
accumulés jusqu’alors
sur
les vents et les courants et que des marins de toutes
les nations
ont
bien voulu lui communiquer. La synthèse qu’il en fait lui permet
de publier des cartes qui, mises entre les mains des capitaines, les amènent
à
modifìer les routes des grands parcours océaniques, raccourcissant par exemple
de plusieurs dizaines de jours les traversées vers l’Australie ou par le cap
Horn.
Ce sont les premières Instructions nautiques, actuellement livre de chevet de
tout capitaine et
de
tout officier de navigation, contenant tous les détails connus
sur la géographie physique des mers, les abords des côtes, les vents, les courants
5
et les marées, les dangers et les signes, sans lesquels plus d’un bateau se perdrait
ii
vouloir aborder des côtes inaccessibles.
I1 est bien évident que de nombreux documents avaient été établis antérieu-
rement
à
cette publication, par les capitaines soucieux de ne pas perdre le
bénéfice de l’expérience acquise. Malheureusement tous
ces
renseignements,
destinés
ii
faciliter la navigation et ouvrant donc la porte de la richesse et du
pouvoir, avaient été soigneusement conservés dans le secret des cabinets des
armateurs et des cabines des capitaines.
Les
portulans et les périples sont les plus anciens documents qui
nous
soient parvenus et
nous
permettent de juger des connaissances techniques des
.
anciens marins.
Les
premiers étaient des cartes décrivant les atterrissages
sur
les côtes de la Méditerranée; ils accompagnaient les instructions nautiques
de l’époque, tandis que les périples donnaient tous les détails nécessaires sur
la forme
des
côtes, les abris et les possibilités d’approvisionnement.
Puis
parurent des cartes marines plus générales
:
les premières
qui
nous
soient
restées datent de la fin du
XVI~
siècle; elles sont essentiellement consacrées
à
l’Europe occidentale et
à
l’Atlantique est. Peu
à
peu, les connaissances des
géographes se généralisant, les cartes offertes au public s’améliorent
et
s’éten-
dent; mais les meilleures sont, de
très
loin, celles qui sont établies par les soins
des compagnies privées
-
telle la Compagnie des Indes
-
qui se sont attaché
des hydrographes et qui disposent
d’un
jeu remarquable de cartes constituant
un
de leurs secrets professionnels les plus jalousement gardés.
I1 faut l’entrée en scène de Maurry pour que l’intérêt d’une mise en
commun
des connaissances nautiques devienne si évident que la voie aux Instruc-
tions nautiques modernes et aux cartes précises s’en trouve brusquement
ouverte.
Cependant, le domaine de la mer est assez vaste pour que l’esprit des hommes
se soit attaqué aussi
à
d’autres aspects de la physique du globe.
Au
xvne
siècle,
Varenius publie une
Géographie des terres et des mers,
qui contient la somme
de toutes les connaissances de l’époque
sur
l’astronomie et la météorologie, ainsi
que la première description scientifique des phénomènes périodiques dont la
mer est le siège
-
phénom&nes qui avaient déjà
fourni
ii
Léonard de.Vinci
l’occasion d’exercer son inépuisable curiosité. Par la suite, les mathématiques,
dont l’essor est prodigieux, se saisissent de tout ce qui peut être
soumis
ii
leur
analyse. Newton et Laplace donnent la première explication scienti5que des
marées, Bernouilli jette les bases de l’hydrodynamique, qui permettra d’analyser
les mouvements des fluides. Parallèlement se développe un vif intérêt pour
tout ce
qui
touche Ia mer. La zoologie entreprend la description des animaux
marins, alors que paraissent les premières collections zoologiques, et les
géographes dessinent le fond des mers.
Quand vient le
XIX~
siècle, les hommes de pensée et les hommes d’action
-
qu’ils soient savants, économistes
ou
politiques
-
ont pris conscience de
l’importance que revêt pour toutes les activités humaines le monde des mers.
6
I1 ne s’agit plus alors de découvrir de nouvelles routes et de nouveauxcontinents,
de rechercher de nouvelles mines d’or ou d‘autres sources de biens de consom-
mation, mais d’étendre la mainmise de l’homme sur un univers fluide qui
échappe totalement
à
son
contrôle et qu’il n’arrivera
à
utiliser
à
ses propres
fins
qu’à partir de connaissances précises qui lui font totalement défaut. De
cette ignorance il
a
pris peu
à
peu conscience et ce sentiment va pousser les
grandes nations maritimes
à
lancer de nombreuses expéditions scientifiques
dans toutes les directions,
à
la suite du
Challenger,
battant pavillon britannique,
premier navire océanographique parti étudier les océans pendant quatre
ans.
L‘océanographie est née
:
on
découvre l’océan.
Qu’est donc en réalité ce monde auquel l’humanité va consacrer tant
d’efforts?
Les
océans
et leur univers
Sur une surface terrestre de
510
millions de kilomètres
carrés,
l’eau salCe en
recouvre
361,
soit
70’8
%,
laissant aux continents la part modeste de
29’2
%.
La planète Terre est donc en réalité la planète Océan; d’autant plus que ces
eaux,
qui
imposent leur présence sous tous les cieux et
B
toutes les latitudes
et que
l’on
a séparées arbitrairement, pour les besoins de la géographie, en
mers et en océans, ne constituent en réalité qu’une seule entité, l’océan, continu
du nord au sud et de l‘ouest àl’est, cernant au sud notre géoïde d‘une couronne
liquide, l’océan Antarctique, et lançant vers le nord trois énormes bras, les
océans Atlantique, Pacifique et Indien, aux multiples tours et détours, qui sont
autant de mers adjacentes, méditerranées
ou
marginales.
Ces
70,8
%
de
la sphère terrestre occupés par l’océan sont couverts d’un
volume total de
1370
millions de kilomètres cubes d’eau, dont l’épaisseur
moyenne est de
3800
mètres, contre une hauteur moyenne des conti-
nents de l’ordre de
840
mètres.
En
d’autres termes, c’est une épaisseur de
2440
mètres d’eau qui recouvrirait la planète tout entière si, sur cette
dernière, la matière solide était répartie selon une couche uniforme au lieu
d’être craquelée, plissée, toute en bosses
-
les géosynclinaux -et en creux
-
les anticlinaux.
D’autre part, contrairement
à
ce que l’on a pu penser pendant longtemps,
l’océan n’a pas un fond plat
:
76
%
du fond des mers sont
à
des profondeurs
comprises entre
3
O00
et
6
o00
mètres et l’on y retrouve tous les traits essentiels
du
relief terrestre,
à
la seule différence que, placés
B
l’abri de l’érosion,
ils
ont encore la forme qu’ils reçurent au moment
oh
ils furent formés, tout
au moins pour les dorsales (c’est-à-dire les chaînes de montagnes sous-
marines), les formes en creux ayant, pour la plupart, été comblées par les
sédiments.
La mer est aussi une solution et, depuis que les méthodes analytiques se
sont suffisamment affinées pour permettre la détermination de quantités
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