L`homme et la mer : influence de la mer sur le développement des

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L'HOMME ET LA MER'
Influence de la mer sur le développement
des sociétés
Par
HENRIROTSCHI
Chef de la section d'océanographie physique de l'Institut français
d'Océanie (Nouméa, Norrvelle-Calédonie), H. Rotschi a pris
part d l'expédition (( Capricorn )) organisée en 1952-1953 par la
Scrìpps Institution of Oceanography de l'Université de Californie.
II est également membre de la section d'océanographie physique
ah Comité national français de géodésìe et gtfophysique.
L'HOMME PREND CONSCIENCE DE LA MER
Explorations jusqu'au XIXe s i M e
A la naissance des civilisations, aussi loin que remonte la connaissance que
nous avons de la science de nos ancêtres, l'océan qui embrasse la terre
d'un flot ininterrompu )) est considéré comme un fleuve dont l'écoulement,
tel une roue, cerne les limites du monde. Le traverser est une entreprise homérique que seuls les plus braves ou les plus cupides tenteront.
Avant d'entreprendre une telle aventure, ce sont les marchands qui, de
génération en génération, et probablement pendant de nombreux siècles,
tracent leur route sur de fragiles esquifs à rames, dotés de voiles rudimentaires
et sans gouvernail, le long de rivages dont les arrière-pays sont détenteurs de
toutes les richesses de l'époque : aromates, épices, ivoire, or, argent, gemmes
et bois précieux. Deux mille ans av. J.-C., c'est-à-dire longtemps avant que
la guerre de Troie n'ait eu lieu, les Phéniciens, ces pionniers du commerce
international et de la découverte des mers, fondent des établissements sur les
rivages de la mer Rouge et de l'océan Indien. En mer Arabique les premiers
phares font leur apparition, entretenus par une caste de prêtres voués au feu
continu, qui servent de boîte à lettres pour les navigateurs de l'époque et de
bibliothèque parlée, qui reçoivent tous les renseignements sur les routes
suivies, les dangers rencontrés, les techniques de navigation employées, les
formes des côtes, les régimes des vents et des courants. Des écoles sont fondées
o~ s'enseigne l'art de naviguer et de tracer une route à partir des observations
astronomiques.
C'est la mer Méditerranée qui sert réellement de berceau à cette prodigieuse
1. Cet article. rMigC sans que l'auteur ait eu connaissance de celui de M. Deacon, publié dans cette m&merewe
il Y a quelques mois (vol. IX (1958). n'2) comporte quelques analogia avec ce danier
ce dontl'auteurs'excuse.
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aventure humaine, celle qui conduit les hommes sur les grandes voies océaniques, attirés d‘abord par des buts purement lucratifs, ensuite par le seul
besoin de connaissance désintéressée. Les Phéniciens qui essaiment d’est en .
ouest, après avoir passé les Colonnes d’Hercule, descendent vers le sud le
long des côtes africaines et remontent vers le nord le long des rivages européens
jusqu’à l’Angleterre, dans des régions où le froid, le brouillard, les vents
violents et les forts courants de marée qui les déconcertent - car ils sont totalement inconnus en Méditerranée - et contre lesquels ils ne sont pas armés,
les refoulent vers le sud.
A cette navigation côtière, petit cabotage de marchands plus soucieux de
l’intérêt de leur commerce que du développement de la géographie, succède
bientôt l’ère des grandes explorations maritimes, ouverte par Pytheas le
Marseillais, 330 ans av. J.-C. Géographe et astronome, celui-ci pousse
jusqu’au cercle polaire et se trouve bloqué dans sa progression vers le nord
par les glaces dérivantes devant lesquelles il fait demi-tour. Il semble avoir
reconnu au passage la Grande-Bretagne, les îles Shetland et l’Islande ou la
Norvège. Que rapporte-t-il de ce voyage? Ni or, ni argent, ni rien qui se vende,
mais une reconnaissance des abords des régions arctiques et une explication
astronomique et rigoureuse du soleil de minuit. Ce pere des océanographes
est le premier à recourir aux calculs astronomiquespour déterminer la position
d‘un lieu.
Les grandes explorations maritimes entraînent dans leur sillage l’imagination
de tous les intellectuels méditerranéens et les poussent à exercer leur sagacité
sur tous les aspects de la géographie sensibles aux hommes de cette époque.
Pythagore déduit la sphéricité de la terre des récits des marins. Avec Hépdote,
Aristote, Hipparque et Ptolémée, il jette les bases de ce qui sera un jour l’odanographie. On sonde, on trace des cartes, on détermine la position des ports,
on calcule dans le ciel les distances parcourues. Les courants, les vents et les
marées ne sont plus les manifestations terrifiantes de dieux en colère, mais des
auxiliaires dont on a appris h se servir pour élargir les voies maritimes, le
long desquelles coule le flot des échanges humains et qu’utilisent tour tour
armées, idées, richesses.
Est grand, fort et puissant le pays dont les ports sont les plus nombreux, les
plus vastes, les plus commodes et les mieux situés pour canaliser ce flot ininterrompu de biens matériels, ressort de toutes les actions humaines, les routes
qui y conduisent étant jalonnées d’un grand nombre de feux et de marques
soigneusement entretenus. I1 n’est point de puissance hors de la mer, sinon
par et pour elle.
La paix romaine change tout cela; aux aventures océaniques, elle préfère
les conquêtes continentales - et les vieilles frayeurs séculaires, les peurs
superstitieuses renaissent au cœur des héritiers des premiers découvreurs..
Ce sont les Vikings et les Arabes qui entretiennent le feu sacré et tentent
les premières traversées de l’Atlantique. Les seconds introduisent dans le
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monde occidental l’usage du gouvernail à étambot, de la boussole et de l‘astrolabe. A pirtir de ces améliorations techniques, toutes les grandes navigations
sont possibles. C’est sans elles cependant que les Vikings, dans des barques non
pontées, aux voiles carrées, explorent la mer du Nord, atteignent la Gaule
et le sud de l’Angleterre. Ils découvrent l’ouest de la Grande-Bretagne, puis
l’Islande, le Groenland et débarquent en Amérique du Nord.
Quelques siècles plus tard, Henri le Navigateur lance ses caravelles à la
découverte de la route du pays des épices et de l’or et, moins de cent ans après,
Vasco de Gama atteint les Indes. A cette progression des Occidentaux vers
l’&estrépond, à peu près à la même époque, l’invasion du Pacifique par les
Polynésiens, qui confient leur vie à leurs frêles pirogues à balanciers et à la
connaissance qu’ils ont des étoiles.
Puis, Christophe Colomb ayant montré le chemin des Amériques, c’est la
grande ruée à la recherche de routes inédites et directes vers l’Asie et à la
découverte du seul continent qui soit encore à découvrir, le continent antarctique, auquel on attribue nettement plus d’attraits qu’il n’en possède en réalité.
C’est Balboa qui découvre le Pacifìque, Magellan qui fait le tour du monde
et procède aux premiers sondages par grands fonds, Cook, qui, à la place d’un
continent antarctique, découvre un océan couronnant la terre autour du pôle,
sillonne le Pacifique du nord au sud et d’est en ouest, suivi bientôt de Bougainville et de beaucoup d’autres, chasseurs de phoques et chasseurs de baleines
en particulier.
Finalement, c’est la recherche du passage par le nord, dans laquelle s’illustrent surtout Davis, Hudson, Barentz et Béring.
Au seuil du X I X ~siècle la terre est bien connue... ou presque; il ne reste plus
à découvrir que quelques îles perdues dans l’immensité liquide et à explorer
les pôles. Mais l’on ne sait rien des profondeurs océaniques, de la nature des
fonds et de leurs formes.
Géographie des mers et documents nautiques
Quarante siècles au moins se sont écoulés depuis qu’un homme, mû par la
curiosité et le goût du lucre, a pris la mer. Quel est le fruit de tant d’efforts?
Une Gkographie physique de la mer, publiée en 1855 par le lieutenant Maurry,
de la marine américaine; celui-ci rassemble les renseignements qui ont ét6
accumulés jusqu’alors sur les vents et les courants et que des marins de toutes
les nations ont bien voulu lui communiquer. La synthèse qu’il en fait lui permet
de publier des cartes qui, mises entre les mains des capitaines, les amènent à
modifìer les routes des grands parcours océaniques, raccourcissant par exemple
de plusieurs dizaines de jours les traversées vers l’Australie ou par le cap Horn.
Ce sont les premières Instructions nautiques, actuellement livre de chevet de
tout capitaine et de tout officier de navigation, contenant tous les détails connus
sur la géographie physique des mers, les abords des côtes, les vents, les courants
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et les marées, les dangers et les signes, sans lesquels plus d’un bateau se perdrait
ii vouloir aborder des côtes inaccessibles.
I1 est bien évident que de nombreux documents avaient été établis antérieurement à cette publication, par les capitaines soucieux de ne pas perdre le
bénéfice de l’expérience acquise. Malheureusement tous ces renseignements,
destinés ii faciliter la navigation et ouvrant donc la porte de la richesse et du
pouvoir, avaient été soigneusement conservés dans le secret des cabinets des
armateurs et des cabines des capitaines.
Les portulans et les périples sont les plus anciens documents qui nous
soient parvenus et nous permettent de juger des connaissances techniques des
. anciens marins. Les premiers étaient des cartes décrivant les atterrissages sur
les côtes de la Méditerranée; ils accompagnaient les instructions nautiques
de l’époque, tandis que les périples donnaient tous les détails nécessaires sur
la forme des côtes, les abris et les possibilités d’approvisionnement.
Puis parurent des cartes marines plus générales :les premières qui nous soient
restées datent de la fin du X V I ~siècle; elles sont essentiellement consacrées à
l’Europe occidentale et à l’Atlantique est. Peu à peu, les connaissances des
géographes se généralisant, les cartes offertes au public s’améliorent et s’étendent; mais les meilleures sont, de très loin, celles qui sont établies par les soins
des compagnies privées - telle la Compagnie des Indes - qui se sont attaché
des hydrographes et qui disposent d’un jeu remarquable de cartes constituant
un de leurs secrets professionnels les plus jalousement gardés.
I1 faut l’entrée en scène de Maurry pour que l’intérêt d’une mise en commun
des connaissances nautiques devienne si évident que la voie aux Instructions nautiques modernes et aux cartes précises s’en trouve brusquement
ouverte.
Cependant, le domaine de la mer est assez vaste pour que l’esprit des hommes
se soit attaqué aussi à d’autres aspects de la physique du globe. Au xvne siècle,
Varenius publie une Géographie des terres et des mers, qui contient la somme
de toutes les connaissancesde l’époque sur l’astronomie et la météorologie, ainsi
que la première description scientifique des phénomènes périodiques dont la
mer est le siège - phénom&nesqui avaient déjà fourni ii Léonard de.Vinci
l’occasion d’exercer son inépuisable curiosité. Par la suite, les mathématiques,
dont l’essor est prodigieux, se saisissent de tout ce qui peut être soumis ii leur
analyse. Newton et Laplace donnent la première explication scienti5que des
marées, Bernouillijette les bases de l’hydrodynamique,qui permettra d’analyser
les mouvements des fluides. Parallèlement se développe un vif intérêt pour
tout ce qui touche Ia mer. La zoologie entreprend la description des animaux
marins, alors que paraissent les premières collections zoologiques, et les
géographes dessinent le fond des mers.
Quand vient le X I X ~siècle, les hommes de pensée et les hommes d’action
- qu’ils soient savants, économistes ou politiques - ont pris conscience de
l’importance que revêt pour toutes les activités humaines le monde des mers.
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I1 ne s’agit plus alors de découvrir de nouvelles routes et de nouveauxcontinents,
de rechercher de nouvelles mines d’or ou d‘autres sources de biens de consommation, mais d’étendre la mainmise de l’homme sur un univers fluide qui
échappe totalement à son contrôle et qu’il n’arrivera à utiliser à ses propres
fins qu’à partir de connaissances précises qui lui font totalement défaut. De
cette ignorance il a pris peu à peu conscience et ce sentiment va pousser les
grandes nations maritimes à lancer de nombreuses expéditions scientifiques
dans toutes les directions, à la suite du Challenger, battant pavillon britannique,
premier navire océanographique parti étudier les océans pendant quatre ans.
L‘océanographie est née : on découvre l’océan.
Qu’est donc en réalité ce monde auquel l’humanité va consacrer tant
d’efforts?
Les océans et leur univers
Sur une surface terrestre de 510 millions de kilomètres carrés, l’eau salCe en
recouvre 361, soit 70’8 %, laissant aux continents la part modeste de 29’2 %.
La planète Terre est donc en réalité la planète Océan; d’autant plus que ces
eaux, qui imposent leur présence sous tous les cieux et B toutes les latitudes
et que l’on a séparées arbitrairement, pour les besoins de la géographie, en
mers et en océans, ne constituent en réalité qu’une seule entité, l’océan, continu
du nord au sud et de l‘ouest àl’est, cernant au sud notre géoïde d‘une couronne
liquide, l’océan Antarctique, et lançant vers le nord trois énormes bras, les
océans Atlantique, Pacifique et Indien, aux multiples tours et détours, qui sont
autant de mers adjacentes, méditerranées ou marginales.
Ces 70,8 % de la sphère terrestre occupés par l’océan sont couverts d’un
volume total de 1370 millions de kilomètres cubes d’eau, dont l’épaisseur
moyenne est de 3800 mètres, contre une hauteur moyenne des continents de l’ordre de 840 mètres. En d’autres termes, c’est une épaisseur de
2440 mètres d’eau qui recouvrirait la planète tout entière si, sur cette
dernière, la matière solide était répartie selon une couche uniforme au lieu
d’être craquelée, plissée, toute en bosses - les géosynclinaux -et en creux les anticlinaux.
D’autre part, contrairement à ce que l’on a pu penser pendant longtemps,
l’océan n’a pas un fond plat : 76 % du fond des mers sont à des profondeurs
comprises entre 3 O00 et 6 o00 mètres et l’on y retrouve tous les traits essentiels
du relief terrestre, à la seule différence que, placés B l’abri de l’érosion, ils
ont encore la forme qu’ils reçurent au moment oh ils furent formés, tout
au moins pour les dorsales (c’est-à-dire les chaînes de montagnes sousmarines), les formes en creux ayant, pour la plupart, été comblées par les
sédiments.
La mer est aussi une solution et, depuis que les méthodes analytiques se
sont suffisamment affinées pour permettre la détermination de quantités
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extrêmement petites, on a découvert qu’elle contenait, dissous, pratiquement
tous les éléments naturels connus de la classification de Mendeleieff. Même
dans les cas oil la concentration de ces derniers est très faible, le volume
énorme des eaux fait que l’océan reste la plus grande réserve de minéraux
de toutes sortes de notre planète.
D’autre part, la vie, se souvenant qu’elle a pris naissance au sein des eaux,
bien avant le précambrien -il y a de cela près de deux mille millions d’années
- a conservé pour ce milieu une prédilection marquée : 300000 espèces
d’animaux peuplent la mer, répartis aussi bien dans les eaux littorales superficielles qu’au contact du fond des fosses les plus profondes du Pacifique,
vivant dans les zones éclairées de la mer aussi bien que dans les couches qui
ne reçoivent jamais la lumière du soleil et qu’éclairent seulement, de temps A
autre, les lueurs des photogènes des organismes abyssaux. On y trouve des
organismes microscopiques qui, répétés par milliards, forment le zooplancton,
nourriture de prédilection des espèces les plus grosses, les baleines, qui atteignent aisément un poids d’une dizaine de tonnes. On y rencontre des orgànismes mous - telles les méduses, qui, par la composition de leur être, semblent faire corps avec l’eau elle-même, s’y fondre totalement, au point qu’il
est parfois difficile de distinguer l’animal du milieu - et d’autres qui sont de
véritables forteresses. I1 y a des herbivores et des carnivores, des êtres paresseux et d’autres actifs, certains sédentaires et d’autres nomades.
L’océan, c’est enfin 250 O00 kilomhtres de côtes, avec ses havres et ses dangers, ses longues poussées vers l’intérieur des terres, fournissant les meilleurs
ports, par les contacts fluviaux que ceux-ci ont avec l’arrière-pays, et les meilleurs abris, ses fines pointes rocheuses posées en sentinelles devant les continents, ses plages et ses falaises, tout un monde pétrifié que les vagues remodèlent
sans cesse pour le plus grand bien de l’homme, quand les parties comblées
offrent de nouveaux champs d’activité à l’invention humaine, oupour son plus
grand mal, quand l’érosion s’attaque aux auvres vives, aux ouvrages portuaires,
aux ouvrages de défense.
Monde physique aux pulsations rythmées, monde animal à l’étonnante
multiplicité de vie, l’océan s’impose à l’homme, même là oil il n’est pas présent.
En effet, masse liquide ininterrompue du pôle à l’équateur, il oppose au froid
polaire comme à la chaleur tropicale l’inertie thermique d’un énorme volant
qui ne cesse de faire pression sur les climats en restituant aux régions froides
une partie de la chaleur absorbée dans les basses latitudes. Recevant des grands
fleuves terrestres un débit de 13 millions de kilomètres cubes A l’heure, il les
restitue i l’atmosphère, en un cycle perpétuel, cette dernière entraînant sous
forme de nuages, dans la course folle des vents, la vapeur d‘eau produite et
la déversant dans les contrees les plus éloignées, en pluie ou en neige, sève de
la terre issue du dialogue émouvant du soleil et de l’océan.
Banquier du monde pour les ressources minérales, pour la vie, pour l’énergie
solaire qu’il renferme sous forme thermique et dynamique, régulateur clima8
tique, dispensateur de toute l’eau douce, parrain de toutes les formes de vie
tant terrestres que marines, l’océan est tout cela. De quelles armes a-t-on
disposé pour en faire l’inventaire?
L’oc&anographie et son histoire
L’arme, c’est l’odanographie dans la définition la plus générale qu’on en puisse
donner, c’est-à-dire l’ensemble des sciences consacrées à l’étude de la mer :
la dynamique, qui étudie les déplacements horizontaux et verticaux, les mouvements permanents ou temporaires, périodiques ou apériodiques; la physique,
qui s’intéresse aux propriétés optiques, acoustiques, électriques, etc.; la chimie,
dont le domaine englobe la nature et les propriétés de la solution qu’est l’eau
de mer, la variation de ces propriétés liée à des phénomènes dynamiques ou
biologiques; la biologie, qui examine la nature des êtres vivants qui peuplent la
mer et la bionomie, ou cycle biologique des différentes espèces; la géographie
physique, la géologie et la géophysique, disciplines auxquelles ressortissent la
morphologie des côtes et du fond, la nature des sédiments ainsi que la nature
du sous-sol marin.
L’odanographie est née réellement au cours de l’expédition du Challenger,
aboutissement de toutes les croisières intéressées ou désintéressées qui, depuis
Christophe Colomb et Magellan, avaient petit à petit soulevé le voile de superstitions et d’ignorance qui recouvrait la mer. Pendant quatre ans, le Challenger,
corvette à quatre mats, dotée d’une machine auxiliaire, parcourt l’océan et,
sous la conduite des savants les plus éminents de Grande-Bretagne, entreprend
des recherches dans tous les domaines des sciences de la mer, pour rapporter
à adimbourg une moisson extraordinairement riche et abondante d’échantillons et de spécimens de toutes sortes d’espèces, d’observations et de mesures,
dont l’étude, l’analyse et la description fourniront la matière de quarante
volumes considérés, pendant de longues années après leur publication, comme
le document océanographique de base, ouvrant tous les principaux chapitres
de l’océanographie, en particulier la morphologie sous-marine, la physique,
la chimie de la mer et la géologie sous-marine. C e s chapitres, que les recherches
ultérieures ont contribué à compléter, les études actuelles et futures se proposent
de les achever. La voie étant tracée, les croisières ultérieures n’ont fait que la
suivre; jusqu’à la seconde guerre mondiale, des expéditions allemandes, françaises, américaines, russes, scandinaves sillonnent les mers, y recherchent les
plus grands fonds, y découvrent des fosses-celles de Porto Rico, de Mindanao,
du Japon, des Mariannes, des Tonga-Kermadec, etc. - dont les profondeurs
oscillent entre 8000 et loo00 mètres, remontent à la surface des espèces
vivantes, collectées à des profondeurs de plus en plus grandes, commencent
à percevoir les principaux traits du relief océanique, accumulent les observations sur la nature des sédiments marins. Au fur et à mesure que s’afiìnent
les méthodes de mesures physiques et chimiques, tant en mer qu’au labora9
toire, la connaissance de la physique et de la chimie de la mer se précise.
En particulier, des propriétés physiques, telles que la densité, la chaleur spécifique, sont rapidement connues, alors que celles qui dépendent de la dynamique
des eaux en mouvement, comme la viscosité et la transparence, livrent leurs
secrets moins vite. La composition de l’eau de mer est déterminée avec précision vers 1880; vingt ans plus tard, on découvre la constance relative de cette
composition, c’est-à-dire un des faits les plus importants en océanographie
physique, puisque la majorité des analyses de sels publiées jusqu’à ce jour
sont fonddes sur la relation entre la teneur en chlorure de sodium et la quantité
totale de sels dissous. Puis on analyse l’intervention de sels minéraux, faiblement concentrés dans les couches superficielles de la mer, dans les premiers
maillons du cycle alimentaire, et le rôle qu’ils jouent dans la photosynthèse
des algues marines - rôle identique à celui des engrais du sol. Les recherches
biologiques sont, au départ, consacrées presque totalement à la description
des multiples espèces qui peuplent la mer. Dans la mesure oh les groupes
taxonomiques sont de mieux en mieux définis et oh leur structure est parfaitement connue, les travaux s’orientent ensuite vers les relations complexes des
organismes entre eux et avec le milieu oh ils vivent. Enfin, la dynamique de la
mer se précise; non seulement, l’btude directe des grands courants océaniques
permet d’en déterminer le cours et l’importance, mais l’application a la mer
de la mécanique des fluides et des théories élaborées pour l’analyse de la circulation atmosphérique donne une base mathématique solide à nos connaissances
sur les déplacements des masses d’eau; la description des vagues, des marées
et des ondes internes progresse paralldement, à partir du développement de
l’hydrodynamique.
Une telle évolution des recherches et un pareil enrichissement de nos connaissances n’ont été rendus possibles que par les améliorations considérables
introduites dans les techniques d’observation et de prélèvement en mer. Sans
parler de l’apparition de la navigation a vapeur, les progrès les plus spectaculaires sont, ‘sans aucun doute, ceux qui sont intervenus dans les méthodes
de sondage par grands fonds; du sondage ponctuel au plomb à main, l’on est
passé au sondage au plomb avec des machines à sonder, puis au sondage
continu par le son, qui exécute en quelques secondes ce que ia machine faisait
en plusieurs heures. Les échantillonnages de vase se font avec des dragues ou
des ramasseurs plus ou moins efficaces; puis apparaissent les tubes carottiers,
de plus en plus perfectionnés, qui prélèvent des boudins de sédiment dont la
longueur atteint déjà quelques mètres. La mesure des températures de l’eau A
différentes profondeurs se fait avec une extrême précision, approchant du
centième de degré centigrade, grace à des thermomètres spécialement congq
dits thermomètres A renversement. De même, il devient possible de collecter A
n’importe quelle profondeur des échantillons d’eau d’un àdeux litres, avec des
bouteilles à renversement construites de manière telle que plusieurs bouteilles
placées aux profondeurs voulues sur le cable de travail peuvent être déclen10
1
i
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chées en chaîne et recueillent chacune un échantillon d’eau; un thermomètre,
couplé avec chaque bouteille, enregistre la température exacte du niveau de
prélèvement. De nombreux courantomètres sont construits, mesurant les
courants in situ, à diverses profondeurs, et donnant soit le courant instantané,
soit le courant global au bout d’une certaine durée de fonctionnement. Parallèlement, on fabrique des dragues, pour la collecte des organismes vivant
sur le fond, et diverses formes de filets apparaissent, permettant d’étudier la
répartition de la vie animale microscopique à tous les niveaux. On invente
également des filets spéciaux pour l’étude des algues microscopiques du phytoplancton.
La seconde guerre mondiale fait accomplir un pas de géant à l’océanographie. Pour des raisons tactiques, il devient indispensable de mieux connaître
les propriétés physiques de la mer et, en particulier, ses propriétés acoustiques,
les méthodes de détection par le san et les ultra-sons prenant une importance
primordiale du fait de la construction d’appareils tels que 1’Asdic ou les
sondeurs à ultra-sons à faisceau sonore dirigé. La vitesse de transmission du
son dépendant de la densité - c’est-à-dire de la température et de la sahité,
le premier facteur jouant un rôle beaucoup plus important dans les couches
superficielles, fréquentées par les sous-marins - il est nécessaire de pouvoir
mesurer rapidement la variation continue de la température avec la profondeur.
Le bathythermographe donnant, sur plaque de verre fumé, une représentation
graphique de cette dernière jusqu’à 300 mètres est inventé, et les mesures se
multiplient dans tous les odans. De même les échosondeurs, installés sur de
nombreux bâtiments militaires, fournissent une moisson inépuisable de sondages. La stratégie des débarquements dépendant étroitement de la codguration des côtes, des marées et des courants qu’elles créent, de la nature des
fonds, l’analyse des processus littoraux se généralise et de nouvelles techniques
optiques et photographiques sont mises au point pour la poursuite des études
sur les côtes ennemies. Dans le même sens, la mécanique des fluides s’applique
à préciser l’effet de la configuration des côtes sur la propagation de la houle,
et l’action de l’atmosphère sur l’état de la mer.
Aprb la guerre, les sondeurs à ultra-sons se perfectionnent, les faisceaux
sonores devenant de plus en plus minces et de plus en plus directionnels, les
mécanismes d’enregistrement des échos donnant une précision accrue, qui est
maintenant de l’ordre de moins d’un mètre pour des profondeurs de plus de
5 O00 mètres. Les tubes carottiers se transforment et il est possible de prélever
des carottes de sédiments de vingt mètres de long et d‘étudier, par conséquent,
des sidiments vieux de quelque 150 millions d’années. Les méthodes de
réfraction sismique permettent de mesurer avec précision l’épaisseur des
ddiments; les études magnetiques et gravimétriques en mer donnent un moyen
de relier les anomalies du champ magnétique à certains caractères de la topographie sous-marine et de détecter des gisements de pétrole. Les engins de
capture se perfectionnent eux aussi, offrant la possibilité de travailler avec
11
certitude dans n’importe quelle couche intermédiaire. L’emploi de bouées
émettant des signaux radio ouvre la voie à l’étude directe et généralisée des
courants marins, tant superficiels que profonds. Les traceurs radio-actifs
fournissent de nouvelles méthodes pour l’analyse du déplacement des sédiments,
aussi bien que pour l’évaluation de la quantité de matière vivante produite
dans les couches supérieures de la mer. L’électronique mise au service de la
recherche en mer permet non seulement, grâce aux systèmesde radionavigation,
de mieux situer les navires, mais aussi de déterminer en mer un grand nombre
de variables et fournit des appareils mesurant d‘une manière continue la
variation de la température et de la salinité en fonction de la profondeur;
on construit également un appareil de mesure des courants Superficielsinstantanés à partir d’un navire en route. Bref, l’océanographie est devenue affaire
d’hommes de science hautement spécialisés, appartenant à des disciplines
aussi variées que la géophysique ou la chimie, l’électronique ou la mathématique pure, et la recherche en mer est maintenant un travail d’équipe, l’activité
de chacun dépendant du travail de tous, chaque nouvelle avance dans une
direction entraînant une amélioration des connaissances d’ensemble puisque,
dans la mer, la plus petite particule en voie de sédimentationdans la fosse la plus
profondeest liée, par son histoire, à de multiples phénomènes, dont certains n’ont
rien à voir directementni avec la géologie sous-marine, ni avec la sédimentation.
OC~~ANOGRAPHIBET CIVILISATION AU X X ~S&CLE
Bien que la mer ait inspiré nombre de poètes, de romanciers, de musiciens,
il est évident que c’est dans le domaine des activités économiques qu’elle a
exer& la pression la plus forte. Nul ne s’étonnera donc de constater que,
lorsque l’océanographie a vu ses recherches prendre une direction pratique,
c’est, en général, dans le sens d’une amélioration de l’économie mondiale que
ces recherches se sont orientées -si l’on ne tient pas compte de l’influence des
guerres sur le développement même des sciences de la mer. Parmi les activités
humaines dépendant plus étroitement de l’océan et dans l’épanouissement
desquelles la recherche a joué un très grand rôle, il en est trois dont l’importance dépasse largement le cadre des nations strictement maritimes et qui
se situent d’emblée sur le plan universel et mondial :ce sont la pêche, l’exploitation de la mer comme source de matières premières et la navigation. Une
analyse rapide va nous permettre de dégager le rôle joué jusqu’à présent
par divers aspects de l’océanographie dans l’exercice de ces trois activités
humaines fondamentales.
Océanographie et pêche
Les statistiques annuelles des pêches de la FAO signalent qu’en 1954’24’2millions de tonnes de poissons, crustacés et mollusques furent pêchés en mer.
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La pêche apparaît ainsi comme l’industrie d’extraction des ressources de la mer
la plus importante, en même temps que la plus ancienne. Certaines de ses
caractéristiques en font cependant une industrie déséquilibrée.
En effet, bien que l’hémisphère sud contienne 57 % des mers du monde,
72 % des pêcheries mondiales sont localisées dans l’hémisphère nord, où la
concentration de la population est plus grande, oil le niveau d’industrialisation
atteint par les nations occidentales permet un développement plus rapide des
pêches industrielles et oh les zones peu profondes, dans lesquelles se pratiquent
les méthodes de pêche les plus intensives, comme le chalut de fond, sont plus
étendues.
D’autre part, bien que la liste des espèces pêchées soit particulièrement
longue, dans l’ensemble des gros pays producteurs - tels que le Japon, les
hats-Unis, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves - la majorité de la
production, de l’ordre de 70 à 80 %, est représentée par un très petit nombre
d’espèces, parmi lesquelles on peut noter la morue, le merlu, l’églefin, le hareng,
la sardine, l’anchois, le thon, la bonite et le maquereau. I1 en résulte que, pour
ces espèces activement pourchassées, le taux d’exploitation est près d’atteindre
la limite à partir de laquelle une pêche intensive crée une surexploitationet une
disparition des stocks.
Enfin, si des tonnages appréciables de poissons capturés ne sont pas destinés
à la consommation humaine directe mais à la transformation en farines alimentaires pour le bétail et en huiles industrielles (c’est le cas du hareng scandinave
et du menhaden des Etats-Unis), d’autres espèces existent en grandes quantités
mais ne sont pas exploitées, faute de débouchés, la commercialisation des
poissons sur les grands marchés mondiaux n’intéressant qu’un petit nombre
d’espèces. Finalement, les grandes pêches sont toutes concentrées dans les
zones littorales des continents, dans les mers de faible profondeur, sur le plateau
continental; seule la pêche du thon filagique, dans le Pacifìque, fait exception
à cette règle.
Néanmoins, cette industrie progresse à pas de géant. De 1948 à 1955, le
tonnage pêché dans le monde a augmenté de 40 %, passant de 19,4 à 27,7 millions de tonnes. Cette progression est évidemment due à l’augmentation du
nombre de bateaux; mais elle est également liée à une amélioration des techniques de pêche employées - amélioration qui accompagne l’accroissement
de nos connaissances sur la biologie des espèces exploitées et sur le milieu dans
lequel elles vivent.
Par exemple, dans le cycle alimentaire de la mer, qui conduit des algues
minuscules, dérivant à la surface des eaux et constituant l’équivalent marin
de l’herbe des prairies, aux poissons prédateurs vivant d’une multitude de
proies aux dimensions les plus variées et victimes finalement de l’activité
humaine, on trouve un nombre de maillons beaucoup plus élevé que dans le
cycle terrestre; chaque passage d’un niveau biologique au niveau supérieur,
mieux organisé, se fait avec des pertes énormes de rendement. D’autre part,
13
en admettant, ce qui est le cas actuellement, que la quantité de matière organique produite par photosynthèse dans la mer est équivalente à celle qui est
produite sur terre, le fait que la photosynthèse en mer soit réalisée sur une
surface deux fois plus grande que celle des continents et sur une profondeur
variant entre 20 et 100 mètres selon les latitudes, alors que, sur terre, elle est
limitée à la couche superficielle, implique une plus grande dispersion de la
matière vivante d’origine marine, donc une plus grande difficult6 de récolte.
D’un autre côté, la photosynthèse épuise rapidement les sels nutritifs en solution dans les couches superficielles de la mer (ces sels jouent un rôle identique
aux engrais terrestres) et, après quelques cycles, la production de matière organique à partir de l’énergie solaire et de la chlorophylle des algues ne devient
possible que si les sels nutritifs utilisés dans les cycles prtcédents sont régénérés
en quantités suffisantes. Les mécanismes de régénération sont de trois sortes :
a) mélange de couches superficielles avec des couches profondes plus riches,
entraînées en direction de la surface par un mouvement ascendant des eaux;
un tel mouvement se produit le long des côtes ou à la surface de séparation
de deux masses marines nettement différentes, lorsque des vents assez forts
entraînent au loin les eaux superficielles et que celles-ci sont remplacées par
des eaux profondes; il se produit alors ce que les océanographes appellent
un upwelling ou une divergence; b) refroidissement des eaux superficiellesqui,
devenues plus lourdes que celles des couches sous-jacentes, plongent sous ces
dernières et sont remplacées en surface par des eaux profondes plus riches;
c) turbulence verticale intense, provoquée par le contact de deux courants
océaniques permanents.
Ces phénomènes, que l’on peut appeler les mécanismes d’ (( autolabourage ))
de la mer, permettent aux eaux superficielles touchées par l’énergie solaire
d’entretenir une forte population d’algues, qui favurisent elles-mêmes la
présence d’organismes animaux microscopiques, constitutifs du zooplancton,
nourriture de base des poissons. Du point de vue océanographique, c’est donc
dans les régions de divergence intense que des pêcheries industrielles ont les
plus grandes chances de se développer. Pratiquement, c’est ce qui s’est produit,
puisque les upwellings dus au vent ont favorise l’apparition de pêches très
importantes de la sardine, le lang de la côte californienne, en Afrique du Sud,
et le long des côtes du Maroc, et du thon, le long de la côte Pacifique du continent am6ricain et, plus particulièrement, le long des côtes du Chili et du Pérou,
oh se produit l’un des upwellings les plus intenses du monde, dont une des
importantes conséquences est l’industrie du guano, résultat de la capture
annuelle, par les oiseaux, d’un tonnage de poissons de l’ordre de plusieurs
millions de tonnes. Le refroidissement hivernal est à l’origine des pêches de la
morue, du hareng, de I’églefin à Terre-Neuve, dans la région de l’Islande, du
Groenland, du Labrador, de la mer de Barentz, et de la baleine dans la zone
antarctique; cette région est, en effet, fertilisée par l’eau arctique ayant coulé
dans le nord de l’Atlantique et ayant accompli le voyage du nord au sud, le
14
long du fond, en s’enrichissant en sels nutritifs au fur et à mesure de sa progression en direction du pôle sud. La rencontre de deux courants - le chaud
Gulf Stream et le froid Labrador en Atlantique, le chaud Kuroshivo et le froid
Oyashivo le long des &tes du Japon -favorise également des pêches intensives
(sardine du Maine, sardine et hareng du Japon).
Si l’on est en mesure, actuellement, d’expliquer scientifiquement l’existence
des grandes pêcheries, l’apport de l’océanographie ne se borne pas à une
interpretation passive des faits. L‘exemple le plus frappant en est la découverte
de nouvelles zones de pêche du thon dans la région équatoriale du Pacifique,
à la limite des courants équatoriaux nord et sud et du contre-courant -région
que les recherches océanographiques ont fait apparaître comme particulièrement productive, donc pouvant nourrir une importante population de
prédateurs, et où les essais ultérieurs ont révklé de gros stocks de thons pélagiques.
Un autre rôle que peut jouer l’océanographie vis-à-vis de la pêche est,
d’abord, l’explication des fluctuations qui interviennent dans les tonnages
pêchés annuellement d‘une espèce déterminée, puis la prévision de ces fluctuations, permettant de modifier, en conséquence, les techniques de pêche et de
déplacer éventuellement les zones d’exploitation. En effet, le rendement d’une
pêche est lié à l’abondance de la population mise en exploitation. Cette dernière
dépend de l’équilibre qui s’établit entre la croissance et la reproduction de la
population, d’une part, et la mortalité naturelle ou due à la pêche, d’autre part.
Lorsque, pour une densité géographique donnée, les deuxièmes termes excèdent
les premiers, le stock décroît et les rendements de pêche diminuent. Cependant,
croissance et reproduction, qui ressortissent à la bionomie de l’espèce, sont
toutes deux fonctions du milieu, car elles dépendent de l’adaptation de l’organisme aux conditions physiques, telles que température et salinité, et de la
quantite d’aliments disponibles -laquelle, nous l’avons vu, est liée à la dynamique des masses d’eau. Que, pour des raisons météorologiques bien précises,
le climat physique du milieu se trouve brusquement modSé, qu’il se produise
une diminution du taux de réapprovisionnement des couches superficielles
en sels nutritifs, et l’équilibre de la population s’entrouve totalement bouleversk,
entraînant des changements catastrophiques dans les taux de capture et, en
condquence, dans l’économie de toute une région côtière. Un exemple caractéristique d’un tel mécanisme est la disparition quasi totale, et qui dura plusieurs
années, des sardines du voisinage des côtes californiennes vers 1950. Cette
disparition réduisit à presque rien une activit6 portant, les années précédentes,
sur des centaines de milliers de tonnes. Elle était due à une légère modification
du régime des vents responsables de I’upweZZìng de Californie; celui-ci
se trouva réduit dans des proportions telles que la reproduction de la
sardine fut presque complètement stoppée, la population tombant à un
niveau tellement bas que toute exploitation industrielle en &ait impossible;
cette situation se maintint jusqu’au moment ob, le régime des vents étant
15
.
!
redevenu normal, il se recréa, le long des côtes, un upwelling intense. La
connaissance détaillée d’un tel mécanisme dans lequel l’aspect météorologique agit sur l’aspect océanographique, qui, lui-même, pese sur l’aspect
biologique, permet de prévoir des évolutions de cet ordre et de prendre les
mesures de conversion indispensables au maintien de l’équilibre économique
de la zone considérée.
Un autre aspect de la liaison entre la pêche et le milieu est le fait que, pratiquement, toutes les grandes pêches dépendent des migrations trophiques ou
de prématuration des espèces exploitées. Une connaissance intime des habitudes sexuelles des poissons et de la biologie des proies dont ils se nourrissent,
ainsi que du lien existant entre ces dernières et le milieu, permet de prévoir
largement à l’avance les périodes de déplacement des bancs, leur profondeur
et les zones de plus grande concentration. Ceci, conjugué avec l’amélioration
des techniques de pêche, en particulier avec l’emploi d’échosondeurs localisant
très précisément les bancs, autorise une exploitation plus rationnelle et, surtout,
plus efficace des innombrables ressources vivantes que la nier recèle en son
.sein.
La iner, source de mati2res premihres et d’énergie
En rappelant que l’eau salée est pratiquement une solution de tous les éléments
connus, en plus ou moins grande concentration, mais contenant en général
quelque 35 g de sels par litre d’eau, et que le volume global des mers est voisin
de 1300 millions de kilomètres cubes, ce qui porte les réserves de chlorure de
sodium ou sel de cuisine à l’impressionnant tonnage de 38 millions de milliards
de tonnes - on aura signalé l’un des aspects les plus essentiels de l‘océan,
considéré comme banquier de l’humanité en ce qui concerne de nombreuses
matières premières, plus abondantes là que partout ailleurs, mais banquier
un peu usuraire car, pour beaucoup de corps, les taux de concentration sont
tellement faibles que le coût de l’extraction, dans E t a t de nos techniques,
dépasse largement Ia valeur des denrées extraites. C’est l’expérience que fit
Haber, chimiste de l’expédition du Météor, qui, de 1924 à 1928, sillonna l’Atlantique. Ayant conçu le projet d’aider l’Allemagne à payer ses dettes de guerre
grace à l’or qu’il extrairait de la mer, il entreprit de laborieuses études sur la
concentration des métaux precieux et sur la meilleure manière de les séparer
des autres éléments. Si la réserve d’or de la mer est énorme (10 milliards de
tonnes), et la réserve d’argent 50 fois supérieure, les concentrations sont tellement basses - 0,0003 mg par litre dans le premier cas et 0,000006mg par litre
dans le second - que le coat du traitement (concentration et extraction)
est rapidement apparu comme prohibitif. Haber renonça donc A son
projet.
La mer n’est cependant pas toujours aussi avare. La consommation mondiale
de sel est de l’ordre de 25 millions de tonnes par an, et tout ce sel est d’origine
16
marine, soit qu’il ait été produit directement par les nombreux marais salants
qui ceinturent les côtes des pays chauds et dont la production moyenne est
10 millions de tonnes, soit qu’il ait été extrait des mines de sel gemme, reliquat
d’anciennes mers évaporées. Ce chlorure de sodium, dont chaque habitant
de la terre consomme 8 kilogrammes par an, est aussi une matière première
de base de l’industrie chimique pour la fabrication des carbonates et bicarbonates de soude, de l’acide chlorhydrique, des hypochlorites et des perchlorates.
La magnésium, métal clef de l’industrie aéronautique, est presque entièrement extrait de l’eau de mer, qui en contient plus d’un kilogramme par mètre
cube. I1 en est de même de la potasse, qui, sous forme de sels, est utilisée
comme engrais ainsi que dans l’industrie chimique, du brome, dont 99 % des
réserves mondiales sont contenues dans la mer et qui entre dans la préparation
des antidétonnants ajoutés aux essences à haut indice d‘octane, ainsi que dans
celle de nombreux sédatifs, produits colorants et produits photographiques.
Les algues, couverture vivante de beaucoup de rives, sont, elles aussi, une
source inépuisable de richesses, puisqu’elles se reconstituent au fur et à mesure
de la récolte. Divisées en trois groupes essentiels - les algues vertes, les algues
brunes et les algues rouges - on en collecte près de 500000 tonnes par an.
Utilisées parfois comme nourriture, surtout aux îles Hawaii et au Japon, oh l’on
consomme les algues vertes, autrefois principal fournisseur de soude pour les
industries du verre et du savon, de potasse et d’iode, elles sontdevenues d’importantes sources de produits de base. En particulier, on extrait des algues
brunes une matière colloïdale, semblable à la cellulose, que l’on appelle algine,
et qui est un excellent émulsionnant et gélifìant ayant trouvé de nombreuses
applications dam les industries alimentaires, pharmaceutiques et textiles; les
algues rouges fournissent des hydrates de carbone utilisés dans l’industrie
alimentaire, de l’agar-agar ou gélose, utilisé en pharmacie comme excipient
et en bactériologie comme support de culture, et également des produits
gélifiants et émulsionnants.
L’application des méthodes de prospection géophysique en mer a, d’autre
part, rendu possible, dans certaines zones particulièrement favorables du
plateau continental, l’inventaire des dépôts sédimentaires dans lesquels le
pétrole et les gaz naturels sont susceptibles de s’être accumulés. Les trois
techniques les plus couramment employées sont la gravimétrie, qui cherche
à déterminer les anomalies de la pesanteur liées ?
laidistribution de roches de
densités différentes, le magnétisme, qui, par la mesure des anomalies du champ
magnétique terrestre, permet également de défìnir la forme de la distribution
sédimentaire, et la prospection sismique, qui, par l’analyse de la vitesse de
propagation d’ondes sismiques artificiellement produites, donne un moyen
d’aborder l’étude de la nature et de l’épaisseur des différentes couches sédimentaires. Ces recherches, pratiquées à grande échelle dans le golfe du
17
Mexique, au large de la Californie, dans le golfe Persique, dans la mer
Caspienne et dans la mer Noire en particulier, ont ouvert la voie à l’exploitation du pétrole sous-marin, qui est devenue pratique courante dans
certaines régions, comme le long des côtes du Texas, de la Louisiane et de la
Californie.
La presence d’une stratification thermique marquée dans les couches supérieures de la mer, surtout aux latitudes moyennes et basses, ouvre, en outre,
de nouvelles perspectives en ce qui concerne l’extraction de vastes quantités
d’énergie connue sous le nom d’énergie thermique des mers. La possibilité
d’actionner une turbine avec de faibles pressions de vapeur, de l’ordre de
quelques centièmes d’atmosphke, ayant été démontrée, on peut envisager
l’utilisation de la différence de température entre les couches superficielles
de la mer dans les régions tropicales où l’eau atteint toujours une température
supérieure B 200 C et les couches sous-jacentes, où, très rapidement, la température est inférieure à 100 C. I1 est possible, en effet, d‘dvaporer, sous vide
partiel, une eau de mer superficielle dégazéifiée et d’utiliser la vapeur ainsi
fabriquée dans une turbine fonctionnant sous vide, la condensation s’effectuant
au contact de l’eau froide pompée & la profondeur voulue. Une partie de l’dnergie produite par la turbine est dissipée dans le système de dégazage, dans les
pompes à vide et dans celles qui établissent la circulation de l’eau chaude
superficielle et de l’eau froide profonde, le reliquat étant disponible pour une
utilisation industrielle. Le bas prix de revient de l’installation, dans les régions
dtières dont la confìguration et le régime hydrologique sont tels qu’il est
possible de pomper sans trop de diffìcultés de l’eau du fond, fait que l’on dispose
là d’une source de puissance extremement intéressante, et ceci d’autant plus
qu’elle n’est tributaire d’aucun minerai condamné à l’épuisement à plus ou
moins longue échéance, puisque la présence du soleil est un gage certain de la
permanence de la strati6cation thermique de l’océan comme de celle de la
houle, des vagues et des marées, qui représentent également des sources inépuisables d’énergie.
Les deux premières ont fait l’objet de nombreuses tentatives d’utilisation
artisanale ou industrielle, qui ont toutes plus ou moins échoue, compte tenu de
l’intermittence de ces manifestations périodiques et des quantités énormes
d’dnergie mises en jeu par les vagues de tempête, capables de déplacer sans
grande difficulté des blocs de plusieurs centaines de tonnes. Il n’en est pas de
mdme de la marde qui, en certains points privilégiés, peut provoquer des variations considérables du niveau de la mer, comme dans la baie de Fundy, dans
l’estuaire de la Severn ou dans la baie du Mont-Saint-Michel, où des dénivellations de l’ordre de 10 mètres sont courantes. Ces dernières se reproduisant
deux fois par jour et tout au long de l’annde, la tentation &ait grande d’essayer
de les utiliser à des fins pratiques. Le pas a été franchi lorsqu’on a décidé de
construire une usine marémotrice de 18 groupes de 20 O00 kilowatts chacun
dans l’estuaire de la Rance; c’est également la France qui a poursuivi les
18
premiers essais d‘utilisation industrielle de l’énergie thermique des mers, en
construisant une centrale électrique de 7 O00 kilowatts à Abidjan.
I1 est bien évident que l’apparition d’une nouvelle utilisation de la mer et
de ses réserves a posé beaucoup de problèmes d’ordre scientifique et technologique et a été l’aboutissement d’une longue série d’études. L’extraction d’une
matière première chimique implique une connaissance parfaite de ce milieu
très complexe qu’est l’eau de mer. La création d’une usine marémotrice perturbant le régime normal de propagation de la marée le long des côtes nécessite
de délicates recherches sur les répercussions de cette installation sur le régime
côtier voisin. Toute création industrielle située au contact de l’eau de mer
soulhve les questions de la corrosion, auxquelles il n’est pas facile de répondre.
Les études sur la physique de la mer, la chimie, la géologie, la dynamique et
bien d’autres branches de l’océanographie, qui ont connu un développement
prodigieux ces dernières années, ont seules autorisé une telle évolution des
techniques d’exploitation des ressources de toutes sortes que la mer tient en
réserve.
La mer principale route commerciale du monde
’
’
1
L’histoire du monde est liée à celle du développement du commerce international, qui, de tout temps, a emprunté la voie maritime, non seulement pour
les échanges intercontinentaux, mais aussi pour le petit et moyen cabotage
entre régions d’un même pays, car partout la mer a devancé la route et a ouvert
aux nations souveraines la voie de l’épanouissement économique et politique.
Si l’évolution des transports maritimes a longtemps dépendu de l’amélioration
de nos connaissances sur la mer, la topographie côtière, le régime des vents et
des courants, par beaucoup d’aspects elle se confond avec le développement de
l’océanographie, et cette dernière est encore appelée à jouer un rôle déterminant dans l’exploitation des grandes routes commerciales du monde.
En effet, le prix de revient d’une journée de mer pouvant atteindre des
sommes considérables, aucun cargo ou aucun paquebot n’entreprend une
traversée intercontinentale sans tenir compte, dans le tracé de sa route, d’une
part, de la nature, de la force et de la direction des grands courants océaniques
qu’il peut rencontrer au cours de son voyage et qui risquent de lui faire gagner
ou de lui faire perdre de précieuses heures, voire même des journées entières,
d’autre part, des conditions météorologiques établies, de leur évolution probable et de leur action sur l’état de la mer que l’on peut évaluer, au moment
du départ, avec une certaine exactitude. L’océanographie, en s’appliquant à
étudier les grands courants tels le Gulf Stream, le Labrador, les courants équatoriaux, à déterminer leurs causes, leur cours, leur fluctuation, a donc rendu
un service inestimable au commerce international.
Ce dernier ne serait pas aussi intense si la Providene, dans sa générosité,
n’avait pas taillé, dans des côtes en général battues par la houle et les vagues,
19
des havres de paix sous la protection desquels les navires peuvent se livrer,
en toute sécurité, aux opérations de chargement et de déchargement. Partout
où la nature s’est montrée trop parcimonieuse et où les activités humaines
réclamaient des wharfs, des quais, des docks, l’homme a créé ces abris. Ainsi
sont nés les ports naturels et artificiels, contre lesquels houle, vagues et courants
s’acharnent, tant& détruisant les ouvrages de protection, tantôt transportant
des alluvions et les déposant dans les bassins, dans les chenaux, tendant soit
à faire du port une cité continentale, soit le noyer sous l’assaut furieux des
flots. Il a donc fallu mettre au point toute une science de la protection des
côtes, en construisant des jetées et des épis, en modifiant la forme des ouvrages,
partout oh il se révèle nécessaire de détourner un courant, de provoquer un
envasement artificiel, de réfracter une houle. De tels aménagements sont
fondés sur une profonde connaissance de la dynamique côtière, du rcigime des
marées et des courants qui y sont associés, du régime de la houle et des vagues,
dont la propagation est modifiée par chaque haut fond ou avancée de terre
dans la mer et qui sont intimement liés au régime météorologique dominant
et à l’interaction entre l’atmosphère et la mer. Météorologie et dynamique,
hydraulique et sédimentation sont des facteurs essentiels du problème de
l’aménagement des côtes.
Celles-ci d’ailleurs ne doivent pas seulement offrir des ports adaptés au
trafic qu’ils permettent; il est nécessaire qu’elles soient saines pour la navigation, c’est-bdire que tous les dangers et écueils qu’elles présentent pour des
bateaux de tonnages variés soient parfaitement connus, inventoriés et localisés.
C’est, en général, le travail des divers services hydrographiques nationaux,
qui ont .la responsabilité d’établir des cartes détaillées des abords des côtes,
contenant tous les renseignementsnécessaires sur les courants, les hauts fonds,
les amers, etc. Autrefois, ces cartes étaient dessinées d’après de laborieux
sondages à main. L’introduction des sondeurs à ultra-sons permet une exécution beaucoup plus rapide du travail. Cependant, si certaines côtes sont particulièrement bien cartographiées, parce qu’elles servent depuis très longtemps
de support A un intense trafic maritime, d’autres - celles des pays sous-développés pour la plupart -nécessitent un énorme travail que seules des mcithodes
révolutionnaires permettent de mener à bien rapidement. De telles méthodes
existent et elles ont été développées pendant la guerre. Elles consistent, pour
des fonds sableux, à étudier sur des photographies la variation de la brillance
du sable vu à travers la couche d’eau -la brillance étant fonction de la profondeur - ou, pour des côtes quelconques, déterminant les caractéristiques des
vagues au large, A déduire la profondeur de la modification de la hauteur de
celles-ci et de leur vitesse de translation, ces deux données dépendant de l’intensité du frottement sur le fond, donc de l’épaisseur de l’eau. Le technicien, là
encore, a trouvé des applications inattendues, mais non sans intérêt économique, à des études purement théoriques, que l’océanographie a développCes
au cours des dernières années.
20
PERSPECTIVES D’AVENIR
L’océanographie, science moins que centenaire, tributaire pendant longtemps
de la curiosité de quelques riches nations maritimes, ayant, c o m e beaucoup
de branches de la technologie, largement bénéficié des circonstances créées
par les deux dernières guerres mondiales, peut porter néanmoins à son actif de
belles conquêtes techniques et une amélioration certaine du niveau de vie
mondial. Là cependant ne s’arrête pas sa contribution au bien-être de l’humanité et les perspectives d’avenir sont plus brillantes encore, dans la mesure où
il nous est loisible de prévoir que la société moderne évoluera dans un sens tel
qu’il sera fait de plus en plus appel à la mer en tant que source de nourriture,
de matières premières industrielles et d’énergie.
Les réserves alimentaires et leur exploitation
Nous avons vu que l’océanographie est intervenue à plusieurs reprises dans
l’évolution des pêches, aussi bien en précisant la biologie des espèces capturees
qu’en définissant les rapports qui peuvent exister entre ces dernières et le milieu.
La science des pêches est essentiellement l’étude des espèces susceptibles de
faire l’objet d’une exploitation intensive, la description générale de l’ensemble
de la population de chaque espèce et de la manière dont elle réagit vis-à-vis
des modifications qui interviennent dans le milieu ou qui sont dues à la pêche
elle-même; son objectif est de trouver une rdponse pratique à des questions
portant sur le type de la population, sa localisation, son importance et ses
réactions vis-à-vis de difFérents stimuli.
Dans le domaine de la zoogéographie marine et, plus particulièrement, de
la répartition du poisson, nos connaissances des zones largement exploitées
sont assez bonnes, mais elles sont pratiquement nulles pour le reste de l’océan,
c’est-à-dire pour la plus grande partie de ee dernier. Or des régions qui ont
été considérées pendant longtemps comme parfaitement stériles peuvent
recéler des stocks considérables d’organismes commercialement exploitables.
Tel a été récemment le cas pour la mer de Béring, qui fournit des crabes en
quantité, pour le golfe du Mexique oh l’on exploite des crevettes, pour les eaux
profondes du Pacifique équatorial, oh l’on trouve des thons. I1 appartient donc
à l’océanographie de faire l’inventaire complet des ressources marines, de
décrire les caractères des masses d‘eau pouvant exercer une influence sur la
répartition des différentes populations et de fournir au biologiste des pêches
toutes les données nécessaires sur l’évolution de ces conditions, aiin que ce
dernier ait un moyen de prévoir les réactions du poisson vis-à-vis du
milieu.
Les caractères physiques, chimiques et biologiques doivent permettre également de mieux suivre les variations de l’abondance du poisson. Celle-ci est
évidemment liée aux conditions du milieu qui déterminent la productivité
21
d’une région. Cette dernière dépend des conditions météorologiques, de l’état
des eaux et de leur dynamique. Des études générales devraient donc fournir
un moyen d’évaluer à l’avance les chances d’une région de nourrir une population déhie. Mais les variations du stock sont également déterminées par l’équilibre qui s’établit entre le taux de reproduction et de croissance et le taux de
mortalité. Reproduction et croissance dépendent de facteurs génétiques et de
facteurs externes. L‘océanographie interviendra dans l’étude des disponibilités
alimentaires, de la croissance des populations, de l’évolution des groupes
d’ilge, du taux de production de matière organique. Toutes ces données entrent
en jeu pour la prévision de l’évolution des stocks.
La pêche s’orientera dans le sens d’une exploitation maximum des ressources
marines. Mais celles-ci, du moins en ce qui concerne les organismes, ne sont
pas inépuisables; elles appartiennent à la catégorie de ce que l’on pourrait
appeler les ressources << autodquilibrées D, dans la mesure oa le renouvellement des stocks dépend du milieu physique et de la taille de la population
elle-même, cette dernière étant liée au taux d‘exploitation. L’océanographie
aidera à définir, pour chaque population d’espèce, les taux limites de capture
marquant la frontière entre la sous-exploitation et la sur-exploitation, comme
il a été fait pour la baleine; par une étude systématique de la répartition de la
vie en mer, elle définira de nouvelles zones oh la pêche est possible. Elle améliorera les rendements en développant des méthodes de prédiction de l’époque
et de la localisation des concentrations.
Enfin, en facilitant la mise au point des méthodes de pêche, elle aidera à
la création de nouvelles exploitations. Car - faut-il le rappeler? - à part
l’équipement électronique de radionavigation et de détection des bancs de
poissons, le matériel et les techniques ont peu évolué au cours des siècles.
Une des conséquencesles plus frappantes de cet état de fait est que, compte tenu
de l’inefficacité relative des appareils de capture, seules les populations à forte
densité sont normalement exploitées. On estime que, dans le contexte commercial actuel, les concentrations économiques rentables sont de l’ordre de 10 à
50 grammes de matière vivante par mètre carré. De telles concentrations sont
relativement rares et limitées à des zones côtières parfaitement déhies, ce qui
explique la répartition anormale des grandes pêcheries, que l’on a évoquée
précédemment. I1 est très probable que les espèces qui vivent en concentrations
inférieures à la concentration critique et qui ne peuvent être utilisées commercialement maintenant, représentent une biomasse, c’est-à-dire une population
vivante globale, ou bien supérieure à celle que constituent les espèces particulièrement grégaires. Leur exploitation deviendra possible lorsque, par exemple,
on aura développé des techniques permettant de grouper les poissons de
manière que les procédés classiques soient utilisables. La création, en mer,
de champs magnétiques, électriques ou acoustiques semble offrir la solution
d’avenir, mais pour le moment on sait peu de choses sur les réactions des
organismes à de telles excitations.
22
Dans tous les cas, l‘objectif n’est plus une capture due au hasard, mais une
récolte systématique.
La notion de récolte peut d’ailleurs s’appliquer également au plancton. Si l’on
tient compte du fait que, dans le cycle alimentaire de la mer, les neuf dixièmes ou
les dix-neuf vingtièmes de la nourriture consommée à chaqueniveau sont utilisés
uniquement pour le métabolisme basal, le dixième ou le vingtième restant
étant stocké, on arrive à la conclusion que la valeur alimentaire du poisson
ne représente guère plus que le millième ou le dix millième de celle des algues
du phytoplancton, dix í i vingt fois plus abondantes que le zooplancton. Ce
dernier peut donc être considéré, quantitativement parlant, comme une source
possible non négligeable de protéines d’origine animale, la démonstration de
sa valeur alimentaire ayant été faite par l’expédition du Kon-Tiki et par le
docteur Bombard, qui ont corroboré la preuve fournie par l’existence de
baleines ne vivant que de ces organismes minuscules. Récolter le plancton
afin d’éliminer les pertes énormes qui se produisent à chaque stade de la chaîne
alimentaire apparaît donc comme une idée particulièrement séduisante qui,
si elle ne semble pas réalisable immédiatement à cause de la grande dispersion
de l’objet à récolter, pourra être reprise sérieusement lorsque la technologie
aura mis au point des methodes permettant de jìltrer économiquement de très
gros volumes d’eau. En effet, la répartition en poids de zooplancton est si
infime que l’extraction d’un kilogramme de ce dernier nécessite le fìltrage de
mille tonnes d’eau environ.
Une autre possibilité d‘avenir est l’intervention directe de l’homme à la base
du cycle alimentaire. Nous savons que, pour se développer, les algues microscopiques ont besoin de lumière et de gaz carbonique - ces deux éléments
étant toujours présents dans les couches superficiellesen quantités suffisantes ainsi que de sels nutritif.. tels que phosphate, nitrate, silicate, qui sont en quantités très faibles et qui arriveraient rapidement à l’épuisement total si des
mécanismes de renouvellement n’entraient pas en jeu. Seules sont fertiles les
régions dans lesquelles fonctionnent, de façon particulièrement active, de
tels mécanismes, tributaires soit d’un régime spécial de vents, soit d’un refroidissement hivernal intense qui provoque un upwelling (remontée d’eau profonde
en surface). En produisant des upwellings artificiels, on multiplierait d’autant
les zones riches de la mer. On pourrait créer, par exemple, un réchauffement
local des eaux profondes qui, allégées, tendraient à remonter en direction de
la surface; on a déjà suggéré l’emploi, comme source de chaleur, de réacteurs
nucléaires immergés. Un enrichissement des eaux superficielles, permettant
de faire de 1’ aquiculture B, peut, dans certains cas, être r6alisé par l’addition
à l’eau des sels nutritifs ndcessaires. Cette opération n’est cependant rentable
que si elle porte sur de faibles volumes d’eau, c’est-hdire sur des lacs et des
baies relativement fermées et de profondeur réduite ou sur des regions
côtières oh le regime dynamique est tel que les eaux stagnent pendant assez
longtemps.
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Les réserves énergétiques et minérales
La découverte du pétrole sous-marin a donné un essor considérable àla prospection géophysique du plateau continental, c’est-à-dire de la partie pratiquement
plate du socle des continents qui s’étend de la ligne de rivage à la profondeur
de 200 m - celle-ci marquant, en général, l’apparition d’une rupture de pente
et d’une plongée du talus vers les grandes profondeurs. Ce plateau,. prolongement marin des terres émergées gui ont été, tour à tour, soulevées et submergées, a la même structure que ces dernières et recèle, par conséquent, les
mêmes ressources minérales. On estime qu’il contient un volume de sédiments
pétrolifères de l’ordre de 120 millions de kilomètres cubes, détenant une réserve
d’huile brute de l’ordre de 400 milliards de barils; soit près de 40 milliards de
tonnes. Cela équivaut au tiers des réserves totales du monde, à 45 foisla consommation énergétique de 1956 et à près de 5 % des réserves totales en énergie
fossile. On voit donc que le potentiel pétrolier de la mer est loin d’être négligeable et que son exploitation se développera au fur et à mesure.de l’amélioration des techniques de forage en mer à des profondeurs de plus en plus
considérables- le seul obstacle actuel à cette activité étant l’effet de la corrosion, de la houle et des vagues sur du matériel qui n’est pas prévu pour travailler
dans des conditions aussi dures.
D’autre part, l’aménagement des côtes va ouvrir de nouvelles possibilités
en ce qui concerne l’exploitation d’usines marémotrices. Le coût de fonctionnement de telles usines étant bas, il est probable que, dans certaines conditions,
il sera plus intéressant de faire appel à la marée plutôt qu’à l’atome, là oh la
codguration côtière rend de telles installations relativement aisées. Le projet
d’aménagement de l’estuaire de la Severn devant fournir 2,3 milliards de
kilowattheures, celui de la baie de Cobscook (dans la baie de Fundy) 340 millions de kilowattheures, et celui du Mont-Saint-Michel 12’5 milliards de kilowattheures, on voit quelles réserves formidables de puissance sont encore
disponibles dans la mer. D’autres réserves sont aussi stockées sous forme
d’énergie thermique et n’attendent que quelques progrès technologiques pour
faire leur apparition sur le marché. Ces ressources sont d’autant plus importantes qu’elles appartiennent à la catégorie des ressources permanentes de la
mer, qu’aucune exploitation n’épuisera jamais.
Le développement spectaculaire, au cours de ces dernières années, de la
géologie sous-marine et des techniques de photographie des grands fonds a
permis de mettre en évidence que de vastes régions du fond de la mer sont
couvertes de concrétions métallifères, que l’on appelle des nodules et qui sont
composées essentiellement d’oxydes de fer et de manganèse mélangés à des
m6taux plus rares, tels que le nickel, le cobalt et le cuivre, en quantités non
négligeables. L’immense superficie susceptible d’&trecouverte de tels nodules
donne aux minerais stockés de cette manière une valeur inestimable; on envisagera sans doute de les exploiter après épuisement des gisements terrestres. Ces
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réserves sont disponibles sur-le-champ et seuls des problèmes techniques en
empêchent l’exploitation immédiate.
D’autres ressources minérales de la mer prendront aussi une grande importance lorsque des procédés économiques de concentration de l’eau de mer
auront été m i s au point. La saumure résiduelle des marais salants fournit du
sulfate de sodium, du chlorure de potassium, du chlorure de magnésium et
de l’oxychlorure de magnésium. Des mers fossiles, telles que le lac Searles en
Californie, on extrait du borax, du brome, du lithium, des sels de potassium
et de sodium. I1 en est de même de la mer Morte, dont la concentration en sels
est dix fois plus élevée que celle de l’océan. Ce que la nature a fait au cours
des siècles et tout au long de l’histoire géologique de la Terre, l’homme peut
tenter de le reproduire en utilisant toutes les sources d’énergie qu’il trouve à
sa disposition.
C’est ainsi que, dans la recherche de la fertilisation de zones actuellement
désertiques faute d’eau, on peut être amené à utiliser l’énergie nucléaire pour
la préparation d’eau douce à partir d’eau salée, le coat de l’opération étant
réduit par la récupération, dans les saumures résiduelles, de matières premières
industrielles comme celles qui ont été évoquées plus haut, ou même de l’uranium qui est en solution dans l’eau de mer, en concentration telle que sa
fission totale fournirait cent fois l’énergie nécessaire à l’évaporation de l’eau.
Néanmoins, quand on fait le bilan d’une telle opération, qu’on le compare
à l’action du soleil sur la mer et à l’énergie dépensée à la surface de l’océan
pour l’évaporation de ses couches superficielles - celle-ci étant à peu près
dix mille fois supérieure à l’énergie totale utilisée par l’homme sous forme de
charbon, de pétrole ou d’énergie hydro-électrique
on constate que nos
moyens d’intervention sont très réduits et notre champ d’activité extrêmement
limité.
Et pourtant, l’idée se fait jour, petit à petit, que cet équilibre énergétique
qui règle les rapports entre la mer et l’atmosphère et qui fait que les climats
sont tels que nous les connaissons, est métastable, dans la mesure oh quelquesuns des processus atmosphériques le sont. Une légère pression sur un phénomène local pourrait amener des modifications sur une grande échelle. Lorsque
l’on connaîtra parfaitement les mécanismes contrôlant le temps et les climats,
il sera possible, sans doute, de déterminer dans ces derniers les points névralgiques sur lesquels pourrait porter une intervention humaine en vue de modifier le régime atmosph&riquedans un sens voulu. Par exemple, l’emploi de
l’énergie nucléaire pour faire fondre une partie de la calotte glaciaire krctique
qui obstrue les voies de communication maritimes de la Sibérie devrait faire
l’objet d’un examen sérieux et approfondi, étant donné qu’on pense qu’il
pourrait en rdsulter un accroissement exagéré des glaciers européens et nordaméricains; actuellement on rejette une telle expérience, car il est possible que
les vents du nord, qui sont secs, s’humiditient en soufflant sur un océan Arctique
débarrassé de ses glaces et vident leurs nuages sur les montagnes déjà enneigées
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25
de l’hémisphère nord, amenant insensiblement une baisse de température.
Par contre, c’est vers une hausse de cette dernière que conduirait, de nos jours,
l’excessive consommation de charbons, pétroles et autres combustibles,
déversant dans l’atmosphère d’énormes tonnages de gaz carbonique, dont une
partie est absorbée par l’océan, mais dont le reste enrichit l’atmosphère et
peut provoquer, à la longue, une augmentation de 1 à 20 C de la température
de l’air’ en emprisonnant au niveau du sol les radiations à grande longueur
d’onde. I1 pourrait se déclencher, de cette manière, une réaction en chaîne
dont le terme final serait la fusion des glaces et l’immersion d’une bonne partie
des terres actuellement émergées. Le sort de l’humanité dépend des capacités
d’absorption de,la mer en ce qui concerne le gaz carbonique et du cycle dynamique amenant successivement en surface toutes les couches profondes. LA
encore, l’intervention humaine pourrait tenter de redresser l’équilibre que les
agissements inconsidérés de l’homme ont compromis.
Enfìn, l’avenir énergétique de l’humanité étant lié A l’application industrielle
de l’énergie thermonucléaire, il ne faut pas oublier que l’océan est la plus grande
réserve d’hydrogène du monde.
Les transports maritimes et leur évolution
Dans le présent, de nombreux facteurs limitent le développement des transports
maritimes. Parmi ces facteurs, les plus importants semblent être la taille des
navires, la difficulté de navigation dans les glaces, la capacité réduite des installations portuaires et les techniques de manipulation du fret (conditionnement
plus ou moins rationnel, embarquement et débarquement).
En ce qui concerne la taille des navires, l’application de l’énergie atomique
à leur propulsion, une meilleure connaissance de l’action de la mer sur les
coques et la mise au point de revêtements mettant ces dernières à l’abri des
salissures marines qui grèvent assez considérablement leur coût d’exploitation
permettront sans doute de faciliter et d’accélérer les échanges par voie maritime.
Une autre perspective d’avenir est l’emploi de brise-glaces mûs par des moteurs
atomiques et dont l’utilisation généralisée, libérée du coat du carburant,
donnerait la possibilité de maintenir toujours ouvertes certaines voies que
l’hiver soustrait actuellement au trafic. L’exploit du Nautilus, enfin, laisse
présager qu’un jour la navigation sous-marine, soustrayant le bâtiment à
l’agitation superficielle, donc le libérant des servitudes météorologiques, et
permettant également l’utilisation de la voie par le pôle Nord, qui réduit,
dans certains cas, de moitié la route à parcourir, pourra prendre une importance
économique considérable.
Le rendement d’un bateau dépend également des techniques de manipulation
du fret, ainsi que nous l’avons signalé plus haut, et il est lié aux capacités des
installations portuaires. Celles-ci sont tributaires de la nature des sites dans
lesquels les ports ont ét6 créés; que ces derniers soient naturels ou artificieis,
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ils sont sans cesse soumis aux pressions de la mer, qui tend modifier et à
détruire ce que l’homme a construit. S’opposer à l’action dévastatrice de
l’océan est une nécessité qui s’impose aux ingénieurs, les techniques de construction et de protection des ouvrages étant appelées à évoluer en fonction
des acquisitions de l’esprit humain dans le domaine des processus côtiers.
La mer, poubelle des industries
Il a toujours semblé tout naturel que les déchets des villes côtières soient
déversés dans la mer. I1 est apparu, cependant, peu à peu que l’utilisation
inconsidérée de la mer comme poubelle pouvait avoir des conséquences
catastrophiques pour la faune et la flore, dans la mesure oh les conditions
locales ne permettaient pas un mélange rapide des eaux résiduelles avec l’eau
de mer et une dispersion de l’eau ainsi polluée. Tout déversement d’égout
dans la mer doit donc être précédé d’une étude complète du régime des marées
et des courants, de la distribution de la densité en fonction de la profondeur,
des taux de mélange, de la vitesse de disparition des bactéries dangereuses, et
les résultats de ces études doivent conditionner le choix d’un emplacement.
Ce problème prend d’ailleurs une importance aiguë en ce qui concerne les
déchets radio-actifs des industries nucléaires. C e s résidus extrêmement dangereux, dont la production croît sans cesse, ne peuvent être ni détruits, ni atténués,
ni utilisés à aucune fìn et les sites terrestres oh ils peuvent être abandonnés
sans danger pour l’humanité sont rares. On a donc envisagé de les noyer dans
des blocs de béton et d’immerger ces derniers dans les fosses océaniques, ou
partout oh l’on peut considérer que l’eau est stagnante. Cette technique n’est
applicable qu’à la condition que l’eau soit effectivement stagnante ou que la
vitesse de déplacement soit lente, au point que les eaux profondes, mettant
plusieurs milliers d’années avant de réapparaître à la surface oh elles servent
de support à la vie animale et végetale, y parviennent complètement débarrassées de toute forme de radiation dangereuse pour l’humanité.
CONCLUSION
Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, pendant de longs siècles
les marins ont été océanographes sans s’en douter. Si l’océanographie, science
coateuse entre toutes, influençant de nombreuses activités humaines, n’a
jamais bénéficié de la publicité accordée à d‘autres manifestations de l’esprit
inventif des hommes, il n’en reste pas moins que l’ensemble des hommes qui
ont quelque responsabilité dans l’orientation de l’évolution économique du
monde prennent mieux conscience, jour après jour, du rôle que la mer est
appelée àjouer dans un avenir relativement prochain.
Les besoïns, en matières industrielles de base et en énergie, d’une humanité
qui s’oriente, dans l’ensemble, vers une élévation accélérée de son niveau de
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vie, se développant selon un rythme qu’il nous est facile d’évaluer, on sait que
les ressources naturelles terrestres ne pourront faire face pendant longtemps
à une demande accrue de protéines d’origine animale et végétale, de charbon
et de pétrole, tout autant que de minerais de toutes sortes.
La mer inépuisable sera donc la première source extracontinentale de ces
denrées àlaquelle il devra être fait appel, bien avant que la lune ou quelque autre
planète hypothétique soit en mesure de les fournir en quantités appréciables.
On pêchera davantage et plus rationnellement, on extraira sans doute de gros
tonnages de protéines d’origine planctonique, on développera, dans des zones
privilégiées, 1’ aquiculture D. Les champs d‘algues exploités méthodiquement produiront aliments et denrées industrielles. La mer domptée fournira
de l’énergie à bas prix à des contrées dépourvues de ressources énergétiques
naturelles, hydrauliques ou fossiles. Une partie de l’énergie disponible sera
utilisée à l’exploitation des ressources minérales dissoutes dans l’eau de mer
ou prisonnières de la vase des fonds marins.
Ce tableau, qui n’a rien de futuriste, ne prendra cependant forme que
lorsqu’un certain nombre de conditions auront été remplies.
D’abord, les outils dont disposent les océanographes - laboratoires,
navires, matériel d’équipement et d’études - doivent être améliorés en qualité
et en quantité. Comparés à la tâche à accomplir, ce qu’ils sont aujourd’hui
paraît en effet dérisoire. Certains pays l’ont compris, qui ont créé des instituts
nationaux d’océanographie disposant de fonds considérables, prélevés s u r
divers chapitres du budget national (défense, industrie, commerce) et dotés
de grosses unités pour le travail en mer. C’est le cas, entre autres, du Japon,
de l’URSS et des États-Unis; ces pays ont mis en œuvre des moyens avec
lesquels aucun autre pays ne peut rivaliser et consacrent à ces recherches
des sommes qui eussent paru extravagantes il y a seulement quelques années :
c’est ainsi que les l?tats-Unis prévoient, pour 1960, un budget océanographique
de 58 millions de dollars.
Ensuite et surtout, la mer universelle, baignant des rivages de toutes nation a z s et posant des problèmes de tous ordres et ressortissant à de multiples
scienSs, aucune nation ne peut prétendre en saisir seule le sens profond et en
comprendre la vie. Les travaux de recherche, tendant toujours vers une plus
grande efficacité, devront donc inéluctablement s’organiser sur une base internationale. Les travaux conjoints, dont le Pacifique septentrional et équatorial
furent l’objet de la part de navires canadiens, américains, japonais et français,
la coopération internationale instituée à l’occasion de l’Année géophysique
internationale sont autant d’exemples de la voie qui deviendra celle de l’océanographie dans les années à venir et qui fournira aux nations maritimes une
occasion supplémentaire de mieux se comprendre et de s’entraider plus efficacement.
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1)
L’HOMME ET LA MER
Influence de la mer sur le développement
des sociétés
HENRIROTSCHI
Extrait de
Inipact - Science et Société
Vol. X, (1960), No. 2
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