2. Paris, 1992 : l'étonnement du sauvage
Bizarre cette brusque naissance / existence d'un peuple et d'un pays. La
loi est venue d'ailleurs, quelqu'un a dit qu'on existait, avant on ne le savait
pas. Première imposition du dominateur et, peut-être, la plus lourde en
conséquences. On rentre d'un coup au milieu d'une histoire, et ce n'est pas
la nôtre. Comment rentre-t-on dans le temps? Le temps arrive-t-il par la
mer?Il est évident que le temps y était. Mais, c'était un autre temps, un
temps nommé par l'autre «primitif». Temps primitif (ou non-temps) et
temps civilisé, les deux se feront représenter par le futur brésilien4.
Le temps primitif, nous pourrions l'appeler mythique comme le font les
ethnologues et les historiens des religions. Ce temps-là ne se confond pas
avec le temps chronologique, on le sait. La réalité ne se présente donc pas
comme une suite logique de faits, elle est complètement imbriquée avec une
perception imaginative du monde. Le temps non filtré par la raison échappe
à toute causalité.
Seules nous concernent nos propres naissances. Celle de l'Humanité,
celle de la Raison-en-nous, celle de notre corps. Nous, nous de l'autre côté,
nous avons de surcroît une naissance bâtarde: nous sommes nés en tant que
peuple au beau milieu de votre histoire. Éclosion d'une préhistoire dans
l'histoire et dans ce temps arrivé en bateau... Le temps arrivé avec la flotte
de Cabral est le temps civilisé, temps efficace, linéaire et raisonné qui saura
s'imposer sans difficulté. Il apporte son beau cadeau empoisonné, les idées
de progrès, d'évolution, de mort.
S'il s'agissait simplement d'une superposition temporelle, où le temps
logique l'emporterait sur le temps mythique, le phénomène serait banal. Ce
qui constitue à mon avis l'intérêt et la complexité du phénomène brésilien,
c'est que le métissage des gens conduira au métissage des temps. Disons
plutôt une greffe du temps, comme pour la raison ou la logique. Nous ne
nous lassons pas de le mener en bateau, ce temps arrivé par la mer...
Puisque l'instant est toujours plus puissant que la durée, nous avons fait
notre pari: Sauvage, Indien ou Brésilien, nous nous mouvons dans l'histoire
au rythme saccadé des percussions. Enfants dionysiaques, seuls comptent
l'éclosion, le spasme, la convulsion, le présent. Goût de l'éphémère et de la
4Marcio Tavares do AMARAL, dans un article sur quelques aspects de la "mentalité"
brésilienne, et notamment sur le rapport à la temporalité, appelle "temporalité naturelle"
"notre" temps où l'absence des notions comme I'histoire et le progrès, rend notre être-au-
monde "passablement difficile à comprendre pour un Européen moyen" ("Le Brésil au jour le
jour", trad. Alice Raillard, in Traverses, Paris, 1985, p.127).
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