Les romantiques et la femme aimée
MOZART, le premier sans doute, avait associé son épouse Constance WEBER à sa renommée,
encore qu'elle n'ait pas tenu d'autre rôle que ceux de conjointe et de mère. Par la suite les noms
d'Eléonore de Breuning, de Giuletta Guicciardi et surtout de Thérèse de Brunswick « l'éternelle bien-
aimée » seront cités à propos de BEETHOVEN en raison des déceptions sentimentales qu'ils
rappellent, déceptions qui ne feront qu'ajouter aux souffrances du compositeur.
Par la suite, on ne pourra dissocier le personnage de Clara WIECK de celui de Robert
SCHUMANN qui, enfin admis à épouser celle qu'il aime, cherchera dans la composition de 158
Lieder en une seule année l'élargissement de sa fantaisie créatrice, dont le piano n'avait été auparavant
que le principal bénéficiaire. Éperdument amoureux de l'actrice écossaise Harriett SMITHSON,
Hector BERLIOZ commet mille folies avant d'exprimer ses amours orageuses dans la Symphonie
fantastique. La liaison de George SAND et Frédéric CHOPIN est surtout connue grâce au calamiteux
séjour qu'ils effectueront ensemble aux îles Baléares par un hiver particulièrement pluvieux. LISZT
fuira les salons parisiens où sa liaison avec Marie d'AGOULT, femme mariée et mère de famille fait
sandale, pour un mémorable voyage en Suisse, puis en Italie. Quant à Richard WAGNER déjà cité,
après avoir déclaré sa flamme - mais sans doute en pure perte - à Mathilde WESENDONCK, c'est de
Cosima LISZT, fille du compositeur qu'il s'éprendra bien que celle-ci fût déjà mariée à son ami chef
d'orchestre et défenseur de ses œuvres : Hans von BÜLOW.
Aucun de ces compositeurs, pourtant profondément épris, n'a laissé à proprement parler de
portrait de femme. La femme joue un rôle capital, mais c'est avant tout une inspiratrice.
SCHUMANN puise dans son amour un moyen d'étendre sa force créatrice. Chez BERLIOZ la
présence d'Harriett SMITHSON est surtout liée à l'argument de la Symphonie fantastique, plus peut-
être qu'à la musique elle-même. De l'escapade de LISZT et de Marie d'AGOULT, on retiendra surtout
les Années de pèlerinage, monument de 25 pièces assez développées pour le piano et répartie en
trois recueils. A aucun moment le compositeur n'invoque directement la femme aimée ; il préfère
décrire les paysages devant lesquels il a vibré avec elle: la chapelle de Guillaume Tell sur le lac des
Quatre-cantons, le lac de Wallenstadt, les cyprès ou les jeux d'eau de la Villa d'Este, etc. Quant à
CHOPIN, il s'attache au détail : la chute lancinante d'une goutte d'eau depuis une gouttière percée (un
des Préludes), le chant d'un batelier ou l'oscillation du bateau sur la houle (unes des Ballades).
L'héroïne de fiction incarnée
L'attention, les aspirations se portent au XIXe siècle sur un personnage de fiction : Marguerite
du Faust de Wolfgang von GOETHE.
La légende de Faust s'est forgée autour de l'histoire d'un savant allemand du XVIe siècle,
probablement alchimiste, d'où l'idée qu'il aurait pu avoir commerce avec le Malin. Trois écrivains
l'Anglais Christopher MARLOWE et les Allemands Gotthold LESSING et Nikolaus LENAU
donnent de la légende des versions écrites. Wolfgang von GOETHE s'empare à son tour du sujet
dont il tire en 1775, une première œuvre dramatique connue sous le nom de Urfaust, Faust primitif.
Trente-trois ans plus tard paraît une seconde version remaniée et développée que l'on nommera le
Premier Faust. C'est elle qui contient « la tragédie de Marguerite ». L’œuvre sera plusieurs fois
remaniée et, après 60 années de labeur, se trouvera précédée d'un Prologue, une sorte de marchandage
entre le Seigneur et l'Esprit du mal Méphistophélès ou Méphisto et complétée par un Second Faust
plus métaphysique et difficile d'accès, dans lequel réapparaissent des personnages de l'Antiquité :
Hélène de Troie, Pâris, Philémon et Baucis, mais aussi des divinités symboliques : Pauvreté, Dette,
Détresse et Soucis.
A la fin de ce second Faust, GOETHE évoque à propos de Marguerite « l’Éternel féminin »,
attrait qui guide le désir de l'homme vers une transcendance. Le féminin représente alors le désir
sublimé. Nombre de compositeurs vont donc projeter leurs aspirations, leurs rêves, leurs désirs
inavoués sur ce personnage qui, grâce à eux va prendre vie et représenter la femme idéale. Peut-on
dire qu'ils rejoignent la « dame de leur pensée » des premiers troubadours ?