NOTE D’INTENTION
"La liberté, c'est de pouvoir toute chose sur soi." Montaigne.
L'engagement politique coûta bien souvent la vie à celles et ceux qui pensaient que la cité pouvait s'organiser autrement, ou que le "royaume de
Dieu pouvait être réalisé ici-bas". Il y a quelques années, je lisais L'Utopie de Thomas More. Mes recherches d'expériences sur des sociétés
utopiques m'amenèrent, quelques temps plus tard, à La République des Guaranis, les Jésuites au Pouvoir de Clovis Lugon, Jésuite lui-même
surnommé "le vicaire rouge". Les Jésuites furent souvent proches du pouvoir dans l'Histoire, jusqu'au jour où leur expérimentation d'un système
politique original risqua de faire basculer ce pouvoir, pour finalement se retourner contre eux. Ils furent chassés d'Espagne en 1767 (après l’avoir
été du Portugal en 1759 et interdits en France en 1763), année où l'on situe l'action de la pièce. C'est alors que je découvris Sur la Terre comme
au ciel.
Le drame des Jésuites dans cette pièce est celui de la religion en général. Dans le "Notre Père", auquel fait référence le titre de l’adaptation
française par R. Richard Thieberger et Jean Mercure, on peut lire "que votre règne vienne, que votre volonté soit faite sur la Terre comme au
Ciel". L’Eglise qui a pour charge le domaine spirituel n’est pas censée s’étendre dans le domaine temporel. Or, contradiction suprême dans le
Paraguay des XVIIème et XVIIIème, les Jésuites créent des conditions de prospérité sociale et économique inédites dans des réductions, pour
mieux évangéliser des milliers d'Indiens. Les principes religieux président la création d’un système politique semi-démocratique proche d’une
République, protégeant ainsi de l'esclavage des populations fragilisées. Comment inscrire une telle réalité dans un système politique tyrannique
et esclavagiste globalisé ? Comment peut-on se dire sujet de la couronne d'Espagne, lorsqu'on organise, même sans le vouloir, les conditions
d'une autonomie à terme ?
Les Jésuites montrèrent leur grande efficacité à travers leurs immenses capacités d'adaptation et d'observation, et en fondant une puissante
machinerie civilisatrice qui participait à l’évolution de l'Humanité toute entière. Mais ils avaient dépassé les limites. Celles assignées dans une
interprétation implicite par tous les pouvoirs en place : la religion ne doit pas tenter de changer un système politique, mais doit le faire admettre
aux hommes qui sont sous son joug. La libération ne peut venir que de la mort. Conditions de vie meilleures et évolution humaine ne peuvent
être que le fruit du destin individuel et de la volonté de Dieu, dont on ne voulait surtout pas généraliser les lois.