CHAPITRE 17 L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE 311
17
L’offre de monnaie
et le système bancaire
Dans le secteur réel d’une économie de marchés, n’importe quel agent peut prendre
l’initiative d’offrir n’importe quel bien ou service : selon que l’intensité de la
demande pour celui-ci permet ou ne permet pas que s’établisse sur le marché un
prix suffisant pour en couvrir le coût, l’initiative de l’offreur se poursuivra, ou sera
abandonnée.
Dans le secteur monétaire, l’initiative individuelle prévaut aussi, comme le
montre ci-dessous le rôle fondamental joué par les banques commerciales. Mais le
succès n’est pas déterminé ici par un lien entre coût de production et prix de vente :
le coût de fabrication de la monnaie est en effet négligeable par rapport à l’impor-
tance des fonctions qu’elle exerce, et surtout par rapport à la difficulté de les faire
remplir effectivement et sans défaillance par une monnaie donnée. Tout le
problème réside en effet dans le fait que le bien que l’on présente comme monnaie
soit effectivement reconnu comme tel par la totalité des agents économiques. Du
point de vue de l’offreur de monnaie, il s’agit donc de susciter la confiance dans
l’instrument qu’il propose.
Pour cette raison, les offreurs de monnaie ne sont pas « n’importe quel agent
économique » ; ce sont des agents spécialisés — les banques — qui offrent la
monnaie : entreprises privées que sont les banques commerciales et institution de
statut public qu’est la banque centrale.
La section 17.1 décrit les formes matérielles de la monnaie, puisant dans l’histoire
les éléments qui permettent de mieux comprendre ses formes actuelles
La section 17.2, consacrée à l’offre de monnaie par les banques commerciales,
montre comment, par leur rôle d’intermédiaire entre besoins et surplus financiers
dans l’économie, le crédit qu’elles accordent est à la source de la création monétaire.
En cette matière opère aussi un important processus multiplicatif.
La section 17.3 poursuit l’exposé de l’offre de monnaie, cette fois par la banque
centrale, sous les formes de l’émission des billets et d’opérations en comptes courants.
La surveillance prudentielle du système financier complète le rôle de la banque
centrale dans l’offre de monnaie.
312 PARTIE II ANALYSE MONÉTAIRE
Section 17.1
Les formes de la monnaie
Bien que la monnaie se définisse de manière quelque peu immatérielle, comme on
l’a vu, par les fonctions qu’elle remplit dans la société, elle comporte un support
matériel, souvent appelé le « corpus monétaire », dont la nature et la forme ont
beaucoup évolué, aussi bien au cours du temps que dans les diverses parties du
monde.
Les trois formes principales de la monnaie décrites ci-dessous — monnaie
métallique, monnaie fiduciaire et monnaie scripturale — sont retenues non seule-
ment parce qu’elles correspondent à d’importantes différences de ce « corpus »,
mais aussi et surtout parce que la source de la création monétaire est fondamen-
talement très différente selon chacune de ces trois formes. On verra que ce sont, de
manière caractéristique, le rôle du crédit dans cette création, ainsi que le type d’agent
économique qui offre ce crédit, qui sont à la base des différences entre les principales
formes de la monnaie.
§1 La monnaie métallique
Pour qu’un objet puisse remplir la fonction de circulation, il est indispensable
qu’un large public l’admette comme jouant ce rôle. C’est pourquoi le choix ne
s’est le plus souvent pas porté sur des objets quelconques mais bien sur les métaux,
et plus particulièrement les métaux dits «précieux » — l’or et l’argent. Ceux-ci se
sont presque universellement imposés.
À la question de savoir pourquoi les métaux précieux ont joué ce rôle privilégié (avant l’avène-
ment de la monnaie de papier, à l’époque moderne, dont on traitera au paragraphe suivant), on
peut donner les éléments de réponse suivants : (i) Il fallait d’abord que le ou les biens jouant le
rôle de monnaie offrent une réelle commodité pour un usage courant. De ce point de vue, c’est le
fait qu’à valeur égale les métaux précieux offrent moins d’encombrement qui les rend préférables.
La haute valeur unitaire de ces métaux provenait essentiellement de leur rareté1, les minerais d’or
et d’argent étant parmi les moins répandus. (ii) Il fallait ensuite que ces biens aient un grand
degré d’inaltérabilité puisque, devant servir de réserve de valeur entre ventes et achats. L’or et
l’argent possèdent cette propriété. (iii) Il fallait enfin que ces biens ne puissent être reproduits trop
facilement sans quoi la rareté et la haute valeur unitaire mentionnées en (i) auraient disparu.
Il intervint enfin un autre fait : à l’origine, on utilisait des lingots pesés à l’occasion de chaque
transaction. Mais les utilisateurs se sont assez rapidement rendu compte des inconvénients qu’il
y avait à les peser, diviser, réduire à tout moment : c’est pourquoi, les métaux furent façonnés, et
plus précisément « frappés» en pièces, d’usage plus commode, et comportant une marque ou
une effigie. Cette marque ou effigie servait à attester la valeur (c’est-à-dire le poids en métal
précieux) de la pièce : c’est la valeur «faciale » de la monnaie métallique2. Pour assurer la confiance
des utilisateurs dans cette valeur faciale, certains rois et princes se sont arrogé le droit exclusif de
« battre monnaie » dans leur zone d’influence.
1Et non pas d’une quelconque valeur intrinsèque que posséderaient ces métaux.
2On attribue à Crésus, roi de Lydie en Asie mineure vers 550 avant notre ère, la première frappe de monnaies
d’or et d’argent dans le monde occidental.
CHAPITRE 17 L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE 313
Tel fut le rôle monétaire des pièces d’or ou d’argent et même parfois de cuivre, aux époques
où leur valeur faciale correspondait à celle du métal précieux qu’elles incorporaient. Aujourd’hui,
la « petite» monnaie d’utilisation courante, dite de billion (ou d’appoint), est constituée d’alliages
sans valeur appréciable (nickel, bronze, fer); son prix de revient est le plus souvent inférieur à sa
valeur faciale. Les effigies qu’elle porte ne sont donc qu’une survivance du droit régalien de
battre la monnaie métallique. En fait, cette monnaie se rapproche de la monnaie fiduciaire.
§2 La monnaie fiduciaire
a L’apparition de la monnaie fiduciaire
On peut structurer en trois stades l’évolution qui a conduit à l’apparition d’une
deuxième forme de monnaie : la monnaie fiduciaire.
Les dépôts de monnaie métallique Durant les époques qui connurent l’usage de
la monnaie métallique sur une grande échelle, suite au développement du com-
merce, effectuer de longs voyages chargé de monnaies d’or et d’argent n’était pas
sans danger. Par ailleurs, la fraude n’était pas rare : en rognant quelque peu cha-
cune des pièces émises, tout en leur conservant leur valeur faciale, les frappeurs de
monnaies accroissaient leurs moyens d’action.
Afin de se prémunir contre ces dangers, l’habitude fut prise de déposer les
monnaies métalliques chez les orfèvres (professionnellement bien équipés pour le
stockage de métaux précieux). Ceux-ci, après pesée, remettaient un certificat de
dépôt portant leur nom en tant qu’émetteur, par lequel ils s’engageaient à restituer
son dépôt au déposant. Bientôt ce furent ces promesses qui se mirent à circuler en
guise de moyen de paiement. Une première étape vers la monnaie fiduciaire était
ainsi franchie : les utilisateurs avaient en effet confiance en ces bouts de papier
représentatifs de dépôts de monnaies métalliques, en dépit du fait qu’aucune valeur
intrinsèque ne puisse leur être attribuée.
De plus, et petit à petit, les certificats de dépôts furent libellés en chiffres ronds,
« payables à vue » et « au porteur » chez l’émetteur, c’est-à-dire qu’on pouvait les
échanger chez lui contre espèces sur simple présentation. Le « billet de banque»
était né : en effet, ceux des orfèvres qui avaient développé jusqu’à ce stade-là la
double activité de réception de dépôts et d’émission de billets s’étaient en fait trans-
formés en banquiers.
Les prêts en espèces métalliques Jusque-là, ces banques n’étaient que des
« banques de dépôt ». Mais bientôt les banquiers, plutôt que de conserver dans
leurs coffres des espèces métalliques inutilisées, se mirent à les prêter à une autre
catégorie de clients : les emprunteurs. L’expérience leur permettait en effet de cons-
tater que les billets reçus par les déposants, après usage par ceux-ci dans leurs
achats, n’étaient pas nécessairement présentés, après réception par les vendeurs, à
la banque émettrice pour les échanger contre les espèces métalliques qu’ils repré-
sentaient : au contraire, ces nouveaux détenteurs utilisaient eux-mêmes les billets
pour effectuer leurs propres achats. En fait, une partie seulement des billets était
présentée au remboursement. Dès lors le banquier ne devait conserver en caisse que
le volume de monnaies métalliques nécessaire pour faire face à ces rembour-
sements-là, et pouvait prêter le reste à intérêt. Les banques de dépôt devenaient
ainsi également « banques de crédit ».
314 PARTIE II ANALYSE MONÉTAIRE
Les prêts en billets et la création de monnaie fiduciaire Le stade suivant consista
à prêter non plus des espèces métalliques reçues en dépôt, mais bien directement
des billets, émis par la banque à l’occasion de ces prêts, et même s’il n’y avait pas eu
simultanément de dépôt de monnaie métallique par quelqu’un d’autre. La masse
des billets ainsi mise en circulation devenait alors plus élevée que le stock d’espèces
métalliques présent dans la banque.
La chose était possible car ici à nouveau, les emprunteurs payant leurs achats
avec ces billets, et les vendeurs poursuivant le mouvement en utilisant à leur tour
ces billets pour effectuer leurs propres paiements, une part importante des billets
ainsi émis n’était donc pas non plus présentée au remboursement contre du métal.
Pourtant tous les billets quelle qu’en fût l’origine — émis en contrepartie de dépôts,
ou mis en circulation par des prêts bancaires — étaient garantis échangeables contre
espèces et payables à vue !
C’est à ce niveau de l’évolution que les banques devinrent créatrices de monnaie,
troisième stade de la formation de la monnaie fiduciaire3.
b Trois étapes de renforcement de la monnaie fiduciaire
Cours légal Au XIXesiècle (et même plus tôt dans certains cas), le législateur
de la plupart des pays décréta le cours légal du billet de banque, lui conférant ainsi
pouvoir libératoire dans le règlement des dettes. On entend par là qu’aux yeux des
tribunaux, un paiement en billets de banque libère le débiteur : celui-ci ne peut
être obligé de payer en monnaie métallique.
Monopole de l’émission Ce n’est toutefois pas sans mal que le billet de banque
s’est imposé comme monnaie généralement admise. Le système de son émission
présentait en effet des risques. Si des porteurs en nombre plus important que prévu
se présentaient au même moment au remboursement, la banque ne pouvait tous
les satisfaire. Accorder des crédits de manière inconsidérée pouvait conduire ainsi
à une situation d’illiquidité.
Les banques encouraient aussi un risque d’insolvabilité : si l’un de leurs clients
emprunteurs faisait faillite, il ne pouvait rembourser son prêt, mais les billets reçus
et dépensés restaient en circulation, et pouvaient toujours être présentés à l’échange
contre du métal auprès de la banque qui les avait émis. Si cette dernière éprouvait
des difficultés à faire face à ces demandes, tous les détenteurs des billets portant le
nom de cette banque se précipitaient pour obtenir cet échange avant qu’elle-même
ne tombe aussi en faillite ; et si cette faillite survenait, tous les billets émis par cette
banque perdaient évidemment leur valeur puisqu’ils ne seraient jamais remboursés.
Le billet de banque en général en tant que système de paiement, c’est-à-dire la
forme fiduciaire de la monnaie, était mis en danger par ces risques et surtout
par les paniques qui accompagnaient les faillites bancaires. Pour cette raison
l’émission de billets, qui depuis l’origine était laissée à la libre initiative des
3Le grand essor de la monnaie fiduciaire, du moins dans le monde occidental, se situe sans doute au XVesiècle,
notamment grâce aux Medici qui avaient de nombreuses succursales bancaires non seulement en Italie,
mais aussi à Londres, Lyon, Bruges, Genève… Au siècle suivant, les Fugger prirent le relais, à partir du sud de
l’Allemagne.
CHAPITRE 17 L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE 315
banques privées, a été réservée en monopole à une seule banque, appelée «banque
centrale », dans la plupart des pays occidentaux au cours du XIXesiècle (mais déjà
à la fin du XVIIe en Suède et en Angleterre) — cette banque étant soumise depuis
lors à des règles précises, fixées par l’État, en ce qui concerne l’émission de ses
billets.
Aujourd’hui, dans pratiquement tous les pays, seule la banque centrale est créa-
trice de monnaie fiduciaire. Elle le fait bien en tant que banque, et ceci explique
que le terme de « billet de banque » désigne toujours la monnaie sous sa forme
fiduciaire.
Avec l’instauration de la Banque Centrale Européenne en 1999, les onze États
des pays ayant décidé d’adopter l’euro comme monnaie commune ont transféré à
cette banque le monopole de l’émission des billets et des pièces.
Détachement de l’or Les circonstances politiques et militaires exceptionnelles
que furent les deux guerres mondiales, ainsi que diverses crises monétaires qui les
ont suivies ont amené plusieurs pays à décréter, à certaines époques du XXesiècle,
l’inconvertibilité de leur monnaie, ceci signifiant que leur banque centrale ne serait
plus tenue de rembourser en métal les billets de banque émis par elle. Au cours
légal de la monnaie s’ajoutait ainsi le cours «forcé » de celle-ci. Sous ce régime, les
agents économiques qui désirent néanmoins acquérir de l’or doivent le faire en
s’adressant au marché de l’or, et non pas à la banque centrale.
Les USA ont ainsi depuis 1933 rendu le dollar inconvertible en or, du moins
pour les résidents; en 1971, ils ont étendu cette mesure à l’égard des détenteurs de
dollars dans le reste du monde. En Europe, c’est aussi dans le courant des années
1970 que les banques centrales ont été définitivement libérées de l’obligation de
convertibilité en métal des monnaies qu’elles émettent. Finalement, l’euro a été
lancé au 1er janvier 1999 sans qu’il soit en rien «défini » par rapport à l’or.
Cette évolution du développement des monnaies fiduciaires est ainsi marquée
par un détachement progressif de la référence métallique qui leur a donné naissance,
et en particulier à l’égard de l’or qui, aujourd’hui, ne joue plus aucun rôle direct
dans la détermination de la valeur d’une monnaie fiduciaire. En fait, le cours forcé
est aujourd’hui généralisé.
§3 La monnaie scripturale
La troisième forme de la monnaie est la monnaie scripturale, créée par jeux
d’écritures comptables, appelée aussi «monnaie bancaire ». C’est celle qui permet
d’effectuer les paiements par de simples jeux d’écriture, au départ des dépôts
bancaires utilisables sans préavis, appelés « dépôts en compte courant » ou encore
« dépôts à vue ».
La monnaie scripturale, ou bancaire, est constituée par les dépôts faits par les
agents économiques auprès des banques commerciales ou de la banque centrale.
Il ne faut pas la confondre avec les instruments par le truchement desquels elle
circule, tels que le chèque, les cartes de paiement ou de crédit.
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