L`offre de monnaie et le système bancaire

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CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
311
17
L’offre de monnaie
et le système bancaire
Dans le secteur réel d’une économie de marchés, n’importe quel agent peut prendre
l’initiative d’offrir n’importe quel bien ou service : selon que l’intensité de la
demande pour celui-ci permet ou ne permet pas que s’établisse sur le marché un
prix suffisant pour en couvrir le coût, l’initiative de l’offreur se poursuivra, ou sera
abandonnée.
Dans le secteur monétaire, l’initiative individuelle prévaut aussi, comme le
montre ci-dessous le rôle fondamental joué par les banques commerciales. Mais le
succès n’est pas déterminé ici par un lien entre coût de production et prix de vente :
le coût de fabrication de la monnaie est en effet négligeable par rapport à l’importance des fonctions qu’elle exerce, et surtout par rapport à la difficulté de les faire
remplir effectivement et sans défaillance par une monnaie donnée. Tout le
problème réside en effet dans le fait que le bien que l’on présente comme monnaie
soit effectivement reconnu comme tel par la totalité des agents économiques. Du
point de vue de l’offreur de monnaie, il s’agit donc de susciter la confiance dans
l’instrument qu’il propose.
Pour cette raison, les offreurs de monnaie ne sont pas « n’importe quel agent
économique » ; ce sont des agents spécialisés — les banques — qui offrent la
monnaie : entreprises privées que sont les banques commerciales et institution de
statut public qu’est la banque centrale.
• La section 17.1 décrit les formes matérielles de la monnaie, puisant dans l’histoire
les éléments qui permettent de mieux comprendre ses formes actuelles
• La section 17.2, consacrée à l’offre de monnaie par les banques commerciales,
montre comment, par leur rôle d’intermédiaire entre besoins et surplus financiers
dans l’économie, le crédit qu’elles accordent est à la source de la création monétaire.
En cette matière opère aussi un important processus multiplicatif.
• La section 17.3 poursuit l’exposé de l’offre de monnaie, cette fois par la banque
centrale, sous les formes de l’émission des billets et d’opérations en comptes courants.
La surveillance prudentielle du système financier complète le rôle de la banque
centrale dans l’offre de monnaie.
312
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
Section 17.1
Les formes de la monnaie
Bien que la monnaie se définisse de manière quelque peu immatérielle, comme on
l’a vu, par les fonctions qu’elle remplit dans la société, elle comporte un support
matériel, souvent appelé le « corpus monétaire », dont la nature et la forme ont
beaucoup évolué, aussi bien au cours du temps que dans les diverses parties du
monde.
Les trois formes principales de la monnaie décrites ci-dessous — monnaie
métallique, monnaie fiduciaire et monnaie scripturale — sont retenues non seulement parce qu’elles correspondent à d’importantes différences de ce « corpus »,
mais aussi et surtout parce que la source de la création monétaire est fondamentalement très différente selon chacune de ces trois formes. On verra que ce sont, de
manière caractéristique, le rôle du crédit dans cette création, ainsi que le type d’agent
économique qui offre ce crédit, qui sont à la base des différences entre les principales
formes de la monnaie.
§1
La monnaie métallique
Pour qu’un objet puisse remplir la fonction de circulation, il est indispensable
qu’un large public l’admette comme jouant ce rôle. C’est pourquoi le choix ne
s’est le plus souvent pas porté sur des objets quelconques mais bien sur les métaux,
et plus particulièrement les métaux dits « précieux » — l’or et l’argent. Ceux-ci se
sont presque universellement imposés.
À la question de savoir pourquoi les métaux précieux ont joué ce rôle privilégié (avant l’avènement de la monnaie de papier, à l’époque moderne, dont on traitera au paragraphe suivant), on
peut donner les éléments de réponse suivants : (i) Il fallait d’abord que le ou les biens jouant le
rôle de monnaie offrent une réelle commodité pour un usage courant. De ce point de vue, c’est le
fait qu’à valeur égale les métaux précieux offrent moins d’encombrement qui les rend préférables.
La haute valeur unitaire de ces métaux provenait essentiellement de leur rareté1, les minerais d’or
et d’argent étant parmi les moins répandus. (ii) Il fallait ensuite que ces biens aient un grand
degré d’inaltérabilité puisque, devant servir de réserve de valeur entre ventes et achats. L’or et
l’argent possèdent cette propriété. (iii) Il fallait enfin que ces biens ne puissent être reproduits trop
facilement sans quoi la rareté et la haute valeur unitaire mentionnées en (i) auraient disparu.
Il intervint enfin un autre fait : à l’origine, on utilisait des lingots pesés à l’occasion de chaque
transaction. Mais les utilisateurs se sont assez rapidement rendu compte des inconvénients qu’il
y avait à les peser, diviser, réduire à tout moment : c’est pourquoi, les métaux furent façonnés, et
plus précisément « frappés » en pièces, d’usage plus commode, et comportant une marque ou
une effigie. Cette marque ou effigie servait à attester la valeur (c’est-à-dire le poids en métal
précieux) de la pièce : c’est la valeur « faciale » de la monnaie métallique2. Pour assurer la confiance
des utilisateurs dans cette valeur faciale, certains rois et princes se sont arrogé le droit exclusif de
« battre monnaie » dans leur zone d’influence.
1
Et non pas d’une quelconque valeur intrinsèque que posséderaient ces métaux.
On attribue à Crésus, roi de Lydie en Asie mineure vers 550 avant notre ère, la première frappe de monnaies
d’or et d’argent dans le monde occidental.
2
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
313
Tel fut le rôle monétaire des pièces d’or ou d’argent et même parfois de cuivre, aux époques
où leur valeur faciale correspondait à celle du métal précieux qu’elles incorporaient. Aujourd’hui,
la « petite » monnaie d’utilisation courante, dite de billion (ou d’appoint), est constituée d’alliages
sans valeur appréciable (nickel, bronze, fer) ; son prix de revient est le plus souvent inférieur à sa
valeur faciale. Les effigies qu’elle porte ne sont donc qu’une survivance du droit régalien de
battre la monnaie métallique. En fait, cette monnaie se rapproche de la monnaie fiduciaire.
§2
La monnaie fiduciaire
a L’apparition de la monnaie fiduciaire
On peut structurer en trois stades l’évolution qui a conduit à l’apparition d’une
deuxième forme de monnaie : la monnaie fiduciaire.
Les dépôts de monnaie métallique Durant les époques qui connurent l’usage de
la monnaie métallique sur une grande échelle, suite au développement du commerce, effectuer de longs voyages chargé de monnaies d’or et d’argent n’était pas
sans danger. Par ailleurs, la fraude n’était pas rare : en rognant quelque peu chacune des pièces émises, tout en leur conservant leur valeur faciale, les frappeurs de
monnaies accroissaient leurs moyens d’action.
Afin de se prémunir contre ces dangers, l’habitude fut prise de déposer les
monnaies métalliques chez les orfèvres (professionnellement bien équipés pour le
stockage de métaux précieux). Ceux-ci, après pesée, remettaient un certificat de
dépôt portant leur nom en tant qu’émetteur, par lequel ils s’engageaient à restituer
son dépôt au déposant. Bientôt ce furent ces promesses qui se mirent à circuler en
guise de moyen de paiement. Une première étape vers la monnaie fiduciaire était
ainsi franchie : les utilisateurs avaient en effet confiance en ces bouts de papier
représentatifs de dépôts de monnaies métalliques, en dépit du fait qu’aucune valeur
intrinsèque ne puisse leur être attribuée.
De plus, et petit à petit, les certificats de dépôts furent libellés en chiffres ronds,
« payables à vue » et « au porteur » chez l’émetteur, c’est-à-dire qu’on pouvait les
échanger chez lui contre espèces sur simple présentation. Le « billet de banque »
était né : en effet, ceux des orfèvres qui avaient développé jusqu’à ce stade-là la
double activité de réception de dépôts et d’émission de billets s’étaient en fait transformés en banquiers.
Les prêts en espèces métalliques Jusque-là, ces banques n’étaient que des
« banques de dépôt ». Mais bientôt les banquiers, plutôt que de conserver dans
leurs coffres des espèces métalliques inutilisées, se mirent à les prêter à une autre
catégorie de clients : les emprunteurs. L’expérience leur permettait en effet de constater que les billets reçus par les déposants, après usage par ceux-ci dans leurs
achats, n’étaient pas nécessairement présentés, après réception par les vendeurs, à
la banque émettrice pour les échanger contre les espèces métalliques qu’ils représentaient : au contraire, ces nouveaux détenteurs utilisaient eux-mêmes les billets
pour effectuer leurs propres achats. En fait, une partie seulement des billets était
présentée au remboursement. Dès lors le banquier ne devait conserver en caisse que
le volume de monnaies métalliques nécessaire pour faire face à ces remboursements-là, et pouvait prêter le reste à intérêt. Les banques de dépôt devenaient
ainsi également « banques de crédit ».
314
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
Les prêts en billets et la création de monnaie fiduciaire Le stade suivant consista
à prêter non plus des espèces métalliques reçues en dépôt, mais bien directement
des billets, émis par la banque à l’occasion de ces prêts, et même s’il n’y avait pas eu
simultanément de dépôt de monnaie métallique par quelqu’un d’autre. La masse
des billets ainsi mise en circulation devenait alors plus élevée que le stock d’espèces
métalliques présent dans la banque.
La chose était possible car ici à nouveau, les emprunteurs payant leurs achats
avec ces billets, et les vendeurs poursuivant le mouvement en utilisant à leur tour
ces billets pour effectuer leurs propres paiements, une part importante des billets
ainsi émis n’était donc pas non plus présentée au remboursement contre du métal.
Pourtant tous les billets quelle qu’en fût l’origine — émis en contrepartie de dépôts,
ou mis en circulation par des prêts bancaires — étaient garantis échangeables contre
espèces et payables à vue !
C’est à ce niveau de l’évolution que les banques devinrent créatrices de monnaie,
troisième stade de la formation de la monnaie fiduciaire3.
b Trois étapes de renforcement de la monnaie fiduciaire
Cours légal Au XIXe siècle (et même plus tôt dans certains cas), le législateur
de la plupart des pays décréta le cours légal du billet de banque, lui conférant ainsi
pouvoir libératoire dans le règlement des dettes. On entend par là qu’aux yeux des
tribunaux, un paiement en billets de banque libère le débiteur : celui-ci ne peut
être obligé de payer en monnaie métallique.
Monopole de l’émission Ce n’est toutefois pas sans mal que le billet de banque
s’est imposé comme monnaie généralement admise. Le système de son émission
présentait en effet des risques. Si des porteurs en nombre plus important que prévu
se présentaient au même moment au remboursement, la banque ne pouvait tous
les satisfaire. Accorder des crédits de manière inconsidérée pouvait conduire ainsi
à une situation d’illiquidité.
Les banques encouraient aussi un risque d’insolvabilité : si l’un de leurs clients
emprunteurs faisait faillite, il ne pouvait rembourser son prêt, mais les billets reçus
et dépensés restaient en circulation, et pouvaient toujours être présentés à l’échange
contre du métal auprès de la banque qui les avait émis. Si cette dernière éprouvait
des difficultés à faire face à ces demandes, tous les détenteurs des billets portant le
nom de cette banque se précipitaient pour obtenir cet échange avant qu’elle-même
ne tombe aussi en faillite ; et si cette faillite survenait, tous les billets émis par cette
banque perdaient évidemment leur valeur puisqu’ils ne seraient jamais remboursés.
Le billet de banque en général en tant que système de paiement, c’est-à-dire la
forme fiduciaire de la monnaie, était mis en danger par ces risques et surtout
par les paniques qui accompagnaient les faillites bancaires. Pour cette raison
l’émission de billets, qui depuis l’origine était laissée à la libre initiative des
3
Le grand essor de la monnaie fiduciaire, du moins dans le monde occidental, se situe sans doute au XVe siècle,
notamment grâce aux Medici qui avaient de nombreuses succursales bancaires non seulement en Italie,
mais aussi à Londres, Lyon, Bruges, Genève… Au siècle suivant, les Fugger prirent le relais, à partir du sud de
l’Allemagne.
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
315
banques privées, a été réservée en monopole à une seule banque, appelée « banque
centrale », dans la plupart des pays occidentaux au cours du XIXe siècle (mais déjà
à la fin du XVIIe en Suède et en Angleterre) — cette banque étant soumise depuis
lors à des règles précises, fixées par l’État, en ce qui concerne l’émission de ses
billets.
Aujourd’hui, dans pratiquement tous les pays, seule la banque centrale est créatrice de monnaie fiduciaire. Elle le fait bien en tant que banque, et ceci explique
que le terme de « billet de banque » désigne toujours la monnaie sous sa forme
fiduciaire.
Avec l’instauration de la Banque Centrale Européenne en 1999, les onze États
des pays ayant décidé d’adopter l’euro comme monnaie commune ont transféré à
cette banque le monopole de l’émission des billets et des pièces.
Détachement de l’or Les circonstances politiques et militaires exceptionnelles
que furent les deux guerres mondiales, ainsi que diverses crises monétaires qui les
ont suivies ont amené plusieurs pays à décréter, à certaines époques du XXe siècle,
l’inconvertibilité de leur monnaie, ceci signifiant que leur banque centrale ne serait
plus tenue de rembourser en métal les billets de banque émis par elle. Au cours
légal de la monnaie s’ajoutait ainsi le cours « forcé » de celle-ci. Sous ce régime, les
agents économiques qui désirent néanmoins acquérir de l’or doivent le faire en
s’adressant au marché de l’or, et non pas à la banque centrale.
Les USA ont ainsi depuis 1933 rendu le dollar inconvertible en or, du moins
pour les résidents ; en 1971, ils ont étendu cette mesure à l’égard des détenteurs de
dollars dans le reste du monde. En Europe, c’est aussi dans le courant des années
1970 que les banques centrales ont été définitivement libérées de l’obligation de
convertibilité en métal des monnaies qu’elles émettent. Finalement, l’euro a été
lancé au 1er janvier 1999 sans qu’il soit en rien « défini » par rapport à l’or.
Cette évolution du développement des monnaies fiduciaires est ainsi marquée
par un détachement progressif de la référence métallique qui leur a donné naissance,
et en particulier à l’égard de l’or qui, aujourd’hui, ne joue plus aucun rôle direct
dans la détermination de la valeur d’une monnaie fiduciaire. En fait, le cours forcé
est aujourd’hui généralisé.
§3
La monnaie scripturale
La troisième forme de la monnaie est la monnaie scripturale, créée par jeux
d’écritures comptables, appelée aussi « monnaie bancaire ». C’est celle qui permet
d’effectuer les paiements par de simples jeux d’écriture, au départ des dépôts
bancaires utilisables sans préavis, appelés « dépôts en compte courant » ou encore
« dépôts à vue ».
La monnaie scripturale, ou bancaire, est constituée par les dépôts faits par les
agents économiques auprès des banques commerciales ou de la banque centrale.
Il ne faut pas la confondre avec les instruments par le truchement desquels elle
circule, tels que le chèque, les cartes de paiement ou de crédit.
17.1
316
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
Le chèque est l’instrument de base à cet égard. Il n’est pas la monnaie elle-même parce qu’il n’est
qu’un ordre de payer une certaine somme à un tiers, ordre donné par le tireur à une banque dans
laquelle il a au préalable fait un dépôt ou obtenu une ouverture de crédit.
Sans doute le chèque (dont l’existence est ancienne) est-il suppléé aujourd’hui, et même dans
une large mesure supplanté, par d’autres instruments ; mais ceux-ci ont tous en commun avec
lui de comporter un élément d’écriture émanant du propriétaire du dépôt, écriture par laquelle
celui-ci autorise un prélèvement sur le dépôt. Tel est aussi le cas des cartes bancaires dites « de
paiement » qui permettent d’effectuer des paiements chez les commerçants en débitant à distance
un compte en banque4, ou encore de retirer des billets dans des distributeurs automatiques. Ces
cartes ne sont pas de la monnaie ; ce ne sont que des moyens techniques d’utilisation de la monnaie
bancaire, moyennant « signature » par un code numérique secret. Il en va encore de même du
« télébanking », c’est-à-dire des ordres de paiement par ordinateur émis à partir du domicile du
titulaire d’un compte en banque, avec signature par code secret5. Et il est donc inexact de parler,
dans ces divers cas, de « monnaie électronique » ou de « monnaie de plastique ».
La forme bancaire de la monnaie ainsi décrite donne-t-elle lieu à création de
monnaie, comme c’est le cas de la forme fiduciaire, ainsi que celle constituée par les
espèces métalliques ? La réponse est affirmative, mais elle demande un exposé plus
détaillé, qui sera donné ci-dessous, sur le rôle des banques dans le système monétaire.
Remarquons entre-temps qu’un fil conducteur principal de l’évolution monétaire est le fait de la dématérialisation du corpus monétaire.
§4
La quasi-monnaie
Pour mémoire, rappelons l’existence de ce que nous avons appelé la quasi-monnaie,
constituée essentiellement par les dépôts à terme dans les banques, qui donnent
lieu eux aussi à opérations de prêt et donc à création de monnaie bancaire.
Il ne s’agit plus de monnaie à proprement parler, car les montants de ces dépôts
ne sont pas immédiatement mobilisables. Ils le sont cependant aisément6 en cas de
besoin. Le rôle qu’ils jouent dans l’économie est dès lors de même type que la
monnaie au sens strict ; il conviendra de s’en rappeler au moment de l’étude de la
politique monétaire.
§5
17.2
Le stock monétaire et les agrégats qui le mesurent
On appelle « stock monétaire » la masse globale de monnaie qui circule dans
l’économie ;
la suite de l’exposé montrera qu’on peut aussi le définir comme :
la somme des actifs monétaires détenus par les agents économiques non bancaires.
4
Distincte de la carte « de crédit », qui ne débite pas le compte au moment du paiement. Ce débit a lieu plus
tard et, entre-temps, il y a précisément crédit.
5
On peut encore mentionner le virement, qui est un ordre donné à sa banque par le détenteur d’un compte à
vue, de transférer des fonds de ce compte vers un autre compte, détenu par quelqu’un d’autre ou par lui-même,
dans la même banque ou dans une autre banque.
6
On verra plus loin (chapitres 18 et 25) comment se fait cette mobilisation.
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
317
De la présentation qui vient d’être faite, on peut déduire qu’aujourd’hui le stock
monétaire de la plupart des pays est composé
• de la monnaie fiduciaire (billets et pièces) en circulation dans le public7, et
• de la monnaie scripturale (dépôts à vue auprès des banques commerciales).
On désigne souvent par M1 la somme de ces deux masses. Elles ont en commun
de constituer des actifs directement utilisables comme monnaie, sans aucun coût de
transformation.
Si l’on inclut la quasi-monnaie, c’est-à-dire les dépôts à court terme (par convention, la Banque Centrale Européenne inclut les dépôts jusqu’à deux ans de
maturité) dans l’évaluation du stock monétaire, un agrégat plus large est défini,
auquel on a donné le label M2.
Dans le même esprit, un troisième agrégat, M3, a été défini comme la somme de
M2 et d’autres actifs à caractère quasi monétaire, tels que les participations dans
des fonds communs de placement monétaires ou encore d’autres instruments du
marché monétaire tels que des créances détenues à court terme sur les pouvoirs
publics (appelés certificats de Trésorerie ou T-bills). Ceci revient à considérer ces
dépôts ou créances comme source de moyens de paiement, même si un tel usage
requiert pour les mobiliser un délai encore plus important que dans le cas de la
quasi-monnaie.
En raison de la difficulté qu’il y a de placer certains actifs dans l’une ou l’autre de ces catégories,
en raison aussi de l’émergence de produits nouveaux, d’autres définitions d’agrégats sont encore
apparues, allant jusqu’à « M5 » aux États-Unis.
L’intérêt de ces distinctions entre agrégats n’est pas seulement celui de définitions comptables :
ce qu’ils représentent prend une importance considérable lorsqu’un pays en fait un objet de sa
politique monétaire (matière qui sera traitée au chapitre 25). Les définitions des agrégats n’ont
alors de valeur que dans la mesure où elles servent les objectifs de cette politique monétaire.
Comme ces objectifs varient d’un pays à l’autre, les définitions pertinentes du stock monétaire
varient aussi.
Section 17.2
L’offre de monnaie
par les banques commerciales
§1
L’intermédiation financière
Le graphique du circuit économique, que nous employons depuis le chapitre 2
pour illustrer la structure fondamentale d’une économie de marchés (figure 2.4),
suggère clairement que la monnaie joue un rôle dans pratiquement toutes les
interactions entre agents économiques — que ce soit lors des ventes et achats de
biens et services, ou à l’occasion de la rémunération des facteurs de production.
7
Les billets stockés à l’imprimerie de la Banque Centrale n’ont pas de valeur monétaire.
318
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
L’omniprésence de la monnaie, et surtout la portée exacte de son rôle, sont
toutefois incomplètement représentées par cette image. En effet les comportements
des divers agents économiques ne sont pas identiques au fil temps, comme on l’a
vu au chapitre 8 : certains désirent épargner, n’affectant pas la totalité de leurs
revenus à l’achat de biens et de services ; une partie de ces revenus, et donc de la
monnaie reçue à ce titre, semble ainsi soustraite au circuit. Inversement d’autres
agents, désirant dépenser plus que leurs revenus, empruntent ; c’est le cas par exemple d’une entreprise désireuse d’investir, ou d’un ménage désireux de construire
une maison ; ou encore de l’État lorsque ses intentions de dépenses excèdent ses
recettes fiscales et autres.
Ceci conduit à faire une distinction entre les agents économiques qui, ne
dépensant pas la totalité de leurs revenus, sont en « surplus financier », et ceux qui,
désirant dépenser plus que leurs revenus, sont en « déficit financier ». Le rôle du
système financier est précisément de mettre en contact, par un circuit spécifique,
ces deux catégories d’agents, les seconds pouvant alors obtenir la monnaie
nécessaire à leurs dépenses en empruntant auprès des premiers.
a Le financement direct
En échange de la monnaie qu’ils cèdent, les agents économiques en surplus financier
acquièrent des créances, appelées « actifs financiers ». De leur côté, les agents
économiques en déficit financier se procurent cette monnaie en cédant des actifs
financiers, qui de leur point de vue constituent des titres par lesquels ils reconnaissent leur engagement. En pratique, ils cèdent soit une reconnaissance de dette (par
exemple une obligation), ou même un titre de participation dans la propriété de
l’entreprise (action). Ces opérations s’effectuent à un certain prix, constitué par
l’intérêt obtenu par le prêteur et payé par l’emprunteur, ou par le prix d’émission
de l’action.
Lorsque le processus se déroule directement, l’emprunteur se procure immédiatement la monnaie auprès du prêteur, en échange d’un actif financier qu’il lui
remet. C’est le cas lorsque par exemple une entreprise privée ou l’État émettent un
emprunt sous la forme d’obligations auxquelles souscrivent les ménages ou d’autres
sociétés. Plus généralement, le financement est appelé « direct » chaque fois qu’il a
lieu sans implication d’un intermédiaire qui s’engagerait lui-même sur le plan
financier. Dans la pratique, tel est le cas lorsque le contact a lieu par exemple par le
canal d’agents de change ou celui de banques qui procèdent au placement d’obligations auprès des particuliers ; en l’occurrence, ces intermédiaires n’interviennent
pas pour leur propre compte, ils ne jouent en quelque sorte que le rôle de guichetier.
b Le financement indirect par les intermédiaires financiers
La situation est différente lorsque les intermédiaires achètent de telles obligations
pour eux-mêmes, tout en ayant l’intention de revendre par la suite ces actifs au
public : dans ce cas, le financement est dit « indirect ».
En pratique, il n’est en effet pas toujours facile pour un emprunteur de trouver
un ou des prêteurs qui lui fassent confiance et lui prêtent le volume de fonds désiré
selon les modalités qui conviennent. On imagine mal, par exemple, qu’un ménage
qui souhaite entreprendre la construction d’une maison, cherche auprès de divers
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
319
autres ménages les fonds indispensables ; en supposant même qu’il rencontre des
candidats prêteurs, il est probable que chacun de ceux-ci envisage le prêt d’une
façon différente quant à sa durée et à son mode de remboursement, pour n’évoquer
que ces deux éléments. On comprend dès lors qu’un rôle utile puisse être joué par
des organismes spécialisés, à savoir les intermédiaires financiers.
Ce rôle est double. D’une part, ils collectent l’épargne financière des agents
économiques en surplus, en émettant toute une gamme de titres d’endettement
« standardisés » : comptes ou livrets d’épargne, dépôts à terme ou à préavis, obligations et bons de caisse, etc., auxquels le public est habitué, et parmi lesquels il peut
choisir en fonction de ses préférences (durée du placement, taux d’intérêt,…).
D’autre part, ils assurent le financement des agents en déficit financier en leur
octroyant, au moyen des fonds récoltés, des crédits dont les modalités sont adaptées
aux besoins de ces emprunteurs : crédits à court terme à la consommation ou à
long terme à l’habitation (crédit hypothécaire), accordés aux ménages ; crédits à
court ou à long terme aux sociétés, en vue de financer leurs fonds de roulement ou
leurs investissements ; crédits à l’État, ou aux pouvoirs locaux (communes, etc.).
Par rapport au financement direct, le financement indirect revient donc à
couper en deux l’opération de financement : d’une part, la collecte de l’épargne
financière, d’autre part la distribution de crédits. Et grâce à l’intervention des
intermédiaires financiers, le souci de sécurité ainsi que les préférences des prêteurs
peuvent être rencontrés, tout en couvrant de manière adéquate les besoins des
emprunteurs.
Financement direct et financement indirect coexistent largement aujourd’hui.
Le financement direct s’est toutefois développé et internationalisé considérablement ces dernières années, à tel point que l’on parle beaucoup d’une vague de
« désintermédiation » financière. Les instruments informatiques et télématiques
permettant le contact direct entre agents en surplus et agents en déficit y sont pour
beaucoup.
§2
La création monétaire par les banques commerciales
a Le crédit crée la monnaie
Le financement indirect que l’on vient d’exposer se fait essentiellement par le
truchement des opérations de crédit que consentent les intermédiaires financiers,
ces derniers étant essentiellement les banques commerciales.
Ceci entraîne une conséquence majeure pour l’objet de ce chapitre, à savoir :
le crédit bancaire donne lieu à création de monnaie.
En effet, soit l’entreprise E devant payer un fournisseur, mais ne disposant pas
des liquidités nécessaires pour faire face à son engagement. S’adressant à la banque
A, elle lui emprunte la somme en question, d’un montant supposé de 1 000 S. Par
le simple fait d’accorder ce crédit, la banque A crée de la monnaie à concurrence de
1 000 S, parce que l’entreprise E dispose maintenant de la possibilité d’effectuer des
paiements pour ce montant, tandis que dans le reste de l’économie, les signes monétaires
disponibles n’ont en rien diminué.
17.1
320
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
Si M était le stock monétaire de l’économie avant l’octroi de ce crédit, convenons
de noter ∆M la variation de ce stock à la suite de celui-ci, c’est-à-dire la quantité de
monnaie nouvelle créée. On a donc :
∆M = 1 000 S
La monnaie ainsi créée est évidemment de la monnaie scripturale puisque seule
la banque centrale peut aujourd’hui créer de la monnaie fiduciaire. Remarquons
de plus que cette création de monnaie se fait sans utilisation de billets, et sans
intervention préalable d’une banque centrale ou d’aucun organisme d’émission.
Dans la suite il nous sera utile de savoir comment une telle opération de crédit
apparaît au bilan de la banque A. C’est ce que nous montrons au tableau ci-dessous,
qui est limité à la modification du bilan après attribution du crédit. Le montant de
ce dernier apparaît d’une part à l’actif, étant considéré comme une créance que
« possède » la banque sur son emprunteur ; il apparaît d’autre part au passif, sous
l’intitulé du compte à vue de l’emprunteur, comme un montant (identique) que la
banque lui « doit » puisque c’est ce qu’elle s’est engagée à couvrir. Ces deux écritures
comptables parallèles illustrent bien le lien entre crédit accordé (actif de la banque)
et monnaie créée (passif de la banque).
Bilan de la banque A
Actif
Passif
Crédit à la Société E
(créance sur E)
1 000
Compte à vue de la société E
(engagement à l’égard de E)
1 000
Total
1 000
Total
1 000
b Le processus multiplicatif associé à la création monétaire
par le crédit bancaire
La création monétaire entraînée par l’opération de crédit qu’on vient de décrire
ne s’arrête toutefois pas là. En effet, tout crédit consenti donne lieu à d’autres
crédits, qui à leur tour en génèrent d’autres, selon un processus potentiellement
infini ! La quantité de monnaie ainsi nouvellement créée n’est toutefois pas infinie,
comme on va le voir par l’exposé du processus.
• Lorsque l’entreprise E dépense la somme de 1 000 S qu’elle a empruntée, disons
au jour 1, cette somme, après avoir été perçue par ses créanciers a bien des chances
au jour 2 d’être déposée par eux, en partie ou en totalité, dans d’autres banques8 —
que nous désignerons globalement, pour la facilité de l’exposé, comme étant la
banque B. Supposons que la totalité des 1 000 S soit ainsi virée du compte que détient
E auprès de la banque A, vers le compte des créanciers de E auprès de la banque B.
En contrepartie de ce nouveau dépôt, la banque B se trouve en possession d’un
avoir (sous forme de dépôt) auprès de la banque A, avoir qui dans le bilan de A se
substitue au montant en compte à vue qu’y possédait E (montant qui a maintenant
disparu). En conséquence, les bilans des banques A et B deviennent respectivement :
8
Comme le dit l’adage anglo-saxon : loans make deposits.
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
Bilan de la banque A au jour 2
Actif
321
Bilan de la banque B au jour 2
Passif
Actif
Passif
Crédit
à la Société E
(créance sur E)
1 000
Dépôt
de la banque B 1 000
Dépôt
à la banque A
1 000
Compte à vue
des créanciers
de E
1 000
Total
1 000
Total
Total
1 000
Total
1 000
1 000
Le stock monétaire n’est pas affecté par ce transfert : le compte à vue de E à la banque A est
simplement remplacé par le compte à vue de ses créanciers dans la banque B. Quant au dépôt de
B chez A, il ne fait pas partie du stock monétaire, car il ne s’agit pas d’un moyen de paiement mis
à la disposition de l’économie par l’ensemble du système bancaire pris comme un tout unique.
• La banque B peut alors se servir de ce dépôt pour faire des prêts, tout en
gardant cependant une marge de sécurité, ou « réserve », en vue de faire face à des
retraits éventuels.
À ce propos,
on appelle coefficient de réserve d’une banque commerciale le pourcentage du
montant des dépôts qu’elle s’impose de conserver sous forme liquide, au lieu de
le prêter à ses clients emprunteurs.
17.3
Si le coefficient de réserve que se choisit la banque B est égal à 20 %, elle gardera
donc une marge de 200 S sur le dépôt de 1 000 S, et envisagera de ne prêter que
jusqu’à 800 S.
Supposons qu’elle décide d’agir ainsi et octroie à X, au jour 3, un crédit de 800 S.
Supposons en outre, pour simplifier l’exposé, que X possède un compte auprès de
la banque A. La banque B peut alors octroyer son crédit à X en transférant 800 S
sur ce compte. Les bilans des banques A et B deviennent alors :
Bilan de la banque A au jour 3
Bilan de la banque B au jour 3
Actif
Actif
Passif
Crédit
à la Société E
1 000
(créance sur E)
Dépôt
de la banque B
Total
1 000
Passif
Dépôt
à la banque A
200
Compte à vue d’X 800
Crédit à X
800
Total
Total
200
1 000
1 000
Compte à vue
des créanciers
de E
1 000
Total
1 000
Dès l’instant où ce prêt est consenti, il y a 800 T de monnaie nouvelle dans l’économie,
créés par la banque B. En effet, les déposants des 1 000 S (les créanciers de E) peuvent
toujours en disposer par chèques et virements sur la banque B, tandis que les 800 S
peuvent eux aussi être utilisés par ceux qui les ont empruntés.
322
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
La quantité totale de monnaie nouvelle injectée dans l’économie à l’issue de
cette deuxième étape du processus devient dès lors égale à :
∆M = 1000 S + 800 S
ce qui peut aussi s’écrire
∆M = 1000 S × (1 + 0 , 8)
où 0,8 est la fraction du dépôt que la banque B ne conserve pas en réserve, c’est-àdire le complément à l’unité du coefficient de réserve.
Pourquoi la banque B n’a-t-elle pas prêté la totalité des 1 000 S reçus des créanciers ? Tout
simplement parce que ceux-ci peuvent à tout moment utiliser leur compte, par exemple pour le
transférer dans une autre banque. Si les 1 000 étaient prêtés, B devrait réclamer le remboursement de ce prêt afin d’être en mesure de faire face à un tel retrait, ce qui n’est pas possible si le
crédit a été accordé pour une longue période. Par contre, le compte à vue que B détient auprès de
A peut bien lui permettre de faire face à ses obligations. Mais alors, pourquoi B ne conserve-t-elle
pas 100 % des dépôts reçus ? Parce qu’elle sait que statistiquement, sur l’ensemble des dépôts
collectés, une fraction seulement peut-être mobilisée de manière inattendue par leurs titulaires.
Par ailleurs, les crédits accordés sont une source de profit pour la banque. Elle va donc s’efforcer
de gérer au mieux sa rentabilité, tout en assurant sa liquidité, c’est-à-dire sa capacité à faire face
à des retraits de déposants.
• Mais les 800 S nouvellement prêtés sont à leur tour utilisés, et finissent par se
retrouver déposés dans une banque que nous appellerons C.
Le processus multiplicatif se poursuit dès le moment où la banque C décide à
son tour de ne pas conserver en caisse la totalité de son dépôt. Si elle considère
également qu’une réserve de 20 % suffit, elle prêtera 0,8 × 800 S = 640 S, et ne
gardera que 160 S.
Par le crédit de 640 S ainsi injectés dans le circuit, un montant équivalent de
monnaie bancaire nouvelle est créé par la banque C.
Globalement la quantité totale de monnaie nouvelle créée dans l’économie à
l’issue de cette troisième étape du processus est de :
∆M = 1000 S + 800 S + 640 S
c’est-à-dire
∆M = 1000 S + (0 , 8 × 1000 S) + (0 , 8 × (0 , 8 × 1000 S))
(
= 1000 S × 1 + 0 , 8 + (0 , 8) 2
)
• Mais le crédit de 640 S donnera lieu lui aussi à de nouveaux dépôts, dans la
banque D par exemple. Ceci lui permet dès lors de faire aussi des prêts. Si elle
adopte un coefficient de réserve de 20 %, ses prêts se feront à concurrence de
0,8 × 640 S = 512 S, sa couverture étant de 128 S. Par ce crédit, un montant égal de
monnaie bancaire nouvelle est créé, ce qui entraîne au niveau global, à cette quatrième
étape du processus, une quantité de monnaie nouvelle égale à
(
∆M = 1000 S × 1 + 0 , 8 + (0 , 8) 2 + (0 , 8) 3
)
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
323
• Le processus peut ainsi se poursuivre indéfiniment. Remarquons cependant
que la somme prêtée à chaque stade est de plus en plus petite, puisqu’elle ne vaut
que 0,8 fois la somme déposée ; la quantité de monnaie finalement créée n’est
donc pas infinie. Son montant exact est donné par relation suivante :
∆M = 1000 S ×
∞
∑ (0 , 8)
i
i=0
dans laquelle le second facteur n’est autre que la somme des termes d’une
progression géométrique de raison 0,8. Un raisonnement mathématique classique
permet d’écrire que cette somme a pour valeur :
1
1
=
=5
1 − 0, 8 0, 2
On a donc
∆M = 1000 S ×
1
= 5000 S
1 − 0, 8
ou, en mots,
la quantité de monnaie bancaire nouvelle créée par le processus multiplicatif des
dépôts et des prêts, est obtenue en multipliant le montant du crédit initial par
l’inverse du coefficient de réserve.
17.2
En termes arithmétiques, ceci s’écrit, pour l’exemple dont nous avons traité :
∆M = 1000 S ×
1
= 5000 S
0, 2
Dans cette relation, le rôle essentiel est joué par le coefficient de réserve, soit 0,2.
Comme il figure au dénominateur, on en conclut que
la création de monnaie bancaire est d’autant plus forte que le coefficient de réserve
des banques commerciales est faible9.
En principe, chaque banque choisit elle-même son coefficient de réserve.
Cependant, celui-ci fait l’objet d’interventions des autorités monétaires (banque
centrale, ou « commission bancaire » dans les pays où il y en a une, dotée de cette
compétence). Ceci explique et justifie l’hypothèse, faite dans l’exemple précédent,
d’un coefficient uniforme de 20 % pour toutes les banques. En fait, sa valeur varie
aux alentours de 10 %.
9
On notera la similitude entre la formule du multiplicateur des dépôts ci-dessus et celle des multiplicateurs
macroéconomiques keynésiens (chapitre 23). Dans ce dernier cas, la propension marginale à épargner joue le
rôle que le coefficient de réserve remplit ici.
17.3
324
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
Il est important de remarquer que le multiplicateur ainsi défini mesure l’accroissement potentiel de masse monétaire. L’ampleur du processus effectif est en effet
influencée à la baisse par des « fuites » hors du circuit bancaire.
• Un premier facteur de cet ordre est la volonté de la clientèle des banques de
conserver des avoirs liquides sous la forme de billets plutôt que sous la forme de
compte vue. Plus élevée est la préférence du public pour les billets, plus faible est le
multiplicateur du crédit10.
• Une seconde « fuite » possible provient du désir des banques de conserver des
encaisses supérieures à la réserve légale. Il peut en être ainsi pour des motifs de
précaution, à la suite notamment de la crainte d’une dépression économique ou
d’une politique de restriction des crédits par la Banque Centrale.
• Enfin, le processus de multiplication peut se trouver limité par la faiblesse de
la demande de crédit, comme c’est généralement le cas en période de stagnation
économique, tant dans le chef des sociétés (crédit d’investissement notamment)
que dans celui des ménages (crédit hypothécaire par exemple). On peut aussi
évoquer un effet de « volume absolu » : comme au bout d’un certain nombre de
« tours », les nouveaux dépôts et prêts ne sont plus que des sommes assez petites, le
processus de multiplication du crédit peut se trouver arrêté par les intermédiaires
financiers qui ne souhaitent pas accorder des crédits inférieurs à certains montants.
Section 17.3
L’offre de monnaie par la banque centrale
§1
La monnaie de banque centrale
Les banques commerciales créent donc de la monnaie en accordant des crédits.
Cependant, cette monnaie n’a de valeur que celle que les agents économiques
veulent bien lui prêter : le compte à vue détenu par un client auprès de sa banque
n’est utilisé par lui comme monnaie que si sa « qualité » est reconnue. Par « qualité »
on entend ici essentiellement la solvabilité de cette banque. Or celle-ci n’est pas
automatiquement assurée.
10
Soit b = 0,5 le coefficient exprimant la préférence pour les billets et r = 0,10 le coefficient de réserve. Selon
notre exemple antérieur, un crédit initial de 1 000 provoque un accroissement total réduit à :
2
2

 1  
  1  
1
1
1
∆M = 1000 +  1 −  ×  1 −  × 1000  +  1 −  ×  1 −  × 1000  + L = 1000 ×
= 1818 , 18








2
10
2
10
1 − (1 − r) × (1 − b)


 
[
]
La formule générale est donc :
∆M = C ×
1
1 − (1 − r) × (1 − b)
[
]
où ∆M désigne l’accroissement total de la monnaie bancaire et C le montant du crédit initial. Cette expression est
évidemment plus petite que C × 1 (1 − (1 − r)) , cas traité dans le texte ci-dessus. Plus les deux coefficients r et d
sont élevés, plus faible est le processus multiplicatif, puisqu’ils apparaissent au dénominateur.
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
325
C’est pourquoi tout agent économique peut toujours demander d’être payé
plutôt dans la seule monnaie ayant cours légal, à savoir la monnaie émise par la
banque centrale — dite plus simplement la « monnaie de banque centrale ». Dans
ce cas, la banque commerciale doit se procurer — en fait, « acheter » cette monnaie
à la banque centrale, qui la « vendra » soit contre remise de devises (monnaies
étrangères) soit contre une créance. Dans ce deuxième cas, la banque centrale
accorde un crédit à la banque commerciale et par là elle « refinance », après coup,
la création monétaire faite au départ par cette banque.
La monnaie de banque centrale prend deux formes : soit l’émission de billets,
soit l’inscription d’une somme sur un compte courant ouvert à la banque centrale
au nom de la banque commerciale emprunteuse.
Ainsi par exemple, si l’entreprise E fait un paiement à un fournisseur quelconque en effectuant
un transfert de sa banque, A, vers le compte que ce fournisseur détient auprès d’une autre banque,
B, cette dernière peut exiger de la banque A soit des billets, soit un dépôt par la banque A sur le
compte à vue que détient la banque B auprès de la banque centrale (ce qui est plus courant entre
banques). Un tel dépôt étant tout à fait assimilable aux billets, il s’agit bien là de formes alternatives
d’un paiement fait en « monnaie de banque centrale ».
En résumé :
La monnaie de banque centrale11 est créée soit à l’occasion d’opérations de crédit
fait par elle aux banques commerciales, soit à l’occasion d’opérations d’achat par
elle de devises.
Elle est constituée des billets émis et des montants accordés en compte courant
aux banques commerciales lors de ces opérations.
Cependant, on ne peut considérer comme faisant partie du stock monétaire les créances et
engagements à vue réciproques des banques : un compte à vue détenu par une banque auprès
d’une autre, n’est pas considéré comme de la monnaie « en circulation ». De même, les billets
reposant dans les tiroirs ou les coffres d’une banque ne sont pas à proprement parler, à la disposition des agents économiques non-monétaires. Il convient donc de consolider le bilan du système
bancaire dans son ensemble, banque centrale plus banques commerciales, afin de dégager le
stock monétaire véritablement à la disposition des autres agents économiques. Consolider équivaut à construire un bilan reprenant tous les bilans des banques, et à en éliminer les dettes et
créances réciproques.
En conséquence, le stock monétaire, ou quantité de monnaie en circulation, est égal à la
somme des engagements à vue des banques plus les engagements à vue de la banque centrale
moins l’encaisse des banques sous forme de billets, de comptes courants auprès de la banque
centrale, ou encore de comptes à vue auprès d’autres banques.
L’aspect « refinancement » par la banque centrale du crédit fait par les banques
commerciales est tout à fait fondamental, et ce pour deux raisons :
• Le refinancement montre de manière particulièrement claire que, tant au stade
de la banque centrale qu’à celui des banques commerciales, dans nos économies
modernes la monnaie est créée à l’occasion d’opérations de crédit — et non pas sur
ordre du prince, comme aux temps rappelés ci-dessus où c’était le cas12 !
11
Un concept analogue est appelé high powered money dans la pratique monétaire anglo-saxonne.
Voir d’ailleurs à ce sujet nos développements sur l’indépendance des banques centrales au chapitre 25
consacré à la politique monétaire.
12
17.3
326
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
Cette composante crédit établit un lien étroit entre la création monétaire et
l’activité « réelle » de l’économie, c’est-à-dire celle portant sur la création de biens
et de services et sur l’utilisation de facteurs physiques de production. On peut
même dire que c’est par ce lien que la monnaie est un bien économique et qu’elle
trouve sa valeur. Lorsque ce lien est absent, en raison de modes de création monétaire hors crédit, l’exercice même des fonctions monétaires se trouve mis en danger,
comme le feront comprendre nos développements ultérieurs sur l’inflation et la
« bonne » qualité de monnaie.
• Dans l’exercice de sa fonction de refinancement, la banque centrale a la
possibilité de contrôler la solvabilité des banques commerciales. Or il est essentiel
de garantir cette solvabilité car ce n’est qu’elle qui puisse assurer que la monnaie
scripturale émise par les banques commerciales soit de la « bonne » monnaie. On
entend par là de la monnaie émise à l’occasion d’opérations de crédit saines, offrant
toutes garanties de remboursement parce que correspondant à de l’activité économique effective et de valeur égale ou supérieure à son coût. Ici à nouveau, du
crédit, c’est-à-dire de la monnaie, émis sans garantie de remboursement met en
danger la crédibilité de la monnaie, et donc sa valeur.
§2
Les activités de la banque centrale
a L’émission des billets
À l’origine (comme on l’a vu à la section 17.1), le billet de banque est une monnaie à caractère
« privé » résultant de l’initiative des banques privées. Mais afin de protéger les utilisateurs, ce
droit d’émettre des billets fut limité par les gouvernements qui accordaient le privilège d’émission, tout en imposant aux banques qui en jouissaient des obligations de couverture. Cette
couverture permettait d’assurer la convertibilité : tout détenteur de monnaie fiduciaire pouvait
toujours demander de la « vraie » monnaie métallique en échange de ses billets. Progressivement,
au cours du XIXe siècle, le rôle de banque d’émission a été dévolu à une seule banque par État : la
banque centrale.
Pendant longtemps, et dans pratiquement tous les pays occidentaux, a existé pour
la banque centrale l’obligation légale de détenir une couverture en or pour tout ou
partie des billets qu’elle émettait. Au Royaume-Uni, au cours du XIXe siècle, s’est
développé un conflit doctrinal à cet égard. D’une part, les tenants du « banking
principle » estimaient que la banque centrale doit fournir au système bancaire les
liquidités dont il a besoin pour faire face aux demandes de crédit qui s’adressent à
lui. D’autre part, selon les détenteurs du « currency principle », se fondant sur les
recommandations de David RICARDO, l’émission de billets doit être rigoureusement liée à l’évolution de l’encaisse métallique. Dans les faits, la première approche,
celle du « banking principle », s’est imposée, puisque depuis lors, l’émission de
billets n’est plus intégralement couverte par une encaisse métallique, et aujourd’hui
cette émission ne dépend même plus du tout d’une telle encaisse.
La fabrication matérielle des billets n’est pas nécessairement assurée par les banques centrales
elles-mêmes. C’était le cas en Italie, au Royaume-Uni en Belgique, en Espagne et en France mais,
en revanche, la Banque Nationale Suisse les commande à des imprimeries spécialisées ; il en va de
CHAPITRE 17
L’OFFRE DE MONNAIE ET LE SYSTÈME BANCAIRE
327
même pour la Bundesbank (Allemagne). Comme on le verra plus loin, la responsabilité de
l’émission des billets de banque dans la zone euro est maintenant du ressort de la Banque Centrale
Européenne, mais les banques centrales nationales continuent de jouer un rôle en matière de
fabrication.
b La surveillance prudentielle du système financier
Les banques centrales ont également pour rôle de préserver la stabilité du système
financier. La valeur d’une monnaie dépend en effet de la confiance que l’on peut
avoir dans la solidité des intermédiaires financiers, vu la place qu’ils tiennent dans
la création de monnaie. Une surveillance dite « prudentielle » est dès lors exercée à
leur égard.
Cette fonction (parfois plus ancienne que l’exercice de la politique monétaire
elle-même) est remplie dans certains pays par la banque centrale, comme par
exemple aux États-Unis, en Angleterre ou en France. Ailleurs, comme en Belgique,
en Suisse ou au Japon, une institution particulière13, indépendante de la banque
centrale, est investie du rôle d’autorité prudentielle.
Le contrôle prudentiel est un contrôle microéconomique du système financier.
Il est exercé de manière individuelle, chaque intermédiaire financier étant soumis
à un certain nombre de règles de fonctionnement, parmi lesquelles le respect de
certains « ratios » 14, c’est-à-dire de valeurs minimum à atteindre pour divers postes
du bilan. L’idée est d’amener les banques commerciales à assurer une couverture
en capital suffisante des risques qu’elles encourent par leurs diverses activités
de crédit et de placement. Ces exigences ont pour but d’assurer la liquidité et la
solvabilité des intermédiaires financiers.
c
Autres fonctions exercées par les banques centrales
• Dans bien des pays, la banque centrale joue aussi le rôle de caissier de l’État,
c’est-à-dire qu’elle centralise tous les paiements reçus et effectués par ce dernier et
en tient la comptabilité.
Ceci pose la question de savoir si la banque centrale fait du crédit à l’État. Le
financement que le Trésor peut trouver auprès des particuliers, des entreprises et
des intermédiaires financiers, n’est parfois pas suffisant pour couvrir ses dépenses.
Il peut alors envisager de s’adresser à la banque centrale pour lui accorder du crédit.
Ce fut largement le cas dans le passé. Mais cette pratique tend à disparaître dans les
pays industrialisés. En particulier pour les États membres de l’Union Européenne,
les crédits de la banque centrale à l’État ont disparu depuis 1992, ce mode de
financement des États membres ayant été exclu dans le « Traité relatif à l’Union
Économique et Monétaire » (autrement appelé Traité de Maastricht).
• La banque centrale exerce également une fonction de gestion de ses réserves
de change. Le but est ici de placer ces réserves sous forme d’actifs financiers rentables.
• Enfin les banques centrales exercent de nombreuses activités de service au
profit de l’ensemble des institutions financières ou de l’économie en général. Très
13
Tel est le rôle de la Commission bancaire et financière en Belgique. En France, il existe également une
Commission bancaire mais celle-ci est, de fait, est très proche de la Banque de France.
14
Les plus couramment utilisés actuellement sont les « ratios Cooke », du nom du président d’un comité
international qui, à la Banque des Règlements internationaux à Bâle, a traité de ces matières.
328
PARTIE II
ANALYSE MONÉTAIRE
souvent elles organisent les Chambres de Compensation qui permettent aux
intermédiaires financiers de s’échanger des virements, des chèques et des créances
diverses. Plus généralement, elles gèrent des systèmes de paiement. Les banques
centrales membres du système européen de banques centrales ont pour mission
de gérer TARGET, un système de payements bruts en temps réels assez sophistiqué
(TARGET : Trans-European Automated Real-Time Gross settlement Express
Transfer). Elles participent souvent à la collecte, et au traitement de statistiques,
notamment financières. Certaines d’entre elles, comme la Banque de France, la
Banque Nationale de Belgique ou d’autres encore étudient la situation financière,
non seulement des banques, mais aussi des entreprises et gèrent des Centrales de
Bilans, et des Centrales de Risques recensant différentes formes de crédit, comme
par exemple les crédits à la consommation.
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