La pertinence du critère d`irrégularité dans la définition de la figure

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MISSOFFE Prune
Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
UFR 10 : Philosophie (Master 1)
Parcours Philosophie et Société
La pertinence du critère d'irrégularité
dans la définition de la figure du terroriste
Jean-François KERVEGAN
Mai 2015
L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans le mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
SOMMAIRE
Sommaire ………………………………………………………………………… p. 2
Remerciements …………………………………………………………………… p. 3
Propos préliminaires ……………………………………………………………... p. 5
Introduction ………..…………………………………………………………...… p. 9
Première partie : L'irrégularité, un critère central dans la définition de la figure du
terroriste ………………………………………………………………………….. p.21
Deuxième partie : L'irrégularité, un critère intimement lié à l'évolution des intérêts
géopolitiques des instances régulières …………………………………………… p.35
Troisième partie : L'irrégularité, un critère qui occulte l'expression d'un jugement de
valeur …………………………………………………………………….………. p.50
Conclusion ………...………………………………………………………….….. p.66
Bibliographie ……………………………………………………………….……. p.68
2
REMERCIEMENTS
Les premières lignes de ce mémoire sont dédiées à toutes les personnes qui m'ont
accompagnée dans ce travail.
Mes premiers remerciements vont à Monsieur le Professeur Jean-François Kervegan
qui accepta spontanément de suivre l'évolution de mes réflexions et me guida dans
mes premières lectures vers ce qui fut à la fois mon point de départ –la lecture de Carl
Schmitt– et l'aboutissement de ces réflexions –les interrogations exposées dans son
article « Une autre guerre, ou d'autres dieux ? ».
Je souhaiterais également remercier ici Laurent Lavaud et Stephen Pethick,
professeurs de philosophie, qui ne liront probablement jamais ce travail mais qui ont
fait naître en moi une véritable envie de m'adonner plus avant à des réflexions
philosophiques. Ils n'ont eu de cesse d'encourager leurs étudiants à adopter une
approche éminemment personnelle et une vision mettant en perspective, par une
application concrète au monde qui nous entoure, les idées développées.
Je remercie chaleureusement mes ami-e-s qui ont accepté, voire même parfois
souhaité, relire ces quelques réflexions. Je pense tout particulièrement à Tom
Deschamps, Anaïs Galy, Anaïs Lambert, Alice Lepeuple et Sophie Malliarakis. Je
n'oublie pas mes compagnons de travail qui ont su rendre ces journées agréables. Je
pense ici en particulier à Amna Aounallah, Emma Danède, Agathe Foucault, Musa
3
Gueye et Ségolène Reynal.
Je ne remercierai jamais assez mes parents. Au-delà de leur enthousiasme constant à
relire mes travaux, c'est surtout leurs encouragements incessants et leur foi en moi
que je souhaiterais ici saluer.
Un dernier et tout particulier merci à mon frère, Quentin Missoffe, qui initia cette
réflexion en m'offrant le livre de Noam Chomsky, 11/9 : Autopsie des terrorismes,
dont la lecture a nourri de nombreuses interrogations ici posées.
4
PROPOS PRELIMINAIRES
A titre préliminaire, je souhaiterais consacrer ici quelques lignes à l'explicitation du
cheminement réalisé et de la méthodologie adoptée au cours de ce travail.
Étudiante en droits de l'homme en parallèle de mes études de philosophie, il me
semblait tout d'abord évident de consacrer ce travail à un sujet de philosophie du
droit, aux teintes de philosophie politique. Comment, philosophiquement, peut-on
appréhender l’organisation sociale qui est la nôtre, et dans quelle mesure le juridique
est-il pertinent et acceptable comme encadrement d’une telle organisation de la
société ? Tel était mon questionnement initial. Plus précisément, il s'agissait d'aborder
la notion de terrorisme sous l'angle des interrogations suivantes : quelle éthique pour
l’approche juridique du terrorisme, notion pourtant difficilement définissable en ellemême (i.e. sans implication du fait social, notamment par la détermination de l’entité
au pouvoir) ? Quelles implications d’un tel « concept » juridique sur le corps social ?
Une approche uniquement juridique n'aurait pu permettre à elle seule la mise en
perspective de la palette d'intérêts du sujet.
Plongée dans mes lectures aux approches volontairement diversifiées (philosophique,
juridique, sociologique, sciences politiques), j'ai rapidement pu constater l'étendue
des questionnements qui en découlaient. Il m'a dès lors semblé très important de
circonscrire précisément le sujet, pour éviter de tomber dans l'écueil d'un résumé des
ouvrages étudiés. Débutant mes lectures par Carl Schmitt, et gardant en tête mon sujet
5
initial qui avait fortement stimulé ma poursuite d'études en philosophie, c'est assez
naturellement que j'en suis arrivée à m'interroger sur un critère de définition en
particulier : celui de l'irrégularité. Une telle délimitation du sujet, dont je redoutais
alors presque la précision, s'est pourtant encore révélée extrêmement vaste. J'ai ainsi
fait le choix, tout en tentant de conserver un esprit critique sur la circonscription du
sujet au cours des développements, de lui consacrer toute la réflexion que j'estimais
nécessaire afin de rendre compte de son intérêt. Notamment, il m'a semblé essentiel,
en dépit de la place qu'elles prenaient, de conserver l'ensemble des références
utilisées dans les notes de bas de page. De même, une large place a été
volontairement accordée à l'introduction qui joue le difficile rôle d'explicitation du
sujet et de la problématique qui l'accompagne, tout en se gardant d'exposer une
définition du terrorisme, au vu de la difficulté d'une telle tâche et de l'effet sclérosant
que l'adoption d'une définition dès l'introduction aurait pu avoir sur l'ensemble des
développements. J'espère néanmoins que la longueur de ces propos n'auront ni
ennuyé mon lecteur, ni retiré au sujet l'intérêt de la précision de son intitulé ou aux
propos leur pertinence.
Bien entendu, un travail scientifique comme celui de l'écriture d'un mémoire impose à
son auteur une recherche d'objectivité, dans le sens où le constat doit primer sur le
jugement. La finalité même de ce travail m'a ainsi semblé être l'explicitation sous la
forme d'un raisonnement construit, et le plus objectif possible, d'une idée pressentie
qui apparaissait extraite du champ de vision de la société. Cependant, je me
permettrai de reprendre ici les propos de Magali Uhl qui termineront ces quelques
lignes pour indiquer mon sentiment relatif à l'existence nécessaire d'une part de
subjectivité dans le travail abordé et qui aura, je l'espère, été honnêtement assumée :
6
« « La société est subjective, écrit Theodor W. Adorno, parce qu'elle renvoie aux
hommes qui la forment – et parce que ses principes d'organisation renvoient à la
conscience subjective ». Il en découle que les sciences humaines doivent considérer
cette subjectivité-là non pas comme un obstacle à neutraliser, éliminer, refouler – au
nom de la fameuse distanciation objectivante et de la neutralité scientifique –, mais
comme la substance, la vie, la force et la finalité mêmes de la recherche ».1
1
M. Uhl, Subjectivité et sciences humaines : essai de métasociologie, Beauchesne, 2005, p.22,
citant Theodor W. Adorno, « Introduction », in De Vienne à Francfort, La querelle allemande
des sciences sociales (collectif d'auteurs), op. cit., pp.32-33
7
« Saint Augustin raconte l'histoire de ce pirate
capturé par Alexandre le Grand, qui lui demanda
comment il osait « molester la mer ». L'autre
répondit : « Et toi, comment oses-tu molester le
monde entier ? Comme je n'ai qu'un petit navire, on
m'appelle voleur ; et toi, qui possèdes une vaste
flotte, on t'appelle empereur »
Noam
Chomsky,
terrorisme
Pirates
international
et
Empereurs :
dans
le
Le
monde
contemporain2
2
N. Chomsky, Pirates et empereurs : Le terrorisme international dans le monde contemporain,
traduit par J. Maas, Fayard, 2003, « Introduction à la première édition (1986) », p.39
8
INTRODUCTION
Le 16 mai 2014, Alexandr Koltchenko, étudiant et militant syndical criméen connu
pour ses engagements en faveur des droits humains et du droit de chaque peuple à
décider de son avenir, a été enlevé par la police russe et accusé de faire partie d'un
groupe terroriste suite à l'organisation de manifestations pacifiques de protestation
contre l'occupation militaire.3 Ces faits dont nous commémorons le premier
anniversaire illustrent le seul consensus qui semble aujourd'hui entourer la notion de
« terrorisme » : l'absence de définition sociologique consensuelle dans la sphère
académique.4 Les propositions de définitions, particulièrement larges, insistent
alternativement ou concomitamment sur la fin poursuivie –forcer l'avènement de
visées politiques, à la différence d'organisations criminelles–, les moyens utilisés –
tout acte violent ou menaçant dirigé contre des non-combattants et visant à
l'intimidation– et les effets psychologiques –qui forment un grand écart avec les effets
réels, le terrorisme agissant comme un « multiplicateur de rendement »5 notamment
par la mobilisation médiatique qui l'entoure. Face à une telle abondance, nombreux
sont les constats d'une définition impossible.6
3
4
5
6
Voir notamment le tract réalisé par la Ligue des Droits de l'Homme : http://www.ldhfrance.org/liberte-alexandr-koltchenko-antifasciste-crimee-kidnappe-emprisonne-letat-russe3/
Voir C. Marchetti, Les discours de l'antiterrorisme : Stratégies de pouvoir et culture politique
en France et en Grande-Bretagne, Thèse pour le doctorat en Science Politique de l'Université
Panthéon-Sorbonne (Paris I), sous la direction de P. Braud, présentée et soutenue
publiquement le 6 janvier 2003, p.3 : « Divisés, les spécialistes ne semblent d'accord que
pour souligner le caractère fort peu satisfaisant d'un concept sans cesse mouvant et
protéiforme »
J-F. Gayraud et D. Sénat, Le terrorisme, Que sais-je?, PUF, 1982, p.23
Voir K. Zulaika et W.A. Douglass, Terror and Taboo : The Follies, Fables and Faces of
Terrorism, New York, Routledge, 1996, p.92 : « The quest for quintessential distillation by
which 'terror' could be encapsulated, diagnosed under laboratory conditions, defined in
9
Juridiquement, la volonté d'incrimination –autant symbolique que stratégique– rend
nécessaire le passage définitionnel. Le défi7 est dès lors de déterminer l'essence de
cette notion, de saisir sa singularité en dépit de la pluralité des visages qu'elle donne à
voir.8 Un défi que la Société des Nations a tenté de relever dans sa Convention pour la
prévention et la répression du terrorisme, en définissant les « actes de terrorisme »
comme « des faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature est de
provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes
ou dans le public ».9 Cependant, la Convention n'est jamais entrée en vigueur,
notamment en raison semble-t-il des insatisfactions relatives à une telle définition qui
« ne permet pas de se représenter précisément les comportements constitutifs du
terrorisme ».10 Les rédacteurs avaient pourtant pris soin d'ajouter un deuxième article
« énumérant des actes susceptibles d'une qualification terroriste lorsqu'ils
remplissent les conditions de l'article 1er ».11 Dans le même sens, les années 1970 ont
vu le Comité spécial sur le terrorisme international de l'Organisation des Nations
Unies dresser le constat de l'impossibilité à définir une telle notion, et la carence sur
7
8
9
10
11
precise terms, and finally be conquered and extinguished for the benefit of manking, is an
academic illusion ». Voir également J.-F. Gayraud, « Définir le terrorisme, est-ce possible,
est-ce souhaitable ? », RICPT, 1988, n°2, p.188
Voir L. Hennebel et G. Lewkowicz, « Le problème de la définition du terrorisme », in Juger
le terrorisme dans l’État de droit, L. Hennebel et D. Vandermeersch (dir.), Bruylant,
Bruxelles, 2009, pp.17-59, p.18 : « certains n'ont pas hésité à comparer la recherche d'une
[…] définition [universelle légale du terrorisme] à la quête du Saint Graal », se référant à G.
Levitt, « Is Terrorism Worth Defining ? », Ohio Northern University Law Review, vol. 13,
1986, p.97
Voir M. Delmas-Marty et G. Timsit, « Préface », Modèles et mouvements de politique
criminelle, Paris, Economica, 1983, p.7
Convention pour la prévention et la répression du terrorisme, Genève, 16 novembre 1937,
Société des Nations, Article 1, alinéa 2 : http://dl.wdl.org/11579/service/11579.pdf
J. Alix, Terrorisme et droit pénal, Etude critique des incriminations terroristes, Thèse pour le
doctorat en droit de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), sous la direction de G.
Giudicelli-Delage, présentée et soutenue publiquement le 9 décembre 2008, Nouvelle
bibliothèque de thèses, Dalloz, 2010, p.29
Ibid, p.29
10
ce point en droit international semble dès lors avoir été admise 12 face, notamment,
aux reconnaissances controversées du droit à l'autodétermination 13 et du terrorisme
d’État.14
L'absence de consensus sur une définition légale unique n'abolit pas tout régime et
toute définition juridiques du terrorisme, mais favorise l'adoption d'une méthode de
liste descriptive.15 Les actes terroristes désignés renvoient à des comportements déjà
prohibés par le droit commun,16 tout en formant une catégorie sui generis. Ainsi, en
droit français, ils sont définis comme les faits commis « intentionnellement en
relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler
gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».17 Cette pluralité d'actes
matériels constitutifs est alternative, créant dès lors, « sous couvert d'unicité, une
pluralité d'incriminations terroristes, et tradui[sant] le caractère artificiel d'une
incrimination unique ».18 Sont ainsi combinées les méthodes déductive et inductive.
La première renvoie à une définition générale incluant l'ensemble des actes
12
13
14
15
16
17
18
Voir J. Sorel, « Existe-t-il une définition universelle du terrorisme ? », in C. Bannelier, T.
Christakis, O. Corten et al, Le droit international face au terrorisme, Editions A. Pedone,
Paris, 2002, p.44 : résume « l'attitude concrète de la communauté internationale » au fait de
« punir sans réellement définir »
Voir notamment la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine sur la prévention et la
lutte contre le terrorisme du 14 juillet 1999 et la Convention de lutte contre le terrorisme
adoptée par la Ligue Arabe le 22 avril 1998, qui excluent expressément de la définition du
terrorisme la lutte pour l'autodétermination
Voir I. Sommier, Le terrorisme, Paris, Flammarion, 2000, p.64
Ce fut notamment celle de la Convention européenne pour la répression du terrorisme adoptée
le 27 janvier 1977 à Strasbourg par le Conseil de l'Europe
Par exemple : assassinat, meurtre, enlèvement, prise d'otage, vol, dégradation, etc.
Articles 421-1 et 421-2 du code pénal, issus de l'article 1, alinéas 1 et 2 de la loi du 22 juillet
1996, modifiés par l'article 18 de la loi du 14 mars 2011. Voir Y. Mayaud, Le terrorisme,
Paris, Dalloz, 1997, p.37 sur le régime juridique de l'infraction
J. Alix, supranote 10, pp.37-38, précisant cependant en note de bas de page n°123 que « Sans
être identiques, les techniques d'incrimination retenues en matière de crimes contre
l'humanité et de terrorisme s'éloignent de la technique d'incrimination classique et, à la
vérité, créent moins des incriminations que des catégories d'infractions »
11
considérés terroristes. La seconde consiste en la criminalisation d'actes en particulier,
communément considérés terroristes, sans élaboration d'une définition générale, voire
sans utilisation du terme lui-même.19 Là où la première favorise l'intention –et donc la
distinction entre infraction de droit commun et infraction terroriste au seul prisme de
l'existence d'un dol spécial–, la seconde privilégie l'élément matériel, et par
conséquent l'inflation normative et l'adoption de conventions internationales
sectorielles excluant l'exigence de dol spécial20.
L'ensemble de ces éléments n'est pas sans heurter les principes de l’État de droit, 21 et
plus particulièrement le principe de légalité des délits et des peines qui exige une
définition précise des incriminations.22 C'est notamment le cas de la Convention de
l'Organisation de la Conférence islamique pour combattre le terrorisme, adoptée à
Ouagadougou le 1er juillet 1999, laquelle incrimine un nombre particulièrement
important de comportements sur le seul fondement de l'élément intentionnel, dont des
activités légales et légitimes dans des sociétés démocratiques : « actions sociales,
19
20
21
22
Voir L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, pp.31-32. Voir également pp.36-37 :
l'approche mixte est ainsi celle adoptée par la décision-cadre du Conseil de l'Union
Européenne relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États
membres, adoptée le 13 juin 2002 en application du titre VI du Traité sur l'Union européenne,
et la plupart des approches nationales ; elle est « caractérisée par deux éléments : la gravité
de la mise en danger et l'intention spécifique (dol spécial) »
Ibid, pp.29-36. Sur l'absence de dol spécial, voir p.35 : « Entrent donc dans le champ
d'application de ces conventions, des actes non terroristes, tels que le détournement d'avion
par « confusion mentale », « l'assassinat d'un diplomate par un mari jaloux » ou d'autres cas,
manifestement exclus par le sens commun de la notion de terrorisme »
Ibid, p.43
Voir J. Alix, supranote 10, p.36 : souligne « la difficulté d'interpréter strictement une
incrimination qui considère comme terroriste tout acte de violence dirigé contre l’État, les
personnes ou les biens, et visant à faire régner la terreur parmi tout ou partie de la
population ». Voir également A. Petropoulou, Liberté et sécurité : Les mesures antiterroristes
et la Convention européenne des droits de l'homme, Thèse pour le doctorat en droit de
l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), sous la direction de E. Jouannet et A. Linos
Sicilianos, présentée et soutenue publiquement le 28 janvier 2013, p.32 : « la Cour […]
n'hésite pas à censurer les dispositifs antiterroristes sur le terrain de l'article 10, dont la
violation n'est en réalité que le produit de l'application d'une incrimination vague de formes
d'expression, qui constituent le plus souvent des formes de discours politiques légitimes »
12
grèves, désobéissance civile ».23 Qui plus est, si de nombreuses distinctions sont
proposées, notamment entre le terrorisme et l'organisation criminelle –la finalité du
premier étant politique, et donc altruiste et intrinsèquement dirigée contre l’État, là où
celle de la seconde serait économique, et donc égoïste–, 24 elles apparaissent
finalement poreuses. En effet, la terreur et l'organisation font également figure de
moyens d'action dans le grand banditisme et les mafias, et la finalité politique est
partagée par les auteurs d'infractions contre la sûreté de l’État. 25 Plus encore, la fin de
la guerre froide a cédé la place à la criminalisation d'acteurs dits politiques et à la
politisation des organisations criminelles.26
Cette complexité à définir le terrorisme s'impose comme la conséquence immédiate
du constat de l'hétérogénéité de la notion. Les différents enjeux semblent en effet
mener
à
un
nécessaire
pluriel :
idéologique,
révolutionnaire,
nationaliste,
anticolonialiste, indépendantiste, résistant, religieux, transnational sont autant
d'adjectifs accolés au terme. Une telle diversité rend difficilement pertinente leur
regroupement sous une étiquette commune qui « condui[rait] inévitablement à une
23
24
25
26
L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, p.44, précisant cependant que « le plus souvent,
les instruments et législations faisant appel à la méthode déductive ou à une méthode mixte
prévoient spécifiquement de larges exceptions afin d'exclure ces cas de leur champ
d'application [...] afin de garantir les principes de l’État de droit »
Voir B. Hoffman, La mécanique terroriste, traduit par B. Dietz, Calmann-Lévy, 1999, pp.5253. Voir L. Shelley et J. Picarelli, « Methods not Motives : Implications of the Convergence of
International Organized Crime and Terrorism », Police Practice and Research, 3 (4), 2002,
305-318. Voir également S. Leman-Langlois, « Terrorisme et crime organisé, contrastes et
similitudes », in Repenser le terrorisme : concept, acteurs et réponses, C.-P. David et B.
Gagnon (dir.), Les Presses de l'Université Laval, 2007, pp. 91-109, pp.98-101
Voir J. Alix, supranote 10, p.33
J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, pp.6-7, agrémentant cet argument d'exemples :
« Forces armées révolutionnaires de Colombie, Front Libération nationale de la Corse,
Liberation Tigers of Tamil Eelam, Parti des travailleurs du Kurdistan » pour ce qui concerne
la « criminalisation » ; « Cosa Nostra, cartels de la drogues en Amérique latine, Triades »
pour ce qui est de la « politisation ». Voir également p.18 : évoquant des « puissances
criminelles symbiotiques et hybrides »
13
ostracisation de l'hétérogénéité propre au phénomène ».27 La multiplicité est
également celle des victimes28 et des moyens. Plus encore se dessine l'impossibilité
d'une définition intemporelle : « cette diversité, loin d'être figée, est mouvante et
évolutive ».29 Certains, et notamment le Centre de prévention de la criminalité
internationale des Nations Unies, définissent dès lors le terrorisme comme
« l'équivalent en temps de paix des crimes de guerre ».30 Une telle pluralité ne devrait
toutefois pas faire figure d'obstacle à l'élaboration d'une définition unique affirment
d'autres,31 puisque le travail définitionnel « tend, par essence, à réduire la diversité
d'un phénomène à la singularité d'un concept ».32
Longtemps poursuivie,33 la recherche d'une définition consensuelle semble avoir cédé
la place à l'étude d'éléments définitionnels. C'est ainsi qu'une étude a été réalisée pour
établir la fréquence de ces différents éléments parmi cent-neuf définitions du
« terrorisme » : à la « violence, force » (83,5%) succèdent la « politique » (65%), la
« terreur, peur, crainte » (51%), suivies de la « menace » (47%) et des « effets
27
28
29
30
31
32
33
V. Martin Vanasse et M-O. Benoît, « La définition du terrorisme : un état des lieux », in
Repenser le terrorisme : concept, acteurs et réponses, C.-P. David et B. Gagnon (dir.), Les
Presses de l'Université Laval, 2007, pp. 25-47, p.32
Voir J. Alix, supranote 10, p.32 : « est terroriste l'acte qui vise une victime symbolique, élue à
raison de ses fonctions – un chef d’État, par exemple – mais également celui qui a pour cible
des victimes indiscriminées. Le nombre et la qualité des victimes ne sont [...] pas à eux seuls
des spécificités du terrorisme »
Ibid, p.31
Cité par F. Andreu-Guzman (ed), « Terrorisme et droits de l'homme », International
Commission of Jurists, 2002-2003, pp.21-22
J. Alix, supranote 10, p.31
D. Duez, « De la définition à la labellisation : le terrorisme comme construction sociale », in
K. Bannelier, T. Christakis, O. Corten, B. Delcourt (dir), Le droit international face au
terrorisme, Paris, Pedone, Cahiers internationaux, 2002, pp.105-118, p.106
Voir M. Wieviorka, « Terrorism in the Context of Academic Context », in M. Crenshaw (ed.),
Terrorism in Context, University Park (PA), Pennsylvania State Univ. Press, 1995, p.598 :
« au lieu de constituer le point de départ des analyses, la définition devrait se présenter
comme leur résultat : la conclusion plutôt que le postulat »,
14
(psychologiques) et réactions (anticipées) » (41,5%).34 L'ensemble de ces
tâtonnements définitionnels mène à un emploi apparemment abusif du terme, faisant
du terrorisme et de la violence politique des synonymes, 35 le terrorisme désignant
alors la violence exercée par un groupe non étatique contre un État, par un État contre
des civils, ou encore entre instances étatiques.36 Difficile en effet de distinguer le
terrorisme, parfois qualifié de mode de combat 37 ou de lutte,38 d'autres formes de
conflits.
Guérilla et terrorisme, tout d'abord, sont source d'une importante confusion. 39
Souvent présentés comme équivalents,40 notamment du fait d'une asymétrie
commune,41 et de tactiques et buts semblables,42 ces termes étaient dès lors réunis au
sein d'une même catégorie : celle de groupe irrégulier.43 Alors que la guérilla est
souvent présentée comme l'ancêtre du terrorisme, d'importantes différences existent :
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
Voir A. P. Schmid and A. Jongman, Political Terrorism : A New Guide to Actors, Concepts,
Data Bases, Theories and Literature, (2nd ed) Amsterdam, Transaction Books, 1988
W. Laqueur, Le terrorisme, traduit par P. Verdun, Presses Universitaires de France, 1979,
p.243. Voir I. Sommier, supranote 14, pp.73-82
Voir A. Merari, « Du terrorisme comme stratégie d'insurrection », traduit par J. Minces, in Les
stratégies du terrorisme, G. Chaliand (dir.), Desclée de Brouwer, 1999, nouvelle éd. 2002,
pp.73-111, p.73
J. Krieber, « Insurrection et Terrorisme, La nouvelle configuration du champ de bataille », in
Terrorisme et Insurrection, Evolution des dynamiques conflictuelles et réponses des États, A.
Campana et G. Hervouet (dir.), Presses de l'Université du Québec, 2013, pp.19-35, p.19
A. Merari, supranote 36, p.73
Ibid, p.104 : cela s'explique d'autant plus que, « dans de nombreux cas, les groupes insurgés
mélangent systématiquement les deux stratégies », par exemple, « au Pérou, le Sentier
lumineux a utilisé une stratégie de guérilla classique dans la région montagneuse
d'Ayacucho, où il a occupé des villes, attaqué des postes de police et des convois militaires et
contrôlé de vastes zones. En même temps, cependant, il a mené une campagne typiquement
terroriste dans les villes, où il a commis des assassinats, des attentats à la bombe et a enlevé
des personnes »
B. Hoffman, supranote 24, p.51
Voir S. Moulain, « Stratégies révolutionnaires : lutte armée, guérilla et terrorismes », in
Révolution, Lutte armée et Terrorisme, Dissidences (dir.), L'Harmattan, 2005, Volume 1,
pp.41-68, p.58
Voir B. Hoffman, supranote 24, p.51
Ibid, p.51
15
au-delà d'une catégorie souvent considérée plus objective, la première mène des
actions au mode d'opération similaire à celui d'une armée régulière. 44 Ainsi, ce terme
renvoie généralement à un groupe au nombre important d'individus, utilisant des
armes de type militaire et contrôlant physiquement un territoire, même partiellement,
comme étape vers la constitution d'une armée régulière, 45 là où le groupe terroriste
serait par essence un acteur clandestin.
Guerre conventionnelle et terrorisme, ensuite, n'en sont pas moins difficiles à
distinguer. Traditionnellement, la première désigne un affrontement institutionnalisé
entre des entités politiques reconnues comme telles et clairement identifiées, avec une
nette distinction entre combattants et non-combattants, et une fin définitive
raisonnablement poursuivie.46 Pourtant, « répandre la terreur au sein d'une
population civile est une manière de faire la guerre relativement répandue depuis
toujours », comme le montre l'exemple le plus incontestable de la seconde guerre
mondiale :47 les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki ne répondent-ils pas aux
éléments définitionnels du terrorisme proposés plus haut ? 48 Plus encore, et cela fera
l'objet de développements ultérieurs, la guerre interétatique présente de moins en
moins les caractéristiques qui lui valaient le qualificatif de conventionnelle.
La fragilité de la distinction entre terrorisme et guerre conventionnelle se dessine tout
44
45
46
47
48
Voir A. Merari, supranote 36, pp.79-81
Voir B. Hoffman, supranote 24, p.51. Voir également A. Merari, supranote 35, pp.80-81,
notamment : « en termes de taille des unités opérationnelles, les limites supérieures des
terroristes sont les limites inférieures de la guérilla »
P. Dumouchel, « Le terrorisme entre guerre et crime ou de l'empire », in Enjeux
philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, S. Courtois (dir.), Les Presses de
l'Université Laval, 2003, pp.25-39, p.25
S. Moulain, supranote 41, p.58
Voir A. Merari, supranote 36, pp.76-77
16
particulièrement avec l'affirmation héritée de Carl von Clausewitz, à savoir « la
guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens »,49 autrement dit
« toute guerre est pour partie politique ».50 De même le terrorisme ne peut-il pas être
appréhendé de manière décontextualisée.51 C'est en ce sens que le terrorisme a pu être
qualifié de « guerre post-clausewitzienne par excellence ».52 La qualification courante
de « guerre contre le terrorisme », sur laquelle nous reviendrons dans les
développements qui suivent, ne vient que confirmer une telle fragilité. De la
constatation de cette dernière émerge « la question fondamentale concernant la
légitimité d'user de la violence à des fins politiques ».53
Le terrorisme est aujourd'hui régulièrement et communément circonscrit à ce qu'une
instance étatique –et donc supposée légitime à user de la violence– désigne comme
tel, à savoir une violence exercée par un individu ou un groupe d'individus au
caractère irrégulier et dont la portée politique est édulcorée, sinon niée. Le terme
renvoie
dès
lors
à
une
violence
insurrectionnelle,
« révolutionnaire
ou
antigouvernementale, dont les acteurs sont des entités non étatiques ou d'instances
d'un niveau inférieur à l’État »,54 alors même que l'origine du terme « terrorisme »
s'inscrit dans la violence étatique et la politique répressive du régime de la Terreur
dans les années 1793 et 1794.55 Le terrorisme est ainsi attribué à un groupe marginal,
49
50
51
52
53
54
55
C. Clausewitz, De la guerre (édition abrégée), Paris, Perrin, 1999, p.46
P. Dumouchel, supranote 46, p.26, reprenant l'interprétation proposée par R. Aron, Penser la
guerre, Clausewitz, I : L'âge européen, Paris, Gallimard, 1976
Ibid, p.27
J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.8
V. Martin Vanasse et M-O., Benoît, supranote 27, p.27
B. Hoffman, supranote 24, p.18. Voir I. Sommier, supranote 14, p.97 : le département d’État
américain « class[e] sous le vocable « terrorisme » toutes les initiatives violentes dirigées
contre les États »
Voir S. Moulain, supranote 41, p.56. Voir A. Rey (dir.), « Terreur », Dictionnaire historique
de la langue française, Paris, Le Robert, 1998
17
clandestin, non étatique en somme, luttant contre un État dans une relation duelle aux
moyens disproportionnés.56 Cette vision semble si bien établie que le « terrorisme »
est communément désigné comme « l'arme par excellence du faible contre le fort » :
c'est un conflit dit asymétrique,57 qui a pour particularité de donner lieu à une
« guerre totale » « transform[ant] la société tout entière en champ de bataille ».58
Comme le suggère la tendance dégagée par les définitions et distinctions proposées,
subsiste aujourd'hui un mouvement majoritaire qui consiste à exclure l’État des
auteurs éventuels d'actes terroristes.59 Pourtant, le terrorisme peut émerger tant de
l'instance étatique, le terrorisme serait alors dit répressif, que du simple citoyen, le
terrorisme étant alors dit insurrectionnel. Le premier « est exercé par l’État contre sa
population afin de maintenir certains groupes ou individus au pouvoir »,
contrairement au second qui « est exercé par des groupes exclus ou à la marge du
pouvoir politique qui désirent soit exercer une influence, soit remplacer les actuels
dirigeants ».60 Les purges réalisées sous Joseph Staline, les « escadrons de la mort »,
et de nombreuses dictatures, sont autant de formes de terrorisme d’État.61 Plus encore,
56
57
58
59
60
61
Voir D. Bigo et D. Hermant, « Un terrorisme ou des terrorismes ? », Esprit, Paris, n° 94-95,
1986, pp.70-72, in X. Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques
et sociaux, Paris, La Documentation française, n°859, 29 juin 2001, pp.19-20
Voir B. Courmont et D. Ribnikar, Les guerres asymétriques, Conflits d'hier et d'aujourd'hui,
terrorisme et nouvelles menaces, 2e ed, Iris, Dalloz, 2009, p.35 : « La symétrie caractérise la
« juste proportion » […]. L'asymétrie est l'absence volontaire de symétrie, et la dissymétrie
est un défaut de symétrie (généralement par erreur […]). Ainsi, l'asymétrie semble plus
catégorique que la dissymétrie, car la « juste proportion » y est absente et ne peut être
corrigée »
J. Krieber, supranote 37, p.24
Voir L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, p.52. A la différence de ce qu'a pu affirmer
Benito Mussolini, dont les propos sont rapportés par B. Hoffman, supranote 24, p.29 :
« « Terreur ? Jamais », précisait Mussolini, qualifiant avec une fausse pudeur des actes
d'intimidation de « simple … hygiène sociale, dont le but est de mettre ces individus hors
d'état de nuire, comme un médecin lutterait contre un bacille » »
J. Krieber, supranote 37, p.21
Voir B. Hoffman, supranote 24, pp.30-31. Voir, à titre d'exemple L. Hennebel et G.
Lewkowicz, supranote 7, p.53 : « en utilisant de manière détournée le pouvoir de l’État et en
18
certains vont jusqu'à affirmer que le fait pour l'auteur de l'acte terroriste d'être étatique
n'est qu'une circonstance et ne peut toucher à l'essence de la définition de la notion.
Qui plus est, « rares sont les États, mêmes démocratiques, qui peuvent, à un moment
ou à un autre de leur histoire, échapper à cette accusation ».62 Également, rares
semblent avoir été les mouvements terroristes qui n'ont pas, à un moment de leur
histoire, été soutenus par des instances étatiques, le lien entre groupe irrégulier et
instance régulière ne tenant dès lors qu'à un fil.
C'est en ce sens que Carl Schmitt affirme que la figure du partisan est une entité en
cours de formation dans le cadre de laquelle la reconnaissance d'instances régulières
existantes lui est nécessaire. À partir de la distinction ami / ennemi élaborée dans la
Notion du politique, et qui guide l'ensemble de ses développements, cet auteur met en
exergue la place du partisan –défini comme le combattant irrégulier contre des
gouvernements ou armées régulières. Cette irrégularité signifie pour Carl Schmitt la
confirmation de la permanence de la politique, nécessaire à la conceptualisation de
l’État. En ce qu'elle participe pleinement de la perméabilité grandissante de notions
jusque là opposées –guerre et paix, civil et militaire, combattant et non-combattant–,
la figure du partisan semble proposer une nouvelle manière de considérer l'intensité
d'un conflit politique mondial que donne à voir le phénomène terroriste.
L'interrogation qui guidera ces développements est ainsi celle de la pertinence qu'il
convient de reconnaître au critère d'irrégularité dans la définition de la figure du
62
organisant à un niveau interétatique les disparitions forcées et tortures, le Paraguay s'est
rendu coupable de « terrorisme d'État » […] pour lequel il doit voir engagée sa
responsabilité internationale aggravée [Cour interam. dr. h., 22 septembre 2006, Goiburu et
autres c/ Paraguay, §66] »
J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.43
19
terroriste. Les réflexions dépasseront le cadre posé par Carl Schmitt, mais le critère
précité constituera le cœur de la démonstration proposée.
Le critère d'irrégularité est central dans la définition de la figure du terroriste, celle-ci
étant opposée à l'instance étatique, structure régulière par excellence. Mais il est
également intimement lié à l'évolution des intérêts géopolitiques de ces mêmes
instances régulières. Dès lors, l'irrégularité est un critère qui apparaît comme étant
l'expression d'un jugement de valeur, élément subjectif que l'auteur de la qualification
stigmatisante de terroriste cherche précisément à occulter pour lui donner l'apparence
d'un visage neutre autorisant la juridicisation de la notion.
20
PREMIERE PARTIE : L'IRREGULARITE, UN CRITERE
CENTRAL DANS LA DEFINITION DE LA FIGURE DU TERRORISTE
« Il faut prendre garde de ne pas laisser croire, au
nom d'un consensus momentané face à une violence
aveugle, que la seule violence admissible serait celle
des États, quels qu'ils soient. Le terrorisme [...] n'a
pas de signification politique hors du temps et de
l'espace »63
La figure du terrorisme est définie par opposition à ce qui est régulier,
institutionnalisé, étatique. Le partisan schmittien a en effet ceci de singulier qu'il
combat en irrégulier et se confronte dès lors au monopole de la violence légitime
détenu par l’État, cocontractant du pacte social. Niant un tel monopole, la figure de
l'irrégulier se voit dénié le statut légal reconnu aux protagonistes du droit
international de la guerre. C'est précisément ce qui permet à l'entité régulière de
justifier de l'usage –auto-déclaré légitime– de la violence.
***
Puisque « la différence entre combat régulier et combat irrégulier est fonction de la
63
E. Plénel, « Police et terrorisme », in Esprit, novembre 1986, n°6, p.19
21
nette définition de ce qui est régulier »,64 il convient de revenir sur ce qui caractérise
l'instance régulière : le monopole de la violence légitime, résultante du contrat social
tel que présenté par Thomas Hobbes.
Le pouvoir étatique trouve sa légalité et sa légitimité dans la crainte mutuelle des
hommes, ce qui a valu une large renommée à la formule hobbesienne selon laquelle
« l'homme est un loup pour l'homme ».65 Se trouve ainsi à la fondation de toute
formation étatique une volonté de protection de soi : le pouvoir étatique apparaît
propre à canaliser les comportements guerriers des hommes dans l'état de nature par
la crainte que son existence inspire. Le contrat social, de nature synallagmatique,
impose alors à l’État une fonction de conservation de la vie des citoyens, en échange
de l'abandon par l'individu-citoyen de sa liberté politique. C'est le sens de
l'affirmation de Bertrand Badie selon laquelle, « culturellement et rationnellement,
l'obéissance civile trouve sa contrepartie dans les prestations qu'offre l’État en
matière de sécurité physique, économique et sociale ».66 Ainsi, armé pour accomplir
sa fonction de défense des individus-citoyens, l’État désarme ces derniers.67 Partant,
les conditions de la paix sont assurées par l'instance étatique, écartant la menace d'une
mort violente.68 Pour que l’État puisse accomplir son obligation contractuelle, il est
nécessaire qu'il détienne le monopole de la violence légitime. Une telle prérogative
64
65
66
67
68
C. Schmitt, La notion de politique. Théorie du partisan, traduit par M.-L. Steinhauser,
Champs classiques, Flammarion, 1992, p.207
Voir T. Hobbes, Le Citoyen ou les fondements de la politique, Paris, Gallimard, 1982, p.93
B. Badie, « Terrorisme et État », Etudes polémologiques, Paris, Institut français de
polémologie, n°1/1989, pp.7-12 (extraits), in X. Crettiez, « Le terrorisme, violence et
politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris, La Documentation française, n°859, 29
juin 2001, pp.48-50, p.49
G. Haarscher, Les démocraties survivront-elles au terrorisme?, Collection Quartier Libre,
Editions Labor, 2002, p.10
D. Rosenfield, « Terreur et Barbarie », in J.-F. Mattéi et D. Rosenfield (dir.), Civilisation et
barbarie, Réflexions sur le terrorisme contemporain, Presses Universitaires de France, 2002,
pp. 27-49, p.38
22
lui est légalement reconnue et l’État renvoie dès lors à la « forme institutionnalisée
du pouvoir ».69 Comme l'indique la définition weberienne de l’État, si « la violence
n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l’État, [...] elle est son moyen
spécifique ».70
Le monopole étatique de la violence légitime s'exprime encore dans le monopole
étatique de la détermination du « droit » à la violence : l’État est seul décisionnaire
dans le droit d'entités non étatiques d'user de la violence. 71 L'appellation est dès lors
le fait d'une instance régulière : sont « terroristes » ceux qui sont nommés comme tels
par les autorités étatiques. Ainsi, s'il existe un droit de résistance comme le suggère la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales de 1950, la reconnaissance de son exercice est « quasi fictive ».72 En
d'autres termes, ce n'est que dans la mesure où ceux qui revendiqueraient un droit à
l'autodétermination renonceraient à la violence qu'une telle autodétermination
pourrait éventuellement être reconnue.73 La question de l'exclusion des « combattants
de la liberté » des groupements désignés comme terroristes, notamment dans le cadre
de conventions internationales, a ainsi été particulièrement débattue. Certains, comme
Antonio Cassese, estiment qu'un tel débat est « davantage idéologique ou
psychologique que véritablement juridique »,74 ce qui renforce l'hypothèse d'une
69
70
71
72
73
74
Y. Michaud, Violence et politique, Paris, Gallimard, 1978, pp.171-176 (extraits), in X.
Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris, La
Documentation française, n°859, 29 juin 2001, pp.51-53, p.51
M. Weber, Le savant et le politique, traduit par J. Freund, Paris, Plon, 1959, pp.112-113
Ibid, pp.112-113. Voir J. Krieber, supranote 37, p.32
A. Petropoulou, supranote 22, p.37
Ibid, p.38
L. Hennebel et G. Lewkowicz, supranote 7, p.54. En effet, « le droit international
humanitaire ne protèg[e] pas davantage les acteurs terroristes que ne le ferait le droit pénal
international applicable en temps de paix ». A. Cassese « prône la combinaison du droit
international humanitaire – dans le cas où les actes réputés terroristes sont commis contre
des combattants au cours d'un conflit armé – et des règles internationales relatives au
23
labellisation. Ce processus de labellisation prend sa source dans la détermination de la
figure schmittienne de l'ennemi à l'intérieur de l'unité politique qu'est censé assurer
l’État. Selon Carl Schmitt, l’État de l'époque moderne est en effet l'instance qui
désigne l'ennemi. La politique est le lieu de discrimination de l'ami et de l'ennemi, et
cette distinction dessine la frontière entre les différentes communautés politiques. 75
Le terrorisme consiste précisément en « une tentative de faire passer la distinction
ami/ennemi à l'intérieur de l'entité politique ».76 Pour le terroriste, une telle division
est déjà présente au sein de cette entité politique.
Contrairement à la figure du criminel à laquelle il est souvent renvoyé, et « qui
recourt à la violence par effraction à l'intérieur de l'ordre politique existant, le
terroriste [...] remet en cause cet ordre même ».77 La finalité du terrorisme est
« méta-politique » : il s'agit de « changer les règles mêmes qui définissent le jeu
politique ».78 Ainsi, la figure du terroriste s'inscrit dans une dynamique de négation de
l’État en place dont il rejette le monopole de la violence légitime :79 le recours à une
violence privée vient en ce sens interroger un tel monopole.80 Parce qu'il refuse ce
dernier, le terroriste cherche à s'extraire des règles sociales qui le justifient, souhaitant
75
76
77
78
79
80
terrorisme – lorsque ces actes touchent les civils, au cours d'un conflit armé. Cette position
est celle adoptée par la Convention sur le financement du terrorisme, la législation
canadienne, certaines Cours italiennes et le Ministre israélien des Affaires Etrangères Tzipi
Livni » (pp.56-57). Voir A. Cassese, « The Multifaced Criminal Notion of Terrorism in
International Law », Journal of International Criminal Justice 4 (2006), 933-958, Oxford
University
Press,
2006,
http://ejournal.narotama.ac.id/files/The%20Multifaceted
%20Criminal%20Notion%20of%20Terrorism%20in%20International%20Law.pdf
[consulté le 12 mai 2015]
C. Schmitt, supranote 64
P. Dumouchel, supranote 46, p.28
Ibid, p.29
Ibid, p.33
Voir B. Badie, supranote 66, pp.48-49
A. Petropoulou, supranote 22, p.30
24
ainsi « échapp[er] à la logique étatique ».81 Ses actes se veulent donc diamétralement
opposés à ceux qui respecteraient la structure sociale telle qu'elle émane du contrat
hobbesien : ils « contredisent la raison même qui pousse les hommes à entrer dans
une relation étatique ».82 Guy Haarscher affirme ainsi que la figure contemporaine du
terrorisme semble aller jusqu'à rechercher l'anéantissement du contrat social, 83
comme Carl Schmitt écrivait en son temps que le partisan trouvait dans la destruction
de l'ordre social à la fois la raison d'être et le but de sa lutte. 84 En effet, une
conception pleinement pacifiste de l'acte révolutionnaire semble difficilement
tenable : « qui envisage de renverser le pouvoir établi prend le risque de s'affronter
avec lui ».85 Pour le terroriste, la paix n'est en réalité qu'une apparence qu'il se doit de
dissiper, fut-ce par la violence.86
***
Cette négation du monopole étatique de la violence légitime n'est pas sans
conséquence : le statut légal en droit international est dénié à la figure du terroriste,
qui voit ses actions qualifiées de « forme illégale de guerre ».87
En temps de guerre, des droits sont accordés à l'ennemi : « la guerre ne signifie pas
l'absence d'un statut légal, mais uniquement un statut légal différent de celui existant
81
82
83
84
85
86
87
D. Rosenfield, supranote 68, p.38
Ibid, p.38
G. Haarscher, supranote 67, p.10
C. Schmitt, supranote 64, p.280
S. Moulain, supranote 41, p.45
G. Andréani, « Le concept de geurre contre le terrorisme fait-il le jeu des terroristes ? », in
Justifier la guerre ? De l'humanitaire au contre-terrorisme, G. Andréani et P. Hassner (dir.), 2e
édition, Sciences Po les Presses, 2013, pp.197-219, p.199
A. Merari, supranote 36, p.86
25
en temps de paix ».88 Traditionnellement associé à l'exercice de la violence légitime, 89
le droit de la guerre ne s'applique en effet qu'aux puissances souveraines. 90 C'est ainsi
que Jean-Jacques Rousseau affirme que la guerre est une affaire entre personnes
publiques.91 Dès lors, le droit de la guerre ne s'applique qu'aux armées régulières et
« ne laisse pas de place au partisan au sens moderne, [...] criminel particulièrement
méprisable et […] tout simplement [...] hors la loi ».92 Le droit international a
néanmoins évolué depuis la Seconde Guerre mondiale en étendant ces droits aux
combattants d'armées irrégulières,93 cependant conditionnés « au respect par les
intéressés des lois de la guerre ».94 Mais le partisan semble précisément remettre en
cause cet encadrement qui consiste à « ni[er] l'hostilité absolue ».95 Ainsi Carl
Schmitt affirmait-il que « la clandestinité et l'ombre sont ses armes les plus fortes,
auxquelles il ne saurait honnêtement renoncer sans quitter le domaine de
l'irrégularité, c'est-à-dire sans cesser d'être un partisan ».96 Selon le droit de la
88
89
90
91
92
93
94
95
96
F. Hacker, Terreur et terrorisme, traduit par G. Cornilleau, Flammarion, 1976, p.206
Voir J. Krieber, supranote 37, p.26
Voir E. de Vattel, Le droit des gens, ou Principes de la loi naturelle (1773), Neuchatel, Société
typographique, Livre III, chapitre I, paragraphe 4
Voir J-J. Rousseau, L'État de guerre (1756-1758), Les Philosophiques (Arles), Actes Sud,
2000
C. Schmitt, supranote 64, pp.212-213
Ibid, p.226 : « L'évolution qui a abouti aux Conventions de Genève de 1949 a ceci de
caractéristique qu'elle admet des assouplissements de plus en plus larges du droit des gens
européen, exclusivement étatique jusqu'alors. Des catégories de plus en plus nombreuses de
participants aux hostilités ont dès lors statut de combattants réguliers ». Voir également S.
Moulain, supranote 41, p.61
Ibid, p.227 : les Conventions de Genève imposent en effet « quatre conditions [...] pour une
assimilation des partisans aux forces armées régulières (« avoir à leur tête une personne
responsable pour ses subordonnés ; avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à
distance ; porter ouvertement les armes ; se conformer dans leurs opérations aux lois et
coutumes de la guerre ») ». Voir également S. Moulain, supranote 41, p.61
C. Schmitt, supranote 64, p.300. Voir J. Krieber, supranote 37, pp.22-23 : il convient ici de
préciser que de telles règles légales répondent à « un code particulier à l'histoire de
l'Occident qui, petit à petit, suivant la généralisation du modèle de souveraineté étatique,
s'est répandu partout sur la planète. […] Dans les faits, la menace, la ruse, la surprise, la
terreur et l'assassinat sont des tactiques très fréquentes dans l'histoire des conflits entre
groupes humains. En dehors de la civilisation occidentale, c'est une façon normale de faire la
guerre »
C. Schmitt, supranote 64, p.244
26
guerre, aujourd'hui droit international humanitaire, les actes de guerre doivent être
nécessaires, proportionnels à l'objectif recherché –notamment dans le type d'armes
utilisées–, et discriminer les combattants et les non-combattants.97 L'obligation de
distinction comprend celle de porter ouvertement les armes, notamment par le port
d'un signe distinctif –généralement un uniforme, « démonstration d'une certaine
domination de la vie publique ».98 Doivent également être respectées, entre autres, les
règles relatives à la souveraineté des pays neutres, à l'intégrité des organisations ou
structures arborant des emblèmes protecteurs, et au traitement des prisonniers. 99 Sur
ce dernier point, le soldat peut en effet « être détenu jusqu'à la cessation des
hostilités, mesure non punitive mais de précaution, destinée à éviter qu'il ne retourne
prendre part au combat ».100
Un simple examen factuel semble montrer une violation générale de ces règles par les
terroristes.101 Bruce Hoffman va ainsi jusqu'à affirmer que le refus d'être lié par les
règles du droit de la guerre serait « l'une des raisons d'être essentielles du terrorisme
transétatique ».102 Deux explications à cela sont avancées. Souvent présentées
comme opposées, elles semblent en réalité complémentaires. Selon la première, c'est
par principe et pour « rester « libre » » que la figure du terroriste « ne peut et ne veut
accepter aucune règle, ne connaît et ne reconnaît aucun accord qu'il devrait
97
98
99
100
101
102
Voir J. Krieber, supranote 37, p.27. Voir également C. Schmitt, supranote 64, p.212 : « le droit
classique de la guerre […] comporte des distinctions nettes, principalement entre guerre et
paix, entre combattants et non-combattants, entre un ennemi et un criminel. La guerre y est
conduite d’État à État en tant que guerre des armées étatiques régulières entre sujets
souverains d'un jus belli, qui se respectent jusque dans la guerre en tant qu'ennemis sans se
discriminer mutuellement comme des criminels, de sorte que la conclusion d'une paix est
possible et même demeure l'issue normale et toute naturelle de la guerre »
C. Schmitt, supranote 64, p.217. Voir G. Andréani, supranote 86, p.202
Voir F. Hacker, supranote 88, p.206
G. Andréani, supranote 86, pp.202-203
Voir B. Hoffman, supranote 24, p.43
Ibid, p.44
27
respecter ».103 La deuxième puise dans l'infériorité du groupe terroriste, en termes de
nombre, d'armement et de ressources, pour affirmer qu'il n'a pas d'autre moyen que
d'opérer ainsi, à savoir clandestinement.104 Les défenseurs de cette dernière
explication poursuivent parfois en expliquant que la figure du terroriste voudrait
pourtant « avant tout être considér[ée] et reconnu[e] comme des groupes souverains
menant une guerre légitime ».105 Le terroriste, tout en rejetant tout cadre légal,
revendiquerait d'être en guerre et de pouvoir se voir attribuer le statut de combattant
qui en est le corollaire. Estimant être des combattants (de la liberté), ils revendiquent
le droit de bénéficier du statut de prisonnier de guerre, et notamment de ne « pas être
poursuivis, comme des criminels de droit commun ».106 Alors que « la guerre est une
affaire sérieuse », le traitement juridique du terrorisme comme une forme de
criminalité participe du processus de labellisation.107
Comme évoquée précédemment, cette distinction est pourtant fragile. En particulier,
il est difficile de persister dans la volonté de singularisation du terrorisme lorsque
103
104
105
106
107
F. Hacker, supranote 88, p.207. Voir B. Courmont et D. Ribnikar, supranote 57 p.41
B. Hoffman, supranote 24, p.42. Voir A. Merari, supranote 35, p.86 : « Les règles de conduite
de chacune des deux parties dérivent des capacités et des nécessités et subissent des
changements pour des raisons qui sont essentiellement pragmatiques ». Voir également S.
Moulain, supranote 41, p.61 : « tenir son arme en évidence équivaut pour lui à renoncer à
son principal avantage tactique »
F. Hacker, supranote 88, p.207
B. Hoffman, supranote 24, p.42. Voir G. Andréani, supranote 86, p.199 : « C'est vrai, d'abord,
des mouvements de libération nationale ou des nationalismes minoritaires, qui estiment être
en guerre avec une puissance extérieure, le colonisateur, ou le pouvoir étatique dont ils
veulent s'affranchir. Leur objectif est de faire reconnaître qu'il existe avec eux un état de
guerre, prélude logique à leur but ultime : la reconnaissance internationale de leur existence
en tant que nation indépendante. C'est vrai aussi du terrorisme interne […] : leur violence est
une action en légitime défense en réponse à la violence sociale »
G. Andréani, supranote 86, p.200, illustrant : « Face à ces déclarations de guerre, l'autorité
étatique répond invariablement que les terroristes sont des criminels et non des guerriers :
[…] la France qualifiait la guerre d'Algérie d' « opérations de maintien de l'ordre en Afrique
du Nord » »
28
celui-ci vise des non-combattants.108 Les États ne sont en effet pas toujours
respectueux des principes issus des conventions de droit international humanitaire
auxquelles ils sont pourtant parties :109 dans l'histoire moderne, les violations les plus
importantes du droit de la guerre, et des droits de l'homme plus généralement,
semblent ainsi avoir été commises par des entités étatiques. Tout particulièrement, les
non-combattants paraissent avoir été intentionnellement pris pour cible par ces
mêmes entités.110 Dès lors, le caractère artificiel propre au processus de labellisation
est mis en exergue par une politique de distinction bancale entre légalité et illégalité.
En effet, il semble difficile de concevoir que soient déclarées illégales « les méthodes
de combat utilisées par des mouvements de libération nationale » mais légale « la
politique de terrorisme infligée à certains peuples [par les forces armées d'États
établis] ».111 S'il est parfois reconnu que certaines instances étatiques ont pratiqué du
« terrorisme d’État », une telle formule ne semble être retenue qu'à l'encontre de
régimes totalitaires et dictatoriaux, « à la condition qu'ils soient lointains ou
passés ».112 Certains répondent à cela que, lorsque les instances étatiques violent ces
règles, leurs actes sont qualifiés de crime de guerre ou de crime contre l'humanité, et
qu'en dépit des imperfections dans les réponses juridiques apportées à ces crimes, leur
responsabilité est reconnue...113
***
108
109
110
111
112
113
Voir A. Merari, supranote 36, p.86
Voir B. Hoffman, supranote 24, p.41, citant notamment « le principe d' « équilibre de la
terreur », présidant à la politique nucléaire stratégique mise en œuvre après guerre par les
deux superpuissances, dont les objectifs visaient délibérément la population civile ennemie »
A. Merari, supranote 36, p.86
B. Hoffman, supranote 24, p.42, citant les propos tenus par le représentant de Cuba lors de
débats à l'Organisations des Nations Unies
C. Marchetti, supranote 4, p.520
B. Hoffman, supranote 24, p.44
29
L'exclusion du phénomène terroriste du droit international humanitaire et la négation
du statut de combattant légal de ses acteurs mènent à l'élaboration de politiques
étatiques anti-terroristes. Comme cela a été évoqué plus avant, pour conserver
l'intégrité de son entité politique, l’État use de son monopole dans la détermination du
« droit » à la violence.
En effet, l’État procède à une labellisation, dans laquelle l'apparente scientificité du
concept dissimule une idéologie pourtant prégnante. La désignation de terroriste
permet tout à la fois la stigmatisation comme « ennemi officiel de l'État » avec lequel
« on ne saurait pactiser ni même dialoguer », et le discrédit cautionné par la plus
large partie de l'opinion publique.114 Finalement, l'appellation terroriste semble être la
manifestation « de l'état des rapports de force sociaux et politiques ».115 Le pouvoir
de labellisation constitue en cela « le plus grand privilège des pouvoirs », et ce
d'autant plus qu'il « parvient à occulter ses propres mécanismes d'étiquetage ».116 En
réalité, l'importance de l'auteur de l'acte terroriste supplante la nature de l'acte : c'est
la lutte politique qui est labellisée. 117 En d'autres termes, l'enjeu des phénomènes
terroriste et anti-terroriste est la légitimation pour l'acteur irrégulier, la
disqualification de son ennemi pour l'instance régulière.118 Une telle disqualification
permet de justifier l'emploi de tous les moyens, aux premiers rangs duquel figure le
114
115
116
117
118
C. Marchetti, supranote 4, p.4
Ibid, p.4
Ibid, p.4. Par exemple, « Bien des recherches partent [...] de ce présupposé selon lequel
l'Irish Republican Army (IRA) est un mouvement terroriste. Plus rares en revanche, sont
celles qui interrogent la raison pour laquelle l'IRA est présentée comme terroriste »
Voir C. Marchetti, supranote 4, p.519
Voir S. Moulain, supranote 41, p.62
30
recours à la violence, afin de combattre cet ennemi. 119 En effet, l’État de droit n'aurait
d'autre solution, pour honorer son contrat, –c'est-à-dire « rétablir le principe de
l'ordre public et [...] protéger ses citoyens en les mettant à l'abri d'une mort
violente »–, que « d'exercer son autorité par l'utilisation de la force ».120
Dès lors, « quel meilleur moyen [...] que d'utiliser le biais du droit pénal, symbole de
la souveraineté étatique, et instrument de la violence légitime dont l’État est l'unique
détenteur ? ».121 Ainsi, face à une violence insurrectionnelle, l’État édicte des lois
d'exceptions voire un état d'urgence offrant aux forces étatiques la possibilité d'user
de la violence et de la coercition d'une manière et dans une mesure « qui serai[ent]
en temps normal considérée comme immorale ».122 La société civile accueille
majoritairement un tel régime dérogatoire au droit commun avec bienveillance, y
voyant l'expression de la légitime défense, 123 quand bien même ce régime est porteur
de nombreuses violations des droits humains.124 Pourtant, en répondant de la sorte au
phénomène terroriste, l’État sonne le glas de sa victoire. En effet, « l'entreprise
terroriste tend à vider de sa substance le pacte social sur lequel reposent la
construction de l’État et l'obéissance civile »,125 et c'est précisément cette substance
qui est atteinte par un tel régime dérogatoire. Ainsi, la violation de droits
fondamentaux par l'entité étatique semble témoigner du succès de l'entreprise
terroriste : dans leur réponse au terrorisme, les États procèdent eux-mêmes à
119
120
121
122
123
124
125
Voir C. Marchetti, supranote 4, p.181
D. Rosenfield, supranote 68, p.39
J. Alix, supranote 10, p.27
A. Merari, supranote 36, p.87
Voir C. Marchetti, supranote 4, pp.532-533
Voir A. Petropoulou, supranote 22, p.35. Voir également l'actualité relative au projet de loi
relatif au renseignement, n°2669, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19
mars 2015, et présenté comme une réponse aux attentats terroristes de janvier 2015
B. Badie, supranote 66, p.49
31
l'anéantissement du contrat social que le terrorisme visait. C'est précisément un tel
succès de l'action terroriste que le Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg refuse
en déclarant, après les attentats tristement connus comme la tuerie d'Utoya du 22
juillet 2011, qu'il faut « répondre à la terreur par plus de démocratie, plus
d’ouverture et de tolérance ». Par ailleurs, en concédant, même partiellement, son
impuissance à contrer le phénomène terroriste, et donc son incapacité à exécuter ses
obligations contractuelles issues du pacte social –à savoir garantir la sécurité des
individus-citoyens, l’État délégitime son action et, partant, le fondement de
l'obéissance civile.126 Bertrand Badie suggère dès lors que « tous ces effets de
délégitimation, voire de destruction de la logique étatique, sont conscients, c'est-àdire perçus par les acteurs des mouvements terroristes et utilisés explicitement dans
leur stratégie ».127
Qui plus est, le caractère dérogatoire du régime adopté au titre d'une légitime défense
offerte à la population civile dénote avec l'appellation de guerre. Dans un premier
temps rejetée,128 elle est aujourd'hui communément utilisée pour désigner le conflit
qui opposent les États aux violences terroristes. La qualification du conflit comme
guerre semble répondre à une raison politique : une rhétorique valorisante pour
l'équipe politique en place qui souligne notamment la dimension planétaire du
conflit.129 Pourtant, ce « vocabulaire de guerre […] grandi[t] inutilement l'ennemi et
valoris[e] de façon démesurée, et presque ridicule, sa créativité idéologique et ses
126
127
128
129
Ibid, pp.49-50
Ibid, p.50
Voir B. Stora, La gangrène et l'oubli – La mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1998, p.15, citant F. Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur : « Nous éviterons
tout ce qui pourrait apparaître comme une sorte d'état de guerre » (1954)
G. Andréani, supranote 86, p.201
32
capacités stratégiques ».130 Un tel vocabulaire n'apparaît pas non plus davantage
propre à sauvegarder les droits humains. Ainsi, ceux qui emploient cette terminologie
revendiquent « toutes les facilités de la guerre dans le traitement de leurs
adversaires, tout en leur en refusant le bénéfice. Ils se veulent en guerre, tout en
déniant à leurs ennemis le droit de l'être eux-mêmes avec eux ».131 Notamment, il
semble difficile de ne pas évoquer ici le sort réservé par les autorités américaines à
ceux qu'ils qualifient de terroristes, alors même que subsiste souvent une incertitude
que la présomption d'innocence devrait couvrir. De nombreux suspects nationaux et
étrangers ont ainsi été détenus sans jugement et sans limite de temps jusqu'à la paix –
à ceci près que la lutte antiterroriste n'entrevoit pas une telle limite. 132 En effet, si la
paix définit l'horizon de libération « les prisonniers [seront] condamnés à la prison à
vie, quelle que soit la gravité de leur délit », en violation directe du principe de
proportionnalité des peines.133
***
Ainsi le critère d'irrégularité est-il central dans la définition de la figure du terroriste :
opposée à l'entité étatique, régulière, cette figure du terroriste se voit logiquement
130
131
132
133
Ibid, p.202
Ibid, p.204
Ibid, pp.203-204. A noter cependant que la Cour suprême des États-Unis a censuré la
politique américaine en reconnaissant en 2004 le bénéfice de l'habeas corpus aux personnes
détenues à Guantanamo, et en 2006 la protection des Conventions de Genève aux présumés
terroristes (p.205)
M. J. Glennon, « Un combat sui generis » (trad. par Nathalie Savary), in Justifier la guerre ?
De l'humanitaire au contre-terrorisme, G. Andréani et P. Hassner (dir.), 2 e édition, Sciences
Po les Presses, 2013, pp.239-252, p.242, précisant : si l'acte de terrorisme était considéré
comme un crime de droit commun, l'auteur « devrait être libéré à la fin de sa peine. Selon les
principes de base de la justice criminelle, personne ne doit être incarcéré simplement parce
qu'il est « mauvais », mais uniquement pour un délit caractérisé et pour une durée
déterminée à l'avance »
33
écartée de l'usage d'une violence légitime dont l’État a le monopole du fait du pacte
social, alors même que c'est précisément cette répartition binaire du légitime et de
l'illégitime usage de la violence qu'elle remet en cause. Plus encore, une telle
répartition binaire apparaît intimement liée à l'évolution des intérêts géopolitiques des
instances étatiques.
34
DEUXIEME PARTIE : L'IRREGULARITE, UN CRITERE
INTIMEMENT LIE A L'EVOLUTION DES INTERETS
GEOPOLITIQUES DES INSTANCES REGULIERES
« Pour se libérer de l'état de nature, les hommes
devaient choisir l’État. Ici ils ont les deux à la fois :
la terreur et la règle »134
Le critère d'irrégularité est intimement lié à l'évolution des intérêts géopolitiques des
instances régulières. En effet, ce critère a ceci de particulier qu'il participe d'une
singularisation temporelle de la figure du terrorisme. Cette temporalité apparaît
étroitement liée aux intérêts géopolitiques des entités étatiques. Cela laisse suggérer
que le phénomène terroriste constituerait en réalité la nouvelle forme de guerre menée
de manière officieuse entre celles-ci.
***
Le critère d'irrégularité, central dans l'attribution de la qualification de terroriste,
laisse place à la possibilité d'une évolution dans une telle attribution. Dès lors, la
figure du terroriste, loin d'être immuable, suit les variations que connaît le critère de
régularité.
134
Y. Michaud, supranote 69, p.53
35
L'évolution du caractère régulier ou irrégulier d'un mouvement exerçant un
phénomène de violence a un impact extrêmement important sur la qualification de
terrorisme. Une telle temporalité de la qualification, qui rend poreuse la limite de la
définition du phénomène terroriste, pose la question de la clarté –voire de la
pertinence– de la distinction entre acte terroriste d'une part, et acte de violence
considéré légitime d'autre part. En effet, la seconde formulation semble incarner une
« institutionnalisation » a posteriori d'actes qualifiés dans un premier temps de
terroristes. Cette « institutionnalisation » par des instances régulières accompagne la
« régularisation » de groupements à l'origine irréguliers. Selon la formule consacrée,
« les terroristes d'hier deviennent parfois les résistants de demain, pour peu que la
suite des événements leur donne raison, ce qui arrive parfois ».135 C'est ainsi, par
exemple, que Yasser Arafat, dirigeant du Fatah puis président de l'Organisation de
libération de la Palestine, a été qualifié de terroriste avant d'être considéré comme
partenaire légitime et officiel de négociations dans le processus de paix israélopalestinien, de devenir président de la nouvelle Autorité palestinienne, et enfin de se
voir décerner le prix Nobel de la Paix en 1994. Il suffit d'évoquer également le cas de
Nelson Mandela pour souligner l'absence du caractère exceptionnel d'une telle
évolution dans le statut.136 Ainsi Isabelle Sommier parle-t-elle de « guerre
psychologique » :137
« loin
d'être
un
concept,
le
terrorisme
est
une
« construction » ».138 Le statut de Georges Ibrahim Abdallah autour duquel a eu lieu
135
136
137
138
S. Moulain, supranote 41, p.58
J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.33 « La remarque vaut pour la plupart des Premiers
ministres israéliens du fait de leur participation aux combats fondateurs de l’État d'Israël :
Ben Gourion (Haganah), Yitzhak Shamir (Lehi ou groupe Stern), Menahem Begin (Irgoun),
Ehud Barak, Ariel Sharon (Forces spéciales), etc »
I. Sommier, supranote 14, p.90
S. Moulain, supranote 41, p.58
36
le 1er mai 2015 un énième rassemblement de soutien illustre, de manière plus
contemporaine encore, la difficulté de qualifier une figure irrégulière de terroriste.
Militant communiste libanais condamné en France à la réclusion à perpétuité pour des
actes terroristes en tant que chef de la Fraction armée révolutionnaire libanaise,
Georges Ibrahim Abdallah a acquis le triste statut de plus ancien prisonnier politique
d'Europe. La condamnation de Johan Teterisa, leader du mouvement indépendantiste
local République des Moluques du Sud, à une peine de prison à vie en 2008 pour
avoir agité un drapeau du mouvement séparatiste lors de la visite du président de la
République unitaire d’Indonésie – fait qualifié de haute trahison– mérite également
d'être ici mentionnée. Au vu des développements précédents, ces deux derniers
exemples mettent en exergue la fragilité de la qualification de terroriste et une future
légitimation politique ne peut être exclue –si tant est qu'elle ne soit pas déjà
souhaitable.
Sur la scène internationale, la délimitation entre acte terroriste d'une part, et acte de
violence considéré légitime d'autre part, est tout particulièrement floue lorsque sont
considérés les mouvements de lutte pour le droit à l'autodétermination. En effet,
l'objectif de la lutte n'atténue nullement –s'il n'y participe pas pleinement– le fait qu'il
s'agisse d'« autant d'actes de violence commis à des fins de désorganisation
institutionnelle ou sociale ».139 L'exemple topique est celui des peuples qui se sont
soulevés face à la puissance coloniale, comme le fit le peuple algérien. Qualifiés de
terroristes alors qu'ils étaient encore sous la coupe du colonisateur, les mêmes
groupements devenaient des « combattants de la liberté » une fois l'indépendance
139
J. Alix, supranote 10, p.36
37
acquise. Le terroriste serait donc l'éventuelle future figure du régulier. En ce sens, la
règle qui a prévalu dans le cadre des luttes de libération nationale est « la
réintégration de l'ennemi dans le domaine de la loi. [...] Le terroriste d'hier est alors
devenu le partenaire d'aujourd'hui ».140 Cette « terminologie « politiquement
correcte » » de combattant de la liberté offre à ceux qu'elle désigne « la marque de la
légitimité politique [...] accordée par la communauté internationale ».141 C'est ainsi
que devant l'assemblée générale des Nations Unies en 1974, Yasser Arafat identifie
« « la différence entre le révolutionnaire et le terroriste [...] dans les motifs pour
lesquels chacun se bat. Car il est impossible d'appeler terroriste celui qui soutient
une cause juste, qui se bat pour la liberté, pour la libération de sa terre des
envahisseurs, des colons et des colonialistes » ».142 La porosité d'une telle distinction
a contribué à l'avortement des tentatives d'élaboration d'un outil international de lutte
contre le terrorisme, en dépit de l'ajout de clauses excluant de la qualification de
terroriste les actes voués à défendre l'autodétermination des peuples.143
Tout aussi topique est l'illustration française des actes de résistance lors de la Seconde
Guerre mondiale. Les mouvements de résistance face à l'occupation allemande en
France sont fréquemment présentés comme des exceptions axiomatiques aux
140
141
142
143
H. Laurens, « Conclusions – Du terrorisme à une histoire de la peur », in Terrorismes,
Histoire et droit, H. Laurens et M. Delmas-Marty (dir.), Bibli, 2010, pp.329-333, p.333
B. Hoffman, supranote 24, p.31
Y. Arafat, Discours prononcé devant l'assemblée générale des Nations Unies le 13 novembre
1974
Voir notamment la résolution 3166 (XXVIII) du 14 décembre 1973 par laquelle l'assemblée
générale des Nations Unies adopte la Convention sur la prévention et la répression des
infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, §4 : « les
dispositions de la Convention […] ne pourront en aucun cas porter préjudice à l'exercice du
droit légitime à l'autodétermination et à l'indépendance, conformément aux buts et principes
de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à
la Charte des Nations Unies, par les peuples luttant contre le colonialisme, la domination
étrangère, l'occupation étrangère, la discrimination raciale et l'apartheid »
38
qualifications de terroristes. Pourtant, comme le souligne Ariel Merari, une telle
réserve n'est pas si manifeste pour un observateur aguerri : si les actes de résistance
n'étaient perpétrés que contre « l'appareil militaire et officiel de l'ennemi », c'est en
raison de l'absence de « civils de même nationalité que l'ennemi sur le théâtre des
opérations ».144 En outre, ces mouvements se soulevaient contre des civils partageant
leur nationalité, « collaborateurs réels ou supposés », et la communauté résistante,
qui opérait sans signe distinctif et en qualité de non-combattant, s'est vue affublée de
la qualification de terroriste par les autorités officielles, qu'elles relèvent de la
puissance ennemie occupante ou du régime collaborationniste de Vichy. La
perméabilité des notions entre terrorisme et résistance s'observe notamment au travers
des débats ayant eu lieu à l'occasion de la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 relative
à la lutte contre le terrorisme. 145 De manière plus contemporaine, la prégnance d'une
telle porosité favorise l'inquiétude face à l'adoption le 5 mai 2015 par l'Assemblée
Nationale en première lecture du projet de loi sur le renseignement. En effet, le projet
d'article L.811-3 du code de la sécurité intérieure ainsi formulé « Les services
spécialisés de renseignement peuvent, dans l'exercice de leurs missions, être
autorisés à recourir aux techniques prévues au titre V du présent livre pour le recueil
des renseignements relatifs aux intérêts publics suivants : […] 4° La prévention du
terrorisme […] 6° La prévention des violences collectives de nature à porter
gravement atteinte à la paix publique »146 n'est pas sans rappeler les débats relatifs à
la loi précitée de 1986, lesquels avaient déjà mis en évidence la possible et risquée
144
145
146
A. Merari, supranote 36, p.105
Journal officiel de la République française, 26 juin 1986, « Débats parlementaires –
Assemblée nationale », intervention de J.-F. Deniau lors de la première séance du 25 juin
1986, p.2466
http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl2669.pdf, p.16 [consulté le 8 mai 2015]
39
confusion entre terrorisme d'une part, et mouvement syndical ou social d'autre part.147
***
Le caractère évolutif de l'appellation de terroriste en fonction du critère d'irrégularité,
lequel participe de la porosité entre les notions d'acte terroriste d'une part, et acte de
violence considéré légitime d'autre part, apparaît intimement lié aux intérêts
géopolitiques des instances régulières. Irrégularité et régularité semblent dès lors
intrinsèquement dépendantes.
« Pour le partisan combattant les armes à la main, la coordination avec une
organisation régulière demeure indispensable ».148 Ainsi Carl Schmitt affirmait-il
sans hésitation aucune la constance du soutien d'instances régulières aux groupes
terroristes. Il semble alors que le terrorisme, qualification classiquement attribuée à
celui ou ceux qui n'ont pas le statut d'instance régulière qui offre le monopole de la
violence légitime, ne puisse pas exister sans « terrorisme d’État ». L'expression
« terrorisme d’État » s'entend ici, non pas d'actes qui seraient directement effectués
par des autorités étatiques, mais au sens de collaboration –plus ou moins directe– des
États à la survivance d'organisations terroristes. Nombreux sont les exemples
historiques qui témoignent d'un soutien accordé par des puissances étatiques à l'action
terroriste.149 Walter Laqueur fixe aux années 1920 le début de « l'implication massive
147
148
149
Journal officiel de la République française, 25 juin 1986, « Débats parlementaires –
Assemblée nationale », intervention de G. Ducoloné lors de la deuxième séance du 24 juin
1986, pp.2429-2430
C. Schmitt, supranote 64, p.220
J. Krieber, supranote 37, p.29
40
et systématique des gouvernements dans les mouvements terroristes à l'étranger »,150
et au début des années 1970 le « zénith » du « terrorisme multinational » qui
« entraîn[e] une étroite coopération entre des groupuscules terroristes un peu
partout dans le monde ».151 Le soutien d'instances étatiques, qui se retrouve dans les
deux illustrations précédemment proposées aux niveaux national –la résistance– et
international –la lutte pour l'autodétermination–, peut être idéologique, financier,
militaire, opérationnel, voire consister en une initiative des attaques terroristes. Une
telle initiative est parfois qualifiée de « sponsoring », comme l'illustre notamment la
« liste [américaine] des États à l'initiative desquels sont perpétrés [des] actes
terroristes ».152 Du simple soutien diplomatique à la « collaboration active »,153 en
passant par l'assistance en qualité de terre de refuge ou d'asile, ou encore le refus
d'accorder l'extradition,154 le panel des différentes formes de soutien offre ainsi des
couleurs extrêmement variées. Entre simple encouragement politique et fourniture de
moyens matériels, un tel panel propose une gradation dont il est difficile de distinguer
les éléments : complaisance, aide, soutien, initiative… autant de propositions qui
soulignent de nouveau la difficulté à définir le phénomène terroriste.
Le concours d'autorités étatiques est tout particulièrement saisissant dans la
participation financière à la perpétration d'actes terroristes. Alors que le 19 e siècle
150
151
152
153
154
W. Laqueur, supranote 35, p.125
Ibid, p.127
L. Richardson, « Terrorist as transnational Actors », Terrorism and political violence,
Londres, Frank Cass & Co. Ltd., vol. 11, n°4, hiver 1999, pp.210-214 (extraits), in X.
Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris, La
Documentation française, n°859, 29 juin 2001, pp.44-47, p.44
W. Laqueur, supranote 35, p.124
Ibid, p.125, illustrant : « L'un des conspirateurs de Sarajevo, Mehmedbasic, passa au
Monténégro; lorsque l'Autriche demanda son extradition, le gouvernement fit ouvertement
entreprendre une minutieuse enquête, mais en sous-main lui permit de fuir »
41
témoignait davantage de groupes terroristes aux financements modestes, les groupes
contemporains bénéficient largement d'apports financiers conséquents par les
instances régulières. Ce phénomène de financement se répandit après la Première
Guerre mondiale avant de se généraliser après la Seconde Guerre mondiale. C'est
ainsi que l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) participa
allègrement au financement de divers groupements terroristes, « soit directement, soit
par l'entremise de ses satellites de l'Europe de l'Est », en leur fournissant par ailleurs
« des armes [et] une assistance technique ». De même, « la Libye, l'Algérie et
d'autres pays arabes ont, dans l'ensemble, distribué de l'argent à pleines mains –
parfois, comme en Ulster, en soutenant dans un conflit les deux partis. L'IRA n'a
jamais cessé de recevoir de l'argent des États-Unis et les groupes terroristes
palestiniens touchent des centaines de millions de dollars des pays producteurs de
pétrole ».155 Des sources israéliennes estiment entre 150 et 200 millions de dollars les
revenus du Fatah en 1975 provenant de dons de pays arabes producteurs de pétrole. 156
Cela pose la question de la responsabilité des instances étatiques dans la perpétration
des actes terroristes : tracer l'origine du financement révèlerait les ramifications
internationales de responsabilité de tels actes. C'est pourquoi les origines des
financements sont souvent dissimulées afin « de permettre de repousser avec
indignation les accusations de complicité » ou présentées comme le fruit d'un « acte
humanitaire motivé par le désir de sauver des vies humaines ».157 La responsabilité
est encore indirecte mais entière lorsque des instances régulières collaborent à
155
156
157
Ibid, p.98. Il est également possible de citer, au rang des financeurs de groupements
terroristes, l'Inde, l'Iran, le Pakistan, la Syrie et la Turquie
Ibid, p.100, précisant que : « les chiffres donnés par la presse du « Front du Refus » et les
porte-parole[s] syriens (240 millions de dollars) sont plus élevés. Si on inclut les dépenses
pour la propagande politique et les dons en nature plutôt qu'en espèces (armes, équipement,
camp d'entraînement, etc.) les chiffres supérieurs peuvent bien être proches de la vérité »
Ibid, p.127
42
l'expansion du phénomène terroriste par compromission. C'est le cas notamment du
paiement de rançons ou d'échanges de libérations, qui sont autant de « concessions
condui[sant] à de nouvelles actions et à de nouvelles victimes de la terreur ».158
Ainsi le soutien étatique apparaît indispensable au développement de mouvements
terroristes. Ce soutien participe pleinement du changement de dénomination du
mouvement, en ce qu'il favorise son passage de groupement irrégulier à structure
régulière. Un tel passage d'une qualification de « terroriste » à celle de « combattant
de la liberté » est dès lors intimement corrélé aux intérêts géopolitiques des États : il
accompagne l'évolution d'une structure irrégulière vers la régularité, et donc l'exercice
légal et légitime de la violence. Cette évolution est directement dépendante du soutien
d'instances étatiques, lui-même intimement lié à la découverte d'intérêts géopolitiques
communs par ces dernières. Inversement, la qualification de « terroriste » par les
États correspond à l'absence d'intérêt géopolitique ou succède à la perte de tels
intérêts pour ceux-ci à soutenir des groupements, ou à la perte de mainmise sur ces
derniers. Dès lors, l'absence d'intérêt géopolitique de puissances étatiques condamne
certains mouvements à la pauvreté, comme c'est le cas du mouvement SudMoluquois : « parce que leurs aspirations ne coïncident pas avec les intérêts d'une
grande puissance […], [i]ls sont le prolétariat du monde terroriste ».159 Partant, la
gradation du soutien par des instances étatiques au phénomène terroriste a mené à une
« différenciation de classes » au sein des groupes terroristes, entre « aristocratie
terroriste avec de riches et puissants protecteurs, et […] prolétariat terroriste ».160 La
158
159
160
Ibid, pp.240-241
Ibid, p.239
Ibid, p.98
43
variation temporelle dans la manière de désigner la violence est particulièrement
prégnante dans le cas d'Oussama Ben Laden : de « combattant de la liberté » dans le
cadre de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, et bénéficiant alors d'un
soutien, notamment financier, par les services secrets américains, il est devenu
l'emblème du phénomène terroriste international. C'est ainsi une figure terroriste dont
la formation et l'efficacité ont directement été servies par la puissance américaine,
veillant alors à ses intérêts à court terme. Enfin, l'importance de l'influence des
instances étatiques sur le jeu de légitimation de la violence est fonction de l'ampleur
du contrôle que celles-ci opèrent sur les groupes qualifiés de terroristes. Se dessinent
ainsi différents niveaux d'influence décrits par Louise Richardson, dont le cinquième
et dernier niveau est « celui où un État-sponsor décide que les actions d'un
mouvement terroriste vont servir ses propres intérêts », et la tentative par ces groupes
de bénéficier cumulativement de plusieurs États « sponsors » afin de conserver leur
indépendance.161
***
Ce lien étroit qu'entretiennent instances régulières d'une part, et soutien et
légitimation de groupements terroristes d'autre part, a valu au phénomène terroriste la
qualification de « guerre par agents interposés ».162 L'hypothèse est celle du
terrorisme comme nouvelle forme de guerre, à savoir une guerre officieuse entre
instances régulières.
161
162
L. Richardson, supranote 152, pp.46-47
C. Artero, Le terrorisme contre les droits de l'homme, Mémoire soutenu à l'Université
Panthéon-Assas Paris II sous la direction de F. Haut pour le DEA de droit pénal et sciences
pénales, 2001/2002, p.17
44
La guerre au sens traditionnel du terme, i.e. la guerre conventionnelle, n'est plus
considérée admissible par la communauté internationale. La Seconde Guerre
mondiale et, dans une moindre mesure, l'émergence de l'Union européenne, ont
favorisé cette intolérance à la guerre conventionnelle. Dès lors, les instances étatiques
n'assument plus d'y participer, ce qui a mené entre autres à l'utilisation grandissante
de la menace nucléaire. En ce sens, Henry Laurens parle de « malaise dans la
guerre ».163 Parmi les buts des Nations Unies, exposés dans la Charte des Nations
Unies signée le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945, 164 se trouve au
premier rang celui de « maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin :
prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces
à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser,
par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit
international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de
caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix » (article 1,
alinéa 1). La Charte continue en indiquant que « les Membres de l'Organisation
règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière
que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en
danger » (article 2, alinéa 3). Ainsi, le recours à la force au niveau international est
fondamentalement prohibé : les instances étatiques se doivent de recourir à des
processus diplomatiques et de garantir la paix.
Si des États soutiennent les groupes terroristes dont les causes rejoignent leurs
163
164
H. Laurens, supranote 140, p.332
http://www.un.org/fr/documents/charter/pdf/charter.pdf [consulté le 9 mai 2015]
45
intérêts géopolitiques, tant matériellement qu'en leur reconnaissant –quoique plus
rarement– le statut de groupe politique, c'est souvent dans le but « d'éviter des
guerres conventionnelles déclarées, soit par crainte des nouvelles technologies, et
par conséquent de l'ampleur que pourrait avoir une telle guerre, soit par manque de
moyens ».165 En effet, la menace de l'emploi de l'arme nucléaire a mené à une impasse
dans la confrontation entre puissances étatiques. Le manque de moyens est également
un argument pertinent dès lors que, aujourd'hui, aucun État ne semble pouvoir
« prétendre rivaliser de manière conventionnelle avec la puissance militaire d'un
pays comme les États-Unis ».166 Utiliser le terrorisme comme instrument de politique
étrangère est au contraire grandement avantageux :« les coûts sont faibles, et si le
groupe atteint son objectif, les profits sont gigantesques. Si à l'inverse ils échouent,
l’État peut facilement, et en toute vraisemblance, les désavouer ».167 Les
superpuissances qui s'affrontaient dans le cadre de la guerre froide auraient ainsi
« cherché à utiliser des moyens détournés », au rang desquels les « guerres par
procuration » ou le « « sponsoring » terroriste ».168 L'expression de « guerre contre le
terrorisme » communément adoptée depuis les événements du 11 septembre 2011,
renforce l'idée de politiques terroristes et anti-terroristes se présentant comme les
165
166
167
168
C. Artero, supranote 162, p.16. Voir C. Schmitt, supranote 63, pp.282-283 : « le progrès
ininterrompu des moyens techniques du combat fait que le partisan ne saurait se passer de
l'aide constante d'un allié dont la capacité technique et industrielle l'approvisionne et
l'équipe en armes et en machines des plus modernes »
S. Moulain, supranote 41, p.60
L. Richardson, supranote 152, p.45
Ibid, p.45, illustrant : « Le gouvernement américain avait de bonnes raisons de vouloir
destabiliser les régimes de Santiago, de Managua et de la Havane, et il disposait de la
capacité militaire pour y parvenir. En agissant ouvertement, il aurait sans doute provoqué
une tempête de protestations, à la fois nationale et internationale. Il a donc choisi de venir en
aide aux groupes locaux animés des mêmes intentions que lui. Les gouvernements du bloc de
l'Est ont avancé le même raisonnement, ce qui explique sans doute le dialogue de sourds qui
s'est instauré à cette époque entre la droite, qui voyait une conspiration terroriste communiste
dirigée par les Soviétiques, et la gauche, qui voyait quant à elle une conspiration terroriste
anti-socialiste dirigée par les Américains »
46
deux adversaires d'une nouvelle forme de guerre qui viendrait remplacer la guerre
conventionnelle traditionnelle. Plus encore, la guerre contre le terrorisme apparaîtrait
comme un prétexte à certaines puissances étatiques afin de mener des guerres
autrefois qualifiées de conventionnelles sans avoir à affronter l'opprobre de la
communauté internationale. La guerre en Irak menée par les forces américaines a
ainsi pu être fortement critiquée par certains, qualifiée de prétexte permettant aux
américains de satisfaire leurs intérêts politiques et économiques. De manière plus
contemporaine, l'hypothèse mérite d'être transposée aux événements qui ont été
qualifiés d'invasion, annexion ou coup d’État, par la puissance russe en mars 2014,
alors que cette dernière désignait comme terroristes ceux qui refusaient le
rattachement à la Russie et qui étaient, pour d'autres, des résistants criméens.169
Walter Laqueur parle ainsi du « nouveau terrorisme multinational » comme d'« une
guerre subrogatoire entre gouvernements », « un labyrinthe presque impénétrable de
liaisons, d'intrigues, d'intérêts communs et conflictuels, de collaboration publique et
clandestine avec des gouvernements étrangers qui préféraient rester dans
l'ombre ».170 Carl Schmitt évoque quant à lui la vision du groupe irrégulier comme
« simple matériel sacrifié des batailles, [...] dépossédé de tout ce pour quoi il a
engagé le combat, de ce en quoi s'enracinait son caractère tellurique, légitimité de
son irrégularité de partisan ».171 En d'autres termes, cette guerre par agents
interposés que semble être le terrorisme et l'anti-terrorisme participerait pleinement
d'une nouvelle manière pour les États de mener leur politique étrangère. Une telle
169
170
171
La Crimée avait acquis, en 1991 après la chute de l'URSS, le statut de République autonome
au sein de l'Ukraine indépendante
W. Laqueur, supranote 35, p.127
C. Schmitt, supranote 64, p.282
47
politique est pourtant menée en dépit des obligations étatiques découlant de la
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations
Unies, à savoir notamment « de s'abstenir d'organiser, d'aider, de fomenter, de
financer, d'encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes
destinées à changer, par la violence, le régime d'un autre État ainsi que d'intervenir
dans les luttes intestines d'un autre État ».172 La confusion entre instances régulières
et groupes irréguliers serait dès lors complète. Si certains groupes irréguliers tentent
de conserver leur indépendance, notamment en acceptant ou sollicitant le soutien de
diverses instances étatiques,173 d'autres « serv[ent] presque exclusivement des intérêts
extérieurs ».174 L'idée d'une manipulation, consciente ou non, des groupes terroristes
par les puissances étatiques a ainsi pu être suggérée, 175 tout particulièrement lors de la
guerre froide où s'était répandue la vision des « attentats terroristes isolés, accomplis
par des groupes différents disséminés à la surface du globe » comme les « éléments
d'un gigantesque complot clandestin, dirigé par le Kremlin et élaboré par les pays
membres du Pacte de Varsovie, visant la destruction du monde libre ».176
***
172
173
174
175
176
https://textesdipannotes.files.wordpress.com/2013/02/a_res_2625_xvx-1.pdf [consulté le 9
mai 2015] : Annexe, p.9. Voir également p.6 : « Chaque État a le devoir de s'abstenir
d'organiser ou d'encourager l'organisation de forces irrégulières ou de bandes armées,
notamment de bandes de mercenaires, en vue d'incursions sur le territoire d'un autre État »
ainsi que « d'organiser et d'encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorisme
sur le territoire d'un autre État, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son territoire des
activités organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque les actes mentionnés dans le
présent paragraphe impliquent une menace ou l'emploi de la force »
Voir C. Schmitt, supranote 64, p.283 : « Quand plusieurs tiers intéressés sont en concurrence,
le partisan dispose d'une marge de manœuvre pour sa politique à lui »
W. Laqueur, supranote 35, p.127
Ibid, p.238
C. Starling, The Terror Network : The Secret War of International Terrorism, New York, Holt,
Rinehart et Winston, 1981
48
Central dans la définition de la figure du terroriste, le critère d'irrégularité est ainsi
intimement lié à l'évolution des intérêts géopolitiques des entités étatiques et participe
de la porosité d'une apparente bicatégorisation, suggérant dès lors une conception du
phénomène terroriste comme nouvelle forme de guerre dans le cadre de laquelle
s'affronteraient les puissances régulières par agents interposés. Un tel constat appelle
la mise en exergue du caractère subjectif inhérent à ce critère dont la neutralité est
pourtant largement revendiquée.
49
TROISIEME PARTIE : L'IRREGULARITE, UN CRITERE
QUI OCCULTE L'EXPRESSION D'UN JUGEMENT DE VALEUR
« On prétend que le mot terrorisme est « un terme
politiquement chargé » qui devrait être abandonné
[...]. C'est tout à fait exact »177
La centralité qu'occupe le critère d'irrégularité dans la qualification d'une entité de
terroriste occulte enfin l'expression d'un jugement de valeur. En effet, l'instance
régulière, étatique, est celle-là même qui est maître d'une telle qualification. C'est
précisément la légitimité de cette instance à décider de cette qualification par
l'exercice de son monopole de la violence légitime que le groupe irrégulier remet en
cause, rendant le processus de qualification dès lors pleinement subjectif. Le risque
de généralisation de la violence à des fins politiques pose cependant de nouvelles
questions tant en termes d'acceptation d'un statu quo que de la pertinence d'une prise
en compte juridique, puisque c'est la légitimité même de la violence exercée par l’État
qui semble pouvoir être interrogée.
***
Est qualifié de terroriste le groupe qui se définit par sa lutte contre l'instance étatique.
177
W. Laqueur, supranote 35, p.235
50
Celle-ci, qui revêt le critère fondamental de régularité, se targue d'une entière
légitimité à user de son monopole de violence contre ce groupe. Selon elle en effet,
celui qui conteste violemment la structure étatique est automatiquement terroriste du
fait même de son irrégularité. Cette objectivité revendiquée imprègne les codes
pénaux, et la qualification de « terroriste » est dès lors extraite de la sphère politique
pour venir envahir le domaine juridique. Si l’État se présente comme œuvrant à une
répartition des rôles pleinement objective en application du contrat social et de la
légitimité politique qui en découle, le groupe irrégulier remet précisément en question
une telle légitimité. C'est ainsi la qualification de terroriste, présentée comme en
découlant naturellement, qu'il convient ici de questionner.
Au vu de l'ensemble des développements précédents, la répartition des rôles ainsi
effectuée apparaît comme le résultat de l'exercice d'une subjectivité. Les évolutions
historiques dans l'assignation du critère de régularité à celui qui a pu antérieurement
être qualifié de terroriste doivent ici être tout particulièrement soulignées. C'est ainsi
que « la signification et l'usage du mot ont changé selon les périodes, pour faire
correspondre le discours politique et le vocabulaire de chaque époque ».178 Une telle
subjectivité semble inhérente au concept même de terrorisme –si tant est que le terme
de concept soit jugé satisfaisant à caractériser le terrorisme– puisque la qualification
de terroriste, « éminemment polémique et passionnelle »,179 porte en elle une charge
émotionnelle négative.180 Toute définition du terrorisme est en effet politisée 181 et
répond aux intérêts politiques de celui qui impose sa labellisation. 182 Plus encore, elle
178
179
180
181
182
B. Hoffman, supranote 24, p.35
I. Sommier, supranote 14, p.71
Voir A. Merari, supranote 36, p.73
Voir V. Martin Vanasse et M-O. Benoît, supranote 27, p.31
Voir F. Légaré, Terrorisme : peurs et réalités, coll. « Sécurité », Outremont : Athéna éditions,
51
est, de fait, « occidentalo-centrée ».183 L'emploi du mot, qui se veut scientifique alors
même que « la perception du terrorisme est directement influencée par le contexte
politique dans lequel il s'insère »,184 n'est en réalité que le produit d'un parti pris.
Ainsi, est terroriste ce que la puissance étatique, forte de son monopole de la violence
légitime, définit comme tel, définition à laquelle elle parvient à conférer une
apparence objective. En ce sens, il est communément question d'« attaques »
palestiniennes et de « représailles » israéliennes, sans que l'emploi de ces termes ne
soit véritablement questionné. Le caractère offensif du premier terme accolé au
peuple qui se revendique opprimé contraste pourtant grandement avec le caractère
défensif du second, associé au peuple représenté par la puissance étatique. À la fois
juge et partie, les instances étatiques et les analyses dominantes qu'elles font
prospérer « ont pour priorité non pas de rendre compte de la réalité sociale, mais de
prendre position dans le conflit en faveur des intérêts gouvernementaux ».185 C'est en
ce sens que Michel Wieviorka a pu affirmer qu'« on est terroriste [...] presque
toujours sous le regard de l'autre »,186 conduisant Clotilde Marchetti à suggérer que
« dénoncer des attentats comme étant de nature terroriste témoigne avant tout d'un
processus de construction sociale des représentations ».187 Enfin, la partialité
inhérente à la qualification de terrorisme est soulignée par le refus d'une telle
qualification par le groupe irrégulier. Ainsi, si la dénomination n'a pas toujours été
rejetée par les groupes remettant en cause l’État, elle l'est aujourd'hui largement :
celui qui est qualifié de terroriste se livre à un jeu de miroirs sans fin dans lequel il
183
184
185
186
187
2002, p.20. Voir également S. Best et A. J. Nocella, « Defining Terrorism », Animal
Liberation Philosophy and Policy Journal, vol. 2, n°1, 2004, p.4
V. Martin Vanasse et M-O. Benoît, supranote 27, p.44
F. Légaré, supranote 182, p.24
C. Marchetti, supranote 4, p.532
M. Wieviorka, Sociétés et terrorisme, Paris, Fayard, 1988, p.15
C. Marchetti, supranote 4, p.516
52
renverra cette qualification à l'instance étatique contre laquelle il se soulève. 188 Une
telle qualification est dès lors pleinement relative, en ce sens qu'elle dépend
directement de celui qui procède à son attribution.
Le groupe irrégulier tangue en réalité entre deux craintes : celle de se voir qualifier de
terroriste –terme porteur d'une connotation émotionnelle fortement négative– et celle
d'être relégué au rang de criminel –et donc de voir sa dimension politique niée. Le
choix est intrinsèquement politique et, dans les deux cas, il s'agit pour la puissance
étatique qui en use de discréditer les actions du groupement ainsi qualifié. L'absence
de définition précise et unanime du terrorisme favorise ce que certains vont jusqu'à
présenter comme une propagande.189 Dans le même temps, cette absence de définition
se nourrit d'une telle subjectivité, puisque le terme est précisément employé au
service d'une délégitimation.190 « Catégorie artificielle, médiatique, [...] arme
polémique », le terrorisme serait ainsi avant tout un instrument étatique aux fins de
disqualification de toute action anti-étatique, certains appelant dès lors de leurs vœux
l'exclusion du terme de tout travail qui se revendiquerait scientifique. 191 En effet,
véritable vecteur idéologique, le terrorisme se voit offrir une définition servant
davantage « la dénonciation que la compréhension ».192 Denis Duez dit ainsi de la
notion qu'elle « dénonce, [...] discrédite et [...] accuse, mais en aucun cas [...]
n'explique ».193 C'est ce processus de stigmatisation que l'expression de « guerre
contre le terrorisme » vient menacer, comme cela a été suggéré dans les
188
189
190
191
192
193
B. Hoffman, supranote 24, pp.36-38. Voir M. Begin, The Revolt, Londres, 1951, p.9
Voir notamment A. Merari, supranote 36, p.75
S. Moulain, supranote 41, p.57
D. Bigo et D. Hermant, supranote 56, p.19
X. Crettiez, « Le terrorisme, Violence et politique », Problèmes politiques et sociaux, Paris,
La Documentation française, n°859, 29 juin 2001, p.5
D. Duez, supranote 32, p.118
53
développements antérieurs : le risque est d'accorder aux dits terroristes une dignité et
une légitimité traditionnellement propre aux soldats au service de la puissance
étatique.194 Combinant les différentes voies de délégitimation à sa portée, la puissance
étatique
accompagne
généralement
la
qualification
de
terrorisme
de
sa
criminalisation. C'est en ce sens que Jacques Chirac, alors Premier ministre, avait
évoqué « la création dans le Code pénal d'un crime de terrorisme ».195 Loin d'être
érigé en infraction politique, afin d'exclure tout privilège dans le régime applicable, 196
le terrorisme se voit au contraire « considéré comme un élément dénotant l'infamie
particulière »197 et attribuer un régime dérogatoire extrêmement sévère et répressif. 198
Cette volonté paradoxale « de banalisation par rapport aux infractions politiques et
de spécification par rapport aux infractions de droit commun »199 souligne
l'instrumentalisation politique de la qualification de terrorisme. Le discours politique,
loin de revêtir la neutralité qu'il revendique, est « constitutif » de la réalité en ce sens
qu'il impacte la définition des réalités sociales et politiques dans lesquelles
s'inscrivent les protagonistes du conflit.200 Dès lors, le groupe irrégulier ne tangue
plus entre les deux craintes précédemment évoquées : il y est simultanément exposé.
194
195
196
197
198
199
200
Voir J.-P. Derriennic « Violence instrumentale et violence mimétique : l'estimation des effets
politiques des actes terroristes », in Enjeux philosophiques de la guerre, de la paix et du
terrorisme, Stéphane Courtois (dir.), Les Presses de l'Université Laval, 2003, pp.40-57
Journal Officiel de la République Française du 21 mars 1986, Discours de politique générale
du 9 avril 1986, p.4863
Voir Convention européenne d'extradition signée le 13 décembre 1957 à Paris, article 3. Voir
également Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 20 avril
1959 à Strasbourg, article 2a. Voir enfin Conseil d’État, Assemblée, Koné, 3 juillet 1996,
n°169219, Rec. Lebon, p.255 : reconnaît à l'interdiction de l'extradition dans un but politique
le statut de principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant dès lors une
valeur constitutionnelle
A. Petropoulou, supranote 22, p.34
Voir M. Moucheron, « Délit politique et terrorisme en Belgique : du noble au vil », Cultures
et Conflits, 2006, pp.77-100
J. Alix, supranote 10, p.43
R. Jackson, « Security, Democracy and the Rhetoric of Counter-Terrorism », Democracy and
Security, vol.1, 2005, Philadelphie : Taylor & Francis, Inc., p.148
54
Parvenir à faire reconnaître la labellisation de terroriste à la population civile et à la
communauté internationale, c'est en réalité les « persuader [...] d'adopter son point
de vue moral »,201 afin de répandre l'idée d'une lutte antiterroriste nécessaire et,
partant, légitime.202 La labellisation, résultante d'un jugement moral qu'elle vise à
généraliser, s'avère alors bien plus aisée que d'essayer d'« expliciter son choix sans
recourir [à un tel] jugement ».203 Cette difficulté d'explicitation est dissimulée par un
discours émotionnel –auquel participent pleinement les médias– qui favorise un
« univers bicolore et sans compromis », aux « couleurs contrastées pour dépeindre
les extrêmes ».204 Pourtant, la distinction manichéenne entre bien et mal est loin d'être
absolue : « ces catégories restent ouvertes : chacun peut déterminer, jusqu'à un
certain point, ce qui entre ou non dans telle ou telle nomenclature ».205 La notion de
terrorisme elle-même semble dès lors être un prétexte à une présentation binaire des
relations géopolitiques, en décrivant par exemple « d'un côté le monde civilisé, de
l'autre la barbarie ».206 Cette apparente dichotomie trouve dans les listes américaines
des États et groupes terroristes une illustration saillante : c'est en sa qualité de
puissance mondiale que les États-Unis s'arrogent la liberté d'opérer une répartition
morale et de constituer la liste des entités relevant de l'« axe du mal ». Cette
« réduction sémantique » des États ou groupes terroristes à « une caractéristique
ponctuelle et discutable » vise à « une mise au ban de la communauté
201
202
203
204
205
206
B. M. Jenkins, The Study of terrorism : definitional problem, Santa Monica : Rand
Corporation, décembre 1980, p.10
Voir C. Marchetti, supranote 4, p.6
I. Sommier, supranote 14, p.7
C. Marchetti, supranote 4, p.174
Ibid, p.8
S. Moulain, supranote 41, p.41
55
internationale ».207 Sans être assumé dans sa subjectivité, le jugement moral
imprègne la gestion politique des affaires internationales : qualifier une action de
terroriste, c'est faire entrer dans le domaine du politique le jugement moral assignant
à l'action son illégitimité. Cette « confusion, toujours dangereuse, entre
l'interprétation morale d'une action politique et l'action elle-même » semble
volontairement invisibilisée.208 C'est précisément ce camouflage qu'il convient ici de
mettre en exergue : la neutralité de la définition est fictionnelle.
***
L'élaboration d'un tel jugement moral mène à la distinction –tout particulièrement
subjective– entre « combattant de la liberté » et « terroriste ». Pourtant, la finalité
recherchée par l'auteur d'actes violents remettant en cause l'intégrité étatique semble
être la même. La recherche d'un idéal sociopolitique visant à réformer, remplacer ou
détruire un système accusé de violer certains principes s'impose en effet comme
constante dans la définition du terrorisme.
La finalité de l'acte terroriste relève pour son auteur d'un idéal. Face au pouvoir en
place et au système juridique qu'il instaure, la figure du terroriste semble alors
opposer des principes juridiques et moraux supérieurs. Se dessine la distinction entre
positivisme et jus naturalisme. Tandis que le partisan du premier estime qu'il existe
une obligation absolue d'obéissance au droit positif, le jus naturaliste défend
207
208
J-F. Gayraud et D. Sénat, supranote 5, p.37
G. Chaliand et A. Blin (dir.), Histoire du terrorisme. De l'Antiquité à Al-Quaida, Paris :
Bayard, 2006, p.18
56
l'existence de principes relevant d'un idéal de justice auxquels le droit doit se
conformer. Ainsi le second admet-il l'émission d'un jugement de valeur sur le droit
positif. La souveraineté reconnue à la loi par la République française qui transformait,
selon Carl Schmitt, « l'irrégularité du partisan en une illégalité mortelle »,209 semble
aujourd'hui offrir plus de place à une position jus naturaliste. La philosophie et la
défense des droits de l'homme conduisent à la mise en lumière de revendications
impliquant un écart toujours moindre entre droit positif et justice. Lorsque de telles
revendications ne peuvent être entendues face à une majorité qui soutient le pouvoir
étatique en place, ceux qui soutiennent une telle philosophie, par exemple au travers
du droit à l'autodétermination ou du droit de résistance à l'oppression, en viennent
parfois à user de la violence. Charlotte Corday, guillotinée en 1793 pour avoir
assassiné le jacobin Jean-Paul Marat, semble ainsi correspondre à une figure moderne
du terrorisme : dès lors que le caractère scientifique serait rendu à la notion de
terrorisme, et tout jugement moral et politique exclu de sa définition, une telle action
serait terroriste au même titre que les actes perpétrés par les groupes djihadistes
contemporains. Au même titre qu'un tyrannicide, l'acte terroriste cherche à permettre
l'épanouissement de revendications pleinement légitimes aux yeux de leurs auteurs.
La figure du terroriste est « intimement convainc[ue] que le légal est illégal et que
l'illégal est légal et justifié ».210 Dans le même sens, le jus naturaliste revendique, au
nom de valeurs et principes supérieurs, une inversion des catégories « légal » et
« illégal » en vertu de ce qui est « légitime » et « illégitime » moralement.
L'opposition entre « combattant de la liberté » et « terroriste » s'inscrit directement
209
210
C. Schmitt, supranote 64, p.292
F. Hacker, supranote 88, p.207, citant G. Frank, The Deed, New York, 1963
57
dans la continuité de cette distinction entre jus naturalisme et positivisme qui rend
particulièrement difficile une présentation manichéenne de l'exercice de la violence
politique. Le jugement moral porté sur la finalité de l'action violente colore
indéniablement celui porté sur cette action, faisant du même coup varier son
appellation. Si le but consiste en la défense de celui qui est opprimé par la puissance
étatique, le principe supérieur de justice appellerait donc au soutien de l'auteur de
l'action violente. C'est ainsi que Friedrich Hacker parle de l'action terroriste
individuelle avant tout comme d'« un acte de foi qui exprime l'espoir en une
renaissance de soi-même et en la création de quelque chose de nouveau ».211 C'est en
ce sens également qu'une jeune personne juive appartenant au groupe « Stern » a pu
déclarer, avant d'être condamnée à mort par pendaison : « Notre action découle de
nos motifs, nos motifs sont inspirés par nos idéaux. Si nous arrivons à prouver que
nos idéaux sont justes et équitables, alors ce que nous faisons est également juste et
équitable ».212 Se profile ici la distinction opérée par John Langshaw Austin entre
excuse et justification : ce n'est pas la reconnaissance d'une excuse, mais celle d'une
justification, que la jeune personne en question revendique. Alors que l'excuse joue
individuellement et allège la responsabilité, déportée sur une agentivité extérieure, la
justification est généralisable –i.e. indépendant des qualités individuelles– et constitue
un passage de la désapprobation à l'approbation de l'acte commis, ou du moins à
l'indulgence à l'égard de ce dernier. L'acte excusé conserve son caractère illégal mais
l'agent se trouve désengagé de la trame causale directe, là où l'acte justifié, nullement
211
212
Ibid, p.214
Ibid, pp.93-94 : « Les deux jeunes terroristes juifs, âgés de dix-sept et de vingt et un ans,
appartenaient au groupe extrémiste « Stern » […] qui était décidé à mettre fin à la cruelle
limitation que la terreur employée par la police britannique imposait à l'immigration juive en
Palestine. Les deux jeunes hommes avaient assisté à l'explosion du bateau de réfugiés
« Patria » et vu les corps déchiquetés de leurs compatriotes, auxquels les autorités
britanniques avaient refusé le droit d'asile, que l'on repêchait dans les eaux du port »
58
nié par son auteur, devient légal.213 Dans le même sens, la résistance ainsi opposée à
un régime ignorant les revendications de justice portées par des minorités opprimées
semble pouvoir revêtir la qualification de légitime défense, fait justificatif en droit.
L'article 122-5 du code pénal prévoit en effet l'irresponsabilité pénale de la personne
qui, « devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le
même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même
ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la
gravité de l'atteinte » (alinéa 1) ou qui, « pour interrompre l'exécution d'un crime ou
d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide
volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que
les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction » (alinéa 2).
La « juste mesure » qui pourrait être trouvée dans l'exercice de la violence semble
également permettre de pénétrer le jugement moral. C'est ainsi que Max Weber
distingue éthique de conviction et éthique de responsabilité. 214 La première se veut
catégorique, indifférente à une éventuelle contextualisation : celui qui adhère à une
éthique de conviction applique les principes, sans que les circonstances ne puissent
être invoquées pour justifier une éventuelle dérogation. La seconde trouve au
contraire dans la contextualisation un potentiel important de justification. Un acte
comme l'acte violent à visée politique peut alors être estimé illégitime du point de vue
de la première tout en étant légitime du point de vue de la seconde. 215 Face à ces deux
éthiques considérées par leur concepteur comme deux extrêmes, il conviendrait
213
214
215
Voir J. L. Austin, « A plea for excuses », in Proceedings of the Aristotelian Society, New
Series, Vol. 57 (1956-1957), pp.1-30, http://www.ditext.com/austin/plea.html [consulté le 12
mai 2015]
M. Weber, supranote 70
Voir G. Haarscher, supranote 67, p.74
59
d'opérer une combinaison mesurée, afin de ne pas cautionner un ordre injuste par son
inactivité, sans abandonner pour autant ses valeurs supérieures qui fondent l'acte
violent.216 C'est précisément la position que semble adopter le Juste camusien :
« même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites ».217 En effet, ce dernier
accepte la violence comme instrument de l'action politique en dernier recours, et avec
la volonté de réduire l'emploi de cet instrument à ce qu'il estime être la juste
proportion aux fins de parvenir à la réalisation de son action politique.218 En ce sens,
celui qui accepterait d'assassiner le détenteur du pouvoir étatique mais refuserait
l'assassinat d'enfants, figure ultime de l'innocence, aurait conservé « un sens de la
dignité humaine ».219 Plus encore, l'acte violent à des fins politiques devrait rester
exceptionnel et en soi inadmissible puisqu'il viole à la fois le droit à un procès
équitable et le principe de séparation des pouvoirs, fondamentaux à toute société
démocratique.220 Ce dernier principe est en effet « essentiellement (et non par
accident) bafoué par l'acte de terreur » dès lors que l'auteur de l'action violente
s'impose simultanément en législateur, juge et bourreau.221 Face à cette philosophie
de la « juste mesure », est présenté à l'extrémité opposée l'acte de terreur djihadiste
contemporain qui vise délibérément des non-combattants, statut qui confère
automatiquement aux victimes le caractère innocent, et s'inscrirait dans une volonté
de banalisation de la violence au service de fins politiques.222
216
217
218
219
220
221
222
Ibid, p.75
A. Camus, Les Justes, coll. Folio, Gallimard, Paris, 1950, p.62
G. Haarscher, supranote 67, p.76
Ibid, p.13
G. Haarscher, « Le terrorisme et les valeurs de la démocratie libérale », in Juger le terrorisme
dans l’État de droit, L. Hennebel et D. Vandermeersch (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2009,
pp.477-513, p.487
Ibid, p.487
Ibid, pp.488-489
60
***
Le danger d'une telle automaticité et généralisation dans le recours à la violence
interroge la possibilité pour un usage mesuré de la violence de ne pas se faire le
complice du statu quo maintenu par les puissances étatiques. La difficulté à parvenir
à une position équilibrée, qui se voudrait scientifique et dépourvue d'une coloration
moralisatrice, semble ainsi imposer l'abandon de l'utilisation de la notion de
terrorisme dans la sphère juridique. Précisément, la présentation manichéenne de
l'usage de la violence à des fins politiques ne satisfait pas à l'analyse de cet usage par
des régimes pourtant démocratiques.
L'abandon de tout jugement moral est souvent redouté à la vue du passage « d'un
moindre mal (la violence en ultime instance, pour des idéaux humanistes) au pire des
maux (la violence banalisée) ».223 La « juste mesure » ainsi proposée afin de justifier
moralement les actes de violence entrepris n'est cependant pas évidente. Il est
effectivement possible de s'interroger sur la possibilité pour une telle mesure de
permettre la remise en cause du statu quo contre lequel se dresse l'entité irrégulière. Il
est intéressant d'étudier en ce sens la critique qui a pu être faite du Juste camusien :
un acte à la violence démesurée aurait potentiellement permis, en dépit de l'assassinat
de victimes non-combattantes, de sauver un nombre bien plus conséquent de victimes
indirectes de l'oppression de l'instance régulière. Ainsi, en évitant la mort de deux
enfants, symboles de l'innocence, l'auteur d'une violence mesurée a laissé subsister
l'oppression de millions d'individus. Sous couvert de conserver une certaine pureté
223
Ibid, p.484. Sur la banalisation du mal dans une perspective plus large, voir H. Arendt,
Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, 1966
61
dans la violence employée, il se fait finalement complice du statu quo.224 La
banalisation de la violence semble également être produite par le recours à des
justifications dans l'analyse des actes terroristes tels qu'ils se donnent à voir
aujourd'hui. Ce serait ainsi le cas de l'explication des actes terroristes djihadistes –et
notamment ceux du 11 septembre 2001– par la condamnation du système néo-libéral
et capitaliste américain, ou de la relativisation des différences culturelles. Le danger
serait dès lors de renoncer à tout jugement moral dans l'exercice du politique alors
même que la société démocratique s'est caractérisée par l'émergence de principes
universels, notamment via l'épanouissement des doctrines relatives aux droits
humains.225 Il ne s'agit cependant pas ici d'abdiquer tout jugement moral qui serait
porté sur les actes de violence politique, mais d'assumer le caractère normatif de la
qualification de « terroriste ».
Face à une appellation présentée comme découlant naturellement du caractère
irrégulier de la structure recourant à la violence à des fins politiques, il conviendrait
de reconnaître qu'elle relève d'un jugement subjectif, moral et éthique, et de refuser
ainsi la fiction selon laquelle il s'agirait d'une notion objective qui pourrait recouvrer
une certaine scientificité et être dès lors utilisée à des fins notamment juridiques.
L'idée n'est donc pas de justifier une violence politique au mépris d'autres, mais de
remettre en cause la distinction communément admise comme évidente entre la figure
du résistant et celle du terroriste. En d'autres termes, est ici suggérée l'absence d'une
différence autre que celle d'un jugement exclusivement moral. L'emploi du terme
224
225
Ibid, p.485
Voir D. Rosenfield, « Terreur et Barbarie », in D. Rosenfield, Civilisation et barbarie,
Réflexions sur le terrorisme contemporain, Presses Universitaires de France, pp. 27-49
62
« terroriste » à usage « scientifique » paraît donc dénué de sens. La conséquence
directe d'une telle constatation semble être l'abandon de la qualification juridique de
terrorisme. Cette proposition apparaît d'autant plus rationnelle que, comme cela fut
indiqué dès l'introduction, l'incrimination du terrorisme consiste en réalité en la
reprise de faits déjà incriminés. C'est en ce sens que Mireille Delmas-Marty a déclaré
que le « concept » de terrorisme « est juridiquement inadapté à remplir la fonction
d'incrimination pénale qui implique, au sens étymologique du terme, de séparer […]
le bien du mal, les coupables des innocents, de manière précieuse et univoque ».226
Préférer l'incrimination des différents comportements repris dans la description
juridique du terrorisme revient à privilégier la condamnation de la nature de l'acte
plutôt que « l'identité de ses auteurs ou la nature de leur cause ».227 Afficher une telle
préférence et lui donner une réalité juridique revient à consacrer l'absurdité de
conférer de facto, mais aussi de jure, la légitimité au détenteur du pouvoir. Au moins
conviendrait-il de donner corps à l'incrimination des mêmes faits de violence
lorsqu'ils sont réalisés par une entité étatique. Il semble opportun de rappeler ici les
propos tenus par Victor Hugo lors de son discours du 15 septembre 1848 devant
l'Assemblée constituante : « Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu'il ne
faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut pas tuer ? En tuant ». En
faisant à son tour usage d'une violence qui ne saurait être acceptée « en temps
normal », non seulement l'instance régulière satisfait les fins de la figure irrégulière,
mais elle participe également dangereusement à sa délégitimation contre le détenteur
du monopole de la violence.
226
227
M. Delmas-Marty, « Conclusions – Le terrorisme comme concept juridique de transition », in
Terrorismes, Histoire et droit, H. Laurens et M. Delmas-Marty (dir.), Bibli, pp.323-329, p.323
B. M. Jenkins, supranote 201, p.2
63
Certains défendent l'idée selon laquelle le fondement de la différence entre résistance
et terrorisme se trouverait dans la nature du régime dont ils contestent la légitimité.
Ainsi, disent-ils, la résistance renverrait à la violence exercée contre un régime
dictatorial, tyrannique, ou plus généralement autoritaire ou oppressif, alors que le
terrorisme s'exercerait contre un régime démocratique. Néanmoins, il convient de
souligner que cette position est proposée par des auteurs qui s'inscrivent précisément
dans des sociétés dites démocratiques. Dès lors, semble être de nouveau reproduite
une distinction empreinte d'un jugement moral qui découle directement des positions
respectives des protagonistes du conflit : ce sont les partisans du régime démocratique
qui décrivent leurs opposants comme des terroristes. Qui plus est, réduire tout
mouvement de résistance contre l'oppression dans un tel régime à un acte terroriste
apparaît difficilement tenable. En effet, quel gouvernement n'a jamais usé de la
violence dans une mesure qui dépasse, pour un regard averti, le seuil de légitimité
acceptable ? Il semble qu'il ne soit nul besoin de recourir à des exemples historiques
anciens : la mort des personnes migrantes du fait du naufrage de leur bateau de
fortune dans la mer Méditerranée résulte indirectement de la politique relative à
l'immigration menée par l'Union européenne. La responsabilité des démocraties
européennes est entière et les personnes dont le droit à la vie est ainsi bafoué pourrait
–légitimement semble-t-il– opposer à celles-ci un droit de résistance à une telle
oppression. A cela est encore opposée l'idée d'une immoralité inhérente à ceux qu'on
appelle terroristes, et dont l'exemple topique est celui des groupes djihadistes : le
terroriste est celui qui tue « n'importe qui », peu importe la responsabilité que ce
dernier porte. Mais tout individu-citoyen n'est-il pas responsable des politiques
d'oppression et de non-respect des droits humains des gouvernements démocratiques
64
dès lors qu'il est à l'origine du pacte social et participe pleinement au processus
politique, notamment par l'élection de ses représentants ? Loin de chercher à légitimer
la violence, il s'agit ici de questionner la pertinence de la distinction entre violence
exercée à l'encontre d'un corps étatique, à savoir l'armée, et celle commise contre la
population civile. Subsiste en effet une ultime question, celle posée par Albert Camus
dans son essai L'Homme révolté : « Nous ne saurons rien tant que nous ne saurons
pas si nous avons le droit de tuer cet autre devant nous ou de consentir qu'il soit
tué ».228
228
A. Camus, L'homme révolté, Paris, Gallimard, 1951, p.14
65
CONCLUSION
Les développements proposés se sont ainsi vus attribuer le rôle délicat d'interroger la
pertinence de la prise en compte du critère d'irrégularité dans la définition de la figure
du terrorisme et dans l'usage qui est fait de sa qualification comme telle. Partant du
critère tel qu'il a été présenté par Carl Schmitt –personnage qui inspire peu de
considération par ailleurs–, le raisonnement s'est ainsi consacré à mettre en exergue
ce que la centralité du critère semblait occulter, à savoir l'exercice d'un jugement
éthique inhérent à une telle qualification dès lors qu'il se dévoile comme étant le
produit d'un lien intime entretenu avec les intérêts géopolitiques des instances
régulières qui l'exercent.
Ces développements n'ont nullement vocation à encourager l'abdication devant tout
jugement moral qui pourrait porté sur l'usage de la violence à des fins politiques. Il
s'agit bien plutôt d'insister sur la nécessité d'assumer le caractère éminemment
subjectif, et dans le même temps normatif, que revêt l'appellation de « terroriste ». Un
tel constat mène à interroger sérieusement la pertinence de lui donner une réalité
juridique, laquelle consiste en réalité à conférer, tant de facto que de jure, une
légitimité absolue à l'entité détentrice du pouvoir.
Au-delà d'une présentation manichéenne de l'exercice de la violence politique dont
nous avons ici cherché à démontrer l'inconvenance, semble pouvoir être questionnée
la possibilité de négliger l'idée d'une violence inhérente à l'émergence de l'ordre
66
politique.229 Si la thèse schmittienne est communément exposée comme réduisant la
politique à son inscription dans l’horizon de la guerre, une telle présentation semble
ici pouvoir être remise en cause. C'est ce que propose Jean-François Kervegan en
interrogeant la possibilité pour la politique d'être définie sans que soit présupposée la
forme étatique qu'elle a revêtue dans l'Europe moderne, et donc « sans admettre que
la politique s’inscrit nécessairement dans l’horizon des rapports de subordination
supposés légitimes ».230 Il s'agit alors de souligner la nécessité de s'extirper de la
conception de la politique telle qu'elle s'est communément donnée à voir, à savoir
comme monopole de l’Etat souverain, « la politique n’a[yant] pas de contenu
spécifique » et « tout [étant] potentiellement politique ».231 Dès lors, l'application de
la bicatégorisation légitime / illégitime à l’État souverain –structure régulière– et au
partisan
–par
essence
irrégulier–
semble
hautement
questionnable,
tout
particulièrement à l'aune de ce que Carl Schmitt nomme lui-même une guerre civile
mondiale, totale.
229
230
231
Voir F. Fukuyama, The Origin of Political Order : From Prehuman Times to the French
Revolution, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011
J.-F. Kervegan, « Une autre guerre, ou d'autres dieux ? », Le Nouvel Observateur, numéro
spécial « La guerre des Dieux », janvier 2002
Ibid
67
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Les documents sont classés par ordre alphabétique dans chaque catégorie, excepté
les documents juridiques et politiques qui sont classés par ordre chronologique.
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