4Wilfrid Baumgartner, un grand commis des finances
place importante et spécifique dans ce qu’on peut bien appeler, au sens où
Jacques Le Goff avait dessiné, il y a trente, ans les contours de ce « nouvel
objet », les mentalités8. Le fait, comme l’a souvent relevé Jean Bouvier9, semble
plus particulièrement accusé dans le cas de la société française, depuis au moins
« l’expérience » fondatrice de Law et jusqu’à nos jours10. L’ensemble de ces
représentations collectives du financier constitue ainsi un objet d’étude en soi,
profondément enraciné dans l’histoire de la France contemporaine, touchant à
ces « prisons de longue durée » qu’ont longtemps été l’Église catholique, la rura-
lité et une certaine idée de la République. Et, assurément, la biographie de
Wilfrid Baumgartner commande, à partir du cas à bien des égards exemplaire
qu’elle constitue, d’intégrer cette approche. Mais elle ne saurait pour autant s’y
réduire. Que valent les mentalités coupées des réalités qui les fondent et les
nourrissent ? L’ambition demeure bien, comme l’avait formulé, en manière de
regret, Fernand Braudel, en conclusion de l’Histoire économique et sociale de la
France, de tenter d’insérer « le jeu des mentalités, des sentiments, des fantasmes,
des idéologies », dans le tissu serré des décisions et des faits économiques11. Le
pari à l’échelle de la biographie semble envisageable : quelle fut à proprement
parler l’action de Wilfrid Baumgartner au XXe siècle ? Quelle fut la pesée véri-
table du financier – l’homme et la catégorie – dans la grande et profonde muta-
tion qui aura marqué l’économie et la société française des lendemains de la
Première Guerre mondiale à la fin des Trente Glorieuses et qui, bien en avance
sur les mentalités, constitue l’incontestable « modernité » de l’époque ?
HISTOIRE FINANCIÈRE, HISTOIRE POLITIQUE
Il est revenu à l’un d’entre eux de tracer avec une singulière netteté les
contours de la place et du rôle du « financier moderne ». Ce croquis était des-
tiné à prendre place aux côtés du « politique », du « savant », de « l’écrivain »
ou du « diplomate », au nombre des « caractères de ce temps » dont la librairie
Hachette, avait entrepris la publication à l’orée des années 1930, au moment
précis où Baumgartner entrait de plain-pied dans la carrière des Finances12.
8. Le Goff (Jacques), « Les mentalités, une histoire ambiguë », Le Goff (Jacques) et Nora (Pierre),
sous la dir., Faire de l’histoire, vol. 3, Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974, p. 76-94.
9. Cf. par exemple Bouvier (Jean), « Pour une analyse sociale de la monnaie et du crédit (XIXe-
XXesiècles) », Annales ESC, juillet-août 1974, p. 813-826.
10. Cf. Rey (Jean-Michel), Le temps du crédit, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.
11. Braudel (Fernand) et Labrousse (Ernest) (dir.), Histoire économique et sociale de la France,
Paris, PUF, 1982, t. IV/3, p. 1678-1679.
12. Piétri (François), Le financier, Paris, Hachette, [1931].
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