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valérie souffron
Pouvoir de l’imagination 15
L’anthropologie de la religion, celle de Griaule en particulier qui
s’attache à l’analyse des représentations et des productions symbo-
liques, inspire les recherches de Thomas 16. C’est aussi le cas du travail
de Roger Bastide, l’anthropologue des acculturations, celui qui relie
anthropologie, sociologie et psychanalyse. L’interprétation psychana-
lytique des mythes prend au sérieux les contenus, les significations
mythiques, en tant que symbolisation des fantasmes inconscients 17.
Cette orientation, opposée à celle que prendra le structuralisme pour
lequel seule la structure importe, situe Thomas sur des orientations
théoriques qui le relient à Gaston Bachelard – un autre de ses maîtres.
Celui qui admirait les mythes et a longtemps travaillé sur le lien qui
les unit aux quatre éléments 18, fut sans doute l’initiateur chez Thomas
des interprétations psychanalytiques, issues notamment de la théo-
rie jungienne des archétypes. Thomas affirme que la psychanalyse a
comme « remis à neuf, en en faisant une exigence fondamentale de
l’inconscient 19 » son approche de l’immortalité.
Si l’imagination est « dynamisme organisateur de l’être »
(Bachelard), les archétypes qui en sont en quelque sorte le fond
commun profond – mais pas prélogique comme il l’écrit dans sa
préface à la réédition du travail de Lucien Lévy-Bruhl 20 – peuvent
être définis comme « images primordiales, fondatrices et univer-
selles qui tout en se faisant figures, héritent des schèmes leur dyna-
mique 21 » et « grandes catégories fixes de l’appropriation du monde »
(Wunenburger, 2011). Comme Bachelard et Gilbert Durand 22, Thomas
insiste sur un imaginaire qui se dresse contre deux angoisses : celle de
la finitude (le temps) et celle de la mort.
15 En référence à l’expression tirée du long article de L.-V. Thomas (1982), « Mort
découverte, mort escamotée », Cahiers de Saint Maximin. La mort aujourd’hui.
16 Dans Socio-anthropologie des religions (2003), Claude Rivière, écrit à ce propos
que Thomas a fourni de « remarquables synthèses » sur les religions africaines.
17 Roheim G. (1950), Psychanalyse et anthropologie, Paris, Gallimard ; Devereux G.
(rééd. 1998), Psychothérapie d’un Indien des plaines : réalités et rêves, Paris, Fayard.
18 Bachelard G. (1968, 4e éd.), La poétique de la rêverie ; id. (1976, 13e éd.) L’eau et les
rêves. Essai sur l’image de la matière ; id (1990, 17e éd.), L’air et les songes. Essai sur
l’imagination du mouvement ; id. (1965), La terre et les rêveries de la volonté, Paris,
J. Corti ; id. (1971), La terre et les rêveries du repos, Paris, J. Corti ; id. (rééd.1994), La
psychanalyse du feu, Paris, Gallimard.
19 Thomas L.-V. (1975), Anthropologie de la mort, Paris, Payot, p. 505.
20 Voir à ce propos Baudry P. (1992), « Sociologie des imaginaires thanatiques »,
Galaxie anthropologique, Transversalités, 1.
21 Sauvageot A. (2009, 3e éd.), « Archétypes », dans Dictionnaire des méthodes qua-
litatives en sciences humaines, Paris, Armand Colin, p. 109.
22 Durand G. (1969), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Bordas.