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Quels sont les jalons académiques permettant de théoriser (donc de penser de manière
rigoureuse) l’entreprise comme « un bien commun privé » (une catégorie absente de nos
typologies économiques) ?
Pour Virgile Chassagnon, l'entreprise est un « bien commun privé », « une entité de nature politique
dont la finalité est de créer la valeur collective, et ce à destination de la société. »
Si nous pouvons dire qu’elle est un bien commun c'est parce qu’elle joue un rôle dans et pour la
société en tant qu’elle est un espace de coopération et de transformation volontaire. Elle est un lieu
de rassemblement et de compromis dans la mesure où elle « naît de ses constituants humains, de ses
travailleurs tout particulièrement, qui sont autant de sujets éthiques (des personnes) guidés par les
valeurs et les capacités de jugement qui sont les leurs. » Ainsi « L’entreprise comme bien commun
privé se dévoile comme un principe fondateur d’un capitalisme juste. »
Peut-on rêver d'un capitalisme juste ? Peut-il y avoir dans ce cadre un rôle démocratique de
l'entreprise et l'émergence d'un nouveau pacte républicain au sein duquel l'entreprise pourrait
contribuer à l'émancipation sociale des travailleurs ?
Pour V. Chassagnon, il faut repenser le régime politique de l'entreprise et tout particulièrement sa
gouvernance. « Gouverner », rappelle-t-il, c’est « être responsable d’une collectivité humaine, c’est
même la préserver et la faire se développer. » Et gouverner, c’est faire participer « pour de vrai ».
Ainsi, « Il faut rompre avec cette démocratie de façade qu’ont eu tendance à instituer les nouvelles
pratiques de management. C’est bien la démocratisation de l’entité collective que l’on doit chercher
et trouver pour faire du capitalisme un système juste et raisonnable au service de la société dans son
entièreté. Gouverner et participer sont les deux principes de base de cette démocratisation. »
L’économiste rappelle que l'entreprise n'est pas la propriété de l'actionnaire. Si l'on veut réfléchir sur
le fonctionnement de l'entreprise et sa démocratisation il faut donc penser en dehors de la propriété
et commencer à modifier l'article 1833 du Code civil
pour l’étoffer et y inclure la responsabilité
économique, sociale et environnementale des entreprises soit l’intérêt général en sus de celui des
associés.
Mais ce concept d'entreprise « bien commun privé » est contesté par un autre intervenant de la
soirée, M. Benoit Soury, DG de La Vie Claire. Pour lui, l'entreprise n'est pas un bien commun mais
« clairement un bien privé » même si elle doit avoir une vision de ce que pourrait être le bien
commun et donc de sa participation à la construction de celui-ci. Ceci renvoie à la responsabilité de
l'entrepreneur. B. Soury regrette l’insistance sur l’entreprise aux dépens de l’entrepreneur. Pour
construire le bien commun, l'entreprise doit introduire l'association des salariés au processus de
décision. Dans une entreprise de 500 personnes comme la nôtre, « on se connait », et B. Soury d’en
appeler à un « dialogue social plus libre, plus direct, plus imaginatif ». Elle doit aussi veiller au sort
qui est réservé à ses sous-traitants, ainsi qu’à la répartition des produits tirés de l'activité de
l'entreprise. « On parle trop des problèmes sociaux dans les entreprises », ajoute-t-il, alors que la
vraie question est de savoir en quoi la production de cette entreprise participe à la construction du
Art 1833 : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés »