Cycle de débats 2016 :
LENTREPRISE, ACTEUR POLITIQUE DU 21ème SIECLE
Retour sur le 4ème débat :
par Christine Lagrange et François Soulage
ENTREPRISE, DÉMOCRATIE ET DÉVELOPPEMENT HUMAIN :
L’impératif écologique et le changement social dans la nouvelle économie
Mercredi 25 mai 2016
Ucly - Amphithéâtre Mérieux-Campus St Paul - LYON
Avec
Virgile CHASSAGNON, Professeur agrégé des Universités en économie, Université Grenoble
Alpes, Directeur scientifique de l’ESDES-The Business School of Ucly
David KIMELFELD, 1er Vice-président de la Métropole de Lyon
Benoit SOURY, Directeur Général de La Vie Claire, Président d’APICIL
Monique Rabin, députée de Loire-Atlantique, introduit notre soirée en présentant EC. Rappelant la
soirée inaugurale en présence de J. Delors, elle témoigne de l’importance dans sa vie de
parlementaire du travail de fond, de la prise de recul que lui permet EC, une prise de recul salutaire
dans le contexte de la crise de confiance à l’égard du politique que nous vivons.
« Entreprise, démocratie et développement humain » : nos échanges de ce soir s’inscrivent dans le
cadre du cycle de conférences qu’Esprit civique a décidé de consacré à l’Entreprise, comme acteur
politique. Une affirmation, une intuition, une conviction qui ne parle pas d’évidence et qui demande
à être étayée, travaillée.
En continuité avec ce que les rencontres précédentes ont rappelé, il faut redire que l'entreprise est
d'abord une communauté.
Ainsi, lors de la conférence du mardi 22 mars
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, l’entreprise s’est vue définie comme « contrat social
entre des parties prenantes ». Mais le débat a questionné la possibilité qu’il existe une convergence
des intérêts des membres de cette « communauhumaine ». La réponse semblait dépendre de la
taille de l’entreprise et du poids de l’actionnariat. Le renforcement de la fonction de régulation de
l’Etat était également évoqué.
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Intervenants : Jean-Louis BANCEL, Président du Crédit Coopératif, Guillaume LEGAUT, Directeur de l’UCPA et
Anaïs LEHEMBRE, Directrice générale de CVP
Lors du 3ème et avant dernier débat, mardi 3 mai
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Louis Gallois, réticent à souscrire à la figure d’une
entreprise citoyenne, a rappelé au politique ses devoirs en la matière. Le débat de ce soir fournira
l’occasion de revenir sur la pertinence du rapport Gallois de 2012.
La thèse défendue par Virgile Chassagnon permet-elle d’aller plus loin ?
Un premier temps d’exposé balaie deux questions : Pourquoi ? Comment ?
Pourquoi notre contexte économique, politique et intellectuel appelle-t-il une réflexion sur
le rôle de l’entreprise dans la Société (et dans le développement humain) ?
D’abord, commence par rappeler l’économiste : les « Trente glorieuses » n’auront été qu’une
parenthèse de l’histoire, une « anomalie », « fruit de gains de productivité globale élevés, d’une
relation sociale sécurisée, d’une volonté collective d’équipements techniques et d’un progrès
technologique soutenu ». Ce régime de croissance, hors norme, précaire par conséquent, a
néanmoins suscité « une forme de consensus sociétal »
Or, poursuit-il, nous sommes définitivement sortis d'un régime de croissance économique rapide,
donnant lieu à une forte redistribution des richesses (le Fordisme). Les progrès de productivité ne
sont plus élevés et la relation sociale n'est plus sécurisée. Le contrat social n'est plus respecté, il est
victime d'une atteinte grave. La population a compris que le rêve du progrès était fini et a laissé place
à la crainte de perdre des acquis.
Les inégalités de patrimoine explosent et sont de plus en plus visibles, au sein d'un capitalisme qui
n'est pas raisonnable.
En référence aux travaux de René Girard, Virgile Chassagnon résume le contexte : « la peur fait loi,
les victimes émissaires se dévoilent, l’Intégration ne se fait plus et le relativisme généralisé progresse
comme jamais. »
Ce « relativisme généralisé » fragilise les institutions, raidi les postures. S’y ajoute la prise de
conscience de l’impératif écologique, des changements qu’il impose, ajoutant leur part de
déstabilisation et de crainte. Comment, dès lors, penser la responsabilité sociétale des entreprises ?
Pour penser l’entreprise comme un acteur démocratique du changement, il faut d’abord se pencher
sur sa nature et, insiste l’économiste, abandonner la question de savoir à qui elle appartient.
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Intervenants : Louis GALLOIS, Président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën mais aussi de la
FNARS (Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale), et Baudoin ROGER, Co-
directeur du département « Économie, Homme, Société » au Collège des Bernardins.
Quels sont les jalons académiques permettant de théoriser (donc de penser de manière
rigoureuse) l’entreprise comme « un bien commun privé » (une catégorie absente de nos
typologies économiques) ?
Pour Virgile Chassagnon, l'entreprise est un « bien commun privé », « une entité de nature politique
dont la finalité est de créer la valeur collective, et ce à destination de la société. »
Si nous pouvons dire qu’elle est un bien commun c'est parce qu’elle joue un rôle dans et pour la
société en tant qu’elle est un espace de coopération et de transformation volontaire. Elle est un lieu
de rassemblement et de compromis dans la mesure où elle « naît de ses constituants humains, de ses
travailleurs tout particulièrement, qui sont autant de sujets éthiques (des personnes) guidés par les
valeurs et les capacités de jugement qui sont les leurs. » Ainsi « L’entreprise comme bien commun
privé se dévoile comme un principe fondateur d’un capitalisme juste. »
Peut-on rêver d'un capitalisme juste ? Peut-il y avoir dans ce cadre un rôle démocratique de
l'entreprise et l'émergence d'un nouveau pacte républicain au sein duquel l'entreprise pourrait
contribuer à l'émancipation sociale des travailleurs ?
Pour V. Chassagnon, il faut repenser le régime politique de l'entreprise et tout particulièrement sa
gouvernance. « Gouverner », rappelle-t-il, c’est « être responsable d’une collectivité humaine, c’est
même la préserver et la faire se développer. » Et gouverner, c’est faire participer « pour de vrai ».
Ainsi, « Il faut rompre avec cette démocratie de façade qu’ont eu tendance à instituer les nouvelles
pratiques de management. C’est bien la démocratisation de l’entité collective que l’on doit chercher
et trouver pour faire du capitalisme un système juste et raisonnable au service de la société dans son
entièreté. Gouverner et participer sont les deux principes de base de cette démocratisation. »
L’économiste rappelle que l'entreprise n'est pas la propriété de l'actionnaire. Si l'on veut réfléchir sur
le fonctionnement de l'entreprise et sa démocratisation il faut donc penser en dehors de la propriété
et commencer à modifier l'article 1833 du Code civil
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pour l’étoffer et y inclure la responsabilité
économique, sociale et environnementale des entreprises soit l’intérêt général en sus de celui des
associés.
Mais ce concept d'entreprise « bien commun privé » est contesté par un autre intervenant de la
soirée, M. Benoit Soury, DG de La Vie Claire. Pour lui, l'entreprise n'est pas un bien commun mais
« clairement un bien privé » même si elle doit avoir une vision de ce que pourrait être le bien
commun et donc de sa participation à la construction de celui-ci. Ceci renvoie à la responsabilité de
l'entrepreneur. B. Soury regrette l’insistance sur l’entreprise aux dépens de l’entrepreneur. Pour
construire le bien commun, l'entreprise doit introduire l'association des salariés au processus de
décision. Dans une entreprise de 500 personnes comme la nôtre, « on se connait », et B. Soury d’en
appeler à un « dialogue social plus libre, plus direct, plus imaginatif ». Elle doit aussi veiller au sort
qui est réservé à ses sous-traitants, ainsi qu’à la répartition des produits tirés de l'activité de
l'entreprise. « On parle trop des problèmes sociaux dans les entreprises », ajoute-t-il, alors que la
vraie question est de savoir en quoi la production de cette entreprise participe à la construction du
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Art 1833 : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés »
bien commun. Si nous ne pensons pas que la croissance peut faire la paix sociale, la stagnation
engendre la précarité sociale, et tourne le dos à la construction d'une société inclusive. En matière
de participation des salariés, B. Soury souligne le rôle joué par l’intéressement aux bénéfices.
Avec M. David KIMELFELD, premier vice-président de Lyon Métropole, en charge de l’Economie,
nous voyons comment l'entreprise peut en effet être mise au service du bien commun si elle renonce
au court-termisme et s'investit dans l'innovation et la recherche-développement. Pour cet élu
l'entreprise doit d'abord servir les besoins d'une communauté humaine et elle doit être un lieu de
rencontre sociale (D. Kimelfeld évoque le terreau de « l’humanisme social » lyonnais). De ce point de
vue l'économie sociale et solidaire offre sans doute un bon moyen de permettre cette rencontre,
sans pour autant que l'on oppose entreprise classique et entreprise sociale et solidaire, mais qu'au
contraire les unes et les autres soient appréhendées comme pouvant s’enrichir de leurs pratiques
respectives. L’entreprise classique apportant la dimension de la recherche de rentabilité et
l'économie sociale et solidaire celle de la coopération entre parties prenantes. D. Kimelfeld insiste sur
le « décloisonnement » et évoque les lieux où on y travaille dans le territoire. La pluralité des modes
d'entreprendre et la confrontation qui en résulte doit pouvoir être source de progrès.
L'intéressement des salariés fait partie des moyens que l'on peut mettre en œuvre pour améliorer la
participation et l'association de l'ensemble des parties prenantes.
Toutes ces remarques conduisent aux recommandations faites par V. Chassagnon.
De manière non-exhaustive, précise-t-il, « nos institutions soutenues par un dialogue social
renouvelé doivent nous permettre de :
1. Reconnaître dans le droit positif l’intérêt général (économique, social et environnemental) des
entreprises (modification de l’article 1833 du code civil)
2. Développer les règles de participation des travailleurs (voire d’autres parties prenantes) aux
processus décisionnels et aux réflexions stratégiques (revenons au moins aux recommandations du
rapport Gallois !) ;
3. Influer sur les règles (le code ?) de gouvernance des entreprises (y compris les missions des
dirigeants) afin d’encourager le partage équitable des bénéfices, de favoriser la transition écologique
et de valoriser l’investissement productif ;
4. Créer de nouveaux espaces de régulation (du travail par exemple) capables de répondre aux défis
majeurs de notre époque (dislocation des frontières protectrices de la relation salariale, subversion du
droit positif, (dé)responsabilisation des chaînes de valeur, ubérisation de l’économie et du travail,
mutation en cours de la gestion des services via la robotisation, destructions d’emplois, etc.) ;
5. Intégrer ces réflexions dans une volonté systémique, une volonté de démocratie économique plus
globale (justice fiscale, lutte contre les inégalités, taxation des activités spéculatives, lutte contre la
corruption et l’évasion fiscale, etc.). »
Les derniers mots de l’enseignant chercheur seront pour rappeler l’importance de l’éducation dans
ces processus transformatifs.
Dans un temps forcément contraint, cette soirée aura permis de faire réfléchir, ensemble, un
économiste, un chef d’entreprise et l’élu d’un territoire (dans sa singularité/élu de la nation) à la
démocratisation de l’entreprise en vue de servir le développement humain. Des expériences
territoriales auront été évoquées renforçant l’idée que l’entreprise doit être partie prenante de son
écosystème.
Il convient de tordre le cou, définitivement, à la conception erronée et inhibante pour la réflexion
d’une entreprise propriété de ses actionnaires (ce que possèdent les actionnaires et qui les rend
parties prenantes, ce sont des actions). La soirée aura fait entendre des réticences, voire des
divergences, mais montré qu’un débat serein était possible y compris dans le contexte qui est le
nôtre. Elle aura contribuée à mieux cerner la place et la participation de l’entreprise à la construction
et au fonctionnement d'une société plus inclusive. Reste au politique à regarder l'entreprise non
comme un outil fournissant emploi et revenus mais comme un partenaire dans le fonctionnement
complexe d'une société humaine.
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