Le principe de Pollyanna ou la vie en rose

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Communication et langages
Le principe de Pollyanna ou la vie en rose
Gabriel Racle
Résumé
Les hommes aiment les trains qui partent à l'heure, les amours heureuses, les maisons fleuries ; bref, ils aiment que la vie
soit peinte en rose, et n'hésitent pas à y apporter les retouches nécessaires. Pourquoi alors les médias ne s'intéressent-ils
qu'aux catastrophes ferroviaires, au chômage, aux dépôts de bilan des entreprises, aux couples qui divorcent, aux
casseurs? Gabriel Racle ne répond pas à la question, mais il souligne finement une des contradictions de nos sociétés.
Citer ce document / Cite this document :
Racle Gabriel. Le principe de Pollyanna ou la vie en rose. In: Communication et langages, n°97, 3ème trimestre 1993.
pp. 38-45.
doi : 10.3406/colan.1993.2453
http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1993_num_97_1_2453
Document généré le 15/10/2015
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Les hommes aiment les trains qui partent à l'heure, les
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bref, ils aiment que la vie soit peinte en
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retouches nécessaires. Pourquoi alors les
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Pollyanna apparaît en 1913 dans un livre d'Eleanor Porter, dont
Walt Disney tirera un film. L'héroïne du livre est une petite fille,
dénommée Pollyanna, qui voit toujours le bon côté des choses.
Ce pourrait être la figure de proue de tous les groupes
d'optimistes, si de nos jours il s'en trouve encore. Mais au fond, voir la
vie en rose, ne serait-ce pas une tendance naturelle - ou du
moins normale - de l'esprit humain ? Quelques chercheurs, peu
nombreux il faut bien le dire, s'en sont préoccupés et Pollyanna
a donc fait son entrée dans le domaine de la psychologie avec le
principe de Pollyanna, mis de l'avant par M. Matlin et D. Stang
qui, dans un ouvrage1 peu connu, font une synthèse de quelques
études se rattachant à cette vision systématiquement positive
des choses.
1
Le principe de Pollyanna est un mécanisme psychologique qui
incite toute personne normale à préférer les aspects positifs ou
favorables des choses, à favoriser le beau et l'agréable dans
tous les domaines de l'existence.
Dans leur ouvrage, Matlin et Stang regroupent leurs recherches
sous dix thèmes principaux : le principe de Pollyanna et la
sélection des stimuli, la perception, la langue, les associations de
mots, l'ordre des mots, l'apprentissage et la mémoire, les pen-
l
1. Matlin, L. et Stang, D., The Pollyanna Principle, Selectivity in Language, Memory and
Thought, Senkman Publishing Company, Cambridge (Ma.), 1978.
1
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sées, le bonheur, l'évaluation de soi et des autres2. Il est tentant,
treize ans après la publication de cette étude, de se demander si
les constatations de ces chercheurs sont toujours valables
aujourd'hui et de se poser quelques questions sur le bon état de
nos sociétés, où le négatif semble bien prendre la vedette.
Rappelons tout d'abord quelques grandes caractéristiques du
principe de Pollyanna, telles que Matlin et Stang les ont établies,
à l'aide d'un certain nombre d'exemples.
LE PRINCIPE DE POLLYANNA
DANS LE LANGAGE QUOTIDIEN
Pour ce qui est de la langue, le principe de Pollyanna se
manifeste généralement par une sélection thématique ou lexicale.
Les sujets de conversation désagréables sont généralement
évités. Les mots agréables sont plus fréquents que les mots
désagréables. Les mots agréables sont plus fondamentaux que les
mots désagréables et les ont précédés dans l'histoire de la
langue.
On n'aime pas transmettre une mauvaise nouvelle, surtout à la
personne directement concernée ou à celle qui peut en être
affectée. C'est ce que l'on appelle « l'effet bouche cousue »,
c'est-à-dire cette tendance à éviter de transmettre un message
désagréable ou à en différer la remise le plus longtemps
possible. Cette attitude se manifeste aussi dans la formulation de
certains documents, de certains questionnaires évaluatifs, qui
ne proposent pas comme réponse possible des données
purement négatives mais plutôt : bon, moins bon, pas très bon, (et
non : mauvais, très mauvais) ou : supérieur, moyen, inférieur à
la moyenne. Le « franchement mauvais » n'est pas souvent
présent.
Pour éviter de parler un langage déplaisant, on utilise des
euphémismes ou des périphrases. Peter Fryer a étudié3
longuement la pruderie anglaise. La langue anglaise évite certains
termes, notamment pour ce qui est des fonctions physiologiques
et des lieux où elles s'exécutent : toilet room, bathroom, rest
room, cloakroom, par exemple. Le domaine sexuel a aussi été
entouré de tabous prononcés, comme l'alcoolisme d'ailleurs. Au
Canada, vins et spiritueux ne sont pas vendus dans les épiceries
2. Pour plus de détails, voir : Racle, G., « L'attrait irrésistible de l'agréable ou le principe
de Pollyanna », Psychologie, septembre 1981, pp. 29-35.
3. Fryer, P., Studies in English Prudery, New York, 1963.
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Psychologie de la communication
ou supermarchés, mais à part. Et ce n'est que récemment que le
Québec s'est affranchi de cette règle. « Buvons heureux, mais
buvons cachés ! »
C'est aussi tout le secteur relié à la mort qui est surpeuplé
d'euphémismes : les objets, les cérémonies, les professions et
les fonctions qui les entourent sont rebaptisés (on est passé des
directeurs de pompes funèbres aux thanatologues). L'usage
d'exposer les morts dans un salon funéraire, après leur avoir fait
subir un maquillage revivifiant, relève sans doute de la même
attitude. D'ailleurs, il n'est pas question de mourir, mais de « to
pass away ».
L'euphémisation est, du reste, un processus en évolution
constante. Lorsque le sens d'un mot devient trop clair, un autre
le remplace, et ainsi de suite. Et sans doute les « happy ends »
de si nombreux films proviennent de la même source
inconsciente de rejet du déplaisant.
De nombreuses études ont été faites, depuis la première du
genre entreprise par R. Zajonc4 en 1968, sur la fréquence
d'emploi des mots d'une langue en fonction de leur expressivité.
Ainsi, la fréquence des mots agréables en anglais écrit est
beaucoup plus grande que celle des mots déplaisants, et cette
constatation est très générale (revues, journaux, livres, textes
scientifiques...). Dans un ouvrage intitulé Les meilleures
citations pour toutes les occasions, 3 175 ont un sens positif et
1 487 seulement un sens négatif. Il en va de même dans
d'autres langues : chinois, russe, urdu, allemand, espagnol,
français (à l'exception du mot guerre, plus fréquent que le mot
paix, peut-être parce que considéré comme viril, et donc
positif!).
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Une étude des antonymes, ces mots qui s'opposent par paires,
est aussi fort révélatrice. Deux antonymes comme bon et mauvais, non marqués linguistiquement, s'opposent cependant dans
la langue. Bon est plus général que mauvais. À propos d'un plat,
on demandera : « Est-ce que c'est bon ? », plutôt que : « Est-ce
que c'est mauvais ? » La question « Est-ce que c'était un bon
film ou une bonne émission ? » l'emporte sur « Est-ce que c'était
un mauvais film ou une mauvaise émission ? » Bon est en
quelque sorte neutralisé, et la question positive entraîne plutôt
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§
4.
Psychology,
Zajonc, R.,1 968,
« Attitudinal
n° 9, pp.effects
1 -27. of mere exposure », Journal of Personality and Social
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une réponse positive ou nuancée. Si l'on demande si c'est
mauvais, on transmet l'idée que ce pourrait bien l'être.
Du reste, les inventaires linguistiques montrent que les mots
positifs précèdent les mots négatifs et qu'il y a beaucoup plus de
mots négatifs dérivés d'un mot positif que de termes positifs
dérivés d'un terme négatif. Une étude de Boucher et Osgood5
portant sur 11 langues met ce point en évidence. Il y a quelques
exceptions comme indépendant/dépendant ou illimité/limité.
Toutes ces constatations s'orientent dans le même sens et
manifestent une propension générale à utiliser le positif de
préférence au négatif, l'agréable au désagréable. Pourquoi ? Deux
chercheurs, C. Osgood et M. Richards, ont émis l'hypothèse6
suivante : « De temps immémoriaux, les humains ont trouvé que
la croyance est meilleure que le doute, la certitude que
l'incertitude, la plénitude que la pénurie, l'affirmation que la négation et
la congruité que l'incongruité... » Faut-il chercher une autre
explication ? Celle-ci permet d'entrevoir le sens de toutes les
croyances religieuses sur un au-delà, qu'il s'appelle nirvana,
paradis, royaume éternel, réincarnation ou autre.
LES CONSÉQUENCES POUR UNE BONNE PÉDAGOGIE
On a noté que les réactions à des stimuli agréables sont
beaucoup plus rapides qu'à des stimuli désagréables. La publicité,
sous toutes ses formes, exploite donc à fond cette tendance.
Dans la présentation des faits, les événements agréables
viennent en premier lieu : les vainqueurs avant les vaincus (telle
équipe a battu telle autre), les oui avant les non, les sens positifs
avant les sens négatifs, les commentaires positifs précèdent les
remarques négatives dans les analyses, les évaluations, les
critiques.
La mémorisation des faits, des événements, des souvenirs est
sélective. Ce qui est agréable ou appris dans un contexte
agréable se retient mieux7. Dès 1910, H. Hollingworth8 énonçait
ce principe toujours valable : « La canonisation des saints,
5. Boucher, J. et Osgood, CE., « The Pollyanna hypothesis », Journal of Verbal
Learning and Verbal Behavior, 1969, n° 8, pp. 1-8.
6. Osgood, CE. et Richards, M., « From Yang and Ying to and or but », Language,
1973, n° 49, pp. 380-412.
7. Sur tout ceci, voir : Racle, G., A Teaching Experience with the Suggestopaedic
Method, Ottawa, CFP, 1973 et Racle G., La pédagogie interactive, Paris, Retz, 1992.
8. Hollingworth, H., « The obliviscence of the disagreeable », Journal of Philosophy,
Psychology and Scientific Methods, 1910, n° 7, pp. 709-714.
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Psychologie de la communication
l'exaltation des figures historiques, les nécrologies de nos amis,
les réminiscences de l'enfance, tout atteste cette habitude
naturelle et universelle d'oublier ce qui est mal et d'exalter ce qui est
bon. » D'autres recherches9 montrent, notamment, que les
événements négatifs tendent à se neutraliser beaucoup plus
rapidement que les événements positifs et que la neutralisation conduit
à l'oubli. Les catastrophes produisent un choc au moment où
elles surviennent, mais elles sont vite oubliées.
Si l'on retient mieux ce qui est agréable, et ceci devrait avoir
d'importantes conséquences pédagogiques, il faut ajouter que
l'on comprend mieux également ce qui est positif. En
introduisant délibérément dans un questionnaire des énoncés négatifs,
comme je l'ai fait récemment, il est facile de vérifier ce
mécanisme. Les auteurs de discours, d'annonces, d'enquêtes, de
reportages portent habituellement une grande attention à ce
point. Les enseignants - surtout les personnes qui enseignent
des langues - devraient en faire tout autant.
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On préfère donc penser aux choses agréables qu'aux
événements déplaisants : on s'efforce de voir le bon côté des choses,
de voir la vie en rose. Le temps qui passe atténue les faits
pénibles et accentue ceux qui sont agréables. Les personnes
âgées font de nombreux retours en arrière, sur leur bon vieux
temps. Vue de loin, à travers les filtres sélectifs du pollyannaïsme, la réalité apparaît plus belle et donne lieu à la mode
rétro, aux annonces parlant des bonnes vieilles recettes de
grand-mère, aux produits à l'ancienne.
Et en même temps, on colore l'avenir de rose. Demain le soleil
brillera. L'espoir fait vivre. On se refuse souvent à accepter les
signes avant-coureurs d'une mauvaise nouvelle. Certaines
personnes refusent de consulter un médecin, d'autres de voir la
réalité en face. Une étude historique mettrait facilement ce fait
en lumière10. Et, bien entendu, il faudrait ouvrir tout le chapitre
des croyances à l'au-delà déjà mentionnées.
On a même pu penser que la conformité au principe de
Pollyanna, avec ses vues positives et ses espoirs, pourrait servir
d'indicateur de la bonne santé psychologique d'une personne ou
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§
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9. Holmes, D.S., « Differential change in affective intensity and the forgetting of unpleasant personal experiences » , Journal of Personality and Social Psychology, 1 970, n° 1 5,
pp. 632-663.
10. N'y avait-il pas, avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, dans les années
1 938-1 939, une tendance à refuser de voir la menace qui pesait sur l'Europe ?
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d'une société. Et c'est précisément là que l'on peut se poser des
questions sur l'état actuel de notre société ou sur son évolution.
UNE EXCEPTION AU PRINCIPE :
LES MÉDIAS
II y a toujours une exception au principe de Poilyanna, celle du
principe d'intensité, qui régit principalement le domaine de
l'information. Radio, télévision, journaux transmettent, avec
souvent beaucoup de détails, un grand nombre de mauvaises
nouvelles : vols, meurtres, viols, accidents, batailles, catastrophes.
Par comparaison, on y parle peu de la vie heureuse et sans
histoire de M. ou Mme X, ou autres faits agréables.
Les mauvaises nouvelles font précisément choc par contraste
avec ce qui est plaisant et attirent donc l'attention, faisant ainsi
une « nouvelle ». Or, il faut bien reconnaître que ces mauvaises
nouvelles ont pris une proportion de plus en plus grande et de
plus en plus accentuée. Morts et mourants s'étalent sur les
écrans des téléviseurs. Les reportages montrent sans vergogne
la douleur de gens qui pleurent, crient ou meurent. On assiste à
des fusillades ou des bastonnades en direct.
Par ailleurs, les tabous régressent dans de nombreux domaines.
Les mots grossiers sont devenus communs, surtout oralement
(l'écrit a encore quelques réserves). Ils ne sont plus le fait de
marginaux ou d'utilisation privée. D'importants personnages
politiques, par exemple, n'hésitent pas à en utiliser
publiquement, à la télévision. On y présente aussi des strip-teases, des
confessions intimes ou d'autres scènes classées autrefois
comme provoquantes.
Dans son édition du 23 décembre 1992, le journal canadien The
Ottawa Citizen publiait un article intitulé : « Yes, sex please...
We're British ». Et le texte débute ainsi : « London - Sex, sex,
sex. AH these people think about sex. Organes sexuels à la télé,
conversations sexuelles à la radio, vidéos pornos dans les
magasins, conseils sexuels dans des journaux respectables.
Que se passe-t-il ? Les Britanniques n'ont-ils pas la réputation
d'être guindés et collet monté ? » Tout le texte montre que bien
des choses ont changé au pays de la prude Albion. Il n'y a pas
que là.
Comment interpréter ces constations ? « Has Poilyanna passed
away? »
II y a deux façons de considérer les choses. On peut déceler, par
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Psychologie de la communication
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5
le changement des références pollyannaïstes, une évolution des
sociétés avec, par exemple, ce que l'on appelle « la révolution
sexuelle ». Autrement dit, le domaine sexuel n'est plus couvert
par un tabou et la société a franchi une étape de libéralisation.
Tout simplement, peut-être, elle est revenue en arrière, à une
époque où le judéo-christianisme n'avait pas encore imposé et
implanté ses restrictions. Il suffit de se reporter aux sociétés
grecques ou latines ou, de nos jours, aux sociétés orientales.
(Par contre, la société ecclésiastique en est restée au même
point !)
Toutefois, cette évolution ne s'applique pas à tous les domaines,
loin de là. En fait, le domaine le plus sensible, celui de la mort, a
connu et continue de connaître une évolution inverse. Alors que
la mort était autrefois intégrée à la société des vivants, elle est
de nos jours rejetée et repoussée, loin des yeux11. Certes, la
télévision ne se prive plus de montrer des cadavres, mais il s'agit
de ce que l'on peut appeler des « morts spectacles », comme il
est possible, depuis longtemps, d'en voir au cinéma. Dans un tel
contexte, à travers le petit écran, la mort est « dénaturée »,
éloignée et peut-être démystifiée. Elle est davantage supportable,
car elle ne nous touche pas d'aussi près. La mort spectacle a
remplacé le spectacle de la mort.
La mort n'est donc pas redevenue plus familière, elle ne se
passe plus en famille, mais au loin : hôpital, hospice, maison de
retraite pour personnes âgées, centre d'accueil, etc. Et le mort
ou la morte réapparaît, comme il est d'usage dans la société
nord-américaine, par exemple, maquillé, « revitalisé », dans un
salon funéraire. La frontière sociale de la mort est toujours
soumise au principe de Pollyanna.
On peut traduire ces constatations sous une autre forme : le
domaine sexuel étant redevenu, dans nos sociétés occidentales,
une composante « reconnue » de l'agréable12, par élimination
des contraintes religieuses, le principe de Pollyanna s'applique
de nouveau, positivement : on peut en parler ouvertement. Mais
la mort, restant toujours dans l'ombre du désagréable, continue
d'être masquée, dans les faits et dans les mots.
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11. Sur cette question, on peut consulter : Clavé, M., « La nuit, la mort », Revue de
l'infirmière, 1981, n° 11, pp. 34-39; Marty, F., « La mort n'est plus ce qu'elle était »,
Revue de l'infirmière, 1981, n° 16, pp. 12-14; Aries, Ph., Essai sur l'histoire de la mort en
Occident, Paris, Le Seuil, 1980.
12. Les courants religieux, qui ont beaucoup de mal à associer sexualité et plaisir, ne
peuvent donc que rester sur leurs positions.
Le principe de Pollyanna ou la vie en rose
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On peut cependant faire une autre lecture des choses. Si le
principe de Pollyanna peut être considéré comme un indicateur de la
bonne santé d'une personne ou d'un groupe, la régression de
son application reflète la mauvaise santé de notre société ou de
certaines d'entre elles. La révolte contre la société entraîne un
« vandalisme13 » langagier qui se traduit par la vulgarité, la
grossièreté dans les propos, comme on le constate à la radio ou à la
télévision. Il s'agit d'un démarquage avec les normes admises,
qui étale ostensiblement un vocabulaire scatologique, sexuel ou
ordurier, qui à tout le moins détonne, comme le font certaines
manifestations ou démonstrations. La moisson organisée il n'y a
pas si longtemps sur les Champs-Elysées, à Paris, s'inscrivait
dans la droite ligne du pollyannaïsme : « Tout le monde il est
beau, tout le monde il est gentil ! » L'épandage de lisier sur les
places publiques, l'incendie de pneus dans les rues, l'accrochage
de carcasses aux grilles des bâtiments publics ou le déversement
de monceaux de viande ou de poissons dans les rues expriment
et traduisent un malaise social d'autant plus intense que les
manifestations sont plus antipollyannaïstes ou vice versa.
OÙ S'EN VA POLLYANNA ?
Le principe de Pollyanna a certainement encore de beaux jours
devant lui et n'est pas près d'être aboli. Il est trop profondément
ancré dans la nature humaine pour qu'il en aille autrement. Mais il
serait souhaitable que ce principe simple et pratique soit mieux
connu de toute une catégorie de professionnels, dont en tout
premier lieu les enseignants de tous niveaux. Il ne peut aussi qu'être
utile aux analystes en tout genre qui se penchent sur l'évolution ou
les réactions de nos sociétés. C'est un indicateur d'évolution ou de
malaise, d'autant plus significatif que l'écart des faits relevés avec
le principe de Pollyanna est plus grand. Il y a donc d'intéressantes
notations à faire, dans ce domaine, qui dépasseraient de loin le
cadre limité de cet article, de la philosophie de la vie à
l'organisation pratique des choses. La porte est ouverte à des études plus
poussées, car ce domaine est encore peu exploré. Qui cherche
un sujet de thèse peut trouver là ample matière. Et ce ne serait
que bénéfice pour tous, car on gagnerait beaucoup à suivre la
petite fille d'Eleanor Porter et à voir où elle s'en va.
Gabriel Racle
13. Voir : Racle, G., « Les langages de la délinquance », Communication et langages,
1984, n° 60.
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