L`Etat, le technicien et le banquier face aux défis du monde rural

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NOUVELLES EDITIONS AFRICAINES DU SENEGAL (NEAS)
CENTRE DE RECHERCHES ECONOMIQUES APPLIQUÉES (CREA)
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NOUVELLES EDITIONS AFRICAINES DU SENEGAL (NEAS)
CENTRE DE RECHERCHES ECONOMIQUES APPLIQUÉES (CREA)
Préface
A l'aube de l'hivernage 1995, tous les regards, toutes les pensées et
préoccupations de nos compatriotes se rivent sur la campagne sénégalaise,
vers le Monde rural.
Or notre pays, à l'instar des autres membres de la Communauté financière
africaine, en décidant au début de cene année du changement de la parité de
notre monnaie par rapport au Franc Français, visait la restauration des
équilibres macro-économiques et particulièrement l'amélioration de la
compétitivité de notre économie.
S'agissant plus particulièrement de l'agriculture, les surcoûts induits par
cene mesure sur les produits de consommation alimentaire importés, laissent
une marge appréciable aux producteurs alimentaires domestiques pour la
conquête des marchés intérieurs.
Dans le même temps, cette mesure améliore la compétitivité de nos
exportations agricoles, qu'il s'agisse de l'arachide, du coton ou des produits
horticoles.
Les récentes mesures prises par les autorités de notre pays pour
réaménager à la hausse les prix au producteur agricole et les prix à la
consommation constituent à la fois un signal et un encouragement en
direction du Monde rural appelé à saisir les opportunités ainsi offertes.
A l'heure actuelle, une série d'interrogations animent tous ceux qui, de
près ou de loin, s'intéressent au secteur agricole.
- Quelle sera la réaction du Monde rural par rapport aux nouvelles
donnes économiques?
- Quelle sera la contexture du marché mondial des produits agricoles, en
particulier, quelles stratégies les grands pays exportateurs vers notre sousrégion et marchés-cibles pour nos exportations vont-ils développer?
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Les réponses apportées à ces questions seront détenninantes pour l'avenir
de notre agriculture. C'est le moment que choisit le Professeur Moustapha
KASSE pour, sous le titre: Les défLS du Monde rural sénégalais et comme il
le précise avec beaucoup de modestie, apporter « une contribution à la
réflexion indispensable sur les zones rurales et les politiques qui s'y
appliquent ».
Cette contribution arrive au moment où s'annonce la tenue d'une
concertation nationale pour définir des stratégies de nouvelle politique
écofUJmique.
Dans un premier temps, le livre procède à un diagnostic du secteur
agricole (agriculture, élevage, forêts et pêche) et analyse les stratégies
d'intervention des institutions de Bretton Woods sur le secteur.
Sous l'intitulé « Crise agraire et stratégie d'intervention de la Banque
Mondiale et du Fonds Monétaire International », celte partie du livre
examine, dans une dynamique historique, l'évolution des politiques miscs en
œuvre dans le secteur.
Elle aooutit en particulier au constat, que le comportement des acteurs. les
structures sociales et les rapports de pouvoir ont été totalement méconnus et
non pris en compte dans les stratégies et politiques appliquées au secteur.
Le lecteur suivra avec intérêt la nécessaire articulation à établir entre le
système de génération et d' absorption de la rente agricole et la reconstitution
du potentiel de production.
Dans un deuxième temps, l'impact réel de la politique de libéralisation des
institutions est passé en revue à partir d'études de cas et aboutit à la
conclusion que malgré le volume des ressources mobilisées, les résultats en
matière de production, de productivité, de rendement, d'amélioration et de
vulgarisation demeurent modestes.
Enfin et surtout, la deuxième partie du livre intitulée « Les voies d'une
fUJuvelle stratégie pour l'émergence d'une agriculture performante» indique
les axes d'une politique agricole alternative.
L'auteur arrive, dans cette partie du livre, à la nécessité de la définition et
de la conduite de politiques de rupture afin d'opérer toutes les transfonnations
structurelles qui impliquent tous les acteurs, encourager par des mesures
incitatives les investissements agricoles et supprimer toutes les barrières
tarifaires et non tarifaires sur les produits agricoles au niveau régional en vue
de favoriser les échanges.
Ainsi sont esquissées des voies de solution en ce qui concerne le
développement des fùières agricoles, en particulier d~s filières céréalières, les
infrastructures de base, les facteurs de production, la recherche agricole, la
politique du crédit, de prix au producteur et de revenus, le rôle de l'Etat, la
problématique foncière et la promotion de la femme rurale.
6
Pourtant, le lecteur initié notera beaucoup de points de convergences
dans les voies de solution proposées par rapport aux orientations officielles,
qu'il s'agisse de la nécessité de réformer le crédit agricole, qu'il s'agisse de
la politique de prix, qu'il s'agisse de l'irrigation et de l'après-barrage.
Le Professeur KASSE, en mettant à la disposition des lecteurs cette
œuvre de qualité, perpétue une longue tradition de nos universitaires, qui
apporte la preuve de l'ancrage de notre système d'enseignement supérieur
aux préoccupations fondamentales de notre pays et à son tissu social.
En fin pédagogue et en chercheur fertile, il nous livre ici, dans un cadre
cohérent et dans une démarche où prime la rigueur, une profession de foi en
la capacité du Monde rural à assumer son destin et nous indique à la fois les
préalables à réunir et les voies à emprunter pour recentrer l'agriculture dans
son rôle moteur du développement économique du SENEGAL.
Ayant eu, pendant une période cruciale, la charge de la mise en œuvre des
politiques dans des secteurs placés au centre de l'analyse du Professeur
KASSE, je mesure, à sa juste valeur, l'opportunité, la pertinence et tout
l'intérêt de ce livre, qui a su éviter de tomber dans une démarche et des
considérations dictées par l'air du temps.
En effet, il m'est apparu que beaucoup de concepts et de slogans poussés
comme par une mode, ont su s'imposer dans le traitement de la question
agraire parce qu'ils constituaient des moyens efficaces de capte d'une rente
financière.
En cela, ils ont connu une durée de vie limitée du fait de l'absence d'un
réceptacle politique, stratégique et culturel cohérent.
Puisse le Public réserver au grain que vient de semer le Professeur
KASSE, l'accueil et l'appropriation nécessaires pour qu'il donne les fruits
qu'il mérite au bénéfice de notre pays.
FAMARA IBRAHIMA SAGNA
Président du Conseil Economique et Social
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Propos introductifs à la réflexion /~~
sur l'agriculture sénégalaise dans une perspective~~ ..
de relance de la croissance
Dans les cinq prochaines années, nous serons dans le troisième millénaire.
Prenons garde, nous avertit Paul Valery ~ à ne pas rentrer dans l'avenir à
reculons ,.. Al' 2000, les enfants de l'indépendanc€Ldeviendront des adultes
mars. Certains àùront entrepris des études sérieuses et difficiles mais risquent
""O"arriver à l'âge de la retraite sans jamais exercer un métier, sans avoir la
chance d'éprouver leurs compétences. D'autres plus nombreux, vont quitter la
campagne pour les villes, chassés par les difficultés et la misère, parfois attirés
par la ville o~ la pauvreté a plus d'attrait que la pauvreté rurale. Ils risquent, à
leur tour de sombrer dans le chômage, la délinquance et d'aller à une dérive
sociale
Autre préoccupation, tous les indicateurs économiques et sociaux
deviennent de plus en plus régressifs avec un secteur agricole stagnant, plus
souvent déclinant, des investissements largement insuffisants, un
surendettement massif et asphyxiant, une aide internationale essoufflée et
incertaine, une démographie galopante et une urbanisation accélérée et
chao~ Parallèlement, la pauvreté augmente. En effet, les résultats de
4(ï'enquête sur les priorités» ainsi que l'étude de la Banque Moiï<hâle sur les
conditions de vie (avril 1994) établissent qu'au Sénégal, 30 % des ména es
vivent en essous u seu de pauvreté, défmi comme étant la dépense pour
l'acquisition de 2400 calories par jour et par personne dans le ménage. Ainsi,
selon cet indicateur, 75 % des ménages pauvres sont localisés en milieu rural
.
et 58 % des ménages ruraux sont pauvres.
Dans ces conditions, le Sénégal rentrera dans la nouvelle mutation
mondiale avec de lourds handicaps et au pire en étant incapable de se nourrir.
9
Face à ces graves distorsions, seule l'amorce, dès maintenant, d'une période
longu1 de taux de croissance élevés et soutenus permettra de sortir de cette
perspective. En effet, le Sénégal n'aneindra l'autosuffisance alimentaire que
s'il se résoud très rapidement, à élaborer une stratégie efficace de mobilisation
de toutes les ressources nationales pour la relance des activités économiques
et notamment agricoles. Cette nécessité, les trois acteurs du développement
rural: l'Etat-développeur, la Banque Mondiale agissant comme technicien et
le FMI discrètement cantonné dans le rôle de banquier-comptable, en ont une
claire conscience. Cependant, au résultat, l'Etat, le Technicien et le Banquier
n'ont pas encore réussi à jeter les bases véritables d'une agriculture intensive,
diversifiée et performante. Réussiront-ils, dans une politique incitatrice à trois,
à lever les défis du monde rural ? Quelles sont les grandes orientations d'une
politique agricole pertinente et volontariste fondée sur une connaissance des
. processus socio-économiquCG? Quels sont les instruments et les moyens
d'action? Quels sont les acteurs du jeu rural ? Telles sont les questions
majeures qu'aborde cet ouvrage.
Au lendemain de l'indépendance, se fondant sur la « voie africaine du
socialisme ~(l), la stratégie du développement officiellement proclamée se
voulait une alternative à la fois au capitalisme libéral et au socialisme
scientifique d'obédience marxiste. L'édification projetée d'une nouvelle
société moderne devait s'appuyer d'une part sur le développement prioritaire
de l'agriculture et d'autre part sur l'exercice par l'Etat de fonctions
économiques et financières pour la promotion des secteurs d'activités.
Dans cette période, la plupart des économistes s'accordaient pour
reconnaître que la révolution industrielle à la fin du xvnr siècle en Angleterre
n'aurait certainement pas eu lieu si elle n'avait été précédée d'une révolution
agricole à la fois large et profonde qui a permis d'améliorer la base de
l'accumulation productive, de libérer une bonne panic de la main-d'œuvre en
faveur du secteur industriel principalement, de nourrir les villes et d'élargir les
débouchés intérieurs par accroissement du pouvoir d'achat des paysans(2).
Robert BADOUIN, à la lumière de cet exemple historique, a analysé en
détailles divers aspects du rôle de l'agriculture dans le développement(3).
(1) Léopold S. SENGHOR, Nalions el voie africaine d" socialisme. Editions
Présence Africaine, 1961. Pour une société sénégalaise socialiste et démocratique, Congrès de
l'UPS, 27-29 décembre 1976, }(~ p.
(2) C'est cela qui fait écrire à Louis EMMERIJ, dans son ouvrage intitulé Nord-SwJ : la
grenade dégo"ipillée, Paris, 1993, que" l'agriculture est l'un des marchés les plus réglementés
qui soient et ce n'est certainement pas là que les pays de l'OCDE pratiquent le libre échange
qu'ils ne cessent de prôner ». L'auteur conclut alors" il faut cesser de prêcher un ultra·
libéralisme que nous ne pratiquons pas et n'avoll5 jamais pratiqué aux premières heures de notre
développement» .
(3) Robert BADOUIN, L'économie rivale, Collection DUNOD.
10
1
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li a alors établi et démontré que la croissance de la production agri~le~est
un préalable au développement industriel car:
' .
- elle permet tout d'abord à l'économie de franchir le « seuil de la
faim », d'éliminer les risques de famine et de relever la ration alimentaire en
vue de rendre les individus aptes à produire plus et mieux;
- elle permet ensuite le dépassement du 4( seuil de l'isolement » par la
formation d'un surplus commercialisable grâce auquel le secteur agricole peut
entrer en relation avec les marchés urbains et extérieurs et participer
activement à la monétisation de l'économie. A ce propos, F. LORENTZ note
que «le passage de l'économie de subsistance à l'économie d'échange ne peut
se réaliser que sous l'impulsion des mutations de l'agriculture »(4) ;
- enfin, cette croissance de la production agricole permet le dépassement
du « seuil de la stagnation» car la réalisation d'un surplus par rapport aux
besoins internes constitue une source potentielle d'épargne qui, mobilisée et
productivement investie, engendrera des progrès ultérieurs à la fois pour
l'agriculture et pour le reste de l'économie.
Dans ce contexte, le développement agricole apparaft comme une
conthtion fondamenfâIe du développement polanSé conSistant, dans la phase
du décollage économique, en la concentration indispensable des moyens
qisponibles sur quelques centres moteurs. Dans cette phase nouvelle, le
secteur industriel naissant pourrait élargir ses débouchés et se développer
grâce à l'apparition et à l'extension d'un marché national intégré du fait de
l'augmentation du revenu agricole, de la distribution de revenus croissants à
une population expansive et de l'aménagement des infrastructures permettant
le transport des marchandises et l'approvisionnement régulier des centres
alimentaires urbains. De plus, une production agricole stagnante compromet
très fortement la croissance économique de l'économie nationale. A
l'évidence, pareille situation entrafne d'une part un accroissement des
importations agricoles avec une hausse des prix des biens alimentaires pour le
secteur industriel et d'autre part une augmentation des salaires. Les
conséquences les plus notables seront une double réduction et du potentiel de
l'épargne et d'investissement, et des réserves en devises. Ce sont ces éléments
qui ont amené KUZNETS a distingué les quatre voies par lesquelles
l'agriculture concourt positivement au développement: les produits, les
marchés, les devises et les facteurs de production.
Sur la base de cet ensemble de considérations, il revenait principalement à
l'Etat d'élaborer et de meUre en œuvre une politique agricole capable de créer
(4) F. LORENTZ, .. Le rôle de l'économie rurale dans le modèle chinois de développement -, Bu//etin de l'Economie et des Finances, avril-septembre, 1973, Problèmes
ECOflOmiques, nO 1349.
II
,
1
une économie rurale productive et rentable pouvant donc assurer une
rcproduption élargie de toutet: 1('8 composantes du capital, de même que la
fertilité dés sols. C'est pourquoi l'Etat-développeur qui a succédé à l'Etat
coftmia1 avait comme objectif majeur d'opérer le passage de l'économie de
subsistance à une économie modeme(5). Au demeurant, en l'absence d'une
classe d'entrepreneurs nationau~ dynamiques à même de saisir toutes les
opportunités d'investissement et de mécanismes fiables de marché, il revenait
à ce nouvel Etat de définir les priorités du développement, de choisir les
moyens et les instruments d'intervention et de fixer les délais de réalisation
des principaux objectifs Egalement, l'Etat avait la mission d'assurer la
fonnation technique et professionnelk des cadres de l'agriculture ainsi que la
mise en place d'un ensemble d'instruments juridiques pour la promotion et la
défense des principaux intérêts des acteurs du monde rural.
Trois décennies de politique agricole révèlent que les résultats' obtenus
sont restés à la fois éloignés des objectifs et modestes. Au fil du temps, il s'est
développé une crise profonde de l'économie agricole qui se manifeste à
travers la faillite du secteur public rural considéré comme l'instrument et le
moyen d'action de l'Etat, la stagnation de la production, les déficits et
pénuries alimentaires et la détérioration du pouvoir d'achat des producteurs
directs.
Toutefois, à y regarder de près, cette crise est sans conteste interne à
l'agriculture mais elle provient aussi pour une grande part hors de celle-ci, soit
globalement dans les fonctions imparties à l'agriculture dans le modèle
d'accumulation, en amont (engrais, semences, technologies) soit en aval
(commercialisation, transport, stockage, sécurité des débouchés)(6). Dans
cette direction, les politiques agricoles appliquées depuis l'indépendance
jusqu'à nos jours ont, en pcnnanence, .buté sur un bloc solidement structuré de
contraintes qui semblent constituer un frein décisif à la restructuration de la
société rurale et à l'avènement d'une économie agricole efficiente. Or, les
différents acteurs du système rural sont trop faibles' pour pouvoir lever ces
contraintes au nombre desquelles on peut souligner: les contraintes liées à la
politique d'accumulation et d'alloca~on sectorielle des ressources.
Le fonctionnement de l'économie sénégalaise repose principalement sur la
mobilisaÏïon de la rente agricole et minière réalisée par un système de
(5) L'Etat-développeur est un concept nouveau qu'introduit P. HUGON qui le définit
comme suit: • Un Etat qui contrôle l'essentiel des invesùssements, régule l'économie par un
système de prix administrés, met en place des instruments de politique keynésiens. Cen'ains
pays se référant au léninisme, mettent en place un système bureaucratique, le plus souvent
fmancé par les revenus d'enclaves minières étrangères.• Le Parti unique est l'instrument
politique de ce genre d'Etat, in • Trente années de pensée africaniste sur le développement .,
Revue Afrique conlemporaiM, numéro spkial, 4' ttimestre 1992.
(6) P. HUGON, L'économie d'e l'Afrique, Editions La Découvene, Paris 1993, 123 p.
12
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prélèvement à chaque filière de production et d'échange. Dès lors, la
croissance ou la décroissance de l'agriculture sera fonction du ni~au des
prélèvements opérés par les acteurs intervenants dans le secteur: l'Etat, les
divers opérateurs et intermédiaires privés. Il se trouve bien souvent 'que les
fonctions opérées ne laissent au secteur aucune base autonome d'accumulation
productive. Cet état de fait rend l'agriculture extrêmement vulnérable ëlors
même gu' ellê est condamnée à évoluer dans un uni vers caractérisé Har le
'risque, l'incertitude et l'instabilité qui appellent des politiques fortes pour
'gérer toutes les contrall1tes. Ces contrall1tes sont de plUSieurs ordres:
• Les contraintes liées à l'instabilité climatique et aux systèmes de
production entraînent la dégradation des sols à savoir:
-la sécheresse et les conditions climatiques qui sont en partie responsables
de la double réduction des terres culti vables et des rendements;
- la déforestation et la désertification découlant de la mise en valeur
bornée de l'environnement et des agressions qu'exercent sur lui les hommes
et les animaux:
-la réduction de la fertilité des sols par l'absence de jachère et par la
salinisation.
Les stratégies de lutte contre la désertification et la reconstruction des
zones rurales sévèrement affectées nécessitent des moyens financiers énormes
qui ne sont pas à la portée des agriculteurs appauvris et même des opérateurs
privés. Par ailleurs, ces stratégies pour être efficaces, doivent intégrer une
double problématique, celle de l'aménagement du territoire et celle de
l'articulation des systèmes de production des agriculteurs et des éleveurs,
L'échec du Comité de Lutte contre la sécheresse au Sahel (ClLSS) est sous
ce rapport bien édifiant. Les différents plans élaborés (PNLCD)( 7 ). PAFT(8 )'(
PANE(9), etc .. fruit d'un savant jeu d'éguilibre entre la volonte des
Quvemements et les désirs des bailleurs de fonds ont donoé des résultats
médiocres malgré l'ampleur des moyens mobilisés. Les causes procèdent e
la multlpllcne des approches, des actions et des méthodologies avec comme
corollaire une juxtaposition d'initiatives, une dispersion des efforts. une
absence de supports institutionnels fiables et de politique de,; schémas
d'aménagement, etc. Une étude du CILSS note dans ce sens que « la mise en
œuvre des plans aboutit généralement à des projets individuels réalisés au
(7) PNLCO: Plan national dc lune con Ire la ué'Crlilication,
(8) PAf'!': Plan d'action forcsticr tropical.
(9) PANE: Plan d'action national pour l'cnvironnemcnt.
1
coup\ par coup selon les accents obtenus des donateurs. Même s'ils sont dits
intégrés, ils reflètent une multitude d'intérêts (gouvernement, donateurs, ONG,
populations) et présentent une juxtaposition d'actions sans aucune garantie de
saine gestion des ressources disponibles et partant de développement durable
véritable ~(lO). ~
• Les contraintes sociologiques et structureUes de la société rurale dont les
manifestations apparaissent dans :
- les logiques singulières de génération (production et échanges) et
d'absorption des surplus;
- les rapports sociaux de production et de propriété qui continuent de
privilégier le groupe domestique au détriment de l'individu;
-l'absence de fonnes appropriées de mobilisation et d'organisation de la
participation des producteurs à l'élaboration et à l'exécution des décisions ;
- la mentalité rurale faite de conservatismes, d'attitudes et
comportements iconoclastes.
Soulignons à ce niveau, que l'abondance de la terre telle que confinnée
dans les faibles densités d'occupation des sols explique que le paysan peut
échapper à toute fonne de domination et d'exploitation qui s'établirait à partir
du contrôle sur le moyen de production que représente la terre. Cette
autonomie paysannale est renforcée par le fait que le paysan a toujours la
possibilité de développer des cultures destinées à sa consommation.
D'ailleurs, dans les systèmes ruraux non intégralement monétarisés, la culture
de rente est un complément de revenu. Dès lors, la propriété privée et
l'exploitation ne sont pas une fatalité comme l'est par exemple le marché
mondial des produits agricoles.
• Les contraintes financières qui se manifeslent à travers:
- le difficile accès au crédit du fait des réticences du capital financier, ce
qui implique le recours à l'usure qui est particulièrement parasitaire et
dépossède les petits agriculteurs et en conséquence empêche la formation
d'une épargne capable de contribuer à l'amélioration de la production
agricole;
- les différentes filières de l'économie agricole où des prélèvements sont
opérés par l'Etat, les usuriers et les spéculateurs, les commerçants par le biais
fiscal ou par le biais de l'imputation des charges des sociétés d'encadrement du
monde rural;
(10) CILSS : Analyse des stratégies el plans de lutte contre la désertification dans les pays
membres du CILSS, OSfIN.TER. EV AJA-OI.
14
\
- l'imposition de prix administratifs qùi ~ se réajustent' pas
proportionnellement à l'évolution des prix des facteu$ de production et au
cO\lt de la vie.
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Le crédit dans tout système social est vital pour la réalisation de la
production. Cependant, de la colonisation à l'indépendance, le crédit agricole
est resté embryonnaire bien que les institutions bancaires commerciales aient
inventé un mécanisme inédit de financement des opérations de
commercialisation pour les cultures de rente. Cette situation s'explIque, sans
doute, par les risques trop élevés de la production agricole dont le niveau est
fonction des écosystèmes caractérisés par leur extrême précarité, leur
instabilité et leur fragilité. A cela s'ajoute la dégradation des termes de
l'échange interne comme externe qui non seulement est défavorable à
l'agriculture mais en plus précarise les revenus des producteurs. Un système
productif ainsi structuré comporte des risques trop élevés pour les banques
commerciales qui travaillent avec des ressources de très court terme.
• Les contraintes technologiques quant à elles se traduisent dans lamaftrise insuffisante par les paysans sénégalais du paquet technologique
agricole qui a permis, ailleurs en Europe et en Asie, le décollage économique
par l'agriculture. C'est le cas notamment de ;
-l'outillage agricole qui demeure encore sommaire :
-l'absence de techniques de captage et d'utilisation de l'eau;
- la faiblesse du matériel de portage (calebasse, corbeille), de
conservation et de conditionnement ;
-l'immobilisme des techniques et l'absence d'innovations majeures.
Dans ce domaine, le problème à résoudre concerne précisément le choix
de la technologie la plus appropriée compte tenu des contraintes liées aux
objectifs des agents et à leurs possibilités financières. Cela suppose l'existence
d'un pool technologique qui pourrait comprendre quatre composantes:
-les technologies modernes importées:
- les technologies désuètes en Occident mais pouvant encore servir dans
les pays à faible potentiel technologique:
- les technologies artisanales locales ou importées d'autres pays du Tiers
Monde notamment d'Asie et d'Amérique Latine;
- les nouvelles technologies.
Cette distinction des éléments constitutifs du bloc technologique n'a
d'autre but que de permettre une meilleure compréhension des différentes
options et combinaisons offertes aux producteurs utilisateurs. Les choix
procéderont d'une part des objectifs visés par le producteur et d'autre part, des
contraintes techniques ou sociales de revenus. En conséquence, il n'existe pas
15
!
de détenninisme techholo~ique, les options correspondent toujours à des
objectifs spécifiés combte la production de nouveaux produits, la valorisation
de nouveaux facteurs, la réduction du temps de travail, l'augmentation de la
prodùctivité. Cependant, au niveau des agricultures africaines, on observe une
trop grande faiblesse du pool technologique à même d'enrichir les sols, de
corriger les diverses distorsions et d'améliorer la productivité.
C'est le lieu d'observer que dans le domaine technologique, l'Afrique doit
mobiliser toutes ses ressources humaines, matérielles et financières pour
s'approprier les nouvelles technologies de la Troisième Révolution
Industrielle notamment: les énergies renouvelables, les énergies nucléaires de
fusion, les nouvelles technologies électroniques et les biotechnologies. Elles
sont auj ourd 'hui un moyen d'emprunter un raccourci permettant de trouver
des réponses à la crise de l'économie rurale. En effet, ces nouvelles
technologies:
- permettent à l'agriculture de devenir plus économe en énergie et en
intrants grâce au double progrès de la bioconversion et de la microbiologie: la
première autorisant la récupération et la ventilisation systématique des déchets
et la seconde la fixation de l'azote en vue de diminuer le recours à l'engrais.
Egalement, la microbiologie dans son volet génétique contribue à la mise au
point de nouvelles variétés végétales et animales plus adaptées aux conditions
de l'environnement et plus productives;
- facilitent l'avènement d'une agriculture rentable et performante par
utilisation plus systématique de la mécanisation et du recours à la
télédétection pour une meilleure connaissance des sols et des climats mais
aussi la réalisation de choix plus appropriés de culture.
Les résistances aux changements et à la révolution scientifique et
technique qui bouleverse complètement les conditions de la production
agricole, l'immobilisme etl'inenie d'une pan sont à la base de l'impuissance
à produire efficacement avec des niveaux de rendement et de productivité
élevés, à préserver et conserver les récoltes, et d'autre pan des gaspillages du
sol, de l'eau et sunout de la main-d 'œuvre.
De plus, on peut dire que les sociétés rurales africaines sont de véritables
sociétés de repos ct de chômage où les hommes consacrent au travail 103
jours soit 600 heures par an et les femmes 155 jours, soit 1 100 heures. Cela
explique pour une bonne art la sclérose économi ue et sociale. Au vu de ces
statistiques, s'interroger pour savoir si « l'Afri ue est su eup
ou souspeup
lt est une questIon qui n'a pas un grand sens. Le problème
e on est
que les agriculteurs ont des techniques agricoles rudimentaires qui ne leur
permettent point d'avoir des niveaux performants de production. P. GOUROU
observe que « l'Afrique tropicale pluvieuse met en culture chaque année 6 %
seulement de sa superficie et pone une densité de 23 habitants au km 2 tandis
16
que l' A~ie tropicale pluvieuse cultive chaque année 35 % de sa superficie qui
supporte 170 habitants au km 2(1l). ['exemple de la Chine est de ce point de
vue encore plus édifiant: sa population qui repré~ente 22 % de celle du monde
est nourrie par 7 % seulement des surfaces arables du globe. Il reste évident
que ces comportements et attitudes face à la technologie et au travail justifient
très amplement à eux seuls la sclérose économique et sociale dont il faut sortir
au plus vite.
En analysant la politique agricole sénégalaise on peut remarquer une
évolution en quatre phases successives qu'illustre parfaitement l'étude du
secteur agricole réalisée par l' USAID( 12) :
• La première phase va de 1960 à 1966, elle correspond à sept ans de
croissance régulière de l'ordre de 2,5 % par an réalisé grâce à :
-l'instauration d'un programme agricole ;
- un climat favorable ;
- des prix préférentiels à l'exportation (sur prix pratiqués par la France) ;
- un vaste système coopératif exclusivement concentré sur la fourniture
d'intrants et de crédits aux régions arachidières ;
- des taux de remboursement faibles des prêts (68 %).
La conjugaison de l'ensemble de ces facteurs positifs a contribué à la
relance de la croissance de la production arachidière au taux de 40 % qui va
exercer à son tour un effet d'entraînement sur les autres secteurs économiques.
• La deuxième phase va de 1967 à 1980 : elle est celle des rendements
instables et de l'apparition de déficits croissants.
Cette période est marquée par:
- la suppression des prix préférentiels avec la fin du programme
agricole;
- la création, l'expansion et finalement la dissolution de J 'ONCAD et des
83 Centres de Développement Régionaux;
- l'annulation de la dette agricole à trois reprises;
(II) Pierre GOUROU. « Les problèmes agricoles Je l'Afrique noire non sahélienne:
ré!lexions d'un géographe ", Revue Genève-Afrique, n° 1. 1988. p. 7-47.
Dans la même analyse, l'auteul'note que « les paysans africains ont très peu d'inclination
pour les sols lourds et humides. Ils préfèrent les sols légers que leurs houes remuent plus
facilement. Ils n'ont pas la maîtrise des llffiénagemenL~ hydrauliques, barrages, canaux, digues
ct ne sont pas de bons puisatiers. Exemple, le delta maritime du Niger couvre une vingtaine de
milliers de km' : terres alluviales, abondance d'cau douce, navigation facile. Pourtant, il est
faiblement peuplé avec 15 habitants/km'. Aucun aménagement, aucune culture irriguée ou
inondée ".
(12) USAID : Analyse du secteur agricole du Sénégal, USAID/Sénégal/AOO, janvier 1991,
270p.
17
- la fonnation de la lourde dette de l'ONCAD évaluée à 75 ll}}lliards de
FCFA en 1980 puis à 142,3 milliards en 1983.
Cette période est celle de la montée des déséquilibres macroéconomiques
et macrofinanciers qui prennent leur source, en dernière analyse, dans les
ruptures intervenues dans l'économie arachidière. La production arachidière
bridée par plusieurs facteurs va se trouver très fortement limitée par une chute
des rendements et de la productivité (par suite de la dégradation des sols, de la
faible utilisation de facteurs modernes de production), et par une détérioration
des revenus des producteurs directs (baisse des prix réels et des revenus).
L'économie ne dispose plus d'un pôle moteur et cela malgré le développement
de nouvelles activités valorisées sur le marché mondial.
• La troisième phase est une phase de transition qui va de 1981 à
1983 : elle est la phase dans laquelle la crise économique culmine et a entraîné
le démarrage des politiques de stabilisation.
Les faits marquants de cette phase sont:
-le remplacement de l'ONCAD par la SONAR;
- le cumul des déficits de la SONAR entre 1981-1982 s'est élevé à
27,4 milliards de FCFA ;
- le premier prêt d'ajustement de la Banque Mondiale est approuvé en
décembre 1980 et visait l'amélioration de l'efficacité des Etablissements
Publics.
Ce PAS a été jugé négatif.
• La quatrième phase va de 1984 à 1989 : elle est, à proprement parler,
la phase de la stabilisation et de l'ajustement avec:
-la fonnulation en 1984 de la Nouvelle Politique Agricole (NPA) ;
-l'élaboration de la politique céréalière en 1986 ;
- la privatisation, la suppression des subventions et du contrôle des prix;
- le redémarrage de la croissance sectorielle.
La NPA, à partir du document de mars-avril 1984 définit, le cadre de la
nouvelle donne économique du secteur rural. Elle est un ensemble composite
et disparate d'orientations, de décisions et de dispositions réglementaires
devant contribuer à "assainissement du secteur rural. Les dispositions
essentielles sont :
- la réorganisation du monde rural autour de la mise en place, à la base,
de « Sections villageoises» et des « GroupemenL<; des producteurs» ;
- le désengagement de l'Etat par la liquidation ou l'assainissement des
sociétés d'intervention en milieu rural (SDR) et la promotion du secteur privé
dans certains domaines d'activités;
18
7
- la nouvelle politique de libéralisation concernant tes intrants, .les
semences et surtout les engrais;
- la politique céréalière avec des prix supposés incitatifs pour relancer la
production et réaliser l'autosuffisance alimentaire;
- la politique de préservation et de conservation du milieu naturel par la
régénération des sols, la lutte contre la désertification et la reforestation.
Malgré certaines évolutions pratiques et théoriquement pertinentes, la
NPA soulève depuis sa conception beaucoup de problèmes sur lesquels
l'unanimité des bailleurs de fonds n'a jamais été requise. Dans ce sens, un
document du Ministère Français de la Coopération note l'absence d'un
consensus des 0 rateurs nationaux intervenant dans le secteur rural et deS'
différents ailleurs de fonds sur les mesures de redressement envisa écs ans
Ja NPA. « Cette absence e consensus porte à la fois sur des asp c s
echniquès (priorité à l'irrigation ou aux cultures pluviales? Intérêt des
engrais sur les différentes cultures, politiques de prix, intérêts des différents
groupes de pression: Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix, sectes
religieuses, huileries, persOlmel des SOR...). La NPA n'a donc pu être qu'un
compromis, et comme tel, cumule des demi-mesures qui ont fini par produire
beaucoup d'inconvénients et de contradictions. Afin de satisfaire des opinions
ou des intérêts antagonistes, la nouvelle poli tique refuse de choisir entre
certaines options et comporte des lacunes ». En conséquence, à l'application
elle a révélé beaucoup d'insuffisances qui font obstacle à son emcacité.
C'est sans doute cette impasse qui a poussé les autorités sénégalaises à
entreprendre de nouvelles négociations en février 1990 avec les bailleurs de
fonds. Ces négociations ont abouti à l'établissement du Programme
d'Ajustement du Secteur Agricole (PASA). Dans le nouveau programme, le
Gouvernement
s'engage à :
i
tO)- poursuivre les réfonnes prévues dans la 1'.1'A notamment la suppression
progressive des distorsions entre les prix et les subventions, le désengagement
de l'Etat des activités de production et de commercialisation;
('/JI-promouvoir, dans le secteur céréalier, le remplacement du riz importé
par les céréales locales:
~
adopter une poliLique d'irrigation moins coûteuse et plus soutenue;
~
- accroître et diversifier la production;
~ - augmenter les contributions sectorielles aux finances publiques.
~
Y/-
~
programme pour reprendre les distinctions opérées par P. JACQUEMOT définit les interventions verticales portant sur les filières (recherche
de productivité, redéfinition des tâches des acteurs et des règles du jeu, etc.) et
les interventi
ales ortant sur 1
.
vrant le secteur
a 'col
écanisme de stabilisation, crédit rural, approvisionnement en
intranLc;, infrastructures rurales et hydrauliques villageoises).
19
Evaluant le PASA, Eliot BERG constate « qu'il y a un plus"grand nombre
de preuves de stagnation continuelle que de signes de changement »(13). Les
raisons avancées se ramènent à « l'inefficacité avec laquelle le PAS a été mis
en œuvre» et les réformes institutionnelles insuffisantes. Bien que celle
observation soit très pcninente, l'analyse menée en ces termes reste trop
pauvre car elle n'explique ni le faible taux d'occupation des agriculteu rs ni le
rendement dérisoire du travail. Toute la question est alors de savoir pourquoi
les paysans sénégalais travaillent si peu ct si mal.
Manifestement, pour comprendre l'état actuel de l'économie rurale qui a
abouti à l'instauration d'une nouvelle politique agricole, il impone de bien le
situer dans le contexte historique des bouleversements qui avaient conduit à
des politiques agricoles post-indépendance fondées principalement sur une
intervention généralisée de l'Etat, une assistance ct une protection des acteurs
du développement rural au point de les anesthésier totalement en les
dépossédant de toute initiative créatrice.
L'étude de l'économie politique de l'agriculture coloniale permet
d'observer que les rappons de production marchands n'ont presque jamais
pris racine dans le secteur rural ct que le libéralisme n'a que rarement réussi à
investir le procès de production, le procès de travail en y introduisant sa
dynamique « productiviste ». Le secteur agricole « indigène» a tout
simplement été intégré dans la sphère de la circulation et n'a connu ni
amélioration des rendements, ni accroissement de la productivité. Il a été ainsi
maintenu dans un archaïsme séculaire. La meilleure preuve est que les
instruments de travail ct les techniques de production sont restés les mêmes
depuis des millénaires. En observant le dénuement extrême des campagnes,
les cases en chaume, on ne peut manquer de s'interroger, pour savoir ce qu'a
apponé réellement à la paysannerie sénégalaise la monoculture arachidière
pratiquée depuis le XVIIr siècle. Celte question peut être posée pour toutes les
campagnes africaines. Dans celle optique, Louis SAt'MARCO note que
« pendant qu'Abidjan se transfonnait à vue d'œil, triomphante dans ses gratteciel et ses embouteillages, tentaculaire dans ses bidonvilles, les villageois dans
l'ensemble ne changeaient guère, habitant les mêmes paillotes, vivant des
(13) Eliol BERG: AjuslemenJ ajourné: réforme de la politique économique du Sénégal
dans les années 1980, Documenl ronéolé : USAID/Dakar. oclobre 1990, p. 13.
Il esl absolumenl incontesUible que les objectifs du PASA dans les différents sous-secteurs
sont irrécusables et relèvenl de principes de bonne geslion et d'une volonlé d'assainir le.
seclCur : réduction du déficÎl financier du sous·seclCur arachidier, dans le sous-seclCur cotonnier
réduction du COÛI pour les finances publiques par réforme de la SODEFITEX, réduction du COÛI
de produclion du sucre local, pérennisalion du crédil rural, amélioralion du système
d'occupation des terres. Seulemenl, ces objectifs sonltrop poncluels pour conslituer à eux seuls
une SIr,llé b ie cl ne prennenl pas en considération les structures rurales el les comportements des
acleurs.
20
/
mêmes menus, dans les mêmes habits. A peine paraissaient-ils dans
l'ensemble plus vieux »(14). En rem plaçant Abidjan par Lagos, Kinshasa,
Naïrobi, Dakar ou toute autre capitale africaine on aura une situation quasi
identique. La conclusion minimale que l'on peut en tirer est qu'en Afrique, le
modèle de développement, son système d'accumulation et de répartition des
revenus sont défavorables à l'agriculture.
Fait aggravant, l'approvisionnement des industries de la métropole en
matières premières agricoles ainsi que la recherche de débouchés extérieurs
avaient eu pour résultat, dans le cadre de l'économie de traite, l'abandon
progressif des cultures vivrières au profit des cultures de rente. Cela a eu pour
corollaire une chute de la production vivrière accessoirement suppléée par des
imponations alimentaires. C'est de la sone que s'est instaurée la double
extraversion des structures productives et des structures de consommation par
l'importation de biens alimentaires.
En conséquence, à la veille de l'indépendance, le pouvoir colonial laissait
un héritage lourd dans le secteur agricole : une monoproduction arachidière
avec c1es formes de production et d'exploitation archaïques donnant des
rendements extrêmement faibles, une paysannerie doublement appauvrie
d'abord par des prix très peu rémunérateurs et ensuite par divers usuriers qui
contrôlaient les principaux rouages de distribution et de commercialisation de
la production agricole, une agriculture vivrière exsangue, un système
coopératif entraînant des distorsions à la fois économiques et sociales. Cette
situation sera aggravée par de nouveaux facteurs tels que l'explosion
démographique, l'urbanisation, le mimétisme d'un modèle de consommation
extraveni fondé sur des biens alimentaires importés (riz, blé, lait, viande, etc.).
L'Etat dans ce contexte était condamné à intervenir massivement pour
mettre en place une politique agraire, des institutions de promotion et
d'encadrement du monde rural ainsi que des instruments juridiques
appropriés. Il se présentait alors comme l'acteur principal de la restructuration
de la société rurale déconnectée de l'économie marchande et maintenue dans
une situation d'arriération et d'archaïsme par un ensemble de pesanteurs
historiques, sociologiques et politiques. Dans les plans de développement qui
vont se succéder, l'agriculture est érigée au rang de secteur prioritaire devant
contribuer à la croissance, à l'élévation du niveau de vie des paysans et à la
réduction des inégalités entre villes et campagnes. Les autres objectifs fixés
par la politique agricole visaient entre autres:
-l'intensification de la production arachide-mil ;
-la diversification par l'introduction de nouvelles cultures;
(14) Louis SANMARCO, " Le monde rural sacrifié: De l'injustice au risque écologique _,
Revue Afriquè COfIlemporaine, nO 164, octobre-décembre 1992.
21
- l'étude des dimensions optimales des exploitations ainsi que la mise au
point de méthodes culturales nouvelles;
-l'intégration de l'agriculture et de l'élevage;
-l'expérimentation et la mise en valeur de terres neuves afin de maîtriser
les éléments nécessaires à l'extension de l'agriculture;
-l'organisation, l'amélioration de la commercialisation et le stockage de
tous les produits agricoles;
- l'industrialisation agricole pour valoriser la production ct absorber
l'exode rural ;
- la réorganisation, le renforcement et l'harmonisation des structures
d'encadrement.
L'Etat, progressivement, et à juste titre, s'installe au cœur du système rural
et met en place un vaste réseau de sociétés d'intervention (SOR) pour réaliser
la politique ainsi définie. Comme partout ailleurs en A frique, cette
prolifération des SOR est un indice révélateur de l'absence d'une politique
agricole globale et cohérente tenant compte de toute la complexité du monde
rural. Ces sociétés vont couvrir environ 75 % du territoire national et se
verront attribuer des prérogatives de plus en plus larges que des milliers de
techniciens et d'agents d'encadrement doivent réaliser sur le terrain. Relevant
de ministères différents, ces SOR comme le note J. Marc ELA « ne travaillent
pas toujours dans un esprit de concertation ». L'auteur cite à l'appui le cas de
la Casamance où « .. les Sociétés d'intervention s'entrecroisent parfois sur les
mêmes champs... n. Or. au lieu de se tourner vers le Gouvernement pour dire à
celui-ci" mission accomplie, nous avons produit, encadré, formé les
producteurs et remis leurs coopératives à des gestionnaires tirés de leur sein ",
elles s'incrustent, prolifèrent et s'entrecroisent »(15). Une pareille situation se
rencontre dans presque toutes les régions à vocation agricole. Les paysans
écartelés entre plusieurs SOR ct de multiples agents proposant chacun leurs
méthodes sont totalement perdus et finissent par ne plus savoir à quel saint se
vouer.
Globalement, ceLLe stratégie de développement agricole impulsée par
l'Etat s'est soldée par une crise qui a conduit à la mise en place de la Nouvelle
Politique Agricole (NPA) conçue au départ comme un élément de solution à la
crise de l'économie sénégalaise qui se mani feste dans la montée de
déséquilibres macro-économiques de grande ampleur (double déficit
persistant du budget et de la balance commerciale), le faible rendement des
investissements publics, leur non pertinence et l'endettement massif et
insupportable. Le plan ct 'action élaboré par le Gouvernement et les bailleurs
(15) Jean-Marc ELA, Quand l'Etal pénètre en brousse. Les ripostes paysannes à /0 crise,
Editions Kanhala. Paris 1990, p. 100.
22
de fonds se fondait sur l'idée que toute politique qui stopperait les transferts
de revenu du monde rural vers le monde urbain et vers l'extérieur aura des
effets positifs sur le développement. La NPA est alors présentée comme une
politique capable de changer la structure de répartition des revenus, les deux
autres étant la politique des investissements du VII" Plan et la politique des
prix des produits agricoles. C'est pourquoi les Institutions Financières
Internationales vont recommander alors, un ajustement structurel capable de
déclencher dans tous les secteurs de l'économie nationale un « cercle
vertueux» de fonctionnement efficace et rentable. Au niveau de l'agriculture,
la nouvelle donne se traduit par la suppression des offices
d'approvisionnement (Marketing boards), la suppression des subventions aux
produits alimentaires et aux intrants agricoles, la promotion sans entrave de
l'initiative privée et le désengagement de l'Etat.
Une analyse, même rapide, établit que dans la décennie des années
soixante-dix, l'agriculture sénégalaise connaissait déjà de graves problèmes
dont les manifestations étaient à la fois claires et diverses: déficit financier et
inefficacité des sociéLés d'intervention, stagnation des surfaces cultivées et des
rendements, crise agro-alimentaire affectant négativement les ressources en
devises, détérioration permanente du pouvoir d'achat des producteurs. Ces
distorsions venaient s'ajouter à d'autres pour accentuer les déséquilibres
physico-financiers des années quatre-vingt qui vont imposer, au plan macroéconomique, les politiques d'ajustement structurel et introduire les conditions
d'une gestion assistée et progressivement contrôlée par le biais de sévères
conditionalités par les institutions monétaires et financières internationales.
J)
La faillite des sociétés d'intervention dans le monde rural
Les pouvoirs publics avaient créé des sociétés chargées de promouvoir le
développement, d'encadrer les paysans et de diffuser les technologies
susceptibles d'améliorer la productivité du travail et les rendements.
Progressivement, leur nombre a rapidement augmenté passant de 4 en 1962 à
10 en 1982 ; également, leurs prérogatives se sont tellement élargies qu'elles
ont fini par investir tous les companiments du secteur rural.
Toutefois, ces sociétés d'intervention vont connaître au fil des années, des
problèmes à la fois financiers, techniques et sociaux suite à une gestion à tout
point de vue incompétente et désastreuse. Au plan financier, elles accusent un
déficit de plus en plus lourd qui passe de 5 milliards en 1978 à 9 milliards en
1980 et 12 milliards en 1982. Elles deviennent progressivement des gouffres
financiers qui grèvent lourdement le budget de l'Etat. Après la faillite de
l'ONCAD qui laisse une ardoise d'une centaine de milliards de francs CFA et
la dissolution de la SONAR, après un déficit d'environ 8 milliards, il était
23
1
désonnais permis de douter de l'efficacit{de telles sociétés dont les dettes
continueront de peser encore sur les finances publiques.
Au plan technico-agronomique, les SOR n'qnt pas réussi à découvrir et à
diffuser des technologies fiables et appropriées' capables d'améliorer les
rendements et la productivité au niveau de leurs zones d'implantation.
Enfin, au plan de l'encadrement, toutes les études reconnaissent que
l'intervention des SOR n'a pas servi les intérêts des petits producteurs. Tout
au plus, elles ont bénéficié techniquement, économiquement et socialement à
une élite paysanne. Par ailleurs, par une assistance bureaucratique et pesante,
elles ont complètement empêché les paysans de se prendre véritablement en
charge en développant leur propre dynamique d'organisation, de production et
de commercialisation.
Ces diverses lacunes conjuguées aux médiocres perfonnances, aux déficits
financiers devenus insupportables ont conduit l'Etat à démanteler dans la
précipitation les SOR en transférant tout ou partie de leurs attributions à
d'autres acteurs du développement rural comme les coopératives ou à certains
privés nationaux. Bien entendu, ce démantèlement précipité et sans plan des
SOR devait entraîner de nombreux et complexes problèmes économiques et
sociaux. A y regarder de près, ce mouvement va en droite ligne vers le
désengagement de l'Etat dans la mouvance libérale « du plus de marché et du
moins d'Etat» qui augure une nouvelle philosophie économique selon
laquelle le champ de l'Etat ainsi que ses moyens d'action et de régulation
doivem être à la fois restreints et redéployés. Autrement dit, il est décrcté que
l'Etat doit changer de métier. Dès lors, il est postulé que les paysans sénégalais
peuvent et doivent vivre sans Etat (promotion du marché et de l'initiative
privée) et sans Nation (déprotection et ouverture sans entrave sur le marché
extérieur). On peut alors se demander: comment des paysans qui ne
bénéficient (à l'inverse de leurs homologues d'Occident) d'aucune subvention
ou d'aucune protection douanière (subissant au contraire la concurrence de
produits étrangers subventionnés), qui sont soumis à des prélèvements élevés,
qui travaillent sans grands moyens avec des méthodes peu productives sur des
sols pauvres et fragiles, peuvent-ils être efficaces et perfonnants ? Nous
montrerons tout le long de celle recherche que l'agriculLure est l'un des
marchés les plus réglementés et dans tous les pays.
2) Le déficit agro-alimentaire et son incidence sur la balance des
paiements
C'est la deuxième manifestation de la crise de la politique agricole menée
par l'Etat seul ou appuyé par ses partenaires. On observe dans la période 19601984, que les cultures ont stagné ou ont par moment progressé à des taux de
24
croissance faibles largement inférieurs au croit démographique; ce qui a
littéralement fait exploser la demande alimentaire à la suite de la double
explosion démographique et urbaine, Si l'emballement de la machine
démographique est bien connu, le phénomène urbain en revanche est sousanalysé et mérite une étude plus fouillée car il est en passe de devcnir un
élément majeur de la crise des systèmes socio-économiques et surtout des
systèmes alimentaires en Afrique, Généralement dans ces pays agricoles du
Tiers-Monde, la ville n'est ni l'expression d'une croissance économique ni le
produit d'un processus de modernisation et de socialisation: elle est la
conséquence directe de l'échec des politiques agricoles qui rend la pauvreté
urbaine plus attrayante que la pauvreté rurale. L'cxode rural est alors le
meilleur moyen d'échapper à la marginalisation sociale. « Les fils de paysans
attirés vers la ville par l'illusion de revenus stables et de nourriture bon
marché gonflent de plus en plus les bidonvilles qui deviendront de plus en
plus explosifs »(16).
Là réside l'explication de l'urbanisation qui s'accélère au Sénégal: 34 %
de la population vivaient en 1976 dans les villes, ce chiffre est de 39 %
pour 1988 et sera de 47 % pour l'an 2000. Les deux régions de Dakar et de
Thiès représentent à elles seules 35 % de la population totale et concentrent
66 % de l'ensemble de la population urbaine, La région de Dakar avec plus de
1 500 000 d 'habi tants abrite 22 % de la population sénégalaisc(17),
Quant à la dynamique de croissance démographique, elle a, pour
conséquence, un accroissement régulier de la dcmande de produits céréaliers
alors que l'urbanisation rapide et désordonnée entraîne un glissement du
modèle de consommation vers des céréales importées comme le riz et le blé,
Ainsi, le riz occupe la deuxième place dans l'alimentation. Sa consommation
augmente plus vi te que celle de toutes les autres céréales et passe de 190 000
tonnes en 1961 à plus de 500 000 tonnes soit une hausse de 119 %. Il
représente en moyenne 50 % de la consommation en milieu urbain et 29 % en
mlheu rural. Pourtant, la production nationale couvre à peine 25 % des
besoins, Une enquête récente de la Direction de la Prévision et de la
Statistique (1991-1993) montre que les paysans ont dépensé pour 33,6
milliards de francs FCFA, soit 22 % de leurs revenus pour l'achat de [iz
importé contre 35,1 milliards en milieu urbain alors que le rapport des revenus
par ménage est de 3,4 en faveur des villcs. Il en est de même pour le thé avcc
(16) Louis SANMARCO, op. cil.
(17) Celle disparilé préjudiciable au développement se manifesle dans le fait que durant la
~iode 1973-1985 le milieu rural (soit 2/3 de la population) a reçu 21 % des investissements et
le milieu urbain (lf3 de la populalion) environ 69 %. Pendant le VI' Plan. la Région de Dakar a
mobilisé 4 fois plus d'investissement que la région de Diourbel, 4,1 fois plus que celle de
Kaolack el Falick, 2,8 fois plus que celle de Louga 2,5 fois plus que celle de Thiès, 1,6 fois plus
que celles de Ziguinchor et Kolda et 1,4 fois plus que celle de Tambacounda.
25
-
une consommation rurale de 7,04 milliards (8,7 % des revenus) contre 6,03 en
ville. Or, on sait que la recette tirée de la céréariculture ne représente que
20 % des revenus; c'est dire que déficit vivrier et extraversion de la
consommation sont aussi le lot des campagnes sénégalaises(18).
Ces faits sont symptomatiques d'une « rizification » du modèle sénégalais
de consommation qui trouve son explication d'une part dans l'absence de
liens entre les systèmes de production et les systèmes de consommation
(double extraversion des modèles de production et de consommation), et
d'autre part dans la structure même des prix aux consommateurs. En effet,
dans un souci de sécurisation et de stabilisation des prix du marché céréalier,
l'Etat a toujours mis en place des organismes et des mécanismes destinés à
encadrer la filière céréalière(l9). Il semble qu'une telle politique de nourriture
bon marché relève d'une volonté de ne point mécontenter les masses urbaines
poli tiquement dangereuses. L'objecti f de sécurité ou d'au tosu ffisance,
préalable de tout développement, ne peut être atteint qu'en rompant
radicalement avec un tel modèle fondé sur les biens importés provenant du
marché céréalier ou de l'assistance -internationale.
En définitive, comme le souligne P. GOUROU, « l'importation de céréales
à bas prix est une solution plaisante qui permet à la fois de calmer la faim
citadine et d'éviter les émeutes. Mais alors, pourra-t-on bénéficier pour
\ longtemps encore de céréales gratuites ou à un prix de dumping »(20).
L'amplification de la crise agricole par l'uniformisation mondiale des
systèmes de production et de consommation est révélée par le schéma (p. 27)
établi par Michel GRIFFON et Pierre JACQUEMOT qui montrent les interrelations entre marché alimentaire mondial, marché alimentaire urbain africain
et systèmes productifs agricoles africains.
La surévaluation des monnaies qui permet d'importer le riz et le blé à bon
marché est fortement remise en question aujourd 'hui par les institutions
financières internationales qui ont toujours exigé et ont finalement obtenu la
dévaluation du FCFA, cette mesure serait à même de rendre compétitive la
production alimentaire locale. Dans le cadre de la dévaluation du franc CFA,
le renchérissement du prix des produits alimentaires devrait entraîner un
déplacement de la demande de biens agricoles importés vers ceux qui leur
sont substitutifs et produits localement. Cela suppose d'une part que le prix
soit l'élément déterminant de la production agricole et d'autre part que les
contraintes d'ordre climatique et écologique n'aient qu'une très faible
(18) Ministère des Finances-D,P.S. : Enquête sur les priorités, février 1993.
(19) ScIon l'observation de M. GRIFPON et P. JACQUEMOT. " l'intégration des villes
africaines dans un marché alimentaire mondial qui tend vers l'uniformisation des normes de
consommation contribue à étendre les mécanismes du développement inégal. Elle produit des
effets de dissociation irrémédiable sur la structure sociale nationale •.
(20) P GOURROU : op. cil.
26
'1
I.Muché alitent.ire
IOndi.1
2. Kmhé .1 imtaire
urbaill africain
• !lcédenta céré.liers au
lord rml tut d'me
croi8l&l1u de l'offre (due
l 1. forte productivitél
et d'Olle stagnlt ion de 1.
deunde.
• La vWe, .gent de
prop&&.t iOI du lodèle de
CODSoant ioa ilporté
lecherche de débouchés par
pol it iques de larché et de
priI
Aupeotat ion des
ilportations.
Aupeotation de l'aide
alimtaire
.
• StagnatiOi de ta delande
de produit. uotiques
africailll et fortes
flactuatiollJ des com.
3, Systète8 productif.
.!ricoles africain.
Concurrence ptr les pril
relat iCI sur lu productiOllJ &l ilent. itel
locales
ch!ngeaent dans les
stroctores de
coosomt ions
Dissociatiol entre lOdèle
de conlo'lItiol ,rbail et
capacité productive.
paYS&lllIe.
• La ville, agent de
prUèment du mplus
agraire pour satisfaire
besoins urbains et
adainistratifs avec
fa ib le contrepart ie ml
l'agriCllltm
legression du potentiel
proouctif &lplifi~ pit
les crises ponctuelles
(c1il8tiqueal et 1& crise
délo écologique chronique
Déf ici t externe.
Déficit budgétaire
Raine du mphs
agraire.
1
,
• IIonopoliutioB III niveau
des Î1trlllt. (engrais,
selences sé leet iOllllus) et
dei technologiu
'&ricoles.
Hon-reproductiOi de.
.ystèaes agraire. sur des
bases endogène. et échec
des 'J.tèle. productif.
ilportb.
27
incidence sur la flexibilité de la production agricole. Le paysan raisonnant en
termes de revenu réel va se trouver en face de deux alternatives: soit accroître
sa production de façon à atteindre le niveau antérieur de rémunération (par
extension des terres), soit renoncer à produi:e, s'il juge l'effort supplémentaire
sans commune mesure avec ses gains et venir gonfler les villes en s'adonnant
à une activité informelle. La dévaluation intervenue le Il janvier 1994, au
moment de l'édition de cet ouvrage devrait dans les mois à venir nous offrir
quelques repères sur ce que sera réellement le comportement de l'agriculteur
sénégalais qui dans le passé n'a pas répondu aux incitations économiques, en
augmentant, par exemple, les emblavures(2l).
Globalement, la percée du riz et du blé, dans le modèle urbain
de consommation tient aussi au coût de ces céréales qui rentrent en
compétition avec les céréales locales et les tubercules. En maùère d'offre de
riz, les Etats-Unis (PL 480) et la Thailande se livrent une concurrence sans
merci pour la conquête du marché africain par le biais de politiques
d'exportations agressives et subventionnées, de programmes de crédit et
d'aide alimentaire. La dévaluation sera-t-elle suffisante pour inverser pareille
situation?
Il reste que ces tendances se traduisent actuellement par un déficit
céréalier d'environ 600 (X)() tonnes couvert par les importations et l'assistance
alimentaire internationale. Ainsi, des ressources en devises de plus en plus
importantes seront soustraites pour des tins de consommation finale limitant
alors l'investissement productif. Sur des importations totales de 396 milliards
de FCFA en 1989, le riz et le blé ont représenté 50,6 milliards soit 13 % alors
que l'ensemble des produits alimentaires importés interviennent pour 100,9
milliards CFA, soit 25,5 % du total des im ortations lobales. Les
Investissements ans l'agriculture sont dérisoires par rapport à ces transferts
au profit du marché alimentaire mondial. Au vu de ces chiffres, il s'impose l'impérieuse nécessité de reconguérir ces marchés urbains. Si l'agriculture
arrive à capter ne serait que 20 % de la demande, elle réaliserait des gains
beaucoup plus appréciables que ceux procurés par une filière arachidière
depuis longtemps déclinante(22).
(21) Le calcul des coefficients de protection nominale pour la période 1985 -1990
concernant les cinq principales cultures agricoles donne 1,3 pour le mil, 1,6 pour le maïs, 2,0
pour le riz et 1,1 pour le coton et pour l'arachide et montre que la surévaluation du CFA ne
protège pas assez, le mil. le maïs, le coton et l'arachide. Théoriquement la dévaluation devrait
pour le mil et le maïs entrainer une augmentation de la production dcstinée à la consommation
locale à condition que les effets de substitution soient favorables et que la production puisse
être ex tensible pour répondre à une demande additionnelle. Pour l'arachide et le coton
interfèrent plusieurs autres facteurs comme les élastiCités, les cours mondiaux, le coût des
intrants et les prix relatifs des autres cultures.
(Lire la noIe 22 p. 29).
28
Cet aspect de la crise est essentiel en ce sens qu'il indique clairement que
le Sénégal pour s'en sortir devrait commencer par réduire tout au moins sa
dépendance extérieure par la maîUise des importations vivrières et d'autre part
par instaurer des politiques intérieures capables de transformer la croissance
de la demande en vecteur de production et d'échange. Cela suppose que la
recherche et la réflexion doivent être déplacées vers cette donnée importante
mais très mal connue: les modèles de consommation rurale et urbaine. Si l'on
ne maîtrise pas cette composante essentielle, il y aura la grave illusion de
vouloir nourrir le pays avec les excédents et l'assistance alimentaire de
l'extérieur.
3) L'inefficacité de la politique agricole dans le domaine de
l'accroissement des superficies et des rendements
La stagnation des surfaces cultivées et des rendements est la troisième
manifestation de la crise agraire. Dans la période de 1969-1984, les surfaces
cultivées sont restées relativement stables ce qui a entraîné, avec le croît
démographique, une baisse de la surface cultivée par actif rural qui passe de
0,58 ha en 1969 à 0,40 en 1984. Cette tendance s'observe à la fois pour
l'arachide et les céréales. Par ailleurs, l'évolution des surfaces cultivées n'a
pas modifié le rapport entre surfaces culLivées en arachide et celles consacrées
aux céréales. Le rapport est favorable aux surfaces emblavées en arachides
(1 100 ()()() ha).
Dans l'évaluation de la NPA, les experts ont fait le constat que dans la
période 1985-1991, l'application de la nouvelle politique ct le désengagement
de l'Etat ne se sont pas traduits par une régression de la production. 11 est vrai
que, pour l'essentiel, la production annuelle moyenne au cours des sept
dernières campagnes est, par rapport à la moyenne annuelle observée de 1960
à 1991, en légère progression:
- moyenne 1960-1991 : 1 745 217 tonnes toutes spéculations;
- moyenne 1985-1995 : 1 884 902 tonnes toutes spéculations.
Cependant, si on rapporte ces deux moyennes à la croissance
démographique on observe qu'il y a une très nette régression de la production
per capita. Par ailleurs. une analyse plus fine établirait que les légères hausses
(22) Dans mon ouvrage Crise Economique el AjustenJenl au Sénégal. j'observais déjà que
depuis son indépendance, le Sénégal a transféré au marché alimentaire mondial au titre des
imponations de riz, plus de 300 milliards de FCFA en francs de 1971. Si la moitié de ces
ressources avaient été seulement investies dans l'agriculture nationale l'objectif d'autosuffisance alimentaire aurait été largement aueint et même dépassé.
29
ne sont pas dues à des gains de productivité mais à des accroissements de
superficies cultivées, ou à des pluviométries relativement favorables.
En matière de rendement, malgré les efforts de recherche et de
vulgarisation, aucune performance réellement significative n'a été enregistrée
même après la mise en application de la NPA.
Si par moment les rendements ont varié du simple au double cela est da à
une pluviométrie favorable, c'est dire clairement que les facteurs climatiques
sont réellement surdéterminants dans l'évaluation des performances agricoles.
Pour l'arachide, les rendements tournent entre 700 et 900 kg/ha. Le tableau
suivant en dOIUle une illustration édifiante :
Arachide Mil
Rendement (T/Ha) ...............................................
Valeur économique (FCFNKg) ...............................
Rentabilité nette de la main-d'œuvre (FCFA/homme-jour)
0,7
117,4
763
0,5
97,3
337
Colon
0,9
146,0
931
Source: Banque Mondiale: Mémorandum p. 105.
En définitive, les faibles rendements observés et sunout leur irrégularité
traduisent une maîtrise imparfaite des conditions générales de la production
agricole notamment les facteurs naturels (climat, écolo ie et techni ues
seau imgation, tectUlologie, disponibilité et coûts des intrants. pratiQues
culturales), les systèmes et possibilités de culture.
Face à celle situation, aucune politique cohérente d'incitation n'a été mise
en œuvre comme par exemple l'instauration de prix rémunérateurs pour les
produits agricoles ou d'autres mesures d'incitation à l'accroissement des
rendements et de la productivité du travail agricole comme l'utilisation de
technologies appropriées.
4) La détérioration du pouvoir d'achat des producteurs
La structure des revenus des ménages ressort du tableau 1 construit à partir
de l'enquête sur les priorités.
Cette évolution montre que les revenus monétaires des agriculteurs se sont
dans l'ensemble profondément détériorés entraînant une baisse notable du
pouvoir d'achat. Ces revenus provieIUlent pour plus de 90 % de l'arachide
dont les prix d'achat du kilogramme ont évolué comme suit en francs
constants de 1972 (déflatés par l'indice des prix à la consommation en milieu
africain) :
30
En
En
En
En
1960
1965
1972
1977
En 1983
.
.
.
.
.
29,OF
25,OF
23,7 F
21,6F
18,OF
Le même phénomène est observable pour les autres grands produits
agricoles notamment le coton et le riz-paddy.
Dans le même temps, le revenu rural moyen, à son tour, s'est
conséquemment détérioré comme l'indique l'évolution suivante:
En
En
En
En
En
En
En
1960
1965
1972
1977
1983
1985
1990
.
..
.
.
.
.
.
22 000 F
15400 F
12000 F
10 900 F
8800F
lO000F
8000F
Ces statistiques sont révélatrices d'un processus d'appauvrissement du
monde rural qui avait été constaté depuis les années soixante-dix par une
étude du Conseil Economique et Social, sur « le pouvoir d'achat paysan ». li
reste que la montée de la pauvreté du monde rural qui fOlme la proportion la
plus importante de la populaùon totale, risque d'empirer et de constituer un
obstacle sérieux pour le développement durable.
Louis SANMARCO rapporte qu'un pays comme « la Côte-d'Ivoire pour
faire face à la crise dut se résigner à opérer une baisse durable des prix et
diminuer le train de vie de la nation. Elle adopta pour y parvenir deux séries
de mesures d'abord une diminution du prix d'achat du cacao au producteur de
400 à 200 FCFA et ensuite des abattements de 10 à 40 % sur les salaires et
traitements. Le monde rural se soumit sans mouvement apparent de
protestation. La ville touchée directement par les secondes mesures se souleva
et le Gouvernement dut reporter les baisses prévues. Ainsi, l'austérité
indispensable ne frappe que les agriculteurs, ce qui donne la mesure du poids
respectif des diverses classes de la société »(23).
Ces faits marquants, pas propres à la seule Côte-d'Ivoire, dénotent
l'incapacité des paysanneries africaines à revendiquer et obtenir une part
appropriée dans la répartition du produit social à travers des formes modernes
d'organisations politiques et syndicales. Cette situation tient principalement à
la faiblesse de leur conscience de classe, au conservatisme rural et à leur
grande dispersion, mais elle procède aussi du fait que les Etats engagés dans
(23) L. SANMARCO, op. cil.
31
des politiques industrielles de substitution aux importations ont cherché à
approvisionner prioritairement les villes et aux moindres coOts afin de
contenir les niveaux de salaire.
Dès lors, il appann1 clairement que le poids de l'ajustement est assez mal
partagé: les pauvres deviennent plus pauvres et doivent l'accepter avec
résignation en l'absence de moyens insti tutionnels et juridiques pour se
défendre(24). Pourtant, l'analyse économique établit maintenant que
l'accroissement de la productivité et des rendements de l'agriculture est
impossible sans une augmentation substantielle des revenus agricoles qui
seuls peuvent à la fois stimuler l'expansion de la demande et en voie de
conséquence créer de meilleures conditions pour la production. En effet, il est
bien établi que les gains de productivité dans tout système productif
dépendent de deux causes principales toutes deux fortement corrélées au
revenu à savoir: la combinaison optimale des facteurs modernes de
production (engrais, variétés à haut rendement, motorisation, pesticide,
produits phytosanitaires, etc.) et le progrès technique, c'est-à-dire la capacité
d'innovation et d'utilisation de nouvelles technologies provenant de savoirsfaire locaux ou importés.
Il est très peu probable qu'un monde rural aussi appauvri, donc incapable
d'acquérir ces facteurs de production puisse résister aux aléas climatiques et
bouleverser fondamentalement les conditions de production et de reproduction
élargie de l'agriculture tout en jetant les bases de son auto-développement. Si
les paysans ont résisté à la famine et aux différentes calamités naturelles, c'est
grâce à l'autoconsommation qui représente l'équivalent de leur revenu
monétaire, à l'extension du secteur informel urbain et à l'assistance
alimentaire internationale. Voilà qui explique que l'Afrique a totalement
remplacé l'Asie et l'Amérique Latine dans le recours à l'aide alimentaire
mondiale. Cette aide pour les pays sahéliens augmente sans cesse et se fixe
actuellement à plus de 400 000 tonnes (équivalent céréales). Elle est à la fois
source de recettes budgétaires (quand elle est vendue comme le PL 480) et
moyen de stabilisation des prix et des revenus urbains.
Les médiocres performances globales de l'agriculture sénégalaise
s'expliquent aussi par la conjugaison d'un ensemble de facteurs exogènes dont
la sécheresse et la détérioration des cours internationaux de l'arachide. Cette
évolution des cours s'est située entre un niveau plancher de 293 dollars la
tonne et un niveau plafond de 1 077 dollars. Par ailleurs, une agriculture où
(24) Il esl mainlenanl heureux de voir la Banque Mondiale et les aUlres inslitulions
internalionales s'inveslir très massivemenl sur ces queslions de pauvrelé et d'équilé. Il est
aujourd'hui bien reconnu .. que dans un marché où produits, capilaux et technologies circulent
el s'échangenl librement, ce som les hommes qui font la différence ,. (L. SlOleru). C'esl donc la
ressource humaine qui va différencier les performances des divers pays. En conséquence, une
population en bonne sanlé, bien instruile el assez qualifiée esl un facleur essentiel de croissance.
32
l'irrigation est faible, les conditions climatiques et écologiques deviennent des
facteurs détenninants. Il est marùfeste que les pentes raides très peu fertiles
qui couvrent la majeure partie du territoire, la forte instabilité climatique
caractérisée par l'irrégularité de la pluviosité dans le temps et la mauvaise
répartition des précipitations dans l'espace, le déséquilibre écologique qui se
matérialise dans une tendance irréversible à la désertification, ont déteint
négativement sur la production agricole et ont annulé tout gain de
productivité.
Pour prendre le cas de la sécheresse, sur une période de vingt-trois ans
(1960-1983), la dégradation de la pluviométrie a été observée onze fois et le
nombre d'années de pluies exceptionnellement favorables n'a été que de trois.
Il est évident que cette instabilité de l'environnement affecte à la fois les
rendements et la production globale.
Il reste, cependant vrai, qu'aucune politique n'était mise en place pour
atténuer les effets de la sécheresse comme par exemple la maîtrise de l'eau par
les techniques de captage ou de petits barrages villageois. Face à l'instabilité
et à la précarité de l'environnement naturel. certaines parades étaient ouvertes
comme l'élaboration d'un programme de maîtrise de l'eau, la refonte de la
carte semencière, l'utilisation de variétés à cycle végétatif rapide plus
adaptées à la sécheresse, la systématisation du stockage pour corriger les
variations cycliques, etc.
L'agriculture, dans la situation présente des économies africaines en
général et sénégalaise en particulier, peut être, assurément le secteur moteur
capable d'entraîner l'ensemble des autres activités productives dans le cadre
d'un développement durable, irréversible et équilibré. Naturellement, la seule
condition est qu'elle ne soit point bloquée par un environnement et des
politiques défavorables. En effet, les statistiques établissent que l'agriculture,
même avec ses faibles perfonnances, occupe plus de 60 % de la maind'œuvre, représente 21,3 % du PIB (1985-1989), fournit 30 % des matières
premières utilisées par le secteur industriel et en moyenne 21 % des recettes
d'exportation. Pour que l'agriculture puisse jouer ce rôle moteur, il faut
absolument que le système de génération et d'absorption de la rente agricole
contribue à la reconstitution du potentiel de production. En effet, toute
l'analyse qui va suivre, montre que les surplus qui se fonnent dans le secteur
agricole subissent des prélèvements par le biais des prix, de la fiscalité ou des
SOR (imputation des charges de l'encadrement). Cette allocution du surplus
ne permet pas la constitution d'une base suffisante et autonome
d'accumulation sans laquelle le monde rural sera incapable d'assurer son autodéveloppement.
La rente agricole a toujours été la source principale du modèle
d'accumulation, elle a surtout alimenté depuis l'indépendance les finances
publiques mais aussi les consommations ostentatoires des élites urbaines. Pour
cette raison, il devient encore impérieux d'opérer et de réussir une révolution
agricole véritable aux formes inédites qui réaliserait le double objectif de
résorption du déficit alimentaire et d 'él~vatiO\l de la productivité par
agriculteur et par surface cultivée.
'
Il est maintenant nettement établi, qu'après deux siècles d'esclavage, un
siècle de colonisation, trois décennies de gestion économique et financière
laxiste, l'Afrique est rentrée dans une crise multidimensionnelle et profonde.
Tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire qu'elle ne peut s'en sortir que
par une révolution agraire d'une très grande ampleur. Pour y arriver les
Institutions Financières Internationales notamment la Banque Mondiale et le
Fonds Monétaire International proposent aux décideurs africains une autre
politique de développement agricole: le Programme d'Ajustement Structurel
de l'Agriculture (PASA) qui est, au Sénégal, le prolongement de la NPA de
mai 1984. Les objectifs sont demeurés pour l'essentiel identiques à savoir
accroissement et diversification de la production, augmentation des
contributions sectorielles aux finances publiques. On compte atteindre ces
objectifs par la suppression progressive des distorsions entre les prix et les
subventions, le désengagement de l'Etat des activit~s de production et de
commercialisation et l'adoption d'une politique d'irrigation moins coOteuse et
plus soutenue~
Il s'agit dans le cadre global de l'ajustement structurel d'opérer une
organisation libérale de l'économie rurale, de restructurer çomplètement le
secteur en vue de retrouver la voie d'une croissance à la fois régulière et
stable. Pourtant, aujourd 'hui, plusieurs évaluations mettent en doute
l'adéqUation des PAS ainsi que leur capacité effective à relancer la croissance.
Eliot BERG (père spirituel des PAS) n'a pas hésité à parler de ~ l'Ajustement
ajourné» au Sénégal en soulignant de façon désolée les très faibles
performances des politiques sectorielles (NPA, NPI) et des mesures
d'encadrement (désengagement et suppression des effets d'éviction du secteur
public vis-à-vis du secteur privé, politique fiscale et monétaire).
Une évaluation plus récente opérée par la Banque Mondiale dresse un
bilan de l'ajustement au Sénégal depuis les années quatre-vingt et conclut
que les résultats d'ensemble sont très décevants : ~ le Sénégal a
essentiellement réalisé une stabilisation financière, assortie d'une stagnation
de l'économie - le revenu par habitant n'a enregistré qu'une faible
augmentation »(25).
Dans notre appréciation des PAS, -nous avions particulièrement souligné
quelques incohérences théoriques du modèle de référence pour ensuite insister
(25) Banque Mondiale, Stabilisalion, ajustement partiel et stagna/ion au Sénégal, Rappon
nO 11506 SE. mai 1993.
34
sur la mauvaise connaissance de l'économie nationale (structures et
comportements des acteurs ainsi que les valeurs culturelles dans lesquelles ils
baignent) et l'utilisation d'instruments inadéquats de politique économique
(quel que soit du reste leur degré de rationalité)(26). En effet, comme
l'observe P. HUGON, « les dynamismes ~ du dedans « émergent au-delà de
l'écume des flux macro-économiques et des équilibres comptables. Les
rationaliïés micro-économiques des agents sont Béés à leur a artenance à des
r seaux et
es structures qui conduisent à des comportements
atypiques »(27). Il est clair qu 'en ignorant tous ces paramètres, tous ces
comportements, toutes ces structures, les politiques macro-économiques
projetées n'ont que très peu de chance de se réaliser. Les raisons sont à
chercher dans les orientations de base et les structures et non dans les
instruments. Il est bien connu que les paysans africains manifestent beaucoup
de réticence à l'égard de certaines innovations, persistent dans leurs logiques
autarciques et maintiennent des cultures extensives à faible productivité. Il
faut alors chercher une démarche efficace pour les intégrer dans de nouveaux
modèles d'organisation et de production.
Les résultats plus que mitigés de deux décennies de PAS apportent la
preuve par mille que cette politique est loin d'être efficace. Les causes
d'échec sont maintenant bien connues : incohérences dans l'élaboration des
programmes, absence d 'opérationnalité des instruments de politique
économique, connaissance insuffisante des structures d'organisation socioéconomique, mauvaise appréciation des fonctions du marché dans des
systèmes productifs désarticulés et toujours cloisonnés avec des logiques de
fonctionnement extrêmement hétérogènes et extrême faiblesse des appuis
institutionnels. A tout cela s'ajoute un autre élément, la grande faiblesse de
l'Etat contraint de conduire parfois sans conviction un PAS dans l'unique but
de bénéficier des crédits nécessaires pour assurer le financement des déficits
budgétaires.
En définitive, l'Etat africain est un des handicaps majeurs des PAS. li n'est
que de constater, sous ce rapport, la rigueur et l'efficacité des Etats du Sud-Est
asiatique qui ont réformé. restructuré et rendu performantes leurs économies,
alors même gue l'Etat africain fait preuve dans les domaine économique.
administratif et social de très peu de dynamisme. D'ailleurs, la légitimité de
l'intervention des Etats en Asie n'a jamais été remise en question.
Globalement, en Afrique, l'Etat subit une double pression d'en haut par un
(26) Le Pr François BOYE dans une analyse « du modèle de la Banque Mondiale au crible
de l'expérience sénégalaise dans la Revue Sociétés·Espaces·Temps, 1992, (p. 5-16) aboutit à la
conclusion, après une série de tests économétriques, que .. l'expérience sénégalaise de réforme
de l'agriculLure n'est pas prête de se muer en une expérience de libéralisation à même d'établir
ou de réfuter la recommandation ultra·libérale de la Banque Mondiale" •.
(27) P. HUGON, L'Economie de l'Afrique, Editions La Démocratie, 1993, 123 p.
35
système mondial qui l'écrase (spécialisations imposées, endettement et
dépossession de toute initiative) et d'en bas par un système informel puissant
et déstructurant. Il est, dès lors, congénitalement affai bli pour pou voir opérer
et supporter la restructuration de l'économie (mise en place des préalables
institutionnels: système éducatifet de formation. système sanitaire. réseau de
communication, infrastructures d'accompagnement du développement,
système judiciaire et démocratique, etc.) et imposer une quelconque discipline
sociale.
Par ailleurs, l'accumulation de déficits budgétaires chroniques,
l'endettement de plus en plus massif, le dysfonctionnement du secteur public
et les distorsions induites par l'intervention dans les mécanismes de formation
des prix, disqualifient l'Etat qui vas 'avérer complètement incapable d'assurer
ses diverses fonctions et responsabilités(28). En conséquence, de telles
faiblesses l'obligent à se désengager de l'économie, à abandonner toute
velléité de régulation faute de moyens financiers et de personnel compétent.
Il est alors condamné à se déployer d,ms ses tâches prédilectionnelles de
création et d'entretien de l'infra"iructllre de base, de mise en place d 'un
système éducatif et universitaire performant, de conduite d'une politique
san itaire appropriée, d'une gestion adéquate de l'en vironnement urbain et
rural. d'un maintien de la sécurité intérieure et extérieure.
Les nombreuses recherches menées sur cette question de l'Etat africain
ainsi que sur ses capacités à mener une bonne gouvernance révèlent le
caractère étriqué de la vision des PAS ainsi que les politiques que cette vision
a impulsées comme par exemple la volonté d~ vouloir coûte que coûte
pri vatiser entièrement tout le secteur pu blic(29). Ce n'est peut-être pas le lieu
d'ouvrir le dossier de la crise de l'Etat en Afrique et ses implications, On doit
tout de même en rappeler les termes qui gravitent autour de la question:
Quelles sont les raisons de l'incapacité de l'Etat en Afrique à répondre
(28) JACQUE MOT noIe à cc propos quc la méconnaissancc du comportcmcnt des acteur,
économiques, dans la plupart dcs PAS a cmpêché dc voir que ceux-ci ont développé en Afrique
leurs activités sous la férule de l'Etal. Nombrc dc SOCIétés privées, de hanques ou dc groupements
coopératifs jouisscnt de prérogatives limnées hors dcs aidcs de l'Etal. Lcs schémas étatistes
d'aSSistance ct dc rcdistribution ont profondément imprégné les structurcs ct \cs mentalités.
L'excès d'administration a cu un effet inhibant sur les capacilés d'initiative et d'cntreprise,
(29) Sur ces rechcrches concernant l'Etat africain. on consultcra avcc profit:
P. JACQUEMOT. « La désétatisation cn Afrique, enJcux ct perspectives >'. Rcmc Tlcrs
Monde, n° 14, avril juin 1988.
J,-F. BAYART. L'Elal en Afrique cl la poliliquc dll j'enlrc. Editions Fayard, Paris, 19K5I
E. TERRA y, L'Etal conleml'0rain cn Afrique, Editions L 'Harmatlan, Paris, 1987.
J.-F. MEDARD, Etals d'A/riqlIC Noirc.· FornWlion, mé('(Jf/isme~ cl aise, Editions
Kanhala. Paris, 1991.
FONDATION DAG HAMMARSKJOELD, L'Etat ct la crise cn Afrique. La rechcrche d'une
secondc libération.
36
i .1
aux besoins de la dynamiqué ~conomique et sociale? Autrement dit
pourquoi l'Etat ne parvient-iljas 4générer sur une base stable les ressources
qui lui sont nécessaires -dans/t'accomplissement de ses principales
missions? (30).
La réponse à cette question s'ordonne en trois thèses établissant la crise
instrumentale de l'Etat: l'Etat patrimonial système qui, selon P.
JACQUEMOT, est fondé sur l'obligation acceptée et la loyauté des membres
et non sur la compétence; cette obligation étant rémunérée par les mécanismes
de redistribution. La gestion de l'Etat s'effectue en père de famille avec une
confusion entre les affaires personnelles et les affaires publiques,
administratives et judiciaires, l'Etat surchargé qui est une prise en charge
d'assistance liée à la reproduction individuelle et collecti ve que la communauté
ébranlée ne peut plus supporter faute de ressources; l'Etat mou ou l'Etat
contourné (anarchie fonctionnelle) et l'Etat prédateur qui se manifeste à
travers la mobilisation et l'absorption des surplus par le biais des Offices de
Commercialisation et des Caisses de Péréquation. Cependant, il faut observer
avec Lionel STOLER U que« l'histoire de la plupart des peuples est traversée
par le flux et le reflux de l'Etat: Etat fort ou Etat faible, Etat omniprésent ou
Etat restreint »(31 ). Le choix n'est donc pas entre plus d'Etat et moins d'Etat
car le monde actuel exige un Etat fort d'abord pour insérer la production
nationale dans le marché mondial et ensuite pour mener à bien toutes les
restructurations indispensables.
En analysant Je PASA à la lumière des faibles résultats de la NPA, on peut
s'interroger à la fois sur sa pertinence et ses chances de succès. Dans le PASA
comme dans le PAS le comportement des acteurs, les structures sociales
comme les rapports de pouvoir sont totalement méconnus et donc non pris en
compte. Dès lors, il devient impossible de connaître les logiques de
fonctionnement des systèmes et surtout les comportements des acteurs pour
pouvoir les infléchir dans le sens de la réalisation des objectifs fixés. Plus
précisément, les particularités structurelles et la crise des terroirs villageois
par suite d'un appauvrissement excessif des paysans, de la désertification et
de l'exode rural entraînant un vieillissement de la population rurale, font que
les producteurs ruraux sont totalement ou partiellement déconnectés de
l'économie marchande et développent l'autoconsommation en l'absence de
réponse positive aux incitations économiques en vue de l'amélioration de la
productivité et des rendements.
(30) Répondant àcette question P.JACQUEMOT note qu'il est rare que le secteur puhlic
ait débouché sur une régulation accrue de flux économiques inter-sectoriels, sur des
programmesd 'investissements publicseftïcacesou sur lacouveJ1urc des charges des services
de hase dans les villes comme dans les campagnes. Prélevant plus qu 'aidant à produire l'Elal
a donc progressivement épuisé sa base économique.
(31) Lionel STOLERU,L' ambition il/tematiol/ale, Editions du Seuil. Paris 1987,342 p.
37
Le Programme d'Ajustement Structurel de l'Agriculture qui vise à assurer
au secteur agricole les conditions d'une croissance soutenue et à élever sa
contribution dans le rétablissement du déséquilibre interne (budget) et externe
(balance des paiements et endettement) est-elle un nouveau modèle de
développement du secteur agricole ou une recette technico-magique issue des
politiques de libéralisation préconisées par les bailleurs de fonds? Que peut
bien apporter l'ajustement par le « tout marché» ? Dans les économies
africaines fragiles et pluristructurées, peut-on concevoir des paysans sans Etat
ni Nation? Peut-on jeter sans défense les agriculteurs seuls face aux
mécanismes du marché mondial (ajustement des taux de change, compétition,
effet-prix de la demande étrangère, effet-prix de l'offre) alors même que leurs
homologues des pays développés d'Occident sont à la fois subventionnés et
protégés? On ne souligne jamais assez que l'agriculture est l'un des secteurs le
plus réglementé et le plus assuré des pays de l'OCDE qui n'appliquent
nullement le libre échange qu'ils prônent. La politique interventionniste des
Etats passe par le souLien des cours, la fixation adminisLrative des prix et une
gestion tout aussi administrative des stocks par des barrières douanières ou
non douanières. Ainsi, les subventions des pays de l'OCDE à l'agriculture
s'élevaient à 170 milliards de dollars en 1985, 270 milliards de dollars en 1986
et 300 milliards de dollars en 1990.
Les réponses à ces questions ne sont pas faciles à formuler et renvoient à
la recherche d'une compréhension plus globale qui forcément, intègre
plusieurs disciplines l'anthropologie, l'ethnologie, la sociologie, le droit,
l'économie et d'autre part d'un modèle alternatif du développement rural qui,
naturellement, intègre les stratégies paysannes à partir de leurs propres modes
d'organisation, des relations sociales, des systèmes de représentaLions, des
fonctions de l'Etat et de l'environnement international. Ce faisant, la question
agraire dans la stratégie du développement économique et social sera mieux
comprise pour appeler l'élaboration de réponses claires en termes de
politiques économiques fonctionnelles, d'organisations et de valorisation
rationnelle de l'espace rural, de mobilisation et d'implication de l'ensemble
des acteurs du monde rural. Confrontés au double échec des politiques postindépendances comme de celui du PAS, les pouvoirs publics ne peuvent plus
faire l'économie d'une politique agricole audacieuse et volontariste.
Il est maintenant très clairement établi qu'il sera impossible de transformer
l'agriculture sénégalaise sans un minimum de ruptures organisationnelles et
sans une vision sociale plus complète. Les expériences accumulées de
développement agricole réussi dans le Tiers-Monde, montrent que la
révolution agricole ainsi que le passage d'une agriculture extensive à une
agriculture intensive ne se sont pas faits avec de simples incitations de prix.
C'est dire qu'il faut définir alors une stratégie agricole globale et cohérente
38
qui ne saurait se réduire à quelques mesures ponctuelles fussent-elles
appropriées et techniquement justifiées.
Il faut se con vaincre que, toute politique qui se veut complète et cohérente
s'exprime en termes d'objectifs et de moyens à mettre en œuvre pour les
réaliser. Dès lors, toute révolution dans un secteur aussi vital, soulève deux
questions: quels changements faut-il opérer? Comment ces transfonnations
vont-elles être faites? C'est-à-dire quelles sont les forces ou acteurs qui vont
en assurer la réalisation? Il reste une fois encore bien compris que les
mutations à introduire ne peuvent être appréciées indépendamment de la
stratégie globale du développement économique et social du pays. De façon
également identique, le choix des moyens de réalisation est étroitement lié
aux possibilités réelles de la société. En conséquence, il reviendra à l'Etat la
tâche de formuler les orientations d'ensemble qui portent le projet et surtout
d'en assurer la réalisation par création d'un environnement institutionnel
incitatif et capable de libérer les initiatives paysannes.
Ce livré est une contribution bien modeste à la rénexion indispensable sur
les zones rurales et les politiques qui s'y appliquent. Il n'a nullement la
prétention d'apporter des réponses achevées sur toutes les questions et sur ce
qu'il faut faire dans le secteur rural. Il aura atteint son objectif s'il arrive à
faire vite rentrer dans le débat les acteurs de la politique agricole et le plus
grand nombre de chercheurs afin de faciliter l'émergence d'une véritable
préoccupation nationale pour mieux comprendre en vue de mieux agir.
C'est le lieu de remercier la Fondation Ford pour son appui et de dédier
ce travail à Richard A. Horovith qui a été l'initiateur de ce projet. Il vient
d 'être enlevé à notre affection au moment où cet ouvrage était sous presse.
Que Messieurs les Recteurs Souleymane NIANG, Madani SY, et Lamine
NDIAYE,le Doyen Moustapha SOURANG, Karamoko KANE, Assesseur,
les professeurs Abdoulaye DIAGNE, Directeur du CREA, le PrBEAULIEU,
Adama DIAW, Pr Amadou Lamine DIA, Directeur de l'ENSUT, Amadou
Ali DIENG, Mamadou DANSOKHO, Moctar DIOUF, Gaye DAFFE.
Souleymane NIANG, Thione DIOP, Souleymane GUEYE, Ababacar KEITA,
Ely FALL. Mouhamed Bachir WADE, A. Gilbert NOULA, Alain AKANI.
Ndoffène DIOUF, Bocar SALL, Salif SALL et El Hadji FAYE trouvent ici
l'expression de ma profonde gratitude. Les critiques et les observations
constructives de certains collègues ont, sans nul doute, permis d'améliorer la
qualité de cet ouvrage. Bien évidemment, les idées avancées ne les engagent
nullement, j'en assume l'entière responsabilité.
J'exprime toute ma gratitude aux Doyens Ibrahima FALL et Ibou DIAITE,
aux professeurs Bakary TRAORE, Abdel Kader BOYE, Jean Mariel
NZOUANKEU, Serigne DIOP, Madame Amsatou Sow SIDIBE, Yacouba
NDIAYE, Moussa SAMB, Paul NGOM, Amadou FAYE, Tafsir Malick
NDIAYE, Et Hadj MBODJ, Cheikh Sadibou DIALLO, Cheikh THIAM.
39
Demba SY, Diaw DIOUF et à tous les assistants qui contribuent
quotidiennement avec compétence dans la réalisation de notre travail de
fonnation.
Que le Président Abdou DIOUF, Secrétaire général de notre Parti, mes
amis du « Oub Nation et Développement» et mes camarades du « Groupe
d'Etudes et de Réflexion» trouvent ici l'expression de mon engagement
indéfectible pour les idéaux socialistes et démocratiques que nous partageons.
Je fonnule de pieuses pensées à la mémoire du Professeur Dominique
SARR, remarquable symbole de rigueur intellectuelle, de sociabilité et de
discrétion. Nos Facultés doivent enfin lui faire justice en immortalisant les
valeurs cardinales qu'il a toujours su incarner et les excellents rapports qu'il
savait si bien entretenir avec chacun d'entre nous.
A l'ensemble du personnel de la Faculté qui, malgré le caractère limité des
moyens s'évertue encore à servir avec dévouement, sérieux et compétence.
Que mes collègues et amis les Professeurs Paul DESNEUF, Atsain ACHI,
Gérard Destane DEBERNIS, Pierre JACQUEMOT, Aimé GOGUE, Mevor
AGBODAN, Philip ENGELHAR, Allechi MBET, SAKO, Sékou Mamadou
KOULIBALY, Fulbert GERO AMOUSSOUGA, Daniel CISSE, Taladidia
TCHIOMBIANO, Hervé KABORE, Kamandini OUALI, Germain
NDJEUNDE, GANGO George, Professeur NDONKO, Monsieur le Recteur
ONA-ONDO, Real LAVERGNE, Tandika MAKANDAWIRE, Pierre
BRASSEUL, Daniel GOUADAIN, Gilbert LECOINTRE, Michael LOPEZ,
Thaïeb HAFSI, trouvent ici l'expression de toute mon amitié et de mon
affection.
A tous les étudiants de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
qui, malgré leurs conditions sociales parfois dures, entreprennent et
réussissent des études difficiles. Je remercie particulièrement ceux d'entre eux
qui m'om secondé efficacement à travers les recherches réalisées au CREA.
J'adresse toute ma gratitude et ma reconnaissance à Monsieur Samba
KAH et Mme Karita DIA qui se sont dépensés sans compter pour relire le
manuscrit. Que Madame Aminata GUEYE et Mademoiselle Mireille
GONÇALVES ainsi que tout le personnel du « CREA Micro Edition
Dominique SARR » particulièrement A. DRAME reçoivent mes sincères
remerciements pour tous les efforts de saisie et d'impression de cet ouvrage.
40
Introduction générale
« La faim n'a honte de personne, ni peur de Dieu. Elle recule
seulement devant le travail organisé et conscient. »
" Paysan burkinabé ,. cité par B.L. Ouédraogo,
in EnJraide villageoise et déIIeloppemenl.
L'Harmauan, Paris. 1?90.
Prologue
Dans son Rapport sur ~ le développement économique en l'Afrique 19832008 », la Commission Economique des Nations unies pour l'Afrique note
que : ~ Le tableau qui se dégage de l'analyse des pe~ctives pour l'Afrique à
l'I~orizon de~Q<l8 est ._c:auch~_In_~r~~sq~e.~'explosiondémographique
po~l11ielle pourrait avoir des répercussiôni"épouvantables sur les ressources
physiques de la région, sur la terre comme sur les services sociaux essentiels
(santé, éducation, logement, hygiène, eau, ete.).
Au niveau national, les conditions sociales et économiques se traduiront
probablement par une dégradation de l'essence même de la dignité humaine.
La population rurale qui devra survivre au prix d'une charge de travail
intolérable fera de plus face à une désastreuse rareté des terres. La pauvreté
atteindra des dimensions jamais imaginées. »
\
Depuis la publication de ce rapport, malgré l'ajustement structurel et les
)pifférentes réformes économiques, la situation ne s'est guère inversée. En
effet, quel que soit l'indicateur considéré, l'Afrique accuse de très faibles
performances économiques et sociales depuis les années soixante-dix. Cela se
manifeste à travers :
) - - la détérioration généralisée des principaux indicateurs économiques et
sociaux : faible croissance des secteurs productifs, baisse de l'investissement,
41
accroissement du double déficit de la balance et des finances publiques,
massification de l'endettement ;
- la désintégration des structures de production et des principales
infrastructures de base ;
- la dégradation des indicateurs du bien-être social notamment
l'éducation, la santé, le logement, les revenus et la consommation par tête,
l'emploi rémunéré.
Au début des années quatre-vingt-dix. l'Afrique est la seule région du
monde où la production par habitant a baissé. Cette évolution négative n'a
épargné presque aucun pays, aucune région.
Il est aujourdh'ui unanimement admis quer~!!Ï~!_at~on du monde rural et
ce qu'il est convenu d'appeler ~ l'économie d'endettement ~ est la principale
cause de la pauvreté des populations et constituent ainsi Les problèmes
majeurs de notre époque( 1). Le Président du Burkina-Faso Blaise
COMPAORE a parfaitement bien perçu cette importance quand il écrit que
« l'Afrique ne sortira jamais du sous-développement si elle ne réalise pas au
préalable sa révolution agricole »(2).
L'existence et la perpétuation d'W1e sévère crise agro-alimentaire font du
Continent une zone d'instabilité et d'insécurité alimentaires endémiques. Il en
déroule que l'Afrique a maintenant rem placé l'Asie et l'Amérique Latine pour
ce qui est du recours à l'aide alimentaire internationale. Et si l'on n'y prend
garde l'Afrique, selon le mot de L. SANMARCO, risque d'être« transformée
en réserve indienne nourrie par les excédents occidentaux ». Ce serait alors la
mort de la paysannerie.
Cette évolution, à laquelle n'échappent que de très rares pays, procède en
réalité de la conjugaison de trois facteurs essentiels:
- des orientations agraires,inappropriées privilégiant les cultures de rente
pourvoyeuses de devises au détriment des cultures vivrières;
- une faible croissance de la production agricole (1,3 % par an depuis les
années 1960) insuffisante pour couvrir la demande d'une population explosive
(3 %) : ce qui débouche alors sur une détérioration de la production par tête:
-- une forte et incohérente croissance urbaine qui accentue l'extraversion
de la structure de consommation du fait du renforcement de la consommation
\\ de produits alimentaires que les agricultures locales ne produisent pas.
Ce dernier aspect est essentiel car les villes africaines comme le notent
M. GRIFFON et P. JACQUEMOT sont le lieu d'approfondissement de la
crise de l'agriculture et de l'amplification des déficits alimentaires par un
(1) Moustapha KASSE, L'Afrique endettée, &!ilions NEAS-CREA, juillet 1992, 133 p.
(2) Blaise COMPAORE, Programme de Large RassembJemen.l pour Je Développemen.l el
la Dénwcralie, Document ronéoté, Ouagadougou, 1991.
42
double phénomène de prélèvement net de ressources sur le monde rural et
d'amplification de la demande alimentaire vers des produits à fort contenu de
devises(3).
Ainsi, nulle part dans le continent, la révolution verte, même dans ses
formes parcellaires n'a eu lieu; ce qui apparaît principalement dans l'absence
d'amélioration de la productivité par hectare cultivé et par actif rural en vue
de satisfaire une demande alimentaire en évolution exponentielle engendrée
par l'explosion démographique et l'urbanisation.
De surcroît ces pays, victimes des théories économiques dominantes des
années cinquante qui confondaient croissance économique et développement,
avaient alors donné ra priorité à ~dustric au détriment de l'agriculture,
compte tenu probablement des délais de maturation du capital investi dans
l'un ou l'autre secteur.
Dans le cas sénégalais, pays sahélien, confronté depuis bientÔt une
vingtaine d'années à un cycle ininterrompu Q.~sécl1ç~~Y~relJ'économie
agricole a marqué de très faibles progrès et laisse même à présent apparaî'tre
des résultats médiocres de nature à affecter négativement et durablement les
grands équilibres des comptes nationaux. Depuis l'indépendance, l'agriculture
sénégalaise est marquée par la prédominance de ~ e_ ~ des
principaux produits agricoles vivriers et de rente. Les cultures pluviales
représentent 90 % de la production totale et presque 90 % des céréales non
exportées.
. Pour un total de 3,7 millions de surfaces cultivables, les emblavures
~ ""s~))ent dfP.lu.is plus d'une décennie à environ 2,7 millions d 'hectares se
rép~i~antcebrn@le suit: 47 % pour l'arachide, 44 % pour lé mil-sorgho, 3 %
~~. le riz, 2 % pour le coton, 2 % pour le maïs et 2 % pour le niébé et haricot
e / vîrohf % pour des cultures mineures comme les légumes et les fruits.
(.. .c,JI~~'
frriguées
sont très faibles et concernent 25 000 ha dont le quart
,
. ' J..
t.A
est utilisé pour hiproduction de la canne à sucre par la Compagnie Sucrière
Sénégalaise.
('~'~ L,! pression démographicwe avec un taux de croissance d'environ 3 % a
/
e1ltraîné une demande alimentaire de plus en plus forte qui n'a pu être
éOuverte par la production domestique. En effet, cette production a augmenté
très faiblement par extension des cultures au rythme de 0,6 % par an et non
par augmentation de la productivité et des rendements. Il en est résulté d'une
part une amplification du déficit alimentaire structurel et d'autre part une
réduction des surfaces mises en jachère pour régénération ainsi que
l'exploitation de terres à rendement marginal notamment dans le Nord et à
l'Est du Sénégal.
(3) Michel GRIFFON et P. JACQUEMOT, « Pénuries alimentaires et stratégiques
agricoles en Afrique subsahariennc '", Revue crilique de l'Economie Politique. mai 1983.
43
Dès lors, il sera difficile à l'agriculuue sénégalaise de s'attaquer au déficit
alimentaire de l'ordre de 600 000 tonnes (dont 65 % en riz) et de produire des
cultures destinées à l'exportation sans opérer une révolution agricole de très
grande envergure.
Cette situation a conduit à l'intervention des Institutions Financières
Internationales qui vont recommander dans l'agriculture, comme dans le reste
de l'économie, de profondes restructurations devant aboutir à la création de
conditions favorables à la croissance et à la contribution de l'agriculture au
rétablissement des équilibres macro-économiques. Un ensemble de mesures
seront prises ponant ponctuellement sur les incitations économiques pour
améliorer la production et la productivité, la privatisation des mécanismes de
financement de la production et de la distribution, le désengagement de l'Etat
ou à défaut une plus grande opérationnalité de son intervention.
Au moment de l'accession à l'indépendance en 1960. furent définies
les grandes orientations de la politique agricole nationale consistant
notamment à :
- organiser la production et la commercialisation des produits agricoles;
- accroitre et diversifier la production rurale ;
- équiper le monde rural en facteurs de production;
- exploiter les potentialités agro-naturelles du pays;
- assurer l'intégration des activités rurales entre elles et avec le reste de
l'économie nationale;
- promouvoir la recherche-développement.
Cet ensemble d'objectifs devait contribuer quantitativement et
qualitativement à l'augmentation de la production et des revenus, à
l'amélioration du niveau de vie des populations (rurales en particulier), à la
modernisation de l'activité économique rurale et à l'augmentation de la
productivité ainsi qu'à la formation et à la mobilisation d'un surplus agricole
susceptible d'être productivement investi dans les autres secteurs de
l'économie nationale.
A cette fm furent créés à l'origine trois organismes étatiques;
- la BNDS (Banque Nationale pour le Développement du Sénégal) issue
de la fusion de la BSD (Banque Sénégalaise de Développement) et du Crédit
Populaire Sénégalais institution chargée de la mobilisation des ressources
financières internes et externes en vue du financement du Programme
Agricole;
- l 'ONCAD (Office National de Coopération et d'Assistance au
Développement) pour réaliser les opérations de crédit et de commercialisation.
Le crédit consistait en la fourniture d'intrants (semences, engrais, fongicides,
pesticides...), et de matériels individuels de culture attelée aux paysans ainsi
que des équipements collectifs mécanisés aux coopératives. Quant à la
44
commercialisation, elle concernait principalement les produits de rente
(arachide et coton) et accessoirement les cultures vivrières qui étaient
principalement autoeonsommées ou déversées sur les marchés parallèles;
-la SODEVA (Société de Développement et de Vulgarisation Agricole)
pour l'encadrement des producteurs ruraux et la vulgarisation de techniques
culturales plus performantes ainsi que des semences améliorées.
Dès le Premier Plan de développement économique et social (1961-1965),
6,7 milliards de FCFA ont été effectivement investis dans le secteur rural
(primaire) sur des prévisions réajustées de 15,5 milliards, soit un taux de
réalisation de 43,2 %.
Pour le Deuxième Plan (1965-1969), aucun bilan officiel n'ayant jamais
été publié, il n'est pas possible d'évaluer le volume global des financements
injectés dans le monde rural. Tout au plus, on sait que sur des prévisions
réajustées de 104,65 milliards, les investissements effectivement réalisés dans
l'ensemble de l'économie nationale se sont chiffrés à 111,77 milliards, soit un
dépassement de 6,8 %.
Au cours du Troisième Plan (1973-1977), ce taux est tombé à 21 %
puisque les fonds totaux effectivement alloués au secteur rural ont été de 34,7
milliards sur une enveloppe globale de 165,6 milliards.
Pour le Cinquième Plan (1977-1981), celle tendance à la baisse relative
s'est accentuée. En effet, seulement 19,7 % des 315 milliards de FCFA
effectivement investis ont été affectés au secteur primaire, soit 62,2 milliards.
Quant au Sixième Plan (1981-1985), il a marqué un arrêt dans l'évolution ..
à la baisse puisque sur les 370,67 milliards réellement investis, 77,4 avaient
été consacrés au secteur rural, représentant un taux de 20,9 %.
C'est après le Sixième Plan, que s'ouvre l'ère des grandes restructurations
économiques et financières avec la mise en place du Programme d'Ajustement
à Moyen et Long terme (PAMLT) 1985-1992.
Entre 1985 et 1987, cette succession de plans quadriennaux à horiwn fixe
sera remplacée par un programme d'investissement biennal transitoire et
surtout préparatoire au nouveau système de planification basé sur une
programmation triennale glissante à horiwn mobile.
Dans celle nouvelle conception, le Plan, devenu simple cadrage macroéconomique dégageant les grandes options et orientations nationales, intègre
un PTIP (programme Triennal d'Investissements Publics) qui en devient
l'outil principal d'exécution.
Le premier PTIP (1987-1990), encore en cours d'évaluation, laisse déjà
apparaître, au niveau des résultats préliminaires, une nouvelle détérioration du
secteur rural du fait du faible taux d'ipvestissement réalisé.
Ce bref rappel permet d'observer qu'en un quart de siècle de promotion du
développement rural, les financements injectés dans le secteur primaire
4S
!212,~2
qç!:CFÀ~
apparaissent importants
milliards
(à l'exception du second
plan). Ces investissementS-ôTont cependant représenté en moyenne que 21 %
de l'ensemble des ressources effectivement consacrées à l'exécution des plans
alors même que ledit secteur était déclaré prioritaire, qu'il concernait
directement plus de 75 % de la population et qu'il demeurait le seul
susceptible d'impulser une croissance réelle et durable de l'ensemble de
l'économie nationale.
Au plan des résultats, les principales performances enregistrées dans le
secteur rural peuvent s'apprécier au travers des incidences au niveau des
quatre principaux sous-secteurs maintenant regroupés en filières: l'agriculture
(au sens strict), l'élevage, la pêche et la foresterie.
1) L'agriculture
Commençons par offrir un tableau macroscopique de l'économie
sénégalaise (1986) pour mieux situer la place du secteur primaire :
Produit National Brut..................
Produit National Brut par habitant
Dettes extérieures brutes
Service de la deue en 1978.......
Secteurs Agriculture
Secteurs Mines
Secteurs Industrie
Secteurs Services
Balance commerciale
Balance des paiements.
2.9 milliards de dollars (1986)
420 dollars ou 146000 francs CFA
2,43 milliards de dollars (1986)
102 milliards de francs FCFA
70 % de la population active, 26 % du PNB
30 % de la population active, 2 % du PNB
12 % de la population active, 27 % du PNB
15 % de la population active, 45 % du PNB
- 62 milliards de francs CFA (1986)
- 69 milliards de francs CFA.
'a"
f
Principales productions
Agriculture
Elevage
Pêche
Huileries
Industries extractives
Autres
. 158 milliards FCFA
.
93 milliards FCFA
. 29 milliards FCFA
..
28 milliards FCFA
..
21 milliards FCFA
.. 191 milliards FCFA.
Deux cultures vivrières (mil et sorgho) occupent maintenant 80 % des
surfaces cultivées et une culture de rente (l'arachide) fournit 75 % du revenu
monétaire du sous-secteur et contribue pour 50 % à sa valeur ajoutée.
L'arachide et le coton représentent 93 % des exportations du sous-secteur et
20 % des exportations totales du pays. Ces deux chiffres indiquent tout le
poids de ces deux cultures de rente dans l'agriculture sénégalaise qui reste
46
encore très peu diversifiée malgré les effons consentis pour promouvoir le
marafchage et d'autres cultures (riz, canne à sucre, tomate industrielle...).
La productivité du travail est faible (baisse de 0,7 % en moyenne), les
cultures sous aménagements hydro-agricoles sont marginales (environ 7 % de
la production céréalière) et le niveau des récoltes dépend largement de la
conjoncture climatique.
Entre 1960 et 1980 (période sans ajustement), la production céréalière a
augmenté annuellement en moyenne de 1,6 % pour une croissance des
surfaces cultivées de 0,6 % conduisant ainsi à un rendement de 1 %.
Pour ce qui concerne la/ilière arachidière, la production a plutÔt diminué,
annuellement en moyenne de 1 %, alors même que les surfaces s'accroissaient
de 0,5 %, d'où une chute de rendement moyen annuel de 1,5 %. Les
fluctuations de la production de l'arachide d 'huilerie sont liées à la
pluviométrie. Après avoir atteint un million de tonnes en 1975-1976, la
production a chuté à 590 ()()() tonnes en 1985-1986 pour accuser une timide
reprise se situant à 800 000 tonnes jusqu'en 1990-1991 avec des collectes
allant de 238 000 tonnes en 1984-1985 à 700 000 tonnes en 1987-1988 et
256 ()()() tonnes en 1990-1991 avec une capacité de trituration réelle installée,
de 920 000 tonnes. Cela laisse déjà transparaître un grand problème de
l'économie sénégalaise: les grandes distorsions entre le niveau de production
et de collecte d'une part, et les capacités de l'outil industriel d'autre pan.
La deuxième composante de la fùière concerne l'arachide de bouche avec
une production moyenne annuelle de 16000 tonnes entre 1985-1989. Les
accroissements remarquables de la production s'expliquent principalement par
la bonne pluviométrie et ses répercussions positives sur les rendements.
Cependant, les cours internationaux assez stables ont aussi contribué à la
relance de celte production.
La part de l'arachide dans les exportations sénégalaises donc dans la
balance commerciale et les finances publiques, l'impact dans l'emploi et sur
les revenus distribués aux producteurs, de même que l'imponance de la valeur
ajoutée des huileries continueront de faire de la filière arachidière pour
de longues années, le moteur de l'économie agricole et de l'économie
nationale.
~a jililrecotônnJlrè)st la deuxième en imponance pour les productions
de rente. Lès superficies sont passées de 38 000 ha en 1985-1986 à 43 000 ha
en 1990-1991. Avec une production moyenne qui est d'environ 40 000 tonnes.
Les rendements sont passés de 1 032 kg/ha en 1985-1986 à 1 344 kg/ha en
1990-1991. La filière a connu des résultats excédentaires (l0,5 milliards de
FCFA de 1983 à 1985) cependant,J.:effrondI.eJIlent J1es.cours_a rapidement
entnûné unesillJat!qn défiçitaiœJ!çJO...l9 mJIJi_~_rcl~_de FCFA. Malgré ce déficit,
la filière a des effets entrainants et des effets structurants sur le développement
des zones concernées.
47
Lafilière céréalière est la plus déterminante par l'ampleur des déficits
qu'on y observe. Le Sénégal consomme environ 1.2 million de tonnes de
céréales. La production nationale constituée de mil, de riz, de maïs et de
sorgho assure un taux d'autosuffisance compris entre 40 et 60 % selon les
conditions climatiques. En dépit de l'accroissement attendu de la production
nationale (Plan céréalier 1985-2000), la dépendance vis-à-vis de l'extérieur
va s'accentuer. Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) intervient
pour réguler le marché.
Mais pour l'ensemble du sous-secteur (toutes cultures confondues), la
croissance moyenne annuelle de la production a été de 0.8 % pour des
surfaces en augmentation de 0.6 % d~bouchant alors sur un rendement très
fu!.Qle de seulement 0,2 %.
.
Ces médiocres performances du sous-secteur s.ont expliquées par la
cQD.iugaison de trois variables: le~limat. les cours mondiaux et la bais~i de
productivitéAPour la principale variable qui est le climat. on peut observer
que chronologiquement, les quatre phases climatiques suivantes ont
directement intlué sur les performances agricoles:
-1960-1968: phase de pluviométrie normale, permettant une évolution
de la valeur ajoulée agricole (5 %) supérieure à celle de la PIBE (4,2 %);
-1969-1973: phase de sécheresse sévère, alliée à un faible niveau des
prix agricoles, provoque une chute de la valeur ajoutée agricole (- 6 gc
par an) ;
-1974-1977: phase de retour à des conditions climatiques normales
accompagnée par une importante revalorisation des produits agricoles; la
valeur ajoutée augmente de 30 % par an ;
-1978-1980: retour des conditions climatiques défavorables (sécheresse
exceptionnelle en 1977-1978, pluies parasites en janv ier 1979 ayant altéré le
capital semencier, pluviométrie mal répartie en 1979, tardive et insuffisante
en 1980). Les comptes du sous-secteur se dégradent alors de nouveau.
A partir de 1980, début de l'ajustement, le Programme Agricole est arrêté.
les principales structures étatiques d'intervention dans le monde rural sont
dissoutes ou vont devoir l'être.
Jusqu'en 1983, une période intérimaire fut observée pendant laquelle le
Gouvernement dirige l'économie agricole par des mesures ponctuelles sans
une vision cohérente d'ensemble.
Dès 1984 enfin, une nouvelle politique agricole (NPA) entre en
application. Elle est censée rationaliser l'agriculture par, d'une part
l'allégement et l'amélioration de l'intervention de l'Etat. et d'autre part la
responsabilisation des producteurs ruraux ce qui devrait leur transférer
certaines fonctions essentielles antérieurement exercées par les Sociétés
d ·Intervention.
48
Durant toute cene période de l'indépendance au début des années quatrevingt-dix, le Groupe de la Banque Mondiale a injecté 120 millions de dollars
dans le sous secteur agriculture soit environ 36 milliards de FCFA. Ces
investissements additionnels, sans commune mesure avec ceux de l'Etat
Sénégalais, se sont principalement dirigés vers l'irrigation considérée comme
le meilleur moyen de lever la contrainte climatique. Dans ce sens le
Programme d'investissement est consacré à 50 % à l'agriculture irriguée.
2) L'élevage
L'élevage a toujours joué un rôle important dans l'économie sénégalaise.
Pour les trois années 1986-1989, le PIB du sous-secteur est estimé à 7,5 % du
PIB national et de 35 % du PIB du secteur primaire. Par ailleurs, l'élevage
constitue une ressource essentielle pour 300 ()()() familles en milieu rural et
contribue à l'amélioration de la culture attelée et à la fumure organique. La
production de la viande n'a point suivie l'évolution de la population: 58 ()()()
tonnes en 1960 et 70 ()()() tonnes en 1987. Il en résulte une nette dégradation
du niveau de consommation avec un disponible de 16 kg par habitant en 1960
à 10 kg en 1987. La production laitière est estimée à 110 000 hectolitres.
Enfin, l'aviculture moderne a subi un développement important et la valeur de
la production en 1989 est d'environ 8 milliards de FCFA, soit 10 % du PIB de
l'élevage.
Au demeurant, le sous-secteur de l'élevage présente des caractéristiques
particulières; mais à l'instar de l'agriculture, il est également très sensible aux
aléas climatiques.
En effet, les sécheresses successives de la période 1969-1980 ont
dramatiquement affecté le cheptel dans son ensemble. Seule la volaille y a
relativement mieux résisté, compensant partiellement les pertes en bovins.
Globalement de 1960 à 1980, il Yeut une décroissance annuelle moyenne
de 1 % du cheptel et hormis le seuil maximum de 1971 où l'effectif de bovins
dépassait les 2,9 millions de têtes, le niveau moyen s'est établi aux alentours
de 2,4 millions de têtes.
La création de la SODESP (Société de Développement de la Zone SylvoPastorale) destinée à intégrer et développer les activités de foresterie et
d'élevage afin de suppléer l'agriculture de plus en plus essoufflée, n'a
finalement en rien affecté le sous-secteur. Du reste, sa restructuration en 1985
n'aura, en réalité, constitué qu'une simple mesure d'allégement des finances
de l'administration publique.
Au plan macro-économique, l'élevage contribuait pour 20 % en 1972.
20,5 % en 1975. 33,8 % en 1978 et 29.7 % en 1980 à la formation de la valeur
49
ajoutée du secteur primaire. Pour ces quatre années, la pan du sous-secteur
dans la PIBE a été respectivement de 5,8 %,7,1 %,9,4 % et 9,3 %.
Ces statistiques, apparemment favorables, masquent en réalité la
stagnation et le marasme dans ce sous-secteur d'activité économique par suite
de la mauvaise organisation de la production et de la commercialisation des
produits.
Les troupeaux demeurent encore extrêmement mal exploités et
imparfaitement intégrés dans le système vivrier national, ce qui apparaît dans
la faible moyenne nationale de consommation de viande et de lait.
L'intégration entre l'agriculture et l'élevage n'est pas encore parfaitement
assurée du fait du nomadisme ou semi-nomadisme pastoral. Pourtant, cette
étape devrait être impérativement franchie sinon les performances attendues
dans les deux sous-secteurs ne seront jamais atteintes. La sédentarisation de
l'élevage permet de résoudre le problème de la fertilisation des sols,
d'accroître les rendements du bétail et d'améliorer son rôle économique.
L'enveloppe globale des investissements de la Banque Mondiale dans ce
sous-secteur du primaire est restée modeste et concerne principalement le
PDESO (Projet de Développement de l'Elevage au Sénégal-Oriental) pour un
montant de 4,6 millions de dollars.
3) La pêche
La pêche constitue actuellement le premier secteur économique à
l'exportation avec environ 118 000 tonnes exportées. Devant la chute des
exportations traditionnelles (arachide et phosphate), on comprend
l'importance que revêt la pêche maritime ct les efforts consentis par l'Etat
pour encadrer et moderniser le sous-secteur. Le pays incontestablement
dispose d'importants atouts notamment :
- des ressources halieutiques importantes et un accès facile grâce à
700 km de côte touchant plusieurs régions;
- une main-d'œuvre qualifiée basée sur une très longue tradition de
pêche ct une grande expérience accumulée;
- un appareil de production performant tant au niveau des produits frais
que des produits achevés en forme de conserves;
- des infrastructures portuaires développées.
L'étude de ce sous-secteur est ramenée à celle de la pêche artisanale
puisqu'elle est la plus liée au monde rural bien que le Sénégal soit aussi
engagé dans la pêche industrielle avec les 8 sardiniers que compte la flotte, les
131 chalutiers sur les 186 et seulement un thonier sur les 60.
50
La pêche artisanale qui est la plus importante se caractérise par son
dynamisme que traduit, du reste, l'importance des mises à terre représentant
annuellement en moyenne 200 000 tonnes. Cette pêche artisanale qui
fournissait 89 000 tonnes en 1965, 133 000 en 1970 et 278 000 en 1975,
représente aujourd'hui plus de 60 % des captures totales du pays. Avec un
taux moyen de croissance annuelle de 13 %, elle demeure un poste-clé du
secteur primaire.
Les investissements qui y sont réalisés sont relativement peu importants et
se limitent pour l'essentiel à l'achat de pirogues à voile (2 000 en moyenne
par an) et de pirogues à moteur (3 000 en moyenne par an).
La valeur ajoutée du sous-secteur avoisine environ 15 milliards de FCFA
chaque année. Cela correspond à une contribution de 3,6 % à la PIBE.
Malgré le regain de dynamisme que les autorités gouvernementales lui ont
insufflé depuis 1980, les résultats des actions entreprises se font encore
attendre du fait d'un ensemble de difficultés relatives à l'approvisionnement
en facteurs de production (équipements et carburant) et aux circuits de
commercialisation (camions frigorifiques, chambres froides de stockage...).
Le sous-secteur occupe environ 150 000 personnes dans le secteur
artisanat; 15 000 dans le secteur non artisanal 50 000 ruraux en tirent un
revenu d'appoint. Les investissements de la Banque Mondiale dans le soussecteur de la pêche au Sénégal sont quasiment inexistants, le financement du
sous-secteur est assuré essentiellement par la coopération bilatérale avec le
CANADA au niveau de l'équipement et de la conservation.
4) Laforesterie
Le domaine forestier a représenté entre 1960 et 1980, en moyenne 2 % de
la PIBE et 7,5 % de la valeur ajoutée du secteur primaire.
Les forêts classées et les superficies protégées couvrent 3,9 millions
d 'hectares auxquels s'ajoutent quelques 7 millions d 'hectares couverts de
friches et de fonnation forestières non classées participant directement à la
satisfaction des besoins des populations (rurales en particulier) en bois de
chauffe.
Pendant une longue période la foresterie a été laissée pour compte dans le
choix des priorités du développement économique et social si bien que le
couvert végétal a été mis à rude épreuve par l'expansion anarchique des
cultures de rente, l'exploitation abusive pour la production de combustibles
ligneux et le surpâturage. L'apparition dans les années soixante-dix d'une
désertification intensive et d'une rupture de l'équilibre naturelle entraînent
une grave crise écologique qui impose partout dans les pays du Sahel des
Plans de Lulle contre la Désertification financés par les bailleurs de fonds
51
internationaux dont la Banque Mondiale et le PNUD (par le biais de son
agence spécialisée l'UNSO).
Cette désertification a pour principale source la déforestation qui, selon
l'étude RIBOT. se poursuit à un rythme de 160 000 ha par an (160 000 ha de
coupe et 5 000 ha replantés) dont 22 000 ha par an pour la production du
charbon.
Jusqu'en 1980, les ressources forestières étaient totalement méconnues. n
a fallu attendre l'élaboration (en fin 1980) du Plan Directeur de
Développement Forestier du Sénégal pour voir le premier inventaire des
surfaces de la végétation ligneuse naturelle. Celle-ci se compose :
• De formations feuiUues denses se répartissant:
- en 13 000 ha de forêt dont 2 000 se trouvent dans le parc National de
Basse Casamance ;
- en 45 000 ha de forêt galeries dont 17 000 se situent dans le parc de
Niokolo-Koba ;
- 162 000 ha de mangroves dont 19 000 ha se situent dans les Parcs
Nationaux du Sine Saloum et de Basse Casamance.
• De formadons arborées ou~'ertes ainsi réparties:
- 2 850000 ha de forêts claires ct de savanes boisées. dont 605 000 ha se
trouvent dans le parc de Niokolo-Koba (589 000 ha) et du Sine Saloum
(7 000) et 415 000 ha dans les forêts classées non encore ouvertes à
l'exploitation;
- 8 056 000 ha de savanes arborées et autres formations boisées
improductives dont 245 000 ha sont dans le Parc de Niokolo-Koba.
• De formations buissonnantes esdmées à 2 680 000 dont 2 630 000 ha de
steppes et savanes arbusdves :
En ce qui concerne la répartition du patrimoine forestier, elle apparaît très
inégale puisque les régions de Ziguinchor. Kolda, Tambacounda (environ
20 % de la population sénégalaise) recouvrent plus de la moitié des superficies
des fonnations forestières naturelles et concentrent 90 % du volume de bois de
chauffe qui fournit 64,5 % de l'énergie totale consommée Oe reste provenant
de l'énergie électrique (11,5 %) et des combustibles dérivés du pétrole pour
24,0 %).
Les investissements réalisés dans le sous-secteur ont été assez faibles et le
restent encore dans une large mesure car depuis le VIe Plan (1981-1985)
jusqu'à maintenant le sous-secteur forestier absorbe à peine 2,4 % des
investissements dont 78,2 % proviennent de financements extérieurs. Cc
52
volume d'investissement est sans rapport avec les besoins du sous-secteur. Au
rythme actuel d'exploitation. si des investissements massifs ne sont pas
entrepris, la forêt sénégalaise disparaftra dans vingt ans.
Le revenu d'exploitation du domaine forestier représente en moyenne
10 milliards de FCFA annuellement dont 60 % environ proviennent de la seule
vente du bois de chauffe et 20 % de celle du charbon de bois. Le bois d'œuvre
et le bois de service interviennent pour 10 % environ, les 10 % restants
revenant à la cueillette.
Le marché du charbon se concentre essentiellement dans les zones
urbaines qui consomment 90 % du charbon de bois.
Ce sous-secteur qui occupe aujourd'hui près de 80 coopératives, 9 sociétés
et 17 000 exploitants et ouvriers, pose l'épineux problème de la gestion
rationnelle de l'écosystème naturel forestier dont l'équilibre demeure
fondamental, d'abord pour les populations rurales, et ensuite pour le territoire
dans son ensemble. En effet, la demande d'énergie sous la pression
démographique entraîne un déboisement de plus en plus intensif d'environ
160 000 ha. Or, il n'est reboisé annuellement qu'approximativement 5000 ha,
soit un taux de couverture de 3,10 %, ce qui est insignifiant pour la
reproduction simple du patrimoine forestier.
Les interventions fmancières du Groupe de la Banque Mondiale dans ce
sous-secteur se montent à 3 millions de dollars et concernent principalement
des opérations de reboisement et de lutte contre la sécheresse.
Ce prologue permet de situer tous les enjeux du développement rural au
Sénégal. Manifestement, le secteur rural est la composante essentielle de
l'activité économique, il est aussi la source principale d'emplois avec
~ millions de personnes, soit les 2/3 de la population. Selon les projections, le
Sénégal devrait compter en l'an 2000, 10,2 millions d 'habitants dont
6 millions dans les zones rurales. On ferait alors courir de gros risques au
pays, si rien n'est entrepris pour moderniser l'agriculture.
Au demeurant, de l'évaluation qui précède nous retiendrons qu'au
lendemain de l'indépendance, l'agriculture (composante essentielle du secteur
primaire) a été érigée au rang de sous-secteur prioritaire devant servir de pôle
moteur de croissance et de base du développement économique et social
global.
Trois objectifs centraux y ont alors été fixés et ont été pris en charge avec
plus ou moins de succès par les différents plans. à savoir:
- l'augmentation de la production par accroissement des rendements et
intensification des cultures;
- la diversification des cultures en vue de résorber graduellement le
déficit vivrier, accéder à l'autosuffisance alimentaire et libérer l'économie
nationale du « diktat» de la monoculture arachidière ;
53
- la maitrise de l'eau en vue de conforter les objectifs précédents par la
neutralisation des effets dévastateurs des sécheresses cycliques.
Pour ce faire, d'importants moyens fmanciers, matériels et humains ont été
mobilisés. Cependant, les principaux résultats enregistrés ne furent pas à la
hauteur des efforts consentis. Dans certains sous-secteurs, ils furent
franchement décevants, voire même catastrophiques. En effet, le bilan d'un
quart de siècle de promotion du développement rural au Sénégal pennet
d'observer:
- une faiblesse des superficies cultivées, des rendements et des
productions ;
- une forte dépendance de la production vis-à-vis des aléas climatiques
faisant de l'agriculture et de l'élevage des sous-secteurs à risque élevé;
- un encadrement étatique massif, inadéquat et paralysant dépossédant
les producteurs ruraux de toute initiative créatrice et contribuant à ponctionner
une importante partie des maigres surplus agricoles à des fins non
productives;
- une occupation irrationnelle des espaces ruraux caractérisés par une
forte congestion dans le bassin arachidier et une inutilisation d'importantes
superficies emblavables ;
- une forte prédominance de l'arachide dont la culture absorbe la quasi
totalité des investissements affectés au sous-secteur agricole;
- un déficit vivrier chronique qui s'amplifie du fait de l'accélération de
l'urbanisation;
- une quasi-absence d'intégration entre l'agriculture et les autres soussecteurs ruraux d'une part, et entre l'agriculture et le reste de l'économie
nationale d'autre part;
- des méthodes et techniques culturales encore rudimentaires pour la
plupart, archaïques et peu performantes.
Ces faibles performances ont été soulignées sans complaisance par les
autorités responsables du développement rural lorsqu'elles observent que
« malgré les efforts déployés, notre économie agricole marque peu de progrès.
Elle demeure très fragile parce que dominée par bon nombre de facteurs
limitants qui appellent pour leur remède des choix de politique économique
ainsi qu'une nouvelle distribution des rôles au sein même du processus de
développement »(NPA, mars 1984)(4).
Dans ce contexte d'insuccès généralisé de l'économie rurale au Sénégal, et
au regard d'une part de l'ensemble des projete; et programmes directement ou
(4) SEMINAIRE DU CREA sur la NPA, Dakar 7, 8,9 mai 1986. Voir mon exposé
introductif el mon documenl ronéolé, Planificalion et financemenJ du Secteur rural au Sénégal,
CREA, 1987, 117 p.
54
indirectement financés par la Banque Mondiale et d'autre part des effets
indirects sur le monde rural engendrés par l'intervention du FMI, nous
tenterons, à travers les développements qui vont suivre, de faire le point des
répercussions (positives ou négatives) à la fois macro et micro-économiques
que les interventions de ces deux institutions financières ont générées dans le
secteur rural national.
Pour ce faire, l'ordre de présentation des présentes réflexions va s'agencer
ainsi qu'il suit.
Dans une première partie, il sera procédé à une analyse assez détaillée de
la stratégie d'intervention directe ou indirecte des deux institutions financières
(FMI, Groupe de la Banque Mondiale) dans l'économie rurale sénégalaise.
A cet effet, le diagnostic complet de la crise économique en général et
rurale en particulier, permettra de cerner les causes de la montée et de la
persistance des déséquilibres internes et externes. Nous pourrons ainsi mieux
élucider les distorsions structurelles caractéristiques de l'agriculture
sénégalaise qui annihilent son efficacité.
A partir de ce diagnostic, l'évaluation des modalités d'intervention directe
ou indirecte du FMI et du groupe de la Banque Mondiale sur les structures
agraires autorisera une appréciation correcte de la stratégie de ces institutions
financières en la matière.
Sur la base de ce travail préliminaire. nous avons dans une deuxième
partie, à travers une évaluation quantitative des performances enregistrées
ainsi que des écarts observés mis en exergue la ponée et les limites des
stratégies d'intervention des deux institutions.
A partir des leçons tirées de l'évaluation de politiques agraires souvent mal
conçues ou mal exécutées, nous avons tenté de dégager, dans une troisième
panie, une autre stratégie de réfonne du monde rural qui divorce d'avec les
solutions de coun tenne, et qui s'appuyant sur les structures sociales et les
systèmes de production va impliquer tous les acteurs de l'économie agricole à
savoir les coopératives, le secteur informel, les groupements locaux, les
femmes et surtout l'Etat. Seulement, l'Etat ici procède de l'intérieur et stimule
l'initiative locale au lieu de l'anesthésier par excès d'assistance.
55
PREMIERE PARTIE
Crise agraire et stratégie d'intervention
de la Banque Mondiale
et du Fonds Monétaire International
L'Etat dès l'indépendance met l'agriculture au cœur de l'équation du
développement économique et social. La stratégie élaborée et appliquée fait
théoriquement du secteur agricole le principal foyer d'accumulation
productive.
Trois objectifs majeurs étaient fixés et ont été pris en charge par les
différents plans, avec il faut le dire plus ou moins de bonheur:
-l'augmentation de la production par accroissement des rendements et
par intensification des cultures;
-la diversification des cultures afin de résorber graduellement le déficit
vivrier pour accéder à l'autosuffisance alimentaire et meure fin à la
monoculture arachidière ;
- la maîtrise de l'eau pour accroître les surfaces irriguées et rendre
l'agriculture moins tributaire de l'instabil ilé climatique.
Malgré les moyens matériels. humains et financiers mobilisés. les résultats
obtenus sont maigres et cela quel que soit l'angle d'analyse du développement
rural. Manifestement. par-delà les statistiques, on est bien en présence d'une
crise qui dépasse l'agriculture pour concerner directement le modèle de
fonctionnement et d'accumulation de l'économie sénégalaise c'est-à-dire le
système d'organisation socio-économique.
Un document préparatoire aux travaux du VI' Plan de Développement
avait identifié le modèle de base de l'économie sénégalaise par quatre traits
caractéristiques:
- une forte sensibilité de la croissance aux variations de la production et
de l'exportation des produits agricoles; il s'agit là d'un élémen t marquant de
tous les modèles agro-exportateurs du Tiers-Monde;
- une utilisation insuffisamment productive des ressources tirées de la
valorisation de la rente et des apports extérieurs;
- une répartition inégale du revenu national au profit surtout de la
consommation urbaine;
- une vulnérabilité croissante de l'économie à l'égard des variables
exogènes (climat, cours mondiaux, taux d' intérêt...) résultant pour partie des
trois caractéristiques précédentes.
58
li apparaJ't alors que depuis l'indépendance, le mode d'organisation sodoéconomique dépendait de la génération et de l'absorption de la rente agricole
provenant essentiellement de l'économie arachidière. Or, depuis les années
quatre-vingt, ce modèle d'organisation accuse un dysfonctionnement profond
d'abord du fait que le niveau de la rente s'est amenuisé pour des raisons liées
à l'installation d'une sécheresse cyclique, à la détérioration des cours et à la
dégradation des systèmes agraires et ensuite parce que le système de
prélèvement (par le biais des prix, de la fiscalité et des charges des sociétés
d'encadrement). Cette baisse de niveau de la rente agricole n'a été compensée
que très partiellement par les surplus provenant d'autres produits de rente
(coton), des minerais de phosphate, de l'exportation des poissons frais et des
conserves de poisson.
Progressivement, la rente va servir principalement au financement de la
consommation urtaine, ce qui ressort dans les disparités observées dans la
répartition des investissements préférentiellement aux zones urtaines. C'est
dire que l'allocation de la rente ne s'est pas opérée favorablement aux
activités productives ct notamment agricoles.
Dans cette direction, pendant la période des IV·, V· et VI· Plans (1973·
1985), les zones rurales (soit les 2/3 de la population) ont reçu 21 % des
investissements et les zones urtaines (1/3 de la population) 59 %. Pis encore,
pour le VI· Plan, la Région de Dakar a reçu par t~te d'habitant 9 fois plus
d'investissement que la région de Diourbel, 4 fois plus que les régions de
Kaolack et Fatick, 2,8 fois plus que celle de Louga
La persistance ct l'approfondissement de la crise du développement rural
vont nécessiter à partir du VII· Plan, la définition avec les bailleurs de fonds
notamment (Banque Mondiale et FMI) d'une Nouvelle Politique Agricole.
Celle-ci en panant, d'une meilleure appréciation du fonctionnement du
système rural adopte une autre démarche qui consiste à définir les
programmes, les actions, les opérations et projets de développement en tenant
compte de l'équilibre macro et micro-économique. Par ailleurs, la Nouvelle
Politique Agricole va reposer sur deux postulats liés : le désengagement de
l'Etat et la responsabilisation paysanne. En m~me temps, elle met en place de
nouvelles structures et définit de nouvelles règles du jeu dans le secteur
agricole, tout cela en vue de penneure aux agriculteurs d' accroftre leur
productivité et de maftriser leur environnement. Il est question alors de mettre
en place .les conditions d'une nouvelle accumulation autonome pour un
développement durable.
Le nouveau modèle d'organisation de l'économie rurale proposé par la
Banque Mondiale soulève une série d'interrogations dont les réponses peuvent
amener quelque peu à douter de son efficacité:
J
- Quel est le degré de pertinence des instruments de la nouvelle politique
f' économique?
59
- Comment transformer la croissance de la demande en vecteur du
développement de la production et des échanges?
- Les décisions macro-économiques ont-elles des liens avec les
dynamismes micro-économiques ?
- Comment les paysans déconnectés de l'économie de marché réagirontils aux diverses incitations économiques?
- Quelles sont les nouvelles conceptions de l'espace face à la dislocation
des terroirs villageois sous le double effet de la crise économique et de la
désertification?
- Quelles seront les stratégies paysannes? Sont-elles en phase avec celles
des bailleurs de fonds?
- La paysannerie pauvre et l'espace rural désintégrés peuvent-ils se
passer de l'Etat?
Répondre à ces questions renvoie à une analyse poussée des processus
socio-économiques et des manifestations caractéristiques de la crise de
l'économie rurale. Les débats théoriques deviennent complètement inopérants
s'ils ne s'appuient sur un arsenal de faits. C'est fort de cela que cene partie de
notre réflexion s'articule en deux éléments :
-l'évaluation de la crise de l'économie agricole sénégalaise ;
- et l'appréciation des propositions de la Banque Mondiale pour relancer
le développement rural.
L'intéret de cette analyse réside essentiellement dans le constat
d'inefficacité des politiques économiques recommandées par la « Banque
Mondialiste» et/ou le « Fonds Monétaire» et initiées dans les économies du
Tiers-Monde en général, et celles de l'Afrique en particulier, mais aussi dans
l'impérieuse nécessité (objet essentiel de la présente étude) de procéder à
l'évaluation sectorielle des impacts des interventions, de la Banque Mondiale
et du FMI dans le secteur rural sénégalais.
Ces réflexions sont menées en deux chapitres. Le chapitre l, intitulé
« Diagnostic de la crise suite à l'involution de l'économie agricole
sénégalaise » regroupe dans une première section la conclusion logique tirée
par la BM à savoir, qu'il est nécessaire d'effectuer un virage dans l'agriculture
sénégalaise, au vu de son importance relative dans les stratégies à mettre en
œuvre pour un redressement de l'économie nationale. La section 2 fait une
appréciation des distorsions structurelles identifiées dans ce secteur. Le
chapitre II, quant à lui, constitue une monographie des modalités
d'intervention directes ou indirectes des deux institutions dans les politiques
agraires sénégalaises appliquées pendant les deux demières décennies.
60
CHAPITRE 1
La crise de l'économie agricole sénégalaise
Au regard du bilan de ces vingt dernières années de développement, il est
difficile d'affirmer que les performances globales de l'économie sénégalaise
ont été satisfaisantes.
Cette situation de crise externe (économie d'endettement) et interne
(résultats médiocres des politiques sectorielles de développement) qui persiste
encore, a fait l'objet d'un diagnostic approfondi par les pouvoirs publics et les
institutions internationales. li s'agissait de remédier au mal-développement,
par la mise en place de nouvelles politiques destinées à réaliser et à
promouvoir un changement radical d'échelle de l'économie sénégalaise pour
la rendre beaucoup plus performante.
Dans cette direction, il faut alors procéder à une investigation macrosectorielle de la crise de l'agriculture c'est-à-dire identifier les facteurs et les
mécanismes qui sont à l'origine des profonds déséquilibres de l'économie et à
l'involution du secteur. Cette situation procède-t-elle de stratégies mal
conçues ou mal appliquées, ou de l'instabilité de l'envirormement économique
international.
Cette analyse fera l'objet des deux sections ci-dessous.
1) L'impact sur les agrégats nationaux
li est unanimement admis, par tous les analystes, que la Politique Agricole
n'a guère réalisé les objectifs qu'elle s'était assignée au lendemain des années
soixante(1).
(1) Voir sur ce point le diagnostic réalisé par l'USAID dans l'étude déjà citée sur le
« Secteur agricole Sénégalais
lO.
61
On peut, tout au plus, à côté de quelques projets perfonnants (entretenus
par des financements extérieurs), observer que le secteur rural a connu des
déséquilibres graves qui sont dans une largè mesure responsable de la montée
des distorsions internes et externes de l'économie nationale.
a) Contribution du secteur primaire à la PIBE nationale
La saisie des données économiques de base issues de la comptabilité
sénégalaise, montre notamment que la Production Intérieure Brute (PIBE),
dans sa globalité, a connu l'évolution suivante :
- De 1959 à 1974 (période couverte par les trois premiers plans), la PIBE
croit à un rythme moyen annuel de 5,8 % en prix courants, soit 2,5 % en prix
constants (1971) comme l'indique le tableau suivant:
Contribution du primairo l la croissance de la pmE
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'l
J-
PIlI al»STü'U (I971)
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3,S
2,3
1,2
1,S
- De 1974 à 1984, le taux de croissance enregistré est de l'ordre de
10,33 % en prix courants, soit l'équivalent de 3,1 % en prix constants.
Au cours de ces vingt-cinq années. la croissance de la PIBE bien que lente,
a été régulière. Cette évolution relativise, cependant, celles beaucoup plus
contrastées du primaire et du secondaire.
Le secteur primaire a ainsi affecté de façon brutale, la production
intérieure brute, en raison des chutes considérables de production (sécheresses
de 1961,1971-1973 et 1977-1978).
Le secteur secondaire marqué par la prépondérance des industries de
transformations des produits agricoles (huileries et autres agro-industries) a
aussi contribué à modifier la structure de la PIBE. Dès lors que l'économie
sénégalaise reste essentiellement tributaire de l'agriculture en paniculier et du
secteur primaire en général; ses difficultés actuelles ne peuvent être
recherchées que dans les perfornances ou non de la politique agricole.
62
b) Affectation des équilibres internes
Le secteur agricole qui affecte profondément l'économie nationale est
caractérisé par une profonde désarticulation tant au niveau de ses composantes
internes qu'au niveau de ses relations avec les autres branches de l'économie
nationale.
Plusieurs raisons justifient pareille situation à savoir:
Premièrement: Les systèmes de production agricole n'évoluent que très
lentement et l'agriculture sénégalaise continue d'être marquée à la fois par
une forte dépendance vis-à-vis des conditions climatiques, la domination du
système arachide-mil, une relative concentration dans le bassin arachidier et
un déficit vivrier important
Manifestement, depuis l'indépendance la production agricole a connu une
quasi-stagnation: 1,6 % en moyenne. Cette croissance de la production
agricole est de loin inférieure à celle de la démographie (3,2 %) ; Cela
entraîne une détérioration de la production par tête compensée par le recours
aux importations alimentaires. Ainsi, en année nonnale le Sénégal importe
près de 600 000 tonnes de céréales dont près de 65 % en riz. Par ailleurs, le
taux moyen de couverture de la consommation nationale en produits
céréaliers, de 54 % entre 1974-1977, va en diminuant de façon régulière :
63 % en 1975, 54 % en 1976,45 % en 1977 et 39 % en 1978(2), En toute
conséquence la production nationale n'a pas suivi la demande globale
notamment urbaine qui s'est surtout tournée vers les produits importés,
provoquant ainsi à elle seule, 70 % du déficit céréalier.
Mais, le fait le plus préoccupant est qu'il demeure encore des disparités
tragiques du point de vue nutritionnel. Les catégories les plus vulnérables
(femmes enceintes ou allaitantes, vieillards, handicapés, enfants) ont souvent
des apports calorifiques bien inférieurs aux nonnes standards.
En dépit même de l'accroissement attendu de la production nationale(3), la
dépendance du pays vis-à-vis de l'extérieur ne pourra que s'accentuer
(maintien des habitudes alimentaires, absence de promotion volontariste des
produits locaux...) tandis que se trouveraient privilégiées davantage encore,
les populations urbaines tournées vers la consommation des produits
d'importation.
Deuxièmement : Si les connaissances techniques et agronomiques ont
pennis de déterminer globalement l'intérêt de telle ou telle culture dans telle
(2) Année exceptionnellement mauvaise du fait de la sécheresse illustrant ainsi la parfaite
corrélation entre niveau de production agricole et pluviométrie.
(3) Les premières projections, au cours du IV' Plan avaient été faites par le Gouvernement
à l'horizon 1981-1985 en vue d'apprécier les besoins futurs de la demande alimentaire. Cellesci ont été par la suite réactualisées dans le " Plan céréalier,. (1985-2000).
63
ou telle région, et de faciliter ainsi une planifica~on de la carte variétale, il
reste que dans le domaine des prix agricoles, une corrélation judicieuse entre
les choix de production, les prix de revient au producteur et au niveau
industriel ainsi que les choix stratégiques du décideur final, n'est pas
appréhendée correctement.
Cette politique qui doit impérativement traduire un équilibre entre cultures
vivrières et cultures de rente semble être jusqu'ici trop approximative. fi en
résulte une accentuation de la dépendance alimentaire du pays, un
accroissement de l'auto-consommation paysanne, la pérennité des conflits
d'intérêt entre les producteurs, les négociants et les industriels d'une part ;
entre les distributeurs et les consommateurs d'autre part.
Narutellement, les situations de pénurie que l'on observe parfois
relativisent, la portée du rôle des prix en raison des pratiques spéculatives
aussi bien du côté des producteurs que des commerçants acheteurs ou de ceux
qui exercent leurs activités dans les circuits de distribution.
On peut aussi, comme A. BARRERE dans Théorie économique et
impulsion keynésienne( 4), rappeler que l'analyse keynésienne a fait du volume
du revenu, le critère d'efficience de l'économie nationale.
L'étude du revenu agricole pourrait donc, a priori, nous donner une
1---mesure d'activité du secteur et une certaine échelle du pouvoir d'achat du
paysan sénégalais.
Il faut, cependant, prendre en compte les insuffisances d'une telle
évaluation, insuffisances dues notamment à l'importance de l' autoconsommation paysanne et au degré d'exactitude que l'on peut accorder aux
données de la comptabilité nationale.
fi ressort tout de même que d'après les Comptes Economiques du Sénégal
en 1959 de M. le HEZARA(5), le revenu moyen annuel par tête des paysans et
pêcheurs ne dépassait pas 20 000 F, alors que le revenu annuel par habitant
était de 35 000 F.
La principale caractéristique de ces revenus, c'est évidemment leur
faiblesse puisque même le revenu annuel per capita de la catégorie supérieure
est à peine plus élevé que le dixième du revenu annuel moyen des salariés de
la zone urbaine (estimé à 300 000 F) toujours en 1959.
Depuis cette époque, les revenus monétaires des agriculteurs se sont dans
l'ensemble profondément détériorés entramant une baisse du pouvoir d'achat.
Ces revenus proviennent pour plus de 80 % de l'arachide dont les prix d'achat
du kilogramme ont évolué comme suit en francs constants de 1972 (déflatés
par l'indice des prix à la consommation en milieu africain) :
(4) A. BARRERE, Théorie économique et impulsion keynésienne. Paris, Dalloz, 1959.
(5) M. Le HEZARA, « Développement Economique de la République du Sénégal ,..
Comptes Economiques du Sénégal, Direction de la Statistique, 1959.
64
1960
1965
1972
1977
1983
.
.
.
.
.
29 F
25 F
23,7F
21,6 F
18 F
La même détérioration est observée pour les autres produits agricoles
notamment le coton et le riz paddy.
Dans le même temps, le revenu rural moyen, à son tour, s'est déprécié et a
évolué comme suit en :
1960
. 22000F
1965
. 15400 F
1972
.. 12 oooF
1977
.. .10900 F
1983
. 8800F
Ces statistiques révèlent en conséquence un processus continu
d'appauvrissement du monde rural et expliquent en grande partie son
incapacité à résister à la famine. aux autres calamités et à se passer de
l'assistance alimentaire internationale.
Cette difficulté, voire cette incapacité à s'auto-développer, a engendré
entre autres :
- une explosion démograplùque en milieu urbain due à l'exode rural
massif qui opère le vieillissement des campagnes et
- une mentalité d'assistance entretenue dans les zones rurales par les
SOR et certaines ONGs.
TI est manifeste aussi que la principale source d'emploi pour le Sénégal se
trouve dans l'agriculture, l'élevage et la pêche: 4 millions de personnes, soit
les deux tiers de la population. Selon les projections effectuées par la Banque
Mondiale(6), le Sénégal devrait compter 10,2 millions d 'habitants en l'an
2000 dont 6 millions dans les zones rurales. Ce qui, si rien n'est entrepris pour
moderniser l'agriculture, comporte le risque de perpétuer:
-la déstabilisation de l'écologie (interaction homme-nature) qui favorise
et renforce l'avancée du désert ;
-la faible productivité de l'agriculture ;
-l'appauvrissement accéléré des masses rurales;
- et l'aggravation de la crise agro-alimentaire.
(6) Banque Mondiale, Mémorandum économiqlU!. novembre 1984, p. 101. Voir également
Séminaire CREA sur le mémorandwn en avril 1984 notamment les exposés introductifs des
professeurs Moustapha KASSE, Abdoulaye DIAGNE, François BOYE et Mamadou
DANSOKHO.
65
On peut donc dire globalement que l'agriculture au sein des sous-secteurs
du primaire a contribué de façon détenninante à la détérioration des agrégats
de l'économie nationale.
Pour les autres sous-secteurs, on peut rappeler que:
- l'élevage, en raison des sécheresses successives et des difficultés
propres à cette activité, a généré des plus-values (structures de traitement des
produits de l'élevage peu diversifiées), et a enregistré ces dernières années des
résultats de moins en moins positifs;
-les activités forestières constituent un marché très actif pour l'économie
rurale.
Cet avantage doit de ce fait être sauvegardé en poursuivant et en
renforçant les actions entreprises (campagnes de reboisement. ..) en vue
d'assurer un équilibre entre une exploitation économique optimale et la
stabilité naturelle.
c) Affectation des équilibres externes
Le déficit vivrier qui s'est installé, en s'accentuant, a fait du Sénégal, une
wne d'insécurité mais aussi un pays fortement dépendant de l'extérieur pour
se nourrir. La couverture de la consommation intérieure (déjà analysée dans le
paragraphe précédent) et le rythme soutenu d'augmentation des im portations
alimentaires confirment cette observation appuyée sur le tableau suivant:
Agriculture et équilibre extérieur
1913
1914
1915
1916
1911
1911
1919
~rcia1
36,7
25,0
25,9
38,1
35,1
68,6
84,1
b) Bxportation.
arachide + Coton
16 ,1
35,1
41,6
67,1
79,2
26,9
47,5
13
22
11
17
19
17
21
b/& en Il
44
143
161
176
226
39
56
CI. en Il
35
Il
42
45
54
25
25
a) D6ticit
0) I~rtaUon.
c6r6ale.
.
Ainsi, sur la période analysée, les importations de céréales (c) représentent
près de 90 % (1974) et 25 % en 1979 du déficit commercial enregistré; ce qui
tend à montrer le poids relativement important de la facture céréalière dans la
tenue des comptes extérieurs de la nation.
66
Un examen rapide de la balance commerciale agricole par produits, nous
pennet de mieux cerner ce phénomène.
.
• AMlyse des lmpOrtatioIU agrlcoks
Il resson des divers plans de développement que jusqu'en 1980, les
céréales représentaient en moyenne 43 % des importations du secteur agroalimentaire (18 milliards FCFA sur 42) et étaient responsables de plus du tiers
du déficit commercial.
Le tableau suivant nous donne une idée assez précise de ces imponations
par catégorie de produits.
PROWIT8
QUAHTITBI
(en tonne.)
ULsn
(aUliard8 cie franc:.)
Riz
242.000
12,3
Il'
100.000
S,l
YaI.
lS.OOO
0,6
lUI
10.000
0,4
TOTAL CBREALB8
'roclui t. ~archer.
Conc:entr6 tOMoto
lucro
Dhor. (tb6, caf.,
boi••9ft. proeSuit.
laiUer.).
Total
( lçort/Acroali_nt)
367.000
11,4
1.S
~~.OOO
(daat 43 . .
cie
t.~.
~
4D
Oi.....)
6.000
40.000
15.0
47S.000
42,0
Source : Estimations et projections de la direction de la prévision et de la statistique
(MEFP) et la BCEA/AGENCE.
Des évaluations plus récentes des imponations de produits alimentaires
(débuts des années quatre-vingt-dix) ressortent du tableau de la page 68.
L'imponance du commerce extérieur dans l'économie sénégalaise s'est
accentuée ces dernières années. Le déséquilibre de la balance commerciale qui
dépend en grande panie des importations et des exportations agricoles nous
pennet de poser la problématique suivante: Quel est le degré d'intégration du
Sénégal vis-à-vis de l'extérieur du point de vue des produits de son
agriculture ? Pour ce faire, il est nécessaire de compléter l'analyse des
imponations du secteur agraire par celle des exponations.
67
B.U.Uona
Pr6vi.ion.
Projec-
tion
19a9
1990
1991
1992
1993
100,9
90,2
94,9
91,3
9S,O
ValeU'
Vol_
Prix
3a,l
430,a
sa,4
21,1
336,S
62,6
2S,4
394,S
64,4
21,1
33a,O
62,3
21,S
360,0
S9,6
Val eU'
Vol_
Prix
Autr•• prexiuit.
ali_tair••
Joi ••on. et tabac.
Autr•• biena de
ClOIUI_t ion
l i _ d'6qui.,...,.t
lien. intora6diairo.
12,S
161,S
77,4
10,1
139,9
72,2
a,o
Ul,O
S3,O
7,a
Ul,2
Sl,7
a ,1
ua,a
Sl,l
SO,3
S,S
S9,O
a,o
61,S
7,3
62,4
7,1
6S,4
a,2
64,9
U,l
96,2
60,0
S3,O
113,6
61,0
sS,a
124,S
63,9
S6,4
129,a
6S,O
S9,O
13S,4
Prg4pit. aliwpptalrRl
lis
Il'
SOURCE
Estimations et projections de la direction de
la prévision et de la statistique (MEFP) et
la B,C.E.A.OIAGENCE.
• Analyse des exportatwns agricoles
En 1974, la structure des exportations du secteur primaire est
schématiquement la suivante:
Produits arachidiers
. 75,0%
. 15,0%
Produits de la pêche
5,0%
Coton
.
1,5 %
Produits animaux
'"
'"
1,2 %
Légumes
..
2,3%
Divers
..
Par rapport à l'évolution des exportations, on peut observer, outre la
diversification de celles-ci, que les seules exponations des produits arachidiers
couvrent toutes les imponations du secteur. Pendant le V· Plan, on a assisté à
une détérioration des échanges extérieurs du secteur primaire ; cependant.
l'équilibre a pu être sauvegardé par la part prépondérante prise par les produits
de la pêche : les exponations se sont alors élevées à 51 milliards contre
42 milliards de FCFA d'imponations pour le secteur.
De 1981 à 1984 l'alHlyse du tableau ci-dessus montre que les
exportations cu secteur primaire avaient plus que doublé (41 à 113 milliards)
dont en moyenne 53 % provenaient des produits agricoles (arachides + coton).
68
Celui-ci indique enfin que les produits arachidiers ont fourni pendant
certaines années plus de la moitié des exportations du secteur avec une chute
brutale durant l'année 1981.
Depuis 1989, les exportations ont évolué comme l'indique le tableau 2 en
annexe.
Dans l'ensemble, le sous-secteur de la pêche a connu des résultats
spectaculaires ces dernières années tant au niveau technique (modernisation
et amélioration de l'armement), qu'au niveau économique (performance des
productions),
Le Sénégal qui jouit sur ce plan de conditions géographiques très
favorables (700 km de côtes riches en produits halieutiques) et restera
largement autosuffisant selon les projections effectuées par la SONED
(Société Nationale des Etudes de développement) comme J'atteste le tableau
suivant :
Evolution de la pêche
SOCRCE:
SO'\ED Afrique, 1985,
Le sous-secteur de l'élevage bien que dépendant directement des incidences
climatiques n 'intlue pas plus que l'agriculture sur le déficit chronique de la
balance commerciale.
Dans le domaine de l'élevage, les statistiques restent encore assez fiables
en matière de production, de commercialisation, de consommation et de
balance avec l'extérieur. Les données concernant l'évolution du cheptel
montre une très grande stabilité après les chutes des années 1973 et 1983 suite
aux dures sécheresses catastrophiques.
Evolution du Cheptel, 1988-1992
(En milliers de têtes)
69
L'instauration indispensable d'une politiqu~ cohérente et intégrée de
l'élevage pour en faire une variable de croissance et de développement passe
d'une part par la rupture avec l'élevage traditionnel qui a atteint ses limites
extrêmes d'inefficience et d'autre part par la solution des facteurs limitants
que sont les aliments, les pâturages compatibles avec les ressources en
fourrage, la liaison étroite avec l'agriculture, la mattrise de l'abattage et la
rationalisation des circuits de commercialisation. Sur un autre plan, une
attention paniculière doit être apponée aux imponations de viande qui à
tenne, peuvent annihiler tous les efforts de modemisation du sous-secteur.
En effet l'élevage est concurrencé par des viandes et des sous-produits
européens congelés (flanchets de bœufs désossés, croupions, ailerons de
volailles) vendus à très bas prix par suite de fortes subventions. En 1990, la
CEE a réalisé 95 % des imponations ouest-africaines. Les prix CFA des
principaux produits ont baissé de 50 % en huit ans. Ce dynamisme à
l'exportation repose sur d'imponantes subventions. Afin de faciliter
l'écoulement des surplus encombrants, les entreprises vendeuses perçoivent
du FEOGA (Fonds Européen de Garantie) des restitutions (primes à
l'exploitation). Celles-ci leur assurent des bénéfices, non négligeables. En
1991, le prix au producteur européen s'établissait à environ 20 FF le kg, alors
que le flanchet était cédé à l'exponation à un prix de 12 FF(7). Bien
évidemment la dévaluation doit complètement changer cet ordre de chose et
devrait rendre l'élevage des pays enclavés (Burkina Faso, Niger et Mali) plus
compétitif sur les marchés des pays côtiers plus riches (Côte-d'Ivoire,
Sénégal).
L'analyse nous a permis de mettre en évidence les facteurs de contre
performance de l'économie sénégalaise. Suite à l'émergence des déséquilibres
du secteur rural, il apparait que: l'agriculture, malgré ses faiblesses, reste tout
de même le moteur de l'économie nationale. Elle a été la principale cause de
ruptures observées au niveau de la macro-économie interne et externe du
Sénégal en même temps qu'elle a été principalement une activité de
déstructuration de l'économie rurale.
Au total, la meilleure compréhension de la tendance régressive du secteur
agraire nécessite de compléter l'évaluation quantitative, par une analyse plus
qualitative et structurelle des problèmes qui ont été abordés.
2) Les distorsions structurelles de l'économie rurale sénégalaise
Au lendemain de l'indépendance, la voie africaine du socialisme avait été
préconisée comme philosophie qui sous-tend le développement économique et
(7) « La lettre de SOLAGRAL », Menswel des solidarilés agricoles el alimentaires, nO l,
octobre 1991.
70
social. Cette option doctrinale devait se traduire principalement par la
socialisation de l'agriculture et l'extension de la coopération considérée
comme la forme d'organisation la plus appropriée au regard des objectifs
socio-économiques poursuivis et des finalités du développement. La
réalisation de la Société nouvelle impliquait l'exercice par l'Etat de fonctions
économiques et administratives exorbitantes(8).
En effet, il revenait à l'Etat de définir les priorités, de désigner les moyens
et les structures d'interventions et de fixer les délais de réalisation des
principaux objectifs. Egalement, l'Etat devait assurer la formation technique
et professionnelle des agriculteurs ainsi que l'instauration d'un ensemble
d'instruments juridiques pour la promotion et la défense des intérêts de la
population rurale.
Trente années de politique agricole ont montré non seulement un écart
grandissant entre les résultats obtenus et les objectifs postulés, mais surtout
qu'il existe une crise profonde de l'économie rurale qui se manifeste dans la
faillite de l'intervention de l'Etat, le grave déficit agro-alimentaire, la
détérioration du pouvoir d'achat des producteurs et la stagnation de la
production des différentes cultures de rente.
Cependant, pour bien comprendre la forte dégradation actuelle de
l'économie rurale et qui a conduit à la mise en place d'une nouvelle politique
agricole, il importe de bien la situer dans le contexte historique de
bouleversements du système agraire pendant la période coloniale. Ces
bouleversements avaient, en effet, conduit à des politiques agricoles postindépendance fondées sur une intervention généralisée de l'Etat, une
assistance et une protection des acteurs au point de les déposséder de toute
initiative créatrice.
L'étude de l'économie politique de l'agriculture coloniale permet
d'observer que les rapports de production capitaliste n'ont pas réussi à prendre
racine dans le secteur rural sénégalais et que le capitalisme n'avait pas investi
le procès de travail en y introduisant sa dynamique « productiviste ». Le
secteur agricole indigène a été simplement intégré à la sphère de la circulation
et n'a connu ni amélioration des rendements, ni accroissement de la
productivité. Il a été ainsi maintenu dans un archaïsme quasi absolu.
Par ailleurs, l'approvisionnement des industries de la métropole en
matières premières agricoles ainsi que la recherche de débouchés extérieurs
ont eu pour résultat, dans le cadre de l'économie de traite, l'abandon
progressif des cultures vivrières au profit des cultures de rente. Cela a eu pour
corollaire une chute de la production vivrière accessoirement suppléée par des
importations alimentaires. Ainsi s'est amorcée la double extraversion de la
(8) Moustapha KASSE, Les problèmes du secteur rural: perspectives et limites de la NPA,
Séminaire du CREA, 7, 8, 9 mai 1986,37 p.
71
structure productive par satisfaction de la demande extérieure et de la
structure de consommation par importation de biens alimentaires.
A la veille de l'indépendance, le pouvoir colonial laissait un héritage lourd
dans le secteur agricole : une monoproduction arachidière avec des fonnes de
production et d'exploitation arriérées donnant des rendements extrêmel!1ent
faibles, une paysannerie appauvrie par divers usuriers qui contrôlent tous les
principaux circuits de distribution et de commercialisation de la production
agricole, une agriculture vivrière exsangue, un système coopératif entrainant
des distorsions à la fois économiques et sociales. Cette situation sera aggravée
par de nouveaux facteurs comme l'accroissement démographique,
l'urbanisation accélérée et le mimétisme d'un modèle de consommation
importé.
Toutes ces distorsions ont amené l'Etat à s'installer ainsi au cœur du
monde rural en mettant en place un vaste réseau de sociétés d'intervention qui
devaient se charger d'exécuter le programme agricole (PA)Les objectifs de ce
programme agricole consistaient notamment en :
-l'intensification et la diversification de la production rurale;
- l'optimisation des dimensions des exploitations ainsi que la mise au
point de méthodes culturales modernes;
- l'expérimentation de la mise en valeur de terres neuves afin de
permettre la cOIUlaissance de tous les éléments nécessaires à leur extension;
-l'organisation etl 'amélioration des circuits de commercialisation;
-l'intégration adéquate de l'agriculture et de l'élevage;
- la réorganisation, le renforcement et l'harmonisation des structures
d'encadrement.
Le bilan que l'on a pu établir de cet ambitieux programme sectoriel sous la
tutelle de l'Etat est qu'il est très modeste avec notamment:
- la fragilité du système coopératif géré par des organismes
d'encadrement caractérisés par une carence très marquée ~
- l'inefficacité des institutions de fmancement agraire ~
- et les errements dus à certaines mesures de politique économique de
l'Etat.
a) La fragilité du mouvement coopératif et les carences des organismes
d'encadrement
• ÙJfragliili du mouvement coopératif
Le système coopératif a été créé en 1960 par l'Etat dans l'idée d'exercer
un contrôle plus complet sur la production et la commercialisation des
arachides.
72
« La société coopérative est un moyen par lequel les faibles cherchent à se
défendre en se groupant. Aussi l'adhésion à la coopérative doit être libre et la
gestion de l'organisme démocratique; il doit y avoir répartition équitable des
fruits, mais aussi des risques de l'entreprise »(9).
La coopérative à laquelle nous avions affaire au Sénégal diffère
fondamentalement de ce modèle.
L'édification d'un système coopératif autonome (dont le village était la
cellule de base) n'a pas été à l'origine d'un mouvement spontané des
paysans ; il a été organisé, structuré et surtout contrôlé par l'Etat dans le
simple but de se substituer aux sociétés commerciales coloniales présentes à
tous les niveaux des circuits d'approvisionnement et de distribution.
L'Etat entendait, par ce biais, promouvoir la structuration communautaire
du monde rural, cela conformément aux rapports sociaux prévalent dans les
campagnes.
C'est à panir de ce schéma initial que les coopératives n'ont cessé
d'accroitre leur nombre (l 870 coopératives en 1979 dont 1 072 dans le bassin
arachidier) jusqu'à la réforme du 30 juillet 1964 intervenu dans le mouvement
coopératif. Cette réforme partait du constat que l'action coopérative, bien que
satisfaisante, était insuffisante. Celle-ci n'était en fait qu'apparente puisque le
dépérissement des CRAD (Centres Régionaux d'Assistance au
Développement) n'avait entrarné qu'une plus grande emprise de l'Etat sur le
monde rural avec la mise en place d'unions régio~ales des coopératives.
La structure coopérative, dans sa conception et dans son fonctionnement
s'apparentait beaucoup plus à un rouage, voire à une cible de l'Etat qu'à une
organisation de solidarité et de responsabilisation des producteurs librement
associés.
Ces principes fondamentaux bien que connus des coopérateurs grâce à
l'animation et l'éducation rurales, n'avaient même pas fonctionné. Cela
apparait dans la distribution anarchique ou arbitraire des intrants qui étaient
souvent bradés au marché noir, dans certains signes extérieurs de richesse et
dans la dégradation des valeurs morales et la politisation excessive.
Cette intervention massive de l'Etat dans le monde rural a eu aussi deux
conséquences inéluctables d'une part l'explosion de l'exode rural entrai'nant le
vieillissement des campagnes et la poussée démesurée de l'urbanisation et
d'autre part l'incrustation d'une mentalité d'assisté au niveau de toutes les
couches du monde rural.
C'est dire ainsi que les coopératives portaient en elles-mêmes, les raisons
de leur propre destruction qui deviendra impérative avec les carences
observées au niveau des structures d'encadrement du monde rural(IO).
(9) Déftnition donnée par le BIT et voir aussi Crédit Agricole FAO, 1969, p. 30.
(10) La chute brutale de la production consécutive à la sécheresse de 1977-1978 a accentué
la fraglli lé de l'action coopérative.
73
• Les carences des organismes d'encadrement
Le début d'exécution du Programme Agricole lancé par l'Etat en 1960,
a été confié à deux organismes: l'DCA (Office de Commercialisation
Agricole) et les CRAD (Centres régionaux d'Assistance au
Développement)( Il).
Le rôle principal qui incombait à l'OCA, était de passer des commandes
de matériels agricoles (dont le principal fOl,lmisseur était la SISCOMA
Société Industrielle Sénégalaise de Constructions Mécaniques etde Matériels
Agricoles) et de livrer les intrants aux coopératives par l'intermédiaire des
CRAD qui devaient assumer une fonction d'assistance à leur égard.
Le financement de l'opération était confié à la BSD (Banque Sénégalaise
de Développement).
En règle générale, rOCA et les CRAD devaient:
- intervenir dans les circuits de commercialisation des produits agricoles
et de rapprovisionnement des producteurs;
- assurer la fonction d'assistance aux coopératives et ;
- servir d'instrument d'application du plan en milieu rural
En 1966, en même temps que prend fin la première réforme du mouvement
coopératif, s'opère parallèlement une nouvelle stratégie d'encadrement des
structures agraires avec la création de l'ONCAD et de la SODEVA( 12).
C'est ainsi qu'en 1967-1968. la responsabilité de l'assistance et du
développement des coopératives passe dans les attributions de l'ONCAD. La
SODEV A devait être la maîtresse d'œuvre de l'encadrement, de l'éducation
et de la vulgarisation agricoles. En réalité, le rôle de l'ONCAD ne consistait
pas seulement à commercialiser l'arachide, mais à distribuer des facteurs de
production et à recouvrer les crédits. Outre ces principales fonctions, l'Office
devait gérer les stocks de semences d'arachide, tenir la comptabilité des
coopératives et promouvoir le mouvement coopératif.
Les activités de la SODEVA qui ne génèrent pas de ressources propres et
ne bénéficient pas non plus de financements extérieurs, se limitaient surtout
à des tâches de routine. Cette dernière, noyautée par une bureaucratie
paralysante, avait un impact peu évident.
L 'ONCAD restait donc la principale structure d'encadrement du monde
rural et c'est lui qui a, de fait contribué le plus à l'effondrement de l'édifice
coopératif. En effet, au début de l'année 1974, la Commission de Vérification
des Comptes et de Contrôle des Etablissements Publics (CVCCEP) rend
public un rapport d'inspection des comptes de l'ONCAD et critique les
(Il) Créé en 1960,l'OCA a été la première tentative d'intervention de la puissance
publique dans le monde rural.
(12) SODEVA: Société de Développement et de Vulgarisation Agricole.
74
i
procédures financières de. la gestion de cet Office. Le laxisme dont a fait
preuve l'ONCAD surtout àÙ'niveau de la tenue des comptes des coopératives
a été définitivement reconnu grâce à l'analyse qu'en a faite la SODEVA dans
la région Uu S)ne Saloum( 13l
Cette éru'de révélait notamment les différences importantes, entre les
comptes tenus par les peseurs pour les coopératives, ceux de l'ONCAD et le
niveau des dettes reconnues par les exploitants et par l'office. C'est dans ces
conditions que les remboursements des coopératives se sont ralentis, passant
de 78,6 % en 1969-1970 à 59,4 % en 1978-1979.
C'est au vu de cette situation que le Gouvernement, ayant pris conscience
de la stagnation des coopératives et des doléances sans cesses croissantes des
paysans, a épongé les dettes de 1978.
Les compagnes 1979-1980 et surtout 1980-1981 qui ont été deux années
de sécheresse et de faible production ont accentué le refus de remboursement
des coopératives (le taux d'impayés avait aUeint 50 % de la valeur ajoutée de
l'agriculture).
Mais à l'évidence, la sécheresse a été davantage un accélérateur plutôt que
la cause profonde de la chute de l'ONCAD, de la fermeture de la SISCOMA
et de l'affaiblissement de la BNDS. La raison véritable a surtout été la
mauvaise conception de base des coopératives et l'ingérence omniprésente
des monopoles d'Etat dans le monde rural et notamment dans le secteur
agricole.
En ce qui concerne le sous-secteur de l'élevage, le gouvernement, pour
lever certains obstacles d'ordre réglementaire (professions touchant le
commerce de bétail, l'utilisation des pâturages, l'installation d'infrastructures
agricoles) a lors du conseil interministériel du 10 février 1980 pris deux
mesures:
-la création de la Société Nationale de développement de l'Elevage dans
la zone Sylvo-Pastorale (SODESP) avec pour mission l'encadrement
rapproché des éleveurs et des agro-pasteurs ;
- la promotion de l'em bouche paysanne et industrielle grâce à
l'ouverture d'un département vétérinaire au sein de la SODEVA.
Ces mesures devaient être facilitées notamment par :
- une réduction de la TCA de 13,5 % à 4,7 % (mesure qui a été
effectivement réalisée) ;
- une interdiction d'exportation de sous-produits agro-industriels (non
encore appliquée de façon rigoureuse) ;
(13) Le Gouvernement a annulé une part de la dette échue en 1977-1978 soit 1 296,8
millions FCFA et a reporté 1 625,9 millions à rembourser sur trois ans par la Caisse dt'.
Péréquation et de Stabilisation des Prix (CPSP).
75
-l'accès au crédit bancaire (encore à l'état de. balbutiement) ;
- et la fonnation petmanente de docteurs-vétérinaires issus de l'EISMV
(Ecole Inter-Etats des Sciences et Médecine Vétérinaires) afin de préserver
l'acquis sanitaire au niveau du cheptel malgré le développement de oouvelles
maladies et la réapparition de la peste bovine. L'Ecole fonctionne bien qu'elle
soit actuellement assaillie par de multiples difficultés financières.
Récapitulativement, on peut noter que les pouvoirs publics ont créé les
sociétés de développement rural (SOR) 'en vue d'encadrer les paysans et de
diffuser les technologies susceptibles d'améliorer la productivité du travail et
les rendements.
.
Progressivement, leur nombre a rapidement augmenté passant de 4 en
1962 à 10 en 1982. Egalement, leurs prérogatives, se sont notablement
élargies.
En conclusion, cette intervention de l'Etat malgré l'ampleur des moyens
financiers mobilisés, n'a point réussi ni à augmenter la production (celle-ci a
d'ailleurs baissé dans certains cas), ni à améliorer les revenus des paysans (qui
plutÔt ce sont détériorés). Oe plus, toutes les SOR ont été rendues déficitaires
par des gestions financières désastreuses et gabégiques et par des
malversations diverses. Elles ont appliqué un recrutement extrêmement laxiste
qui a abouti à des effectifs pléthoriques. Ainsi l'ONCAO qui avait démarré
avec 400 employés se retrouve au milieu du parcours avec 2 900.
Aujourd'hui, au vu de la situation précédemment décrite, il est pennis
d'apprécier la faillite des SOR à un triple niveau:
- O'abord au plan financier, toutes les SOR accusent un déficit de plus en
plus lourd qui passe de 5 milliards en 1978 à 9 milliards en 1980 et à
12 milliards en 1982. Elles deviennent de véritables gouffres financiers
grevant sévèrement le budget de l'Etat. La dissolution de l'ONCAO a laissé
un passif de plus de 94 milliards et la SONAR qui a pris le relais affichera elle
aussi un déficit d'environ 8 milliards.
Cette dette interne de l'Etat issue des déficits des SOR pèsera certainement
pendant longtemps sur les finances publiques et sur le niveau de
l'investissement étranger.
- Ensuite au plan technico-agronomique, les SOR n'ont pas réussi à
améliorer les rendements et la production ni à assurer une diffusion adéquate
de technologies fiables et rentables dans leurs zones d'implantation et
d'action. La meilleure preuve est le déficit des filières arachide et riz par suite
de faibles perfotmances techniques. Les ressources financières investies l'ont
été à fonds perdus dans la mesure ou elles n'ont pas réussi à élever la
productivité et les rendements ;
- Enfin au plan de l'encadrement, les SOR n'ont pas servi à défendre les
intérêts des petits producteurs. Les actions les plus importantes qu'elles ont
76
réalisés ont s~rtout été orientées vers une certaine élite paysanne (chef de
village pr~sident de coopérative... ) ou simplement vers d'autres sociétés.
Ces distorsions relevées au sein des structures d'encadrement ont été
accompagnées malheureusement d'une inéfficience manifeste des institutions
de financement agraire mises en place également par l'Etat.
b) L'inéfficience des institutions de financement agraire
Les distorsions de ragriculture s'expliquent aussi par l'inéfficience des
institutions de financement agraire qui peut être mise en évidence par:
- l'action non volontariste de laBNDS ;
- et certaines erreurs graves dans la diffusion du crédit agricole.
• L'action non volontariste de la BNDS
La BNDS (Banque Nationale de développement du Sénégal) à l'instardes
autres banques de développement en Afrique,« est née de la volonté de l'Etat
de se libérer de la tutelle des banques d'affaires étrangères en vue d'élaborer
des politiques de crédits volontaristes »(14).
La préoccupation de la BNDS était alors double:
- d'une part permettre à l'Etat d'orienter ses créd its et ses partici pations
en fonction des objectifs prioritaires de développement;
- et d'autre part faciliter aussi l'affectation des crédits à des activités
économiques présentant un intérêt national indéniable, mais qui avaient été
délaissées par les banques traditionnelles en raison de leurs risques (secteur
social, activités agricoles ... ) ou de leur durée (prêts à moyen ou long terme).
C'est ainsi que la BNDS a vu le jour à partir de la fusion du Crédit
Populaire Sénégalais (CPS) et de la BSD (dont les fonds propres étaient
insuffisants pour le financement du programme agricole) par la loi nO 64-33
du 26 mai 1964.
Jusqu'à une période récente, l'action de la BNDS était surtout tournée
vers le domaine agricole, ce qui lui a valu d'ailleurs l'appellation de« Banque
de l'arachide »( 15).
C'est ainsi qu'au cours de l'exercice du 1er octobre 1972 au 30 septembre
1973, les crédits octroyés se sont chiffrés à 14787 millions contre 22 731
millions au cours de l'exercice précédent(16).
(14) Joël BOURDIN. Monllaie et Politique MOllétaire dans les pays Africains de fa Zolle
Frallc,
Collection CIFPB. NEA.
(l5) La BNDS intervient pour 33 % dans les opérations de crédits bancaires au Sénégal.
Elle détient notamment le plus grand portefeuille de participations dans les sociétés avec ou
à côté de ['Etat.
(16) «
p,32.
77
L'Africanisation du seclCurbancaire »,Revue Europe-Durre filer, n° 537,1974,
Sur ce total, le secteur agricole était financé .pour 11 216 millions (soit
76 %), montant accordé presque entièrement à l'ONCAD. Seuleme~t, il faut
déplorer le fait que dans l'application de la politique du crédit, li majeure
partie de la compétence de la BNDS était dévolue à la SODEVA ou à
l'ONCAD.
En paniculier, la BNDS n'intervenait pas de manière directe dans l'octroi
des prêts, ni dans leur surveillance, ni même dans l'assistance à fournir aux
coopératives pour leur comptabilité et encore moins dans les opérations de
recouvremenL Pourtant, il apparaît à l'évidence que quelles que soient les
vertus des mécanismes proposés, leur efficacité dépendra surtout de la
manière dont ils seront appliqués. C'est le banquier qui, en règle générale,
demeure le mieux placé pour contrôler la distribution du crédit agricole et
adapter sa gestion à l'évolution de la siwation du secteur.
Sur ce point, la BNDS n'a pas été à la hauteur de la mission qui lui avait
été assignée. En effet, la BNDS, malgré la polyvalence qui la caractérisait
(toutes les opérations de développement), avait porté ses effons surtout en
direction du monde rural. C'est ainsi qu'au cours des années 1969-1970 et
1975-1976, la banque avait reçu des lignes de crédit de l'Etat octroyées par
l'IDA d'un montant total de 9,4 millions de dollars (2,7 milliards de francs
CFA environ). A son tour, elle a prêté ces fonds à des coopératives à un taux
supérieur de deux points à celui du taux d'escompte de la Banque centrale.
Les résultats enregistrés ont été médiocres ; ils sont tout simplement le
reflet d'un endettement de plus en plus critique des coopératives ou même de
la défaillance de celles-ci. Par ailleurs, les mauvaises performances de la
BNDS ont aussi été dues au non respect des conditions préalables nécessaires
d'un crédit rural bien adapté.
• Les errements dilns la distribution du crédit agricole
Le défunt système de crédit agricole était caractérisé par certaines
insuffisances parmi lesquelles on pouvait noter:
-l'inexistence de tout apport personnel;
-la non décentralisation dans sa distribution;
- et l'absence d'un crédit contrôlé.
L'inexistence de tout apport personnel a constitué l'un des traits
particuliers du crédit agricole distribué au Sénégal. Pourtant, les usages
bancaires recommandent la perception, sur tous les biens fmanciers à moyen
ou long terme, d'un apport personnel qui doit représenter en moyenne une
échéance du prêt consenti. fi est vrai que cette exigence peut faire l'objet de
plus de difficultés d'application dans le crédit rural que dans le crédit
commercial, mais il est aussi douteux d'affirmer que le paysan bien encadré
78
ne puisse épargner au moins le cinquième du prix d'un matériel agricole
encore faudrait-il l'inciter à le faire.
.
Outre les avantages classiques (solvabilité de l'emprunteur, garantie de la
banque en cas de non remboursement...), l'apport personnel peut rendre le
crédit moins attrayant et par conséquent incitera le paysan à se tourner vers
l'opération d'achat au comptant; ce qui pennet de limiter la pratique courante
consistant à brader sur le marché parallèle, des facteurs de production obtenus
à crédit auprès des coopératives.
Par ailleurs, l'une des faiblesses majeures du crédit agricole de la BNDS
semble résider dans la non décentralisation de ses opérations. Celle-ci, a
surtout orienté ses opérations de crédit rural vers le bassin arachidier( 17). Cela
a, sans nul doute, contribué à accentuer les déséquilibres régionaux actuels.
Le crédit agricole a surtout été un crédit de masse c'est-à-dire qu'il n'a
tenu compte ni des besoins réels, ni des conditions spécifiques des
emprunteurs. Ceci a, du reste, accéléré la détérioration de la situation
financière de la banque car dans une telle stratégie, la répartition des risques
liés au crédit ne peut être assurée.
Le système de crédit agricole ignorait, enfin, de façon complète, la notion
de crédit contrôlé ou surveillé c'est-à-dire une combinaison véritable entre le
crédit lui-même et la vulgarisation(18).
Il faut remarquer que cette combinaison ne vise pas uniquement des
rendements d'échelle croissants au niveau de la production, mais aussi à
soutenir un programme d'éducation qui, en plus de l'enseignement des
meilleures méthodes de culture, cherche également à modifier les habitudes
des cultivateurs et de leurs familles afin d'améliorer leur condition
économique et sociale.
Au Sénégal, l'organisme chargé de la vulgarisation, en l'occurrence la
SODEVA, faute de moyens financiers suffisants, n'a pu mener sa mission
dans ce sens.
En conclusion, le crédit agricole distribué au Sénégal a été à la fois un
crédit de masse et un crédit statique puisqu'il n'a entrafné ni un accroissement
de la production globale, ni de celui de la productivité rurale.
En marge de ces erreurs, on ne peut pas passer sous silence les errements
dus aux mesures de politique économique sectorielle initiées directement par
l'Etat.
(17) Le Bassin arachidier est la zone écologique comprenant les régions suivantes:
Kaolack, Fatick, Thiès et Diourbel.
(18) Ce système de crédit est surtout appliqué en Inde et en Amérique latine sur une grande
échelle. Des programmes analogues ont été mis en place dans certains pays d'Afrique
Orientale, par exemple, en Ouganda avec la différence qu'ils ne sont effectués que sur un petit
nombre d'agriculteurs.
79
ne puisse épargner au moins le cinquième du prix d'un matériel agricole
encore faudrait-il l'inciter à le faire.
.
Outre les avantages classiques (solvabilité de l'emprunteur, garantie de la
banque en cas de non remboursement...), l'apport personnel peut rendre le
crédit moins attrayant et par conséquent incitera le paysan à se tourner vers
l'opération d'achat au comptant; ce qui pennet de limiter la pratique courante
consistant à brader sur le marché parallèle, des facteurs de production obtenus
à crédit auprès des coopératives.
Par ailleurs, l'une des faiblesses majeures du crédit agricole de la BNDS
semble résider dans la non décentralisation de ses opérations. Celle-ci, a
surtout orienté ses opérations de crédit rural vers le bassin arachidier( 17). Cela
a, sans nul doute, contribué à accentuer les déséquilibres régionaux actuels.
Le crédit agricole a surtout été un crédit de masse c'est-à-dire qu'il n'a
tenu compte ni des besoins réels, ni des conditions spécifiques des
emprunteurs. Ceci a, du reste, accéléré la détérioration de la situation
financière de la banque car dans une telle stratégie, la répartition des risques
liés au crédit ne peut être assurée.
Le système de crédit agricole ignorait, enfin, de façon complète, la notion
de crédit contrôlé ou surveillé c'est-à-dire une combinaison véritable entre le
crédit lui-même et la vulgarisation(18).
Il faut remarquer que cette combinaison ne vise pas uniquement des
rendements d'échelle croissants au niveau de la production, mais aussi à
soutenir un programme d'éducation qui, en plus de l'enseignement des
meilleures méthodes de culture, cherche également à modifier les habitudes
des cultivateurs et de leurs familles afin d'améliorer leur condition
économique et sociale.
Au Sénégal, l'organisme chargé de la vulgarisation, en l'occurrence la
SODEVA, faute de moyens financiers suffisants, n'a pu mener sa mission
dans ce sens.
En conclusion, le crédit agricole distribué au Sénégal a été à la fois un
crédit de masse et un crédit statique puisqu'il n'a entrafné ni un accroissement
de la production globale, ni de celui de la productivité rurale.
En marge de ces erreurs, on ne peut pas passer sous silence les errements
dus aux mesures de politique économique sectorielle initiées directement par
l'Etat.
(17) Le Bassin arachidier est la zone écologique comprenant les régions suivantes:
Kaolack, Fatick, Thiès et Diourbel.
(18) Ce système de crédit est surtout appliqué en Inde et en Amérique latine sur une grande
échelle. Des programmes analogues ont été mis en place dans certains pays d'Afrique
Orientale, par exemple, en Ouganda avec la différence qu'ils ne sont effectués que sur un petit
nombre d'agriculteurs.
79
CHAPITRE fi
Les modalités d'intervention
de la Banque mondiale et du FMI
Le constat de crise et le diagnostic réalisé dans le chapitre précédent ont
pennis d'expliquer les contre-perfonnances de l'agriculture sénégalaise, la
disproportion entre les moyens engagés et les résultats enregistrés et surtout
les importantes distorsions structurelles qui caractérisent le secteur.
De même, les facteurs ont été clairement appréhendés et tiennent, pour
l'essentiel, à l'irréalisme et aux incohérences de la politique agricole entre
1960 et 1980, à l'inefficience des structures de financement agraire ainsi
qu'aux carences nOlOires des organismes d'encadrement.
A partir de ce travail préliminaire, il est maintenant possible de passer en
revue et d'étudier la nature des interventions de la Banque mondiale et du
FMI dans l'agriculture afin de voir en quoi elles ont directement ou
indirectement affecté les perfonnances de l'agriculture.
1) Contribution du FMI aux plans de redressement et les mesures
d'accompagnement: incidences sur le secteur rural(1)
Entre 1960 et 1980, c'est-à-dire depuis l'indépendance jusqu'à l'arrêt du
Programme Agricole, les interventions du FMI au Sénégal durant toute celte
période ont été sans grande envergure. De plus, les tirages effectués par le
Sénégal n'étant pas importants au point de déclencher la clause de la
conditionnalité, tous ces appuis fmanciers du FMI n'ont jamais directement
influé sur la tenue du programme agricole et donc sur le secteur rural.
(1) Moustapha KASSE. Sénégal: Crise économiqlU et ajwtemefll strlM:turel, Editions
Nouvelles du Sud, 1990.204 p.
81
Par contre, vers la fin des années soixante-di.x, le Sénégal accumule un
ensemble de déséquilibres macro-économiques et macro-financiers qui
deviennent de plus en plus insoutenables. Pour y faire face, le gouvernement
adopte dès novembre 1979 un 4C Plan de redressement économique et
financier» (PREF) et conclut en aoOt 1980 avec le FMI un 4C Accord de
facilité élargie» (AFE) pour un montant de 184,8 millions de OTS.
A panir de ce moment, les interventions du FMI, de par ses fonctions
statutaires, vont tendre à corriger les déséquilibres de la balance des paiements
et à réduire le besoin de financement extérieur de l'Etat. Or, le solde de la
balance des paiements courants du Sénégal accuse un déficit de 52,7 milliards
de FCFA en 1979 ; 91,2 milliards en 1980 et 120,4 milliards en 1981. Cene
amplification du déficit rend incontournable l'ajustement structurel et le
reco.urs aux institutions financières internationales.
Pour le FMI, ce déficit extérieur résulte d'un excédent de la demande
finale (consommation finale publique et privée plus investissement) par
rappon au produit intérieur brut (PIB). Cette demande intérieure globale
excessive est, elle-même, alimentée par une politique laxiste de crédit à
l'économie. Par conséquent, pour le Fonds, le rétablissement de l'équilibre
extérieur doit passer par une politique monétaire restrictive, une politique
budgétaire moins laxiste et un encadrement plus strict des crédits à
l'économie(2).
Il faut rappeler ici qu'au plan théorique, cette analyse du FMI repose sur le
modèle de POLACK (modèle de référence des programmes d'ajustement
appliqués dans les PVO) qui établit une relation inverse entre la position
extérieure nene et l'accroissement net des crédits à l'économie.
Ainsi, l'accord de facilité élargie d'aoOt 1980 d'un montant de 184,8
millions de OTS devait porter sur les exercices de 1980-1981, 1981-1982 et
1982-1983. Mais à la suite de la sécheresse catastroplùque de 1980 (moins de
300 000 tonnes d'araclùde contre 800 000 en moyenne, en année normale) et
du fait des multiples hésitations et lenteurs du Gouvernement, les principaux
critères de performances macro-économiques arrêtés par le Fonds n'ont pas
été atteints.
Celui-ci a donc suspendu ses versements à panir de novembre 1980 et
l'accord de facilité élargie a été annulé en septembre 1981 pour être remplacé
par un accord de confirmation d'un montant de 63 millions de OTS pour
1981·1982.
Cependant, devant la persistance des déséquilibres, il s'avérait
indispensable de prendre un nouvel accord de confirmation de 47,25 millions
de OTS signé en octobre 1982 et qui devait couvrir la période 1982-1983. En
réalité, les tirages ont été suspendus dès après le premier versement
(2) Moushpha )(ASSE, op. cil.
82
(5,8 millions de DTS), du fait que le Gouvernement n'a pas pu respecter les
principaux critères macro-économiques fixés par J'accord et qui concernaient
Je pJafoooement du crédit et des emprunts publics et Ja réduction des arriérés
de paiement.
Entre J982 et J983, il Y eut ainsi une période de flottement et il faudra
attendre la prise d 'im portantes mesures d'austérité (en particulier le
relèvement des prix du riz, de l'huile et du sucre) en aoOt 1983 pour qu'un
nouvel accord de confirmation d'un montant de 63 millions de DTS soit signé
en septembre de la même année pour l'exercice 1983-1984.
Dans le détail, les mesures concrètes préconisées pour redresser la
situation se présentent ainsi chronologiquement :
En 1981-1982 :
EFFET FINANCIER
(sur base annuelle)
MESURES
-
Augmentation de prix
Sucre, riz farine
Electricité transpons publics
Engrais
.
..
..
.
23,1 milliards
14,9 milliards
3,0 milliards
5,2 milliards
-
Majoration des taux des impôts indirects
..
9,8 milliards
-
Impôts de solidarité
..
5,0 milliards
-
Divers suppression d'exonération (amélioration de
gestion )
.
6,4 milliards
En 1982·1983 :
- Limitation de la croissance des effectifs de la Fonction Publique
(1,4%);
- Relèvement du prix des engrais;
- Réorganisation des filières agricoles (compression du coat et des
effectifs) ;
- Amélioration du fonctionnement et diminution des coOts de la CPSP
(Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix) ;
- Relèvement des arriérés, limitation de la croissance de la masse
monétaire et du crédit.
En 1983·1984 :
-
83
Augmentation de prix
Riz
Sucre
Huile
Produits pétroliers
'"
.
..
.
.
.
20,6 milliards
9,0 milliards
4,0 milliards
3,9 milliards
3,7 milliards
-
Augmentation' de la retenue sur les producteurs,
d'arachide "" .... ,... """" .... "".",",,, ,. , ,,,
6,5 milliards
Réduction des dépenses de l'Administration
,..
Traitements et salaires
,
Fournitures '." .. " .. ,,,,, ,,, ,.. ,., ,,, ,,, ,,. ,,
.
Investissements", ,.. , " .,., ., ,
,
, .
10,0 milliards
3,0 milliards
2,0 milliards
5,0 milliards
- Limitation de la croissance des effectifs dans la Fonction Publique
(25 %);
- Réduction des pertes physiques de la filière « arachide ~ ;
- Limitation de la croissance de la masse monétaire (7 %) et du crédit
(13 %).
L'ensemble de ces mesures préconisées par le FMI et mises en œuvre pour
la plupart ont engendré des effets directs et indirects sur le secteur rural
sénégalais et dont nous tenterons de mesurer la portée dans la deuxième
partie.
'
2) Les implications techniques directes du groupe de la Banque
mondiale dans le programme agricole et dans les efforts de
restructuration de l'économie rurale sénégalaise
C'est à partir de 1969, que le Groupe de la Banque mondiale a commencé
à aider le Gouvernement sénégalais dans l'exécution du Programme Agricole
(PA).
Dès 1966 le gouvernement du Sénégal avait demandé une aide à l'IDA
pour le financement du PA qui visait à augmenter la production et la
productivité agricoles par la fourniture à crédit d'engrais, de semences
améliorées, d'instruments à traction animale et par la prestation de services de
vulgarisation aux exploitants pour promouvoir leurs méthodes de culture.
L'IDA a accepté alors de financer un premier projet de Crédit Agricole (Crédit
140-SE/Pret S84-SE) intéressant le bassin arachidier, de 1969-1970 à 19721973.
Depuis cette date, les interventions du Groupe de la Banque mondiale
dans le secteur rural se sont renforcées puisqu'elles ont concerné plus d'une
dizaine d'opérations de projets ruraux dont certaines se poursuivent (PAS),
Dans cette période, la vision de la Banque était que la promotion de
l'agriculture devait s'appuyer sur une constellation de petits projets de
vulgarisation, d'irrigation, de développement de telle ou telle culture ou de
84
développement intégré(3). C'est cétte orien~tion de la BIque mondiale qui
a présidé à la mise en place de plusieurs projets dans le monde rural sénégalais
depuis les années soixante-dix.
D'une manière générale, la Banque a prêté environ 120 millions de
dollars dans le cadre de quinze projets ruraux dont trois portaient sur le
développement de l'irrigation dans la vallée du Fleuve Sénégal. deux sur la
culture du riz en Casamance, deux sur le crédit agricole, deux sur le
repeuplement des zones sous-peuplées du Sénégal-Oriental, (actuellement
région de Tambacounda), un projet de développement de l'élevage dans la
même région, un projet de développement rural dans la région du SineSaloum (actuellement régions de Kaolack et de Fatick), un programme de
lutte contre la sécheresse, un petit projet d'opérations rurales, un projet de
foresterie et un projet de recherche agricole.
La confirmation synoptique de ces projets se présente comme suit:
Premier Projet de Crédit Agricole: Crédit 140-SE/Prêt 58~-SE
mis en place le 25 juin 1973 de 6 millions de dollars
crédit effectif le 28 novembre 1973
Date de clôture le 30 juin 1977.
Projet rizicole de la Casamance: Crédit 252-SE
7 mi Ilions de dollars
Prêt du 18 juin 1971
Effectif le 6 janvier 1972
Clôturé le 30 juin 1977.
Projet Société des Terres Neuves 1: Crédit 254-SE
1.3 million de dollars
mis en place le 18 juin 1971
Effectif le 31 janvier 1972
Clôturé le 31 décembre 1977.
Projet des Polders: Crédit350-SE
4,5 millions de dollars:
Crédit du 9 janvier 1973
Effectif le 8 juin 1973
Achevé le 31 décembre 1977.
(3) Voir sur ce poilll Jacques GIRLL'Afi"iqut' t'n panne, Editions Karthal:!. Paris 1986.
p. 80-84. L'auleur analyse de manière peninente les échecs des projets agricoles encouragés
par la Banque mondiale. Voir égalcmelll Zaki LAIDI. Enquête sur la Bam/IH> mOlldiale aux
Edit iOlls Fayard.
SS
Projet Rizicole de Sédhiou: Crédit 407-SE
Projet de lutte contre la sécheresse: Crédit 446-SE
Projet de Développement rural du Sine-Saloum: Crédit 549-SE
Ouvert le 22 mai 1915
Effectif le 31 octobre 1975
Clôturé le 30 juin 1981.
Projet d'irrigation de Débi-Lampsar: Crédit S-18
10 millions de dollars
Ouvert le 22 mai 1975
Date de clôture le 31 décembre 1977.
Projet Société des Terres Neuves II: Crédit 578-SE
2 millions de doUars
Crédit du 18 juillet 1975
Effectif le 14 novembre 1975
Date de clôture le 31 décembre 1975.
Deuxième Projet de crédit agricole: Crédit 404-SE
8.2 millions de dollars
Ouvert le 25 juin 1973
Effectif le 28 novembre 1973
Clôturé le 30 juin 1977.
Projet de Développemenl rural du Sénegai·O. i.::ntal
Projets d'Opérations rurales
Projet de Foresterie
Projet de Recherche Agricole
Projet de développement de l'élevage au Sénégal-Oriental.
Schématiquement, l'intervention de !a Banque mondiale dans le secteur rural
sénégalais se déroule en deux phases.
Tout d'abord entre 1969 et 1980, cette intervention revêt essentiellement la
fonne d'actions directes de développement à travers le fmancement direct de
plusieurs projets de développement rural. La Banque est présente sur le terrain.
envoie des experts qui mettent la main à la patte. On peut dire que c'est
l'intervention des « col bleu ».
Ensuite à partir de 1980, de concen avec le FMI et plus tard (à partir de 1983)
avec d'autres bailleurs de fonds du Sénégal comme la Caisse Centrale de
Coopération Economique (CCCE). les interventions de la Banque
86
changeront progressivement de fonne et se concentreront particulièrement sur
la mise en œuvre de mesures structurelles supposées aptes à résoudre la crise
du secteur rural dans le contexte global de la grande crise économique
d'ensemble qui frappe le pays. Cette période est symptomatique de
l'avènement des Bureaux d'études et des ~ col blanc ».
L'analyse de la crise du secteur rural faite par la Banque mondiale repose
essentiellement sur le caractère inefficace et inadapté des politiques de prix et
d'incitations massives et désordonnées des sociétés d'encadrement et de
développement rural qui ont fini par étouffer et déresponsabiliser les
producteurs directs.
Par conséquent, la Banque mondiale recommande à travers les
programmes d'ajustement, les principales mesures suivantes:
- réfonner les sociétés d'encadrement et passer avec elles des contrats
plans;
- confier certaines activités, en particulier le stockage des semences, à
des coopératives de paysans plutÔt qu'aux sociétés d'encadrement ;
- développer le crédit agricole;
- réfonner et développer la recherche agricole.
Sur la base de cette analyse et de ces recommandations, la Banque
mondiale met en place en novembre 1980 un prêt d'ajustement structurel d'un
montant de 60 millions de dollars. n s'agit d'un prêt « hors-projet» assorti de
conditionnalités ayant un caractère de politique économique.
Ce premier prêt devrait être affecté au financement d'un programme
d'importations de soutien à l'ajustement et au financement de l'assistance
technique liée à ce programme. Les mesures spécifiques contenues dans les
grandes lignes des conditionnalités étaient les suivantes:
- la réfonne des sociétés de développement rural avec la liquidation de
l'ONCAD (arrangements financiers et solutions concernant les engagements
résiduels), la mise en place des structures de la SONAR(4) ; les grandes lignes
du contrat-plan de la SAED et l'ordre de mission de la SODEVA ;
-la réactualisation de l'étude du stockage des céréales;
- l'étude du marché et des prix des cultures vivrières;
- la réorganisation des agences de développement rural ;
- la réorganisation financière de la CPSP ;
- la méthodologie et le calendrier des audits des comptes de
coopératives;
-l'étude des prix relatifs des produits agricoles;
-la détennination des prix d'achat des récoltes et des prix de l'engrais;
(4) SONAR: Société Nationale d'Approvisionnement du Monde Rural.
87
- l'évaluation du système de commercialisation et des prix des céréales
traditionnelles;
- l'essai de transfert des stocks semenciers d'arachide vers les
producteurs ;
-la réorganisation de la recherche agronomique;
-l'étude de la réorganisation du crédit agricole;
-l'étude du stockage, de la commercialisation et des prix des céréales;
- l'étude et les recommandations concernant les coOts de
commercialisation de l'arachide.
Au plan des effets sur le secteur rural. il faut noter que ce premier
programme d'ajustement a connu les mêmes difficultés que celui contenu
dans l'accord de facilité élargie du FMI. Ces difficultés se rapportent
notamment à la réorganisation des filières agricoles et à la restructuration des
sociétés intervenant dans le monde rural.
Parallèlement, ce programme a rencontré de fortes résistances au transfert
des stocks semenciers d'arachide vers les producteurs. Dans ces conditions, il
a été définitivement annulé en juin 1983 (après une première suspension en
mars 1981).
Par la suite, il sera remplacé, après la réunion du groupe consultatif en
décembre 1984 dont la Banque mondiale a assumé la présidence, par un autre
programme d'ajustement structurel devant couvrir la période 1985-1992.
Il faut signaler que les besoins requis pour l'exécution de cet important
programme d'ajustement structurel se chiffrent annuellement à 500 millions de
dollars dont la Banque devrait théoriquement. en tant que chef de file des
bailleurs de fonds et maitre d'œuvre, fournir une partie appréciable.
Nous étudierons dans la deuxième partie la réalité et la portée des
incidences de ces interventions après avoir évalué à titre illustratif la demidouzaine de projets-cibles suffisamment représentatifs des orientations de la
Banque.
88
~,~­
Celui-ci indique enfin que les produits arachidiers ont folttiff';'pcndant
certaines années plus de la moitié des exportations du secteur avec une chute
brutale durant l'année 1981.
Depuis 1989, les exportations ont évolué comme l'indique le tableau 2 en
annexe.
Dans l'ensemble, le sous-secteur de la pêche a connu des résultats
spectaculaires ces dernières années tant au niveau technique (modernisation et
amélioration de l'annement), qu'au niveau économique (perfonnance des
productions).
Le Sénégal qui jouit sur ce plan de conditions géographiques très
favorables (700 km de cOtes riches en produits halieutiques) et restera
largement autosuffisant selon les projections effectuées par la SONED
(Société Nationale des Etudes de développement) comme l'aUeste le tableau
suivanl ;
Evolution de la pêche
1985
ANNEES
1990
1995
2001
212.719
220.923
231.178
Pêche
artisanale
(en tonnes)
203.269
SOURCE:
SONED Afrique, 1985,
Le sous-secteur de l'élevage bien que dépendant directement des
incidences climatiques n'influe pas plus que l'agriculture sur le déficit
chronique de la balance commerciale.
Dans le domaine de l'élevage, les statistiques restent encore assez fiables
en matière de production, de commercialisation, de consommation et de
balance avec l'extérieur. Les données concernant l'évolution du cheptel
montre une très grande stabilité après les chutes des années 1973 et 1983 suite
aux dures sécheresses catastrophiques.
Evolution du Cheptel, 1988-1992
(En milliers de têtes)
Iovia.
Ovine/Caprin.
Porcin.
ChaaeaU&
CMvaU&
MO.
Yo1alll••
~b&U. . . .
contrOl•• (t)
1911
19.9
1990
1lIU
1992
2.UO
2.69'
2.780
2.527
2.602
5.709
293,0
16,0
34',0
316,0
13.102
26.341
S.'11
303,0
17,0
3511,O
2U,O
14.216
26.415
6.057
313,0
17 ,0
369,0
304,0
14.643
21.S00
6.1'.
106,0
6,0
37.,0
316,0
lS.OU
26.800
6.S04
108,0
7,0
37',0
326,0
15.534
26.'00
DEUXIEME PARTIE
Impact réel de la politique
de libéralisation
des institutions internationales
Les opérations techniques du Groupe de la Banque Mondiale, et plus tard
(à partir de 1980) de celles du FMI, en direction du secteur rural ont pour
objectifs essentiels:
- la promotion de la croissance et du développement économiques à long
terme par des investissements bien conçus, des efforts de réhabilitation et des
opérations d'ajustement sectoriel ;
- une meilleure compréhension de la situation économique, sociale,
institutionnelle et administrative afin d'appuyer la recherche par le
Gouvernement d'interventions moins coOteuses et de promouvoir l'initiative
privée ;
-l'amélioration du cadre d'incitation à la production et à l'efficacité de
la gestion économique par des opérations de prêts d'ajustement structurel,
accompagnées au besoin d'assistance technique.
Il s'agit par conséquent, dans cette deuxième partie de notre réflexion,
d'apprécier l'impact réel sur le secteur rural de ces multiples interventions
dont nous avons dégagé précédemment les modalités ; ceci au moyen de la
demi-douzaine de projets-cibles identifiés et traités.
L'évaluation se fera au double niveau micro et macro-économique suivant
le plan ci-après:
- les incidences de type micro-économique, psychologique et socioéconomique dans le monde rural ;
-les impacts macro-économiq4es.
90
CHAPITRE 1
Les incidences micro-économiques,
psychologiques et socio-économiques
Les six projets-cibles, du fait de leur spécificité ou de leur caractère
synthétique, ont été retenus, traités et visités sur le terrain en vue d'une analyse
plus poussée pennettant de tirer tous les enseignements.
Il s'agit du:
-
Premier projet de crédit agricole;
Projet de développement rural au Sénégal-Oriental ;
Projet des POLDERS du Fleuve Sénégal ;
Projet d'irrigation à Débi-Lampsar;
Petits projets d'opérations rurales;
Projet rizicole de la Casamance.
1) Le premier projet tU crédit agricole
Ce projet fut la première opération à caractère rural fmancée par le Groupe
de la Banque Mondiale (BIRD, IDA) au Sénégal. Les accords furent signés en
février 1969 et le prêt devint effectif dès juin 1969.
Sa fiche technique est la suivante :
- crédit 140-SEtprêt 584-SE : 6 millions de dollars mis en place en juin
1969, révisé et annulé en novembre 1970, puis remplacé le 28 novembre
1973 ;
- date de clôture du crédit : le 30 juin 1977.
91
a) Formulation et objectifs du projet
L'objectif principal du premier projet de crédit agricole était de favoriser
des augmentations de revenu des agriculteurs et subséquemment des rentrées
de devises pour le gouvernement durant une période de déclin des prix à
l'exportation da à la perte des marchés privilégiés en France(1). Pour atteindre
cet objectif, le projet cherchera durant une période de trois ans (de 1969/1970
à 1971/1972 plus tard prolongée d'un an) :
1) à augmenter de 25 % la surface cultivée de l'ensemble du projet, soit
2 à 2,5 mille hectares, principalement en élevant la surface des fennes et en
augmentant l'emploi d'animaux de trait et d'équipement à traction animale.
L'étendue du projet comprend environ 85 % de l'imponant bassin arachidier
dans lequel vit quelque 60 % de la population rurale au Sénégal:
2) à augmenter les rendements, (pour une période relativement courte)
d'environ 25 % pour les arachides et 5 % pour le mil, par l'emploi d'engrais et
de matériel agricole.
L'augmentation projetée de la production et des rendements devait en
principe mener après trois ans à un accroissement de production de 390 000
tonnes d'arachides et de 90 000 tonnes de mil, augmentations respectives de
50 % et de 25 % sur les niveaux de l'avant-projet
Sur cette base, l'on s'attendait alors à ce que ces accroissements procurent
au Sénégal, en plein développement du projet, un bénéfice net économique
supplémentaire de 14 millions de dollars par an.
b) Coûts du projet
Dès la première année du projet, des résultats généralement peu
satisfaisants à cause de la mauvaise campagne 1969-1970 ont été enregistrés.
Le projet fut alors réévalué en novembre 1970. Parallèlement, à cause de la
demande de crédit par les agriculteurs moins élevée que prévu, le prêt 584-SE
fut annulé et le crédit l40-SE fut réaffecté pour pennettre :
-le financement d'assistance technique à la BNDS ;
- le lancement d'une composante relativement limitée des coopératives
agricoles;
- une étude des avantages de la réorganisation des coopératives agricoles.
Il fut également décidé que la période du projet comprendrait une
quatrième année (1971-1972). Ainsi, à cause de ces ajustements et de certains
(1) Gilles DURUFLE. Déséquilibres structurels et ajustemem au Sénégal. Rapport de
MiSsion MRE. 1985.
92
autres moins imponants faits en 1972, la disposition finalement agréée du
crédit 140-SE est la suivante:
Montant du crédit 140-SE
Pr6viaion
_ 1971 •
de 1972 •
6.920.000
3.075.000
3.110.000
7.000.000
730.000
730.000
25.000
25.000
1.675.000
256.000
200.000
1. 775.000
B.U. .UOMl
lors de
Pr6viaion
l'6valuation
a) CXIIIPOlWITII PJIIIOOCT lVB
Iilat6ri.la &&ricaloa de
c:h&rrett ••
Service. coop6rative. do la
aoDBVA
1 lUIt Hat de lecherche
A&ronoaique. _
8eabe7
b) COtIPOIWITB IJJITITUTIOJOnlLLB
Servie• • •e.tiop de l'ONCAn
Pinanc.-ent analo~e de l'ONCAn
l60rp.ni8&tion do la BHD8
1.500.000
250.000
130.000
39.000
0) ROM ATTRiBUt
TOTAL
160.000
200.000
9.580.000
6.000.000
6.000.000
c) Expérience acquise et son application pour l'avenir
Le premier projet de crédit agricole au Sénégal a été considéré comme un
échec. Nous tenterons, plus loin, d'en apporter les facteurs explicatifs
fondamentaux et de mesurer les incidences peu évidentes dudit projet. Certes,
certaines perfonnances ont été obtenues tant au niveau de sa composante
productive qu'au niveau de sa partie réforme et/ou réorganisation
institutionnelle pour la SODEVA et pour la BNDS notamment.
L'expérience acquise dans ce projet, lorsqu'U sera possible de l'employer
dans d'autres opérations, peut se résumer de la manière suivante:
En premier lieu, les objectifs du projet qui, en termes généraux ont été très
mal formulés. devraient être définis en termes d'avantages pour les
participants. Plus précisément, une meilleure connaissance des données au
niveau de la fenne avec et sans le projet au moment de l'évaluation initiale, et
un sondage de quelques participants, auraient pu déterminer avec précision les
avantages du projet, obtenus même dans les conditions anormales de
sécheresse enregistrées durant la période de son exécution.
93
En second lieu, la recommandation pour .J'emploi d'un facteur de
production spécifique devrait s'appuyer (surtout lorsque son coat est subsidié)
sur une analyse économique de son rendement
En troisième lieu, un projet étendu n'est cenainement pas le meilleur
moyen pour apponer les améliorations fondamentales dans les institutions
pour lesquelles il n'est qu'une panie de leurs responsabilités et sunout,
lorsque le rOle et la structure de ces institutions ne sont pas pleinement
encouragés à adopter des procédures commercialement efficientes : cas de
l'ONCAD notamment
En quatrième lieu, il imponera avant de recommander le financement
d'une assistance technique, d'en déterminer les modalités et le coat pour
mieux apprécier à la fois son opportunité et son efficacité.
Sous ce rappon, beaucoup de projets des institutions financières
internationales se réduisent à financer de l'assistance technique non
indispensable.
En cinquième lieu, lorsqu'on emploie des consultants pour fournir une
assistance technique, il faut clairement définir leurs tâches, et établir
un emploi du temps pour chaque tâche. Il faut également arriver à un
accord avec l'emprunteur sur les procédures à employer pour revoir et
appliquer les recommandations des consultants. Cela pose le problème du
suivi des projets.
d) Incidences micro-économiques et socio-économiques du projet
En annexe (tableau 3), et pour les besoins de l'évaluation rétrospective,
quelques données statistiques ont été confectionnées en vue de mieux
apprécier les incidences du projet du point de vue de sa composante
productive.
Il resson des différentes indications statistiques découlant du tableau 3
que, sur le plan productif, les performances ont été relativement satisfaisantes,
à l'exception de la distribution des intrants et du crédit:
-Arachides
- Superficies cultivées: près de 90 % de réalisation.
- Production : près de 85 % réalisation.
- Rendement: plus de 60 % de réalisation.
Les statistiques concernant Matériels, Engrais et Crédits distribués du
premier projet de crédit agricole au Sénégal sont résumées par le tableau 4 en
annexe.
94
• Mil/sorgho
- Superficies cultivées: plus de 75 % de réalisation.
- Production: environ 70 %.
- Rendement: environ 75 %.
• Distribution d'engrais: plus de 75 % de réalisation seulement.
• Distribution de crédits: 18 %.
Probablement ces médiocres résultats expliquent les réticences de la
Banque Mondiale à voir se développer le subventionnement des engrais.
• Sur le plan structurel et institutionnel, comment les rapports
Coopératives/PNCAD/BNDS ont-ilsfonctionni?
Manifestement, le projet n'a pas su développer l'esprit coopératif
principalement parce que ces organismes ont peu de responsabilité et sont
avant tout considérés comme moyen apte à récupérer le crédit et à acheter les
arachides. En effet, les membres des coopératives sont pénalisés du fait qu'ils
n'ont pas de contrôle sur l'usage que l'on fait de leurs dépôts et économies
auprès de la BNDS.
De petites coopératives ont quelques avantages qui se perdraient si la
fusion suggérée par le projet arrive à se réaliser. En particulier, les agriculteurs
se connaissent et ont opéré des choix motivés pour la coopérative à laquelle ils
adhèrent. Ces deux faits sont très importants au regard de la caution solidaire
pour le recours et le remboursement des crédits surtout en l'absence de sareté.
La supervision et l'assistance données au mouvement coopératif par
l'ONCAD sont loin d'être satisfaisantes. Les agriculteurs formulent beaucoup
de plaintes justifiées à l'égard des prestations de l'ONCAD dans l'achat des
arachides et le recouvrement des crédits et, bien que ces activités soient
accomplies par les départements techniques de l'ONCAD, la méfiance des
agriculteurs s'adresse aux services des coopératives de l'ONCAD. Le
Gouvernement reconnaît d'ailleurs que les associations de développement
maîtrisent davantage les besoins des agriculteurs et sont donc mieux placées
pour aider les coopératives à se développer.
2) Le projet de développement rural du Sénégal-Oriental
En 1980, sur la base des conclusions d'une étude sur le projet 4C Terres
Neuves II » qui avait bénéficié d'un crédit de la Banque Mondiale (IDA),
(crédit 578-SE), pour le fmancement de l'établissement d'un Plan Directeur
de Développement des Fibres Textiles, le Gouvernement a demandé à la
95
Banque Mondiale de financer l'étude de faisabilité d'un projet de
développement rural portant sur toute la région du Sénégal-Oriental et de la
Haute-Casamance, zone déjà encadrée par la SODEFITEX.
a) Objectifs et description sommaire
Le projet comprend deux volets principaux: un volet
volet ~ élevage ».
~
agriculture» et un
• Le volet agrlcullure
Sur une période de cinq ans, le projet devait viser à :
- accroftre la production de coton et de céréales cultivés en rotation:
- organiser les agriculteurs et les aider à assumer plus de responsabilité
dans les domaines de la commercialisation primaire, de la demande et du
recouvrement des crédits et des investissements collectifs:
- promouvoir le développement de l'infrastructure rurale;
- et réaliser l'intégration des cultures et de l'élevage surtout grâce au
développement de la traction animale et de l'amélioration de la santé animale.
• Le volet élevage, du projet visait à :
- consolider d'abord les résultats du premier projet « élevage» lancé en
1978 et ayant bénéficié d'un crédit de l'IDA. Ce premier projet devait aider
quelques 30 000 propriétaires de bétail dans la partie Nord du SénégalOriental et accroître leurs revenus par la création et la mise en place d'un
programme de parcours pastoraux et par la fourniture d'intrants pour
l'élevage;
- améliorer les services vétérinaires et en particulier organiser des
campagnes de vaccination contre les principales maladies.
Cette composante du projet se proposait finalement de développer
l'élevage dans les zones suivantes:
- celle du Sud, dont l'exécution était confiée à la SODEFlTEX et la
DSPA (Direction de la Santé et de la Production Animale) ;
- et celle du Nord qui. elle, était sous la tutelle du PDESO (projet de
Développement de l'Elevage au Sénégal-Oriental).
b) Caractéristique détaillées du projet
Au niveau du projet intégré agriculture-élevage du Sénégal-Oriental, le
système de production qui avait été recommandé était fondé sur la rotation des
96
cultures de coton et de céréales et par la mise en place de programmes
agronomiques reposant sur l'utilisation de techniques appropriées et déjà
préconisées par la SODEFITEX et sur l'expérience acquise dans le cadre qe
projets exécutés ailleurs dans des conditions écologiques similaires.
Sur une période de cinq ans, les objectifs projetés sont résumés dans le
tableau 5 de l'annexe statistique.
Au plan de la vulgarisation agricole, il était retenu de continuer les
services déjà offerts par la SODEFlTEX, qui, en 1980, avait initié des
programmes de vulgarisation conformément aux principes généraux de
système de fonnation et des visites, en les adoptant aux conditions locales.
Faute donc d'un système national de crédit agricole viable, les agents de la
SODEFITEX avaient joué un rôle, en sus, de leur activité d'agents de
vulgarisation.
Ainsi, le projet devait fournir, au comptant ou à crédit, quelques 32 570
unités de matériel attelé et 500 charrettes à bœufs (puisque 40 % seulement
des agriculteurs utilisaient la traction animale), ce qui devait permettre
d'équiper 60 % des agriculteurs à la fin de la cinquième année du projet.
Celui-ci devait également financer les services techniques de quatre
spécialistes de la traction animale et assurer la formation d'une quarantaine de
forgerons pour l'entretien du matériel.
Au niveau de la réforme organisationnelle et financière de la
SODEFITEX, il était retenu, au vu de l'analyse des états financiers de celui-ci
caractérisés par une insuffisance de la situation nette et une faiblesse de son
fonds de roulement et par conséquent de ses fonds permanents, de
redynamiser l'institution autour des points suivants :
- l'Etat devait pennettre désonnais à la SODEATEX de conserver 30 %
de ses bénéfices à concurrence de 550 millions de francs CFA à compter de la
campagne 1982-1983 pour financer la moitié de l'accroissement des fonds
permanents ;
- l'achat de la partie des intrants non additionnels devait être supporté
par la CEE. Les fonds de contrepartie provenant du financement extérieur
pour ces achats devraient servir à accroître les fonds permanents de
l'institution responsable du projet.
De manière générale, il s'agissait, dans le cadre de ce projet, de rendre la
SODEFITEX plus efficace et plus indépendante financièrement des pouvoirs
publics pour lui pennettre notamment de continuer à fournir du crédit pour le
matériel agricole et les autres facteurs de production jusqu'à ce que la Caisse
Nationale de Crédit Agricole, qu'on envisageait de mettre en place au cours
de la même année, puisse prendre la relève afin de financer toutes les
opérations de crédit dans le secteur rural.
97
En conclusion, le projet que nous venons d'étudier est symptomatique
d'un projet intégré, c'est-à-dire qu'il compren'd plusieurs volets, ce qui
apparaît à travers les éléments suivants:
- le développement des cultures, y compris la promotion de la traction
animale et le soutien aux forgerons ruraux:
-l'augmentation des fonds permanents de l'organisme d'encadrement
et d'exécution du projet: la SODEFITEX ;
-l'amélioration des installations de stockage et d 'entretien des brisures
de maïs:
-la formation d'un personnel de terrains, de bureaux et d'ateliers pour
l'exécution du projet;
-la mise en place d'un service d'évaluation et de vérification comptable
au sein de la SODEFITEX;
- l'assistance aux Associations de Base des Producteurs ruraux (ABP)
sous forme:
de programmes d'alphabétisation fonctionnelle,
de foumiture de créd its pour les équipements collectifs,
et de conseil de gestion:
- la construction de quelque 800 km de pistes rurales et l'entretien de
tout le réseau routier de la zone du projet:
-l'approvisionnement en eau des villages grâce à:
l'aménagement de 36 forages,
et à la remise en état de 89 puits existants;
- la fourniture de soins de santé primaire aux animaux et aux ruraux:
- et enfin la mise en place d'une cellule de recherche appliquée venant
appuyer le projet national de recherche (crédit 1176-SE) pour permettre de
lier davantage la recherche et la vulgarisation.
c} Etendue et coût du projet
L'emplacement du projet a été la zone que la SODEFITEX encadre pour
la culture du coton et des céréales en rotation avec le coton. Il s'agit:
- des départements de Tambacounda et de Bakel :
- des départements de Kolda et Vélingara en Haute-Casamance ;
- de la partie du Sud de la Région administrative du Sine-Saloum
(actuellement régions de Kaolack et de Fatick) ;
- et de l'arrondissement de Bounkiling dans le département de Sédhiou.
Cependant, dans le Sine-Saloum et dans le Département de Sédhiou où
opèrent respectivement la SODEVA et la SOMIV AC. il faut souligner que la
SODEFITEX se bornait à fournir les facteurs de production et les services de
vulgarisation et de commercialisation du coton en application d'accords déjà
98
conclus. Cette zone à l'exclusion des réserves forestières du Sénégal-Oriental
et de la Haute-Casamance, représente environ 43 000 km' et compte près de
500 000 habitants, dont 80 % environ de ruraux.
Le coOt global du projet s'élève à 16,9 millions de dollars dont 10,3
millions en provenance de la Banque Mondiale (IDA).
d) Impacts micro-économiques et soclo-économiques du projet
fi faut d'abord observer que la plupart des coOts du projet (accroissement
des fonds permanents de la SODEFlTEX, construction de pistes rurales,
services de vulgarisation, hydraulique villageoise, santé primaire et recherche
appliquée) étaient liés à des activités non directement génératrices de recettes
ni à la SODEFITEX, ni au PDESO. Seules quelques autres dépenses,
essentiellement des investissements relatifs au traitement et au stockage de la
production agricole, estimées à 2,6 millions de dollars sont directement
porteuses de recettes.
Cette remarque est importante puisqu'elle va peser négativement sur la
gestion du projet du point de vue strictement financier. En effet, la première
mesure d'incitation pour justifier la rentabilité du projet a concerné la
SODEFITEX, l'organisme de tutelle de l'opération qui tire près de 9 % du
total de ses recettes fmancières des ventes du coton.
En 1982, date à laquelle la production de coton graine est revenue à son
niveau normal, la SODEFITEX avait démontré qu'en appliquant, à l'égard des
producteurs de coton, des méthodes saines de recouvrement des coOts et en
contrôlant strictement les dépenses d'exploitation, elle était en mesure de
dégager un flux de trésorerie positif et de réaliser, par conséquent, un bénéfice
net.
Cependant, avec l'effondrement des cours mondiaux du coton à partir de
1987 alors même que l'année d'avant (1986), le Gouvernement avait porté le
prix au producteur de 70 à 100 FCFA/lcg. Des résistances à la baisse de ce1uici s'étaient manifestées au niveau des producteurs.
En 1988-1989, face à la persistance de la morosité des cours
internationaux d'une part et à l'accroissement des charges de la SODEFITEX
d'autre part, celle-ci tente de relever le prix des services qu'elle fournit aux
producteurs de coton.
Les paysans bloquent la récolte et menacent de boycotter la campagne de
commercialisation. fi faudra l'intelVention du Gouvernement pour départager
les protagonistes dans le cadre d'une solution qui continue de peser
partiellement sur la trésorerie de la SODEFITEX.
De ce point de vue, des enquêtes de terrain ont montré qu'une vague de
découragement avait commencé ~ gagner les paysans malgré le maintien du
99
prix au producteur. Ce qui se traduit par la quasi-impossibilité actuelle
d'atteindre les volumes-record de production du début du projet (47 000
tonnes en 1982-1983 et 48 000 tonnes en 1984-1985).
Concernant la deuxième culture de rapport du projet (à savoir le maïs), il
faut noter qu'avant le projet, cette activité avait connu un insuccès relatif car
le prix à la production locale (37 FCFA/kg) était plus élevé que celui à
l'importation.
Or, pour encourager les producteurs de cette céréale, notamment dans le
cadre du projet, le Gouvernement en a progressivement augmenté le prix
jusqu'à 75 F/kg en 1989. Dans ces conditions, on s'explique les grandes
difficultés des paysans à commercialiser leur production au prix officiel, ces
difficultés ont été aggravées par le doublement des récoltes que le projet a
favorisé.
Pour le miVsorgho, les résultats sont globalement plus satisfaisants. Les
paysans ont reconnu avoir, non seulement, accru leur consommation
domestique en cette céréale, mais aussi réalisé d'importants gains monétaires
du fait de l'augmentation (identique au maïs) du prix au producteur.
Ce constat semble d'ailleurs donner un avantage relatif au miVsorgho face
au maïs, probablement pensons-nous, du fait des traditions culinaires, des
marchés de consommation plus favorables au premier qu'au second.
En ce qui concerne le volet « élevage ~, les prévisions du projet étaient
exagérément optimistes du fait du statut d'importateur net de viande du
Sénégal. Le cheptel devait, sur la base des projections effectuées, augmenter
de 22300 têtes pour une production supplémentaire de lait d'environ 1 million
de litres.
En réalité, la non maîtrise des coOts opérationnels, l'inadaptation de
certaines espèces animales importées et l'insuffisance des soins vétérinaires
contribueront à l'échec de ce volet « élevage» matérialisé par les difficultés
inextricables du PDESO.
Enfin, les principaux aspects favorables du projet peuvent être
appréhendés essentiellement au niveau des avantages non directement
mesurables et concernent notamment :
- l'accroissement des communications routières et des échanges grâce à
l'entretien de certains axes routiers ainsi qu'à l'amélioration de pistes rurales
anciennes et à la construction des pistes nouvelles;
-la mise en œuvre de programmes de recherche spécifique sur le mil,le
sorgho et le maïs (recherche sur le « riz de maïs ~ entièrement achevée et
testée favorablement par l'Institut de Technologie Alimentaire de Dakar) ;
-le volet « santé publique» pour l'amélioration des conditions sanitaires
des populations humaines et animales;
- et enfin le volet « organisations rurales» visant à soutenir le
fonctionnement des ABP (Associations de Base des Paysans) particulièrement
100
dans le domaine de la formation et de l'alphabétisation fonctionnelle ainsi
qu'à encourager les initiatives villageoises.
3) Projet des polders du Fleuve Sénégal
Le projet des Polders (crédit 35(f,SE) a été la première opération financée
par le groupe de la Banque Mondiale dans la vallée du Fleuve Sénégal.
Le projet visait à améliorer les techniques de contrôle des eaux pour la
culture de riz dans les deux polders déjà existants. En outre, il devait
permettre les constructions d'un nouveau polder en vue d 'y assurer une
double récolte de riz à pratiquer simultanément avec des céréales, des tomates,
des patates et des oignons.
a) Objectifs et buts du projet
Le projet des polders a été initié en 1973 et devait être exécuté en trois ans
sous la direction de la Société d'Encadrement de la Zone Nord du Sénégal, la
SAED, en encourageant la production rizicole et de tomate.
11 visait au plan macro-économique. en encourageant la production rizicole
et de tomate, à réduire d'au moins 1,2 millions de dollars par an, les
importations du Sénégal dans le domaine du riz et de la pâte de tomate.
En conséquence, le projet se proposait notamment d'accroître la surface
cultivée des wnes déjà irriguées (3 050 ha) et d'améliorer l'aménagement de
1 180 autres ha.
Les éléments constitutifs du projet ont été les suivants :
- la constructions de nouvelles installations d'irrigation à Dagana en vue
de permettre des cultures sur 2730 ha par année;
- l'amélioration des techniques de contrôle des eaux dans la cuvette de
Débi pour accroître de 960 ha à 1 025 ha les surfaces à emblaver;
- et également l'amélioration des techniques de contrôle des eaux dans le
sous-projet de Lampsar(2).
Le taux de rendement des polders déjà existants respectivement de 17 %
(Débi) et 19 % (Lampsar) devait être accrue par le projet. L'opération devait
(2) Le Burkina Faso, offre sur cette question de la maîtrise de l'eau. une expérience à la fois
originale et digne d'intérêt. Les paysans ont réussi en un an à réaliser 250 petits barrages
construits par des enfants, des hommes et des femmes avec chacun une pierre sur sa tête. 3 350
forages dans les campagnes et les périphéries des villes. Avec le seul aménagement de la Vallée
du fleuve Sourou barrage financé sur fonds propres et l'investissement humain, ce sont l ()()()
hectares de terres fertiles qui ont été récupérés. Le pays a presque triplé la quantité d'eau
stockée en l'intervalle d'environ six ans.
101
également permettre d'amener à 14 % le taux derendement net du nouveau
polder.
b) Effets attendus du projet
Lors de l'évaluation initiale. le projet devait couvrir plus de l700 familles
paysannes ou lOOOO personnes au totafqui devaient prendre part à l'exécution
des sous-projets à Débi et à Lampsar.
Acôté des incidences macro-économiques déjà observées. au plan microéconomique. le projet devait augmenrer le revenupercapita de 20000 FCFA
dans les polders existants et de 30 000 FCFA à ceux qui occuperont les
nouveaux polders. Sur ce point. des études indiquent des revenus d 'une
moyenne de 8 000 FCFA pour les ruraux concernés dans la période d'avant
projet. donc égale à peu près à 1/3 de la moyenne nationale (soit 25 000
FCFA). En conséquence. des effets notables étaient attendus logiquement de
l'implantation du projet. Cependant. il a été observé que l'écologie de la zone
devrait être perturbée mais qu' aucune espèce ne serait menacée grâce à la
mise en place par le Ministère de la Santé et de la SAED de postes de santé
(21 dans la zone) et d'un réseau de distribution de médicaments contre la
malar\a et certaines maladies tropicales dangereuses dues à l'utilisation
excessive de pesticides et de produits chimiques.
c) Coût et financement du projet
Le coût total du projet. durant sa période d'exécution a été estimé à 1.9
milliard de F CFA soit 7.4 millions de dollars dans lequel la participation
extérieure (FAC-IDA) était à peu près égale à 0.75 milliard de FCFA (2.9
millions de dollars ou 40 % du tOtal).
Pour le financement du projet. la participation de l'IDA s 'élève à 4.5
millions de dollars. soit 80 % du coût total (toutes taxes exclues). La
contribution du gouvernement est estimée à 1,1 million de dollars.
Dans les accords de financement. il a été retenu que les participations de
l'IDA et du gouvernement seront rétrocédées à la SAED sous forme de
subventions de 3.1 millions de dollars (800 millions de FCFA) et d 'un crédit
de 4.3 millions de dollars (l.lOO milliard de FCFA) pour une durée de trente
cinq ans au taux de 1 % avec une période de grâce de cinq ans.
d) Justification du projet
Les bénéfices immédiats du projet résultaient dans la production
supplémentaire de riz dans les polders existants à Débi et Lampsar et dans la
102
nouvelle production de riz et d'autres produits rendue possible par le polder de
Dagana.
.
Les taux de rendement des sous-projets ont été estimés respectivement à
14 % pour Dagana, 19 % pour Débi et 17 % pour Lampsar.
En plus de ces résultats, le sous-projet de Dagana était important en soi car
il devait servir le projet-pilote pour le développement futur des cultures
irriguées dans la vallée du fleuve Sénégal puisqu'il était prévu d'aménager
dans la zone quelques 50 000 ha de terres. li était entendu, cependant, que cet
aspect, si louable soit-il, ne pouvait etre réalisé qu'avec le concours d'un
personnel efficient et qualifié. La mise en place du sous-projet de Dagana
devait servir alors de test pour l'extension possible de la culture irriguée dans
la vallée et à reconnaftre la compétence ou non du personnel mobilisé dans
cette opération.
e) Les autres Incidents socio-économiques du projet
Elles sont synthétisées dans le tableau récapitulatif numéro 6 de l'annexe
statistique.
li ressort de cette évaluation d'ensemble et des enquêtes complémentaires
menées sur le terrain que:
- d'abord le projet a effectivement pennis la conslruction de nouvelles
installations d'irrigation à Dagana, mais dans des proportions moindres (l 260
ha par an contre 2 730 ha prévues) du fait de la hausse brutale des coOts
opérationnels et de la faible coopération, en phase initiale, des populations
rurales;
- ensuite le projet a, par ailleurs, permis l'amélioration des techniques de
contrOle des eaux dans la cuvette de Débi et dans la canal de Lampsar, servant
ainsi de rampe de lancement au programme de développement de la culture de
riz et de tomate dans le cadre du projet d'irrigation de Débi-Lampsar que nous
aborderons dans la section suivante;
- enfin, le caractère de projet-pilote d'investissements lourds de
l'opération ne pennet, manifestement, pas d'apprécier convenablement sa
rentabilité. En effet, si du point de vue du développement économique à long
tenne, il apparaft rentable, par contre sur le plan financier et celui des
incidences micro-économiques directes sur les populations rurales
(production, revenu, prix...), sa rentabilité a été prise en défaut.
4) Le projet d'irrigation de Débi-Lampsar
Le projet d'irrigation à Débi-Lampsar a été la deuxième opération
soutenue par la Banque Mondiale dans la Vallée du Sénégal à la suite du
103
projet des Polders. Sur la base du relatif succès du premier, il devait renforcer
le développement agricole de la zone et par-delà, celui de tout le Sénégal.
D'un coût total estimé à 35 millions de dollars (57 % supporté par l'IDA),
le projet du Débi-Lampsar avait pour centre d'intérêt d'aider la SAED,
organisme responsable du second projet, à continuer d'exercer ses lettres de
mission dans la bataille pour l'awosuffisance alimentaire.
a) Objectifs et caractéristiques du projet
Le projet visait principalement à atteindre les deux objectifs suivants:
- continuer le développement de l'irrigation dans la vallée du Fleuve
Sénégal dans la production de Paddy et de tomate
--et la préparation de projets futurs de développement rural en renforçant
les possibilités de recherche, de planification et de management de la SAED.
Celui-ci devait être exécuté sur une période de quatre ans: 1978-1981.Il
devait notamment comprendre:
• A Débi
- la construction de périmètres, de réseaux de drainage, de stations de
pompage pour le développement des fermes, l' amélioration des voies d'accès
en vue de permettre le contrôle et la régularité des eaux pour une superficie
de 1 100 hectares;
-la construction de maisons, de magasins et d'autres installations autour
du périmètre;
- et la fourniture d'équipements agricoles et de véhicules.
• A Li:tmpsar
-la construction d'embarquements, le long de chaque côté du canal de
Lampsar ;
-l'aménagement des réseaux de drainage, de 14 stations de pompage,
l'amélioration des voies d'accès vers 11 sous-périmètres totalisant 2 220
hectares;
- la construction de maisons, de bureaux et d'autres infrastructures
autour des périmètres;
- la fourniture d'équipements nécessaires à l'agriculture (véhicules
notamment) ;
-la sélection de quelque 1 100 fermiers en leur fournissant à chacun 3
hectares de terre;
.
.
- et la fourniture de services, d'inputs de nature à faciliter le marketing
dans la commercialisation et l'extension de la culture de paddy et de tomate.
104
b) Coût du projet
Le projet de Débi-Lampsar a été financé conjointement par la Banque
Mondiale (IDA) pour 20 millions de dollars soit 57 % du coût total. le Fonds
Koweitien (5.3 millions de dollars pour 3 % d'intérêt pendant vingt ans avec
une période de grâce de cinq ans), le Fonds d'Aide et de Coopération Français
(2,7 millions de dollars) pour le financement de l'assistance technique et la
BNDS pour le financement des inputs agricoles (1,2 million de dollars). Le
GDS (Gouvernement du Sénégal) a participé au projet pour un financement
de 5,8 millions de dollars.
c) Incidences el bénéfices attendus du projet
Lors de l'évaluation initiale, des incidences jugées satisfaisantes étaient
attendues du projet, ce qui justifiait d'ailleurs sa mise en place enthousiaste
et son exécution accélérée.
Au niveau de la production et plus précisément des rendements. on
s'attendait, pour le paddy, à observer des accroissements de 1.8 tonne par
hectare à Débi et de 3,5 t/ha à Lampsar, ceci. au bout d 'une période de quatre
années donc dans la phase de maturation du projet. Pour la tomate. il était
attendu des accroissements, dans les mêmes délais. de 15 tonnes/ha et 30 tl
ha respectivement à Débi et à Lan1psar.
Sur la base de ces projections. et dans l'hypothèse li 'une croissance
régulière de la production totale. celle-ci devait être de 10 400 tonnes de
Paddy (dont 3 800 tonnes à Débi)etde 16800 tonnes de pâte de tomates (dont
10 200 à Lampsar).
La commercialisation du riz qui était traité à Ross-Béthio était dévolue à
la SAED et à l'ONCAD; ils devaient se charger de la distribution d 'une partie
du riz en gros chez les grands commerçants et de l'écoulement du reste vers
les marchés.
Sur ce point, des contraintes majeures ne semblaient pas se poser au
marketing et à la distribution du riz puisque la production du projet ne devait
représenter qu'une part minime des importations à l'époque, et même de
celles à venir; le prix au producteur a été augmenté par le Gouvernement. en
1975 de 22 FCFA/kg à 41 ,5 FCFA/kg en vue de stimuler la production locale.
La commercialisation de la pâte de tomate était du ressort de la SAED et
de la SOCAS. A cette époque, la consommation nationale de pâte de tomate
était estimée à 7 000 tonnes par an dont 4 000 tonnes importées, ce qui
justifiait donc l'existence de débouchés certains pour la production. En outre.
une augmentation de Iaconsommation Iocalejusqu'au niveau de 8 500 tonnes
était attendue pour l'année 1984 ; ce qui allait entraîner un gap de
5.000 tonnes (ou 30 000 tonnes de tomates fraîches); des problèmes
105
particuliers ne semblaient pas alors se poser à l' ~coulement de la production
vers le marché intérieur.
Le projet devait concerner plus de 9 ()()() personnes implantées dans et
autour de la rone. Les revenus induits par le projet étaient estimés à 6 100
dollars (par famille) dans les périmètres de Débi et 7 ()()() dollars dans ceux de
Lampsar. Ces incidences avaient été jugées très satisfaisantes compte tenu
d'abord de leur comparaison au rtwenu moyen national per capita (390
dollars) et ensuite du coat net des investissements par hectare (soit 4,1 dollars
pour Débi et 5 dollars pour Lampsar).
Le taux de rentabilité économique pour chaque périmètre était de 9 % pour
Débi, 12 % pour Lampsar et de 10 % pour l'ensemble du projet.
Les incidences non quantifiables du projet devaient se refléter dans la
consolidation et l'amélioration des acquis de la SAED dans ses effons
d'encadrement des ruraux, de planification, de management et d'exécution des
projets présents ou à venir dans la vallée.
Ceci, pensait-on favoriserait davantage le rôle de l'institution dans
l'Organisation de la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS).
Un certain nombre de risques liés au projet dont notamment : le coat, la
salinité des eaux, la perte de poids probable de la pâte de tomate due à son
transpon, étaient un ensemble de contraintes que l'étude de faisabilité du
projet a cherché à minimiser pour atteindre les objectifs fixés.
d) Impacts sodo-économiques réels du projet
Les évaluations et enquêtes menées sur le terrain montrent un ensemble de
faits dont les plus saillants portent sur:
-les faibles performances enregistrées au niveau du paddy que ce soit en
termes de rendement (seulement 1,2 tlha à Débi et 2,8 t/ha à Lampsar) ou de
coOts de production (important gonflement des frais d'aménagement et de
diverses charges d'exploitation) ;
- les cultures de tomates, qui ont réalisé de bons résultats, notamment à
Lampsar (32 t/ha) contre 13,5 tlha à Débi. Cependant, la défectuosité quasi
complète du système de commercialisation de la tomate industrielle dans la
région a fortement privé les ruraux de revenus substantiels qui auraient pu
atténuer les charges croissantes parallèlement enregistrées sur les champs de
riz-paddy;
- les prix à la production du paddy (41 F à 51 Flkg entre 1978 et 1982) et
de la tomate industrielle (17 F kg entre 1978 et 1982), en demeurant trop bas,
ont aggravé le phénomène précédent et ont pesé, ainsi, négativement sur les
revenus des participants au projet qui, sur certains périmètres. orit été de plus
de 50 % inférieurs aux prévisions initiales;
106
-l'encadrement foumi par la SAED a néanmoins permis de renforcer la
maîtrise technique des populations rurales en matière de cultures irriguées et
de gestion d'unités productives agricoles;
- au plan sanitaire par contre, les perturbations écologiques engendrées
par l'irrigation ont été. dans cette première phase du projet. mal maîtrisées;
ce qui a conduit à la recrudescence de certaines endémies comme la malaria,
la bilharziose et parfois l'onchocercose.
5) Les petits projets d'opérations rurales
Au moment de l'initiation du présent projet. la contribution du groupe de
la Banque Mondiale pour le financement au titre du Programme Agricole se
chiffrait à 74.3 millions de dollars dont 67,3 millions de dollars de la part de
l'AlD, Ce financement était requis dans le cadre de douze projets mraux, Il
s'agissait notamment de;
- trois projets d'ingénierie, de construction de polders et de cuiture
irriguée dans la vallée du Fleuve Sénégal:
Crédit 350 - SE (1973)
Crédit 518 - SE (1975)
Crédit 775 - SE (1978)
-
4,5 millions de dollars
Imillion de dollars
20millions de dollars.
trois projets de développement rural:
Prêt 584 - SE
Crédit 140 - SE (1969)
Crédit 404 - SE (1973)
3.5 millions de dollars
6,0 millions de dollars
8,2 millions de dollars.
- deux projets pour le développement de la culture du riz en CasanHU1ce:
Crédit 252 - SE (1971)
Crédit 647 - SE (1976)...................
3.7 millions de dollars
3.7 millions de dollars.
-- deux projets de colonisation rurale pour l'implantation de familles dans
le Sénégal-Orient:.!1 (Société des Terres Neuves) :
Crédit 254 - SE (1971)..................
Crédit 278 - SE (1975)..................
1.4 million de dollars
2.0 millions de dollars.
-
un projet de développement agricole pour le Sine-Saloum:
Crédits 1113 - SE et 545 - SE (1975)...... 7.0 millions de dollars
-
un projet de développement de l'élevage au Sénégal-Oriental:
Crédit 633 - SE (1976)
4.6 millions de dollars et
107
-
un projet pour la mise sur pied d'une banque agricole:
Crédit 446 - SE
6,1 millions de dollars.
Ce nouveau projet est constitué en réalité d'un ensemble de petits projets
ruraux.
a) Le projet: objectifs et description
Les principaux objectifs visés par le projet étaient d'une pan d'encourager
les initiatives locales. et, par-delà. accroître la participation des ruraux dans
les prises de décision concernant le secteur rural et d'autre part d'entreprendre
de petits projets de développement dans l'intérêt des agriculteurs.
Les objectifs les plus importants étaient finalement de mettre sur pied de
petits groupes de producteurs en vue d'augmenter la production agricole (et
indirectement la production animale) d'accroître les rendements.
Le projet devait être exécuté sur une période de quatre ans par une unité
de direction dans chaque département concerné sous la tutelle du ministère
des Affaires Sociales.
Le projet comprenait tous les volets équipement, construction ainsi que
les services techniques d'appui dans les localités ci-après:
- 30 périmètres de 20 hectares chacun pour laculture du riz dans la vallée
du Galenka située dans la pallie Nord du Sénégal;
- 15 périmètres de 4 hectares chacun pour la culture de la banane à
Sédhiou dans la région de Kolda :
- 18 périmètres de 2 hectares chacun pour la culture de légumes à Thiès
et dans la pallie Nord de l'ancienne région du Sine-Saloum ainsi que pour la
production de miel et de cire pour quatre groupes de producteurs à Bignona:
- 20 petits canots de pêche avec des moteurs hors-bord et un équipement
auxiliaire dans la région de Louga ;
- des équipements pour des puisatiers en vue de la construction de 50
puits et la réfection de 50 autres dans l'ancienne région du Sine-Saloum:
- et la mise en place d'une structure de direction administrative,
financière et technique nécessaire ainsi qu'un SUPPOll logistique pour
l'identification. la préparation et l'évaluation des projets entrepris.
A l'évaluation initiale, le projet apparaissait directement productif puisque
ces activités devaient aider 2 400 familles (ou quelque 24 000 personnes)
ayant des revenus égaux ou inférieurs à 26800 FCFA.
En plus, environ 100 000 personnes allaient bénéficier de la distribution
d'eau permanente dans les villages du projet.
Les critères retenus dans le cadre de la sélection des activités du projet
étaient que celles-ci devaient être directement productives, profitables
108
financièrement, économiquement et porteuses d'un intérêt manifeste pour les
différents groupes de producteurs.
b) Détails et caractéristiques des sous-projets
• Petits périm~tres rizjcoks
Ce sous-projet a été initié le long du Galenka, un affluent du fleuve
Sénégal pour 30 groupes de producteurs (environ 12 000 personnes) qui
devaient être assistés dans la construction, l'irrigation des périmètres et le
contrôle des eaux.
Celui-ci devait fournir également une petite base pour les opérations de la
SAED à Thillé-Boubacar, faciliter la construction des réseaux de distribution
d'eau, entreprendre les études topographiques des sols, installer les pompes
4( 15HO » et assurer la distribution d'inputs dans les périmètres de 20 hectares
de paddy pendant la saison des pluies, et d'autres de 6 hectares pour la culture
céréalière (4 hectares de maïs et 2 hectares de riz), pendant la saison sèche.
• Petits périm~tres de cultures maraû:h~res
Cette composante du projet a été initiée dans la zone limitée par Thiès,
Joal et Fatick où 18 groupes de producteurs devraient être assistés dans
l'aménagement de petits périmètres pour la culture de légumes grâce à la
distribution d'eau à l'aide de pompes manuelles branchées dans des puits
ouverts.
En fait, ce sous-projet se devait d'encourager la culture maraichère déjà
existante dans la zone en apportant un appui technique aux producteurs,
notamment dans les techniques d'approvisionnement de l'eau par le bi ais de la
force animale à partir de puits peu profonds situés dans les dépressions.
Chaque groupe de producteurs était composé d'environ 20 membres dont
chacun devait bénéficier d'un périmètre de 3,1 hectares.
• Petits périmètres de culture de banane
Ce sous-projet concernait 15 groupes de producteurs dans la localité de
Sédhiou, ayant été soutenus dans la construction et l'aménagement de petits
périmètres grâce à l'utilisation de pompes mécaniques.
Cette opération qui avait été financé par le FED devait être renforcée par
le groupe de la banque dans le cadre de ce projet. Celui-ci était ambitieux
puisque la culture de banane, au vu du climat casamançais, pouvait être
considérée comme marginale.
109
Pour ce sous projet, les groupes de producteurs ainsi assistés, devraient
être responsables du suivi de la fourniture d'eau, de la maintenance et du
traitement de la culture de banane.
• PedUs uni.lis de gardiennage d'abeUles(3)
Cette panie du projet a été implantée dans la ville de Bignona, par quatre
groupes de producteurs pour l'assistance à l'installation de cinquante ruches et
de quatre unités d'extraction de miel et de cire.
Ce sous-projet devait comprendre précisément :
- l'installation de quatre centres de production de miel et de cire au profit
de quatre groupes de 25 producteurs ;
- l'installation de 5 ruches par centre de production et la fourniture de
matériels de travail; filets, fumigateurs, clÔture de protection... ;
-la réhabilitation du centre déjà existant dans la région.
Cette dernière composante du projet a été placée sous la direction de
l'Agence Régionale de l'Elevage pour les installations et l'assistance
technique à fournir aux bénéficiaires. Les groupes de producteurs sont. pour
leur compte, responsables de l'exécution du projet et de la maintenance de la
production.
• Sous-projet de plche artisanale
Cette opération a été implantée à Lompoul et à Téra dans la zone côtière
de la région de Louga où 20 groupes de jeunes pêcheurs ont été assistés dans
l'équipement de canots à !Doteurs ~ 20HP » et de matériels subsidiaires. Celleci devait surtout concerner les pêcheurs qui n'avaient pas bénéficié de
l'assistance canadienne pour la motorisation des pirogues (projet CAPA).
Le sous-projet placé sous la tutelle de l'Agence Régionale de la Pêche,
devait comprendre en plus du matériel de séchage, de l'eau salée et d'autres
équipements pour les pêcheurs.
• Sous-projet d'approvisionnement en eau dans les villages
Ce sous-projet a concerné la Région du Sine-Saloum où l'unité
responsable de l'exécution de l'opération devait être renforcée pour lui
permettre de procéder à la construction de 50 nouveaux puits et d'entamer la
réfection de 50 autres puits ouverts.
(3) Bien que le néologisme « gardiennage d'abeilles» soit récusable nous l'avons reconduit
pour rester fidèle à la dénomination du projet.
110
Le projet devait comprendre notamment :
-l'installation de bureaux supplémentaires à Kaolack et d'un petit centre
de base de données à Dakar ;
-la fourniture de véhicules, de plantes et divers équipements ;
- la fourniture de matériel de construction;
- et la mise en place d'une direction de supervision et de maintenance
des travaux.
L'Agence du Service des Eaux et Forêts basée à Kaolack a été responsable
de l'exécution du sous-projet.
c) Coût et financement du projet
Ces petits projets d'opérations rurales ont nécessité un crédit à long terme
de l'IDA pour un montant de Il millions de dollars au profit du gouvernement
sénégalais, crédit qui a permis de couvrir 78 % du coOt total du projet.
Les coOts et le financement du projet ressortent du tableau suivant:
Plan de rmancement des petits projets
en DrlIlions de dollars
Petit. projet.
FAC
Total
IDA
1,1
1,0
1,3
0,1
0,6
0,1
1,0
0,1
0,1
0,1
1,7
1,9
0,1
1,6
1,1
0,1
0,3
0,.
0,7
4,.
0,1
1,6
3,7
0,1
1,2
0,1
0,3
Total
14,1
11.0
D,.
2,4
0,1
0,2
Pomeatap
1001
181
31
161
11
2S
Petits p4ril. ril.
Pltit. p4r. IIr.
Petit. ph. de
NUlle
GardielllllP
d'abeille
Di.tributiOi d'e..
Pkhe
kti,itû 1011
ideatifiœ.
leôol1lelelt PP!
coatiqeat.
111
Gomraetellt
BRDS
Bédficiaires
0,1
0,1
0,1
d) Impacts socio-économiques du projet
Au moment de l'évaluation initiale, on estimait que le projet (dans son
ensemble) devrait bénéficier à quelque 4 300 familles, soit 42000 personnes
pour un coût net par bénéficiaire de seulement 2 260 dollars, soit l'équivalent
de moins du quart du coût relevé dans des zones identiques et, pour des
opérations similaires. C'est plus que le coût moyen de création d'un emploi
•
dans le secteur tertiaire.
Pour une durée de vie d'environ vingt ans, les taux de rendement
économique pour chaque opération du projet étaient les suivants:
Taux de rendement attendu
Sous-projet
Petits périmètres rizicoles
Petits périmètres maraîchers
Petits périmètres de bananes
Gardiennage dlabeilles
Pêche
Sous-total
Activités non identifiées
Total
Taux de rendement
économique
18"
12"
19"
12"
60"
17X
13"
14"
Les investigations, concenant cet ensemble d'opérations rurales, ont
porté essentiellement sur les sous-projets « bananiers ».
Il en ressort que:
-les cultures maraîchères, si elles ont été performantes au niveau de la
production, elles ont largement souffert de trois facteurs défavorables qui ont
contribué à amoindrir les revenus escomptés du fait de l'effondrement des
prix; ce sont:
- l'insuffisance, voire sur certains périmètres, l'absence de moyens de
stockage adéquats, entraînant des taux relativement élevés de pertes de
récoltes;
- les défaillances du système de commercialisation (méconnaissance
des circuits de distribution par les ruraux, faible intérêt des commerçants et
transporteurs pour les produits maraîchers ...) ;
- et surtout le lobbying pratiqué par certains gros importateurs (libanosyriens) de produits maraîchers qui monopolisent le secteur, privilégient la
112
distribution des productions étrangères et orientent le marché dans le sens de
leurs intérêts exclusifs et donc au détriment des ruraux impliqués dans le
maraîchage.
- en ce qui concerne la banane en revanche. les résultats ont été
acceptables à la fois au plan de l<tproduction et des revenus des paysans. En
effet. outre l'écoulement en l'état d'une partie de la récolte, les participants
au sous-projet ont conçu et réalisé, grâce à l'appui des ONG européennes et
américaines. des unités collatérales de transformation artisanale ou semiindustrielle de la banane en confiture ce qui a eu pour effet d'accroître les
incidences initiales du sous-projet du fait de la démultiplication des activités
et donc de la création d'une chaîne de valeurs ajoutées supplémentaires.
6) Le projet rizicole de la Casamance
Le projet rizicole de la Casamance (crédit 252-SE) a été identifié et
proposé par la FAO/BIRD en 1970. Il fut évalué en novembre 1970; l'accord
de crédit fut signé le 18 juin 1971 et il devint effectif le 6 janvier 1972.
Ce projet. première opération initiée par la Banque Mondiale dans ladite
région et la troisième dans le cadre du financement du secteur rural, devait
couvrir le département de Sédhiou et la Région du milieu de la Casamance.
zone particulièrement favorable à la culture sous-pluie.
Il devait être exécuté sur une durée de cinq ans avec une participation de
3.7 millions de dollars de l'IDA.
Après une évaluation initiale, le projet a été redéfini dans plusieurs
domaines, notamment dans les buts et objectifs poursuivis à cause des
problèmes techniques relevés par J'étude ainsi que des conditions climatiques
exceptionnelles que requérait une telle opération.
a) Objectifs et buts poursuivis
Lors de l'évaluation initiale, le projet visait à atteindre les buts et objectifs
qui suivent:
-
l'établissement d'une unité de management du projet (UMP) ;
- l' aménagemen t de 200 hectares de terres marécageuses destinées à la
culture du riz;
- le débroussaillement de 9 500 hectares pour la production de riz en
rotation avec la culture d'arachide et de mil;
-la construction et le fonctionnement de 24 greniers (moulins) à riz;
-
113
la mise en bon état de 244 km de pistes rurales;
- et la fourniture d'un crédit saisonnier à moyen terme aux coopératives
ainsi que d'une assistance dans la commercialisation et le marketing des
récoltes.
b) Les coûts du projet
Les coOts du projet, tels qu'ils apparaissent lors de l'évalua.tïon initiale et
au moment de l'évaluation rétrospective peuvent se résumer dans le tableau 6
de l'annexe statistique.
Les écans qui apparaissent, s'expliquent par :
- la sous-estimation des coOts à l'évaluation initiale et des retards dans
les délais d'exécution des opérations ;
- la fourniture de 23 moulins à riz ainsi que les coOts de travaux
d'irrigation plus excessifs que prévus:
- le changement de programme dans l'infrastructure routière :
- l'augmenlation des salaires décidée par le gouvernement vers la fin de
l'année 1976 ;
- et l'augmentation des prix du carburant et des lubrifiants due à la
hausse des prix du pétrole.
c) Les incidences attendues du projet
Dans le projet rizicole de la Casamance, il était attendu essentiellement
des impacts au niveau technique par l'amélioration de la productivité due à
l'introduction de paquets technologiques, par l'étude des sol,s (sous la
direction de l'IRAT)(4) et au niveau économique par l'augmentation des
rendements (grâce à l'utilisation de fertilisants et l'introduction de nouvelles
variétés) et des revenus des agriculieurs.
,
Les budgets projetés des ruraux participants au projet calculés sur la base
des prix de 1971 (année 0 du projet) et des prix de 1975 (4' année du projet)
comparés aux budgets estimés à l'évaluation initiale, font ressortir une nette
amélioration des revenus.
Dans son ensemble, le projet 252-SE a été, malgré les problèmes
renconlrés avant sa mise en route, considéré comme une réussite au niveau de
son exécution.
d) Incidences socio-économiques du projet
Les résultats issus de nos évaluations de terrain tendent à montrer que les
prévisions optimistes des initiateurs du projet ont été largement prises en
défaut pour les raisons essentielles tenant à :
(4) IRAT : InstilUl de Recherches Agronomiques Tropicales.
114
- la sous-estimation de certains coOts, particulièrement en ce qui
concerne les moyens de transport. l'infrastructure, les routes, les bâtiments et
les travaux d'irrigation;
-l'omission de certaines dépenses;
- aux fausses prévisions concernant les problèmes de consommation des
familles et les modèles de ferme;
- la connaissance insuffisante des zones extensives de sols gris et
prévisions trop optimistes sur le potentiel de production de riz des hautes
terres;
- aux études inadéquates en ce qui concerne les routes, les moulins à riz
et les travaux d'irrigation;
- la mauvaise prise en compte de l'environnement local, au sujet
notamment des structures des fermes: lieux organisation;
- aux réticences paysannes en ce qui concerne les modifications des
formes et pratiques des cultures traditionnelles;
- la mauvaise formation des agriculteurs travaillant dans les champs à
culture extensive ;
- la sous-estimation de la capacité de travail des fermiers ;
- la difficulté dans le suivi pour les zones reculées à cause du manque de
routes;
- au refus de produire du riz au-delà des besoins de la famille à cause de
la quasi-inexistence de circuits de commercialisation et de l'absence
d'équilibre entre les prix des récoltes et le coat des équipements ;
- au développement lent de la traction animale à cause des prix
relativement élevés des bœufs;
- au retard dans les activités agricoles à cause de la livraison tardive du
matériel par l'ONCAD ;
- la mécanisation caractérisée par la mauvaise qualité de certains
équipements (charrettes, batteuses) et l'entretien insuffisant.
Cet ensemble de paramètres justifient que les quantités de riz
commercialisées par les paysans aient été trop faibles par rapport aux
prévisions et même aux quantités effectivement produites (forte autoconsommation familiale, prix aux producteurs trop bas, réseaux de
commercialisation défaillants, irrégularité dans les financements, insuffisance
et inadaptation d'une partie du matérieL).
Il s'y ajoute les graves erreurs psychologiques d'approcke en ce qui
concerne la communication avec les populations rurales dans le cadre de
l'introduction de nouvelles formes et pratiques culturales.
En définitive, on retiendra que si le projet a permis d'accroître la
production de riz (destinée à l'auto-consommation) et subsidiairement celle de
l'arachide. il aura complètement échoué dans ses objectifs centraux consistant
115
à produire de façon rentable et à grande échelle du riz et de l'arachide en
Casamance afm - objectif macro-économique non explicite - de réduire les
importations (riz) et d'augmenter les exportations (arachide).
Quels enseignements peut-on tirer de cette évaluation? La Banque
Mondiale dans l'exercice de ses fonctions tectmiques est intervenue au travers
de projets microéconomiques afin de réaliser certains objectifs majeurs qui
pourraient faire sauter les goulots d'étranglement du développement rural à
savoir:
-la généralisation du crédit agricole pour le financement des activités du
secteur;
- le développement des cultures irriguées pour être moins tributaire des
facteurs naturels ;
-l'amélioration des rendements et de la productivité ;
-la diversification de la production agricole.
Toutefois, il apparaît. en fin de compte, que les résultats sont assez
mitigés.
Qu'en est-il au plan macroéconomique?
116
CHAPITRE Il
Les impacts macro-économiques
Si l'intervention de la Banque Mondiale dans le monde rural a revêtu
chronologiquement deux formes (directe de 1969 à 1980 et de moins en moins
directe depuis lors), celle du FMI par contre, a toujours été indirecte et
remonte seulement à 1980 en s'exprimant à travers des mesures de politique
économique incluses dans les différents programmes d'ajustement.
Pour cette raison ainsi que pour d'autres d'ordre méthodologique, nous
passerons successivement en revue les incidences macro-économiques
globales générées par l'intervention de l'une et l'autre institution, que ce soit à
titre direct ou indirect, dans le secteur rural.
1) Les effets des interventions du FMI sur le secteur rural dans le
cadre du redressement de l'économie sénégalaise
Un rapide survol des mesures détaillées dans les accords (facilité élargie et
continnation) signés avec le FMI (voir chapitre 1) montre qu'en dehors des
petits consommateurs urbains (relèvement des taxes indirectes et du prix des
denrées de première nécessité), les producteurs agricoles représentent la
couche de la population la plus affectée par l'ajustement financier. Cette
constatation, comme on tentera de le montrer plus loin, transparaît directement
dans les mesures concernant l'augmentation de la retenue sur les producteurs
d'arachide et le relèvement du prix des engrais. Elle apparaît ensuite
indirectement dans la série de mesures d'accompagnement allant de la
réorganisation des filières agricoles à la restructuration de la CPSP en passant
117
par le transfert aux paysans de la reconstitution, du stockage et de la gestion
d'une partie du capital semencier arachidier.
a) La consommation d'intrants agricoles
Le doublement du prix de l'engrais en 1983 qui passe de 25 à 50 FCFA le
kg a eu pour effet immédiat de diminuer considérablement la consommation
de ce produit en tant qu'intrant. n faut noter, à ce propos que la consommation
d'engrais qui était de 85 000 tonnes en 1977 est tombée à moins de 21 000
tonnes en 1984. Cette évolution demeure inquiétante à moyen et long termes,
quand on sait que le Sénégal appartient à la zone sahélienne caractérisée par la
relative aridité de ses sols qui ont, par conséquent, besoin d'un enrichissement
permanent - notamment par l'engrais - pour demeurer productifs.
Il s'y ajoute que l'augmentation de la retenue sur les producteurs
d'arachide (qui passe de 10 à 20 FCFA par kg) intervenue en 1984 comportait
le risque de décour:.ager partiellement la production de cene spéculation et
surtout de favoriser le développement des circuits parallèles de
commercialisation.
Heureusement, les mesures de 1985 ont supprimé cette retenue et
augmenté le prix au producteur ; mais parallèlement, elles ont imposé aux
paysans l'achat des engrais et des semences pour une large part au comptant,
ce qui, une fois de plus, comporte les risques antérieurement évoqués (baisse
de la production. diminution de la fertilité des sols, développement des
marchés parallèles...).
DeDuis la campagne 1989-1990, les nouvellel: conditions de prêts
!!1stituées par la CNCAS (Caisse Nationale de crédit Agricole) sont les
suivantes:
Condition préalable d'accès: être à jour des échéances des prêts
antérieurs.
Conditions de mise en place :
-
Semences d'Arachide:
- autofmancement : 35 % ;
- taux: 11,25 % sur 9 mois (15 % l'an) ;
- frais de dossiers: 1,5 Fjkg d'arachide.
-Matériel de Culture attelée:
-
autofmancement : 20 % ;
taux : 15 % l'an ;
durée : 3 ans ;
frais de dossier: variable suivant le montant du crédit
118
-Engrais:
- autofinancement: 15 % ;
- taux 11,25 % sur 9 mois (15 % l'an) ;
- frais de dossiers: 1,5 F/kg d'arachide.
- Matériel de Culture attelée :
- autofinancement: 20 % ;
- taux: 15 % l'an ;
- durée: 3 ans;
- frais de dossier: variables suivant le montant du crédit.
-
Engrais:
- autofinancement: 15 % ;
- taux: 11,25 % sur 9 mois (15 %/an) ;
- frais de dossier: 1,5 F/kg.
-
Autres intrants (riz, maïs, prestations service, etc.) :
- autofinancement :15 % ;
- taux: Il,25 % sur 9 mois;
- frais de dossier: (sauf ligne de crédit) en fonction du montant du
prêt
b) Les effets des mesures sur les revenus ruraux
En combinant la mesure de relèvement du prix de l'engrais et celle
d'augmentation de la retenue (doublement dans chaque cas), on aboutit au
résultat défavorable suivant: pour une bonne campagne, c'est-à-dire environ
100 000 tonnes d'engrais et 800000 tonnes d'arachides, les ajustements
financiers ainsi réalisés en 1983 et 1984 aux dépens du revenu rural
représentent un prélèvement de 10,5 milliards sur un revenu monétaire
agricole global de l'ordre de 60 milliards. Cette perte de pouvoir d'achat est
encore plus douloureuse pour les producteurs pendant les années de mauvaise
récolte comme 1984 où le revenu monétaire agricole global n'a été que de
21 milliards, soit 6 000 F par personne et par an. On ne soulignera jamais
assez que l'accroissement de la productivité et des rendements au niveau de
l'agriculture est absolument impossible sans une augmentation des revenus
agricoles. D'ailleurs, même le développement économique et la croissance
tirent leur source dans l'accroissement des revenus et l'expansion de la
demande qu'ils induisent. Ph. ENGHELHARD ajoute que ce n'est pas un
hasard si les pays développés subventionnent (parfois à tort et à travers) leur
agriculture. C'est le moyen de maintenir le niveau de la demande et
d'accroître la productivité.
119
Ce revenu rural a ainsi évolué entre 1986 et 1989 :
Estimation des revenus bruts issus de ia commercialisation
en milliards de francs CFA
1911,1t
UU'U
UU'17
un,l.
U,64S
0,19.1
0,30
O.OSl
J.794
47,M4
1,979
6,616
0,437
J,6I1
10,000
:n ,410
4,100
0,790
3 1a0
0,693
l,UI
0,104
, 170
.15,J17
st. 663
19.JIO
J4 371
IU'W
1.106
1.477
o 1'4
O,J50
1.J77
',JSJ
0,463
1,912
',100
0,005
J,J08
0
lODI-TOUL J
3 737
1,710
J,US
J 301
7.JOO
, 120
7,JOO
3 120
7,410
, 1JO
1.000
'.60
CULTUlIU
IJO)UIT.IILLII'
Arachide bwll.rl.
Arachide de bollCM
1 _ Arachide.
Toeat. Indaetrl.ll.
OotOft
IOUI-TOTAL 1
C.lt.~ .Iyrl.r..
MII'loraho
Pac1d7
o,no
IIortl_lt...
U.-
'r.H.
lOUI-TOTll ,
TOTll
10.320
10.420
ID UO
11.600
",J74
71,113
'J ,.lU
",J72
Source: MDR. 1990.
c) Les prix à la production
En termes constants (base 1971 ),Ie prix d'achat au producteur de l'arachide
durant cette période d'ajustement ne représente plus que la moitié à peine de ce
qu'il était entre 1960 et 1967. Cela ressort sur le tableau ci-après:
Evolution du prix d'achat de l'arachide du producteur en francs CFA
unll
Prlz "achat •• t
•• product••r
IlWIlce de. prlz
.... Iz "achat _
franc. con.tant. 1971
1960
1961
196J
196'
U64
1965
196'
1967
JO,'
22,0
JJ,O
21,5
21,5
21,5
U,S
US
'1,2
11,6
76,1
79,7
'J,7
'5,9
'7,1
'0.0
1971
l' S
100,0
1'.5
1910
UU
191J
1913
1914
41,S
46,0
10,0
60,0
J51,4
2'I,J
312,3
"1,7
316,0
11,1
11,3
l',J
I1.J
13,0
SO,O
30,S
30,1
2','
J1,o
J6,o
25,0
J4,S
J3.'
SOl/rce: Banque Mondiale. Sénégal: Agriculltlral Sec/or S/ra/egy Brie]: 1985.
120
Pour l'ensemble des principales cultures (rapportées en base 100 = 1970)
la tendance ~ l'effritement continu du pouvoir d'achat rural reste confirmée.
Prix officiels à la production, 1970-1986 en valeurs constantes de 1970
(francs CFA/kg)
ANNEES
COTON
ARACHIDES
MAÏS
MIL
1970
33
20
18
17
1971
30
23
18
17
1972
27
20
17
15
1973
25
24
20
20
1974
28
25
21
18
1975
24
22
18
16
1976
25
21
18
18
1977
23
20
18
17
1978
22
19
17
18
1979
23
19
17
18
1980
23
20
14
16
1981
24
25
16
18
1982
21
21
14
15
1983
19
19
13
15
1984
18
18
15
15
1985
23
21
16
16
1986
22
20
15
15
Source: Banque Mondiale, Sénégal: Agricultural Sector Strategy Brie!, Volume II
Annexe statistique, septembre 1987.
121
Pour les dernières années, la méthodologie' d'évaluation ~es prix aux
producteurs n'a point changé, ils ont évolué comme suit en francs CFA/k.g.
Bvaluation et projection des prix
En francs CFA
1988
1989
1990
1991
1992
1993
95
90
100
25
15
10
100
1S,O
10
100,0
25,0
14,0
10,0
100,0
25,0
84,0
10,0
100,0
2S,O
14,0
10,0
100,0
2S,O
C.r6&l_
MII-Iorabo (3)
liaI. (3)
IUz-PaddJ' (Prh:
10
10
10
10
10
70
10
10,0
10,0
10,0
70,0
70,0
pranU)
15
15
15
15,0
IS,O
15,0
110
40
55
55
110
40
55
55
110
40
55
55
110
40,0
55,0
55,0
110,0
40,0
55,0
55,0
110,0
40,0
55,0
55,0
œLTOJlBS IKOOSnlBLLBS
(Prix pranU.)
Aracbi de de boucM (1)
Arachide 4'bullerle(2)
Ootoa (1er choix)
Ta.ate IDda.trlelle
Autre. culture.
lfi6b6 (3)
.....ioc
L6~.
'ruit.
Source
2S
Statistiques de la Direction de l'agriculture
Au moment des indépendances africaines, tout le dispositif de la traite
coloniale a été transféré au nouveau pouvoir administratif qui en a préservé les
mécanismes fondamentaux : fixation des prix aux producteurs,
commercialisation des produits, système de crédits, vivres de soudure, ete.
Plus encore, les nouvelles administrations - sous la pression d'un certain
nombre de facteurs nouveaux dont notamment l'explosion démographique,
l'urbanisation anarchique ou encore le mimétisme du modèle de
consommation importé - ont renforcé le dispositif par l'institution de la
fixation des prix aux consommateurs, par la diversification des cultures
d'exportation et surtout par un accroissement du prélèvement du surplus
agraire en vue de la satisfaction des besoins urbains et administratifs. La
conséquence immédiate fut une nette régression du potentiel productif rural
122
acccssohemem amplifiée l;.'r des contraintes naturelles comme l'instabilité
climati~ue. très logiquemem, il s'ensuivit un rapide épuisement du surplus
agricole qui, conjugué au caractère généralement inadapté des technologies
agricoles importées, explique pour une large part le blocage de la reproduction
des systèmes agraires sur des bases réellement endogènes.
• L'irréalisme de la politique de prix apparaît à
lin
double niveau:
D'abord celui des prix aux producteurs:
L'analyse de l'évolution des prix au producteur des principaux produits
aglicoles permct de remarquer une nelle discrimination dans les prix officiels
offcrts aux producteurs, celle-ci se faisant en faveur des cultures de rente
généralement destinées à l'exportation et donc au détriment des cultures
vivrières qui, elles, servent à l'alimentation locale.
C'est ainsi qu'entre ]960 et ]980 :
-le prix de ]'arachide d'huilerie est passé de 22 F le kg à 50 F le kg ;
- quant à l'arachide de bouche, il culminait à la fin de la période à 70 F
lt kg;
- concernant le coton dont la production était pratiquement nulle en
1960, il fut promu à partir de 1964 (dans le cadre de la diversification des
cultures d'expoltation) à un prix variant entre 20 et 35 F/kg selon les qualités,
avant d'atteindre 59 F/kg en 1980 et passer à 70 F/kg en 1982 pour la qualité
supérieure.
Dans le même temps:
-le prix du mil-sorgho passait de 20 à 40 F/kg ;
- le maïs de 18 à 37 F/kg ;
-le riz de 23 à 41,50 F/kg ;
- le niéhé de 10 à 30 F/kg.
Manifestement, on observe que relativement aux cultures de rente, les prix
aux producteurs des cultures vivrières ne sont assurément pas incitateurs; cela
d'autant plus que la journée de travail, les charges récurrentes et les
rendements sont généralement, toutes proportions gardées, défavorables aux
produits vivriers.
A cet égard, une étude de la SONED(2) a montré que pour égaliser la
rémunération de la journée de travail consacrée au mil à celle consacrée à
l'arachide, il conviendrait, sur la base des prix de 1981 par exemple (à savoir
50 F/kg pour le mil et 70 F/kg pour l'arachide) de proposer un plix du mil au
(Lire la noie 2 p. 124).
123
1
producteur supérieurde 30 % environ à celui de l'arachide. Au~remdnt dit, on
devrait avoir:
1
- prix du mil =prix de l'arachide x (l + 30 %) c·est-à-d.ire :
prix du mil := 70 (1 + 0,3) := 70 x 1,3 = 91 F/kg et non pas 50 F;kg comme
fixé offic iellemenr.
En fait. cet exemple illustratif montre qu'en 1981.Ie mil (cu lture vivrière)
a été sous-payé par l'Etat au producteur dans une proportion de :
Le même rapport précise plus loin: « qu'il est inutile d'espérer que le paysan
fa~se dav<u1tuge de milljue ce dom il a besoin pour sa consommation tant "lu'il
ne peut vendre au prix indiqué (c'est-à-dire au prix rémunérateur) ».
Ensuite celui des prix cl la consommation l'Ïl'rière
Dans la plupart des pays africains, la fixation administrative des prix à la
consommation des biens agricoles alimentaires a été tendantiellement
caractérisée d 'une part. par une protection du consommateur aux dépens des
intérêts du producteur et d'autre part par un encouragement aux importations
massives de céréales.
En effet. les administrations publiques ont généralement mis en place
des systèmes de stabilisation et de péréquation des prix à la consommation
qui. pour la plupart. ont conduit à la situation paradoxale suivante: L1ne
péréquation positive pour les produits vivriers locaux et une péréquation
négative pour eeux impol1és.
Plus concrètement, cela signifie 'lu 'il est prélevé des ressources
financières potentielles sur les producteurs locaux en vue de subventionner
partiellement les importations céréalières. C'est ainsi. par exemple, qu'en
septembre 1973.1a Caisse de Péréljuation et de Stabilisation des Prix (CPSP)
fixait sur les marchés de Dakar le prix du mil à 130 F/kg sur lesquels le
producteur ne recevait que 25 F. tandis que le prix de vente du riz « Siam»
importé était fixé à 60 F/kg(3).
(2) SONED: Modélisation dcs prix agricoles (2 Tomes), MDR. DKR. 1981. Méthode
SONED: la mélho(\e consiste à délcnniner les prix des produits agricoles par égalisation des
margcs blutes rapponées à lajoul1lée de travail: ainsi pour deux cultW"cs en conCLUTencc (mil
et arachide p<u' exemple).
On a : Pu. Ya-cha:: Pm, Ym-chm
avec: P == prix: y::: rendement: J.Ta. J.Tm : ch == charges; JT ::: journée de trayait; a ==
arachide; m == mil.
(3) Source: Chiffres cités par Amadou DENlBELE dans L'Evolutiol! des politiques
alimcllwires au Sénégal: L'Aspect Agricole. 111èse de 3e Cyclc. Montpellier I. octobre 1984.
124
Or, une étude menée dans la décennie soixante-dix au Centre de
Recherches Economiques Appliquées (CREA) par C. ROSS(4) en 1979 établit
que pour la ville de Dakar - agglomération favorisant l'amplification par
excellence de la demande céréalière importée - l'élasticité prix de la
consommation de mil est égale à - 1. Ce qui signifie que toute augmentation
du prix de vente du mil à Dakar se traduit par une baisse proportionnelle de la
consommation de cette céréale nationale.
Paradoxalement, c'est une telle situation qui a été pendant longtemps
entretenue par la CPSP par le maintien artificiel du prix de vente du riz à un
niveau relativement très bas et celui du mil à un niveau élevé alors même que
la péréquation positive de ce dernier produit n'est pas transférée aux paysans,
les prix payés au producteur étant demeurés excessivement bas.
Enfin, on notera que cet important écart de prix relatifs artificiellement
entretenu, en encourageant indirectement l'accroissement des importations
céréalières, a fini par affaiblir la production vivrière locale, approfondir le
déficit vivrier et consacrer l'abandon par les paysans des cultures vivrières au
profit des cultures de rente et agro-alimentaires d'exportation afin de
bénéficier du prix et du régime fiscal relativement favorable qui leurs sont
attachés.
Mais si l'incohérence du système des prix dans les pays africains au
lendemain des indépendances a contribué à amplifier la crise alimentaire déjà
latente depuis l'époque coloniale. ceci n'a été favorisé que par l'orientation
décisive que ce système de prix impulsa à l'ensemble des structures de
production et de consommation.
d) Incidence des mesures préconisées par le FMI sur les baisses des
superficies cultivées
Comme il a été observé et analysé, les revenus des producteurs ruraux
(constitués à près de 80 % des revenus araclùdiers) ont très largement souffert
de l'ajustement financier et du rééquilibrage macro-financier interne et
externe recommandé par le FMI dans le cadre de ses interventions au Sénégal.
Parallèlement, les conditions de production se sont fortement dégradées à la
suite de la suppression de la subvention aux engrais ainsi que des facilités
d'acquisition des semences et du matériel agricole fortement appuyées par le
Fonds et mise en œuvre par le Gouvernement Sénégalais.
En réaction à cette situation, les surfaces cultivées ont baissé de 17 % en
1983-1984, puis de 11 % à nouveau au cours de la campagne 1984/1985. De
même, la commercialisation dans les circuits parallèles s'est accrue et a été
(4) C. Ross, Demande céréalière el préférences du consommaleur. enquête, Dakar. 1979.
125
officiellement estimée pour la campagne 1980-1 ~81 par exemple à 162 000
tonnes, soit 46 % de la production totale.
Manifestement, il apparaft à l'analyse que le retour des surfaces cultivées à
un niveau satisfaisant et l'arrêt de la commercialisation parallèle supposent un
relèvement substantiel du prix au producteur. C'est apparemment ce qu'à
compris le Gouvernement en relevant à partir de la campagne 1985-1986 le
prix de l'arachide à 90 F/kg sans retenue et celui du mil à 70-F.
Cependant, la poursuite de l'application du principe de la « vérité des
prix » pour les intraDts et le matériel agricole nécessite la mise en place d'un
système de crédit efficace et adapté. Au regard des importantes dégradations
survenues, ces dernières années, dans le secteur rural, une relance soutenue de
la produclion el l'amélioration attendue des rendements (nécessaire pour
accroître substantiellement la production) impliquent une consommation
accrue d'intrants et un renouvellement important du matériel.
2) Les incidences macro-économiques des interventions du groupe de
la Banque Mondiale sur le secteur rural
Si les mesures de politique économique fonnulées par le FMI (dans le
cadre du redressement économique) touchent essentiellement au court terme
et visent le rétablissement des finances publiques et de la balance des
paiements, les interventions de la Banque Mondiale portent, quant à elles, sur
le moyen et long tennes et visent pour la plupart à des transformations
structurelles et institutionnelles.
Par conséquent, nous allons analyser ce qu'il en a été pour le secteur rural
durant l'ajustement, ceci après avoir fait le point sur la première décennie
(1969-1979), d'intervention du Groupe de la Banque Mondiale.
a) Les performances macro-économiques du secteur rural avant
l'ajustement (1960-1979)
L'analyse du tableau ci-dessous indique clairement que l'agriculture a été
globalement moins perfonnante pendant la première décennie d'intervention
de la Banque Mondiale (1969-1979) dans le secteur qu'avant cette période.
En-effet, que ce soit du point de vue de la production, des superficies
emblavées ou des rendements (productivité des cultures), les résullats ont
sensiblement régressé ou sont, dans le meilleur des cas, restés stationnaires.
Comme le révèle le tableau 8 relatif à la production agricole et productivité
des principales cultures 1960-1961, 1986-1987.
126
II faut néanmoins atténuer cette évaluation par deux éléments justificatifs
essentiels, à savoir que:
- la première génération de projets ruraux financés par la banque a
largement souffert de l'insuffisante préparation du milieu récepteur et dans la
plupart des cas, d'une gestion défectueuse liée en partie au choix des
hommes;
- cette première période d'intervention de la Banque (1969-1979) a été
caractérisée par l'avènement et la persistance d'une sécheresse rude et
dévastatrice.
C'est à ces deux fléaux que la seConde génération de projets (1980-1990)
va essayer de remédier en renforçant le volet institutionnel et/en promouvant
la maftrise de l'eau et l'irrigation.
b) La période 1980-1990
Elle est caractérisée au Sénégal par la mise en œuvre du PREF (plan de
Redressement Economique et Financier, 1980-1985), de la NPA (Nouvelle
Politique Agricole, à partir de 1984) et du PAMLT (Programme d'Ajustement
à moyen et long tennes, 1985-1992).
Dans ces différents programmes aux effets directs et/ou indirects sur le
secteur rural, la Banque Mondiale va prendre une part prépondérante. Son
action sera centrée sur la dimension institutionnelle de l'ajustement et portera,
en ce qui concerne l'agriculture, sur l'appui technique et financier au
désengagement de l'Etat du secteur agricole, au projet d'une
responsabilisation progressive et complète des producteurs. La Banque quitte
progressivement le terrain et joue de plus en plus le rôle de bureau d'études
par le biais de ses experts ou d'entreprises commises à cet effet. Elle érige le
renforcement des capacités au rang de ses nouvelles préoccupations.
Dans cette mouvance, un plan de liquidation des SDR (Sociétés de
développement rural) jugées non stratégiques sera mis en place et exécuté
aujourd 'hui à hauteur de 83 %.
Pour les SDR épargnées provisoirement par la liquidation, elles ont da
signer des contrats-plans avec le Gouvernement aux tennes desquels elles sont
tenues à des critères de perfonnance expressément consignés dans des délais
impératifs.
Au nombre de ces SDR figure notamment la SAED (Société
d'Aménagement et d'Exploitation des terres du Delta) chargée de parachever
le programme d'irrigation (assistance, fonnation...) de l'ensemble de la Vallée
du Fleuve Sénégal en direction de l'Après-barrages.
La Banque interviendra particulièrement dans ce volet en appuyant
techniquement et financièrement la SAED et en soutenant une série de projets
complémentaires (en cours) au titre desquels notamment:
127
• Le projet d'irrigation IV
- Coat total: 65,6 millions de dollars US ;
- Financement IDA: 33,6 millions de dollars US ;
- Démarrage: novembre 1988.
Ce projet ambitionne de susciter un -développement durable de la culture
irriguée dans la région du fleuve par :
-la modernisation et l'agrandissement de trois périmètres de 700 ha ;
- le renforcement des compétences de la SAED en matière de
planification et de gestion;
- la formation des agriculteurs, d'instructeurs ainsi que du personnel de
laSAED;
- la diversification des cultures et l'exploration de nouvelles formes
d'exploitation de la culture irriguée ;
- enfin, la promotion du désengagement progressif de la SAED des
activités de production et la stimulation de la participation des agents privés
au développement de la zone.
• Le projet d'appui aux agriculteurs
-
coat total : 20 millions de dollars ;
financement IDA: 17 millions de dollars ;
démarrage: avril 1990.
Ce projet représente la première phase (quatre ans) d'un programme à long
terme destiné à améliorer les services d'appui agricole aux agriculteurs et
éleveurs, ceci par:
- la création d'un système national de vulgarisation agricole qui touchera
environ 60 % de la production rurale ;
-l'établissement de liens organisés entre la recherche et la vulgarisation;
- et le renforcement des associations de producteurs grâce à des
programmes de formation d'animateurs et d'alphabétisation fonctionnelle.
Quelles sont maintenant les incidences macro-économiques réelles de
cette nouvelle forme d'intervention de la Banque Mondiale dans le secteur
rural sénégalais?
Le déclin arachidier, malgré l'éclaircie de 1982-1983 (900 000 tonnes),
s'est poursuivi tout au long de cette période d'ajustement avec notamment les
240 000 tonnes seulement commercialisées en 1984-1985 (première année
d'application de la Nouvelle Politique Agricole).
128
Le mil/sorgho s'est beaucoup mieux comporté; bénéficiant d'une part de la
relative désaffection dont l'arachide a été victime de la part des ruraux et
d'autre part, des importantes mesures de soutien (augmentation du prix au
producteur, soutien du prix officiel par le Commissariat à la Sécurité
Alimentaire, amélioration des circuits de commercialisation) recommandées
au Gouvernement par la Banque Mondiale dans le cadre de la relance
prioritaire des cultures vivrières.
La production de riz paddy, malgré tout le soutien dont cette céréale a
bénéficié (irrigation, formation, prix...), n'arrive toujours pas à franchir le cap
des 150000 tonnes annuelles. De plus, les prix de revient sont si élevés (en
moyenne 250 F/k.g contre 130 F pour riz importé) que son développement à
grande échelle apparaît plus qu 'hypothétique dans la situation financière
actuelle de l'Etat La dévaluation va-t-elle inverser cette tendance ?
La situation de stagnation, voire (pour certaines spéculations) de recul de
la production par tête s'est traduite, notamment pendant la première moitié de
la période d'ajustement, par une aggravation du déficit de la balance agroalimentaire. Cela ressort dans les trois tableaux qui suivent:
Evolution de l'indice de la production: base 100 = 79-80 FAO
Production alimentaire ............
production agricole ................
Production alimentaire/tête .......
Production agricole/tête ...........
1970
1975
1980
1985
1987
82
81
116
115
135
134
160
160
86
86
86
86
122
123
108
108
141
141
117
117
SOlUce " Annuaire Statistique FAO, 1988.
Evolution des ratios agricoles caractéristiques
Taux de couverture des importations agro-alimentaires par les exportations agro-alimentaires ......
Taux de couverture des importations par les
exportations totales ....................................
Importations agro-alimentaires/Importations
totales ...................................................
Importations agro-alimentaires/Importations
totales ...................................................
SOlUce " Annuaire Statistique. FAO, 1989.
129
1985
1986
1987
1988
32,5
32,9
40,1
51,5
69,5
76,8
80,5
82,6
21,9
19,9
19,9
18,6
31,5
25,9
15,6
22,5
PIB agricole en milliards FCFA constants de 1979 :1981·1987
1981
1982
1983
1984
1985
1986
50,5
75,2
80,1
46,4
51,2
60,8
SOIUce: Wor1d Bank, Sénégal: Agricultural SeclDr Strategy BrieC 1988.
Ces statistiques relèvent que:
- l'indice de la production alimentaire par tête en 1980 était inférieur à
celui de 1970 (86 contre 116) et celui de 1985 était également de loin inférieur
à celui de 1975 (108 contre 160) ;
-les exportations agro-alimentaires n'ont couvert que moins des 2/5 des
importations agro-alimentaires;
- les importations agro-alimentaires ont continué à représenter 20 %
environ des importations totales et à absoroer un peu plus de 25 % des recettes
totales d'exportation du pays.
Parallèlement, le PIB agricole (en valeur constante de 1979) a presque
constamment diminué durant toute la période de l'ajustement :
- celui de 1984 (46,4 milliards FCFA) étai t inférieur à celui de 1981
(50,5 milliards) ;
- celui de 1986 était également plus faible que celui de 1983 (60,8 contre
80,1 milliard F).
Concernant enfin la politique de désengagement de l'Etat du secteur rural
(notamment du secteur agro-alimentaire) appuyée par la Banque Mondiale, les
résultats préliminaires restent très médiocres et il faudra nécessairement
attendre encore plusieurs années avant d'en faire une évaluation exhaustive et
réellement significative.
Quelle conclusion peut-on tirer de l'évaluation de ces études de cas
concernant les interventions des Institutions Financières dans les zones
rurales sénégalaises? La revue des projets montre très largement que malgré
le volume des ressources mobilisées, les résultats en matière de production, de
productivité, de rendement, d'amélioration et de vulgarisation demeurent
médiocres. Ces projets où tous les pouvoirs financiers, techniques et de
décision sont concentrés entre les mains de techniciens ont fait faillite
consacrant ainsi l'échec des politiques agricoles volontaristes inspirées et
soutenues par la Banque Mondiale et certains bailleurs de fonds. Ces
politiques étaient celles du technicien-encadreur qui après son diagnostic
constitué par (toutes les études qui ont abouti à l'élaboration du
« Mémorandum de 1984 ») se met directement à l'ouvrage. Comme l'observe
Zaki LAIDI, la Banque Mondiale attache son nom aux projets ruraux de
130
développement (PRO). A travers un montage souvent complexe, où l'Etat
envoyé au devant de la scène, les PRO se voient confier une triple
responsabilité : transférer des ressources au monde rural, imposer un savoir
technique, animer et planifier le changement économique social. Ce ~ prêt à
porter de la modefiÙsation rurale repose sur la diffusion de thèmes techniques
susceptibles d' accroftre la production agricole tout en réduisant les contraintes
qui l'affectent »(5). Au demeurant, au Sénégal, le modèle s'est avéré
totalement impertinent et inefficace. Si les projets ont échoué c'est parce
qu'ils sont souvent conçus sans que les principaux intéressés aient leur mot à
dire, qu'ils ont accordé très peu d'intérêt aux structures locales. Egalement, les
projets ont échoué faute de trouver dans la société rurale un terrain prêt à les
accueillir favorablement(6). Il pourrait en aller de même pour les mesures
disparates contenues dans le PASA qui tout en fétichisant à l'excès un
~ technicisme » cenainement indispensable, oublie ~ les dynamismes du
dedans », les structures, les acteurs et la dimension socio-politique du
développement agricole. fi est évident qu'une politique qui ignore de telles
données ne peut être que forcément vouée à l'échec total.
Que faire dans ce contexte, sinon lancer les prémisses d'une politique
agricole autre à partir de toute l'expérience accumulée depuis l'indépendance
jusqu'à nos jours. La question est alors comment réorganiser l'espace rural
sénégalais. Cette question détenninante dont dépend l'accroissement de la
productivité implique des changements importants non seulement dans les
techniques purement agronomiques mais aussi dans la structure des services
de support à l'agriculture notamment: l'environnement institutionnel, le crédit
agricole, la commercialisation, la recherche, l'offre d'inputs, la transformation
et le stockage.
(5) Zaki LAIDL Enquête sur la Banque Mondiale. Editions Fayard.
(6) Jacques GIRl, L'AfriqUl! en panne, Editions KarÙlala. 1986.
131
TRürSIEME PARTIE
Les axes d'une nouvelle stratégie
pour l' élnergence
d'une agriculture performante
./
c< Je dis que la manière dont nous procédons n'est pas
fonctionnelle. L'idée que nous puissions décider de cela à partir
de 12 000 à 16 000 km d'ici est ridicule...
Nous insistons maintenant pour que les gouvernements
conçoivent leurs propres réformes. Nous aiderons, nous
critiquerons, nous négocierons éventueHement et nous
soutiendrons financièrement ces choses qui semblent
raisonnables, mais nous n'écrirons pas ëes plans. Nous ne
dirons pas: faites ceci ou cela et nous vous donnerons l'argent.
Cela est exclus. »
E. V.K. lAYCOX, Vice-Président Banque Mondiale
Discov.rs devanlle groupe des dona/ev.rs du DAC.
Tous les indicateurs macroéconomiques montrent que le Sénégal restera
un pays à vocation rurale bien après le début du III· millénaire. Cependant,
depuis l'indépendance, la crise de l'agriculture s'est poursuivie et même
approfondie: stagnation de la production et de la productivité, déficits
alimentaires amplifiés augmentant l'instabilité et l'insécurité alimentaire (avec
des villes de plus en plus nourries par l'extérieur), appauvrissement des
paysans de plus en plus poussés soit vers des pratiques ancestrales soit vers
l'exode rural avec fonnation d'une gangrène urbaine. Tout ce processus
débouche sur le repli progressif des zones rurales sur elles-mêmes abaissant,
avec le développement de l'autoconsommation, leur participation aux
échanges marchands et restreignant à la fois la base de l'accumulation
nationale et les ressources fiscales publiques.
Le PASA mis en place depuis 1984 n'a pas réussi à faire fonctionner une
économie paysanne libérale encore moins à instaurer le minimum de
conditions d'une révolution verte même conservatrice: permettant la
combinaison de facteurs techniques, politiques et économiques qui élève la
productivité et les rendements. Au contraire, aucune des contraintes
considérées comme handicaps majeurs au développement agricole n'a été
levée comme l'absence de prix rémunérateurs pour les biens agricoles,
134
incapacité du crédit agricole à mobiliser les ressources financières pour
l'équipement du monde rural, système foncier très peu favorable, la faible
base technologique et l'inefficacité de diffusion, la prédominance de
l'agriculture extensive et pluviale, l'absence d'esprit d'entreprise au niveau
des agriculteurs totalement dépossédés de toute initiative. Si cette politique
dite libérale enregistre de si médiocres résultats, c'est parcequ'elle est la
résultante de compromis laborieux entre partenaires nationaux, institutions
financières internationales (BM et FMI), bailleurs de fonds multilatéraux et
ÛNG. Les insuccès seront révélés et aggravés par le dynamisme
démographique et urbain qui fail exploser la demande alimentaire
additionnelle en progression rapide.
Toutes ces idées ne sont pas neuves mais le problème est qu'elles sont
maintenant arrivées à maturité. Dès lors le Sénégal est placé à la croisée des
chemins et condamné à opérer les ruptures indispensables dans ses politiques.
économiques et financières en général et agricoles en particulier. En effet, au
rythme actuel de la croissance de la démographie (3,0 %) et de l'ur1:>anisation
(7 %), la population sénégalaise sera d'environ 10 millions à l'an 2000 et les
44 % de cette population vivront dans les villes (avec 25 % à Dakar). Si
parallèlement on suppose que la production agricole maintient une croissance
de 4 % avec entre autres, 2,5 % pour le riz, 3 % pour le maïs, 1 % pour le mil
et le sorgho, il faudra augmenter de 30 % à 33 % les surfaces cultivées pour
satisfaire la demande alimentaire et maintenir le niveau actuel des revenus.
Cela est matériellement impossible car, l'agriculture utilise actuellement
environ 62 % des terres arables. C'est dire qu'une rupture profonde s'impose
dans le système agraire pour éviter des déséquilibres insoutenables risquant
d'entrafner une évolution socio-politique turbulente et à tenne, explosive.
C'est dire qu'il faut inventer une nouvelle façon de penser le souhaitable et le
possible.
.
La Nouvelle Politique Agricole qui s'insère dans la mouvance de
l'approche par projets introduite par la Banque Mondiale depuis les années
soixante-dix, s'est très peu préoccupée des structures agraires, de leur logique
de fonctionnement encore moins du comportement des acteurs ainsi que de la
participation populaire. Elle s'est principalement préoccupée d'équilibre
macro-financier à court tenne au point d'occulter tous les autres problèmes
fondamentaux du développement rural. Si l'économie administrée a eu un
effet anesthésiant et inhibant sur les capacités d'initiative des acteurs du
monde rural, la politique libérale quant à elle s'est montrée comme un greffon
dont les valeurs véhiculées comme (l'individualisme, la propriété privée)
n'arrivent pas à s'enraciner dans l'organisation sociale. Ce rejet conduit
presque toujours au retour d'une partie du monde rural vers des pratiques
ancestrales, arriérées et déprédatrices de l'environnement donc au refus d'une
modernisation-occidentalisation.
135
L'approfondissement de ta crise du dév~loppement rural et plus
particulièrement celle de l'ag~ture va alors nécessiter la déftnition d'une
nouvelle stratégie agricole. Dans ce cadre, il devient nécessaire de réfléchir
sur les voies et moyens d'une politique réaliste qui relance les véritables
enjeux du développement rural. Cette stratégie pourrait s'articuler autour des
quatre principes pour l'émergence d'une agriculture performante et le
développement de la société rurale:
- d'abord, les agriculteurs doivent être 4( en bonne santé» ou tout au
moins jouir d'un équilibre nutritionnel et d'un système efficace de prévention
sanitaire ;
- ensuite, ils doivent disposer d'un espace économique suffisant défini
par les conditions d'accès à la terre et par le rapport des prix des facteurs de
production et des produits ;
- en outre, ils doivent pouvoir défendre et étendre eux-mêmes cet espace
économique en s'organisant sur une base paysanne (associations villageoises,
groupements de jeunes, coopératives) et en pesant effectivement dans le
rapport des forces politiques ;
- enftn, ils ne peuvent exploiter cet espace que s'ils disposent, par
tradition ou par appropriation, de techniques culturales, de matériels
biologiques, d'outils agricoles qui soient adaptés, à eux et à au milieu naturel.
Ces quatre principes désignent ~e sorte de critériologie pour la réalisation
d'une stratégie paysanne dans les zones agricoles minées par l'exode des
jeunes ruraux et où cependant persiste encore une forte tradition
agricole.Cependant cette sorte d'approche institutionnelle soulève un certain
nombre de questions, sur les concepts de croissance et développement
(discernables logiquement), sur le degré d'endogénéité et de mimétisme des
expériences de développement, sur le degré d'autonomisation et de
responsabilisation du paysan en bref sur les comportements
microéconomiques des acteurs, les facteurs et les structures du développement
rural. Ainsi, parle-t-on de plus en plus de développement endogène et
autocentré qui consiste à compter sur ses propres forces (self-reliance), à
développer des techniques appropriées sous forme d'instruments fonctionnels,
à prendre des décisions autonomes pour déftnir les objectifs et les moyens
ainsi que les choix du style de développement imprimé à l'ensemble de
l'économie et celui des acteurs pour le réaliser.
Cependant, le développement endogène est le contraire des tendances
autarciques actuellement observées par exemple dans les zones rurales qui
s'enferment progressivement sur elles-mêmes et sortent des échanges
marchands parce qu'elles n'y trouvent plus leur compte. Le développement
endogène n'est pas aussi le retour à des traditions et pratiques ancestrales. n
136
est question « d'enracinement et d'ouverture », pour reprendre la formule très
expressive du Président L. S. SENGHOR. En fait, il est seulement question
d'organiser pour l'essentiel de l'autonomie des décisions relatives au degré
d'ouverture de l'économie et aux choix des partenaires. A la suite d'!. SACHS
on peut décomposer le développement endogène en trois éléments :
-la capacité culturelle à se penser et à innover;
- la capacité politico-administrative à prendre des décisions autonomes et
à organiser leur mise en œuvre ;
- et enfin, la capacité de l'appareil de production à assurer sa
reproduction en conformité avec les objectifs sociaux de développement(l).
Plus concrètement alors le développement endogène se présente comme
une concentration de moyens internes afin d'atteindre un ce nain seuil
d'indépendance. Pareil modèle repose sur des prémices comme:
- la réorganisation du secteur prioritaire de l'agriculture avec le double
objectif d'amélioration des conditions de vie des paysans et de création d'un
surplus agricole susceptible de bénéficier aux autres acteurs dans le cadre de
nouveaux mécanismes de répartition et aux autres secteurs de l'économie
nationale dans le cadre de nouvelles relations intersectorielles. Pour y arriver
la production agricole doit être diversifiée afin de briser la monoproduction
destinée au marché mondial. C'est pourquoi, il faut s'engager résolument dans
la voie de la mise en place d'une agriculture diversifiée;
- le choix technologique adopté issu de la modernisation des
technologies artisanales, mais aussi des technologies de pointe importées
même si elles ont parfois un coOt substantiel en devises ;
-la prise en compte de l'environnement et des cadres de vie des hommes
et de la société ;
- l'instauration de nouveaux rapports sociaux et de production dans la
campagne en rapport avec les véritables enjeux fonciers ;
- la mise en place d'un nouveau cadre institutionnel de gestion du
développement rural ainsi que de nouvelles incitations à la production et à
l'échange;
- le développement industriel tourné prioritairement vers le marché local
et suffisamment intégré à l'agriculture dans le schéma inter-branches de
l'économie, etc.
Toute stratégie viable doit traduire l'ensemble de ces questions en
programmes mis en cohérence et articulées pour sortir de la crise agricole
surtout après les faibles performances du PASA ? Quels seraient alors
les cadres institutionnels de cette stratégie agricole de développement
(1) I. SACHS, Le potenJiel du développemenJ endogène. EHESS. Paris, 1983.
137
endogène? Comme le souligne P. JACQUEMOT (1994), le cad.re
institutionnel est aussi important pour la réussite d'une stratégie que les
paramètres micro et macroéconomiques maftrisés au niveau des projets et des
filières.
Cette dernière partie de notre réflexion tente d'apporter des réponses à ces
questions à panir d'une analyse des composantes d'une politique agraire
intégrée et unifiée. Pour des raisons méthodologiques ces différentes
composantes intimement liées seront séparées pour mieux être étudiés afm de
les traduire en objectifs. Il ne fait l'ombre d'un doute que le développement du
Sénégal ne peut se réaliser qu'à partir des campagnes ce qui devrait faire de
l'agriculture un secteur moteur et donc de croissance primaire. Bien que cette
nécessité soit unanimement perçue et acceptée, il n'en demeure pas moins que
la politique actuellement appliquée produit des conséquènces inverses:
appauvrissement accéléré du monde rural, avec comme issue un dépeuplement
progressif des campagnes entraînant une insuffisance à la fois quantitative et
qualitative de la force de travail. En conséquence, il ne sen à rien de s'entêter
à vouloir maintenir des politiques qui se sont avérées peu performantes depuis
une trentaine d'années et qui, sans aucun doute, ne moderniseront pas le
monde rural. Il faut alors s'orienter résolument vers la recherche et la mise en
place de nouvelles stratégies qui permettent véritablement l'émergence d'une
agriculture performante. La stratégie est entendue comme la combinaison de
politiques, des objectifs et des moyens pour les atteindre.
138
"
'--
.
"
CHAPITRE 1
Organisation de la production
en vue de la relance de la croissance
• 1) L'état des filières agricoles et leur réorganisation dans l'optique de
la relance de l'économie rurale
Les cultures de rente traditionnelles, arachide et coton continuent
d'occuper une place centrale dans l'économie agricole. Ces deux productions
représentent 48 % de la production agricole totale et 93 % de la valeur des
exportations agricoles (soit environ 20 % de l'ensemble des exportations
nationales). En matière de revenu également, elles fournissent jusqu'à 70 %
des revenus monétaires notamment dans le bassin arachidier (Régions de
Thiès, de Diourbel, du Sine et du Saloum) et dans les zones cotonnières
(Régions de Tamba, de Kolda et Département de Kaffrine).
Au vu de ces statistiques, il apparaît clairement que l'économie
sénégalaise n'arrive pas encore à échapper aux schémas de dépendance établis
depuis la période coloniale. Les fluctuations économiques traversées par le
pays depuis l'indépendance sont rythmées par celles de l'économie
arachidière. La production après avoir connu un record absolu au cours de la
campagne 1965-1966 (avec 1 200 000 tonnes) accuse une succession d'années
difficiles avec au passage une campagne catastrophique en 1972-1973
(environ 400 000 tonnes). A ces difficultés se sont ajoutées celles liées à
l'évolution erratique des cours mondiaux qui descendent parfois à un niveau
bien inférieur au prix versé aux producteurs.
Cette perte du poids relatif de l'économie arachidière dans le PIB, les
revenus de l'Etat et les ressources d'exportation avait amené les pouvoirs
139
publics à promouvoir une politique de diversification des produits de rente
pour atténuer les conséquences négatives liées à cette baisse cyclique de la
production arachidière. Dans cette direction, la culture du coton a été
développée et élargie. C'est seulement par ce biais de la diversification que le
dynamisme de l'économie devrait continuer de dépendre de conditions de la
mise en valeur d'une rente assise sur des produits agricoles d'exportation
(arachide, coton, produits maraîchers).
En ce qui concerne la production vivrière, essentiellement, les céréales,
elle est très insuffisante pour couvrir les besoins des villes et des campagnes.
Le Sénégal consomme environ 1,2 million de tonnes par an (en équivalent
produit consommable) et produit à peine 700 000 tonnes selon les conditions
climatiques.
Dans les stratégies d'irrigation pour la mise en valeur du barrage de
Diama, une politique de résorption du déficit céréalier avait alors été élaborée
avec pour objectif principal l'amélioration du taux de couverture des besoins
nationaux de 53 % (en moyenne annuelle sur la période 1970-1984) à près de
80 % à l'horizon de l'an 2000. Les cultures pluviales de maïs, de niébé et des
mils-sorghos devraient offrir des perspectives importantes sous réserve de la
mise en œuvre effective d'une politique de prix incitatifs, de rorganisation
des circuits de commercialisation, de la fourniture d'intrants à baSpiix et de la
promotion active de la consommation des céréales locales aupr~'s des
populations urbaines en expansion rapide.
Pour mieux cerner les problèmes soulevés tout aussi bien par les cultures
de rente que par les cultures vivrières, il importe d'analyser les filières de ces
productions afin de bien appréhender leurs évolutions et les problèmes
qu'elles posent au reste de l'économie nationale.
a) Les filières des cultures de rente
~ La filière arachidière
-
Globalement l'arachide couvre entre 45 et 58 % de la surface cultivée dans
les quatre régions constitutives du Bassin arachidier. Ces superficies sont de
30 % en Casamance, 26 % au Sénégal Oriental et 7 % au fleuve. De plus,
l'arachide apporte l'essentiel des revenus agricoles monétaires et avec eux les
moyens de travail: semences, engrais, machines (semoir et houe), produits de
traitement.
Le tableau qui suit montre parfaitement la part de l'arachide dans le revenu
monétaire:
140
\
Part de l'arachide dans le revenu monétaire
......
en milliards de FCFA
Aar i cv aeur.
1979
1980
1981
1983
aeVeDU .an'taire
total
34,9
19,8
10,7
47,1
60,8
aevenv arachide
29
17,0
87
42,5
56,4
" arachide
83"
86"
81"
90"
SOURCE
-A
1983
93"
FMI
La production arachidière est très fortement fluctuante. Les variations
erratiques observées proviennent de deux facteurs essentiels : les conditions
climatiques et l'extrême instabilité des cours mondiaux. Le cours de l'huile
(CAF Europe) est passé de 546 $/tonne à 1 077 $/tonne. De 1975 à 1979 il a
régulièrement chuté pour ne remonter qu'en 1978 et surtout en 1983-1984.
Pour cette defIÙère période, le cours est passé de 711 dollars la tonne à 1 017.
On observera que sur une période assez longue de vingt-quatre ans (19601984) le cours mondial de 1'huile ne s'est substantiellement amélioré que
quatre fois: en 1974 (1 077), en 1978 (l 079), en 1981 (l 043) et en 1984
(l063).
Egalement, les années de bonne pluviométrie ont aussi correspondu à une
production record d'arachides d'huilerie: 1 051 000 tonnes en 1978-1979.
986 000 tonnes en 1982-1983, 946 000 tonnes en 1987-1988 et 820000
tonnes en 1989-1990, avec par la suite, une tendance générale à la baisse.
Quant aux années de sécheresse elles se sont traduites par une contraction
drastique de la production: 508 ()()() tonnes en 1977-1978,486 ()()() tonnes en
1980-1981,571 000 tonnes en 1983-1984,591 000 tonnes en 1985-1986. Les
mauvaises pluviométries des campagnes 1990-1991 et 1991-1992 ont entraîné
un recul de la production qui est passée de 820 000 tonnes en 1989-1990 à
679000 tonnes en 1990-1991 et 697 000 tonnes en 1991-1992.
Tous ces éléments montrent clairement que le niveau de la production est
fortement tributaire du déroulement de l'hivernage, si bien que les conditions
climatiques constituent la première variable agissant directement sur les
quantités d'arachides livrées par les paysans. De plus deux autres éléments
peuvent déteindre sur le niveau de la production à savoir les intrants et le
revenu réel versé au paysan.
141
L'influence des intrants va de pair avec le problème des semences
sélectionnées et celui de l'appauvrissement des sols. Manifestement, les sols
du bass in arach id ier ne sont pas indéfiniment extens ibles et en unlQe.rili-siècle
ils ont donné tout et ont maintenant besoin d'un soutien extérieur pour
continuer à satisfaire les cultivateurs.
Les données statistiques cachent, cependant, la corrélation qui existe
entre l'utilisation d'engrais et le rendement du faitque les années à rendements
élevés sont justement celles où les conditions écologiques ont été bonnes. Il
n'en demeure pas moins vrai que la non utilisation de l'engrais, sunout après
l'instauration de la vente au comptant de ces intrants chimiques, décidée à
panirde 1985/1986, a entraîné des conséquences négatives sur la productivité
dans l'ensemble du bassin arachidier.
Le relèvement des prix au producteur de 1985-1986 s'est traduit, l'année
suivante, par une augmentation de la production alors que l'abaissement de
1988-1989 n'a entraîné qu'une légère contraction par rapport au ni veau de
1987-1988. En ce qui concerne les emblavures, le Pr François BOYE établit
une relation entre le comportement des paysans et une modification des prix.
Dans « 45 % des cas où le prix au producteur a connu une variation ( 1973,
1979, 1981. 1985, 1988), les paysans ont réagi irrationnellement : en'
modifiant leurs emblavures d'arachide en discordance avec l'évolution de
leur rémunération unitaire »(2). De cette analyse il découle que le revenu réel
versé aux paysans est un facteur explicatif de l'utilisation parcellaire de
l'engrais mais pas des superficies ensemencées. La politique des prix
pratiquée jusqu'à présent, si elle permet de limiter la vente sur le marché
parallèle de la récolte ou le retour de la paysannerie à une culture
d 'autosubsistance, ne saurait à elle seule suffire à déterminer le niveau de la
production.
Contrairement aux idées avancées par beaucoup d'auteurs et de rapports
techniques, les paysans auraient continué à maintenir un niveau de production
leur permettant d'acguénr un revenu monétaIre substantiel guel gue S01t la
politique des prix du gouvernement. A l'instar du cacao ghanéen écoulé sui
le marché ivoirien au temps où les prix intérieurs étaient au plancher, les
paysans se seraient tournés vers des marchés plus prometteurs. On estime que
seulement 50% de la quantité de la production nationale aété commercialisée
dans des circuits officiels durant la période 1980-1985,
Quels sont les coûts et bénéfice de la filière arachidière pour l'économie
nationale?
En termes de coût, un rappon réalisé par THENEVIN pour le compte du
ministère des Relations Extérieures montre que l'Etat à un bilan négatif pour
les effets directs de la filière arachidière :
ln
(2) François BOYE. Le modèle de la Banque Mondiale au crible de l'expérience Sénégalaise.
Revue Sociétés. Espaces. Temps. 1992.
« La crise de l'Agriculture Afri-::aine ».
142
_. 15,6 milliards en 1981, principalement à cause du déficit de la filière
semencière (- 9,6 milliards car la SONAR n'a pas eu de recettes en 1981,
année de transition après la disparition de l'ONCAD) et des dépenses de
péréquation sur les huiles consommées au Sénégal (- 6 milliards) ;
- 20,3 milliards en 1982 par suite du déficit de la SONAR (- 7,1 milliards) et du barème de commercialisation (-14,5 milliards, les frais de
commercialisation et d'achats des graines aux producteurs excédent
considérablement les recettes procurées par les ventes des graines aux huiliers
à cause de cours internationaux exceptionnellement bas) ;
- 9,3 milliards en 1983, dont - 4,1 milliards pour la SONAR et - 3,5 milliards pour le barème de commercialisation des graines par suite des ventes à
bas prix en début d'armée; la SEIB a reçu une subvention de 4,1 milliards car
elle a vendu son huile exponée à bas prix de sone que l'Etat est déficitaire de
400 millions vis-à-vis des huiliers, malgré les bons résultats obtenus par la
SONACOS et la péréquation positive de l'huile vendue localement
(augmentation du prix de vente aux consommateurs en aoOt 1982) ;
- 7,6 milliards en 1984, dont - 6,6 milliards pour la SONAR.
En résumé, les trois grands postes de déficit de l'Etat sont:
- la filière semencière, ce qui va conduire les bailleur de fonds à exiger
une réforme de cette activité;
-la SEIB qui travaille dans de mauvaises conditions financières et triture
des quantités de graines insuffisantes par rappon à sa capacité de production.
Les coOts fixes élevés et le manque de souplesse financière pennettant de
vendre au moment opponun, expliquent le coOt considérable que représente la
SEIB pour la filière arachidière ;
- le barème de commercialisation, lorsque les cours internationaux sont
bas (faibles recettes du barème) et par suite de coOts excessifs de cenains
postes: pertes et fraudes (dépassant 3,3 milliards en 1982-1983), frais
financiers (les huiliers se finançant sur le poste du barème en retardant le
paiement de leurs achats de graines), transports. On peut noter que les huiliers
ne semblent pas avoir obtenu une très grande efficacité dans la gestion du
barème qui reste aussi coOteux qu'auparavant pour la CPSP(3).
Depuis, une étude la Banque Mondiale pennet, avec des hypothèses de
prix internationaux, d'établir le bilan de la filière pour la fin des années
quatre-vingt(4). En considérant le cours mondial des graines en FCFA et le
prix producteur indexé CFA/k.g, on obtient les deux tableaux suivants :
(3) CPSC : Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix. THEVENIN, Analyse
économique de la filière arachide. ministère des Relations extérieures, Paris, 1984.
(4) Banque Mondiale, Rapport 814186.
143
Cours international graine. en FCFA
ADn"
.7POth~.e
PCU/tonne
nh_lI
"
1'0,_ _
.,pot....
Div_a
"
1911
130.513
+ 3,1
130.513
+3,'
191.
110.316
- 1
131.751
+1
1989
103.514
- 6
116.141
-4
97.464
- 5.1
113.514
-3,7
·1990
Prix au producteur indexé CFA/kg
AnD'e
H,poth6l1e bIuIe
Hypoth6l1e 80yenne
1917
54
54
1911
56
56
1919
53
57
1990
41
55
t
Les prix indexés dégagés par le mécanisme d'ajustement se situent à un
niveau inférieur à celui du prix pratiqué qui est de 90 F/lcg.
Sur la base de ces données, en 1987-1988, pour une production de 850000
tonnes d'arachide, la production à triturer devrait être de 556 000 tonnes ce
qui dornera lieu à un déficit. normal» de : 556 000 x (90 - 54)
= 20 milliards de FCFA pour l'arachide.
fi est ainsi établi que la filière arachide risque de rester pour longtemps
déficitaire, ce qui amène à se poser cette double question:
- La filière arachidière peut-elle survivre ?
- L'arachide peut-elle réellement continuer à jouer un rôle entafnant pour
l'économie nationale?
A ces deux questions, les bailleurs de fonds et les Institutions Financières
Internationales répondent, dans l'optique de l'assainissement économique et
financier, par la restructuration profonde de la filière et d'œuvrer pour réaliser
son équilibre ou son abandon.
Au plan strictement économique, l'étude de Thenevin révèle le rôle que
joue l'arachide directement et indirectement dans l'ensemble de l'économie.
Un extrait de l'étude établit nettement les effets induits de la production
144
arachidière sur l'économie. En effet. il est écrit que « si l'on tient compte des
effets indirects dus aux effets d'entraînement de l'économie par les
consommations intermédiaires des entreprises, la situations 'améliore
puisqu'une valeur ajoutée supplémentaire de 8,1, 14,3,15.1,10,7 milliards est
créée de 1981 à 1984. Le bilan de l' Etat se serait amélioré de plutôt 0.8, 1.7.
1.8. 1.1 milliard. et surtout les revenus des entreprises (transports. services
principalement) et les salaires augmentent: entre 6 et 9.8 milliards selon les
années pour les entreprises. et 2.1 à 4.6 milliards pour les salariés. Au total,
l'ensemble des effets directs et indirects de la filière arachidière est résumé
dans le tableau suivant (en millions de fCf A) :
En millions de francs CFA
Agents
83/84
80/81
81/82
82/83
18.573
45.440
23.160
Salariés
8.371
11.307
10.834
Institut. Finan.
1.248
3.821
1.5:U
Entreprises
8.638
12.669
9.667
-14.769
-18.560
- 6.436
Valeur ajoutée
totale
22.061
-54.677
-91.014
38.756
Exportations
8.699
49.319
75.756
52.785
15.703
18.333
16.344
25.541
- 7.004
30.986
59.414
27.244
Producteurs
Etat
Import.incluses
Solde
Le budget général de l'Etat profite de l'entraînement de l'économie. la
pression fiscale sur les revenus des agents et la taxation de la consommation
des ménages. Avec une pression fiscale et une taxation de la consommation
correspondant à un taux d'environ 20 % des revenus des seuls ménages
producteurs et salariés, l'Etat recevrait 5.11. 14 et 7 milliards de 1981 à 1984.
On peut donc dire que. du point de vue du budget de l'Etat, la filière arachide
est neutre sur l'ensemble de la période 1981/1984. Ce résultat estévidemment
145
bien inférieur à ce que l'on observait il y a quelques armées, mais il n'est pas
aussi mauvais que certains le prétendent.
Par ailleurs, le secteur arachidier est l'un des mieux organisé de
l'économie. li est indéniable qu'un plan de développement est plus facilement
applicable à des coopératives arachidières qu'à des exploitations individuelles
ou famluâIes.
Enfin, bien que les coOts de production de l'huile raffinée soient élevés,
que les subventions aux prix aux producteurs soient de plus en plus
contraignantes pour le fonds de garantie de l'arachide, la fermeture d~
huileries ou l'abandon de la filière arachidière est financièrement justifiahl~ J
mais économiquement oas soùhaitable. Il n'est oas du tout sOr que les
,économies réalisées sur l'importation d'huile raffinée servent à financer le
développement économigue de la nation sans oublier aue cela revient à ~
accentuer la dépendance alimentaire du pays vis-A-yis de l'étrang'Er. Si pour
une raison quelconque les prix étrangers venaient A augmenter de façon
vertigineuse le pays se trouverait complètement pris au dépourvu car l'huile
d'arachide est aussi vitale que le riz consommé en grande quantité.
La baisse de la production de ces deux dernières années n'a pas permis
aux huileries de fonctionner à pleine capacité. Le défi majeur est d'arriver à
s'affranchir des aléas climatiques, à produire une quantité en rapport avec la
capacité de trituration des usines par l'utilisation de techniques culturales plus
performantes.
Au total, très fortement structuré, le secteur arachidier peut parfai't.ent
représenter un exemple d'intégration verticale réussie (toute la production
.commercialisée étant transformée en huile et tourteaux). Il peut toujours
participer Ala relance de la croissance économique du pays, mâlgre la VISIOn
pessimiste des bailleurs de fonds. seulement, il faudra élaborer une véritable
politique arachidière en cohérence avec les autres éléments de la stratégie
proposée de développement ruiât.
-.
• Le coton
La production de colOn a atteint un niveau record en 1992, en franchissant
pour la première fois depuis plus de dix ans le cap des 50 000 tonnes, pour
se situer à 52 000 tonnes contre 45 000 tonnes il y a un an. Elle occupe
actuellement 2,2 % des superficies cultivées, soit 44 164 hectares. Après
la chute un peu brutale constatée au cours de la campagne 1989-1990 où
la production malgré l'augmentation des rendements n'a été que de
29 000 tonnes, le coton a repris de l'intérêt au niveau des producteurs. La
baisse de 1989-1990 procède principalement de la diminution des superficies
ensemencées qui sont passées de 38560 hectares à 24 183 hectares en un an.
146
Contrairement à l'arachide, la production annuelle de coton est assez
stable. avec une moyenne de 39 200 tonnes pour les dix dernières années. Le
prix moyen aux producteurs (il existe trois qualités de coton) resté inchangé
depuis six ans (100 FCFA le kg de coton graine de première qualité depuis
1985-1986), combiné à l'illusion monétaire, est en partie responsable de cette
stabilité. Celle-ci est également le résultat d'un encadrement réussi de la
Société pour le Développement des Fibres Textiles (SODEFITEX) qui a
apporté un appui constant à la culture du coton dans les régions du SineSaloum, une partie du Sénégal Oriental et en Haute Casamance. C'est tout
cela qui fait écrire à Jean B. VERON que 4( le coton est la culture la plus riche
(grâce à la recherche) et la plus stable, et qui a bénéficié d'une forte
organisation animée par des équi'pes compétentes. Les paysanneries ont
compris l'intérêt qui s'attache au développement d'autres cultures notamment
vivrières. Elles ont appris à arbitrer leurs emblavures selon l'évolution des
prix de tel ou tel produit. Ce qui attire le paysan d'Afrique de l'Ouest vers le
coton, c'est non seulement un bon prix, mais du fait des succès de la
recherche, un rendement à l'hectare quintuplé, un paiement assuré et une
retombée technique sur le vitrier »(5). Le rendement moyen, contrairement
aux cultures de rente traditionnelles (café, cacao, arachide) a doublé passant
de moins de 500 kg à l'hectare à la fin des années soixante à plus de 1 000 au
début des années quatre-vingt-dix. 4( Le coton paie pour la santé, les pistes,
l'hydraulique villageoise, l'alphabétisation fonctionnelle et permet de pallier
l'impécuniosité de l'Etat ainsi que le délabrement des services publics »
(p. 268).
Il reste que les performances financières de la filière se révèlent parfois
peu satisfaisantes du fait de la tendance prononcée à la baisse du coton sur les
marchés internationaux, suite à la bonne conjoncture que traverse
actuellement l'industrie textile dans le monde. En effet, les exportations
nationales annuelles de coton représentent en moyenne 5 milliards de FCFA
correspondant à environ 2,5 % des exportations totales.
li est vrai que cette haute conjoncture s'est aujourd'hui fortement dégradée
amenant le Gouvernement à soutenir, par le biais de subventions de plus en
plus substantielles, le maintien des parts de marchés extérieurs constamment
menacées par la saturation relative de la demande étrangère et la chute
continue des cours mondiaux. Dans cette direction si la filière a connu, en
1985-1986 des résultats excédentaires (10,5 milliards de FCFA de 1983 à
1985), depuis lors, suite à l'effondrement des cours, et malgré une réduction
sensible des prix de revient (passés de 750 F/kg en 1985-1986 à 600 F/kg de
(5) Jean B. VERON, " Le sauvetage des filières cotonnières africaines », p. 268-274, in La
France et l'Afrique. Edilions KarÙlala, 1993.
147
Fibre en 1988-1989 en position CAF), la filière a été déficitaire. De 1986 à
1988 inclus, le déficit cumulé s'est élevé à près de 10,9 milliards de FCFA.
Cette situation ne permet pas à la filière de dégager des ressources
nécessaires pour son équilibre financier.
Malgré la mauvaise conjoncture actuelle (tendance défavorable des prix
mondiaux de la fibre et des produits oléagineux) le coton reste un des produits
d'exportation assez bien adaptés au Sénégal et susceptibles de compenser les
risques d'une trop grande dépendance vis-à-vis de l'arachide.
Une restructuration de la sous-filière s'impose et cela passe par la mise en
œuvre des mesures suivantes:
- la sélection rigoureuse des écosystèmes adaptés à la culture du coton
comme la Région de Kolda où les COOLS unitaires de production selon les
meilleures techniques culturales varient entre 93 et 96 FCFA/kg ;
- l'amélioration des performances techniques de la filière par
augmentation du rendement à l'égrenage de 40 à 42,8 % ;
- l'amélioration de la productivité avec le maintien de la qùalité de la
fibre dans les usines;
- la culture d'une partie du coton destinée au marché international des
produits oléagineux (SONACOS...) ;
-la mise en place d'un système de prix flexible;
-la création d'un Fonds de Stabilisation interne à la filière ;
- l'introduction de la culture irriguée du coton dont les expériences sont
en cours dans la vallée.
La réalisation de ces différentes mesures nécessitera la mise en place de
financements nouveaux dans le cadre de la mise en œuvre de la troisième
lettre de Mission de la SODEFITEX.
A l'instar de l'arachide, le coton est un exemple réussi d'intégration en
filière, à travers la SODEFITEX qui est chargée de l'égrenage de la totalité de
la récolte cotonnière et de l'approvisionnement des filatures et tissages. Pour
que le coton puisse concourir à l'essor industriel du pays il faudrait exercer un
contrôle plus rigoureux sur l'approvisionnement du marché local en fils et
tissus afin de lutter contre la concurrence étrangère. C'est dire que pour le
coton il ne s'agit pas de conquérir à tout prix un marché extérieur déjà saturé,
mais de produire pour la consommation nationale. La quanti té de la
production est directement liée à l'utilisation d'intrants et à la protection
phytosanitaire des plantes.
En dehors de l'arachide et du coton, les produits maraîchers peuvent être
rangés parmi les cultures de rente même s'ils ne remplissent pas intégralement
ce rOle.
148
• Les produits marafchers
Le Sénégal, à travers la Région du Cap-Vert et les Niayes, possède
d'excellentes dotations naturelles pour développer les cultures maraîchères à
la fois pour l'autoconsommation, l'approvisionnement des villes et
l'exponation. A ces aspects positifs, s'ajoute le fait que le maraîchage possède
un coefficient élevé d'absorplion de main-d 'œuvre, en conséquence, dans
cette période marquée par un chômage massif, l'élaboration d'une politique
maraîchère devient à la fois importante et urgente.
La production maraîchère concerne essentiellement la tomate industrielle,
le haricot vert, la pomme de terre et les légumes. La tomate industrielle est
cultivée dans le Sine Saloum, en Casamance et dans la région du fleuve où
une usine de transformalion, la Société Nationale des Tomates Industrielles
(SNTI) est installée. La production qui a aueint 60 000 tonnes en 1992 est en
constante progression avec un taux de croissance annuelle moyen de 8 %,
depuis 1988 ce qui représente une bonne performance.
Concernant la production de légumes, elle se fixe à 175 000 tonnes en
1992 et croît à un taux presque identique (8,6 %). Cette croissance est
exceptionnelle pour le secteur agricole et montre toutes les potentialités
positives que peuvent offrir la culture intensive.
Les produits maraîchers tels que les pommes de terre, auraient pu suppléer
certaines importations si une politique adéquate de protection et de contrôle
des importations était menée.
Cependant, le développement à grande échelle de la production
maraîchère est aujourd 'hui limité par le prix élevé des intrants qui fait que les
cultures maraîchères reviennent chères comparativement aux importations.
Dans ce contexte, il faut soit encourager la production locale en supprimant
une partie des importations ou en les taxant adéquatement au moment des
récoltes afin de permettre l'écoulement de la production locale, soit
subventionner les intrants afm de réduire les coOts de revient. li faut s'atteler à
éliminer tous les facteurs susceptibles de bloquer cette activité qui non
seulement, permet de résorber le chômage mais aussi de réaliser des
économies de devises.
C'est pourquoi il importe d'élaborer une politique maraîchère plus
cohérente et plus intégrée en finançant les semences et en réglant les
difficultés d'écoulement de la production une fois les récoltes achevées.
Une telle politique devrait aider à la promotion des cultures maraîchères
qui contribueront à l'élargissement des sources des revenus ruraux. Un pays
comme le Burkina-Faso malgré tous ses handicaps naturels obtient de
remarquables résultats dans ce domaine, même si les contraintes de transport
par les compagnies aériennes continuent à saper les efforts entrepris par ce
pays. Avec une politique plus cohérente le Sénégal pourrait devenir un
149
exportateur net de légumes de contre-saison ve~ l'Europe pendant l'hiver
quand les prix sont particulièrement favorables.
Au total, l'agriculture de rente est caractérisée par sa relative intégration
au secteur secondaire dont les industries agro-alimentaires fournissent 40 %
de la valeur ajoutée ce qui les placent en tête dans ce secteur. En conséquence,
si le Sénégal n'a pas réussi à réaliser un développement auto-entretenu fondé
sur le dynamisme de son agriculture cela provient principalement de l'absence
d'une stratégie globale et planifiée définissant des objectifs clairs, désignant
des agents pour les exécuter et mettant en place des mécanismes fiables et des
structures adéquates d'encadrement. Par ailleurs, en consacrant ainsi
l'essentiel de ses moyens humains (paysans et encadreurs), naturels
(meilleures terres) et financiers (équipements et intrants) à la valorisation
prioritaire des cultures d'exportation, le Sénégal a corrélativement créé les
conditions de la formation et de l'accentuation d'un déficit vivrier déjà latent à
l'époque coloniale. En conséquence, il faudra encore recourir à des
importations alimentaires croissantes qui vont de plus en plus peser
lourdement sur les finances publiques et sur le déficit extérieur.
Le riz importé supplante ainsi progressivement, même jusque dans la
plupart des wnes rurales, le mil-sorgho, le maïs et le ruébé, engageant ainsi le
pays dans une extraversion généralisée des structures de consommation
alimentaire.
Dès lors, une politique agricole de rente bien conçue, mieux élaborée
pourrait contribuer à la constitution d'une base autonome d'accumulation pour
la reconstruction du potentiel de production surtout si les divers prélèvements
opérés par l'Etat et les divers usuriers sont substantiellement réduits.
a) La filière céréalière
Le Sénégal accuse un déficit céréalier structurel. La production nationale
constituée par ordre d'importance décroissante du mil, du maïs, du sorgho et
du riz couvre à peine 50 % des besoins selon les conditions climatiques. li est
importé annuellement près de 400 000 tonnes de riz (338 000 en 1992) et plus
de 150000 tonnes de blé (151 200 en 1992) pour nourrir la population. Sur la
base d'un objectif d'autosuffisance en céréales de 80 %, d'une population
projectée de 10 000 000 d 'habitants en l'an 2000 et d'un besoin individuel de
consommation de 170 EPC, il faut une production d'environ 1,700 million de
tonnes. La réalisation de cet objectif implique le passage d'un taux de
croissance annuel moyen de production des céréales locales de 1 % à 6,1 %
(de 1992 à 2(00). fi est évident que pour atteindre un tel objectif, il faudra
surmonter beaucoup de contraintes dont certaines ont déjà été évoquées à
plusieurs reprises.
150
Dans la perspective de solution du déficit céréalier, il a été élaboré avec
l'assistance de ~a FAO un plan céréalier en 1986 qui fixe les objectifs
généraux à atteindre, les moyens et les ressources à mobiliser. Comment
évoluent, dans ce cadre, les sous-filières céréalières?
• Le mil, le sorgho le mars et niébé
Le mil et le sorgho
Ces deux céréales occupent plus de la moitié des superficies emblavées.
Avec une production de 670 599 tonnes en 1992, le mil et le sorgho demeurent
la principale culture vivrière du Sénégal et nourrissent principalement les
populations rurales. Cette production a subi les effets cumulatifs des
sécheresses récurrentes et n'est pas parvenu à atteindre son niveau record de
950000 tonnes de la campagne 1985-1986. Les fluctuations des récoltes, au
cours des dix dernières années, traduisent l'influence prépondérante de
l'instabilité de l'environnement naturel (climat, pluviométrie) et des
prédateurs de tous ordres.
Le prix aux producteurs fixé à 70 francs CFA le kilogramme depuis 1985
(en principe considéré comme un prix plancher), aussi bien pour le mil que
pour le sorgho, n'est point responsable des variations erratiques des quantités
produites. En effet, les paysans produisent principalement pour leur propre
consommation et ne vendent que le surplus pour acquérir quelques biens
accessoires en milieu rural. La recherche d'un revenu monétaire apparaît
comme un objectif secondaire dans la culture du mil et du sorgho. D'ailleurs,
la demande de ce bien alimentaire au niveau des agglomérations urbaines et
semi-urbaines se heurte aux habitudes extraverties de consommation.
Les statistiques sont formelles, les populations urbaines ont fait du riz,
l'élément de base de leur alimentation, le mil n'entrant que très peu dans la
confection de leurs mets. Les tentatives d'introduction de la consommation de
mil en milieu urbain, entrepris à travers le mixage avec des produits agroalimentaires importés, n'ont jusqu'à présent pas entraîné de grands
bouleversements dans les habitudes de consommation. Le principal écueil
qu'il faudra surmonter si l'on veut dans un proche avenir atteindre
l'autosuffisance alimentaire concerne la modification des habitudes
alimentaires.
Derrière le mil et le sorgho, le maïs se positionne comme la troisième
céréale vivrière du Sénégal.
Le maïs
La production du maïs a subi un remarquable accroissement tout au long
du II" Plan (1964-1968) pour amorcer une tendance à la baisse par la suite à
151
partir du III" Plan. C'est dans cette période que la production la plus basse a
été enregistrée. A panir de 1973-1974,. un meilleur encadrement et surtout des
prix plus rémunérateurs ont permis de relancer et d'améliorer la production.
Les prix sont passés de 25 FCFA en 1973, à 41,7 FCFA/k.g en 1974-1975,
70 FCFA en 1981. Cette évolution des prix conjuguée à des conditions
climatiques plus favorables s'est traduite par la réalisation d'une production
record : 146 900 tonnes en 1985-1986.
Cette production, en hausse depuis 1987-1988, a subi cependant un coup
d'arrêt en 1991-1992 en s'établissant à 103 000 tonnes contre 133 000 tonnes
la campagne antérieure soit une baisse de 23 %. Le maïs représente Il % de la
production céréalière du Sénégal et occupe près de 5 % des superficies
cultivées. Cette céréale nécessitant beaucoup d'eau, intéresse principalement
la Casamance, le Sine-Salown et le Sénégal-Oriental. Le maïs dont le prix au
producteur maintenu au même niveau que celui du mil et sorgho, soit
70 francs le kilogramme depuis 1985-1986, est appelé à subir une évolution
défavorable si des mesures d'incitation et d'organisation de la
commercialisation ne sont pas prises.
Le niébé
Le niébé est le type même de production bénéficiant de toules les
dotations naturelles pour se développer de manière satisfaisante et de surcroît
il possMe une forte capacité nutriùve. Seulement, l'absence de marché donc
d'une promotion adéquate de la consommation a freiné l'écoulement de la
production qui a atteint ces dix dernières ~ées un niveau extrêmement élevé
(80000 tonnes annuellement). La culture réagit parfaitement à l'utilisation de
l'engrais qui a fait passer les rendements de 250 kg/ha dans les années quatrevingt à plus de 400 dans les années quatre-vingt-dix.
Les statistiques révèlent, cependant, une baisse régulière de la production
depuis 1986 et cela malgré l'amélioration notable des rendements. Elle s'est
établie à 17 000 tonnes pour remonter par la sui te jusqu'à 26 000 tonnes en
î 990 et redescendre à 12 000 tonnes en 1991. La superficie cultivée est
d'environ 50 000 hectares.
Le prix au producteur qui est de 110 FCFA/k:g est plus rémunérateur que
les prix des autres produits agricoles. Cependant, cela n'a point empêché la
production de chuter faute de débouchés internes larges et stables alors même
que le Nigéria gros consommateur accuse un déficit énorme équivalent à plus
de 3 fois la production record du Sénégal.
Même si les céréales que nous venons d'analyser occupent une place
prépondérante dans les politiques d'autosuffisance alimentaire, le riz semble
cristalliser actuellement tous les débats portant sur les moyens d'atteindre cet
objectif tout en aidant à la solution de déficit de la balance commerciale
152
aggravée par l'importation massive de cette denrée. En conséquence, il
importe d'accorder une plus grande att:ention à la sous-filière riz.
La riziculture constitue le défi majeur de la politique agricole du Sénégal.
Prisé par la majorité de la population, notamment les masses urbaines, le riz
tient de plus en plus, une place prépondérante dans l'aménagement des
superficies irriguées. La production actuelle reste largement en deçà de la
demande nationale. Elle se situe, pour la campagne 1991-1992 aux alentours
de 170 000 tonnes pour une superficie cultivée de 72 000 hectares environ,
soit 3,8 % des emblavures.
Seulement, ces dernières années, les importations se sont accélérées et
som passées de 226 000 tonnes en 1961, à 600 000 tonnes en 1984 et 550 000
tonnes en 1989. Cette forte progression de la demande installe le Sénégal dans
une dépendance alimentaire chronique d'autant plus accentuée que la
production nationale est faible et stagnante. La facture des importations
céréalières devenant de plus en plus lourde et insoutenable les bailleurs de
fonds et surtout le FMI ont fait de l'augmentation du prix du riz à la
consommation une des principales conditions de leurs intelVentions. Cette
incitation relancerait l'offre de production locale.
C'est pourquoi le prix de vente sera un des éléments les plus controversés
de la sous-filière rizicole. Selon le rapport Thevenin, les facteurs qui
déterminent le niveau du prix de vente sont de trois ordres:
- la volonté d'offrir aux consommateurs urbains le riz au plus bas coat
possible;
-la volonté de diminuer les coOts pour l'Etat et donc d'augmenter le prix
de vente (les pressions des bailleurs de fonds s'effectuent dans ce sens) ;
- la volonté de rentabiliser la production nationale en augmentant le prix
de vente puisque le coat de production est particulièrement élevé.
Le débat qui est aujourd 'hui en cours au sein des économistes et des
techniciens du développement concerne le coat élevé de la production locale
sur les surfaces aménagées du fleuve. Certains auteurs vont jusqu'à se
demander si, véritablement, il est logique, économiquement, de continuer la
riziculture irriguée dont les coOts de production sont excessifs et rendent le
produit peu compétitif par rapport au riz importé d'Asie et d'Amérique du
Nord.
Les Journées débat sur le riz organisées par le Réseau sur les statistiques
alimentaires à Patis en 1990 (voir Lettre de Sôlagral, nO 32, mars-avril 1990)
et les travaux de IFPRI (International Food Policy Research Institute) sur « la
1
153
dynamique de la consommation et de la production des céréales en Afrique de
l'Ouest» (juillet 1987) ont largement établi que:
1) le caractère duopolitigue du marché international du riz et les stratégies
de dumping qui s'y pratiquent ne pennettent pas d'identifier les éléments
constituels du prix de revient du riz. Cette fonnation du prix est davantage
compliquée par la diversité et la variété des qualités du riz et par l'inexistence
de séries de prix bord-champ non altérées par les subventions et d'autres
pratiques qui font que les prix officiels ne réflètent pas souvent les prix
réellement payés aux producteurs. La compétitivité du riz américain, par
exemple, est entretenue à coup de subventions pour protéger une filière
largement dépendante des exportations ;
2) la faible compétitivité du riz en Afrique n'est pas aussi évidente et ne
saurait constituer un obstacle au développement de la production;
3) l'élargissement des consommateurs donc la demande (rizification des
habitudes alimentaires) commande l'élabôration d'une politique rizicole
cohérente qui repose sur un environnement économique porteur et incitatif.
Dans ce sens, il est observé par D. HARRE et R. BLEIN, que ~ Si la
libéralisation des marchés internes est à peu près admise par tout le monde, les
idées sont moins claires en ce qui concerne le rapport au marché mondial. ~ li
faut comme le souligne E. PISANI relever la protection c'est-à-dire des
prélèvements à l'entrée mais à condition que les recettes ne soient pas utilisées
à payer les frais généraux des Etats mais à créer les conditions de
développement de l'agriculture. Cest ce choix qu'ont fait les pays du Nord et
les pays Asiatiques. Les politiques agricoles qui s'alignent sur un tel système
ont prouvé leur efficacité.
L'évaluation entreprise par ENDA Tiers monde en 1986, montre que le
rix de revient du riz produit dans la vallée équivaut au double de celui qui est
importé. D'après cette étude, le développement de a nZlC ture Imgu
ans
la vallée du fleuve engloutira des sommes équivalantes au moins au coat de
réalisation du barrage.
En effet, la structure du prix de revient du riz produit par la SAED se
présente comme suit en 1983 (voir p. 155).
Selon les années, les modes de calculs retenus, les chiffres peuvent
légèrement varier. li est généralement retenu comme ordre de grandeur les
prix de revient suivants :
Riz SAED grands
Aménagements
Riz SAED PlV
Riz pluvial
.
.
.
.
250 FCFMg
200 FCFMg
150 FCFMg
154
structure du prix du riz produit par la SAm
en francs CFA
Grands
aménagements
Périmètres
irrigués villageois
Achat de Paddy
89,6
89,6
Subventions
58
35
Transformation
25
25
Commercialisation
17
17
Encadrement
24,1
27,1
Amortissemen ts
20,3
3,0
TOTAL
234
PCPA/kg
196,7 PCPA/kg
Ces prix sont à rapprocher des prix de vente du riz importé soit:
130 FCFA/kg. Ainsi se trouve poser le problème de la politique rizicole au
Sénégal : faut-il, au prix de subventions importantes, mener une politique
d'autosuffisance alimentaire concernant le riz?
Pour ENDA-TIERS-MONDE, la conclusion est sans appel, le Sénégal d0!L
« renoncer à faire de la Vallée du fleuve le" grenier à riz " du pays »(6).
Cependant, toute cette analyse menée en ces termes est parcellaire,
incomplète et économiquement sans grande signification. TI s'agit plutÔt, si on
veut raisonner en termes d'opportunités alternatives, d'évaluer les effets Sur
l'ensemble de l'économie du riz importé et du riz produit localement pour
pouvoir mesurer et comparer les incidences de chaque situation. C'est cette
démarche qu'adopte BONNEFOND-RAYMOND. Ces effets se présentent
comme suit pour l'année 1983(7).
(6) .. Enjeux de l'après-barrage, Vallée du Sénégal,. ENDA TIERS MONDE, 1986.
(7) BONNEFOND-RAYMOND, Analyse économique du riz de la SAED, Etude, ronéotée,
novembre 1983.
Au départ l'Etat se proposait de constituer une société d'économie mixte dont la structure
du capital serait: CAPA 55 %, Etat du Sénégal 45 %. Le projet fut abandonner pour des raisons
non encore révélées.
155
Structure comparative du prix du riz produit
localement et importé
en francs CPA
(1)
Riz
SAED
(2)
130
130
Importations
87
24
- 63
Valeur ajoutée
dont:
Salaires
43
106
+ 63
1
39
+ 32
9
- 39
Riz
importé
Prix (PCPA/Kg)
Etat
30
-
Différence
(2) - (1)
RBE Paysans
-
63
+ 63
RBE Entreprises
6
13
+ 7
Dès lors, la solution production nationale est plus satisfaisante du fait des
effets induits avec l'hypothèse d'un fonctionnement satisfaisant de la
transfonnation ces effets se traduisent par :
-
une économie de devises de 63 FCFA ;
un supplément de salaires distribués de 32 FCFA ;
un revenu paysan de 63 FCFA ;
un supplément de revenu des entreprises de 7 FCFA ;
mais une dépense supplémentaire de l'Etat de 39 FCFA.
C'est dire alors que la seule analyse économique ne pennet nullement de
confinner la conclusion très contestable de l'équipe d 'ENDA-Tiers-Monde
malgré la qualité et la profondeur des réflexions menées sur « les perspectives
de l'après barrage ». Il faut aller beaucoup plus loin dans l'analyse et les
propositions de solution. La politique au niveau d'une filière aussi stratégique
devrait comprendre deux composantes: aligner le prix de vente du riz importé
sur celui de la production locale et développer la culture rizicole en exploitant
toutes les fonnes d'inigations et en solutionnant le prix des intrants.
156
• Le !ucre
La production et la commercialisation du sucre devraient à tous égards
poser les mêmes problèmes que ceux de la fIlière riz : denrée stratégique dont
la production ne couvre pas les besoins mais au lieu de recourir à des
imponations bon marché, concession à une société l'Etat autorise au
monopoleur de contrôler la production nationale et les importations, de fixer
le prix de vente à un niveau supérieur à celui pratiqué sur le marché mondial.
Dans ces conditions il se fonne un 4( surplus substantiel » techniquement
semblable au 4( surplus du consommateur» que le monopoleur empoche. En
effet, le sucre au Sénégal est produit par la Compagnie Sucrière Sénégalaise
(CSS) créée depuis 1970 et qui bénéficie d'un triple monopole de fait sur la
production, la transformation et les imponations. La capacité de production
est de 70 000 tonnes/an provenant d'une exploitation de canne à sucre d'une
superficie de 7 500 ha utilisant quelques 5 000 ouvriers(8). Bien que la
production ait augmenté depuis le démarrage de la société, celle-ci s'avère
encore insuffisante pour couvrir l'intégralité des besoins. Il est alors
administrativement concédé à la Compagnie une troisième concession
monopoliste: celle des importations sous exonération du sucre pour combler
le déficit Le tableau page 158 offre une parfaite illustration de cette situation.
Le prix est administrativement fixé par l'Etat. Ainsi, en 1990, le sucre en
poudre (en vrac) coOtait :
En gros
Demi-gros
Et détail
,
.
.
.
321,6 CF le kg
327,0 CF le kg
340,0 CF le kg
A la même période, le sucre anglais raffiné coOtait environ 132 CF le kg.
Cela représente un surplus net d'environ 13,5 milliards qui viendrait s'ajouter
au bénéficie de la société. Depuis 1981 à nos jours, la fIlière sucre soulève
beaucoup de problèmes et d'interrogations que l'absence de transparence ne
permet point d'éclairer. Ils sont relatifs:
- au pourquoi du monopole à l'importation du sucre roux concédé à la
CSS selon un contrat plus que favorable;
(8) Taladidia TCmOMBIANO dans son ouvrage L'enclave induslrielle : la société
sucrière de Haule-Volta, Editions CODESRIA, Dakar, 1984, 192 p. montre qu'au BurkinaFaso, l'Etat a cédé à la société sucrière privée 10 000 ha de terre mais cette cession s'est
traduite par un apport en nature au capilal de la SOSU-HY lui donnant droit à 13 300 actions.
Au Sénégal, l'attitude de l'Etat a été diamétralement opposée: la CSS a bénéficié de
concessions et de soutiens multiples. Dans ce sens, M. Momar Coumba DIOP dans une
excellente étude observait que l'Etat a joué Wl rôle primordial pour favoriser la pénétration du
groupe à Wl moment où dans d'autres secteurs, il appliquait une étatisation brutale,. in M.C.
DIOP, « Aménagement hydro-agricole et développement économique: cas de la CSS ,..
157
Opétratioos concernant le sucre (en mU liards de francs CFA) \
\
IIlPOIUTIOU
üIIP.!I
PIODOCrIOI a
TOIiEI
OJISOMlüTIOI
APPw:BTB a TOma
QOAlfITIl El
TOIIiE'
'ALElI Il MIlLIaU
1970
61.710
2060.
-
69.000
lm
11.603
3.012
-
14.000
lm
'0.596
4. us
-
81.000
1913
11.113
UIO
-
11.000
1914
SUU
9.119
5.100
65.000
lm
60 .662
1.161
13.000
14.000
lm
102.610
10.132
18.000
121.000
1911
63.811
S,881
21.000
'1.000
ml
51.509
4.033
32.000
80.000
1919
56.029
3.102
62.600
111.629
1980
35,116
5.m
33.300
69.m
1981
30.100
UOO
44.200
75.000
lm
24.100
1.100
5'-200
'0.900
SOlUce :
m
Rapport M.F.C.
- aux méLhodes de calcul de la péréquation qui défavorise la Caisse de
Péréquation et de Stabilisation des Prix;
- au niveau des surplus très mal maîtrisés.
Dans le Rapport sur la Nouvelle Politique :\gricole réalisé par le ministère
de la Coopération Française, il est soulignt la formation de gains élevés
réalisés par la compagnie monopolaire..
Il s'agit bel et bien d'un surplus de monopole payé par les consommateurs
par suite d'une concession octroyée par l'Etat.
158
L'Audit réalisé par le cabinet d'Arthur ANDERSEN estime que les
conditions créées, sur la période 1974-1981, par l'actuelle Convention (entre
la CPSP et la CSS) ont entrafné un manque à gagner pour la CPSP qui
s'évalue comme suit:
.c
Evaluation du manque à gagner en milliards
MILLIONS
DE FCFA
- Incidence de la formule d'actualisation
6.700
- Incidence des autres conditions opératoires
7.900
Total
14.600
Ce manque à gagner que des sources concordantes (Banque Mondiale,
Audit Arthur ANDERSEN, Rapport Ministère Français de la Çoopération,
Commission de Vérification des Comptes des Etablisseme!1ts Publics)
chiffrent à plus de 12 milliards de francs CFA soulève beaucoup de questions
sur son évolution au plan quantitatif, sur sa destination et son partage. ..
Toutefois, l'absence de transparence et les silences qui entourent certains
aspects de la gestion de la CSS n'autorisent pas encore des réponses
claires(9). Selon la Commission de Vérification des Comptes des
Etablissements Publics, il y a beaucoup d' « irrégularités ~ à différents
(9) Les surprofits de monopole sont invariablement justifiés par les emplois créés ou
sauvegardés par la Compagnie. Cependant, une pareille argumentation est insuffisante car cette
question entraîne une autre incidente quel intérêt a-t'on de maintenir des emplois à des coûts
aussi élevés? En raisonnant avec un coût de création d'un emploi de 2,5 millions dans le
tertiaire (investissement maximum), le nombre d'emplois susceptibles d'être créés pour
12 milliards FCFA d'investissement devrait être de l'ordre de 48 000 soit 10 fois plus que les
réalisations actuelles de la CSS.
Dans lUI article au " Soleil ,. du 6 juillet 1984, Ousmane B. DIOP dénonçait cette situation
en ces termes « Il appartient à Jean Claude MIMERAN de se rendre à la raison, de jouer le jeu
d'un partenaire loyal et solidaire des intérêts et des difficultés d'un pays qui lui a fait la plac..::..,
il doit comprendre enfm que ce qui était possible au lendemain des indépendances ne l'est plus
vingt ans après...,..
159
niveaux et elles ont entraîné ces manques
~
gagner. En effet, si ces
« irrégularités» ont pu s'accumuler pendant longtemps, c'est par suite d'une
défaillance, pour des raisons diverses, des organes de contrÔle de l'Etat.
Quelle leçon peut-on tirer de la filière sucrière en rapport avec celle du riz
du blé? Le fonctionnement de cette filière montre que l'agriculture
séné alaisé peut disposer de ressources suffisantes our le financement des
JCtiYités productives priQritaires et essentielles comme les su venuons aux
intrants si les pouvoirs publics arrivent à mobiliser et à réaffecter les
préciables surprofus qui naissent du différentiel de prix pour au mOins les
rois produits que sont: le sucre, le riz et le blé. Si les surplus peuvent
remonter jusqu'à plus d'une vingtaine de milliards de francs CFA, on se
demande d'où viendrait la difficulté à financer les subventions à l'engrais et
au matériel agricole. C'est cet objectif qui était à -l'origine le rÔle de CPSP,
cependant, elle semble de plus en plus impuissante ..à faire jouer
convenablement les mécanismes de péréquation les produits concernés.C'est
pourquoi les institutions financières exigent de plus en plus sa liquidation pure
et simple.
L'Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal
(UNACOIS) fait du démantèlement des monopoles (riz, sucre et autres) et de
la CPSP une revendication principale et prioritaire. Cependant, il faut bien
savoir si ces opérateurs économiques du secteur informel sont techniquement
et financièrement prêts pour prendre les relais et des monopoles formels et de
l'Etat.
• Les enjeux de la sécurité alimentaire
l~co Au demeurant, la sécurité alimentaire doit être aujourd'hui nn objectif
rioritaire et il est possible de l'atteindre si l'on comprend tous les enjeux et si
l'on met en place des politiques appropriées complétées par la rationalisation
des circuits de commercialisation, l'amélioration des moyens de stockage et la
nquête des marchés urbains.
En effet, une évaluation même rapide de la filière céréalière permet
d'observer que la précarité alimentaire est le reflet de la combinaison de deux
tendances lourdes à savoir l'accroissement rapide de la demande du fait d'un
très grand dynamisme démographique et l'inaptitude de la production à
s'adapter à l'évolution de cette demande. Dans ce cadre, trouver une solution
adéquate visant à maîtriser le problème alimentaire devient prioritaire et doit
alors s'inscrire dans une politique de sécurité alimentaire dont les objectifs et
les moyens doivent être clairement définis. En effet, cette notion de sécurité
alimentaire qui est préférable à celle d'autosuffisance est plus globale, plus
complète et surtout plus dynamique. L'acception économique du terme,
~
160
postule non seulement la recherche de l' auto~uffisance alimentaire par
extension de la production, mais aussi et surtout la rationalisation des circuits
de commercialisation, l'amélioration du stockage et la constitution de stocks
de sécurité en vue de la founùture convenable, renouvelée, régulière et donc
sans risques de rupture, des centres de consommation.
Dans le contexte de l'économi'e sénégalaise, la réalisation de cet objectif
stratégique passe inévitablement par la nécessaire réorientation des structures
productives agricoles en vue de la satisfaction prioritaire des besoins
alimentaires internes, ce qui implique implicitement une modification
concomitante de la structure locale de consommation alimentaire.
li a été établi dans les développements précédents que le principal enjeu
sous-tendant la recherche prioritaire du développement agricole, alimentaire
en particulier, concernait la réalisation de l'objectif même de développement
économique global. Il n'en demeure pas moins vrai qu'à cet enjeu central
pourrait s'ajouter trois autres à caractère économique, politique et
psychologique dont le traitement conforte et conditionne la solution du
premier.
• L'enjeu économique
li est aujourd 'hui évident que la forte productivité de l'agriculture des pays
développés d'Occident conjuguée à la saturation relative de la demande
interne de certains produits alimentaires justifie la farouche concurrence que
se livrent actuellement les grands producteurs mondiaux de biens alimentaires
au plan des débouchés. Si l'Afrique continue d'être une zone de fragilité et de
dépendance agro-alimentaire, elle sera une proie facile des multinationales du
jeu alimentaire mondial qui par leur volonté de contrôler le marché en érigeant
des barrières à l'entrée vont retarder encores davantage l'avènement d'une
agriculture perfonnante.
En effet, les coOts de stockage des surplus agro-alimentaires des pays
développés d'Europe du Nord et d'Amérique étant de plus en plus élevés, il
faut les déverser sur les pays déficitaires ce qui va entraîner dans un premier
temps un effondrement brutal de leurs prix internes ~t dans un second temps la
baisse de compétitivité puis la mort de leur agriculture. Cette situation
engendre des répercussions cumulatives négatives sur l'ensemble des secteurs
de l'économie nationale liés de près ou de loin au secteur agro-alimentaire.
Dans ces conditions, la mondialisation de la norme de consommation
alimentaire qui va progressivement devenir un impératif pour la suivie du
système productif alimentaire de ses pays développés risque de compromettre
l'agriculture dans les pays en voie de développement. Il faut en avoir une
claire conscience et agir vite.
161
• L'enjeu poUtique
Au-delà des considérations d'ordre économique et commercial
caractérisées principalement par la conquête de nouveaux marchés, les
motivations politiques qui sous-tendent l'aide alimentaire sont plus
qu'évidentes.
Le sénateur américain G. Mc GOVERN reconnaissait déjà en 1974, soit
vingt ans plus tard que : ~ il Y a une lutte continuelle entre le Département
d'Etat qui favorise l'aide alimentaire pour nos alliés militaires et le
Département de l'Agriculture qui préfère l'utilisation de l'aide alimentaire
pour créer de nouveaux marchés pour les affaires américaines »(10).
Dans ces conditions, il n'est pas surprenant d'observer que la plupart des
géants mondiaux fournisseurs d'aide alimentaire utilisent assez souvent leurs
livraisons alimentaires au titre de l'aide pour tenter de renforcer des alliances
ou s'en créer de nouveaux, orienter certaines de leurs décisions politiques au
sein des grandes instances internationales et éventuellement essayer d'en
entraîner d'autres dans leur mouvance politico-idéologique.
Donc l'aide devient une arme alimentaire qui permet aux donateurs
d'exercer certaines pressions sur les pays bénéficiaires dans l'orientation des
décisions relevant de leur souveraineté nationale. C'est dire que l'enjeu
politique de l'aide alimentaire soulève de graves problèmes d'indépendance et
constitue assurément le péril dangereux qui guette tout pays sous-développé et
alimentairement dépendant
• L'enjeu psychologique
Outre ses aspects économiques et politiques, l'aide alimentaire, de par son
caractère généralement permanent. contribue progressivement à installer dans
le pays bénéficiaire une véritable mentalité d'assisté qui, à la longue, finit par
anéantir toute volonté d'entreprendre les réformes de structures susceptibles
de résoudre la crise alimentaire interne. Plus grave, elle en arrive à convaincre
les autorités du pays bénéficiaire de l'inéluctabilité de l'assistance étrangère
en matière alimentaire dont le caractère normal fmit par être consacré.
D'un autre point de vue, enfin, en occultant les enjeux essentiels, l'aide
alimentaire permet aux pays donateurs de se donner bonne conscience et
surtout de se faire passer pour des philanthropes aux yeux de l'opinion
publique intérieure peu ou mal informée.
(10) Source: « Report on nutrition and human needs ,. United States Sena/e, septembre
1974, p. 28, citée par M. GRIFFON et P. JACQUEMOT : CEP, nO 25, octobre-novembredécembre 1983.
162
Tous les principaux traits que nous venons d 'étudier ci-dessus s'appliquent.
à quelques nuances près, à un pays alimentairement dépendant comme le
Sénégal. Par conséquent. percevoir ces enjeux et lever les obstacles qu'ils
constituent indiquent une fois de plus la nécessité prioritaire et stratégique du
développement agricole, alimentaire en particulier, comme préalable à tout
processus véritable et irréversible de développement économique intégral.
De l'analyse du riz importé, il serait simpliste de s'arrêter seulement aux
coûts en ignorant les inconvénients d'une dépendance alimentaire excessi ve.
Le Sénégal importe plus de 100000 tonnes de blé par an et il n' y a, à l'heure
actuelle aucune solution de rechange pour stopper l'importation de cette
céréale. Comment peut-on assurer la sécurité alimentaire du pays lorsque
l'on dépend de l'étranger pour son alimentation? D'où viendront les devises
pour payer la facture grandissante des importations alimentaires '?
L'indépendance de quelque nature qu 'elle soit, à un prix qui. souvent, est
très élevé. Tous les pays développés subventionnent leur agriculture
probablement à des degrés différents, et le dossier agricole qui a toujours été
l'une des sources de conflit du GATT constitue actuellement, la meilleure
preuve que les mécanismes de l'offre et de la demande sont très loin de
réguler la production et la commercialisation des biens alimentaires. Ces
deux composantes du marché mondial sont totalement soumises aux pol itiques
agricoles nationales définies selon des critères, des enjeux et des intérêts
propres à chaque pays. Dès lors, les pays développés sont contraints
d'enfreindre les principes mêmes du libéralisme économique si bien que les
partisans les plus acharnés du libéralisme (CEE, Etats-Unis et d'ailleurs
l'ensemble de l'OCDE) font leur deuil, d'une suppression des soutiens et des
protections aux produits agricoles, même s'ils s'en défendent avec
acharnement. C'est ce qui explique qu'ils adoptent souvent des attitudes et
des prises de position manifestement contradictoires.L' affrontement agricole
entreunion économique et les Etats-Unis qui a toujours bloqué les négociations
du GATT montre qu'il s'agit dans le fond d'une véritable rivalité entre des
niveaux différents de subventions qui finissent par fausser les politiques
commerciales donc le fonctionnement régulier des marchés.
Il est par conséquent trompeur de se fier à la seule loi du marché pour
conduire une politique économique. L'Etat aurait pu limiter 'ses pertes
financières en relevant le prix aux consomrnateurs du riz importé. Cela lui
aurait permis de limiter la spéculation, en diminuant les marges réalisées par
les commerçants importateurs. Le soutien à la production du riz local
reviendra moins cher à la Caisse de Stabilisation et de Péréquation des Prix.
Seulement, le prix du riz aux consommateurs est devenu une donnée politique,
déterminant pour la paix sociale.
163
2) La réalisation programmée d'une infrastructure de base pour
l'agriculture
C'est le troisième axe de la stratégie agraire qui se traduit par la mise en
place progressi ve d'une infrastructure matérielle rendant possible
l'accélération et l'intensification de la production agricole. Cette infrastructure
tourne autour:
1° de l'exploitation du potentiel hydraulique et énergétique pour le
développement à grande échelle de l'irrigation;
2° de la création d'un réseau routier pennettant le fonctionnement de
mécanismes autorégulateurs de marché avec une libre circulation des biens et
des facteurs de production;
3° de l'utilisation des intrants accessibles aux producteurs.
• Le développement de l'irrigation
Le développement rural est avant tout une question de maîtrise de l'eau, de
réalisation de grands travaux d'irrigation. Ces deux éléments constituent la
condition essentielle d'un accroissement de la production et d'une réduction
des calamités naturelles et de leurs effets. L'irrigation offre un double
avantage: d'une part, elle atténue les risques climatiques (très élevés dans les
pays sahéliens confrontés à une sécheresse cyclique) et d'autre part, elle
contribue à l'élévation des rendements par une meilleure maîtrise de l'eau qui
ouvre la possibilité de réaliser plusieurs cultures et d'utiliser des variétés à
haut rendement qui rentabilisent les intrants. Il faut bien méditer sur les
expériences asiatiques en la matière. Les succès des politiques agricoles y sont
fortement corrélés avec l'aménagement de barrages, de systèmes fiables
d'irrigation et de drainage de l'eau.
Ces dernières années, le mouvement écologiste a relancé le débat sur les
choix alternatifs entre la petite et la grande hydraulique. Beaucoup
d'arguments ont été développés pour condamner les grands barrages auxquels
il est reproché:
-les effets déstabilisateurs des écosystèmes fragiles;
- les effets négatifs sur l'environnement humain et la santé dans les
abords des régions irriguées;
- les coOts lourds des investissements accentuant la dépendance
financière;
- la dépendance technologique;
- et l'écoulement de la production découl ant de la délocalisation vers les
pays sous-développés des activités industrielles.
164
Ce sont là quelques arguments plus ou moins ,systématisés et ratfmés que
l'on oppose aux politiques de grands barrages appliquées pour une agriculture
moins tributaire des aléas climatiques et de l'extrême instabilité de
l'envirormement. La solution alternative proposée tourne autour de la petite
hydraulique dont les coOts financiers et humains sont beaucoup moins
excessifs et les effets moins désastreux pour l'environnement physique et
humain.
Cet argumentaire manque profondément de vision et de rigueur. n traduit
les préoccupations de persormes que la famine et la misère ne menacent guère
et qui n'ont pas à régler une crise agro-alimentaire aux effets sociaux
incalculables, ni à trouver les voies et moyens pour élever ou stabiliser dans
les délais les plus brefs les faibles revenus des producteurs. L'Asie cultive
actuellement plus de 130 millions d 'hectares sous irrigation alors que
l'Afrique n'irrigue que 8 millions d'hectares. En poussant encore plus loin la
comparaison on s'aperçoit que depuis longtemps déjà, les pays asiatiques ont
fait des deltas de grands espaces de production agricole: Godavaci, Krishna,
Grange Bramapoutre, Irrawadi, Ménam et Chao Phraya. Au contraire, en
Afrique et même au Sénégal, les débats sont loin d'être des régions de
productions agricoles et de peuplement.
• lA question des inlranls agricoles
Comment peut-on demander aux pays sahéliens de continuer à développer
des politiques agraires à faibles rendements et totalement dépendantes des
caprices du climat et de l'instabilité de l'envirormement.
Le problème des intrants est aujourd 'hui une pomme de discorde entre les
paysans, l'Etat et les bailleurs de fonds. Comment se pose réellement le
problème? L'agriculture extensive et les formes bornées de mise en valeur
des ressources naturelles (déforestation, déboisement, désertification) ont
complètement détruit les systèmes de production et appauvrit. le capital
foncier. L'explosion démographique et urb~ine est venue aggraver les
pressions sur la terre et les ressources rendant nécessaire l'utilisation massive
d'intrants agricoles. Dans la période du Programme Agricole les engrais
étaient subventionnés parfois jusqu'à hauteur de 70 % du prix pour une
consommation de 80 000 tonnes jugée à l'époque notablement insuffisante en
rapport avec les nécessités de l'accroissement de la production agricole
globale. La NPA avait mis en place un autre système de distribution des
intrants et de fixation de leur prix.
La consommation a alors notablement baissé comme indiqué par le
tableau de la page 166.
La consommation des engrais est ainsi réduite au quart de son niveau de
1980. Cela a affecté très fortement la production et la productivité.
165
Consommation d'engrais
en milliers de tonnes
Consommation par produit
1980-81
1985-86
1986-90
26.820
8.582
3.119
8.290
6.400
2.365
Pour toutes les céréales
Arachide
Coton
35.110
29.600
5.100
14.982
4.200
7.900
TOTAL
74.680
27.082
26.345
2S
lOS
80
20
-
- Yil sorgho-mals
- Riz sous irrigation
Prix -au producteur
FCFA/K-G
Subvention FCFA/K-G
Subvention en "
9,4
61"
15.247
2.966
4.536
16"
Partout où la révolution verte s'est réalisée même dans des formes assez
parcellaires (Inde, Moyen-Orient, Asie) elle a eu pour base des semences
sélectionnées et la consommation en grande quantité d'engrais subventionnés.
Ce sont ces mesures qui ont permis l'émergence d'une paysannerie moderne
vecteur des profondes mutations des campagnes.
Selon Eric BRAYER, « dans la zone de savane, au Sud du Sahara, il faut
en moyenne 100 jours de travail pour produire 0,5 tonne. de céréales par
hectare. Dans les grands pays agricoles d'Europe ou d'Amérique du Nord, la
productivité du travail est 1 000 fois supérieure. Le problème des engrais
explique en partie cet énorme fossé.
Le paysan européen épand 225 kg d'engrais minéraux par hectare cultivé,
son homologue asiatique en épand 168 kg et l'africain en réalise 11 seule166
ment(11).1l s'agit bien d'une sous-consommation alors même que le continent
africain est le principal producteur mondial de phosphate. Si l'Afrique veut
améliorer sa production et sa productivité, il faut qu'elle consomme 5 fois
plus d'engrais.
Le Sénégal a besoin de contrôler toutes les composantes de la production
agricole depuis l'irrigation jusqu'aux facteurs modernes de production. Il doit
utiliser non pas de petites technologies alternatives très peu performantes,
mais les techniques les plus progressives que la révolution scientifique et
technique peut mettre à sa disposition. D'ailleurs, les pays sous-développées
comme le Sénégal doivent se raccorder aux technologies les plus avancées
pour refaire leur retard économique et accroître paniculièrement leur savoirfaire.
Les visions savamment distillées sous des appellations d'une apparente
innocence comme technologies appropriées, technologies douces, relèvent de
conceptions totalement anesthésiantes qui peuvent maintenir les pays sousdéveloppés dans une arriération technologique lourde de conséquence. Samir
AMIN a parfaitement raison de souligner que « suoi qu'on dise, le Sahel n'est
pas irrémédiablement condamné. Il y a ici de l'eau (un ensemble de fleuves
dont le débit équivaut à celui du Nil, des nappes phréatigues et fossiles
exceptionnelles), des sources d'énergie (uranium. soleil et pétrole) des terres
, aménageables des peuples ». C'est la stratégie qui est incapable de coonlormcr
'ces facteurs.
Les grands barrages quels que soient leurs coûts restent une option
'§j. indispensable à la maîtrise de l'cau. Le problème fondamental ne se situe donc
pas dans les effets négatifs qu'ils peuvent produire. mais réside
essentiellement dans leur capacité à régler des problèmes clefs de la politique
A
agricole et
notamment~;:;:t:~~ ~'t~1U ~~.
• En concluston
'f"" ~19. ~ '( 1J.,' AM,.K - l/l!I
L'élaboration d'u e politique agricole globale et cohérente devrait
profondément s'appuyer sur les énormes potentialités de développement
économique offenes par les infrastructures hydro-agricoles du fleuve Sénégal.
Les deux barrages (Diama et Manantali) érigés sur le fleuve Sénégal par
)'OMVS(l2) doivent constituer le noyau central d'un futur pôle de
développement intégral du bassin du même nom. Tous les acteurs du
développement économique sont donc concernés.
(11) Eric BRAYER. " L'Afrique ne fume pas assez _. Bulletin Solagral . SlraJégies
alimenJaves. nO 32.
(12) OMVS : Organisaùon de Mise en Valeur du Aeuve Sénégal.
167
Le barrage de Diama (mis en eau depuis 1986) et celui de Manantali Oivré
en août 1988) sont des infrastructures pluri-fonctionnelles devant pennettre au
plan agricole :
-l'irrigation d'environ 375 000 ha de terres dont 240 000 ha au Sénégal ;
-le remplissage du lac de Guiers et du complexe Djeuss-Lampsar ;
- la mise en eau de la Vallée du Ferlo.
Le développement agricole devrait y être basé sur la complémentarité
entre les cultures irriguées, pluviales et de décrue auxquelles s'ajoutera une
relance de l'élevage. De ce fait, le projet de la Vallée sera un véritable projet
intégré.
Les cultures irriguées seront développées dans le cadre d'une agriculture
associative (coopérative), paysannale (petits périmètres individuels) et en
présence d'autres formes d'agriculture, privée notamment et basée sur des
exploitations de dimensions moyennes et les complexes agro-industriels. Dans
ce sens, le programme envisage la consolidation des 26 000 ha déjà aménagés
et d'en étendre ensuite la portée pour aménager d'ici à l'horizon 2000,61 000
nouveaux hectares représentant en moyenne 5 000 ha/an.
Pour tenir ce pari, il est prévu au plan technique, la réalisation prioritaire
d'aménagements de taille intennédiaire entre le grand périmètre et le petit
périmètre villageois d'une superficie d'environ 50 ha dont l'entretien courant
sera assuré grâce à la promotion concomitante des PME (petites et Moyennes
Entreprises).
Au plan financier, le programme envisage la promotion d'associations
entre entreprises internationales, l'appel au génie militaire et entreprises
locales afin de favoriser la réduction des coûts d'aménagements à environ
3 500 000 FCFNha.
Parallèlement, une nouvelle stratégie de mise en valeur des aménagements
vient d'être mise en œuvre aux fms d'améliorer l'intensité culturale qui devra
passer de 0,8 à environ 1,8 à l'an 2000. La mise en œuvre de l'ensemble de
ces actions devrait permettre de réaliser une production brute de 480 000
tonnes de paddy en l'an 2000. Les cultures de décrues seront développées sur
100 000 ha durant la période de maintien de la crue artificielle qui, il faut le
noter, entre en concurrence avec la production d'électricité. A cette production
céréalière s'ajouteront les productions industrielles de tomates et de sucre.
11 faut signaler parallèlement le plan de développement du maraîchage et
de l'arboriculture fruitière et qui concerne notamment:
- la vulgarisation à grande échelle des variétés productives de légumes
mises au point par la recherche;
- le développement des actions d'arboriculture fruitière autour des points
d'eau et dans certains périmètres.
J68..
Le maintien de la crue artificielle permettra de reconstituer les prairies
inondables, les pâturages et les points d'eau nécessaires au cheptel actuel,
mais aussi d'initier une intensification de l'élevage. Les principaux objectifs
poursuivis en la matière concernent l'élévation du niveau de vie des
populations impliquées dans la recherche et la réalisation effective d'une
intégration entre l'agriculture et l'élevage, l'augmentation de la productivité
des animaux et l'organisation de la production et de la commercialisation. Les
actions identifiées à cet effet portent sur la sensibilisation des populations,
l'aménagement des points d'eau, le développement de la traction animale et
l'intensification de la production avicole et bovine en particulier.
Autour de l'agriculture et des activités associées, pourra se développer un
tissu rural d'industries, de commerce, d'artisanat et de services. La mise en
place de ce réseau, support indispensable du développement agricole,
dépendra essentiellement du dynamisme de l'initiative privée qu'il faut
susciter et encourager.
Le programme de l'Après-Barrage envisage, grâce à la régularisation du
cours du fleuve, la navigabilité permanente entre Kayes (au Mali) et SaintLouis (au Sénégal) sur plus de 900 km. A ceci devront s'ajouter un réseau
approprié de routes, de pistes, de ponts et bacs ainsi qu'un réseau de
télécommunications opérationnel.
Par ailleurs, le barrage de Manantali devant produire annuellement
800 méga-watts-heures d 'hydro-électricité, le programme envisage également
la mise en œuvre d'un plan d'électrification des villages, des centres urbains
et des stations de pompage d'eau en vue de l'irrigation.
Tous ces développements montrent que le programme multidimensionnel
dit de l'Après-Barrage ouvre pour les années à venir de nouvelles perspectives
dans la définition et la mise en œuvre conséquente d'une nouvelle politique
générale de développement économique.
Si la maftrise de l'eau est une nécessité vitale, elle doit être accompagnée
par une politique énergétique cohérente et adéquate car l'énergie est une variable déterminante dans le développement agricole. Pour preuve, un rapport de
la National Academy of Sciences observe que $: le processus de la croissance
économique a pris naissance au moment où la machine a remplacé l'homme
pour les travaux agricoles, industriels et domestiques ... La production
phénoménale de l'agriculture aux Etats-Unis et dans d'autres grands pays
exportateurs d'aliments s'explique en grande panie par l'utilisation massive
d'énergie et d'engrais, l'apport de la main-d'œuvre diminuant très rapidement
à mesure que s'intensifient les pressions exercées par l'accroissement des
salaires dans les industries secondaires et tertiaires ~(l3).
(13) National Academy of Sciences: L'énergie el le Dtveloppemenl rIVal. WashinglOn
D.C., 1977.
169
Il faudrait alors que la politique énergétique permette d'obtenir un
accroissement de la production agricole. Elle pourrait s'organiser autour de:
- l'évaluation exhaustive des besoins énergétiques pour une agriculture
en ~xpansion ;
-l'exploitation de toutes les ressources énergétiques disponibles ;
- l'utilisation des teclmologies énergétiques les plus progressives en vue
de l'augmentation de la production et des rendements.
TI s'agira, là aussi, d'utiliser toutes les sources disponibles d'énergie sans
aucune exclusive. Les coopératives de production doivent être aidées pour la
mise en place de programmes d'utilisation d'énergies renouvelables à des fins
de développement rural.
• lA développement du réseau routier
Le développement d'une infrastructure de base indispensable passe aussi
par la création d'un réseau routier désenclavant toutes les zones de production
agricole et contribuant à la formation du marché national qui est le meilleur
mode d'allocation des facteurs de production.
L'Etat devra, par le Plan, fixer les objectifs à aneindre et les moyens à
mobiliser pour réaliser le programme d'élargissement de l'infrastructure de
base. Cette programmation empêchera l'apparition de distorsions dans
l'allocation des ressources en faveur du développement économique et social.
Ces statistiques révèlent amplement que l'agriculture fournit plus de 20 % du
PIB et occupe plus de 70 % de la population, pourtant elle ne reçoit qu'une
proposition encore faible des dépenses publiques : beaucoup moins que le
système éducatif et les forces de sécurité.
CHAPITRE Il
Les conditions institutionnelles et techniques
pour une agriculture moderne et efficace
Dans une stratégie de dé\'e]oppcmenl agricole, les problèmes
institutionnels revêtent une importance aussi capitale que les problèmes
techniques. Pourtant ils sont sous-<malysés bien qu'ils conditionnent le
comportement des acteurs. Pour souligner ce rôle cruciaL il faut commencer
par l'étude de la coopération qui est assez développée en Afrique et dans le
monde.
1) La
coopération dans le secteur agricole
Si la coopération est tant prisée en Afrique, c'est parce qu'elle est
considérée comme un mode d'organisation plus adapté aux structures et à la
mentalité communaucratique africaines.
Les interventions publiques pour impulser et élargir le mouvement
coopératif procèdent de la conviction qu'au plan socio-économique.
l'exploitation coopérative est supérieure à la petite exploitation individuelle et par
ailleurs qu'elle peut rendre des avantages accessibles à la grande majorité des
paysans. Par sa dimension et la libération du producteur. l'entreprise
coopérati ve permet la réalisation d'économies d'échelle qui se matérialisent
dans l'utilisation la plus efficiente des facteurs de production agricole et la
division sociale du travail favorables à une élévation de la productivité. Ce
cadre structurel réaliserait les meilleures conditions de génération d'un surplus
171
beaucoup plus substantiel pouvant être utilisé sous forme de réinvestissements
internes pour améliorer les instruments de production ainsi que le niveau de
vie des coopérateurs.
En somme, une coopération menée de façon lucide et méthodique à partir
d'objectifs matériels clairs, accessibles aux paysans et acceptés par eux
constitue la voie la plus sûre mais surtout la plus simple pour lever les
obstacles et les contraintes à l'édification d'une agriculture moderne et
efficace.
Au Sénégal, les coopératives ont été promues par l'Etat et accaparées par
les fonctionnaires et les notables si bien qu'elles ne sont pas devenues, malgré
leur importance numérique, de véritables institution de développement. Cela
explique que de 1960 à 1984, elles ont joué un rôle subalterne par rapport aux
sociétés d' intervention dans le milieu rural, dans les domaines de la
commercialisation, de la production agricole des intrants et dans l'octroi des
crédits agricoles. Pendant la périodedu Programme Agricole (1969-1978) les
coopératives ont très mal rempli ces deux fonctions. Ainsi, elles ont distribué
400 000 pièces de matériel agricole, 35 000 paires d'animaux. Au ni veau du
crédit elles ont fortement contribué à la formationd 'une dette rurale d'environ
38 milliards de FCFA dont 30 milliards d'arriérés.
C'est pourquoi, ces réformes opérées dans le cadre de la Nouvelle
Politique Agricole de 1984 avaient trois objectifs:
-la redéfinition des fonctions avec l'organisation de coopératives multi
sectorielles;
- la création de sections villageoises (45 000 pour les 13 000 villages
sénégalais) :
-la mise sur pied d'un organe fédérateur: la Fédération Nationale des
Coopé-rati ves.
A l'expérience, cette réforme de l'action coopérative n'a pas atteint ses
objectifs essentiels. En effet. les sections villageoises laborieusement et
précipitamment mises en place n'ont pas d'activités économiques ce qui
ravale les coopérati ves au s impIe rôle de collecteur des produits agricoles.Ces
activités sont liées à la commercialisation et ont peu de plus-value donc très
peu d'intérêt pour les producteurs. Par ailleurs, la multisectorialité disperse
les énergies.
Ces limites du mouvement coopératif ont accéléré le développement des
organisations paysannes et des GIE à partir d'une logique d'autonomie
vis-à-vis de l'Etat. Les GIE, par exemple, qu' ils soient d'agriculteurs. de famille.
de techniciens ou autres. ont rapidement proliféré et sont aujourd 'hui au nombre
de 4 (XX) distribués comme suit par région:
172
Nombre
Pourcentage·
34
Saint-Louis
Louga
Diourbel
Thiès
Dakar
Kaolack et Faùck
Ziguinchor et Kolda
Tarnbacounda
..
.
.
..
.
.
.
.
1618
TOTAL
..
4745
SOlUce: Labat ANDERSON,lnc. Sénégal GIE. ELUde ..
748
16
471
168
10
3
458
10
592
546
12
12
144
3
100 %
La NPA du Sénégal», 1990.
Les 80 % des GIE évoluent dans le secteur rural et 25 % sont issus des
Groupements de Promotion féminine.
Cependant, ces groupements quclle que soit leur originalilé et parfois leur
imponance en matière de création d'emplois et de valorisation de cenaines
ressources locales ont une portée économique encore limitée du fait des
handicaps qui les caractérisent et qui sont liés à la faibksse congénitale de
leur mode de gestion (absence de comptabilité suivie, endcLtemenL.
détournement des fonds propres, ete.), à leur caractère infonnel entraÛlant des
surcharges sociales qui grèvent les ressources de l'entreprise, à l'inexpérience
ou à la simple incompétence de leur personnel dirigeant.
Ces organisations sont, sans nul doute, très utiles notamment, les
Associations villageoises de producteurs indépendants souvent encadrées par
des ONG . Leur multifonctionnalité caractéristique est une marque de
confiance que les paysans leur accordent. Toutefois, elles pêchent souvent par
leur gestion économique et financière déficiente et par l'allocation de leurs
ressources pour des investissements sociaux à rentabilité différée (cases de
santé, écoles, pharmacies villageoises, alphabétisation) au détriment
d'activités directement et immédiatement productives capables de dégager des
marges suffisantes pour couvrir les différentes charges sociales et
d'exploitation. Il faut cependant dire clairement que ces organisations ne
saurait se substituer à un mouvement coopératif dynamique, assez bien
structuré, mieux orienté et doté de larges pouvoirs à la fois économiques et
politiques. En défmitive, l'échec de la coopération au Sénégal a pour origine
principale la réduction de ses activités au couple commercialisation-crédit
Un mouvement coopératif micux pensé devrait viser la réalisation d'un
tri pIe objectif:
173
-la transfonnation des fonnes de production;
-le perfectionnement des techniques agricoles ;
- l'éducation et la mobilisation des ruraux en vue du développement
économique et social.
Ces trois objectifs sont intimement liés et exercent une influence
stimulante sur le développement et la diversification des activités agricoles.
La transformation des systèmes de production permet la réalisation
immédiate ou progressive de la restructuration des instruments de production
et de travail. Au plan économique,- la coopération assure la constitution
d'exploitations de taille optimale à partir desquelles oh peut réaliser une
productivité du travail élevée, un niveau de production appréciable. Ces
objectifs contribuent à l'augmentation du surplus agricole donc à
l'accumulation productive( 1). Si bien que la coopération facilite le
perfectionnement de la technique qui contribue à l'élévation des rendements.
n importe alors de mobiliser les paysans pour les mutations indispensables
en faisant preuve d'une très grande souplesse dans l'instauration de la
coopération. Celle-ci doit s'appuyer solidement sur certaines structures et
propriétés qui lui sont favorables comme par exemple les structures
communautaires. Dans ce cadre, l'utilisation des formes et des traditions
communautaires dans te mouvement coopératif ne sera pas un idéal, mais une
méthode à laquelle on est conduit à recourir dans une période de transition
pour faciliter sur le plan psychologique et social l'entrée de la paysannerie
communautaire dans une dynamique nouvelle de production.
D'ailleurs, dans certains cas, le succès du mouvement coopératif est
fonction de l'identification et de la prise en corn pte de ces structures
communautaires. En effet, la mobilisation volontaire du monde rural, bien
qu'indispensable, est très difficile à réussir. Toute tentative de brOler leI'
_étapes, ou d'embrigadement aboutirait fatalement à un échec qui risque de
porter des torts irréparables à la coopération. Les problèmes de la coopération
sont assez délicats et ne peuvent se résoudre de manière bureaucratique par
des décrets et des lois car tous les ordres qui viendraient d'en haut risqueraient
de rester lettre morte. Il faut plutÔt amener par la persuasion le paysan à
prendre une claire conscience de la nécessité de transformer son
environnement. Dès lors, tout doit s'effectuer par la concertation et par la libre
adhésion. La démocratie devient alors le meilleur instrument de régulation de
la vie coopérative.
(1) La croissance de la production devient dès lors un préalable au développement. Elle
permet de dégager un surplus commercialisable grâce auquel, le secteur peut entrer en relation
avec les marchés urbains et extérieurs. De plus, comme l'observe R. BADOUIN, te La
réalisation d'un surplus par rappon aux besoins constitue une source potentielle d'épargne lt,
L'Economk rIVale. Editions Dunod, Paris.
174
En conséquence, la coopération, pour réussir, doit reposer sur un ensemble
de principes clairement définis devant assurer:
- une gestion démocratique des entreprises coopératives qui se
manifesterait dans l'élection des organes dirigeants, le contrÔle du
fonctiormement et des finances ;
- une liberté totale et absolue d'adhésion ou non à la coopérative sans
aucune sorte d'obligation ou de contrainte; cela permettrait d'instaurer une
compétition stimulante entre les coopératives et d'autres formes
d'exploitation. Dans ce contexte, la coopérative est condamnée à faire preuve
de sa supériorité d'organisation et d'efficience ou à disparaitre ;
- un bénéfice mutuel qui permettrait de régler les intérêts de la
coopérative en tant que personne morale et ceux de ses membres. li sera donc
question des conditions de formation et de répartition des revenus mais aussi
de la rémunération de la force de travail. Dans ce domaine aussi. la
coopération doit faire la preuve qu'elle offre, à court ou moyen tenne, des
ressources financières ou matérielles plus importantes que d'autres modes
d'organisation.
Au total, si l'on veut assurer le plein succès du mouvement coopératif, la
coopérative doit être dotée d'un double pouvoir économique et politique. En
conséquence, elle sera assez bien structurée pour défendre les droits de ses
membres et obliger l'Etat à prendre en considération les intérêts des
producteurs ruraux.
2) La planification du perfectionnement de la technique et de
l'utilisation généralisée des facteurs modernes de production agricole
La recherche d'une technologie agraire plus adaptée au producteur et au
milieu est aujourd'hui une condition essentielle pour améliorer le rendement
et la productivité.
L'utilisation intensive d'intrants industriels chimiques dont le coat
demeure généralement élevé s'est, dans la plupart des cas, faite au détriment
de la reproduction naturelle des grands équilibres pédologiques. C'est ainsi
que certains sols sont devenus anormalement pauvres, ce qui a contribué à
faire chuter les rendements. C'est particulièrement le cas pour l'ensemble du
Bassin arachidier (Sine-Saloum, Diourbel et Thiès).
Dans d'autres cas, c'est le caractère inadapté au sol du matériel agricole
qui engendre les modifications pédologiques, la baisse des rendements et la
faillite financière du paysan par gonflement non compensé de ses coOts de
production (machines agricoles non amorties au rebut).
175
Dans les conditions que voilà, toute volonté desolutionner àces différents
problèmes passe d'une part par une réorientation de la recherche agronomique
qui mette de plus en plus l'accent sur les spécificités locales (nature des sols,
possibilités de modifications des rythmes de jachère ou d'adaptation de
l'assolement. etc.) et d'autre pan par l'étude systématique des conditions
d'appropriation et de valorisation de l'innovation technologique par les
producteurs. Il apparaît ainsi que la politique de recherche qui permet de
proposer aux paysans des systèmes de production et des technologies plus
performantes est un volet décisif de la stratégie de développement agricole.
Or, il apparaît nettement que la recherche techno-agronomique est un aspect
totalement négligé. Pounant. cette attitude apparaît dans 1"inorganisation et
la faiblesse de" moyens de l' IS RA (Institut Sénégalais de la Recherche
Al.!f<Jnomique)(2). Or, une agriculture efficiente a paniculièrement besoin
d'une bonne utilisation des acquis de la révolution scientifique et technique
pour atteindre des niveaux élevés de productivité du travail.
Cela pose la nécessité de la formulation d'une politique adéquate de
recherche pour le secteur agricole dont les objectifs pourraient être:
-la modemisation des procédés de cultureet la rénovation des instruments
de production:
-l'expérimentation scientifi(jue et la diffusion de nouvelles techniques,
ce qui implique la création d'unités expérimentales ayant vocation à être de
véritables laboratoires au service du développement agricole:
- la formation de cadres compétents au plan techn ico-agronomique el
tee hn ico-ad ministratif.
Ce dernier aspect soulève les limites des systèmes universitaires des pays
sous-développés qui ne s'intéressent que très marginalement aux activités
rurales bien que celles-ci fournissent pourtant jusqu'à 7() % du PIB, Des
facultés ayant des filières agricoles peuvent avoirun grand intérêt économique
et sociale,
On peut dire. aujourd 'hui. que depuis 30 ans. le Sénégal comme la plupart
des pays africains, a consenti d' énormes effons et des dépenses considérables
(plus de 30 % du Budget) à l'éducation et à la recherche avec des résultats de
moins en moins probants sur le développement économique et social. Pire,
l'école est totalement déconnectée dans son contenu comme dans sa forme du
milieu rural. Les réformes en cours des systèmes éducatifs devraient redéfinir
les missions de l'école afin de l'insérer davantage dans le milieu rural avec
une réhabilitation de la profession paysanne.
(2) Il estmcntionné dans un « Rapport du Contrôle Financier .. que la recherche coÎlte cher
cl n'est pas bicn rentabilisée. Certaines insuffisances sont alors soulignées comme la participation
limitt:e des développeurs ce qui témoigne d 'un manque d'intérêt, ['imprécision des objectifs, des
conts Cl dcs délais ell'abscncc d'un contrôle d'efficacité.
176
Sans nul doute, tous ces problèmes sont imponants mais peuvent éluder la
question fondamentale qui réside dans l'absence totale d'une politique globale
et pertinente de recherche agricole.
Il faut relever certaines idées totalement erronées qui circulent selon
lesquelles les paysans feront eux-mêmes la révolution technique et
scientifique. Cette assertion est totalement fausse conception car la révolution
scientifique et technique sera le fait des savants, des chercheurs et des
techniciens évoluant dans les campagnes et y opérant des recherches
systématiques. Cependant, seul l'Etat a les moyens et le personnel pour
l'impulser, l'organiser et diffuser les résultats. Il peut le faire à trois niveaux:
- l'identification des produits et systèmes agraires pouvant contribuer à
la croissance économique du pays:
-la localisation dans l'espace et des contraintes sociologiques:
- le recensement et la vulgarisation des tecimologies les plus appropriées
pour atteindre les niveaux de production et de productivité les plus élevés.
Dans cette optique, il faudrait alors identifier les priorités de recherche
ainsi que les objectifs du développement tecimologique afin de les traduire en
objectifs.
L'agriculture sénégalaise accuse un retard tellement énonne que seule la
recherche peut contribuer à combler. C'est pourquoi une grande attention doit
être apportée aux activités de recherche qui auront pour objectifs d'éliminer
les contraintes et les obstacles aussi bien naturels que technologiques qui
empêchent une croissance soutenue de l'agriculture.
Il est impérieux de chercher à tirer profit de la révolution verte en la
systématisant mais surtout en l'adaptant aux conditions de l'environnement.
On pourra ainsi développer l'expérimentation et les recherches au niveau:
- des produits chimiques pour étudier les conditions d'accélération de la
croissance des plantes en vue de l'amélioration des rendements et les effets de
l'utilisation des pesticides et engrais sur les sols;
- des manipulations génétiques pour améliorer les espèces et accroître les
rendements ;
- de la photosynthèse, de la prévision météorologique par télédétection.
Il est aujourd'hui important pour le Sénégal de se mettre très rapidement
aux techniques de l'ordinateur qui est d'un apport déterminant pour
l'accélération du développement agricole. Désonnais, non seulement les
ordinateurs dirigent le matériel agricole, mais encore tiennent la comptabilité.
surveillent le progrès des cultures et de l'élevage, calculent les meilleurs
mélanges de nourriture et d'engrais en fonction des besoins et des prix et
même établissent les programmes d'irrigation d'après des prévisions
météorologiques enregistrées automatiquement. Il s'agit dès maintenant de
177
:éaliser des recherches systématiques des services que l'ordinateur peut rendre
jans le processus de développement du monde rural.
La mécanisation est un facteur essentiel du progès de l'agriculture ; elle
;ontribue à la modernisation rapide du secteur rural. Elle seule permet
t'élever la productivi té du travail et d'approfondir la division du travail à
'intérieur même du secteur agricole. Cependant, la mécanisation doit être un
Jbjectif vers lequel on tend par étapes successives passant du
Jerfectionnement des instruments agricoles traditionnels à la machine
'onctionnant sans intervention de l'homme. Tout ce processus nécessite une
Jrganisation rigoureuse et une gestion adéquate.
Pour maftriser toutes ces mutations, la planification s'impose car elle peut
Jermettre une gestion rationnelle de la politique de transformations
;tructurelles des campagnes. Dans le cas d'espace, les mécanismes du marché
,'avèrent insuffisants à résoudre les divers dysfonctionnements structurels.
L'Etat est architecte de toutes les transformations et mutations structurelles
l entreprendre. Il en est ainsi dans les pays industrialisés même les plus
ibéraux comme aux Etats-Unis et surtout des pays asiatiques qui en
'intervalle de trente ans sont passés « de greniers vides à des greniers
Jleins »(3). En effet, dans ces pays, comme dans bien d'autres, l'Etat est
:onstamment et massivement intervenu en mobilisant des moyens financiers
~t technologiques pour permettre aux agriculteurs d'affronter des milieux
laturcls hostiles et un environnement international défavorable. L'agriculture
:st le secteur où les principes du libéralisme n'ont jamais fonctionné comme
e laissent croire la théologie libérale en cours partout en Afrique. De plus,
'efficacité des politiques agricoles sont fonction des importantes subventions.
rous les pays développés subventionnent leur agriculture et le dossier agricole
lu GATI constitue actuellement le principal point de discorde entre certains
nembres de la CEE et les Etats-Unis les uns subventionnent les exportations
:t les autres soutiennent l'agriculteur. Edgar PISANI soulignait en 1988, que
es subventions aux prix agricoles étaient de 20 000 dollars par an et par
Igriculteur au Canada, ID 000 aux Etats-Unis et 2 000 en France. Ainsi
( hyperprotégées et soutenues, les économies des pays développés
léterminent un marché mondial dont la loi est celle d'une compéti tion
:tratégique-économique qui n'a rien à voir avec la vérité des prix »(4).
(3) Le Colloque organisé le 2 octobre 1985 à Paris par la " Fondation Liberté sans
rontières ,. observe qu'il y a trente ans, la situation alimentaire de l'Asie inquiétait tous les
,xperts alors que J'Afrique ne connaissait pas ce type de problèmes même au Sahel.
\ujourd'hui, le déficit alimentaire de l'Asie est en baisse très nette, l'Inde exporte, la Clùne a
~nsidérablement réduit ses achats à l'étranger. En Afrique au contraire les déficits se sont
.ccentués.
(4) Edgar PISANl. Pour l'Afrique. Editions Odile Jacob, 1988, p. 59.
178
3) La nécessité de la définition d'une poli4que adéquate de crédit
,
~litiqUe
Le crédit est un volet déterminant della
agraire et devrait rendre
possible le financement des opérations prodyttives et pennettre à l'agriculteur
de se redresser.
En matière d'institutions de fmancement faut-il regretter que l'on ne soit
pas encore complètement revenu sur le système bancaire traditionnel qui
renforce les distorsions structurelles caractéristiques de l'économie rurale. Le
système financier ne prévoit qu'accessoirement le financement des activités
agricoles.
Les conditions que l'agriculture a traversé au cours des années précédentes
avaient abouti à un endettement massif des paysans. A cet effet, le
gouvernement avait pris certaines mesures d'assainissement comme
l'annulation des arriérés de la delte semences et engrais et la réforme du
système de crédit agricole.
Le projet de réforme de 1983 avait formulé une série de propositions en
guise de politique à savoir:
- la création de la Caisse 1'iationale de Crédit Agricole du Sénégal
(CNCAS) ;
- l'encadrement et l'assistance des paysans dans la gestion des
documents de crédit;
- la communauté rurale et les coopératives comme garants des prêts à
accorder à leurs membres;
- la création de circuits d'approvisionnement en facteurs de production et
la simplification des procédures mettant directement en relation les
fournisseurs et les emprunteurs ;
Il est également précisé dans le projet que:
- le crédit doit désormais concerner toutes les activités du paysan
(commercialisation, participation des ruraux au financement de leur
développement, etc.) ;
- l'autonomie de gestion et de décision de la CNCAS et sa
décentralisation jusqu'au niveau de l'arrondissement sont recommandées;
-le taux moyen d'intérêt des prêts est fixé à 10 % ;
- les conditions de prêt sont différentes selon les emprunteun
individuels, les communautés rurales et les coopératives agricoles;
- les prêts individuels sont octroyés à ceux âgés de vingt et un ans au
moins et soixante-cinq ans au plus, ayant un compte à la CNCAS et disposan.
d'un revenu monétaire net annuel d'au moins un million de FCFA pour
obtenir ce prêt, ils doivent aJssi cultiver 20 ha en cultures sèches e f
commercialiser 15 tormes ;
179
- les conditions exigées pour les communautés rurales sont: un agrément
administratif et l'accord de la coopérative mère, la solidarité collective des
membres et la passation d'un contrat collectif, et un encours (anciennes dettes
+ échéances du prêt à consentir) de 20 % de la valeur du tonnage moyen
commercialisé pour les trois dernières années.
Les financements autorisés sont :
pour le matériel agricole:
- autofmancement : 20 %,
- durée: 7 ans,
pour les tracteurs et motorisations :
- autofinancement: 20 % ;
- durée: 10 ans ;
- les coopératives rurales agricoles bénéficient d'un prêt collectif, en
présentant leur compte d'exploitation et le bilan de trois années au moins, et
en ouvrant un compte à la CNCAS.
Les délais de financements concernent pour:
le moyen terme: matériel de post-récolte (7 %) ; autofinancement (20%) ;
tracteurs et motorisation (5 ans) ;
le long terme: bâtiments (10 ans) ; autofinancement (l0 %).
Les groupements de producteurs doivent déposer leurs fonds à la CNCAS,
et avoir le PY de la délibération de l'autorité responsable.
Par ailleurs, il est aussi prévu dans le projet de réforme de 1983 le crédit
dit de campagne octroyé aux organismes, aux sociétés et commerçants pour
financer les produits agricoles.
Malgré ces avancées significatives dans l'organisation du crédit agricole, il
faut observer que les taux d'intérêt appliqués et les saretés exigées (en
contradiction flagrante avec les dispositions de la Loi sur le Domaine
National) défavorisent les petits producteurs. En conséquence, le crédit
agricole ne va concerner principalement que les gros producteurs et les
diverses notabilités anciennement grands bénéficiaires des services des SDR
et même du Programme Agricole.
La Caisse Nationale de Crédit Agricole conçue comme une banque privée
de crédit agricole est loin d'être un instrument efficient de financement des
opérations agricoles. Il est vrai que le financement des crédits aux
communautés rurales est sa mission principale, mais, à l'expérience on
observe un contournement de cette mission puisque les principales ressources
ont été consacrées au financement des campagnes de commercialisation.
Ainsi, en 1990, la CNCAS avait 14,7 milliards de FCFA de créances sur les
canlpagncs de commercialisation des années précédentes (5,5 milliards pour
1989-1990 et 9,2 milliards pour 1989-1990). Dans la même année clIc n'a
180
1
prêté qu'un volume de credit de 3,1 milliards de FCFA pour l'ensemble du
secteur primaire soit: 2,2 milliards pour l'agriculture, 402 millions pour la
pêche, 275 millions pour l'élevage et 223 millions pour le commerce et
l'habitat rural. Tout cela est assez dérisoire, par rappon aux énormes besoins
de financement du secteur. Les crédits de campagne absorbent l'essentiel des
ressources de la CNCAS. Dans ce contexte on comprend les difficultés de
trésorerie de la Caisse.
A ces difficultés s'ajoutent d'autres liées notamment à la faible surface
financière des demandeurs de crédit (si bien que les GlE ont été les principaux
bénéficiaires de l'intervention), aux conditions de crédit. à l'hétérogénéité des
acteurs. Par ailleurs, au plan de la mobilisation de l'épargne rurale, la Caisse
manque notablement d'efficacité.
En conclusion l'impact de la CNCAS dans le financement des activités
agricoles est encore fort limité si bien que le problème du crédit agricole est
entier au Sénégal. Sans une politique, de crédit agricole appuyée sur des
coopératives,.solides le développement rural sera compromis par asphyxie
fi nancéh. t.\W.
AüTotal comme nous l'avons montré tout au long des précédents
développements, le secteur rural sénégalais, notamment dans sa composante
agricole présentait, à la veille de l'indépendance. de graves déficiences et
distorsions que les plans de développement qui se sont succédé ces trente
dernières années n'ont pu résorber. Ainsi, l'agriculture sénégalaise demeure
encore aujourd'hui raClement déstructurée ct peu productive malgré les
multiples tentatives de modernisation qu'elle a connus et qui ont fait l'objet
d'une mobilisation d'appréciables ressources financières.
La mauvaise allocution des ressources financières et la faiblesse de leur
rendement doivent conduire à analyser de plus près certains éléments relatifs
au financement des activités rurales et agricoles en particulier. Pour cela, il
faut panir tout d'abord d'une évaluation des besoins de financement de
l'agriculture et du secteur primaire en général; ensuite, examiner le volume,
l'origine et la structure des financements avant de mettre en relief dans une
dernière étape l'organisation et le degré d'efficacité de l'utilisation des
ressources financières ainsi mobilisées.
Les financements du secteur agricole au sens large peuvent s'analyser
selon trois approches:
- en prenant en compte l'importance du secteur rural dans l'économie
sénégalaise;
- en considérant la paupérisation caractéristique des campagnes;
- en étudiant les besoins de financement relatifs aux structures à creer.
Sept Sénégalais sur dix sont agriculteurs, éleveurs ou pêcheurs. Même si
l'industrie croît annuellement à un taux de 5 %, l'agriculture au sens large
181
·
restera pendant longtemps enc\)re la principale source d'emploi pour la
majorité des Sénégalais.
Malgré les importantes fluctuations enregistrées depuis 1960, la
contribution du secteur rural dans le PIB a été en moyenne de 25 %. Source
contributive déterminante dans la formation du PIB. le secteur rural joue
également un rôle aussi important dans les exportations du Sénégal. Dès [ors.
il est nécessaire d'accorde r à ce secteur une place de choi x dans l'affectation
des ressources financières car toute perturbation en son sein engendre
inéluctablement des effets non négligeables sur l'économie dans son
ensemble.
En outre, la population sénégalaise atteindra quelques 10 millions
d 'habitants en l'an 2000. soit par rapport à aujourd 'hui 3 millions d 'indiv idus
supplémentaires parmi lesq uèls au moins 2 millions travailleront probablement
dans le secteur rural. Dans ces conditions, sans une politique vigoureuse de
modernisation de l"agriculture, (œ qui suppose une affectation de ressources
supplémentaires) le pays sera dans les deux prochaines décennies.
probablement confronté àdeux graves problèmes: les déficits alimentaires et
l"emploi rural qui s'ils ne sont pas résolus menaceront l'ordre et la paix
sociale. Pour cela, il sera alors néœssaire de mobil iserde substant iels moyens
financiers permettantd 'impulser le passage de méthodes culturales extensi ves
(fortement destructrices du milieu) à des méthodes plus intensives qui, tout
en préservant les équilibres écologiques fondamentaux. contribueront à
accroître très largement la productivité. Ceci suppose entre autres éléments.
une politique de maîtrise de l'eau, une utilisation plus systématique mais
rationnelle des fertilisants et surtout la vulgarisation de techniques culturales
plus performantes. Ainsi. du fait de rendements plus élevés. les productions
devraient s'accroître augmentant ainsi la contri bution du secteur à la formation
du revenu national.
Comme souligné précédemment, plus des 2/3 de la population active
sénégalaise travaille dans le secteur rural tout en ne contribuant en moyenne
que pour 1/4 à la formation du PIE. Les re venus des producteurs ruraux sont
sans commune mesure avec leur apport à la production et de surcroît ils se
détériorent de façon permanente contribuant ainsi à l'aggravation de la
pauvreté en milieu rural. Il apparaît ainsi que l'augmentation du niveau
général de vie passe inévitablement par l'amélioration des conditions
d'existence et de travail de cette importante frange de la population, Cet
élément doit être pris en considération dans toute politique de crédit agricole
car pour ravoir pendant longtemps négligé, toutes les actions tendant à
améliorer les techniques producti ves dans l'agriculture n'ont pas conduit aux
résultats escomptés. En fait, pour ce qui est du crédit, il convient de faire une
approche globale de l'ensemble des problèmes du monde rural. En effet, s'il
importe de fournir aux producteurs des crédits productifs, il convient
182
également de les.: socialiser» dans la mesure du possible compte tenu de
l'éLat de dénuement actuel des agents économiques producteurs de ce secteur.
Au plan pratique. la mise en place de crédits agricoles fonement .: sociaux»
exige un ensemble de techniques complémentaires, notamment la création
d'un fonds de bonification d'intérêt. Nous le préciserons plus loin. En outre,
on observera que ces crédits qualifiés de .: sociaux» ont un caractère plutÔt
très productif. Ils incorporent en effet un fort effet mulliplicateur de
productivité du fait de la libération de toutes les potentialités du producteur
ainsi dégagé des innombrables contraintes financières liées à la rigueur du
crédit.
On le voit, une politique de financement qui se veut efficace doit. non
seulement, permellre aux producteurs d'acquérir les moyens de production
modernes qui leur font cruellement défaut, mais aussi et surtout leur
trésorerie. Elle doit en conséquence pcrmenre une consommation des facteurs
de production et donner aux producteurs la possibilité d'assurer leurs besoins
alimentaires notamment dans ces périodes de soudure. Observons que, la
misère et la pauvreté constituent des facteurs de blocage de l'accroissement de
la production. D'ailleurs, la période dite de soudure coïncide dans les
campagnes sénégalaises avec celle d'intenses activités champêtres
(hivernage). Dans ces conditions, on comprend assez aisément, au-delà des
explications usuelles que la raison principale du recul de la productivité, la
faiblesse des productions est la persistance de la paupérisation dans les zones
rurales sénégalaises.
Compte tenu de ces éléments, il semble évident que l'efficacité de la
politique de crédit agricole tienne essentiellement à sa capacité de libérer les
producteurs du « diktat» des commerçants usuriers et à la sécurisation de la
production. Bien entendu, l'approche globale du crédit agricole fait appel à
des moyens financiers substantiels que le système bancaire est incapable de
mobiliser et de distribuer. Toutefois, il demeure que les ressources sont
indispensables dans le cadre de la réhabilitation des structures productives
rurales, de l'amélioration des rendements, de la productivité, de la production
et sunout de la lune contre l'archaïsme et la perpétuation de la misère dans les
campagnes sénégalaises. Face à celte nécessité, il est proposé la création d'un
système Associative ou Mutualiste d'épargne et de crédit ou des Caisses
d'épargne rurale ou de Banques Populaires qui sont plus adaptées au milieu.
Pour résoudre ou espérer résoudre les problèmes cruciaux auxquels le
secteur rural sénégalais est actuellement confronté, il ne suffit pas seulement
de disposer d'une cenaine capacité de financement. Il faut en plus meUre en
place un ensemble de structures complémentaires et efficaces parmi lesquelles
on pourrait citer: les organismes de distribution du crédit agricole, les
organismes d'encadrement du monde rural (essentiellement prestataires de
services précis) : les organismes de recherche et de vulgarisation des résulta[s
183
de la recherche (techniques modernes de production, outils de production plus
adaptés aux conditions écologiques, variétés de semences plus perfonnantes,
etc.). Le fonctionnement de ces structures exige la mobilisation d'importants
moyens fmanciers. L'efficacité de toute politique agricole en dépend. En effet,
les organismes de recherche doivent en particulier mettre à la disposition des
paysans des variétés semencières suffisantes et mieux adaptées aux
caractéristiques climatiques sahéliennes.
En outre, s'il convient de créer des structures et des institutions
d'encadrement ou d'appui, il impone de les rendre plus accessibles à leurs
destinataires, en conférant aux dites structures la flexibilité nécessaire
pennettant d'améliorer l'efficacité de leur intervention dans le milieu rural.
Concernant plus paniculièrement les organismes de crédit agricole, cette
flex.ibilité devrait se traduire par l'assouplissement des conditions d'accès au
financement évitant ainsi l'imposition des principes rigides qui caractérisent le
secteur bancaire traditionnel.
Les besoins financiers seroru énormes dans l'optique d'une révolution
agraire profonde qui ex.ige un recours à la mécanisation, à l'utilisation des
facteurs modernes de production et même à cenains travaux d'infrastructure.
Les ressources de toute nature, d'origine budgétaire comme privé, devraient
être mobilisées à travers des structures diversifiées. L'Etat est appelé à jouer
un rôle dans la définition des cadres institutionnels et l'allocatio l1 -des
ressources mobilisées.
Globalement, la révolution agricole appelle l'élaboration d'une politique
financière cohérente qui mette en place un système de crédit structuré mais
souple qui pennette aux paysans d'échapper aux excès de l'usure et à la
dépendance vis-à-vis des divers fournisseurs de biens intennédiaires. Cela
appelle la recherche de solutions adéquates à toutes les questions liées à
l'encadrement du crédit, au taux d'intérêt, à la durée des prêts, au rythme de
remboursement et aux problèmes des saretés. En réglant, de manière
adéquate, ces problèmes le Crédit rural pourrait être accessible aux petits
producteurs ce qui leur pennettrait de stimuler la production et de relever leur
niveau de revenu.
'-
4) La politique des prix, de revenus et de commercialisation comme
moyen de modification des structures
TI est de plus en plus clair que « l'élévation substantielle du niveau de vie
et de revenu de plus de 60 % de la population active est un soutien beaucoup
plus sOr pour l'industrie et le reste de l'économie nationale que des débouchés
extérieurs toujours aléatoires ».
-
184
·
· lftJ
. -t'IAJ,/.--\~
0)
--------------'------'-,----,---~. '<,,/
a) Les prix
1
Contrairement aux idées largement répandues d 'une prétendue incapacité
des paysans à répondre aux « messages» du marché, des études ponctuelles
sur l'Afrique ont révélé selon la Banque Mondiale, une « très grande élasticité
de la production agricole africaine par rapport aux modifications du système
des prix et même par rapport aux variations des prix relatifs »(5). A la suite
des travaux de M. Nerlove et de T.W. Schultz(6), il est clairement établi que
['offre agricole réagit positivement aux augmentations des prix. Les tests
économiques réalisés au niveau de quelques pays confirment que la
modification des termes de l'échange en faveurde l'agriculture entraîne une
hausse corrélative de la production soit par le biais des amblavures soit par
un ace roi ssement des rendements. D' ai lieurs certains économistes se fom!<U1t
sur les élasticités positives en arrivent à soutenir que les médiocres
perform,ul\:es agricoles en Afrique sont la conséquence logique des politiques
inadéquates des prix appliquées par les pouvoirs publics.
Au Sénégal. une étude de la SONED précise que: « lors des interviews
dans les villages de la zone arachiJière en particulier. les paysans ont admis
que le développement des surfaces cultivées en arachide au détriment de
celles en mil tient au niveau relatif du revenu que l'on peut attendre de ces
deux cultures, étant entendu que le paysan conserve néanmoins en culture les
besoins annuels estimé"! de nourriture de sa famille. les stocks inter-anlluels
étant relativement faibles. et qu'il y a toujours la faculté de racheter à la
soudure le complément céréalier éventuellement manquant »(7).
Ainsi, comme il apparaît. il travers le caractère irréaliste de la politique
des prix, que ('une des causes fondamentales de l'échec de la production
agricole et notamment vivrière réside d,ms la fixation administrative par
l'Etat de prix (aux producteurs) non incitateurs.
Cependant, l'élasticité-prix de l'offre étant parfois très élevée, il con vient
de moduler dans la pratique les hausses de prix aux producteurs. En effet. un
relèvement substantiel des prix aux producteurs qui serait trop brusque
pourrait engendrer une spéculation extensive par la valorisation du capital
financier par de « faux agriculteurs ", ce qui, à terme, risquerait de peser de
façon anormale sur les prix à la consommation populaire et transfollner une
grande panie des paysans en ouvriers agricoles sur leurs propres terres
' té rie.
remettant ainsi en cause l'ensem.b.1.e..
-----------~
'------=:;:~.=.------.
(5) Banque Mondiale. LI' dh'cloppc/I)clI{ accéléré l'II Afriqllc ail Sil" " Il Sahara. 19X 1.
(6) M. Nerlove, Thc dYllall1ics of SI/pp/y: estimation of fam1cr's response to priee.
J. Hopkins. 1958. T. W. Schultz, Trall.~ror/l)illg traditiollllai agricllltllrc. Yale University. 19(H.
(7) SONED. Etlldc s/lr la cOl/llllerciu!lsatioll el le stockage des céréales (//1 Sëllé!iol. tome 1
319 p .. tome II 342 p.
Le problème de fond est l'élaboration d'une politique de prix incitatrice
c'est-à-dire des prix qui rémunèrent les effons fou mis par les producteurs, qui
pennettent la réalisation des investissements productifs et qui préservent le
capital foncier.
b) Les revenus
Globalement. la structuration des revenus internes est. à peu de choses
près. quasi identique à celle de l'ensemble des pays africains notamment ceux
situés au Sud du Sahara.
Les documents préparatoires VI" Plan du Minist~re du Plan et de la
Coopération (MPC) indiquent les évaluations suivantes concernant l'élasticité
revenu de la demande des principales céréales(8) :
-
erlc du mil-sorgho (en milieu urbain)
erlc du blé
cric du maïs
erlc du mil (en milieu rural)
=-- erlc du riz (en milieu rural)
,
.
.
.
.
.
=-0.2
= + 0,7
= + 0,3
= +0.6
= + 0,26
Ces données statistiques appellent quelques observations :
D'abord. l'élasticité-revenu de la demande de mil-sorgho. même si elle est
faible n'indique pas moins qu 'un accroissement de revenu entraîne une baisse
de la consommation du mil-sorgho.
Ensuite, l'élasticité-revenu du blé, elle, traduit qu'un accroissement de
revenu induit une augmentation assez importante de la consommation du blé
(entendez par là du pain). Autrement dit. l'accroissement du revenu de la
population engendre une substitution du blé et du riz au mil puisque
l'élasticité revenu de la demande de riz est positive même en milieu rural
(± 0,26).
Cependant, cette tendance est négative pour une stratégie de sécurité
alimentaire car elle implique un accroissement constant des importations de
riz et de blé. ce qui aggrave en pennanence le déséquilibre. déjà préoccupant,
de la balance commerciale et décourage par ailleurs la production locale de
mil.
En outre, concernant l'élasticité-revenu de la consommation du mars.
même si elle est positive, elle demeure encore relativement faible, ce qui, du
reste, traduit l'existence de possibilité d'élargissement de la consommation
des repas à base de maïs notamment avec les progrès actuels de la technologie
alimentaire au Sénégal (acquis grâce à l'Institut de Technologie Alimentaire).
(8) MPC, « Plans de développement économique et social ". du !. au li'. Documenu
préparaloires.
186
En considérant, enfin, l'élasticité-revenu de la consommation de mil en
milieu rural, on peut observer que son niveau assez élevé indique qu'une
politique appropriée de prix aux producteurs, en améliorant le revenu
paysannal, devrait non seulement accroftre la production des biens
alimentaires locaux dont le mil,mais aussi augmenter la consommation de ce
dernier produit tant en milieu rural (l'élasticité étant positive) qu'en milieu
urbain (avec la suppression progressive des subventions aux céréales
importées).
Au tolal, les statistiques établissent que le revenu urbain est en moyenne
10 fois plus élevé que le revenu rural. Et puisque d'une pan, l'élasticité d.!!maïs est faible, celle du mil en milieu urbain est négative, celle des céréales
importées est très forte et que d'autre part, les 30 % de ces importations
céréalières sont consommées par les urbains, on peut dire que le maintien de
la structure actuelle des revenus, en ce qu'elle perpétue l'extraversion de la
consommation alimentaire par renforcement de la tendance négative,
constitue, assurément, un frein à la promotion des cultures vivrières locales.
Dans ces conditions, seule une correction par les prix aux producteurs ruraux
et à la consommation urbaine aurait pour effet de modifier cette structure
actuelle des revenus par transfert des consommateurs urbains aux producteurs
ruraux.
Cependant, il est bien évident que le plus gros obstacle à une telle
démarche demeure l'ampleur des coûts sociaux récurrents et qui pose le
problème de la possibilité même ct 'une telle politique, les centres urbains étant
par excellence d'importants groupes de pression politique et sociale.
c) La commercialisation
Il apparaftaujourd'hui que les stratégies agraires accordent une imponance
aux problèmes de commercialisation si bien que, par moment, faute de circuits
adéquats de commercialisation, les surplus de production sont détruits. Il
apparaft de plus en plus évident qu'il ne suffit pas de produire mais il faut
surtout vendre à des prix rémunérateurs et sur de bons marchés présentant des
qualités de stabilité et de solvabilité. C'est pourquoi, l'organisation et le
contrôle des principales étapes de la commercialisation s'imposent cela
d'autant plus que les politiques de libéralisation renforcent démésurément le
pourvoir des commerçants et des intermédiaires du monde rural.
Les données rendues disponibles par le Plan céréalier montrent une
faiblesse notoire des quantités de cultures vivrières locales commercialisées.
Les raisons avancées pour cette situation mettent l'accent sur d'une part,
l'absence de préfinancements pour les cultures vivrières, les offices nationaux
de commercialisation s'intéressant prioritairement aux cultures spéculatives
de rente et d'autre pan sur la déficience des circuits de commercialisation et
IR7
l'offre de prix il l'achat non rémunàateurs ljlli conduisent les paysans il une
forte auto-consommation. A ces arguments s'ajoute l'absence de moyens
de stockage ljui affaiblissent le pouvoir de négociation des paysans et leur
capacité lk réguler le marché.
La portion des céréales qui est commercialisée généralement par les
circuits traditionnels (c'est-il-dire non officiels ou privés) l'est dans les
centres urbains il des prix il la consommation encore plu.s élevés ljue ceux
(déjà relativement élevés fixés) par la CPSP. ce qui, de fait. en réduit la
COll somma til)ll pote nt il' Ile.
Dans le même temps. la commercialisation de.s céréales importées.
notamment le l'il. et le blé dans les grands centres urbains, grève le"
subventions étatiljues et conduit :.t Lies prix il la con"ommation dérisoire.s qui
con~;lIrrencent lr~s fortèmènt les L'ultures vivrières locales.
Dans ces conditions. il convient de souligner que la commercialisation.
au même titre quc les prix et les revenus. est une composante déterminante
dans l'orientatillil de la demande des produits vivriers et donc Jans la
conception même dc route stratégie de sécurité alimcntaire.
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. Dan" la plupart des pays afril'ains les centres urbains. aVel' un tau.x
de croissance supérieur il ~ ik, font exposer la demande alimèntaire èt
constituent des marchés à 1:.1 fois solvables. Le Sénégal ne fait pas
exception et son agriculture ne peut se développer sans reconquérir
les marchés urbains qui représentent annuellement lin chiffre d'affaires
supérieur il 100 milliards de FCFA soit 5 fois plus que j'apport dl'
l'arachide et de ses dérivés. Cette importante demande doit être
maîtrisée pour stimuler la production agricole et les échanges. Pou r ce
'1 faire, il faut commencer par modifier le modèle de consommation
fondé sur des biens importés qui n'est nullement une fatalité.
1
La structure actuellement extravertie de la consommation alimentaire
; urbaine. au-de là du mimétisme. repose essentiellement sur des cons idération~
de coûrs/avantages, notamment les prix relatifs des denrées et le remps de
travail domestique qu'exige leur cuisson, Il est reconnu qu'il est plus
commode et plus facile de préparer des repas avec du riz ou du blé qu'avec
du milou du sorgho, C'est dire qu'il faut au plus vite accélérer les recherches
et diffuser les résultats des technologies de transformation des céréales
locales.
ne po ltlque de modification de cette structure devrait. sur a base
d'enquêtes de comportements alimentaires suffisamment fines. opérer une
188
réorientation des habitudes de consommation vers des produits vivriers locaux
qui tierment la comparaison qualité-prix.
Le slogan « consommer sénégalais ~ doit cesser d'être un slogan et sc
traduire dans les faits en politique de promotion des produits agricoles
nationaux. Dans un pays où le secteur vivrier représente une part importante
de l'activité agricole et où les marchés urbains sont satisfaits par une offre de
biens alimentaires importés, la protection est indispensable voire
incontournable. Elle seule et la dévaluation peuvent à la fois stimuler la
production locale, et la consommation, limiter les importations. Malgré la
mise en cause par le nouveau discours néo-libéral des barrières tarifaires et
non tarifaires, aucune agriculture, au nord comme au Sud, ne se développe
sans protection, 11 est impensable d'abandonner son agriculture pour des
importations.
L'expérience montre, aujourd'hui, que la mondialisation-globalisation de
tous les marchés financiers et commerciaux s'accompagne de la fonnation de
blocs économiques régionaux qui sont en réalité des moyens de
compétititivité. L'organisation des espaces de commerce et d'échanges
privilégiés. de gestion des complémentarités entre des nations d'une même
aire géographique, constituent un forfait contournement des politiques libreéchangistes et non discriminatoires, 11 s'impose alors aux pays africains de
feter les bases d'une intégration durable du secteur agricole, et ce malgré
l'échec avéré des institutions africaines d'intégration en matière d'unification
ou d'hannonisation des politiques sectorielles. La conférence des Ministres de
l'agriculture tenue à Dakar les 18 et 19 mars 1991 avait proposé de relancer
l'intégration autour de deux axes: la création d'un marché agricole intrarégional et une approche concertée des marchés internationaux pour les
principales filières d'exportation,
Les propositions retenues concernaient :
- les grandes filières régionales; bétaiVviande, céréales, oléagineux;
- la compétitivité des produits d'exportation: café, coton, oléagineux;
- les mesures d'accomplissement: échanges d'information, crédit,
recherches formation, vulgarisation, gestion des ressources naturelles,
problèmes fonciers ;
- les productions « moins dominantes» : produits hallieutique, fruits et
légumes;
-l'environnement de l'ajustement.
Ainsi, au niveau des marchés régionaux du bétail et des céréales, les
mesures visent à créer les conditions d'un libre échange avec la suppression
des taxes intérieures, l'amélioration des infrastructures routiers et les
tnnsports, l'harmonisation des protections aux frontièr~s. Pour ce qui
concerne la promotion des exportations, il est recommandé la réduction des
189
coOts à tous les niveaux des filières dont la gestion serait professionnalisée.
l'atténuation des fluctuations des prix. l'utilisation de techniques modernes de
vente.
Pour réaliser des percées significatives dans l'exécution de ce programme.
il faudra s'orienter de façon plus déterminée vers la création d'un marché
agricole du bétail et des céréales par la promotion du commerce intra-régional
par la suppression des taxes intérieures et extérieures, l'amélioration des
informations, le développement de l'infrastructure de transport et
l'harmonisation des protections aux frontières. La réalisation d'une politique
agricole communautaire en Afrique devrait beaucoup aider à l'élaboration
d'une politique concertée d'approche des marchés internationaux pour ces
produits agricoles exportés (oléagineux, coton) afin de mieux négocier et de
mieux vendre.
190
CHAPlTRE III
Elaboration de structures fonctionnelles d'encadrement
et de participation populaire
t
L'important pour J'Eut n'esl pasde raire cc que les inuividu~ l'url!
ùéjà ct ùe le faire un p,:u mieux ou un peu moins mal. l11ai~ de Lli re-'
cc que personne u'autre ne fait pour le llwment. "
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C~1Pr~ au dévelnppel11ent
agricole ne sont pas seulement d'ordre technique. ni m~l11e final1L'ier mai~
sont essentiellement de nature organisationnelle et administrative. Dès lors
la question est posée de savoir qui va réguler l'activité'? Le marché ou l'Etat .)
Comme nous l'avons rappe lé,tout k long du XX C sièc le, les politiques se son t
construites entre « deux notes politiques: une droite conservatrice favorable
à une concurrence sans entraves sur le marché et une gauche pri vilégiant le
contrôle de l' acti vité par l'Etat ». Depu is une douzaine d'années les conceptions
ont radicalement évolué avec l'effondrement du socialisme d'Etat dans les
pays d'Europe de l'Est. Pendant les années quatre-vingt, le triomphe du
marché comme mode de régulation s'est confirmé condamnant l'Etat il
ch,mger de métier et à ne plus intervenir d,ms l'économie. Désormais, dans
le monde le libéralisme cesse d'être une doctrine pour se présenter comme
une donnée qu'il faut absolument intégrer dm1s la conduite de la politique
économique et financière. Les PAS ont accrédité l'idée que l'Etat africain est
rentré dans une triple crise économique (déficit chronique des finances
1L) 1
publiques) politique (faible démocratisation) et sociale (incapacité à réguler
le chômage et la pauvreté) qui le met « hors jeu» et le condamne à un
désengagement. S'il en est ainsi. c'est parce que l'Etat « a enflé sur le plan
économique en étendant ses tentacules au secteur public, il a enflé sur le plan
social en se voulant le protecteur de tous contre tous les aléas ) (Lione
Stoleru).
Pourtant. c'est au niveau de l'agriculture que l'Etat. en l'absence
d'opérateurs économiques capables de saisir toutes les opportunités
d'investissement. est massivement intervenu pour réaliser la modernisation
du secteur. Cette intervention. s'est traduite par un gonflement des effectifs
administratifs dans la masse salariale, la démultiplication des SOR qui sont
globalement déficitaires. l'accroissement du volume de la subvention. A y
regarder de près, ces éléments sont les principaux facteurs de déséquilibre
interne et externe. En conséquence, le retrait progressifde l'Etat au niveau de
l'économie et de la distribution est exigé par les bailleurs de fonds et
incorporé dans les conditionnalités.
Cette désétatisation se fonde selon ses auteurs sur deux certitudes: la
première postule que le marché est le meilleur instrument de régulation et
d'allocation des ressources: il suffit alors de laisser faire. et la seconde avance
que le retrait même précipité de l'Etat débridera toutes les initiatives privées
et ramènera les organisations paysannes à occuper la place laissée vacante par
l'Etat et ses divers démembrements
Pourtant. ces idées fortes ne découlent ni ci 'une théorie cohéreme et
iinfaiJlible ni d'un constat adossé sur le réel à travers les expérient'es des
)Nati(')11s. On serait tenté de dire que le néo-libéralisme est une nouvelle
\the.'ologie. Trois observati.. (.).n...s nous amènent sérieusement à douter de la
~alité de ces certitudes sur le désengagement de l'Etat.
La première observation-esi"de type théorique et découle des travaux de
Garry BECKER(I). Robert BARRO et J,-f. MEDARD gui établissent que le
marché même s'il est reconnu efficace peut connaître des imperfections gui
ne peuvent être corrigées gue par une intervention de l'Etat.
0-
Dans cette optique, on peut invoquer au moins trois imperfections
majeures révélées par les recherches et que seul l'Etat peut résoudre, Il s'agit:
- d'abord de l'existence d 'externalités positives c'est-à-dire de situation
où la rentabilité de r entreprise découle d'actions que les seules forces du
marché sont incapables de créer:
( 1) Le débat sur le marché et le rôle de l'Etat est revenu en force relancé par les
travaux de R. BARRO (Université de Harward) et ceux du prix Nobel d'économie de
1992 Galy BECKER (Université de Chicago) autour de la question: quel genre
d'imperfections de marché, l'Etat peut-il avoir à corriger?
192
- ensuite l'existence de rendements croissants et d'économies d'échelle
découlant d'une situation de monopole-'qui prive l'économie des aspects
positifs de la concurrence. L'Etat est seul à même par son intervention de
ramener le refonctionnement du marché;
- enfin, les imperfections des marchés financiers qui empêchent le
financement de projets socialement rentables mais trop risqués pour les
opérateurs privés ou alors des projets économiquement indispensables mais à
rentabilité différée. Le secteur agricole offre une parfaite illustration. Là
encore l'intervenLion de l'Etat est impérative pour corriger ces imperfections
en asswnant les risques.
Ces trois situations sont couramment observées dans beaucoup de pays et
• plus particulièrement dans les pays sous-développés. Dès lors, le
désengagement de l'Etat peut parfaitement se traduire par des coOts énonnes
et nuire en conséquence à la rentabili .
(2) Jean-Luc MaureT, « Autonomie d'un décollage alimentaire: le cas de l'indochine ", in
Asie-Afrique: greniers vides, greniers pleins,Editions Economica, Paris, 1986, p. 59-77.
193
.
~.
.
~
i
'
dans la majorité des pays asiatiques, l'Etat a mis en place l'infrastructure
\ créant des conditions incitatives à l'~nv~stissement privé, un réseau routier de
qualité, la scolarisation généralisée è~' création d'universités fonctionnelles.
L'Etat est même intervenu directement au niveau des prix aux producteurs ou
des taxes sur les produits. En Inde, l'autosuffisance alimentaire a été atteinte
grâce à l'intervention vigoureuse de l'Etat qui a soutenu le secteur céréalier
par une politique adéquate de prix.
La deuxième observation est que la délimitation des fonctions de l'Etat
dépend d'un choix purement national car rien dans les mécanismes de
l'interdépendance mondiale n'oblige les nations à augmenter ou à diminuer le
rôle de la puissance publique. Dans ce sens l'observation de L. STOLERU est
très ins~tive : que « le Japon a un Etat très fort et tres centralISé, les EtatsUnis un Etat moins fort et plus décentralisé et la Suède un Etat assez faible. Or
ces trois Etats ont d'excellentes performances sur le marché mondial unifié ».
n apparai't alors que le débat entre « plus d'Etat» et « moins d'Etat» est
largement trompeur et reste dans le fond assez superficiel.
La troisième observation concerne particulièrement les pays africains
comme le Sénégal où, l'Etat est le seul instrument suffisamment fort pour
structurer la société caractérisée par des tendances lourdes à l'hétérogénéité
structurelle créant plusieurs centres autonomes de décision. De plus, si l'on
! prend en considération la triple crise des cultures vivrières, des cultures
d'expOitation et de l'écologie, l'Etat est le seul acteur à même d'opérer les
redressements indispensables.
A l'analyse, le monde rural en Afrique, est complètement déstructuré,
disloqué et surtout dévitalisé par les effets conjugués de la crise économique
et de la désertification. Peut-on raisonnablement penser dans ce contexte que
les paysans peuvent s'en sortir sans Etat surtout au moment où ils sont
totalement déconnectés de l'économie de marché avec le développement de
l'autoconsommation et de beaucoup d'activités non marchandes. En clair,
dans cette situation, les incitations du marché s'avèrent insuffisantes, seul
l'Etat a les moyens d'une recomposition des structures et d'une revitalisation
\ de la prod~ction.
es observations indiquent que le choix n'est pas entre « plus d'Etat et
moins d'Etat» car les restructurations qu'appellent les PAS de même que la
nécessaire insertion de l'économie nationale dans le marché mondial exigent
un Etat fort.
Le problème fondamental concerne plutÔt la nature de l'Etat qui serait
capable de conduire les transformations structurelles notamment au niveau de
l'agriculture en vue d'amorcer un processus irréversible de modernisation de
toute la société rurale et de changer les comportements ct les mentalités des
divers acteurs dans les campagnes.
194
La restructuration de l'Etat qui renvoie à l'idée poujadiste ~ d'Etat
modeste ,. passe par la redéfinition du rôle de celui-ci dans la nation et son
recentrage progressif sur ses activités traditionnelles que sont la défense, la
sécurité publique, l'éducation, la santé et la justice auxquelles, il faut ajouter
un rôle nouveau d'impulsion et de coordination de l'activité économique
nationale. Cette réfonne ne saurait se réduire en tennes trop simplistes en
désengagement de la puissance publique dont la mission régulatrice demeure
indispensable sunout dans cette phase cruciale de restructuration économique
et d'ajustement structurel, celui-ci qui impose une nouvelle donne
économique, de nouvelles politiques sectorielles et une modification profonde
des structures et des conditions de production que le marché est incapable
d'assumer.
Toutelois, il ne faut pas occulter la nécessité d'entreprendre des réformes
profondes qui concernent globalement l'organisation et la gestion de l'Etat de
même que l'environnement institutionnel public. Ce processus de réforme et
de modernisation est maintenant connu sous le nom de gouvernance. Le
problème a été particulièrement bien perçu par le Président Blaise Compaoré
du Burkina Fasso lorsqu'il écrit dans son Programme de Large Rassemblement
c< La bonne gouvernance constitue un moyen ct un objectif de développement,
garantissant la participation populaire, la stabilité politique, le développement
institutionnel et le respect des droits de l'homme »(3). Les réformes de
l'économie deviennent indissociables des réformes del'Etat ct de son système
de gouvernance car seul un système de bonne gouvernance est à même de
créer les conditions d'une stabilité politique acceptable, de définir le cadre
politique et économique souhaité et de garantir le régime de droit nécessaire
au développement général de la société dont notamment celui du secteur
privé.
Cette réfonne globale de l'Etat et de ses institutions devrait se traduire
par :
- l'instauration d'un Etat à la fois dynamique parce que devenu plus
souple dans ses interventions et animé par un personnel ayant de bonnes
capacité techniques;
- la mise en place d'un appareil administratif décentralisé et efficace
c'est-à-dire capable de rationaliser tous ses choix et de rechercher pour un coat
déterminé la meilleure performance. Cet appareil doit être la moins parasitaire
pour les fiuances publiques et moins paralysant pour l'activité économique;
- l'avènement d'institutions démocratiques avec des mécanismes de
promotion, de dialogue et de concertation avec tous les acteurs sociaux.
(3) Excellence Blaise Compaoré : Programme de Large Rassemblement et la démocratie
Ouagadougou, document ronéoté.
195
L'Etat ainsi recentré devrait laisser aux forces du marché la conduite de la
croissance pour se redéployer dans ses nouvelles missions d'encadrement
global et de régulation sociale afm d'éviter la constitution d'une société duale.
Dans ce contexte le Plan, surtout dans un secteur à grand risque comme
l'agriculture, s'impose comme un instrument de régulation et de prévision. En
effet, on peut considérer la planification comme un interventionnisme
permanent et généralisé de l'Etat qui prend un caractère organique et vise à
organiser le fonctionnement de l'économie et à effectuer les mutations
sU"Ucturelles adéquates pour atteindre des objectifs économiques et sociaux
définis à l'avance. C'est par la planification que l'on peut gérer les milieux
naturels hostiles et l'environnement international souvent défavorable et
maîtriser les multiples facteurs qui pèsent sur le monde rural. Le plan permet
de rationaliser l'économie et les activités agricoles. 11 est vrai que la
planification a été suffisamment discréditée pour voir son abandon
progressivement imposé par les Institutions Financières Internationales. Quoi
qu'il en soit sa réforme comme instrument de régulation économique est
devenue impérieuse.
Dans un plaidoyer d'une remarquable lucidité, Pierre JACQUEMOT(4)
observe que « toute organisation sociale a besoin de se projeter dans l'avenir
pour mieux le préparer, elle a en conséquence un puissant besoin de produire
des plans ». Le plan est un réducteur d'incenitude. L'avenir comme disait
NIETZCHE « appanient à ceux qui auront la mémoire la plus longue ». Celte
exigence est peut-être plus fone en Afrique qu'ailleurs en raison de la faible
intégration nationale et de la nécessité pour les Etats en formation d'étendre
leur légitimité à un corps social atomiséeS). Cette exigence est simplement
incontournable pour le secteur agricole.
Dans le cadre des restructurations et des modifications des modes de
régulation des économies par les PAS et les PASA, la planification s'avère de
plus en plus indispensable. Les Institutions Financières Internationales
l'avaient considéré comme un instrument de régulation inefficient,
responsable de la gestion bureaucratique ct incapable de permettre une
maîtrise adéquate des paramètres de l'économie. Il apparaît aujourd 'hui, à
travers différentes évaluations que l'on s'est partiellement trompé de
diagnostic. En effet, la planification n'est pas une fin en soi mais une
technique de mise en œuvre consciente et rationnelle des ressources rares en
vue de leur utilisation optimale au service d'objectifs préalablement fixés. Elle
est, en conséquence, un outil de gestion et d'allocation dans un univers de
rareté et d'instabilité.
(4) P. JACQUEMOT, " La désétatisation en Afrique subsaharienne, enjeux et perspectives ,., Revue Tiers-Monde, nO 114, avril-juin 1988. Le Renouveau de la planification.
(5) Moustapha KASSE, « Défis économiques et ambition démocratique ,., Revue
Perspectives Socialistes, nO 3, mai 1992.
196
La planification au niveau de l'agriculture devrait donc apponer plus de
rationalité dans la fixation des objectifs et dans la détermination des moyens
pour les atteindre. A l'expérience, la gestion économique optimale qui vise la
réalisation du maximum de bien-être individuel et collectif par une meilleure
utilisation des ressources disponibles ne peut être assurée ni par les simples
vertus des mécanismes du marché, ni par une intervention cond}lite
exclusi vement par l'Etat.
,
C'est dire que, la réhabilitation de la planification est indispensable et
devrait graviter autour de trois idéçs forces: la restauration des
préoccupations sur le futur, l'appropriation des questions relatives à la
régulation économique et la mise en œuvre des innovations tectU1iques. Dans
cette direction, le Plan jouera mieux ses fonctions de révélation des manques
et des dysfonctionnements structurels, de moyens d'exécution d'un projet de
société ayant des incidences multiples sur l'environnement et les acteurs,
d'instrument de relance de la croissance grâce aux mesures et politiques
sectorielles mises en œuvre.
Si l'Etat doit continuer de jouer les premiers rôles dans l'économie
agricole, pour fixer les orientations et les cadres institutionnels, définir et faire
respecter les règles du jeu rural, moraliser les marchés, financer la recherche,
construire les infrastructures de base, diffuser les informations, protéger les
producteurs et par moment les consommateurs, décider des politiques
d'import-export, la planification devra s'imposer pour établir les priorités et
allouer conséquemment les moyens. En conséquence la planification peut
permettre une plus grande efficacité des actions du développement rural.
Le problème majeur qui va alors se poser est de trouver un système
planifié adapté aux cultivateurs sénégalais et qui puisse mettre en cohérence
l'enchevêtrement de plusieurs facteurs technico-économiques, et socioinstitutionnels qui pèsent sur l'ensemble du monde rural. Dans cette optique,
l'approche systématique, qui tente d'englober des éléments du système rural
ainsi que leurs interdépendances, et de mettre en œuvre un développement
rural intégré défini peut parfaitement convenir. Cette approche systémique est
analysée par P. THENEYIN qui adopte deux démarches:
- une démarche théorique qui consiste à définir les actions, opérations et
projets de développement en tenant compte de l'équilibre macro-économique
et micro-économique;
- une démarche concrète qui permet d'ajuster les prévisions et les
réalisations.
L'objectif de cette approche, c'est de prendre en compte la réalité du
milieu rural, l'aléa, l'imprévisible, les conilits entre groupes, etc. Dans pareil
contexte, le plan devient véritablement un réducteur d'incertitude.
Le schéma s'explique de la manière suivante:
• Phase A
Dans cette phase. on établit le modèle de développement ainsi que les
objectifs généraux admis par les politiques: on procède à une exploration du
long terme et des problèmes de long terme perçus par les décideurs, on retient
les conditions générales du développement: potentialité. technologie, rôlè de
l'Etat. conditions de productioo, rapports sociaux. etc.
Pour cela. on utilise:
- une analyse des diverses transformations du fonctionnement même du
milieu rural;
- une analy,;e historique qui révèle les problèmes de développement et
leurs conditions générales: évolution démographique, ressources nature Iles,
prix, Cette analyse concerne la Région. l'opération de développement. le
village, « Il apparaît évident qu'une analyse historique, riche de multiples
comparaisons possibles (analogies et différences entre projets ou entre pays.
ù divers moments) peut fonder non seulement une exploitation du long terme
mais encore une décision portant sur les variables pertinentes explicatives du
développement »(6).
- une analyse du fonctionnement du système rural. Il s'agit d'étudier les
re lat ions entre les centres de déc is ions et leu rs comportements envers les sous
systèmes,
• Phase B: définition des politiques et actions de développement.
formulation des projets
Duns cette phase. on essaie de définir les actions de développement à
l'issue de la phase A qui a permis de déceler les variables déterminantes sur
lesquels agir. On découvre d 'abord les besoins et les marchés intérieurs et
extérieurs. ensuite. on répond à la demande par la mise en œu vre des projets
ou actions de développement. Enfin. on s 'assure de l'équilibre macrnéconomique: comptes de l'Etat. devises. emplois. etc .
• Phase C: le
«
Filtre» des actions au niveau micro-économique
Dans cette phase. on s 'assure que les différentes actions de développement
soient adoptées par les paysans. On teste alors:
- les cohérences internes entre projets ou actions: complémentarité.
subordination. indépendance. incompatibilité apparaissant par l'étude des
fi liè l'es de prod uctiOll:
(6) THENEVIN P.. « Investig3tion en milieu IUml et 13 pratique du développement. Cadre
d'intégration et approche systématique AMMA. n° 18, 3vri11978. volume L p. 83.
Ji.
198
- les cohérences ex.ternes entre projets ou actions et politiques (itération
B-C), et entre projets ou actions et conditions de mise en œuvre (itération CD, E, F).
Dans un premier temps, il est nécessaire de regrouper les producteurs
ruraux et les régions de façon homogène (selon les conditions de production,
fertilité des sols, climat, organisation sociale, densité de la population, ete.).
On doit alors retenir des « Filtres» à partir desquels on stimule les
différentes situations.
• Phase D : utilisation des
«
Scénarios» : les équilibres macro-économiques
Il s'agit ici d'assurer l'équilibre micro-économique et macro-économique.
Les scénarios en D permettent de retenir les actions de développement et de
définir les politiques qui sont cohérentes aussi bien au niveau microéconomique que macro-économique.
On note que les phases C et D sont interdépendantes. Elles fournissent aux
planificateurs des infonnations intéressantes qui éclairent leurs choix et leur
pcnnettent de définir, de manière correcte les actions de développement.
• Phase E à G : itérations et évaluation permanente
Il s'agit:
- de l'évaluation des effets du projet par rapport à l'utilisation des
ressources rares (devises, terres, ete.) non renouvelables (écosystème) ;
- des cohérences globales entre projets (comptabilité nationale, offre
demande, prix...).
Ce schéma de THENEVIN montre comment planifier un développement
rural intégré et autorise une réflex.ion sur les améliorations possibles à
apporter à la planification en milieu rural. Il définit dans le même temps ce
que pourrait être une planification « intégrée» à même de servir de méthode
de référence pour le pays. Celle-ci suppose non seulement de s'assurer que
toutes les phases de planification sont effectivement réalisées, mais aussi de
prendre en compte les limites de la planification.
En fait, il s'agit de réaliser une analyse du milieu rural, dans ses
transformations, son fonctionnement et son organisation. On pourrait utiliser
l'analyse systémique au niveau régional en observant les divers sous-systèmes
existants complétés par la déconcentration des pouvoirs et la décentralisation
des décisions. Dès ce stade, doit apparaître la défini tion des actions de
développement à entreprendre. L'étape suivante sera l'adoption ou non de
différentes actions de développement par le monde rural.
199
A la suite de cette adoption, on peut établir une analyse factorielle
intégrant les variables clefs du système retenu. On peut enfm utiliser divers
scénarios contenant des objectifs faibles, moyens et forts. La réalisation d'une
planification permanente tenant constamment compte de la réalité du
comportement des divers"acteurs économiques sera permise grâce à la
conduite du processus itératif.
Toutes ces analyses penneuem de conclure, ne serait ce que partiellement;
que des mesures ponctuelles, si habiles et si appropriées qu'elles soient ne
sauraient remplacer une politique cohérente pour faire véritablement bouger le
secteur rural et le sortir d'un immobilisme séculaire.
Si l'agriculture sénégalaise doit jouer un rôle moteur dans une croissance
économique durable et soutenue, il faudra y appliquer des politiques très
volontaristes capables (le transformer fondamentalement les structures et la
croissance de la demande en vecteur de développement de la production et des
échanges.
Dans tous lesyays en développement, les politiques agraires n'ont réussi à
couvrir que très faiblement les besoins vivriers installant ainsi un très grave
déficit alimentaire qui se résout par un recours excessif à l'extérieur. De plus,
les mesures de modernisation introduites sont restées extrêmement
parcellaires et ont produit un processus de différenciation sociale entre une
élite paysanne qui a profité de l'introduction de nouvelles technologies et une
masse paysanne appauvrie. Dans ce contexte, l'exode rural observé doit être
interprété comme le double signe de la paupérisation des campagnes et de
l'incapacité du secteur ~rural à capter et à utiliser sa propre force de travail. 11
en résulte un double phénomène de vieillissement et de féminisation des
campagnes.
Pour dépasser ceUe situation, une transformation des structures s'impose à
partir d'un autre modèle de développement économique et social.
Dans cette direction, une attention particulière doit être accordée au
progrès technique et à la recherche scientifique. Le Sénégal n'a ni les mêmes
échéances, ni les mêmes exigences que les pays industrialisés. Il doit trouver
des raccourcis pour combler son retard de développement Il ne peut le faire
qu'en utilisant systématiquement et de façon généralisée les technologies les
plus avancées, les plus progressives. Le progrès technique est à mettre, quel
qu'en soit le prix, au service de la croissance économique. La. recherche doit
être élevée au rang des préoccupations prioritaires. Les tâches en la matière se
résument principalement dans les orientations et options suivantes:
- l'élaboration d'une politique et d'une administration (efficace)
d'impulsion et de gestion de la recherche technico-agronomique qui aura
vocation à coordonner et à harmoniser toutes les recherches entreprises par les
institutions nationaJes, privées, publiques et étrangères;
200
- la mobilisation de moyens financiers mais aussi humains et matériels
en vue tic l'équipement ct du fonctionnement de laboratoires et autres stations
d'expérimentation;
- la création de banques de données pour tous les chercheurs et autres
professionnels de l'agriculture ainsi que l'institution de puissants moyens de
diffusion et de vulgarisation des résultats obtenus;
- la réforme vigoureuse des institutions universitaires de formation et de
recherche pour les impliquer davantage dans le processus de transformation
du monde rural. Il est totalement inadmissible que le système éducatif et de
formation ne prenne pas en charge les préoccupations d'urt secteur qui emploie
70 % de la main-d'œuvre et fournit l'essentiel des retenus monétaires.
La croissance et le développement ne seront durables dans les formations
agraires que si les politiques mises en place revalorisent profondément
l'agriculture et permettent aux paysans d'être une force sociale dynamique,
politiquement et techniquement préparée à assumer un large mouvement de
bouleversement de leur environnement socio-économique. 11 faudra alors
considérer les paysans non pas comme une source de revenus pour les caisses
de l'Etat, mais comme une force dynamique, au service de la construction
nationale. Cela soulève l'important problème de la participation populaire au
développement rural.
2) Revalorisation des structures et des organisations paysannes
~
d
,.,. _'6
.
La leçon que l'on peut tirer d'une vingtaine d'année d'intervention directe
de l'Etat dans le monde rural est la grande apathie des paysans face au jeu des
tJ appareils. Le problème demeure toujours de savoir comment mobiliser et
~ \~" incorporer les cultivateurs dans un processus de modernisation qui leur ouvre
l'accès aux intrants, au crédits, à des formes d'organisation de défense de leurs
hJ1" intérêts mais aussi à des capacités techniques et économiques nécessaires pour
~ \~()
négocier avec tous les autres acteurs de la vie nationale. En l'absence d'une
syndicalisation rurale active il se pose toujours la question de l'intégration
positive des paysans dans le développement et leur participation effective à la
vie économique et politique. Si le paysan ne s'impose pas comme citoyen. il
ne pourra pas le faire comme producteur. L'échec d'une cenaine forme
d'intervention de l'Etat pousseà rectièrct'ier les organisations paysannes
susceptibles de dégager de nouvelles synergies sociales de contribuer de façon
remarquable au développement de la production agricole.
L'évaluation des rapports sociaux et des interventions de divers acteurs
dans le processus de production agricole montre qu'il existe des organisations
paysannes dont les intérêts ne se confondent pas avec ceux des autres
(
~~
u:
201
composantes du monde rural comme les coopératives, les Groupements
d'Intérêt Economique (GIE), les commerçants, les entrepreneurs privés. Ces
organisations traditionnelles, familiales ou informelles exercent des fonctions
multiples de gestion du terroir, des infrastructures économiques et sociales. En
même temps, elles organisent et fortifient les liens de solidarité.
L'abandon par l'Etat de seffoncùons économiques essentielles ainsi que le
dépérissement souvent assez mal préparé des SOR ouvrent un champ nouveau
et des espaces stratégiques pour de nouvelles formes d'organisations
paysannes. Dans ce sens, les Associations de producteurs qui se donnent pour
missions la distribution des intrants, la mobilisation du crédit de la Caisse
Nationale de Crédit Agricole (eNCAS), l'organisation de circuits de
commercialisation et de service de vulgarisation doivent être aidées et
encouragées. La SAED s'y emploie en organisant « les Groupements de
Producteurs ,.. La SODEATEX en fait autant avec les 1 800 Associations de
Base des Producteurs. li faut simplement souhaiter que l'on ne retombe dans
les errements du passé par l'imposition d'une tutelle pesante qui bloquerait les
initiatives créatrices des organisations paysannes.
Manifestement, le modèle libéral avec au bout, la saiarisation des paysans
dans le cadre de mndes ex loitations agricoles, l'organIsation et l'agriculture
collectlvls e d'un encadrement envahissant et inadapté par des structures
étatiques peu souples condUIsent nécessairement à déposséder les pa sans de
leur savOlr-falTl!, de leur ca cn
Initiative c ative. Comme quoi dans les
campagnes âfncaIl1~~es systèmes économfques théologiques ont la vie dure.
Le cas des méthodes d'encadrement du monde rural dans les pays africains en
général et au Sénégal en particulier est très révélateur à ce sujet. Dans ces
conditions, une stratégie de développement agricole doit inclure la recherche
de fonnes d'organisation et de mobilisation qui évitent de dissocier le
producteur d'avec ses moyens de production. Par ailleurs, ces modèles
d'organisation paysanne peuvent offrir des solutions alternatives tant à
l'agriculture capitaliste qu'à l'exploitation collectiviste. Elles seules sont à
même de construire de nouvelles solidarités du nouveau local à l'échelon
national.
3) La question foncière : enjeux et exigences
Il peut sembler, à première vue, que la question foncière est d'une
importance secondaire puisque le droit coutumier procure une véritable
sécurité foncière aux paysans individuels sous fonne de droits d'usage et
d'usufruit à long terme. Cependant. la loi 64-46 du 17 juin 1964 relaùve au
DomaIne National (LON) et ses décrets d'application partici pent d'une
202
volonté de l'Etat de substituer au régime traditionnel de tenure foncière
un régime compatible avec l'option de politique économique « socialiste
et démocratique» qui se fonde sur le principe « la terre à ceux qui la
cultivent ».
La LDN « qui redéfinit le droit à la terre, redistribue les rôles sociaux,
Lran5forme le système de production, se pose comme une somme d'exigences
majeures surtout dans le cadre de .. l'après-barrage n, de l'ouverture de
nouvelles frontières agricoles et de responsabilités toutes aussi nouvelles da,ps
la gestion paysanne de l'espace »(7). Comment alors se pose.la question
foncière aujourd'hui et quels sont ses enjeux véritables? J;:n d'autres termes à
une époque où l'accroissement de la production est directement fonction des
investissements, des machines et des technologies, le couple ~'-tèrre-travail »
est-il encore un grand enjeu pour la modernisation et la production du secteur
agricole_?:..,----_..::::::.._-
a) Les véritables enjeux
-------
fonc~eI.~_
'-.._------------_... _----
~
r--La question foncière est une réalité aux cent visages: géographique,
agronomique, écologique, juridique, sociOlOgique, étonomique'notamment.
Pour y voir clair. elle doit êlre nécessairement abordée dans une approche
pluridisciplinaire,
Dans l'enckvêtrement complexe des divers aspects de cette réalité, ce qui
va intéresser plus particulièrement l'économiste cc sont les activités humaines
de production. d'échange. de répartition et de consommation des richesses
rares que sont la terre et l'eau ainsi que des biens qui en sont issus. Existe-t-i1
des « lois» économiques permettant d 'expliquer et de prévoir ces activités
étant entendu qu'y interfèrent toute une série de facteurs non-économiques?
Quand on s'intéresse aux structures foncières africaines et aux problèmes
qu'elles posent dans la zone sahélienne: Burkina-Faso. Mali, Mauritanie.
Niger, Sénégal, il est bon, en effet. de mémoriser quelques chiffres-clés
pouvant servir de points d'appui à l'analyse,
D'abord il est indispensable de savoir que la population rurale de ces pays
représente deux tiers ou plus de la population totale. Il est aussi utile aussi
d'enregistrer que la part du secteur primaire dans le PIB ou la Production
Nationale est de l'ordre de 20 %. Il en résulte que la valeur ajoutée par
habitant des villes est huit fois plus élevée que la valeur ajoutée par habitant
rural. Celte dernière est de moins de 50 000 francs CFA par an.
Ensuite en ce qui concerne les surfaces, un chiffre et quelques proportions
téritent d'être retenus. Les surfaces cultivées représentent la % ou moins
t
(7) Idi Carras NIANE. La question foncière, Séminaire du Conseil Economique el Social
(CES) sur " l'Après-Barrage" 1-3 juillel 1987, Dakar
203
encore de la superficie globale des pays ; les surfaces cultivables moins de
20 % ; la surface cultivée par habitant rural moins d 'un, hectar~. Sur les
surfaces cultivées, les cultures pluviales sont actuellement très largement
prédominantes: 95 % et les cultures irriguées aujourd 'hui très minoritaires:
moins de 5 % mais les rendements de ces dernières sont environ de dix fois
~dements des prentlères.
Au chapitre de l'eau il est utile de bien noter que les ressources en eau
mobilisables concernent les fleuves à concurrence de 90 %, les eaux
souterraines pour le reste, soit 10 %. Le potentiel d'eau utilisable pour les
cultures (1 'hydraulique agricole) représente probablement de 4 à 5 fois la
consommation d'eau totale nécessaire aux besoins des hommes, des animaux
et des industries du pays.
Pour comprendre ces problèmes, il faut avoir également une idée de la
répartition des terres entre possédants. Malgré l'absence de statistiques
fiables, il semble que la répartition, au Sénégal, ne soit pas totalement
exempte de certaines inégalités notamment pour l'agriculture dans son
ensemble entre « moyens possédants» et « paysans sans-terre» ainsi que dans
l'agriculture pluviale où existent quelques fortunes foncières de grande
dimension. Si l'on prend une référence européenne le modèle de répartition se
situe probablement entre le modèle anglais et le modèle français.
Dans cc contexte on peut se poser la question de savoir quels sont les
enjeux de la question foncière.
Le tenne enjeu est ici entendu comme ce que risquent de gagner ou perdre
les participants à un jeu ou à une activité économique. Les enjeux fonciers,
tous très importants, ont à la fois une dimension nationale et une dimension
internationale. Ces deux niveaux ne sont pas séparés par des cloisons
étanches, bien au contraire.
Au niveau national, la première série d'enjeux pourrait être appréhendée
par la question suivante: la vieille et sinistre prédiction de MALTHUS
trouvera-t-elle encore longtemps confinnation dans un pays sahélien comme
le Sénégal? La prédiction faite au XIX" siècle par ce pasteur anglican dit, que
l'accroissement démographique naturel l'emportera toujours su r
l'augmentation possible des productions alimentaires. L'agriculture
sahélienne, à défaut de la démographie, lui infligera-t-elle bientÔt un
démenti? Si oui, on satisfera aux objectifs d' au Losuffi sance et à la sécurité
alimentaire des populations. En combien de temps? La révolution agrofoncière qu'implique l'expansion des cultures irriguées est seule capable
d'accroftre significativement la productivité et les rendements du secteur
agricole dans son ensemble. Cene révolution s'inscrira dans la durée. Pour de
multiples raisons et notamment le financement des aménagements des
surfaces irrigablcsne sera pas trouvé avec facilité dans cette période de crise
204
financière grave; il faudra également du temps pour la reconversion des
paysans majoritairement occupés aujourd'hui aux cultures pluviales
auxquelles sont associées des techniques séculaires et millénaires. On peut
également se demander - ce sont d'autres enjeux - si les risques sanitaires
et écologiques liés à ces changements seront maîtrisés et surtout si les
nouvelles politiques agricoles en œuvre ici ou là réussiront à enclencher le
développement de l'économie toute entière.
Toujours au niveau national, la seconde catégorie d'enjeux concerne la
répartition de la richesse foncière et du pouvoir qui y est attaché. La
sécheresse n'est pas au Sahel une invention. Le facteur le moins bien maîtrisé
étant l'eau, il est souvent dit: qui tient l'eau, tient la terre qu'elle peut
irriguer... et le reste. Qui donc est maître de l'eau? Actuellement c'est l'Etat,
en fait et en droit: par les grands barrages qu'il a édifiés, par exemple sur le
fleuve Sénégal, œuvre conjointe de la Mauritanie, du Sénégal et du Mali pour
un coOt de 220 milliards de FCFA. Dès lors, le principal enjeu de la répartition
foncière apparaît clairement: c'est le potentiel de cultures irrigables (240 000
hectares pour la seule rive sénégalaise du fleuve du même nom, aptes à tripler
le volume actuel des productions végétales du pays). Que fera l'Etat du
pouvoir qu'il détient? En laissera-t-il prendre la part du lion par certains
gouvernants et fonctionnaires en place ou retraités? Pour ne pas scier l'une
des branches sur lesquelles il est assis, invitera-t-il à la table du partage les
maîtres traditionnels de la terre, famille nobles et chefs religieux susceptibles
de venir à cette table accompagnés de leur influence sur la population rurale
électoralement majoritaire? Ou bien, comme il semble vouloir le faire au
Sénégal, l'Etat déléguera-t-il son pouvoir et la répartition foncière sera-t-elle,
pour la plus grande part, décidée àîa base par des communautés ou des
conseils ruraux? Sur quels critères ces conseils fonderont-ils l'auribution des
terres et quelle sera leur attitude vis-à-vis des postulants nationaux venus
d'autres régions ou d'autres ethnies que la leur? Pour délimiter tous ces
enjeux, il faudrait encore penser d'une part à l'électricité qui suivra l'eau,
d'autre pan au « foncier des villes,. qui s'ajoutc au « foncier des champs,. et
inllucnce l'équilibre des populations urbaines et rurales.
Au niveau international, le premier enjeu est inlCrafricain : les pays de la
wne parviendront-ils à tenne à faire de leur coopération réussie pour la mise
en valeur des terrcs et de l'eau (type OMVS(S) ou Commission du Reuve
Niger) un levier efficace de leur intégration économique?
La seconde catégorie d'enjeux internationaux concerne l'accès dcs
étrangers à l'agriculture et l' agro-industrie locales: dans quclles limites
seront-ils acceptés sinon recherchés et comment seront vécues les possibilités
de coexistence entre le salariat auquel a habituellement recours l'agro(8) Organisation de Mise en Valeur du Fleuve Sénégal.
205
industrie internationale et l'agriculture coopérative ou familiale diversifiée
qu'il est souhaitable d'encourager? Comment va-t-on arriver à rendre
compatibles la volonté légitime de sauvegarder la base foncière, de
l'indépendance et du désir bien compréhensible de s'écarter de la
marginalisation en participant à une économie mondiale caractérisée
notamment par la croissance des capitaux transnationaux?
Enfin, quels sont, pourrait-on dire, les tiercés gagnants c'est-à-dire les
combinaisons productives à base de terre, d'eau et de soleil que peuvent
appliquer les politiques pour prendre une meilleure place dans le jeu
économique mondial des avantages compétitifs?
Tels sont, brièvement décrits, les principaux enjeux de la question foncière
dans les pays du Sahel en général et au Sénégal en particulier.
b) Dans les pratiques foncières traditionnelles quelles sont les parts
respectives de l'individualisme et de l'esprit communautaire?
C'est une question importante notamment pour ceux qui, en scrutant le
passé et ses survivances tentent d'imaginer des scénarios possibles pour
l'agriculture sénégalaise.
On présente très souvent les régimes fonciers de l'Afrique traditionnelle
comme fortement empreints d'un esprit communautaire voire marqués au
sceau du collectivisme; ceci permet de les opposer radicalement aux régimes
européens ou occidentaux où prévaut la propriété de type individualiste. Cette
présentation appelle de sérieuses réserves, à tout le moins, d' im portantes
précisions pour prévenir le risque de certaines confusions.
Au Sénégal, le droit traditionnel de la terre est certes, généralement, un
droit d'appropriation ou d'usage du sol de type communautaire. C'est
d'ailleurs cela qui explique, pour les théoriciens de la 4( voie africaine du
socialisme », le caractère communautaire et non individuel des formes de
propriété notamment dans les campagnes. Encore faut-il préciser le sens de
l'adjectif communautaire: il renvoie à la notion de lignage (groupe de filiation
unilinéaire dont tous les membres se considèrent comme descendant d'un
ancêtre commun ou d'une ancêtre commune). La propriété est donc lignagère
et la terre, celle des ancêtres, est en principe inaliénable et indivise. C'est la
règle. Mais en Afrique comme partout dans le monde, le droit est flexible et
les comportements ou pratiques peuvent s'écanerde la règle.
Le caractère communautaire du régime foncier traditionnel est loin
d'exclure tout individualisme. A l'intérieur du lignage tout d'abord, rien
n'empêche l'entrée en concurrence des stratégies individuelles et les luttes
entre aînés et cadets, entre hommes et femmes sont choses bien connues.
il faut observer en second lieu que les sociétés ou communautés rurales,
parfois très hiérarchisées, ont été et sont encore souvent dominées par des
206
féodalités : les maîtres de la terre dans certains lignages, à l'exclusion
d'autres, forment le groupe important. Le régime foncier communautaire
n'est donc pas du tout synonyme de collectivisme égalitaire et il se mêle à un
individualisme marqué. Pour ravoir oublié ou négligé, de nombreux projets
de collecti visation de l'agriculture (au sens européen du terme) se sont soldés
en Afrique, par des échecs cuisants.
Mais il y a plus, Si dans les pratiques foncières traditionnelles, l'esprit
communautaire est indéniable, il est aussi très fortement présent dans la
sphère des activités de répartition des fruits de la terre ainsi que, dans celle
de l'habitat et des activités domestiques, il est en revanche beaucoup moins
répandu dans la sphère des activités de production: les tenures individuelles
existent depuis bien longtemps et le travail productif est pour une large part.
celui de lïJ1dividu ou de la cellule familiale restreinte. Or, c'est dans cette
sphère que 1" eau maîtrisée des fleuves est en train d'in troduire de grandes
mutations dans le secteur agricole.
Les modalités d'utilisation de l'eau pour la terre seront ou devront être
demain nettement plus individualisées tant sur le plan technique que sur le
plan financier. A l'eau des pluies gratuite mais aléatoire se substitue une eau
des fleuves régulée par de grands ouvrages hydrauliques dont le coût sera
financé en partie par les seuls utilisateurs: c'est là un premier facteur d
., ind ivid ua 1isat ion.
Le second facteur tient au fait que l'eau est amenée sur les surfaces ~j
irriguer par des matériels d'aménagement plus ou moins individualisés et
ce la contribue à la croissance rapide du nombre de périmètres ou d 'exploitat ions
pri vés.
.
Cette privatisation est certes possible àdivers degrés al\ant de l'individu
e xplo itan t à des grou pements de prod ucteurs. Et ce rta ins con~'oivelll qu' elles
ruis,ent a fJriori avoir pour surr0rt juridique. soit un droit de propriété
pri vée. soi t un droit d ·usage. Dans tous les cas de figure, la composante
individualiste que les pratiques foncières traditionnelles colllenaient déjà à
dose non négligeable, verra son importance accrue dan, le cadre d'une
agriculture qui se veut intensive et rèffol'l11ante donc qui ouvre l'accè~ au ~ol
aux petits exploitants porteurs de rrogrès.
Les rouvoirs rublics prennent comcience de celle évolution et devront
donc veill~r à ce que la dose supplémentaire de ce tigre individualiste mis
dans le Il.1Oteur de ce que certains auteurs appellent « le génie communautaire
du régime foncier africain de toujours »(9).
(9) Cette expression est employée lkllls l'exposé des motifs de la Loi sénégalaise sur le
domaine n...tiol\al de 1964.
207
c) La propriété privée du sol est-elle le régime le plus apte à promouvoir
le développement agricole?
Cette question conduit au cœur du principal problème foncier posé à
l'ensemble des pays sahéliens où la propriété privée de la terre est très peu
répandue voire quasi inexistante et cela; malgré les politiques de libéralisation
en cours dans la presque totalité de ces pays. Elle exige une réponse très claire
même si la clarté n'exclut pas certaines nuances.
fi faut d'abord, en la matière, se garder de tout manichéisme et écarter les
raisonnements à l'emporte-pièce qui se contente de deux identités
particulièrement simplistes:
-
propriété privée = individualisme;
Afrique communautarisme.
=
La combinaison de ces deux propositions aboutit à la conclusion que
l'Afrique et la propriété privée de la terre sont comme l'eau et le feu, donc à
jamais inconciliable. Ce jugement relève de la caricature et non seulement il
est faux il est plus dangereux car prononcé au mépris de la moindre
observation des faiLs et réalités.
En analysant les pratiques foncières africaines, un constat plus nuancé
s'impose et peut être établi dans les termes suivants: la LOnalité
indiscutablement dominante des régimes fonciers de l'Afrique de toujours est
celle de l'esprit communautaire. Ce ton est effectivement un facteur de nette
différenciation de ces régimes par rapport à leurs homologues occidentaux.
Mais nous disons « différenciaÙon ~ et non « opposition irréducùble ~ tout en
soulignant au passage que:
- l'essence de cet esprit communautaire est peut-être l'une des pius
grandes richesses de l'Afrique et qui est largement restée mal connue,
économiquement et socialement mal uÙlisée ;
- son dosage rencontre des variations, parfois importantes, selon les
grandes zones ou même les pays (et leurs régions) du continent.
L'esprit communautaire irradie un système de valeurs qu'il faut
sérieusement préserver car il représente tout à la fois pour les agriculteurs une
assurance de leur survie, un moyen de sauvegarder leur identité et finalement
leur dignité. Accepter de regarder cet esprit communautaire à la place qu'il
occupe (la première) n'empêche nullement de voir qu'il a toujours, dans la
réalité, l'individualisme pour compagnon. Donc, les deux composantes sont
intimement mêlées. A l'Etat et au législateur, d'en tirer toute la leçon sous
peine de voir leurs lois et règlements rejetés par les populations.
Sans nul doute, la majorité des paysans souhaitent exercer un droit de
propriété privée sur leur principal instrument de production. Cela est déjà
208
enclenché dans le processus hydra-agricole actuel. Le maillon qui leur manque
pour 'lU 'ils s 'engagent et investissent dans la valorisation des terres irrigables.
c 'est la reconnaissance par le droit de cette situation. Le défaut de titre foncier
bloque. par ailleurs. l'accès au crédit agricole nécessaire à l'investissement
dans les aménagements, le matériel agricole et les intrants. Sans l'assurance de
pouvoir à son gré. conserver la terre améf!.agée et valorisée, sans la cellitude de
pouvoir transmettre cette terre à ses descendants. le paysan sénégalais ne se
laissera jamais prendre au piège d' une modernisation creuse. Son intelligence
millénaire et son pragmatisme le lui interdiront. Il ne s'investira pas et on ne voit
pas quelle logique au monde pouITait lu idonnertort. A cela. il faut immédiatement
ajouter que cette aspiration paysanne se double d'un indéniable besoin de
stnIctures communautaires: habitués à peser les risques et à les diversifier.
habitués à une vie sociale, ils mesurent les conséquences de l' indi vidualisation
de l'exploitation notamment en cas de maladie. d'avaries naturelles ou de
diffïcultés à gérer selon le nouveau modèle. C'est dire que le p13idoyer en
faveur de la propriété pri vée est le contrai re d'un appel à la liqu idation des
traditions africaines. Il est l'affim1ation que ces traditions peuvent prendre la
place qui leur revient dans un processus véritable de modernisation de
l'agriculture pour peu que les pou\'oirs publics veillent à ce que la propriété
privée puisse renforcer les initiati\es paysannes d'inspiration communautaire:
groupements de producteurs. associations villageoises. de jeunes. etc. Il serait
vain de vouloir substituer à ces iniriative.s dcs intervcntions étatiques lourdes.
paralysantes et inefficaces.
Reste donc, en guise de conclu~i()n à définir les principes d'un régime de
propriété du sol rural correSp()nJ~U1t à ce processus de modern isat ion rée Ile de
la société rurale sénégalaise, réduis ~I l'essentiel et pour les surfact's irrigabks.
ces principes concement quatre éq ui 1ibres qu'il faut préserver. Le prem ier
d'entre eux trace ulle ligne de partage entre J'initiative de l'Etat et celle des
ind ividus: par exem pIe un tiers des surfaces pourraiel1l être propriété de l'Etat.
deux tiers de propriétés individuelles attribuées par des conseils nIraux. A
l'intérieur de chacun de ces deux espaces. observol1s qut' peu\cnt jouer
conjointement l'indi\'iduel et le collectif: l'Etat peut. en effet. dans le premier
espace cOllcéder la terre à des individus (hol1lmes d'affairt's) tandis que les
propriétés d'individus (ou de groupt'ments) sont. dans le second espace.
attribuées par des stnIctures communautaires. Ces dernières aurlll1t intérêt il
ménager deux autres équilibres dans leurs attributions: le premier d'entre eux
est la ligne de pal1age entre autochtones er allochtones (2/3-1/3),
Le second correspond à une f()urchette" mini-maxi ), (ü titre d'exemple
celle fourchette est de 1 à 3 hectares en Corée du Sud). Pour réal iser le
quatrième équilibre. l'Etat et les conseils nIraux se concertent pour la
répartition entre nationaux et étrangers. Nos chiffres sont de simples repères:
2()t)
ils n'ont pour d'autre but que de meure l'accent sur ccrtains points pour mieux
éclairer et lancer le débat dont la complexité exige qu'il reste ouvert le temps
qu'il faut aux acteurs intéressés pour réfléchir et s'exprimer avant d'arrêter
leurs choix.
Au total, ce délai évoqué et durant lequel pourraient être observées des
expériences de propriété privée est également celui qu'il faut pour que les
possédants traditionn~s reconnaissent l'accès à la terre des non-possédants,
pour que les objectifs des producteurs et des « décideurs» s'harmonisent,
pour qu'un paysage agricole (cultures, arbres, animaux) se crée dans les
régions de cultures irriguées et pour que le cycle complet de ces cultures (de
l'approvisionnement à la commercialisation) soit maîtrisé. Accepter de
« prendre ce temps» accélérera l'avènement d'une agriculture capable
d'atteindre l' autosu ffisance et la sécurité alimentaires.
4) Participation populaire au développement rural et promotion de la
femme
.
'}
s prob mes techno-a ronomi ues et de croissance
uantitati
en el es-memes bien Insuffisantes pour assurer le succès
~ Q u e alirajrc composante e' n , <
conomlque
et social. Il faut y ajouter la dimension participative des populations à
l'élaboration, à l'exécution et à la gestion de l'ensemble de la politique
du développement rural. Pour ce faire, comme le souligne Louis Emmerij, il
faut inventer un nouveau régime politique capable de décentraliser le pouvoir
de décision économique et de faciliter la panicipation de tous les acteurs du
jeu économique aux institutions et au système qui les gouvernent. Pareil
régime devrait confier plus de responsabilités aux entrepreneurs du secteur
informel rural et un bain, aux coopératives, aux villageois et à tous les
opérateurs de la vie économique. Ainsi on ouvrirait le champ aux
investissements, à la créativité, à l'esprit d'entreprise et à l'innovation. On ne
soulignera jamais assez que la carence des orientations et structures agraires
ainsi que l'absence de participation populaire sont des obstacles majeurs au
succès des programmes agricoles. Il devient alors indispensable de mettre en
place une stratégie globale et cohérente qui élimine les obstacles à la
participation.
La participation populaire conçue comme moteur du processus de
transformations et de mutations des campagnes comprend au moins deux
volets essentiels:
-
- la décentralisation et la création de structures adéquates d 'organisation
de la panicipation des populations rurales;
210
- et la promotion de la femme dans la société civile comme partenaire à
part entière et responsable du développement.
Bien souvent, la participation des populations est réduite au premier volet
concernant ses aspects organisationnels et institutionnels. A la Conférence
internationale sur la participation populaire dans le processus de redressement
et de développement (Arusha, 12-26 février 1990), le Secrét~re Exécutif de
la CEA, le Professeur Adébayo ADEDEJI observait dans son rapport
introductif que « le développement authentique et auto-entretenu ne peut que
se traduire par la transformation du peuple qui apporte le changement, sa
culture, son attitude à l'égard du travail, ses conceptions et compétences ainsi
que ses systèmes sociaux. Ce développement auto-entretenu exige, partout en
Afrique, la politique de consentement et de consensus, la politique de la
conviction et de l'engagement, la politique de la comparaison et de la
responsabilité »(10).
Cette préoccupation doit être largement partagée dans les pays sahéliens
où les organisations rurales ont été relancées, dans les durs moments de la
grande sécheresse (1972-1984), pour mobiliser les populations afin de faire
face aux conséquences désastreuses de cette calamité naturelle par la
construction de puits, de micro-barrages, de banques de céréales,
d'approvisionnement en produits de première nécessité, dé commercialisation
des céréales. Dans cette lancée, la Rencontre Régionale de Ségou (21-25 mai
1989) sur les expériences de concertation avait reconnu l'impérative nécessité
d'assurer la participation des populations rurales à toutes les échelles des
politiques qui les concernent directement. En la matière, les expériences
vécues dans chaque pays avaient mis en exergue la nécessité de :
- organiser un monde rural conscient de son rôle dans le développement
de la nation, du village et du terroir;
- constituer une force permettant au monde rural d'être associé aux prises
de décisions;
- promouvoir un auto-encadrement et une autogestion des actions et des
projets par la formation, la recherche d'expertise, etc. ;
- établir des relations contractuelles avec l'Etat, les ONGs, les autres
organisations villageoises et les donateurs, afin de bénéficier de l'appui
continu des uns et des autres.
L'ampleur des débats et surtout la pertinence des conclusions,
commandent un rappel complet des propositions d'orientations et de
recommandations sur ce qu'il importe de faire pour réaliser une participation
effective du monde rural à l'élaboration et à la gestion de la stratégie du
développement rural:
(10) C.E. A., Charte Africaine de la participation populaire. E/ECA/CM 16/11.
21 J
a) En direction du monde paysan
La problématique est de dégager W1 cadre qui puisse prendre en charge des
éléments capables d'intégrer positivement les paysans dans le développement
économique et social, assurer leur participation à la >,ie politique et
démocratique. li s'agit de:
- prendre conscience de la nécess!~e de l'organisation du monde paysan
pour constituer une force;
- prendre aussi consciencc dc la néccssaire participation de la femme au
développement du monde rural:
- travaillcr à la mise cn place de structures organisationnclles adéquates;
- concrétiser leur esprit d'initiative et de volonté dans les actions visant
la satisfaction des besoins fondamentaux du terroir:
- mobiliser les ressources potentielles (matérielles, humaines) en vue de
tendre vers l'autonomie de gestion, condition d'un développement durable au
Sahel;
- favoriser et soutenir l'cffort de la femme pour le développement.
b) En direction de l'Etat
Il est maintenant bien admis que l'Etat, au Sénégal comme en Afrique, doit
continuer à jouer un rôle de premier plan en lraçm1t une di rection stratégique
aux opéraleurs nationaux et en mettant en œuvre les politiques de
redressement économique et financier et en mobilisant toutes les énergies et
ressources autour d'un projet national global et cohérent. Pour ce faire, il doit
se reformer profondement. Toutefois, les réfonnes proposées de l'Etat dms le
cadre des politiques d'ajustement structurel sont réduites à un amaigrisscment,
à la privatisation des entreprises publiques déficitaires. Bien que ces
orientations soient importantes, la réforme de l'Etal doit aller beaucoup plus
loin et impliquer la rationalisation de son fonctionnement administratif, la
redistribution des fonctions dans le cadre d'un processus de décentralisation,
ainsi que l'instauration de nouvelles règles du jeu dans les rapports avec le
reste de la Société Civile. Au niveau de l'agriculture, l'Etat doit exercer des
fonctions importantes d'organisation du secteur en vue d'un accroissement et
d'une diversification de la production agricole. Pour ce faire, il impone de
créer les conditions optimales pour favoriser la participation du paysan à un
développement durable au Sahel ;
Pour ce faire, il est recommandé de :
- prendre des mesures administratives, juridiques et financières pour
faciliter l'organisation des paysans, leur formation, leur information et leur
accès à la terre et aux facteurs de production (crédit, intrants, équipement,
etc.) ;
212
- définir les règles de participation au développement entre les différents
partenaires (Etat, paysans, donateurs) ;
- assurer une santé à l'ensemble du monde rural, spécialement la mère,
l'enfant. et les populations des périmètres irrigués;
- permettre au monde rural de prendre en main ses responsabilités;
- valoriser les efforts du monde paysan par l'organisation des marchés.
c) En direction des donateurs
- soutenir les efforts des Etats sahéliens et les initiatives des paysans en
vue du développement du terroir
Pour cc faire, il faut:
-
réviser et adapter leurs procédures d'intervention;
se coordonner entre eux, et également entre eux et l'Etat;
favoriser et soutenir l'effort de la femme pour le développement(ll).
Il faut bien observer que l'approche du développement participatif par la
base n'est pas toujours compatible avec les institutions souvent
centralisatrices, bonapartistes et jacobines, ni avec les pratiques politiques et
sociales fortement enracinées. Il faut des réformes de mise en hannonie.
Le moyen institutionnel pour y arriver est l'application d'une
décentralisation qui devrait aboutir à un vérilable exercice du pouvoir à la
base, c'est-à-dire au niveau local. La participation directe aux institutions
locales devient véritablement l'école du citoyen réellement actif(l2).
Soulignons le, les administrations africaines dans leurs formes mimétiques
actuelles ne peuvent pas œuvrer à un développement endogène, autOnome qui
implique pour son animation ct sa gestion que soit mise en œuvre une autoadministration. Cette exigence conduit à préciser le contenu qu'on entend
donner au développement endogène. Il s'agit d'un développement autonome,
par les buts qu'il s'assigne et plus accessible par les moyens qu'il met en
œuvre, un développement qui vise prioritairement la satisfaction des besoins
des couches populaires ainsi que la prise en charge par celles-ci de leur desLin
et des chances de s'épanouir données à chaque peuple.
L'auto-développement en tant que moyen de démocratisation très avancé
et de responsabilisation des acteurs à la base, est particulièrement décrié et
combattu par les administrations classiques dont les agents s'enrichissent par
le trafic d'influence, les commissions sur les marchés publics, les circuits
(II) OCDE-CILSS, Rapporl Final de la Renconlre Régionale de Ségou sur la geslion des
lerroirs sahélÙ!ns, 1989, Sahel 0(89) 335, p. 48-49.
(12) Moust.apha KASSE, DémocraJÎe el Développemenl, Editions NEAS-CREA, Dakar
1991. Voir notamment le chapitre Il intitulé" La dimension institutionnelle: la
décentralisation composante indispensable de la démocratie », p. 57 -74.
213
d'import-export et la spéculation immobilière. La nouvelle administration qui
devrait en résulter aurait pour mission principale d'être une autoadministration dont le principe directeur serait la participation populaire
effective.
n s'agit d'octroyer aux populations des pouvoirs qui jusque là avaient été
réellement exercés par le centre de l'administration ou par délégation par des
organismes ou sociétés publiques ou parapubliques comme les SDR. Il faut
éviter, cependant, l'octroi de pouvoirs fictifs qui favorise le développement
incontrôlé de la bureaucratie, incontrôlé parce que cette bureaucratie n'est pas
reconnue, qu'elle n'a pas de fonction précise, qu'elle n'a pas de fonction
juridiquement délimitée et qu'elle usurpe une place qui, dans la représentation
officielle de la structure, est remplie par les populations de base. La
participation revêtirait alors des formes simplement parodiques et dévoyées.
Pour que la participation soit réelle, les populations doivent être
organiquement associées aux discussions à tous les niveaux, à la formation, à
l'exécution, à la gestion, au contrôle et à l'éducation. Il est clair que la
décentralisation ne peut s'embrayer sur les structures administratives
actuelles : leur mise en œuvre passe par une modification en profondeur de
toutes les institutions politiques et administratives fondées sur les habitudes
séculaires du centralisme et de la délégation.
Ce sont des organes nouveaux qu'il faut meure en place avec des contenus
nouveaux permellant à chaque collectivité de prendre en charge au maximum
ses propres affaires. Cela passe par la solution des trois questions:
- Quelles compétences sont à transférer?
- Quels en sont les bénéficiaires?
- Sur quelles ressources compter? Comment les mohiliser?
Dès lors, il convient de distinguer cette participation populaire du folklore
auquel on l'assimile d'ordinaire.
L'ampleur des tâches de redressement économique el social, de relance des
activités agricoles appelle impérativement la participation populaire qui est
d'un apport décisif au triple plan économique, politique et social. D'un point
de vue économique, l'un des leviers du développement apparaîl dans la masse
de travail qui peut être rendue possible, si la population agit en direction
d'objectifs qu'elle choisit et ratifie, en d'autres termes, si elle partage les
finalités du développement. Nous devons avoir présent à l'esprit que le
développement est l'utilisation optimale des ressources et du temps et qu'il
requiert la mobilisation des bras et des énergies à partir d'un programme
cohérent fondé sur le bien commun. Il s'y ajoute que nombre de réalisations
notamment les écoles, les dispensaires, les routes présentent un intérêt local ct
peuvent être prises en cha'rge à ce niveau, au moment où les finances
publiques sont déficitaires. C'est dire que la décentralisation apporte des
214
réponses locales aux problèmes de certains besoins sociaux. Surtout, elle
pcnnet de mieux associer l'ensemble des citoyens à la production mais aussi à
l'organisation de la solidarité.
Le blocage politique et institutionnel d'une société intervient lorsque les
citoyens ne sont ni concernés, ni impliqués, ni préoccupés par le
fonctionnement des différentes structures du pouvoir central qu'ils estiment
distantes et impersonnelles. Cela est clairement perceptible dans les processus
de démocratisation qui apparaissent dans leur forme actuelle comme une
affaire propre aux villes. La décentralisation brise ces difficultés et renvoie à
la préhension et à la solution des problèmes au niveau local. Pour être réelle et
effective, elle doit reposer, au-delà de l'autonomie à la base, sur quatre autres
idées majeures à savoir:
- la collectivité décentralisée doit avoir la personnalité juridique avec
tout cc que cela comporte comme conséquence notamment sur le contrôle des
ressources matérielles et humaines, un budget autonome et la capacité d'ester
en justice;
- la gestion des affaires doit être libre et en conséquence ne point
empiéter sur celle de l'Etat;
- l'accession à des pouvoirs étendus doit se réaliser par des élections
libres et transparentes;
- le contrôle du pouvoir central doit s'exercer dans les limites fixées par
un texte précis.
La décentralisation administrative doit s'accompagner de son pendant
économique dont elle favorisera du reste l'émergence, ce qui devrait
contribuer à fixer les populations dans leur terroir, équilibrer le processus du
développement sur le plan régional et limiter l'intervention de l'Etat aux
seules impulsions et coordinations de tout ce mouvement.
Dès lors une décentralisation bien menée fait nécessairement converger,
liberté et responsabilité car les citoyens trouvent les moyens de la
responsabilité, les chemins d'une liberté créatrice en prenant une part très
grande dans la détermination de leur desùn individuel, comme de leur desùn
collectif. Ainsi chaque individu peut s'expliquer en toute liberté et participer
aux décisions qui affectent son existancc.
Très tôt, les autorités sénégalaises, suite aux recommandations du Père
LEBRET, auteur du premier plan de développement, ont compris qu'aucun
programme de développement ne pouvait être mené à terme sans la
participation de ceux-là même qui en sont les principaux bénéficiaires et qui
devaient en être aussi les promoteurs et les réalisateurs. L'homme disait le
Président L.S. SENGHOR « est au début et à la fin du développement ».
Dès lors, les pouvoirs publics se sont attelés à créer les conditions d'une
participation effective des populations par la mise en place des structures que
215
sont les communes et les communautés rurales conçues et mises en œuvre par
le Président du Conseil, M. Mamadou DlA(l3). A travers ses écrits, comme sa
pratique gouvernementale, il était très tôt convaincu que le développement
procède de l'intérieur et qu'il fallait stimuler l'initiative locale.
Si la création des communautés rurales remonte à l'indépendance Ooi du
13 janvier 1960), il faudra attendre l~ loi 72-25 du 19 avril 1972 pour voir leur
réorganisation dans le sens d'une participation plus effective au développement par la prise en charge de certaines opérations d'investissements
productifs ou sociaux.
La communauté rurale cellule de base du nouveau cadre institutionnel est
une personne morale de droit public, elle jouit de l'autonomie financière.
Constituée par un certain nombre de villages appartenant au même terroir et
unis par une solidarité résultant de l'ethnie ou du simple voisinage, la
communauté rurale regroupe, en conséquence, des populations possédant des
intérêts communs et capables de trouver les ressources nécessaires à leur
développement.
Dès lors, il apparaissait clairement que si le Sénégal voulait impulser un
développement durable, il devait compter de façon croissante sur les
ressources internes, la disponibilité de l'épargne extérieure n'étant ni
pennanente, ni gratuite. Une mobilisation plus intense et une allocation plus
efficiente des ressources s'imposaient déjà comme une des premières priorités
en matière de politique économique. C'est pourquoi, les pouvoirs publics
devraient effectuer le transfert direct aux populations de certaines dépenses de
développement prises en charge jusqu'alors par le budget. Il s' agissai t là
d'une réponse appropriée à la nécessité de dégager davantage de moyens
internes.
La réfonne administrative et territoriale de 1972 était conçue comme un
instrument de décentralisation du financement du développement. Elle devait
penneltre une redistribution des activités économiques et des dépenses entre
l'Etat central et les populations afin d'amener celles-ci « à prendre en charge
(13) Mamadou DIA esl la figure de proue, depuis l'indépendance jusqu'à nos jours, du
socialisme aUlogeslionnaire. Il en a élé le Ü1éoricien, son œuvre en allesle largemenl. On
consultera avec inlérêl : Nalions africaines el solidariJé mnndiale (PUF, Paris) el Réj7.eJ.ions JIU
l'économie de l'Afrique Noire (Présence Africaine). Même l'écroulemenl du système socialiste
mondial n'a nullemenl enlamé un lam soil peu ses convictions. La preuve, il écril dans Leure
d'un vieux milÎlanJ : Face à la faillite des méiliodcs de commandemenl dans les pays socialisles,
face aux drames sociaux du libéralisme économique, il n'y a pas d'aulres voies que ce
oc socialisme à visage humain, un socialisme aUlogestionnaire basé sur l'exercice réel des
pouvoirs politiques el économiques par les communaulés de base,. (p. 170). Le Présidenl
Mamadou DIA a élé égalemenl l'initiateur el le père-spiriluel de toule la réforme territoriale el
locale donl les décrelS d'application onl élé pris en 1960 après sa déclaration historique devanl
l'Assemblée Législative du Sénégal.
216
elles mêmes certaines actions de développement » à travers des structures
spéci tiques.
Toutefois, malgré la réforme, le financement des communautés rurales est
resté très aléatoire. Cela ressort clairement dans le budget-type ainsi structuré :
BIpartition tait. par l'Btat
-
Ri.tourn•• au titre 4e. iapOt. diroçta
Mini.ua rfaeal
Contribution de. pat.nt ••
Licence.
lapOt. ronciera bitl It non blti
Ro.te• • rlcouvrer
li.tourne• •ur II produit do. . .onde. et jUlemont.,
Produit 4. la tal' rural• •t du fonda de .oli4&rit6
- Portion de la taxe rurale (;~~ r.couvr6••ur 1. tlrritoirl de la
eo.nuv.ut. )
- R•• t ••• r.couvr.r
- Participation du 10n48 de .olidarit.
Produit d, l, t&49 .ur le. animaul
• Produit de la taxe .ur 1•• ani..ux por9u. aur le t.rritoir. 4e la
Co..u.nau 16 Rural.
Erodgit Au dpMine
- I •• te• • r.couvr.r
- Tax. de rourri~r.
leyenu du patrilQine
l'deVance. pour .,ryice. rendy.
R.cett •• ordiQAir•• diyer•••
Becett ••• ection extra-ordinaire
-
Bxc'dent. 4e clOture
Pon48 d'ttIISlrunta
Autre. r.cett •• extraordinaire.
Mouve.enta rinanciera
On peut remarquer que la taxe rurale est la principalc ressource du budgct.
Pourtant,
communauté rurale n'cn perçoit que 75 %. L'Etat prélève le
reliquat, soit 25 % afin de conslituer un « Fonds National de Solidarité _. Ce
dernier est ensuite réparti sur l'ensemble des communautés rurales, permeltant
de subventionner les petites communautés rurales par les plus grandes. Il se
trouve qu'en réalité, les sommes perçues restent généralement dans les
Caisses de l'Etat et sont utilisées à d'autres fins(14).
.8
(Ure la fiOle 14 p. 218).
217
Le problème crucial de la décentralisation est la faiblesse des finances
locales. La taxe rurale existe très insuffisante pour financer les besoins de
développement des communautés rurales. A ces lacunes, il faut également
ajouter des difficultés réelles de perception dues à :
- l'imprécision des données du demier recensement démographique dans
les villages ne permet pas de fixer précisément la masse de contribuables:
- la sous-estimation de l'assiette fiscale par méconnaissances des
revenus et des activités ruraux;
-la mauvaise disposition de certains villageois puissants à payer l'impôt.
L'ensemble de ces facteurs limite sérieusement les recettes fiscales des
communautés rurales. Cette faiblesse des ressources budgétaires des
communautés rurales contribue. évidemment, à limiter leur capacité
d'investissement. donc d'intervention dans le système productif local. Ne
disposant que de la taxe rurale. le budget ne peut ainsi couvrir J'ensemble des
dépenses, De plus. le conseil rural n'a aucun pouvoir de contrôle sur les
dépenses engagées: il se contente uniquement de voter un budget présenté
dans une langue et dans une technique totalement incompléhensible de la
plupart des conseillers. Parce biais le représentant du Pouvoir central le souspréfet. renforce ses prérogatives réelles et dispose par la bourse du contr{lle
effectifdu fonctionnement de la Communauté Rurale. Il ya un contournement
de la réforme par les financiers comme dit radage qui tient la bourse tient le
reste.
Ainsi per~'u, le budget de la collectivité locale cesse d'être considéré
comme le bien exclusif de celle-ci. qui n'est pas seule il décider de son
utilisation. Les Collectivités de base connaissent parconséqucnt d'énorme"
difficultés financières aggravées par des détoumements.
En prenant le cas de la Région de Thiès qui est réputée assez riche du fait
de l'importance et de la diversité des activités qu'elle abrite, les illlp{l!'. SOl1l
perçus autour d 'un taux moyen de 5 o/c:. De telles ressources sont loin de
répondre aux ambitions économiques et sociales à savoir: la mise en place de
rée 1s Illoyens de déve 1oppement décentra} isés au nÎveau des pet its exp loil ants
dépourvus de moyens pour financer leurs activités.
Cepend<uH. après dix années de fonctionnement. les communautés rurales
ont révélé des insuffisances quant à leur efficience dans le contexte d'une
politique effective d 'association et de responsabilismÎon du mom!c rural dans
le processus de développement. Ces insuffisances procèdent (fun ensemble
de facteurs dont les plus significalifs SOllt :
(14) Le PI' Mactar DIOUF a réalisé ulle évaluatioll sYlllhé1l4ue Cl reman-luahk cie celle
du modc c1c lïnanccmcl1l c1es Comrnunaulés Rur,ùes el a Illl'Ille rro!Xlsé une eS4uissc
cie Solulion dans UIlC étucle intituléc: La l'IIl/lijï('(Jlirl/l réR/lillolc (/11 Sél/(;go! .' (;llIde des l'el/I.I
I)mjels {OCl/II.\" dc dhtfoll/lCII/CIII l'II lI/iliCIi rllm{, CREA, DaLu·, 1981.91 r.).
CU'CIlCC
218
- la fragilité des supports économiques et surtout l'inadaptation du
système coopératif. Ce système coopératif comme nous l'avons déjà analysé,
est en réalité un régime libéral qui ne peut être un support véritable à une
profonde transformation du monde rural surtout de ses rapports sociaux
traditionnels;
- l'absence d'une exploitation judicieuse de la Loi sur le Domaine
National de 1964, dans un sens socio-dém~crate, ce qui devrait se traduire par
la remise de la terre aux paysans par des formules communautaires et
individuelles;
- la non transformation des communautés rurales en entités politiques
autonomes; en d'autres termes, les décisions ne sont pas suffisamment
décentralisées pour permettre aux paysans de panicipcr aux discussions à tous
les niveaux, à la formation, à la gestion, à l'exécution et au contrôle.
Observons, enfin, que les ressources des communautés rurales, leurs
origines et leurs destinations ne relèvent pas de la logique d'une gestion
rigoureuse et contrôlée. Le bon fonctionnement de toute institution repose sur
des finances suffisantes et saines. La communauté rurale ne peut atteindre ses
objectifs que dans la mesure où les moyens matériels, humains et financiers
existent réellement et surtout s'ils sont rationnellement mobilisés pour des
projets ayant un impact positif sur le développement de l'ensemble de la
communauté.
A l'expérience, la modicité des ressources font que les budgets des
communautés rurales sont essentiellement des budgets d'investissements dont
le principal objectif est de réaliser des ouvrages à caractère social. C'est ainsi
que la priorité est souvent donnée à la construction d'écoles, de maternités et
de pharmacies villageoises, de cases de santé, de maisons communautaires, de
puits. etc. De ce fait, les communauLés rurales ne peuvent que soulager
le budget national et prendre le relais de l'Etat pour certaines dépenses
sociales mais elles deviennent incapables d'impulser un auto-développement à
la base.
Cependant, l'étude de la situation financière des communautés rurales
édifie sur la nature des mesures à prendre pour sauver la réforme et la
concilier avec ses objectifs initiaux. L'accroissement du potentiel financier des
communautés est une action prioritaire à mener et la solution pourrait
consister à élever le taux de la taxe rurale, à diversifier l'assiette pour trouver
des ressources nouvelles. à prendre des mesures coercitives po,ur recouvrir les
impôts impayés. A l'évidence, la taxe rurale ne peut pas continuer à être la
principale ressource de la communauté. Par ailleurs, les paysans accablés par
les effets de la sécheresse et la diminution substantielle de leur pouvoir
d'achat, éprouvent de plus en plus de difficultés à s'acquitter de l'impôt. La
voie à suivre est d'aider au développement d'activités productives suscep219
tibles d'augmenter à moyen et à long termes les ressources financières des
communautés. De même, doivent jouer les mécanismes de péréquation entre
les communautés aux potentiels économiques et financiers inégaux.
Un Projet de Réforme de l'administration territoriale et locale en vue
d'une décentralisation plus poussée est en ce moment en discussion au niveau
du Ministère de l'Intérieur et notamment au niveau du Ministère délégué à la
décentralisation, suite au message de la Nation du Président de la République
le 3 avril 1992. Le rapport du Groupe de Travail présidé par M. Daniel
CABOU et ayant comme rapporteur le Pr Mamadou DIOUF observe que « si
la régionalisation est conçue comme une étape forte de la décentralisation, ces
deux concepts ne doivent pas être c.onfondus : la décentralisation des
collectivités locales existantes (48 communes et 317 communautés rurales) les
conduit avec prudence mais progressivement depuis vingt ans, à une
autonomie de décision et de gestion. L'émergence de la région devrait créer
une collectivité locale d'un type nouveau: de par leur nombre limité (10),
l'ampleur des compétences que l'Etat envisage de leur transférer, leur
focalisation sur le développement économique et social, les Régions
modifieront profondément et d'un coup, le paysage administratif du pays. A
un Etat lointain, distant, impérieux face à des collectivités rapprochées,
fragiles, démunies, va se substituer une organisation financière où, l'Etat,
exerçant ses tâches de souveraineté, imposant des orientations générales,
dialoguera avec des collectivités locales majeures, parmi lesquelles les
Régions disposeront de la taille critique »(15).
5) Intégration, responsabilisation et soutien des agricultrices
La promotion de la femme et son intégration à tous les niveaux de la prise
de décision devrait être un volet déterminant de la politique agricole et de la
participation. D'un côté, le puissant mouvement de l'exode rural entraîne une
féminisation accélérée des campagnes. Selon une étude de Jean GALLAIS, les
régions du Sahel ont perdu une grande partie de leurs bras. Si bien que le sexratio dans les villages est complètement déséquilibrée. En conséquence, les
femmes ont pris un poids et doivent prendre des responsabilités qu'elles
n'avaient pas il y a quinze ans. D'un autre côté sur le plan productif, il est
estimé que 70 à 80 % des travaux agricoles, 50 % des travaux d'élevage ct
presque 100 % des travaux de transformations artisanales sont assurés par les
femmes. Il faut que toute politique agricole, toute réforme du secteur qui ne
prenne appui sur les femmes et qui ne les mobilise avec efficacité, sera
(15) Groupe de travail chargé de la mise en œuvre de la politique de régionalisation.
Rapport de synthèse. février 1993, 67 p.
220
indéniablement vouée à l'échec. Cest dire que l'implication des femmes au
développement est gage de progrès et de succès des programmes en milieu
rural sahélien.
Au Sénégal, les femmes rurales représentent plus de 51 % de la
population, elles assurent entre 60 et 80 % de la production vivrière de base,
se chargeant de la quasi totalité de la transformation des produits et dominent
la commercialisation de certains biens agricoles. En conséquence, elles
constituent la cheville ouvrière de la vie rurale et subviennent aux besoins
quotidiens de leur famille en nourriture, eau, bois de chauffe, soins de santé. A
cela s'ajoute une multiplicité d'autres travaux domestiques qui ne sont
recensés ni dans le produit national brut ni dans les comptes nationaux(l6). Il
serail clair qu'une sociélé qui s'engage 'dans un processus de développement
durable ne peut se permettre de marginaliser ou de gaspiller l'énergie, le
temps, le talent et la santé de la moitié de sa population. Il est alors irréaliste et
inadmissible d'exclure ou de marginaliser les acteurs qui assurent la survie du
clan, la reproduction du groupe domestique et le renouvellement de la maind'œuvre. C'est d'ailleurs l'importance de ces fonctions qui avaient amené
MAO-TSE TOUNG à observer que « les femmes soutiennent la moitié du
ciel ». En définitive, elles font même plus car non seulement elles représentent
plus de la moitié de la population mais elles mettent au monde la totalité de
cette population.
Beaucoup d'éludes sur « le paysan sénégalais »(17) révèlent que dans les
campagnes sénégalaiscs, le Chef de ménage a le rôle le plus important dans la
prisc de décision quant à la production et partage cette responsabilité avec le
chef du carré dans l'allocation des terres à cultures vivrières. Il joue aussi un
rôle clé dans l'acquisition et la distribution des dotations de base en facteurs
modernes de productions: scmences, engrais et matériel agricole. Seulement,
les acteurs les plus aptes à amener le changement parmi tous les autres seront
les femmes et, à moindre importance, les « sourgas ». Les femmes jouent un
rôle crucial car, contrairement aux « sourgas », elles n'ont aucun avantage à
grever le sol. Tout programme de mobilisation de la main-d 'œuvre agricole et
de la vulgarisation de technologies doit s'appuyer sur les femmes, vecteur de
la production et de la consommation.
(16) Moustapha KASSE, " Le rôle de la femme dans le développement économique.
Conférence prononcée en avril 1989 devant l' Association des Femmes de l'Université (AFU) JO
et reproduite dans Les Cahiers de la Recherche, CREA. Juin 1989. TI faut s'intCTToger sur les
raisons profondes qui font que les comptables nationaux et les statisticiens n' évaluent pas le
temps d'élevage, de gardiennage et de soins des enfants, le temps de préparation de repas, le
lavage et repassage du linge familial. Ces activités sont si importantes qu'une étude du BIT
estime la valeur des services rendus par les femmes au foyer entre 25 et 40 % du PNB. C'est là
un travail non rémunéré que les femmes fournissent gratuitement à nos sociétés.
(17) Le paysan sénégalais,' Que vaul noire sagesse convenlionnelle ?, Princeton
University, Document ronéoté, 52 p.
221
Pour avoir ignoré cette donnée fondamentale, les politiques de vulgarisation
menées par les SOR ont souvent réalisé de médiocres performances. Elles
n'ont ciblé que des agents marginaux notamment les « sourgas » et les «
navétanes »en oubliant les acteurs permanents de la production agricole: les
femmes. En effet. il est établi qu'elles consacrent aux activités agricoles et
non agricoles (artisanat) 28% cie plus d 'heures de travail par année que les
hommes. En conséquence, les résultats macro-économiques dépendent de
l'aptitude des femmes à s'acquitterde leurs multiples rôles. Elles deviennent
alors des partenaires importants et incontournables pour le développement
économique et social. Dès lors, pour réussir, il faut prendre en charge leur
problèmes majeurs.
La femme. comme principal acteur du développement rural. doit alors
bénéficier de tous les moyens pouvant alléger ses multiples tâches. des
mesures qui puissent lui permerrre de vaincre l'ignorance, la maladie,
l'analphabétisme et cl 'élever son pouvoir d'achat cela d'autant plus qu'elle
dépense tout son revenu pour la famille. Naturellement il faut non seulement
réduire les tâches de la femme rurale mais aussi lui assurer une participation
directe aux décisions de la collectivité.
La perception de l'importance du rôle de la femme avait amené les
autorités sénégalaises à créer la Fédération Nationale des Regroupements
Féminins chargée de coordonner les activités de Llue lques 2000 Gwupements
féminins dans ['ensemble dn pays. Ces associations avaient pour principak
mission d' aider à la promotion des femmes et à \'établissemenr de programmes
de fournitures de moulins ~I grains, de pompes il eau. de machines il
décol1iLluer Llui allègent le travail féminin. t.,1alheureusement. elles ont été
affaibl ies et leur mission com pIète ment détournée vers des act ivités politiLl ues
et fol kloriLjues.
Si on veut impliLluer, soutenir et faire purticiper les agricultrices, il faut
sans nul doute, aller beaucoup plus loin et traduire en programmes concrets
les trois axes fondamentaux recommandés par le Séminaire de Ségou pour
promouvoir les femmes rurales dans le développement. JI s'agit de :
reconnaître aux femmes leurs fonctions de productrices
agros y 1vopaslOra les à part ent ière et. en conséquence, leur donner le droit il
l'accès il tous les facteurs de production (terre, travail. capit~d) .
- répondre à la volonté croissante des femmes rurales de maîtriser leur
fécondité afin de réduire la croissance c\émographiLlue ;
- reconnaître aux femmes le droit à l'organisation sous toutes ses formes.
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En conclusion: Le Sénégal est capable de relever le défi
du développement avec l'agriculture comme locomotive
« Il faul cesser de prêcher un ultra-libéralisme que nous ne
pratiquons pas et n'avons jamais pratiqué aux premières heures
de notte développement»
Louis EMM ERIJ
Nord-Sud .- la grenade dégoupillée
« Plus de marché el moins de réglementation n'esl pas
contradictoire avec .. plus et mieux" de maîtrise des processus
économiques. »
P. JACQUEMOT
La Nouvelle politique économique en Afrique
Au tenne de cette réfiexion sur l'Etat, le technicien et le banquier face au
monde rural, deux séries d'enseignement peuvent être tirées.
1) Une agriculture profondément rénovée doit être le moteur du
redressement économique et social
A l'analyse deux lignes de force complémentaires semblent se dégager,
d'une part, lç modèle de développement appliqué au Sénégal depuis
l'indépendance à nos jours a été peu perfonnant parce que les politiques
sectorielles qu'il a véhiculées ont manqué de cohérence et n'ont pas pu
s'appuyer sur des suppons peninents el clairement définis et d'autre pan, les
spécificités de l'é;.'·,momie sénégalaise faisant de l'agriculture un secteur
prioritaire dans la stratégie de développement économique soutenu et durable
appellent des modifications et des transfonnations substantielles des structures
agraires dont la réalisation a toujours été différée.
223
A l'instar de la plupart des pays africains dès leur accession à l'indépendance, s'est posée l'incontournable problématique du développement
économique et social d'un pays directement sorti de l'ère coloniale,
économiquement arriéré et devant s'insérer dans une économie mondiale en
pleine reconstruction économique, Le débat idéologico-intellectucl qui agitait
le monde d'alors, et divisait l'Est et l'Ouest, ne manqua pas de rejaillir au sein
de l'élite politique nationale apparemment peu préparée à prendre la relève du
colonisateur.
Dans l'optique de la « voie africaine du socialisme », le communautarisme
négro-africain n'a pas été assez opérationnel et n'a point su définir le rôle et
l'importance des différents agents économiques nationaux et plus
fondamentalement le modèle de génération et d'absorption des surplus
agricoles. On assista en pratique à la reconduction pure et simple, voire au
renforcement de l'intégration des structures économiques du pays, telles que
modelées par l'économie coloniale, au marché mondial. En définitive, les
imprécisions et l'eccléctisme qui ont caractérisé le modèle économique du
« socialisme démocratique» ont favorisé de multiples incohérences qui,
malheureusement, continuent encore de sévir dans la politique agraire.
C'est ainsi que l'ensemble du dispositif de l'économie de traite a été
transféré au nouveau pouvoir administratif qui en a préservé les mécanismes
fondamentaux: fixation administrative des prix au producteur,
commercialisation des produits, système de crédits, vivres de soudure, etc.
Parallèlement, et sous la pression d'un certain nom.bre de facteurs nouveaux,
parmi lesquels l'explosion démographique, l'urbanisation accélérée ou encore
le mimétisme du modèle de consommation importé, ce dispositif fut
définitivement renforcé: mise en œuvre de politiques de prix irréalistes
favorisant les couches urbaines au détriment des producteurs ruraux,
renforcement de l'extraversion des structures productives et de consommation
alimentaire. diversification effrénée des cultures d'exportation en vue
d'accroître le prélèvement pour satisfaire les besoins administratifs et urbains
en augmentation rapide et permanente. Dans ce contexte, les gouvernements
comme le souligne E. PISANI obsédés par leurs citadins, mais non par leurs
ruraux, ont eu tendance à écraser les petits paysans.
Manifestement, l'économie sénégalaise n'a point échappé aux schémas de
dépendance mis en place pendant la période coloniale. L'analyse révèle
profondément que les fluctuations macro-économiques observées depuis les
années soixante sont assimilables à celles de l'économie arachidière. La perte
avérée du poids relatif de l'arachide dans le PIB, les revenus de l'Etat et les
exportations n'a pas été compensée par les nouvelles cultures de renLe (coton
et maraîchage), les nouveaux sous-secteurs (pêche et tourisme) et l'économie
minière (phosphate). Ces activités qui se valorisent sur le marché mondial sont
apparues comme très peu productives de valeur ajoutée et d'emplois. Dès lors;
224
il revenait aux financements extérieurs (aide et endettement) de jouer la
fonction d'investissement. Toutefois, il est rare que ces ressources se greffent
sur des projets réellement productifs ayant des effets importants
d'entraînement sur le reste de l'économie.
Un tel développement ne pouvait mener qu'à une impasse, un blocage,
c'est-à-dire à l'impossibilité de créer une économie rurale productive et
rentable. Le secteur rural notamment indigène a été progressivement intégré à
la sphère de circulation du système mondial sans être réellement articulé à sa
sphère de production nationale. Les formes de mise en valeur sont demeurées
traditionnelles, pour la plupart archaïques et donc peu performantes. La
détérioration des termes de l'échange internes et externes ainsi que les
diverses ponctions de revenu opérées sur les campagnes ont ruiné en
permanence les producteurs ruraux. C'est cette paupérisation absolue ct
séculaire qui explique, d'ailleurs, que la modification des structures paysannes
ne se soit pas accompagnée d'une amélioration des rendements par la
modernisation de l'agriculture et l'augmentation de la productivité, ce qui
aurait pu atténuer partiellement les effets fortement destructurants de ce
modèle de valorisation hérité de la colonisation.
Dans un tel contexte, le secteur agricole ne pouvait pas jouer le rôle qui
aurait da être le sien à savoir celui d'un foyer d'accumulation productive et
d'un secteur de croissance primaire. La baisse de productivité, la chute des
rendements, le recul de la production et l'effondrement du pouvoir d'achat des
ruraux sur fond de déséquilibre alimentaire constituent assurément,
aujourd 'hui, les manifestations les plus tangibles de la profonde crise de
l'économie rurale sénégalaise. Cette économie rurale est incapable à la fois de
subir la dure concurrence issue de l'internationalisation des marchés et de
répondre à la demande de villes explosives ct de l'industrie locale.
C'est pour résoudre cette crise que les Institutions Financières
Internationales (FMI, BM) ont été sollicitées et sont intervenues de plus en
plus massivement pour finir par s'arroger l'essentiel des pouvoirs comme
l'élaboration des politiques sectorielles en lieu et place des techniciens ct des
décideurs. Ces partenaires préconisent désormais aux pays déficitaires et
fortement endettés un schéma unique qui est une sorte de « prêt-à-porter» de
libération des prix et des échanges, de suppressions des protections et des
subventions de démentèlement des systèmes d'encadrement et d'aide. La
raison avancée est que de telles mesures favorisent la production dans un
marché ouvert et alloue de façon efficiente toutes les ressources. Toutefois,
beaucoup de chercheurs et d'auteurs s'accordent pour dire que ces mesures
apparaissent comme des recettes stéréotypées et sont décalées des réalités
d'une agriculture plus structurée. minée de l'intérieure par de multiples
contradictoires et traversée par une triple crise écologique, économique et
225
sociale due à un enchevêtrement de facteurs naturels, technico-économiques et
socio-politiques.
Les interventions du FMI et de la Banque Mondiale au Sénégal n'ont pas
de tout temps, contrairement à une opinion largement répandue, recouvert
la même forme. En ce qui concerne le FMI, il est intervenu au Sénégal
depuis les années soixante jusqu'à la fin des années soixante-dix, pour
accorder des concours ponctuels de soutien à la balance des paiements
structurellement déficitaire depuis l'accession à l'indépendance. Mais à partir
de 1980, et face à l'ampleur des déséquilibres macro-financiers qui
s'accroissaient dangereusement, son intervention est devenue plus massive
et plus fréquente, cela a fini par entraîner l'incorporation progressive de
critères de conditionnalité dans l'élaboration et la conduite de la politique
économique.
L'agriculture étant le principal secteur d'activité, de par l'importance et la
variété de ses incidences sur l'ensemble du tissu économique national, le
poids de la population active occupée et de sa contribution à l'équilibre des
finances publiques et du commerce extérieur, elle ne pouvait manquer d'être
directement et particulièrement concernée par ces interventions multiples. Elle
sera alors, comme nous avons tenté de le '110ntrer, frappée de plein fouet par
les rigoureuses mesures d'assainissement, de restructuration et de
réorganisation de l'économie nationale imposées par les nécessités du
rééquilibrage et de l'ajustement typiquement financier contenu dans les
programmes successifs initiés par le FMI entre 1980 et 1988.
Concernant le groupe de la Banque Mondiale, nous avons montré que ses
interventions entre 1969 et 1980 avaient essentiellement revêtu des aspects de
développement à travers le financement direct de projets de développement
rural. Il est vrai qu'à cette époque, la BM avait attaché son nom à ce que Zaki
LAID! appelle les PRD (projets ruraux de développement) où « à travers des
montages souvent complexes, l'Etat occupe le devant de la scène. Les PRD se
voyaient confier une triple mission: transférer des ressources au monde rural.
imposer un savoir technique. ammer et p an1 1er e c angement conomlqUe e
social. Dans ce monde d'ORWELL, la société de développement conçoit,
organise et distribue, tandis que les paysans exécutent. Ce schêma
d'organisation pyramidale digne des « camps de tràvail » permettait à l'Etat
de contrôler la paysannerie par le maniement alternatif « de la carotte et du
bâton ». Cette orientation a été appliquée sans forfaiture jusqu'à ce que la
Banque elle-même inverse sa propre attitude pour passer aujourd 'hui à
l'ultralibéralisme et à l'économie de marché, le marché étant considéré comme
un espace entièrement et uniquement régulé par les prix et où intervicnnent
des agents rationncls et calculatcurs. Le fonctionnement de cette économie de
marché passe par le démentèlement total ou paniel de toute économie
administrée. Or, il.apparaît, aujourd'hui que les seuls mécanismes du marché
226
sont totalement insuffisants pour résoudre les nombreux problèmes que
rencontrent les sociétés rurales africaines.
A partirde 1980, de concelt avec le FMI et plus tard (à partir de 1983) avec
d'autres bailleurs de fonds du Sénégal comme la CCCE (Caisse Centrale de
Coopération Economique), les interventions de la Banque Mondiale
changeront progressivement de forme et se concentreront particulièrement
sur la mise en œuvre de mesures structurelles supposées aptes à résoudre la
crise du secteur rural dans le contexte global de la grande crise d'ensemble
qui frappe le Sénégal. Dans ce cadre la Banque Mondiale va étroitement
collaborer avec le Gouvernement à la mise en œuvre de la NPA avec
notamment l'élaboration:
--de contrats-plans définissant de nouveaux objectifs pour les organ ismes
d'encadrement et de développement rural et les obligations de l'Etat envers
eux:
-de mesures d "incitations di\'erses dans le nouveau cadre de politique
sectorielle: réorganisation des coopératives, politique des prix, réduction
des subventions aux engrais, privatisation de certaines filières de
d istri but ion".
~I
Les impacts de ces mesures srécifiques sur le secteur rural. nous l'avons
vu, ont créé pour les producteurs, des charges nouvelles auxquelles ils
n'étaient apparemment pas préparés, Ceux-ci ont. en effet. réagi à certaines
de ces mesures en réduisan t leur cC)(1sommation d 'imrants, leur product ion et
les volumes commercialisés dans les circuits officie ls, Cela qui LI entraîné des
conséquences négatives sur les équilibres globaux et au niveau
microéconomique sur la productivité et le rendement.
Mais à l'inverse, certaines mesures de restructurat ion des sociétés de
développement rural. de redéfinit ion de leurs missions, de red imensionnement
de leurs interventions ainsi que la création d'un nouvel environnement de
responsabilisation et d'initiatives de la part des producteurs, comportelll
certainement à terme, les germes et les fondements d'un assainissement de
J'économie rurale qui peut participer à la relance économique. Pour être
efficaces ces mesures, doivent être incorporées dans un autre schéma global
de développement rural. En effet. J'analyse des résultats d'enquêtes sur les
sites de projets-cibles de développenlcnt rural financés par la Banque
Mondiale nous a permis de découvrir les problèmes spécifiques qu'il
conv iendra de résoudre et les obstac les structurels qu'il faud ra nécessairement
lever pour faire jouer à l'agriculture ce rôle primordial qui demeure le sien
dans une économie sous développée comme celle du Sénégal.
C'est ainsi qu'au plan des politiques sectorielles, ces innombrables
interven tions incohérentes se traduisent par les résultats médic'cres enregist rés
all niveau des micro-projets initiés et financés par la BM et d'autres hai lIeur"
227
de fonds. Il reste toujours que l'absence d 'une vision claire et globale des
transfonnations à opérer dans les structures de production. de consommation
et même dans les cadres institutiolU1els, a fini par anéantir tous les efforts de
production, appauvrir les producteurs ruraux et entretenir en permanence un
important déficit alimentaire structurel qui continue d'aggraver les
déséquilibres de la balance commerciale.
L'ampleur de ces déséquilibres ainsi que la gravité de leurs conséquences
économiques et sociales concrètes suggèrent qu'il faut impérativement
changer non pas seulement de politique, mais d'approche dans l'élaboration
de la stratégie globale du développement. Pour cela, il importe de repréciser
les options de base et d'indiquer plus clairement les nouvelles lignes de
partage qui doivent présider à l'intervention des différents acteurs dans la vie
économique et sociale. La dévaluation devrait offrir cette opportunité.
Dans une telle stratégie nouvelle, et au regard des spécificités
économiques ainsi que des avantages relatifs du pays, l'agriculture devrait
inévitablement occuper une place déterminante et jouer le rôle de locomotive
du développement économique et social.
Pour que l'agriculture soit véritablement ce pôle de croissance primaire ~t
d'impulsion de l'ensemble des secteurs d'activités économiques, des ruptures
radicales doivent être opérées pour réaliser un renversement complet de la
politique actuelle de développement rural qui est rentrée dans une impasse
totale. Il s'agit d'opérer des transformations structurelles profondes qui
impliquent tous les acteurs, d'encourager par des mesures incitatives, les
investissements agricoles et le partenariat dans le secteur alimentaire, de
meUre en place un système de crédit accessible aux petiLe; exploitants agricoles
et aux femmes, de supprimer toutes les barrières tarifaires et non tarifaires sur
les produits agricoles au niveau régional en vue de favoriser les échanges.
Tout retard dans l'application de ces mutations indispensables, quelles que
soient les motivations, ne peuvent qu'approfondir davantage les coûts
politiques, économiques et sociaux des politiques agraires en cours.
Dans cette optique de sortie de crise visant la relance de la production et
plus généralement la réalisation d'un développement accéléré et harmonieux,
deux postulats complémentaires devraient servir d'appui: la redéfinition des
missions de l'Etat et la responsabilisation du producteur rural.
D'abord, l'Etat dans la nouvelle stratégie devrait être plus performant et
plus dynamique et fixer l'environnement institutionnel de la production, mener
des actions de contrôle, d 'infonnation et de formation. Il devrait aussi élaborer
et gérer des politiques appropriées d'organisation du milieu rural en fixant les
règles du jeu et le rôle imparti aux divers acteurs comme il devrait mettre en
place une politique de recherche développement, de vulgarisation des
technologies, de gestion des systèmes d'incitations.
228
Ensuite, il importe de ne plus considérer les paysans comme de simple
source d'alimentation des caisses de l'Etat mais comme une force, dynamique
capable de prendre en charge toute la politique rurale.
'
\
Les promesses faites aux paysans par les politiq~es économiques
successives n'ont que très partiellement étaient tenues et le monde rural est
toujours resté dans l'apathie ct la prostration. Les campagnes subissent un
vieillissement dangereux car les jeunes ne peuvent plus y vivre sans être
assurés de pouv.oir profiter des meilleures conditions d'existence et de travail.
Cela exige alors une véritable valorisation pour laquelle il faut établir de
nouveaux cadres et de nouvelles méthodes de production susceptibles de
procurer des revenus substantiels.
Enfin, il faut aussi redonner au monde rural ses valeurs culturelles de base.
2) Quelques lignes directrices d'un plan de relance de l'agriculture
De l'évaluation de la montée persistante des déséquilibres, il ressort très
clairement que le Sénégal ne pourra point survivre dans la paix sociale sans
résoudre la double crise du modèle urbain et de l'économie rurale.
L'urbanisation accélérée et chaotique entraînera la création de villes qu'il faut
nourrir souvent avec des biens alimentaires importés, des villes qui présentent
une demande sociale importante avec des marchés de l'emploi accusant des
déséquilibres croissants. La déliquescence du tissu productif souffrant du
sous-investissement ct de l'absence d'innovation a conduit à un hyperdéveloppement du secteur informel. Toutefois, celui-ci est aujourd'hui
essoumé en terme de productivité et de création d'emplois. D'un autre côté,
l'agriculture qui fournit une part essentielle du PIB et de l'emploi traverse,
comme le note Jacques GIRl, une triple crise des cultures vivrières, des
cultures d'exportation et des équilibres écologiques. Naturellement,
l'agriculture sénégalaise n'est pas seulement bloquée dans son évolution
technique, elle est aussi économiquement et socialement déstabilisée par
plusieurs contraintes dont le système des prix imposé par l'ouverture sans
protection du marché mondial. La terre est épuisée et n'est plus entretenue
pour en éviter la destruction physique. Lcs infrastructures de bases ct le
capital installé se dégradent. Les moyens de l'intervention de l'Etat sont
réduits sous la double innuence d'une orthodoxie libérale ct de la faiblesse des
rcssou r'cs financièret
:Si Li pc~;!iques nc changent pas radicalement, cela signifierait que le
Sénégal va continuer de èépendre des importations ou dc l'assistance
alimentairc, que les pays:m; paupérisés prendront lcs chemins dc l'cxode
dt1vitalisant ainsi les carnvgr'C;;" :~ue le ch<'1mage s'accentuera par suitc d'une
forte activité démograpJùque et d'un système éducatif massif qui mettront sur
le marché du travail une main-d'œuvre nombreuse et parfois qualifiée mais
qui ne trouvera pas à s'employer parce que les performances globales d
l'éco
ie resteront faibles.
n n'y a aucune fataIité àTasituation difficile et délicate que traversent les
pays africains en général et le Sénégal en particulier. Au moment des
,'ndépendances africaines, il y a environ une trentaine d'années, la Situation~1
imentaire en Asie était catastrophique avec une gestion désastreuse du
secteur agricole alors que l'Afrique ne connaissait point ce type de problème.
Aujourd'hui, il est caractéristique que « les greniers sont pleins en Asie et
vides en Afrique ». Cette nouvelle donne a une triple signification: elle est un
cri d'alarme, une mise en garde et un message d'espoir. Pourquoi le continent
africain qui a toutes les dotations factorielles pour produire des richesses,
.. sécrète-t-illa pauvreté? Force est de constater qu'en trente ans,l'Asie a mis
sous céréales 70 millions d'hectares, exactement l'équivalent du total des
terres africaines cultivées. Cette production céréalière a augmenté de 175 %
alors que celle de l'Afrique s'est accru très peu de 17 %. Pendant une longue
période, l'Asie s'est transformée en atelier de sueur et de labeur et l'Afrique
n continent d'immobilisme.
Les performances en Asie montrent que l'Afrique peut s'en sonir à
condition qu'elle opère les ruptures indispensables comme l'ont fait les
régimes militaro-technocratiques et les élites asiatiques qui ont mis en place
de vigoureuses stratégies de développement basées sur l'agriculture.
Manifestement, un pays sahélien comme le Sénégal ne peut plus continuer
longtemps de passer à cOté de changements innovateurs, justes et équilibrés,
au contraire il doit faire preuve de plus de détermination et d'une compétence
supérieure pour réaliser le plus rapidement possible son redressem~
économique et social.
-::-"lJatîs cette perspective, les politiques d'ajustement, dans leurs formes
actuelles, seraient notoirement insuffisantes pour enclencher le processus de
mutation économique et sociale et opérer la relance économique. En effet, une
bonne relance suppose d'une pan un assainissement préalable des bases de
l'économie qui éviterait à la politique de relance de tourner à vide et d'autre
pan une connaissance des sources potentielles de déséquilibre de nature
structurelle afin d'éviter que la politique économique de relance n'accentue
les distorsions et les autres déséquilibres antérieurement observés. Enfin, une
politique de relance doit repérer les foyers potentiels de croissance pour leur
allouer conséquemment les ressources financières, matérielles et humaines
indispensables.
En définitive, il reste que les politiques d'ajustement structurel du fait de
leur crispation excessive autour des équilibres macro-économiques et macrofinanciers à coun ~erme occultent certains problèmes clefs du développement
230
\
durable qui, eux, s'inscrivent dans l~\long .terme. Ces p~'1,itiques ne suffiront
pas à annihiler la crise multidimensiOl\nelle. Le Sénégal ne pourra s'en sortir
qu'en réalisémt des taux de croisscmce élevés et soutenus 'sur une longue
période. L'agriculture doit en être la bàse._/
La réforme profonde et complète de l'agriculture, pas seulement sa
restructuration ou son assainissement, est le préalable de la relance des enjeux
du développement économique et social car ce secteur est le principal foyer
de cruisscmce et d'accumulation. Il faut alors en faire le levierdu redressement
de l'ensemble de l'économie nationale. Pour ce faire, il faut en reformer les
onentations et le contenu, lui allouer les ressources fincmcières conséquentes
et l'insérer dans un environnement institutionnel favorable c'est-à-dire de
bonne gouverncmce.
La mise en œuvre de cette politique agricole volontariste, économiquement
efficace et socialement équitable, requiert des préalables économiques,
techniques, sociales et politiques qui ne peuvent être réalisés que par un Etat
furt, décentralisé et démocratique. Les cmalyses effectuées pour l'instauration
d'une autre stratégie du développement rural dégagent cinq directions de
changement qui mises en cohérence pourraient constituer un schéma national.
Ils'agit:
_.--
De créer un cadre favorable au développement rural considéré corn me
une Œndition première d 'un dheloppement durable
a)
Pour cela, les réformes à entreprendre devraient tourner autour:
- de laréalisation d'un parfait équilibre entre Etat et marché. Il convient
de rappeler que les tâches de l'Etat sont importcmtes et irremplaçables. La
question essentielle est de réaliser un dosage qualitatif et quantitatif des
interventions étatiques pour que la croissance se produise. L'Etat devra
exercer un leadership significatif pour l'organisation du monde rural. garantir
la sécurité alimentaire. décider des politiques d'importation et de protection,
financer et orienter la recherche. moral iser les marchés, diffuser l'information,
construire les infrastructures de base, protéger les consommateurs comme les
producteurs;
- de l'élaboration de structures de décentralisation et de
responsabilisation mieux adaptées aux acteurs du développement rural et qui
soient capables d'associer les cultivateurs à l'organisation de la production et
à la gestion publique pour en faire de véritables citoyens en mesure de
s'exprimer librement sur toutes les décisions qui affectent leur existence.
De la sorte, le développement procédera de l'intérieur et devrait stimuler
\ l'initiative locale. Comme l'écrit Gabriel MARC, il faut« restituer aux gens
du peuple, dans les brousses, les villes et les bidonvilles, la responsabilité
de leur développement selon leurs lignes propres» :
231
(
- du dévelop~ment d'une pblitique de prix qui rémunère les effons des
productions poUJ' pouvoir influer positivement sur l'offre de production et de
l'élaboration d;une fiscalité c;ompatible avec le niveau des activités des
différents opérateurs intervenant'dails le secteur;
- de l'élaboration et du financement de structures nationales de recherche
capables d'exploiter les acquis de la science et de la teelmique pour opérer une
« révolution verte », élever les rendements et stabiliser la production des
culwres vivrières surtout en milieu pluvial ;
- de la mise en place d'un crédit rural fonctionnel et surtout accessible
aux petits exploitants et aux femmes.Sur ce point, on a parlé de
surbancarisation de l'économie sénégalaise: ce qui n'est vrai qu'en
apparence, car si surbancarisation il y a, c'est simplement parce que toutes les
banques de la place (pour des raisons historiques) font la même chose, offre
les mêmes produits et services au public et courent après les mêmes clients
(citadins pour la plupart). La conséquence est que le monde rural (25 % du
PIB) est ignoré et vit en dehors des circuits classiques d'intennédiation
\ ~ancière. _
/
uniformisation des services bancaires pose un problème d'un autre
ordre encore plus important à savoir la logique du développement déséquilibré
au Sénégal. En excluant 70 % des producteurs nationaux du circuit bancaire,
la monnaie sénégalaise, censée financer le développement, contribue d'une
part, à favoriser plutôt l'autoconsommation et à ne dégager qu'un surplus
faible pour le marché; d'autre part, à développer le réflexe de la
thésaurisation en milieu rural, ce qui milite en défaveur de la mobilisation
nécessaire de l'épargne pour le financement du développement.
Malheureusement, le plan de restructuration du secteur bancaire reste dans
la même logique que précédemment et n'envisage qu'un aspect non moins
essentiel, à savoir: l'assainissement fmancier des banques en difficultés et le
regroupement de certaines d'entre elles afin de résoudre le prétendu problème
de surbancarisation ;
- de la mise en œuvre de mesures adéquates et vigoureuses de protection
de l'environnement avec une forte implication des populations qui, seules,
peuvent inverser les tendances à la dégradation de l'environnement par le
reboisement, la conservation des sols et des eaux, la stabilisation des dunes et
l'adoption de meilleurs systèmes de production.
-cette
b) D'équilibrer les filières des productions agricoles d'exportation et les
filières des cultures vivrières
Pour cela, il importe de prendre deux mesures:
- accorder la priorité absolue au secteur alimentaire donc à la réalisation
de la sécurité alimentaire. L'objectif principal est conséquemment de fixer des
232
\
m~yens. Le'sén~~al
délais et de mobiliser les
devra développer sa production
plutôt que de dépendre deyextérieur'pOljr son approvisionnement;
- revoir la liberté des échanges et la question de la protection de la
production locale. Comme l'observe E. PISANL « il existe un problème
idéologique qui consiste à affirmer que les pays du Sud doivent pratiquer le
même système des échanges que ceux du Nord. Qu'est-ce que cela donne '?
Cela donne que lorsqu'on peut acheter plus bas que celui auquel on peut le
produire. on l'achète sur le marché mondial et on ne produit pas. Or.
actuellement les prix moncliaux ne sont pas des prix de revient objectifs. mais
des prix de vente de surplus », c'est-à-dire que si l'on applique la règle de la
liberté des échanges à la plupart des pays du Sud. ils n .auront plus d' agriculture.
Ils seront des acheteurs nets. Alors où trou veront-ils les devises '?
c) Soutenir les petits exploitants et les agricultrices en les insérant au
mieux dans la logique de l'économie de marché
Les petits exploitants et les agricultrices forment la fraction la plus
nombreuse de la population rurale. En conséquence. qU<U1d ils ne sont pas
incités à produire plus qu'il ne leur faut poursubvenirà leur autoconsommation.
il va en résulter un affaiblissement des surplus clestinés à satisfaire la
demande urbaine. C'est dire que l'accroissement de l'offre de production
agricole sera fonction de l'accès des petits exploitants et des femmes au crédit
agricole. aux différents facteurs modernes de production agricole. aux
incitations à produire et aux systèmes de vulgarisation technologique.
Manifestement. il faut sortir le secteur traditionnel de son immobilisme
et l'entraîner dans un processus de modernisation qui se traduirait par un
développement rural global incluant en conséquence une diversification des
activités rurales. électrification. hausse du niveau de vie et d ·éducation.
amélioration de la santé et disponibilité d'infrastructures de loisirs. Dans ce
processus. les moyens de communication auront un tôle déterminant à jouer
au niveau de l'éducation. de la formation. de l'information et de la
vulgarisation technologique.
d) Elaborer une pol itique adéquate de commercialisation de la production
locale
Les problèmes de commercialisation sont essentiels à la fois pour la
production et la consommation. Une politique adéq uate de marketing garant it
aux producteurs. l'écoulement de leur production et permet de lutter
efficacement contre la double extraversion des structures de consommation
1et de production.
23y-----------
~n plus
/7
de l'effon de bien vendre en rendant )es biens disponibles et
accessoires, il faut développer le~/moyens(~e stockage, ce qui pennet
d'accroftre le pouvoir de négociatiorr'des producteurs.
'1 e) Elabo~litique
socialede redressement humain au niveau de
~ l'agriculture
La détérioration du pouvoir d'achat et la paupérisation rampante des
populations sont de véritables freins au progrès de l'agriculture. Elles
empêchent les agriculteurs de disposer de moyens techniques pour faire face
aux ruptures des équilibres écologiques. Redresser cette situation appelle
d'une pan, le relèvement des prix de la production assorti de mesures capables
e faire surmonter aux agriculteurs les différentes contraintes de production et
'autre pan, l'établissement d'un filet de protection sociale qui favorise
'accès des agriculteurs les plus pauvres aux services de base comme
l'éducation primaire, l'alphabétisation fonctionnelle, la santé. Il faudra
accroftre, renforcer et mieux répanir l'offre de services sociaux. n devient
indispensable d'opérer, pour une question de justice sociale, une répartition
plus équitable des infrastructures de base et des infrastructures sociales.
Thutefois, la politique sociale ne saurait se déployer comme une assistance qui
inhibe l'initiative et la créativité des bénéficiaires. Elle doit s'organiser à telle
enseigne de pouvoir marier efficacité économique et mieux être social.
La réforme de l'agriculture sénégalaise nécessite entre autres politiques
d'accompagnement la réorientation et la revitalisation de l'outil industriel ainsi
que la réalisation de l'intégration.
L'accélération de la croissance de l'offre de production agricole est
fonction de l'approvisionnement régulier et en quantité suffisante en facteurs
de production, tels que les machines, les outils, les engrais, les pesticides et les
semences à des prix raisonnables. Or, cela est en ce moment difficile à réaliser
à cause de l'absence d'industries nationales fabriquant sur place les intrants
ainsi que de l'incapacité des entreprises publiques ou semi-publiques à founùr
les facteurs de production demandés. Pounant, sans une industrialisation
rurale conséquente et une politique adéquate de distribution, les intrants
agricoles continueront de constituer des facteurs de blocage du développement
rural. C'est pourquoi, il importe de lever tous les goulots d'étranglement
relatifs à la faiblesse de la demande due au bas niveau des rendements
i agricoles, au manque de main-d'œuvre qualifiée, aux coOts élevés de l'énergie
\ et à l'inadéquation des techniques. Ces derniers éléments empêchent
\ l'avènement d'une véritable industrialisation qui soit en amont comme en aval
\ au service de l'agriculture. Tant que cette question n'est pas convenablement
réglée, le continent africain restera encore largement tributaire des
\rnportations. n faut, au plus vite, modifier les options et mettre en place des
"-------
234
•\
schémas d'industrialisation qui, non seulement, contribuent à la croissance
macro-économique mais aussi accroissent les recettes d'exportation, les
revenus agricoles et augmentent l'emploi dans les campagnes.
Au Sénégal le système industriel est en voie de démolition accélérée par
une politique complètement mal conçue et assez mal encadrée(l). Ainsi, en
termes de croissance des investissements de valeur ajoutœ, comme en terme
d'emploi il est constaté une véritable régression que les pouvoirs publics ont
voulu stopper par la mise en place d'une nouvelle politique industrielle (NPI).
Cette évolution procède de la conjugaison de plusieurs facteurs : les choix
stratégiques pour promouvoir le secteur, l'étroitesse du marché national
provenant de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, le coat élevé
des facteurs de production et des biens de consommations intermédiaires, la
pression fiscale, le commerce frauduleux et la contrebande.
Dans ce contexte de crise industrielle qui se traduit par de lourds et
multiples handicaps de compétitivité, il est indispensable de procéder à une
réorientation globale en mettant en place une structure industrielle cohérente
f dans laquelle les usines ne seront plus des flots faiblement articulés au reste de
'économie. L'agriculture devrait être la base de cette stratégie. En effet, elle
peut animer trois catégories d'activités industrielles:
- celles qui permettent l'aménagement de toute l'infrastructure de base :
irrigation et ses divers éléments. petite hydraulique rurale, routes, ete. ;
- celles en amont qui concernent la production des intrants, des
équipements et du matériel agricole;
- celles en aval qui valorisent intégmlcmcnt les produits de l'agriculture
et qui permettent de conserver sur place une part importante de la plus-value.
~
Cette industri alisation permeurait d'amorcer, dans les meilleu res
conditions, la révolution verte et d'approfondir la réforme agraire. La science
et le savoir faire technique seront ainsi au service de la transformation des
structures productives rurales et seront à la base de l'élévation de la
productivité du travail agricole et des rendements.
Le second volet qu'appelle la politique agricole concerne l'intégration et
l'ouverture à la coopération sous-régionale(2). Le secteur agricole doit
permettre de jeter véritablement les bases d'une intégration sous-régionale
solide et durable. Comme analysé plus bas, la Conférence de Dakar des
(1) Nous avons dès l'origine de la NP! aniré l'attention sur ses lacunes et sur le chaos vers
lequel elle pouvail conduire. C'élail en 1987, lors d'un séminaire organisé par le Club Nation el
Développement à Rufisque (Ecole MulÙflalionale des Télécommunications). De peninences
inlerventions onl été faites notammenl par le Conseü Nalional du Patronat el par le Conseü
National des Employeurs du Sénégal qui établissaient à souhait qllle la NPI au départ a fait
l'objet d'un rejet presque unanime de tous les acteurs intéressés. Les effets ne se sont pas faits
81teindre: fermeture el faillite d'entreprises industrielles, érosion de l'emploi dans le secteur,
baisse des exportations. remontée speclaculaire des importations. perte de compétitivité.
(2) Mouslapha KASSE, Le développemenl par l'inlégralion. Editions NEAS, Dakar. 1991.
235
ministres de l'Agriculture des Etats africains d\JOuest, les 18 et 19 mars
1990 avait élaboré une série de propositions pertinentes gravitant autour de
deux axes fondamentaux. d 'une part la création d 'un marché agricole
intrarégional. et d'autre part une approche concertée des marchés
internationaux pour les grandes filières d'exportation que sont le bétail et la
viande. les céréales, les oléagineux. Ces propositions visent trois objectifs
majeurs à savoir mieux produire. mieux négocier et mieux vendre.
Pour ce faire. il est alors proposé:
- d'abord. la réduction à tous les niveaux des coûts des filières avec une
meilleure professionnalisation de leur gestion. l'atténuation des fluctuations
des prix et l'utilisation de techniques modernes de vente:
- ensuite. la suppression des taxes intérieures. l'amélioration des
transports et l'hanllon isation des protections aux frontières. notamment en ce
qui concerne les marchés sous-régionaux du bétail et des céréales:
- et enfin. rétablissement cl 'un réseau d 'échanges d ·informations. de
recherches. de formation et de vulgarisation. la création et leur mise en
contact d' organisat ions socio-profess ionnelles. l'harmonisation des
législations foncières et la gestion communautaire des ressources naturelles.
Pour les engrais. le principe de la protection a été adopté pour permettre
aux unités industrielles existantes dans la sous-région (Sénégal. Côte-d' Ivoire
et Nigéria) d'exploiter préférentiellement le marché. Dans ce sens. il a été
retenu l'harmonisation de la taxation des engrais importés des pays tiers. le
recours aux règles de préférence régionale. Il est clair qu'en matière de
politique agricole. le Sénégal ne peut faire face. seul isolément. ni au
marché unique européen (politique agricole commune). ni aux zones cie
libre échange en Amérique et en Asie. jl faut que cette politique s'incorpore
dans un espace dynamique et fortement intégré. De la sorte l' Etat devrait se
réformer en abandonnant certaines compétences « au-dessus » par
l'intégration régionale et <, au-dessous» par la décentralisation (Guffon et
Isabelle Marly).
En définitive. les diverses restructurations de l'agriculture sénégalaise
menées depu is les années quatre-v ingt ont produit de faibles résu Itats qui font
que les promesses faites par les politiques et les fonctionnaires n 'ont pas
souvent été tenues. ce qui fait que le monde rural retombe toujours dans la
prostration et l' apath ie ... Les vieux qu' on trouve dans les viliages sont
fatigués et les jeunes des villes ne veulent plus retourner à la campagne sam
être assurés de pouvoir profiter de tous les avantages du monde mqderne
notamment les revenus plus stables. la nourriture à bas prix. les commodités
de la vie socio-culturelle. Il faudrait alors revaloriser les campagnes. leur
restituer leurs valeurs culturelles et leur indiquer des méthodes de production.
236
susceptibles de Pl'9mouvoir un développement autocentré qui garantisse un
minimum de revenus stables. Ce sont là des tâches qu'il faut entreprendre et
réussir en échappant aux travers bureaucratiques, au paternalisme, au
volontarisme étatique et aux folles prétentions d'apporter du dehors et d'enhaut les modifications structurelles du milieu rural. il faut alors trouver les
voies et les formes les plus simples, les plus faciles, les plus progressives, les
plus accessibles et les plus acceptables pour les masses rurales en vue de les
mettre au travail pour la réalisation de toutes les transformations économiques
et sociales qu'appelle une croissance très fone. On ne peut réussir qu'en
« donnant une chance à chacun et un avenir à tous ».
237
ANNEXES STATISTIQUES
Tableau 1 : structure des revenus des ménages
Source de
revenu8
Arachi4e
Coton
lIil
Riz
liai.
uarafchace
Uanaue
Oranse
Banane
Autre. fruit.
Cueillette
Autre. revenu
1_.
~rico1e.
Int.
StNtGAL-Revenu
(FCFA)
VJUlAIH-ieveau
(FCFA)
RVRAI.-Revellu
(FCFA)
25,930,000,000
3,046,614.442
1,428,469,625
1,913,153,369
446,947,280
7,232.450,771
546,885,649
207,006,296
77,163,507
805,616.025
651,553,330
25,087,000,000
2,959,288,180
1,352,707',359
1,818,333,234
407,212,962
6,056,493,418
493,447,334
206,112,867
58,428,607
769,550,381
580,879,845
842,276,022
87,326,263
75,762,266
94,820,135
39,734,318
1,175,957,352
53,438,314
893,430
8,734,900
39,065,644
70.673,485
2,588,515,487
1,867,864,768
720,650,719
non
~rico1e.
217,202,465,458
73,839,957,629
143.363,507,828
Salaire• •ect.
public
Salaire• •ect.
113.730.000.000
8.229,614,321
105.500,000,000
priv~
141,800,000,000
16,404,000.000
125,400,000,000
8,858,417,384
14,717,000,000
70.081.000.000
41,151,000.000
3,152,391,407
1,604.506,708
34.918,000,000
6,362,134,428
5.706,025,977
13,112,000,000
35,164,000,000
34,789,000,000
8,642,664,730
3,352,176,214
5,290,488,516
661,056,923,353
189,520.099.662
4'71,541,355,170
7,306.400
4.355,100
2.951.300
837,400
482,500
354,900
90,476
789,416
43,517
392,788
159,774
1,328,660
Autre. revenu
non ~rico1e••
Lo7er
Ver.caent reçu
Tran.tert re9U
Autre. source.
non .~citi~e8
Total
Population
Noabre de
amaflea
levenu/c:apita
Revenu/lllénage
SOURCE
241
DPS
Enquête sur les Priorités
·leau 2
Evolution des exportations
BSTINATIONS
1989
PREVISION PROIBCTION
1990
1991
1992
1993
:ODUIT8
:ACHIDIER8
Ruile bt'llte*
Valeur
Voll11Ml
Prix
48,0
43,3
30,9
21,4
26,7
36,0
150,8
238,4
35,3
129.5
272,6
24,7
92.8
266,1
13,9
73.0
190,0
17,7
85,0
208,3
turt_ux
Valeur
Vo1_
Prix
10,8
185,1
58,2
7.5
185.3
40,5
5,4
159,0
34.2
6,2
140,0
44,0
7,5
150,0
49,8
:ai",,"
Va10ur
Vol_
Prix
1,2
8,0
156,1
0,5
3,6
138,9
0,8
5,1
160,7
1,4
6,0
226.3
1,6
6,2
255,4
:n,2
1S61, 0
14,2
19,2
1570,0
12 ,2
18,9
1470,0
12,9
19,6
1519,5
12,9
21,2
1569,1
13,5
lli.8ona
l)i ••Dn. trais
Valeur
VD1_
Prix
57,1
40,8
70,9
575,5
55,1
38,4
61,8
621,7
61,3
41,9
62,9
666,0
64,8
44,4
64.0
693,1
69,7
47,8
66,S
719,4
nsrai.
Valeur
Vol_
Prix
16,3
20,6
791,3
16,7
19,2
868,3
19,4
20,9
930,3
20,4
21,5
950,0
21,9
22,2
986,0
otan
Ve.leur
Vol_
Prix
2,0
108,1
18,5
1,8
106,0
17,4
2,0
109,7
18,5
2,2
114,0
19,0
2,3
116,1
20,0
6,5
14,1
453,9
6,1
11,6
524,0
8,5
17,3
492,1
7,9
17,6
451,1
9,0
18,1
489,6
t1D.phate.
Valeur
Vol_
Prix
Source
IlEFP : Direction de la Prévision et de la
Statistique et BCEAo-Agence
242
Tableau 3 : ,structure du premier projet de crédit agricolt
TRIES
Uel
DIDOiBE!.
Evalua
Hel
-1 ion
mçhide.
1 (1000
bl
Arachidea
PraduçliOi
0000 II
IndeluI.
(tubl
Kil/
Sorgho
1& (1000
b)
Produç·
1ill.
(1000 Il
Readelell
(lg/b)
69/70
70/71
71172
72/73
151
136
1SS
159
69/70
70/71
71172
72/73
Ils
72
173
19
69/70
70/71
71/72
72/73
760
m
850
1100
120
975
165
69/70
70/71
71/72
72/73
78
53
80
69/70
70/71
71/11
470
350
500
80
72/73
113
128
144
m
160
156
57
59
66
13
400
400
m
m
m
363
402
442
700
280
100
210
950
1050
1100
1175
m
292
410
343
960
670
910
750
468
m
624
mo
13SO
1450
1500
324
287
320
320
98
54
109
53
191
200
219
420
230
530
220
SOO
500
SlS
525
lui
204
134
158
141
630
470
490
440
175
186
203
Eut
-tic
793
877
865
HO
178
86
230
66
TOTAL
-liOi
Source : MOR, Etude sectorielle, 1975.
243
Enlua
389
436
234
239
205
242
lS2
lêel
-lioll
253
305
260
308
HO
69/70
70/71
71/72
72/73
Eulua
sm SALOOW
m
900;
960
990
666
450
813
428
944
1082
1210
839
513
940
465
1050
1125
1225.
1275
72J
678
685
718
770
810
850
380
241
~8
423
445
488
207
100
700
72S
11S
m
m
508
288
550
5SO
757
m
Tableau 4 : Objectifs de production agricole du projet de
développement du Sénégal-orientaL
cRltuu pntiquEe.
Il Coton
Slrfaee totale
,lutée (ul
lendetent lOye.
(Whal 1.ISO
ProductiOl (tonnesl
AuêeaO
19811U
AnEe 1
wEe2
1983/84
1984/85
JoEe 3
1985/86
AmlEe 4
1986/87
mû S
1987/83
H.OOO
45.200
48.650
5l.850
55,050
58.S20
1.000
44.000
1.000
45.200
1.050
51.083
1.100
1. ISO
9,800
9.800
10.500
11.300
12.100
13.000
l.804
11.680
l.8S5
18,180
1.904
19.990
1.961
12.160
2.030
24,530
1.106
27.380
15.400
15.400
25.660
27.620
29,380
31.040
900
21.860
900
24.377
950
24.377
1.000
27.620
1.050
JO.849
.H.IH
35.200
35.200
36.160
38.900
41.480
44 .040
45.540
40.040
5.000
21.000
44,367
5.000
49.780
10.000
55.409
20.000
61.524
10.000
20.000
40.000
SO .000
IIllaÏl
Slff.u totale (hal
lendeaent .oyell
(l&Ihal
Prodoct ion (tonnes 1
III 1Iii/Sorgho
hrfau totale (liai
lelldnent lOyell
(kg/hl)
Prodoct ioa (tonnes 1
1.100
IVI fotal pour lu
UlUle.
sarf.ee fertilisée
uélior6e (ha)
Ttlitmnt du
leKIIUI
(ha)
Production (tonnes 1
Tr.itetent aprèl
récolte (t 1
YI fotal da Projet
nrfau (luI
AgricvltemParticipantl
79.200
80.400
80.810
90.770
96.513
102.190
70.968
71.746
73.712
75.145
76.m
77.667
244
Tableau
~
Situation du projet en milliers de francs FCFA
~U:r de
1974
litlltioll
fems
342
SIJll
~~Q~~~~!OI
11 ~~~a
l'
Coïta
a Smncu
Fert i limts
blSUrfaces
cul ti,Eu
cl Re.bmment d.
créd it
Remu Substaotiel
Moyeos submtionnés
PllDJling
~~;~r
cl Relena
leta
Remu Det
rac fem
t·mn~,far
trlVli ]Pllr
1975
B76
1977
1978
1979
1980
1981
U4~
tn~n
2.m
2460
38,745
43,050
47,m
51,660
10,404
20,404
20,404
20,404
20 ,404
14 ,971
17,741
22,646
16,951
31,256
33,461
35,561
31,724
17,306
2,562
5,125
10,250
10,250
10,250
10,250
10,250
15,486
16, S4S
18,381
20,217
22,OJ2
24,300
41,6
44,S
49,4
54, J
59,2
65,3
1.m
tm
166~
2 76R
31.177
3,180
53,865
55,965
5&,128
7,175
7,m
20,030
20 ,404
2,870
l'm
1m
Polder de
1.upJu
Inm net
Rmnu net
par fem
Renn~lf~r
trn.; lPnr
um
1~~
14~
lOS
14,744
15,179
17,521
19,16J
43,1
44,4
51,1
56,3
B6
'6~
402
Polder de
Dapu
ierenv Det
RmnD net
par fene
RmDU far
trmil eue
245
m
t
264
)OS
m
21,006
23,Jl1
25,311
27,499
61,4
67.9
74,0
80,3
336
404
441
479
Tableau 6
Coûts du projet
Sous-Projets
"ri.
Petits
ris.
Petit. pb. ur.
Petit. pir. de
ballne
Gardiewge
.'abeil.
pêclIe
DiitribatiDl d'ui
de. ,illages
Directioa dl projet
Acthit& DOl
i6ellt ifiée.
lelboarseleDt PPA
Local
Etranger
Tot&l
Local
fIt.
O,2IS
0,94
0,221
0,119
o,m
l,DIO
0,448
1,052
0,567
2,062
l,OlS
15
0,213
0,106
D,IDS
0,211
D,SOS
0,500
t,DOS
7
0,13
0,12
0,11
D,ID
0,24
0,22
0,62
D,57
D,52
0,48
0,114
D,IDS
1
1
0,150
0,196
0,208
0,199
0,358
0,395
0,714
0,933
0,990
0,948
0,704
1,881
12
13
0,445
0,482
0,16
0,927
0,31
2,119
0,71
2,298
0,76
.,411
O,IS
0,141
31
1
1,243
1,371
2,614
5,919
6,531
11,450
1
Coût
total
Sda
eolbt&l
7
toit. estilb
Coat illieat.
plr1siqlu
Pro,iaiOi pour
IlIpea tat i01 de
pril
0,19
0,36
0,65
0,138
0,172
0,310
2
0,135
0,146
0,281
0,'43
0,697
1,34D
10
Co6t. totlllJ dl
projet
1,407
1,553
2,960
6,700
7,400
14,109
100
246
Tableau 7 : Production agricole et productivité
annuelles des sous-périodes
Nil sorgho
Amhides
NOJelllles
AmIuelles
Productioll
(tonnes)
Sgperricie
(hal
60/61-64/65
65/66-69/70
70/71-74/75
75/76-79/80
80/81-86/87
942.180
918.540
861. 237
962.187
703.032
1.031.000
1.109.140
1. 052. 711
1. 224.937
916.559
Rendelents
(tonnes 1
0,914
0,828
0,723
0,786
0,767
Pro(lgction
(tollm
442.960
544.520
474.401
569.147
636.236
luperCicie
(hal
tiOIi
(tonnes l
61/61-64/65
65/66-69/70
70/71-74 /7S
15/76-79/80
80/81-86/87
91.620
116.340
8U04
100.321
119.m
Source
247
Superri cie
(1111
74.660
90.140
74.928
72.161
69.280
lendeIeAtS
(tomsl
0,508
871. 600
1. 062. SOO
959.987
969.104
1.077.388
o,m
0,494
0,587
0,591
Nais
lit
Produc-
moyenne:
Rendeleots
(tonnes 1
Production
(tonnes 1
1,227
1,291
1,112
1,390
1,729
29.180
42.720
J3 .066
46.501
87.189
: Direction de l'agriculture
SUperride
(luI
34.800
54,320
43.396
51.787
78.831
lendeltatS
(tonnes 1
0,841
0,787
0,762
0,805
1,108
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252
T ABLE DES MATIERES
Préface
,.
5
Avant-propos
9
Propos introductifs à la réflexion sur l'agricultue sénégalaise
dans une perspective de relance de la croissance
9
1) La faillite des sociélés d'inlerventions dans le monde rural.......
2)Le dcficit agro-alimentaire et son incidence sur la balance
des païcillents
3) L'inefficacilé de la politique agricole dans le domaine de
r accroissement des super1ïcies et des rendements
4) La détérioralion du pouvoir d'achat des produc!eurs
23
Introduction générale
41
Prologue...................................
1) L'agriculture
2) L 'élevage
3)Lapêche........................................................................................
4) La Foresterie
46
49
50
51
24
29
30
41
PREMIERE PARTIE
Crise agraire et stratégie d'intervention de la Banque Mondiale
et du Fonds Monétaire International
57
CHAPITRE 1- La crise de l'économie agricole séncgalaise
61
1) L'impact sur les agrégats nationaux
2) Les distorsions structurelles de l'économie sénégalaise
61
70
253
CHAPITRE 11- Les modalités d'intervention de la Banque Mondiale ct du FMI
1) Contribution du FMI aux plans de rt~dresscment Cl mesures d'accompagnclllclll .
incidences sur le secteur rural............
2) Les implications techniques directes du groupe de la Banque Mondiale
dans le programme agricole ct dans les efforts de restructuration de
l'économie rurale sénégalaise
HI
81
84
DEUXIEME PARTIE
Impact réel de la politique de libéralisation des institutions internationilles
CHAPITRE I-Lcs incidences micro-économiques. psychologiques Cl
socio-économ iques
1) Le premier projet de crédit agricole
2) Le projct de développement rural du Sénégal-Oricntal
3) Projet des Polders du Fleuve Sénégal....................................................
4) Le projet d'irrigation de Débi-Lrunpsar
5) Les petits projets d'opérations rurales
6) Le projet rizicole de la Casamance
CIIAPITRE II - Les imptlcts mal:ro-économiqucs
1) Les effets des interventions du FMI sur le secteur rur.lI dans le cadrl'
du redrt'sscmcnl de l'économie scn~~alaisc
~) Les incidences macro-économiques des interventions du groupe de la
Banque Mondiale sur le secteur l'lIrai
89
91
91
9~
101
103
107
1D
117
117
126
TROISJEME PARTIE
Les llXes d'une nouvelle strlltéllie pour l'émergence d'une llgrlculture
ptrf()rm~lnte
CHAPITRE. 1- OrganisaI ion de la production en vue de la rcl:lnce de
la croiss:lIlce
1) L'étnt des filières ugricoles ct leur réorganisation dans J'oplil.luL'
de lu relance de l'économie rur:Jle
2) La réalisation programmée d'une infraslructurc de hase pour l'agriculture
1~.'
1~9
LN
164
CHAPITRE Il - Les conditions institutionnelles ct techniques pour une
agricullurc moderne cl efficace........................................................................
171
1) Ln coopéralÎon dans le secteur agricole................................................ .......
171
254
2) La planification du perfectionnemcnt dl' la tedlllique cl de l'ulilisation
généralisée des facteurs motlcrnes tic protluction agricolc
3) LI néccssité de ln définition tI'une politique atléquale de crédit
4) La politique des prix. tics revcnus ct tic la cOllllllercialis:lIion con\llle
moyen de Illodification des slructurt's
5) La reconl.juête du marché urbain ct régional............................................
CHAPITRE Il-Elaboration de structures fonctionnelles d·cnca<.lrement ct
de participation populaire
1) Les paysans sans Etat ni Nation
2) Revalorisation des stfllctures el tles organisations paysannes
3) La question foncière: enjeux ct exigences
4) Participation populaire au développement I1Jral ct promotion tle la femme......
5) Intégration, responsabilité ct soutien des agricultflces
175
179
1 X4
1XX
J 91
Il) 1
201
202
2 1()
220
EN CONCLUSION
Le Sénégal est capable de relever le défi du développement aHC
l'agriculture cOlllme locomotive
22.\
1) Une agriculture profontlément rénovée doit être le moteur du
redressement économ ique et social..............................................................
2) Quelques lignes directrices d'un plan de relance de l'agriculture.............
22l)
Annexes statistiques
Tableau J : Structure des revenus tles ménages
Tableau 2: Evolution des exportations
Tableau 3 : Structure du premier projet tle crédit agricole
Tableau 4 : Ohjectifs de production agricole du projet de (kwloppellll'111
Sénégal-Oriental
Tableau 5 : Situation <.lu projet en milliers de fr'lI,lCs CFA
Tableau 6 : Coûts du projet
Tableau 7 : Production agricole cl productivité moyennes annuelles dcs
sous-périodes
Bibliogruphie sOlllmuire
22.\
2.Îl)
241
242
24.\
244
245
2.t6
247
2.t t)
Au lendemfÏ1l de l'indépendance, l'édif~;,., '1 J•• projetée au Sé ,légal d\me
société moderne, socialiste et démccratiql"~, c.~vai! s'appuyer d'une l"c:f1
bur le d~veloppernent prioritaire de l'agriculture et d'autre part ",,~'
l'exercice par l'Etat de fonctions éc('!nomiq~~ et financières pour 11
promotion des activités producth~s. Toutefois, trois dé-cennies après, les
résultats de cette politique se sont avérés plus que modestes. La crise de
l'économie agricole s'est approfondie avec, certes, quelques progrès r~els
mais largement insuffisants l'l0ur faire face à la croissance démographique,
aux :1endements has, aux faibles productivités du travaii, au déficit"
alimentaire persistant et Ua hillitedu ;;ecteurpublic rural. Il en est résult6- .
une paysannerie :-ious-employée et appauvrie. C'est dans ce context{; qu~
le grO\lpe de la Banque Mondiale (BM) etdu Fonds Monétaire International
(FMI) a initié f~îvers projets visant la relance de J'agriculture pour en faire;' .
le rnoteur de réconomie sénégal:lise. Ce sont ces interventions
qu'a·nbitionne d'apprécier ce présent ouvrage. L'objectif visé est
mieuxéval uer!' impact sur le secteur rural des différents .programmes mî~
e9 œl,IV rë' ifj les deux organismes financiers sus-cités. En effet,leur mod~
dtaCtlOll es_uvent criti.qué comme étant très faiblement perfounant ~"
fait liuç les politiques ~ mpehé impliquées sont peu appropri~e5 dUX
structures rurale:: africaines! r'ès lors, se pose la question des défi~ du'
.mo!hle rural sénégalais et celle de savoir comment les relever pour faire ..'
de ragriculture la locomotive du développement économique et soe<ial,\) ,
-
-~,,/
Professeur MouSlapha KASSE est Dl)yen de la
Foelilti des Sciellces Economiques et de Gestion. 11 Q bl
.Directeur du Centre de Recherches Economiques
Appliquies (CREA). 1/ est Prlsldent de la Coriflrence des
Il1stitlllions tf Ellselgnement et de Recherche en A/riqu~ et
Vice-Prisldent de /' Associatlo" des Economistes
.d'Afrique de l'Ouest.
Ellseiglla", dalls plusieurs Ulliversit/s africaines, il
est rauteur de plusieurs publications dont la derni~re en
date est L'Afrique endettée,Editlons NEAS-CREA.
ISBN: 2 ·72361101·9
--_.-._,
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