Pour une analyse du discours « critique » médiatique

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Pour une analyse du discours « critique »
médiatique
Héloïse Pourtier-Tillinac
Doctorante en Sciences Politiques
Paris I. Sorbonne.
Le champ des analyses médiatiques s’est souvent concentré, s’agissant de la
presse, sur les pages d’information. Si quelques rares travaux ont tenté
d’élargir le domaine d’étude à des journalismes particuliers (le journalisme
économique, le journalisme médical), force est de constater que fort peu de
travaux se sont tournés vers la problématique du journalisme culturel,
autrement dit vers cet espace journalistique que l’on nomme la critique. Or,
limiter l’espace médiatique aux pages d’information nous semble fort
dommageable dans ce sens que, tant du point de vue des producteurs que
des récepteurs, les pages dites « culturelles » renferment d’importantes
problématiques.
Cette présentation a donc pour objet la critique cinématographique dans la
presse française (plus précisément Libération, Le Monde et Le Figaro). Elle a
pour but de mettre à jour les principales problématiques découlant d’une
analyse d’un discours médiatique particulier : le discours critique.
Quelques mots d’introduction sur notre méthode.
Travaillant dans une perspective politiste, l’analyse des textes médiatiques
que nous avons entamée a été motivée par l’hypothèse d’une influence
politique des critiques culturelles sur leurs lecteurs. Le choix de travailler sur
des textes découlant de la presse culturelle nationale plutôt que sur des
magazines spécialisés a donc été motivé par ce but sous-jacent : il s’agissait
d’étudier un ensemble de textes lu par le nombre de lecteurs le plus large
possible et surtout par des lecteurs n’étant pas particulièrement à la
recherche d’une information culturelle (la motivation d’un quotidien reposant
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rarement sur les pages culturelles). Le fait de prendre la PQN comme objet
est donc lié à notre questionnement sur la potentielle influence des textes
critiques : quelle influence peut avoir la critique culturelle sur un lecteur a
priori dépourvu d’attentes particulières en terme culturel ? Nous avons donc
sélectionné les trois plus grands journaux de PQN du paysage français :
Libération, Le Figaro et Le Monde. Nous avons retenu un laps de temps et un
nombre de films terminé : 125 films sortis l’année 2003, soit une analyse
de plus de 350 articles.
Cette présentation présente les principales conclusions de l’analyse sémio-
linguistique en trois parties. La première rend compte du résultat de
l’analyse sur le plan des représentations : partant de l’hypothèse que la
critique culturelle ne véhicule pas seulement des représentations
esthétiques, nous avons analysé les signes d’éventuelles représentations
socio-politiques. La deuxième présente les résultats de notre analyse portant
cette fois sur la signification politique des représentations esthétiques : les
prises de position artistiques des journalistes, leur travail d’écriture a une
signification politique et sociale. La troisième partie enfin résume les
principales conclusions ayant trait aux problématiques de la réception et à la
question de l’influence des représentations véhiculées par la critique
culturelle sur ses lecteurs.
1) Les représentations socio-politiques
L’analyse sémio-linguistique des quelques 350 articles a laissé apparaître un
certain nombre de formules renvoyant à des représentations non pas d’ordre
esthétique mais d’ordre politique et social. La plupart de ces formules ont été
relevées dans les articles du Monde et de Libération et rarement dans ceux
du Figaro. Une première distinction est alors clairement apparue : les
critiques culturelles des deux premiers quotidiens se distinguent par un
engagement politique assez net alors que Le Figaro se distingue par ce que
l’on pourrait appeler un « non engagement » politique.
L’analyse des articles critiques de Libération et du Monde a pu mettre en
évidence l’existence de thèmes récurrents.
1) un fort anti-capitalisme : les textes critiques des deux quotidiens
donnent régulièrement à lire des formules qui font montre d’un rejet du
système capitaliste et du libéralisme en général. Dans une vision que lon
peut qualifier de néo-marxiste, les patrons, les industriels, les « chefs » sont
condamnés alors que les travailleurs « aliénés » sont systématiquement
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présentés comme des figures héroïques. Derrière ce rejet politique du
libéralisme, on trouve un rejet quasi philosophique : l’argent est
systématiquement dépeint de manière gative alors qu’à l’inverse la
pauvreté est mise en valeur. Cela est notamment visible dans le traitement
que les deux journaux font des coûts de production et de distribution : plus
un film a coûté de l’argent, plus il est condamné, alors que le fait qu’un film
ait pu se faire avec un petit budget va être systématiquement souligné
comme argument positif.
2) une ouverture sur la question de la sexualité avec notamment une
mise en valeur des sexualités minoritaires. Cela est surtout le cas dans
Libération les films qui mettent en scène des personnages homosexuels
sont systématiquement acclamés par la critique. Paradoxalement, la
particularité des pratiques homosexuelles est toujours relativisée par des
formules visant à en montrer l’évidence : ainsi le terme « homosexuel », trop
qualifiant, nest jamais employé et l’on apprend la situation de couple qu’au
détour de phrases (ex « Régis vit avec Patrick »). La neutralité de ces propos
est compensée par certaines formules dont l’écriture touche à la
pornographie. Les scènes de rapports sexuels de certains films sont ainsi
rapportés dans Libération par des propos dont la crudité fait pencher pour de
la provocation. Il y a donc un mélange de volonté d’assimiler l’homosexualité
comme pratique ne méritant plus d’être soulignée et volonde provocation
dans des descriptions de scènes plus que crues.
3) un rejet de toute forme d’incarnation de l’autorité. Cela est
visible dans le traitement que les discours critiques de Libération et du
Monde réservent à lEglise catholique. Les formules font systématiquement
appel à un imaginaire de l’inquisition avec des figures de l’Eglise dépeintes
comme des tortionnaires. Autre incarnation de l’autorité : la police. Les
« flics », les « CRS », les « gendarmes », me les « gardiens » sont
toujours présentés comme des individus si ce n’est violents, du moins
cherchant toujours à écraser les libertés des individus. Enfin, la société est
elle-même perçue de manière négative, comme système entravant les
relations humaines (les couples amoureux sont ainsi toujours présentés
comme victimes de la société) et les libertés. Face à ce rejet de lautorité et
de ses incarnations, on trouve une mise en valeur des figures marginales,
déviantes qui refusent de se soumettre à l’ordre.
4) un fort anti-américanisme. Les Etats-Unis sont en effet
systématiquement dépeints sous des traits gatifs. Cela est dans la plupart
des cas lié à des raisons purement politiques : les allusions au gouvernement
Bush sont ainsi fréquentes et les critiques explicites. Mais cet anti-
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américanisme peut être également l à raisons plus structurantes : sont
vilipendés en me temps l’impérialisme militaire, économique et culturel du
pays, sa philosophie du self made-man, sa juridisation à outrance, son
exubérante force de consommation (alimentaire mais aussi industrielle). Ce
sentiment anti-américain trouve une traduction particulièrement claire dans
un rejet de l’industrie hollywoodienne qui condense impérialisme économique
et culturel.
5) un fort pessimisme social. Enfin, les textes critiques de Libération
et du Monde se caractérisent par la récurrence de formules renvoyant à des
représentations très négatives du monde social. Chaque film est perçu
comme le reflet ou la traduction d’un dysfonctionnement, dysfonctionnement
de lEtat, de la famille, des relations amoureuses, amicales. Ce pessimisme
touche parfois à un pessimisme quasi existentiel. On a ainsi pu relever une
très forte récurrence du terme « mort » et de toutes ses déclinaisons. Et ce,
même à propos de films qui ne portaient pas, a priori, sur le sujet : « la mort
pour tout le monde», « la Mort en personne », « ronde de vie et de mort »,
« face à face avec la mort », « conjoint la beauté et la mort », etc. Cette
insistance sur la mort est également accompagnée d’une vision très noire de
l’homme ; pour reprendre leur terminologie, de « l’âme humaine » : « l’effroi
mortel qu’inspire à l’homme sa propre destinée », « découverte d’une
souveraineté ontologique du mal », « la noirceur des âmes », « les hommes
et leur lâcheté », « l’incompréhension entre les hommes », etc.
Pour tenter de définir la place de ces représentations sur l’échiquier politique
nous avons pris comme repère les concepts de libéralisme économique et de
libéralisme culturel. Les formules présentes dans les articles de Libération et
du Monde hiculent des représentations qui associent tout à la fois un
libéralisme culturel positif et un libéralisme culturel négatif. Cette association
signe une position « de gauche ». Il y a donc coïncidence entre la ligne
éditoriale nérale de ces deux journaux et leurs critiques culturelles.
En prenant position sur le plan politique, les textes critiques de Libération et
du Monde ne renvoient pas à l’image classique du journaliste qui repose
plutôt sur le mythe d’un justicier objectif. Ils semblent plutôt fait écho à la
figure l’écrivain, et plus particulièrement celle mise en valeur depuis Sartre
de l’écrivain engagé. La façon dont les journalistes des deux quotidiens
aiment à se positionner sur le plan politique, à ne pas hésiter à user de leur
subjectivité est une manière de se détacher de la figure du journaliste
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(traditionnellement objectif) pour se rapprocher de la figure de l’écrivain.1
L’engagement politique des critiques cinématographiques de Libération et du
Monde pourrait alors être interprété dans la perspective d’une volonté de se
« distinguer » (au sens bourdieusien).
Face à la récurrence des engagements politiques de Libération et du Monde,
les articles du Figaro paraissent comme particulièrement neutres. Un seul un
sujet aboutit à des commentaires politiques : celui des grands évènements
symboliques de la gauche.
Ainsi, les textes critiques du Figaro dressent un portrait particulièrement
négatif des évènements de Mai 68. Les manifestants sont présens comme
des « idéalistes paumés » et leurs revendications comme de « vagues
utopies sans fond ». Si Mai 68 est traité avec une certaine ironie, les
évènements plus récents sont abordés avec plus de sérieux et plus
d’engagement. C’est ainsi le cas des manifestations anti-mondialistes, et
notamment celle de Genève qui a coûté la vie a un jeune manifestant. Le
discours critique prend alors clairement parti contre les manifestants et pour
les forces de l’ordre et accuse les dias d’avoir manipulé la mort du
manifestant à des fins politiques.
Mis à part ces quelques exemples, on ne peut pas dire que les textes
critiques du Figaro soient engagés politiquement. Comparés aux articles de
Libération et du Monde, les rares formules faisant appel à des
représentations politico-sociales sont anodines. De plus, il apparaît que ces
formules ne sont jamais déclenchées par une volonté d’engagement mais
plutôt par une réaction contre un engagement premier. Nous avons donc
défini la position du Figaro, à la suite des travaux de Claire Blandin sur Le
Figaro Littéraire, de « contre-engagement ». 2
Quant à la vision du monde véhiculée par les critiques culturelles du journal,
on peut dire qu’elle se distingue par son franc optimisme. Contrairement
aux pages du Monde et de Libération, celles du Figaro mettent en valeur les
réussites, les opportunités, les bons côtés. Même face aux situations
difficiles, un mot vient rythmer les textes critiques : lespoir. Ce
positionnement peut être interprété en terme politique comme penchant du
1 Voir Pourtier Héloïse (Sous la direction), « La critique culturelle, positionnement
journalistique ou intellectuel ? », Quaderni, n°60, printemps 2006
2 Blandin Claire, « Les interventions des intellectuels de droite dans Le Figaro Littéraire.
L’invention du contre engagement », in Vingtième Siècle, n°96, octobre-décembre 2007, p
170-194
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