Gènéthique - n°113 - Mai 2009
Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique
N°113 : Mai 2009
TRIBUNE MAI 2009 :
Découvrez l’interview exclusive du Pr Ian Wilmut sur "Les recherches sur l’embryon et le clonage sont-elles
encore nécessaires après la découverte des cellules iPS ?". Président du Conseil de recherche médicale en biologie reproductive du Centre
de médecine régénérative de l’université d’Edimbourg, il est premier à avoir cloné, avec succès, un mammifère (la brebis Dolly). Lire la tribune
sur www.genethique.org
Le rapport du Conseil dEtat sur la révision de la loi de bioéthique
Le 6 mai dernier, le Conseil d’Etat (CE) a
rendu public son rapport sur la prochaine
révision de la loi n°2004-800 du 6 août
2004 relative à la bioéthique. Voici ses
principales recommandations.
Autoriser la recherche sur l’embryon
Dans un premier temps, le CE rappelle que
l’embryon humain est "une vie humaine
potentielle et non une chose", qu’"il ne peut
être traité comme un simple matériau de
recherche" et qu’"on ne peut par principe lui
porter atteinte que pour des raisons
majeures et dûment justifiées". Il qualifie
même la recherche sur l’embryon de
"transgression" au "principe supérieur" de
"protection de l’embryon" ; celle-ci n’étant
admissible "que pour des fins
thérapeutiques bien définies et
particulièrement importantes du point de
vue collectif".
Et pourtant, tout en reconnaissant que
conserver l’actuel régime d’interdiction de la
recherche sur l’embryon humain et les
cellules souches embryonnaires humaines
assorti de dérogation présenterait
l’avantage de maintenir l’affichage d’un
interdit symbolique fort, il propose d’adopter
un régime permanent d’autorisation
"enserré dans des conditions strictes". Ainsi
préconise-t-il, pour l’article L. 2151-5, la
rédaction suivante : "Aucune recherche sur
l’embryon humain ni sur les cellules
souches embryonnaires ne peut être
entreprise sans autorisation. Un protocole
de recherche conduit sur un embryon
humain ou sur des cellules souches
embryonnaires issues d’un embryon humain
ne peut être autorisé que si :
- la pertinence scientifique de la recherche
est établie,
- la recherche est susceptible de permettre
des progrès thérapeutiques majeurs,
- il est impossible, en l’état des
connaissances scientifiques, de mener
une recherche identique à l’aide d’autres
cellules que des cellules souches
embryonnaires humaines,
- les conditions de mise en œuvre du
protocole respectent les principes
éthiques".
Pour justifier sa position, le CE évoque,
d’une part, un souci de "cohérence" selon
lequel "le législateur ne pourrait
raisonnablement poser une interdiction et
édicter dans le même temps, à titre
permanent, une dérogation dont l’effet serait
en pratique de vider de son sens cette
interdiction", et, d’autre part, le fait que 95%
des projets de recherche soumis à
autorisation ont été retenus par l’Agence de
la biomédecine.
Professeur de droit public à Paris-I,
Bertrand Mathieu critique ce changement
de régime prôné par le CE, affirmant que
les questions de bioéthique ont besoin de
stabilité juridique. Inverser la situation et
ériger en principe l’actuelle dérogation nous
fait entrer, au contraire, dans "une situation
d’incohérence juridique préjudiciable".
DPN : "impératif éthique" et
choix de "santé publique"
Dans sa lettre de saisine du 11 février 2008,
le Premier ministre, François Fillon, faisait
part de sa préoccupation quant aux
éventuelles dérives eugénistes et
demandait, en premier lieu, au CE de
répondre à la question suivante : "les
dispositions encadrant les activités
d’assistance médicale à la procréation
[AMP] et, en particulier, celles de diagnostic
prénatal [DPN] et de diagnostic
préimplantatoire [DPI], garantissent-elles
une application effective du principe
prohibant "toute pratique eugénique tendant
à l’organisation et à la sélection des
personnes" ?". Définissant l’eugénisme
comme "l’ensemble des méthodes et
pratiques visant à améliorer le patrimoine
génétique de l’espèce humaine", la Haute
juridiction admet que l’eugénisme peut être,
outre "le fruit d’une politique délibérément
menée par un Etat", "le résultat collectif
d’une somme de décisions individuelles
convergentes". Il cite ainsi le cas de la
trisomie 21 : "en France, 92% des cas de
trisomie sont détectés, contre 70% en
moyenne européenne, et 96% des cas ainsi
détectés donnent lieu à une interruption de
grossesse, ce qui traduit une pratique
individuelle d’élimination presque
systématique des fœtus porteurs". Et
pourtant, il lui paraît "illusoire et même
injustifié d’empêcher ou de retarder l’accès
à des techniques de dépistage : l’accès à
l’analyse des marqueurs sériques dès le
premier trimestre" et ce, au nom d’un
"impératif éthique à l’égard des femmes
enceintes leur donner la possibilité de
choix moins tardifs" et de "considérations
de santé publique limiter le nombre de
fausses couches liées à l’amniocentèse".
Un arrêté, actuellement soumis au ministre
de la Santé, propose en effet d’avancer les
examens de dépistage de la trisomie 21,
aujourd’hui alisés au deuxième trimestre
de grossesse, au premier trimestre
1
. Un tel
dispositif n’en resterait pas moins un calcul
de risque avec ses faux négatifs (enfant
trisomique non dépisté) et ses faux positifs
(enfant non atteint dépisté à tort). Et, si le
risque s’avérait élevé, il faudrait quand
même procéder à la confirmation
diagnostique par un prélèvement.
L’amniocentèse étant impraticable à ce
stade de la grossesse, il faudrait se tourner
vers la biopsie de trophoblaste (futur
placenta) qui induit un taux de pertes
fœtales 1,5 à 2 fois plus élevé qu’avec
l’amniocentèse, cette-dernière entraînant
une fausse couche dans 0,5 à 1% des cas.
Les femmes, à qui l’on veut par cette
mesure éviter toute angoisse, devront donc
Gènéthique - n°113 - Mai 2009
choisir entre une biopsie de trophoblaste,
plus tôt mais plus risquée et une
amniocentèse, plus tardive mais moins
risquée. De plus, la volonté affichée de
disposer des résultats en 48 heures ne se
heurte-t-elle pas au consentement libre et
éclairé que requiert la loi ?
2
En bref, le groupe de travail du CE, présidé
par Philippe Bas, reconnaît l’existence de
pratiques eugéniques en France tout en en
encourageant la mise en œuvre…
Concrètement, la seule solution qu’il
propose pour limiter les risques de dérives
eugéniques est l’information et
l’accompagnement des femmes.
Elargir l’accès au DPI ?
Dans le cas du DPI, le CE estime que la
notion de "particulière gravité" nécessaire
pour un recours au DPI laisse "une marge
suffisante d’interprétation", quitte à ce que
le DPI soit utili pour la recherche de
prédispositions à certaines maladies à
révélation tardive (cf. Lettre n°109). Il ne
recommande pas l’établissement d’une liste
de maladies ouvrant "droit" au DPI, mais
juge en revanche nécessaire "d’augmenter
les moyens humains et financiers" afin de
"réduire sensiblement" le délai d’attente
(entre 18 et 24 mois) pour obtenir un DPI.
Le CE évoque par ailleurs "la différence
d’encadrement législatif" entre DPI et DPN
qui "empêche de détecter certaines
affections dans le cadre du DPI, avant le
transfert in utero (…), mais permet d’y
procéder après, dans le cadre d’un DPN,
alors que la grossesse est en cours".
N’évoque-t-il pas ici, en creux, la possibilité
d’élargir l’accès au DPI à toutes les
dispositions pour lesquelles le DPN est
accessible et ce, alors qu’il reconnaît que
"tout assouplissement du DPI induit des
risques supplémentaires d’eugénisme" ?
Enfin, en ce qui concerne le "double DPI"
ou DPI-HLA, plus couramment appelé
"bébé médicament", le CE précise que "les
questions éthiques (…) et le fait qu’il ait été
peu utilisé pourraient justifier que le
législateur envisage de mettre un terme à
cette pratique". Il propose donc de proroger
cette pratique, tout en en envisageant une
évaluation approfondie dans cinq ans.
AMP, don de gamètes et GPA
Le CE préconise de ne pas modifier les
conditions d’accès à l’AMP prévues par la
loi de 2004 et écarte donc la possibilité pour
les femmes seules et homosexuelles de
recourir à l’AMP. Il ne semble pas non plus
vouloir revenir sur l’exigence de vie
commune d’au moins deux ans.
Le CE affirme par ailleurs son opposition au
transfert d’embryon post-mortem.
Sans revenir sur le principe de gratuité du
don de gamètes (tout en souhaitant en
neutraliser le coût financier pour le
donneur), il se prononce en faveur d’une
levée partielle de l’anonymat (accès à
certaines données non identifiantes et
possibilité d’une levée de l’anonymat si
l’enfant le demande et si le donneur y
consent).
Le CE justifie ensuite la possibilité d’accueil
d’embryons au motif que celle-ci "assure au
plan symbolique que tout embryon
surnuméraire n’est pas voué, soit à la
destruction, soit à la recherche".
Concernant la gestation pour autrui (GPA),
il estime justifiée l’interdiction actuelle mais
propose quelques "solutions ponctuelles"
(transcription de la filiation paternelle et
délégation avec partage de l’autorité
parentale pour la mère dite d’intention) pour
"pallier les difficultés pratiques" des familles
qui ont eu recours à la GPA, "sans modifier
les règles relatives à la filiation".
Loi-cadre
En conclusion, la plus haute juridiction
administrative française recommande au
législateur de ne pas renouveler l’obligation
de réexamen de la loi tous les cinq ans.
D’une part, avance-t-elle, il ne s’agit plus de
poser de nouveaux principes mais de
mettre en œuvre ceux existants et, d’autre
part, une "surréglementation (…) ferait dans
certains domaines obstacles au bon
déroulement de la recherche ou du soin". Le
CE propose donc au législateur de
s’appuyer sur le rapport annuel de l’Agence
de la biomédecine ainsi que sur le Conseil
d’Etat et le Comité consultatif national
d’éthique (CCNE) auxquels il pourrait
demander une réflexion régulière sur la loi
de bioéthique.
1- Cf. la tribune de Jean-Marie Le Méné, président de
la Fondation Jérôme Lejeune et auteur de La
trisomie est une tragédie grecque (Ed. Salvator,
2009), parue dans Le Figaro du 9 mai 2009 : Les
risques d’un dépistage à outrance de la trisomie 21.
2- L’étude de l’Inserm Prenatal screening for Down
syndrome: women's involvement in decision-making
and their attitudes to screening (Valerie Seror, Yves
Ville, 2009) a déjà montré que "la moitié des femmes
qui ont accepté une échographie et un test sanguin
n’avaient pas conscience qu’elles pourraient être
amenées à prendre d’autres décisions : faire ou non
une amniocentèse et, en cas de diagnostic avéré de
trisomie 21, poursuivre ou interrompre leur
grossesse".
L’exposition "Our body, à corps ouvert" interdite
Début avril, les associations "Ensemble
contre la peine de mort" et "Solidarité
Chine" ont assigné en justice l’organisateur
de l’exposition anatomique "Our body, à
corps ouvert" qui, après Lyon et Marseille,
se tenait à Paris depuis février et présentait
17 cadavres pouvant être ceux de
prisonniers ou condamnés à mort chinois.
Selon ces associations, une telle exposition
allait à l’encontre de l’article 16 du Code
civil qui "interdit toute atteinte à la dignité de
la personne" et enfreignait le Code de la
santé publique selon lequel les corps ne
peuvent être utilisés qu’à des fins
scientifique ou thérapeutique.
Le 21 avril, le Tribunal de grande instance
de Paris a interdit l’exposition, jugeant
qu’elle constituait "une atteinte manifeste
au respect aux cadavres" et "un
manquement à la décence". Et, le 30 avril
dernier, la Cour d’appel de Paris a confirmé
cette interdiction au motif que "la société
organisatrice de l'exposition ne rapporte
pas la preuve, qui lui incombe, de l'origine
licite et non frauduleuse des corps et de
l'existence de consentements autorisés".
Marchandisation des corps
Professeur de philosophie à la faculté de
médecine de Marseille et vice-président du
Comité consultatif national d’éthique
(CCNE), Pierre Le Coz s’est élevé contre
l’argument pédagogique - voire artistique -
avancé par les organisateurs qui, d’après
lui, "ne sert en réalité qu’à camoufler une
préoccupation plus prosaïque, d’ordre
lucratif". Il a aussi dénoncé une certaine
"vision colonialiste de l’homme asiatique",
ajoutant que, la dernière fois "que l’on a
pratiqué un traitement industriel, anonyme,
dépersonnalisé des cadavres, c’était dans
les camps de la mort". "Comment en est-on
arrivé là, dans un Etat dont la loi de
bioéthique proclame l’indisponibilité et la
non-patrimonialité du corps humain ?",
s’est-il interrogé.
Avis du CCNE
Saisi en 2008, le CCNE avait rendu un avis
négatif sur le sujet, estimant que : "le non-
dit majeur" de l’exposition était "la prime au
voyeurisme sous couvert de science",
qu’elle introduisait un "regard techniciste"
sur des corps "désingularisés" et qu’"il
serait naïf, faux et sans doute dangereux de
laisser croire au public qu’il n’y avait jadis
qu’une occultation de la mort et que nous
parvenons enfin au dévoilement de la Vérité
sur l’homme".
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15.
Gènéthique - n°113 - Mai 2009
Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris - www.genethique.org – Contact : contact@genethique.org – Tél. : 01.44.49.73.39
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 4989
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