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L E C A B I N E T D E L E C T U R E
corps du patient (et du thérapeute) quand bien même cette habitation est
évitement (Damien), déni (Madame D.) ou défaut d’intégration (Gaspard).
Catherine Potel souligne cette urgence quasi vitale repérable chez de
nombreux enfants, « à éprouver encore et encore la solidité du lien, la
contenance et les limites que les adultes peuvent assumer. Sans qu’il ne
soit en aucun cas question de psychoses ou d’autismes, il s’agit de
construire chez ces enfants (ou adolescents) la capacité d’altérité, en
passant d’abord par la construction identitaire du sentiment d’être à l’in-
térieur de soi, en sécurité ». Et elle montre combien reste pertinente, bien
que négligée, voire disqualifiée, la prise en compte du sujet et non la
somme de ses fonctions plus ou moins efficientes.
Il est essentiel pour les patients, affirme-t-elle, que le thérapeute réponde
à leurs besoins les plus primitifs. Cela n’est possible que si celui-ci a
« rouvert en lui ses modes de communication primitive » supposant, selon
elle, d’avoir réalisé lui-même l’expérience d’un travail corporel consé-
quent, indépendamment ou en complément d’un travail psychique person-
nel. Le thérapeute accède alors à une « écoute polysensorielle » lui
permettant d’entendre au-delà de ce qui est dit. L’observation froide et
objective est battue en brèche, tant pis pour la scientificité : le thérapeute
se trouve « inspiré » par son patient, selon la jolie formule de l’auteur. Un
exemple intéressant de cette nécessaire disponibilité corporelle du théra-
peute, transférée d’abord sur le cadre et ses aménagements, puis expéri-
mentée par le patient à partir des qualités propres du thérapeute (tonicité,
tonalités et modalités de la voix, postures, engagement corporel) est décrit
dans un passage intitulé « Entre contention et enveloppe ».
Catherine Potel rappelle aussi que dans tout processus thérapeutique, l’ex-
périence du corps et l’expérience de l’autre s’opèrent dans une double arti-
culation : à la fois concrète, physiquement concrète, et symbolique. Tout
se passe comme s’il y avait toujours deux scènes en train de se constituer
dans le travail avec le patient : une scène sur laquelle se jouent verbale-
ment et corporellement les difficultés, les impossibles, les angoisses, et
une scène se maintenant quoiqu’il arrive, offrant appui, cadre, stabilité,
sécurité, vie… C’est un formidable parti pris que soutient l’auteur, le parti
de s’appuyer sur la chaleur et la vie partagées. Et on pourrait ajouter : sur
la créativité partagée.
La difficulté pour penser le contre-transfert dans une clinique psychocor-
porelle vient de la nécessité de penser ce qui s’éprouve sans s’en abstraire.
Selon nous, et à lire Catherine Potel, on en est aisément convaincu, c’est
ce processus d’éprouver et de penser mis en œuvre chez le thérapeute qui
se transmet (se transfère) au patient et qu’il pourra intérioriser quand ses
besoins de sécurité et d’appui seront suffisamment satisfaits.
Un autre aspect essentiel de l’enjeu thérapeutique apparaît au fil de la
lecture : l’attention au « corporel » semble bien limiter selon nous, le risque
d’ignorer le « négatif », c’est-à-dire les affects difficiles à reconnaître, les
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