Du contre-transfert corporel. Une clinique psychothérapique du corps

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LE
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DE
LECTURE
• Du contre-transfert corporel.
Une clinique psychothérapique du corps
• La démesure. Soumise à la violence
d’un père
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Du contre-transfert corporel.
Une clinique psychothérapique
du corps
Catherine Potel
Toulouse, érès, coll. « l’Ailleurs du corps », 2015.
Le nouvel ouvrage de Catherine Potel aborde une problématique clinique
essentielle, celle du contre-transfert, examinée dans son aspect le moins
habituellement discuté et qui se résume dans cette phrase de l’auteur « s’appuyer sur ce que nous ressentons, ce que nous éprouvons, en [sa] présence
[de l’autre], pour entendre quelque chose de lui qui ne se parle pas ». Catherine Potel fait l’hypothèse d’un « phénomène d’écho corporel et sensoriel »
se développant chez le thérapeute et constituant l’une des clés de compréhension du travail clinique. Mais au-delà de cet aspect spécifique du contretransfert, c’est l’importance d’une prise en compte du corporel, tant chez le
patient que chez le clinicien dans une approche psychothérapique, qui est
décrite et argumentée. En fait, il s’agit d’un ouvrage à mettre entre les mains
de tout thérapeute (psychothérapies verbales ou médiatisées, thérapies
psychocorporelles ou encore thérapies à vocation cognitive notamment et
dans lesquelles l’habitation singulière du corps n’est pratiquement jamais
théorisée) afin d’être sensibilisé et attentif à la dimension très corporelle de
toute interrelation, et donc de ce que « produit » singulièrement la rencontre
avec les patients (du bébé à l’adulte). L’auteur précise encore son propos
avec l’idée très « bionienne » selon laquelle « le «matériau corporel» de
l’émotion est à la source du travail de transformation psychique et de
symbolisation que doit faire le sujet tout au long de sa vie ».
On entend ainsi au fil des nombreuses vignettes cliniques que présente le
livre que rien ne se forme hors d’une habitation corporelle singulière du
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corps du patient (et du thérapeute) quand bien même cette habitation est
évitement (Damien), déni (Madame D.) ou défaut d’intégration (Gaspard).
Catherine Potel souligne cette urgence quasi vitale repérable chez de
nombreux enfants, « à éprouver encore et encore la solidité du lien, la
contenance et les limites que les adultes peuvent assumer. Sans qu’il ne
soit en aucun cas question de psychoses ou d’autismes, il s’agit de
construire chez ces enfants (ou adolescents) la capacité d’altérité, en
passant d’abord par la construction identitaire du sentiment d’être à l’intérieur de soi, en sécurité ». Et elle montre combien reste pertinente, bien
que négligée, voire disqualifiée, la prise en compte du sujet et non la
somme de ses fonctions plus ou moins efficientes.
Il est essentiel pour les patients, affirme-t-elle, que le thérapeute réponde
à leurs besoins les plus primitifs. Cela n’est possible que si celui-ci a
« rouvert en lui ses modes de communication primitive » supposant, selon
elle, d’avoir réalisé lui-même l’expérience d’un travail corporel conséquent, indépendamment ou en complément d’un travail psychique personnel. Le thérapeute accède alors à une « écoute polysensorielle » lui
permettant d’entendre au-delà de ce qui est dit. L’observation froide et
objective est battue en brèche, tant pis pour la scientificité : le thérapeute
se trouve « inspiré » par son patient, selon la jolie formule de l’auteur. Un
exemple intéressant de cette nécessaire disponibilité corporelle du thérapeute, transférée d’abord sur le cadre et ses aménagements, puis expérimentée par le patient à partir des qualités propres du thérapeute (tonicité,
tonalités et modalités de la voix, postures, engagement corporel) est décrit
dans un passage intitulé « Entre contention et enveloppe ».
Catherine Potel rappelle aussi que dans tout processus thérapeutique, l’expérience du corps et l’expérience de l’autre s’opèrent dans une double articulation : à la fois concrète, physiquement concrète, et symbolique. Tout
se passe comme s’il y avait toujours deux scènes en train de se constituer
dans le travail avec le patient : une scène sur laquelle se jouent verbalement et corporellement les difficultés, les impossibles, les angoisses, et
une scène se maintenant quoiqu’il arrive, offrant appui, cadre, stabilité,
sécurité, vie… C’est un formidable parti pris que soutient l’auteur, le parti
de s’appuyer sur la chaleur et la vie partagées. Et on pourrait ajouter : sur
la créativité partagée.
La difficulté pour penser le contre-transfert dans une clinique psychocorporelle vient de la nécessité de penser ce qui s’éprouve sans s’en abstraire.
Selon nous, et à lire Catherine Potel, on en est aisément convaincu, c’est
ce processus d’éprouver et de penser mis en œuvre chez le thérapeute qui
se transmet (se transfère) au patient et qu’il pourra intérioriser quand ses
besoins de sécurité et d’appui seront suffisamment satisfaits.
Un autre aspect essentiel de l’enjeu thérapeutique apparaît au fil de la
lecture : l’attention au « corporel » semble bien limiter selon nous, le risque
d’ignorer le « négatif », c’est-à-dire les affects difficiles à reconnaître, les
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perceptions « folles », les vides de pensée, et pour tout dire la destructivité,
envahissant l’espace thérapeutique et qui ont la particularité de ne pas être
énonçables mais qui ne peuvent manquer longtemps d’être perçus. En
témoignent magistralement les vignettes cliniques qui, par ailleurs, viennent
sans cesse fonder les réflexions de l’auteur.
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On rencontre successivement Siwan et Zoé, dont les difficultés de régulations du tonus (témoignant de leurs difficultés de régulation émotionnelle
et pulsionnelle) appellent une recherche constante de contenance et/ou
d’enveloppement ; Marjolaine et ses ballons avec laquelle la thérapeute
embraye sur le jeu proposé et comprend seulement après coup les enjeux
de séparation se racontant dans un jeu créatif dans lequel les corps s’engagent ; Gaspard qui montre que tout est toujours à construire, avec le
patient, dans son histoire comme dans celle du thérapeute. Catherine Potel
prend le risque de décrire des situations complexes (Siwan, par exemple,
avec lequel l’auteur dit qu’elle s’est sentie devenir folle et insensible) et
parfois peu glorieuses, ce qui est plutôt rare, et de le faire avec humilité,
ce qui permet à ceux qui la lisent de s’identifier et reconnaître un certain
nombre d’impasses cliniques. De plus, cette façon de procéder donne le
sentiment qu’on est avec elle et son patient dans la pièce, donne aussi des
images et du coup stimule l’associativité personnelle. Un but précieux de
ce livre apparaît : bien plus qu’un témoignage d’une clinique, c’est une
véritable stimulation de la pensée. Car si Catherine Potel prend la précaution dans sa préface de préciser que son ouvrage est très clinique (et non
suffisamment théorique ?), on ne peut que constater qu’il s’agit d’une
clinique si bien théorisée qu’elle prend la forme d’un récit fluide, cohérent, argumenté et très agréable à lire, ce qui n’est pas rien ! Qu’on le
veuille ou non, ce qu’on raconte n’est jamais qu’une des formes de la
théorie. L’intérêt de cette écriture est justement dans sa capacité à énoncer
littérairement des phénomènes si complexes au plan théorique.
Un livre, donc, à mettre entre les mains de tout thérapeute, qui profitera
en outre d’une préface rédigée par Bernard Golse dans laquelle il différencie le contre-transfert de l’empathie. Il offre une synthèse précise des
réflexions actuelles sur l’empathie et formule le contre-transfert corporel
comme « un mode d’accès au vécu archaïque du patient qui […] nous
raconte quelque chose de son histoire précoce ».
Anne-Marie Latour,
psychomotricienne
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