En effet, Jacques Lassalle est connu dans le
monde entier pour la qualité de ses mises en
scènes. Mais il est aussi connu dans le métier pour
son caractère entier, pour son intransigeance, ses
coups de gueule et sa formidable capacité de
souffrance. Son attirance extrême pour le rôle
d’Alceste et pour le Misanthrope dans son entier,
ne doit rien au hasard. Rien n’est plus pénible pour
un perfectionniste (je devrais dire un absolutiste)
tel que lui d’assister à la représentation d’un de ses spectacles. Cette exigence
absolue, qui surprend parfois les comédiens qui n’ont pas l’habitude de
travailler avec lui (et qui enchante les autres !) prend ses racines dans toutes les
divisions de cet homme, dans ses déchirements intimes. Toujours en rupture
avec les modes, partagé entre tradition et modernité, il fait du théâtre contre
toute théâtralité, contre toute habitude, contre toute facilité. Il rejette toujours ce
qui brille ou montre trop d’assurance, pour donner à voir au public, l’essentiel.
Tout ce qui le passionne se passe au-delà des mots, dans les silences, les non-
dits, entre deux portes… Il traque la fragilité de l’âme humaine, en montre avec
pudeur tous les recoins, ou la fouille avec violence. Ce qu’il écoute, quand il
écoute un acteur, c’est ce qui se passe bien au-delà des mots. Lui-même
raconte « L’an dernier j’ai monté la même pièce à Oslo, puis à Paris. Les acteurs
norvégiens, c’était une évidence. J’avais beau ne rien comprendre à la langue,
tout était là et je comprenais tout. A Paris, les acteurs avaient beau dire leur texte
en français, je ne comprenais plus rien à cette pièce ».
Jacques Lassalle est un homme passionné aux
multiples talents, un homme divisé qui ne rêve que
de Cinéma et qui fait du théâtre, un auteur qui ne
t rouve plus le temps d’écrire, un cherc h e u r
d’absolu, un montreur de l’âme humaine. C’est cet
homme que j’ai envie de suivre patiemment, d’une
caméra d’autant plus présente qu’elle saura se
faire oublier. C’est cette réflexion en images que je
veux entreprendre, comme j’entreprends aussi la
réflexion de ma propre image. Jeux de miroirs, faux-semblants, artifices,
mensonges du Théâtre pour aller vers une plus grande vérité et échapper ainsi
à un quotidien si souvent décevant.
En suivant Jacques Lassalle toutes ces semaines durant, je fais à la fois le point
sur mon métier d’acteur et toutes les questions qu’il me pose, je propose un
éclairage particulier des trente dernières années du théâtre en France, et je
tente de donner une image aussi riche et fidèle que possible de cet homme
prolifique, de ce boulimique de théâtre, ce gourmand de la vie, ce personnage
surprenant aux humeurs légendaires, qui « met en scène avec un œil de
cinéaste, une oreille de Jazzman, une parole de romancier et une sensibilité
d’acteur. »
Jean Philippe Puymartin
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