A la une / Actualité Le professeur Ahmed Bendib, chef de service sénologie du CPMC, à “Liberté” “Un plan cancer s’apprécie dans son application” D. R. Le doyen des professeurs du CPMC, Ahmed Bendib, dévoile, dans cet entretien, ses propositions, notamment celle liée à la nécessité d’acquérir des centres mobiles de dépistage, remises au professeur Zitouni, désigné par le président de la République pour préparer un plan cancer (national), non sans rappeler que le problème de la radiothérapie est encore loin d’être réglé, comme veut le faire croire le ministre de la Santé. À l’occasion d’Octobre rose, le mois mondial de lutte contre le cancer du sein, le professeur Bendib ne manque pas d’appeler, par ailleurs, les femmes à se faire dépister précocement. Liberté : Beaucoup de choses ont été dites et/ou écrites, ces dernières années, sur l’évolution de la maladie du cancer chez nous et de la prise en charge des patients. Quel constat faites-vous, aujourd’hui ? Pr Ahmed Bendib : La question sur l’évolution de la prise en charge du cancer dans notre pays mérite d’être posée à la fois aux gens en charge de diagnostiquer et traiter cette maladie (les praticiens), mais aussi aux patients, car comme le dit l’adage populaire : “Ne sent la braise que celui qui marche dessus.” Autrement dit, si on connaît la vérité, on doit interroger tout le monde. Il est vrai que dans notre spécialité, le cancer du sein, il y a eu beaucoup de progrès. Dans mon service, par exemple, en 1977, on traitait environ 100 cas de cancer du sein, aujourd’hui, nous en traitons en moyenne 1 000. Parallèlement au nombre de patients qui a été, ainsi, multiplié par 10, la qualité de la prise en charge s’est, néanmoins, améliorée. Actuellement, non seulement nous opérons toutes les malades, et quand nous sommes amenés à faire une ablation du sein, nous avons la possibilité de leur faire une reconstruction mammaire à l’aide d’une prothèse disponible à l’hôpital. Avant, les malades étaient obligées de l’acheter. En outre, nous avons introduit plusieurs nouvelles techniques de traitement dont la dernière technique opératoire d’anesthésie “locorégionale” qui nous permet d’opérer une malade sans l’endormir et dans d’excellentes conditions. Cela a été rendu possible grâce à la formation par un spécialiste venu de France, des médecins réanimateurs de notre service. Bien sûr, il nous reste encore des choses à introduire dans le service. À l’occasion d’Octobre rose, le mois mondial de lutte contre le cancer du sein, par quoi expliqueriez-vous la recrudescence de cette maladie dans notre pays ? Dans le monde entier, le cancer du sein est le premier cancer de la femme (au Maghreb, en Europe, en Amérique, en Orient). Donc, c’est la préoccupation de tout le monde, à l’exception de l’Inde où les cas du cancer du sein sont très rares ; nous pensons que c’est lié à la consommation du soja. Mais, ce qui est alarmant aujourd’hui, c’est effectivement l’augmentation constante du nombre de malades. Pourquoi ? Parlant du cas de l’Algérie, cela s’explique essentiellement par le développement du mode de vie de la femme algérienne, qui s’est occidentalisée. Avant, les femmes se mariaient très jeunes contrairement à maintenant où les mariages tardifs sont très fréquents. Avez-vous des chiffres sur l’incidence de la maladie ? Les chiffres au niveau national sont généralement erronés. Nous n’avons pas des données exactes. Beaucoup de cas sont souvent inscrits doublement, c’est-à-dire des femmes sont inscrites au début de leurs soins. Par exemple, à Sétif, les mêmes patientes seront ensuite inscrites au CPMC pour poursuivre leur traitement. Donc, il est difficile pour nous de donner des chiffres exacts. D’où l’importance d’établir un registre national que le ministre de la Santé a évoqué. Ce serait une excellente chose. Selon le ministre de la Santé, le problème de la radiothérapie est en voie d’être définitivement réglé et les rendez-vous donnés aux patients ne seront plus éloignés, comme il n’y a pas si longtemps. Confirmez-vous cela ? J’espère et souhaite bien voir cela, mais actuellement, ce n’est pas le cas. Nous le vérifions, au quotidien, avec les nombreux malades qui nous sollicitent régulièrement pour que nous les “casions” dans des centres de radiothérapie, mais en vain. Les rendez-vous sont toujours éloignés. Ce n’est pas moi qui le dis, mais ce sont bien les malades que nous recevons. Lorsque cela s’améliorera, je serai le premier à le dire et à féliciter les gens qui auront fait des efforts pour l’amélioration de la situation. Depuis quelques années, nous avons beaucoup parlé d’un plan cancer, mais qui tarde toujours à voir le jour. Selon le ministre de la Santé, le seul plan cancer valable est celui que lui a remis le professeur Zitouni, désigné par le président de la République, qu’il promet de présenter prochainement. Ce plan s’étale de 2015 à 2019. Avez-vous été consulté par le professeur Zitouni ? Oui, il m’a consulté et je lui ai remis mes propositions. Avoir un plan cancer, c’est vraiment quelque chose qui est tout à l’honneur de l’Algérie, mais on apprécie un plan cancer dans son application. Pour le moment, ce plan n’est que projet dans lequel, il faut le dire, il y a un certain nombre de choses très satisfaisantes. Si nous arrivons à les réaliser, ne serait-ce qu’à 80%, car il ne faut pas trop rêver, l’avantage d’un plan cancer est qu’il va nous permettre d’apprécier la situation réelle de la cancérologie dans notre pays. À titre d’exemple, si nous décidons de faire un dépistage du cancer du sein dans une wilaya précise, nous allons savoir combien de personnes vont se présenter, combien d’entre elles nécessitent d’être prises en charge et tous les autres problèmes qui se poseraient. Plus clairement, nous saurons ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous saurons, par exemple, s’il manque tel ou tel matériel, ou des radiologues, des radiothérapeutes, des oncologues, etc. Donc, il ne suffit pas de parler d’un plan cancer et de dire que tout va bien. Non ! Il ne faut jamais tomber dans le piège d’établir un bilan d’autosatisfaction. Parmi nos expériences réussies, je cite les opérations de dépistage menées successivement à Biskra puis avec Algérie Télécom (dans la région du Centre). Elles nous ont permis d’avoir des données précises. L’opération de dépistage lancée avec Algérie Télécom, dans les wilayas du Centre, a connu la participation de 70% des femmes concernées, ce qui est très satisfaisant comparativement à d’autres pays, y compris la France où le taux de participation aux opérations de dépistage est nettement inférieur. Aussi, la chose la plus importante, c’est que les femmes diagnostiquées malades après ces opérations ont toutes été traitées à temps (intervention chirurgicale, chimiothérapie et radiothérapie). Maintenant, il nous reste à mener des opérations similaires à l’est et à l’ouest du pays. L’expérience menée avec cette entreprise nationale (Algérie Télécom), que je salue au passage, est très intéressante dans la mesure où elle nous a permis de rassurer les femmes saines et de traiter à temps celles atteintes. À Biskra, nous avons même créé une unité qui fait tout, du diagnostic à la chimio en passant par les interventions chirurgicales. Aujourd’hui, la seule chose qui manque à Biskra, comme partout ailleurs, malheureusement, c’est la radiothérapie. Inch’Allah, nous obtiendrons quelque chose concernant la radiothérapie ; nous avons des propositions et nous les ferons entendre. Nous souhaitons que le ministère de la Santé nous aide à parfaire le traitement du cancer dans cette région (Biskra), où nous avons diagnostiqué une trentaine de types de cancer sur un peu plus de 30 000 examinées. À Biskra, le taux de participation au dépistage a atteint 80%, ce qui explique le nombre élevé des cancers détectés. Quelles sont vos propositions dans le plan cancer ? Ma proposition phare concerne l’acquisition de centres mobiles de dépistage. Avec l’acquisition de ces centres, nous n’allons plus nous limiter à diagnostiquer les cancers, mais nous allons aussi les traiter ; nous allons intervenir sur place, faire de la chimiothérapie, de la radiothérapie, etc. Si nous obtenons les moyens nécessaires, nous pourrons vraiment faire face à cette maladie. Nous souhaitons lancer le dépistage mobile dans le Grand-Sud. Le centre-pilote sera installé à Biskra. Avez-vous l’espoir de voir vos propositions retenues dans le plan cancer ? Je suis de nature optimiste. Maintenant, nous verrons (…). Avez-vous un message ou un conseil à donner aux femmes ? Participez au dépistage ; le dépistage ce n’est pas un vote (rire). Il faut que vous vous présentiez au centre de dépistage et nous dire ou écrire ce que vous voulez à propos de votre santé. Que les femmes sachent que lorsque le taux de participation au dépistage est important, on est sûr de gagner la partie et le contraire est juste. Présentez-vous au dépistage et vous verrez que l’écrasante majorité des femmes qui se présenteront vont être tranquillisées. Dans 99%, nous ne leur trouverons rien. Et il y aura une partie de femmes chez qui nous allons diagnostiquer le cancer du sein, mais tôt, précocement. Donc, nous aurons toutes les chances de gagner la partie. Je cite l’exemple d’un cancer né dans le canal qui est dans le sein qui permet de sortir le lait. Le but du dépistage, c’est de le saisir pendant qu’il est dans le canal. À ce moment-là, le cancer est (encore) au stade zéro et il est guérissable à 100%. Donc, lorsqu’une femme se fait dépister tôt, elle est assurée du succès du traitement, qui sera léger et avec très peu de séquelles. A. F.