Thesis Le statut juridique du régime de Vichy: de Vichy à Sigmaringen: d'un statut l'autre SAULNIER BLOCH, Marie Abstract La fiction gaulliste qui déclare la nullité de principe des actes de « l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’Etat français » » est-elle soutenable juridiquement? Ce travail en analyse les implications et les contradictions, participant à sa mesure à un travail de mémoire. Il soutient que le prisme de Sigmaringen révèle ce qu'est en droit le gouvernement du régime de Vichy : non pas un gouvernement de façade qui opère une rupture avec l’ordre juridique précédent et qui chute brutalement, mais le système politique du gouvernement légalement institué de l’Etat français jusqu’au 7 septembre 1944, héritier d’une évolution lente et discontinue, qui s’évanouit de ses propres contradictions et du fait du succès de son concurrent dans la guerre civile non déclarée : la France Libre. S’intéresser à Sigmaringen permet ainsi de dissocier Sigmaringen et Vichy et de reconnaître la responsabilité de l’Etat concernant les actes de Vichy. Reference SAULNIER BLOCH, Marie. Le statut juridique du régime de Vichy: de Vichy à Sigmaringen: d'un statut l'autre. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2016, no. D. 925 DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:94021 URN : urn:nbn:ch:unige-940215 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:94021 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. L E S T A T U T J U R ID IQ U E D U R E G IM E D E V IC H Y : D E V IC H Y A S IG M A R IN G E N D’UN STATUT L’AUTRE MARIE SAULNIER BLOCH Thèse de Doctorat sous la direction du Professeur Victor Monnier (Références à jour au 1er décembre 2016) Faculté de droit de l’Université de Genève Imprimatur No 925 2 Remerciements Cette thèse est le résultat de plusieurs années de recherches et de maturation, en parallèle d’un long parcours professionnel et personnel. Maintes fois, j’ai défait et repris mon ouvrage. Arrivée au terme de sa rédaction, je tiens à adresser mes plus vifs remerciements à plusieurs personnes sans lesquelles ce travail n’aurait jamais vu le jour. Je tiens, en premier lieu, à remercier chaleureusement mon Directeur de thèse, Monsieur le Professeur Victor Monnier, qui a su m’offrir sa confiance, son soutien et sa disponibilité. J’adresse, de même, mes remerciements à Messieurs les Professeurs Eric Gasparini, Christian Bruschi et Nicolas Levrat qui me font l’honneur de faire partie de mon jury de thèse, ainsi qu’à Madame la Professeure et Doyenne de la Faculté Christine Chappuis qui l’a présidé. Toute ma gratitude de même à Roger-François et Fatima Dudenhoeffer qui m’ont donné un accès privilégié aux documents de Roger Dudenhoeffer, alias Lieutenant-Colonel Pontcarral, témoignant de l’importance de son engagement. Les relectures attentives et chaleureuses de Francine Saulnier, de Maia Müller et de Céline Lorenzi m’ont aidée à faire de ce texte un ensemble cohérent et je les en remercie du fond du cœur. J’adresse ici, une fois encore, toute mon affection à mes parents, Marlis Jacobs, ma famille et mes amis pour leur soutien. Pensées à Louis et Paulette Laurent qui ont suivi les avancées de ce travail avec gentillesse et amour, ainsi qu’à Marcelle Saulnier. Pensées de même aux familles de Fradla Rosalia Rosenfeld et de Ernst Bloch, assassinées pendant la guerre. Merci à Micha, qui suit avec moi le courant naturel des choses. Cet homme exceptionnel permet à ce document d’exister. A Lucrèce… 3 Par souci de lisibilité, les erreurs grossières de ponctuation et d’accord des citations (présentes notamment en grande quantité dans les articles de journaux à Sigmaringen) ont été corrigées ; toutefois, les choix typographiques ont été conservés. 4 « L’oubli, et je dirais même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques 1 est souvent pour la nationalité un danger. » « Il ne faut pas voir les choses telles qu’elles sont. Les mots historiques n’ont jamais été prononcés. C’est tant pis pour ceux à qui on les attribue. Ils auraient dû être dits. La vérité historique, c’est la légende. C’est l’histoire telle qu’elle aurait dû se dérouler. La seule à laquelle on doit croire et qui élève un peu l’âme. Foin des érudits et des critiques. 2 Ils minimisent en rétablissant le réel. » « Il est toujours difficile d’affronter la réalité de l’Histoire et c’est ce dont il s’agit aujourd’hui. […] Il s’agit aujourd’hui de mettre un terme à ces difficultés, de tourner la page de l’Etat français sans nier son existence. Il faut savoir affronter 3 l’Histoire avec ses contradictions. » 1 Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ? et autres essais politiques. Paris : Presses Pocket, 1992, p. 41. 2 Maurice Garçon, Journal 1939-1945. France : Les belles lettres, 2015, p. 621. 3 Interventions de Jean-Pierre Dufau (Socialiste) : in Compte-rendu n°81 de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 27 mai 2015 "Etats-Unis : indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (n°2705)", p. 6. 5 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION.........................................................................................................................................9 CHAPITREI-Lesconditionsjuridiquesdel’existencedurégimedeVichyau19août 1944...........................................................................................................................................................14 Section1–LestatutdurégimedeVichyendroitinternational:lestatutd’un gouvernementd’unEtatoccupé.......................................................................................................14 A–Lestatutjuridiquedel’Etatfrançaisentantqu’Etatoccupéendroitinternational.........15 a) Lareconnaissancedel’Etatfrançaisentantqu’Etatendroitinternational 17 b) Lestatutdel’Etatfrançaisentantqu’Etatsousoccupatiobellica 19 c) Lestatutdel’Etatfrançaisentantqu’Etatsousoccupatiomixta 23 B–LestatutjuridiquedurégimedeVichyentantquegouvernementdel’Etatoccupéen droitinternational......................................................................................................................................................25 a) LegouvernementdeVichycommegouvernementdel’Etatsouveraindurantebello26 1. Ungouvernementpréalablementétabliinvestiparl’occupantdelagestiondesaffaires courantes...............................................................................................................................................................................26 2. LesréactionsdiplomatiquesfaceaugouvernementdurégimedeVichy.......................................33 b) LegouvernementdeVichycommegouvernementdel’Etatsouverainenguerrecivile 41 1. LaguerrecivileendroitinternationalentrelegouvernementdeVichyetleGouvernement provisoiredelaRépubliquefrançaise......................................................................................................................41 2. LareconnaissancedebelligérancedesforcesduGouvernementprovisoireetses conséquences......................................................................................................................................................................46 2–a Liminairessurlareconnaissancedebelligérance..................................................................................47 2–b Lareconnaissanceanglo-saxonnedebelligérance................................................................................50 2–c Ledépassementdelareconnaissancedebelligérance:lareconnaissanceprématuréede gouvernementdefacto....................................................................................................................................................57 2–d Lanon-reconnaissancedelaRésistanceintérieure...............................................................................61 CONCLUSIONDELASECTION1.....................................................................................................................................65 Section2–LestatutdurégimedeVichyendroitinterne:ungouvernementenpertede statut..........................................................................................................................................................67 A–LestatutjuridiquedurégimedeVichyendroitconstitutionnel:ungouvernement investi...............................................................................................................................................................................68 a) L’assiseconstitutionnelledurégimedeVichyetdesondroit 69 b) LasouverainetédurégimedeVichy:un«coup»d’untyrannusabexercitio? 78 B–LestatutjuridiquedurégimedeVichyendroitinterne:ungouvernementcontesté.....86 a) DuconstatdelasouverainetélimitéedurégimedeVichyàlaremiseenquestiondesa légitimité 86 b) LadéclarationdenullitéjuridiquedesactesdeVichyetl’instaurationd’unordre juridiqueconcurrent 91 1. LathèsedurégimedeVichysansstatutlégal.............................................................................................92 2. Unnouvelordrejuridiqueconcurrentprovisoire.....................................................................................94 c) LapertedesouverainetédurégimedeVichy:uncoupd’Etatdedroit? 100 CONCLUSIONDELASECTION2...................................................................................................................................106 CONCLUSIONDUCHAPITREI...........................................................................................................108 6 CHAPITREII-Lesconditionsjuridiquesdel’existencedurégimedeVichyàpartirdu 20août1944.........................................................................................................................................110 Section1–LestatutdurégimehorsdeVichy:lestatutd’ungouvernementempêché ...................................................................................................................................................................112 A–L’empêchementdel’exécutifsanstransfertdusiègedugouvernement..............................113 a) Lesconditionsdesempêchementsdeschefsd’Etatetdegouvernement 113 1. 2. 3. 4. Leprécédentdefin1943...................................................................................................................................113 Lebaldesstratégiesduprintemps–été1944........................................................................................119 LesaccélérationssuiteaudébarquementenProvence.......................................................................130 L’empêchementdel’exécutif...........................................................................................................................137 1. 2. 3. 4. Lasystématisationdelaprised’otagedepersonnalités.....................................................................141 Lesenjeuxjuridiquesdelacrisedeconceptiondelasouveraineté...............................................144 Lesconséquencessurleprincipeetlapratiquedelacontinuitédel’Etat..................................148 Latransitiondel’exercicedupouvoiràVichy.........................................................................................150 b) Lesenjeuxjuridiquesdel’empêchementdel’exécutif 141 B–Lessursautsdereprésentativitédeschefsdelacollaboration..................................................158 a) L’étapedeBelfort:uneoccasionderedistributiondesrôles 158 b) LesrencontresdeRastenburg:unprojetgouvernemental 161 c) LaDélégationfrançaisepourladéfensedesintérêtsnationaux 165 C–Unexécutifremplacé:uncoupd’Etatrégularisé..............................................................................168 a) L’autoritédefaitdugouvernementprovisoiregaulliste 169 b) Lesréactionsdiplomatiquesetlareconnaissancedejureendroitinternational 175 c) Lesopérationsmilitairesducommandementsuprêmedeseptembreànovembre 1944 180 CONCLUSIONDELASECTION1...................................................................................................................................181 Section2–LestatutdurégimeàSigmaringen:lestatutindividueld’anciensmembres d’ungouvernement.............................................................................................................................184 A–L’aporiejuridiquedugouvernementcaptifenexil..........................................................................185 a) LechoixdeSigmaringen 186 b) Ladisqualificationdegouvernementenexil 191 1. Laqualificationjuridiquedeleurprésence...............................................................................................192 2. LaCommissiongouvernementalev.leComitédelibérationfrançaise........................................197 2–a LaCommissiongouvernementale..............................................................................................................197 2–b LeComitédelibérationfrançaise...............................................................................................................203 3. Desentitéspolitiquesenexil...........................................................................................................................207 B–Lesobjetsdelaprésencedesanciennespersonnalitéspolitiquesfrançaisesen Allemagne.....................................................................................................................................................................212 a) LeprétextedelaprotectiondesintérêtsfrançaisenAllemagne 212 b) Lapropagandeetlamobilisation 219 C–LesstatutsindividuelsdesanciensmembresdurégimedeVichyaprèsSigmaringen..226 a) Lachroniqued’unevictoiremilitaireetsesconséquencessurleterrain 226 1. LaprisedeSigmaringenparla1èrearmée.................................................................................................226 2. Lagestionhumanitaireadhocdelazoned’occupationetlerôledelaSuisse..........................231 b) Lesresponsabilitésindividuellesdesvichystesetdescollaborationnistes 237 1. LecasPhilippePétain.........................................................................................................................................238 1–a D’unotage…..........................................................................................................................................................238 1–b …àunjusticiablefrançaisprenantsesresponsabilités....................................................................241 2. Lecasdescollaborationnistes.........................................................................................................................246 c) LaHauteCourdeJustice 252 CONCLUSIONDELASECTION2...................................................................................................................................260 CONCLUSIONDUCHAPITREII.........................................................................................................262 CONCLUSIONGENERALE...................................................................................................................264 7 NOTICES BIOGRAPHIQUES....................................................................................................................288 SIGLES......................................................................................................................................................300 FRANCE LIBRE : DIFFERENTES APPELLATIONS ET STRUCTURES.................................................301 CHRONOLOGIE 1944 – 1945................................................................................................................302 CARTES....................................................................................................................................................305 ILLUSTRATIONS.......................................................................................................................................307 ANNEXES..................................................................................................................................................313 BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................................................................319 1. Sourceshistoriques....................................................................................................................319 1.1 Sourcesprimaireshistoriques...............................................................................................................319 1.1.1 Suisse 319 1.1.2 France 320 1.1.3 Allemagne 321 1.1.4 Alliés 321 1.1.5 Belgique 322 1.1.6 International 322 1.2 Mémoires..........................................................................................................................................................323 1.3 Sourcessecondaireshistoriques...........................................................................................................326 1.3.1 Vichyetlacollaboration 326 1.3.2 Allemagneetoccupation 330 1.3.3 FranceLibre 331 1.3.4 Libération 333 1.3.5 Alliés 334 1.3.6 SigmaringenetMainau 335 1.3.7 Suisse 336 1.3.8 Autres 337 2. Sourcesjuridiques......................................................................................................................338 2.1 Sourcesjuridiquessecondairesdel’époqueconcernée............................................................338 2.1.1 Droitinternationaldel’époqueconcernée 338 2.1.2 Droitfrançaisdel’époqueconcernée 342 2.1.3 Autre 343 2.2. Sourcesjuridiquessecondairescontemporaines........................................................................344 2.2.1 Droitinternationalcontemporain 344 2.2.2 Droitfrançaiscontemporain 345 2.2.3 Autres 348 3. Autressourcessecondaires.....................................................................................................349 8 INTRODUCTION Le 20 août 1944, devant la progression rapide des Alliés sur le territoire métropolitain français, les membres du régime de Vichy installés dans la ville d’eau depuis le 1er juillet 1940 quittent leur capitale provisoire4 escortés par les armées allemandes5. Après une halte à Belfort, ils sont installés début septembre 1944 à Sigmaringen, dans le BadenWürttemberg allemand. Ils ne quittent la région qu’en avril 1945 par leurs propres moyens, fuyant l’avancée de la 1ère armée française de Jean de Lattre de Tassigny. Parallèlement, face à la débâcle des armées de l’Axe et à l’avancée des troupes alliées sur le territoire métropolitain, Charles de Gaulle6 parvient à instaurer un Gouvernement provisoire de la République française reconnu à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières étatiques dès la fin du mois d’octobre 1944. Est alors consacrée une « certaine idée de la France » gaulliste7. Le Gouvernement provisoire de la République française, concurrent depuis juin 1940 du gouvernement du régime de Vichy, restera en fonction jusqu’à l’avènement d’un nouveau gouvernement, à la suite de l’adoption de la nouvelle Constitution de la IVème République en octobre 1946. Dans cette perspective, le gouvernement du régime de Vichy ne serait alors qu’un gouvernement de façade maintenu par la volonté des forces étrangères d’occupation et qui, dès que celles-ci décident d’emmener ses représentants avec elles hors des frontières françaises, perdrait son statut formel. Certes, la légalité et la légitimité du régime de Vichy et celles du Gouvernement provisoire de la République française sont des questions déjà abordées 4 Pierre Laval et certains autres acteurs du régime de Vichy, quant à eux, sont évacués de Paris dans des conditions similaires : cf. infra, section 1 du chapitre 2. 5 « Le régime, hissé au pouvoir par la foudroyante entrée en France des Allemands à l’été 1940, prit fin opportunément, quand au milieu d’un départ presque aussi précipité ceux-ci prirent Vichy sous le bras pour l’emporter vers Sigmaringen » : in Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., p. 44. 6 Général de brigade à titre temporaire, il est nommé sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale le 5 juin 1940 par Paul Reynaud, alors Président du Conseil. Charles de Gaulle est porteur d’un patronyme symboliquement chargé : « De Gaulle ! N’ayant rien lu de cet écrivain militaire, ce nom m’était phonétiquement connu que par Amadis de Gaule, ce ème siècle par Montalvo, et dont Cervantès, cinquante ans chevalier errant imaginé au XVI plus tard, s’inspirera pour camper son immortel Don Quichotte de la Manche… » : in Pierre Ordioni, Tout commence à Alger 40-44. Paris : Stock, 1972, p. 59. 7 « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel. Paris : Gallimard, 2000, p. 5. A rapprocher de la phrase de Maurice Barrès : « Donner de la France une certaine idée, c’est aussi nous permettre de jouer un certain rôle. » : in Maurice Barrès, Mes Cahiers : janvier 1896 – décembre 1923. t. 12 : 1919-1920. Paris : Plon, 1949, p. 4. 9 par des juristes et historiens depuis les années 19408. Cependant, les analyses juridiques du statut du régime de Vichy au travers de la perspective de son refuge à Sigmaringen font encore défaut. Nous serions tentée de penser qu’en raison de cet exil, cette question paraît être caduque et sans objet. En effet, dans les quelques écrits historiques s’intéressant à Sigmaringen9, nul ne porte de sérieuse considération aux anciens représentants du régime de Vichy. Tout porte à croire que seuls des collaborationnistes10 convaincus ou quelques fantaisistes puissent soutenir qu’ils aient jamais représenté l’Etat français et qu’ils conservent une certaine représentativité. Ainsi, l’auteur d’une thèse de doctorat en droit sur le statut international des gouvernements en exil et le cas de la France Libre, soutenue en mai 1950, écrit dans un article critiquant une étude d’un chercheur allemand11 que l’« on peut s’étonner d’une mention, même très brève, du gouvernement de Vichy réfugié à Sigmaringen ; personne n’a jamais considéré sérieusement que les quelques hommes déportés avec le maréchal Pétain constituaient encore un gouvernement »12. Suivant cet argument, nous devrions déduire que l’épisode de Sigmaringen est à considérer comme l’expression de la prééminence des contingences politiques (en termes de rapport de force militaire) sur le droit et que, dès lors, il n’y a aucun intérêt à l’étudier sous l’angle juridique. Une telle conclusion semble pourtant insatisfaisante. Au contraire, nous formulons ici l’hypothèse selon laquelle le prisme de Sigmaringen agit comme un révélateur des institutions et nous fait percevoir que la période de Vichy, jusqu’en août 1944, ne correspond pas à l’image d’une parenthèse de l’histoire de la France et de la 8 Voir infra section 2 du chapitre 1, mais aussi : René Cassin, "Vichy or Free France ? ", Foreign Affairs, 1941, n°20, pp. 102ss. ; Joseph Vialatoux, Le problème de la légitimité du pouvoir, Vichy ou de Gaulle ? Paris : éd. du Livre Français, 1945. 9 En particulier : Henry Rousso, Un château en Allemagne. La France de Pétain en exil, Sigmaringen 1944-1945. Paris : Ramsay, 1980 et, du même auteur, Pétain et la fin de la collaboration, Sigmaringen 1944-1945. Belgique : Complexe, 1984. Voir également : JeanPaul Cointet, Sigmaringen : une France en Allemagne (septembre 1944 - avril 1945). Paris : Perrin, 2003. 10 Nous entendons par « collaborationniste » les militants d’une collaboration avec l’Allemagne par adhésion idéologique politico-sociale à un régime autoritaire anti-parlementariste et à la création d’une « Europe nouvelle » anti-bolchévique. Voir en ce sens notamment : JeanPierre Azéma et François Bédarida [Dir.], 1938-1948 : les années de tourmente : de Munich à Prague : dictionnaire critique. [Paris] : Flammarion, 1995, pp. 615ss. Concernant le terme et le concept d’« Europe nouvelle », voir : Bernard Bruneteau, "L'Europe nouvelle" de Hitler : une illusion des intellectuels de la France de Vichy. Monaco : éd. du Rocher, 2003. 11 Karl-Heinz Mattern, Die Exilregierung. Tübingen : Mohr, 1953, pp. 1-77. 12 Maurice Flory, "Critique de Mattern Karl H., Die Exilregierung", Revue internationale de droit comparé, vol. 6, n°4, 1954, pp. 872-973. 10 République13. Effectivement, si l’épisode de Sigmaringen représente un non-lieu (un hors sujet) pour les gaullistes et les grandes puissances alliées, il ne dévoile pas moins ce que le régime de Vichy représente pour eux avant même le départ pour l’Allemagne, soit une aberration qui n’a jamais été représentative pour les premiers et qui ne l’est plus depuis novembre 1942 pour les seconds. Cette question se pose également pour les anciens tenants du régime de Vichy ainsi que pour l’Axe, qui considèrent de même cet épisode comme anecdotique ; cependant, pour ceux-ci, il s’agit plutôt d’une parenthèse de l’histoire du régime de Vichy14, dans l’attente de la victoire de l’Allemagne qu’ils appellent de leurs vœux et qui, pourtant, n’aura jamais lieu. A notre sens, s’interroger sur les conséquences du départ et des activités des Français à Sigmaringen présente donc l’avantage d’apporter un nouvel éclairage sur la qualification juridique du gouvernement du régime de Vichy et de ses implications. Pour ce faire, nous chercherons à identifier plusieurs intérêts : celui qu’avait la diplomatie allemande à emporter avec elle des gouvernants officiellement récalcitrants, celui de ces gouvernants à coopérer et s’organiser à Sigmaringen, sans oublier celui des forces alliées à les laisser s’y installer. L’un des objectifs du gouvernement allemand peut-il être de se donner les moyens de négocier une paix séparée ? Les Français de Sigmaringen pensent-ils à une alternative à leur chute évitant des condamnations à mort pour haute trahison ? Quel intérêt Alliés et résistants ont-ils à ce que Philippe Pétain, les membres de l’ancien gouvernement et les collaborationnistes partent à Sigmaringen et quelles en sont les implications juridiques ? Le souci de chacun à respecter le plus scrupuleusement possible les formes juridiques est également un aspect révélateur tant de leurs logiques argumentatives que de leurs besoins de justifier leurs actions par des éléments rationnels et opposables. Contrairement aux recherches qui se fondent principalement sur le droit constitutionnel français, notre étude sur le statut juridique du régime de Vichy d’août 1944 à avril 1945 va 13 « La République n’a jamais cessé d’être. La France Libre, la France Combattante, le Comité français de la libération nationale [sic], l’ont, tour à tour, incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même suis-je le Président du gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? » : Déclaration de Charles de Gaulle au balcon de l’Hôtel de ville à Paris le 26 août 1944, in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité. Paris : Gallimard, 2000, p. 570. 14 « Je suis obligé de partir pour une destination inconnue. Vous devez rester et continuer à faire fonctionner vos Services. Faites comme moi, ayez confiance. Je reviendrai je ne sais pas quand, mais peut-être bientôt. Je veux que tout continue ici comme avant » : Philippe Pétain à ses collaborateurs, le 20 août 1944, in Rapport du Général Blasselle du 19 août 1944, Archives privées de Roger Dudenhoeffer alias Lieutenant-Colonel Pontcarral, Chef F.F.I. de Vichy, mises gracieusement à notre disposition pour consultation, 3 A e. 11 s’ancrer tant en droit public international et qu’en droit public français, ce qui permettra de donner un éclairage nouveau. Pour ce faire, nous articulerons notre travail autour de deux temps juridiques simultanés et complémentaires : celui du temporaire et celui de la continuité. En outre, nous examinerons la question du statut du régime de Vichy sous l’angle des notions classiques du droit telles que celles de la reconnaissance, de la souveraineté, de l’état d'exception, du principe de nécessité, de la légitimité et de la légalité. Ce faisant, s’affrontent des conceptions diamétralement opposées au sujet des conséquences de la défaite de la France en juin 1940 et des alliances à nouer en lien avec les rapports de force mouvants entre anciens et nouveaux Empires hégémoniques. Nous sommes consciente des enjeux de notre démarche. Ouvrir à nouveau les dossiers relatifs au régime de Vichy pourrait être perçu comme étant motivé par un révisionnisme latent ou assumé. Or, notre intention est différente. A nos yeux, le système politique et social du régime de Vichy est sans conteste moralement et politiquement hautement condamnable. Cependant, nous nous sommes efforcée de poser un regard critique et lucide sur cette période afin d’éclairer les rouages en droit qui ont pu avoir pour effet d’esquiver la responsabilité de l’Etat et des individus pendant si longtemps. A ce titre, nous soutenons que les arguments juridiques qui disqualifient le régime de Vichy comme étant illégal nous paraissent fragiles. Partant, nous avons voulu analyser le régime de Vichy pour le comprendre, globalement mais aussi dans ses nuances, dans le contexte de son implantation dans la IIIème République. Nous mettons ainsi à jour le fait que, contrairement à une interprétation qui considère que le régime de Vichy s’impose brutalement et illégalement dans le paysage politique français jusqu’alors républicain et non autoritaire, ce dernier est héritier d’une évolution au rythme discontinu, parfois lent et parfois rapide. Ainsi, notre analyse en histoire du droit permet d’identifier les dysfonctionnements structurels institutionnels qui permettent au régime de Vichy d’instaurer un gouvernement aux accents favorables au nazisme et au fascisme. Par là, notre travail entend dissocier la puissance publique et le régime politique. Il tend ainsi à démontrer que les défaillances de la puissance publique qui participent à ce que le régime de Vichy s’implante légalement (de par un manque d’anticipation des dérives totalitaires et une constitution trop souple notamment) ne peuvent rendre l’Etat irresponsable et que ce dernier doit assumer les dommages causés par ce régime politique en son nom. Dès lors, en ce qui concerne la période 1940-1945, nous plaidons en faveur du fait que l’Etat assume enfin clairement l’existence de la guerre civile entre l’autorité de la France Libre et le gouvernement du régime de Vichy, que la raison d’Etat tente jusqu’à ce jour d’étouffer. 12 Concrètement, nous avons décidé de procéder par étapes pour qualifier le statut juridique du régime de Vichy à Sigmaringen. Nous déterminerons d’abord le statut juridique de l’Etat français et du gouvernement du régime de Vichy avant le départ pour l’Allemagne de ses anciens hommes forts. Ce faisant, nous identifierons deux moments-clés : celui d’avant le départ pour Belfort, le 20 août 1944, et celui d’avant le départ pour Sigmaringen, le 7 septembre 1944. En puisant dans les sources juridiques du droit international public ainsi que du droit interne français en vigueur à cette période, nous chercherons à démontrer que le statut juridique du gouvernement du régime de Vichy est indépendant des contingences militaires. Nous chercherons à démontrer les raisons pour lesquelles le régime de Vichy est le système politique du gouvernement légal de l’Etat français avant le 20 août 1944 malgré le caractère anti-démocratique, inique et autoritaire de ses principes et de ses pratiques, notamment administratives, judiciaires et policières. Ensuite, notre objectif sera de mettre l’accent sur le fait que son statut légal est brutalement remis en question le 20 août 1944 quand surgit un point de rupture dans l’évolution lente de l’assise du gouvernement du régime de Vichy : perturbé par la force exercée par la puissance occupante allemande sur les personnes du chef de l’Etat et du chef de gouvernement, sa perte d’exercice de souveraineté est manifeste. D’un statut clair, en dépit du fait qu’il est contesté dès son établissement, à un statut troublé, ce n’est pas du fait de par ses propres failles que le gouvernement du régime de Vichy choit, mais parce que son concurrent dans la guerre civile non avouée prend l’avantage et le renverse grâce au soutien des gouvernements alliés. Le statut du gouvernement du régime de Vichy à Sigmaringen en est la conséquence : il est alors inexistant, relique d’un temps passé. Les échecs de ses tentatives de représentativité témoignent du fait de la non-survivance de son investiture en droit, contrairement aux gouvernements en exil. Il est dorénavant tombé en désuétude, ses tenants n’exerçant plus de pouvoir et répondant dorénavant personnellement et individuellement de leurs actes. 13 CHAPITRE I - LES CONDITIONS JURIDIQUES DE L’EXISTENCE DU REGIME DE VICHY AU 19 AOUT 1944 En date du 19 août 1944, soit à la veille du départ des acteurs du régime de Vichy pour l’est de la France, les armées alliées de la Libération gagnent du terrain sur le territoire métropolitain et les Commissaires de la République commencent à asseoir leur autorité dans les zones contrôlées. Dans ce contexte, nous proposons d’identifier le statut du régime à travers deux prismes : celui du droit international dans un premier temps, pour qualifier le statut du régime de Vichy en droit international de l’époque comme celui d’un gouvernement d’un Etat occupé (1), puis de celui du droit français interne dans un second temps, afin de savoir s’il est encore justifié de le considérer comme représentant légal de l’Etat français (2). SECTION 1 – LE STATUT DU REGIME DE VICHY EN DROIT INTERNATIONAL : LE STATUT D’UN GOUVERNEMENT D’UN ETAT OCCUPE En renonçant à exiger que le droit soit respecté, l’Etat faible s’incline 15 devant la force et suit son adversaire dans l’illégalité où celui-ci s’est placé. Tout d’abord, du point de vue du droit international, il convient d’analyser le statut de l’Etat français en tant que personnalité internationale (A) avant de nous pencher sur le statut représentatif du gouvernement du régime (B). Ainsi, l’examen du statut du régime en droit international nécessitera une double approche : une première qualification du régime en tant que pouvoir ainsi qu’une seconde en tant que gouvernement face à une entité concurrente, ledit Gouvernement provisoire de la République française, qui verra consacré son avènement. Nous ne chercherons pas ici à démontrer que la puissance allemande et le régime de Vichy n’ont pas respecté leurs obligations internationales. Que les régimes de terreur allemand et français n’aient pas, chacun à sa mesure, respecté leurs engagements internationaux, notamment ceux de la Convention de la Haye IV dont 15 Jean-Pierre Ritter, "Remarques sur les modifications violentes de l’ordre international", Annuaire français de droit international, vol. 7, 1961, p. 87. 14 nous ferons état dans la présente section, ne prête pas à discussion16. Notre objectif dans la présente section est de qualifier le statut du régime de Vichy et son lien avec l’Etat français sous l’angle du droit international quels qu’aient pu être ses abus de droit, notamment en matière d’initiative et de relative autonomie de gestion des affaires civiles. A – Le statut juridique de l’Etat français en tant qu’Etat occupé en droit international Le 11 novembre 1942, la Wehrmacht (qui, depuis l’armistice17, contrôle toute la partie nord du territoire métropolitain français) franchit la ligne de démarcation et occupe l’ensemble de la métropole. La ligne de démarcation est maintenue mais ses règles sont assouplies18. Le commandement militaire allemand se structure alors autour de deux pôles principaux : un pôle militaire ainsi qu’un pôle civil supervisant les autorités françaises. L’ambassadeur allemand à Paris a alors pour fonction de coordonner les activités centrales et locales ainsi que les relations avec les principales autorités françaises. Le pouvoir législatif du régime de Vichy, quant à lui, s’étend sur tout le territoire occupé car le régime de Vichy dispose encore d’une armée d’armistice résiduelle19. Si l’Alsace et la Lorraine ont un régime d’occupation assimilateur, avec à leur 16 Notamment depuis les travaux de Robert Paxton, La France de Vichy : 1940-1944. Paris : Seuil, 1973. Voir de même Danièle Lochak "La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme", in Danièle Lochak [Dir.], Les usages sociaux du droit. France : Presses Universitaires de France, 1989. 17 Concernant l’armistice, cf. Collection Mémoire et citoyenneté, Archives Nationales de France (ci-après Arch. Nat.), AJ/40/1 à 1685. 18 Raphael Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe: Laws of Occupation, Analysis of Government, Proposals for Redress. [Washington : Carnegie Endowment for International Peace, Division of International Law, 1944]. New Jersey : The Lawbook Exchange, 2008, p. 174 ; Enrico Serra, L'occupazione bellica germanica : negli anni 1939-1940. Milan : Istituto per gli Studi di Politica Internazionale, 1941. 19 Sur la question de la violation de l’armistice et l’occupation de tout le territoire métropolitain : on trouve la lettre du 26 novembre 1942 d’Adolf Hitler à Philippe Pétain dans Ambassadeur Ritter T-120/935/298859-871, Archives du Ministère allemand des affaires étrangères et pour les justifications militaires dans Oberkommando der Wehrmacht OKW T-77/OKW-133, Archives du Ministère allemand des affaires étrangères ; le 10 décembre 1942, Philippe Pétain assure à Gerd von Rundstedt qu’il accepte de contribuer à la lutte contre le bolchévisme du moment où est reconnue à la France sa « souveraineté pleine et entière », avec une armée : T-120/110/115452-5. Voir aussi T-120/935/298782-8, 298763-4, Archives du Ministère allemand des affaires étrangères ; l’entrevue Laval-Ribbentrop permet à Vichy d’obtenir une bien modeste armée (la Phalange africaine, petite compagnie intégrée dans la ème division allemande en Tunisie : T-120/935/298684-7 & T-77/OKW-999/5, 632, 984334 90, Archives du Ministère allemand des affaires étrangères ; cf. T-120 Records Of The German Foreign Office Received By The Department Of State 2839, 2889, 2990 et 5811 15 tête un Gauleiter, « chef de l’administration civile » (Zivilverwaltung)20, le reste du territoire tombe sous le coup d’un commandement militaire allemand (Militärbefehlshaber in Frankreich) installé à Paris et accompagné d’un représentant des affaires étrangères chargé des questions politiques dans la zone occupée comme des relations avec le gouvernement de Vichy et les mouvements collaborationnistes. Il s’agit d’Otto Abetz, ambassadeur allemand dès le mois d’août 1940, qui devient le partenaire officieux de Vichy non accrédité auprès du gouvernement de l’État français (aux côtés de Roland Krug von Nidda, consul plénipotentiaire à Paris). En parallèle, divers services d’occupation indépendants du pouvoir militaire se sont rapidement développés aux côtés de la Geheime Staats-Polizei, dite Gestapo21. Le 19 août 1944, la France est donc un Etat occupé par des forces ennemies. Or, une seconde occupation est simultanément en cours à cette date : celle des forces alliées, dont la zone de contrôle armée se déploie depuis le 6 juin 1944, date du premier débarquement allié sur le territoire métropolitain. L’occupation se révèle ainsi multiple : coexistent sur le territoire les forces administratives ou proto-administratives de l’Axe, des Alliés, ainsi que du Gouvernement provisoire de la République française. Ces occupations posent la question de la pérennité de la souveraineté de l’Etat français, en droit international et particulièrement en droit de la guerre. Afin d’y répondre, nous nous proposons de déterminer le statut de la reconnaissance de l’Etat français et ses conséquences (a). Il nous faudra ensuite définir si l’occupation entière du territoire depuis novembre 1942 a sonné le glas de l’armistice et quelles en sont les conséquences en dans les Archives Nationales des Etats-Unis (National Archives) + T-77 Records Of The Headquarters Of The German Armed Forces High Command 998 et 1687. 20 L’annexion, comme destitution unilatérale par la force des compétences gouvernementales comportant un transfert de souveraineté, est pourtant interdite en droit international de l’époque. En effet, la règle d’interdiction d’annexer un territoire ennemi en temps de guerre a été bien instituée en droit international : 8 avril 1925, Affaire de la Dette publique ottomane (Bulgarie, Irak, Palestine, Transjordanie, Grèce, Italie et Turquie), Recueil des sentences arbitrales des Nations-Unies, vol. 1, pp. 529-614 ; voir aussi Paul Fauchille, Traité de Droit ème édition, t. 2, 1921, p. 1157. Tandis qu’un régime international public. Paris : Rousseau, 8 spécial de zone interdite est établi au long des côtes et des frontières, ainsi que dans les villes de Marseille et Toulon, est instauré un régime d’incorporation de l’Alsace et de la Lorraine aux districts allemands sous l’autorité de Gauleiters. Ces territoires prennent ainsi le statut de territoires annexés de facto, ce que relève par ailleurs le Général Giraud dans son allocution à la presse : « L’Alsace et la Lorraine, de fait, viennent d’être incorporées à l’Allemagne. Aucune voix en France ne s’est élevée pour protester. Ici, nous protestons. Le monde entier doit savoir que la France n’accepte pas cette annexion. L’Alsace et la Lorraine redeviendront françaises dans une France complètement libérée. » : in Pour la Victoire : Journal français d’Amérique. New York : Notre Paris, 20 mars 1943, vol. 2, p. 2. 21 La Gestapo est une police intérieure, par extension ce terme a été repris dans les pays d'occupation. A son sujet, voir : La France et la Belgique sous l’occupation allemande 1940– 1944. Les fonds allemands conservés aux Centre historique des Archives nationales. Inventaire de la sous-série AJ40. Paris : Centre Historique des Archives nationales, 2002, pp. 16ss. 16 droit, en août 1944 (b). Enfin, nous nous interrogerons sur les implications en droit international du statut étatique de la France, face à l’avance des forces alliées sur son territoire (c). a) La reconnaissance de l’Etat français en tant qu’Etat en droit international Un indice classique relatif à la persistance d’une souveraineté étatique est sa reconnaissance. Il s’agit de se pencher sur la nature de la reconnaissance de l’Etat de la part des Etats engagés dans les conflits ainsi que des Etats neutres, dans l’ordre juridique international. Or, à l’époque, la reconnaissance de l’Etat n’a pas encore fait l’objet de codification. En effet, ce n’est qu’en novembre 1947 que la Commission de Droit International charge son Secrétariat général de compiler les normes, les usages internationaux ainsi que les doctrines, dans le but de codifier les normes et coutumes internationales. Le Secrétariat rendra ses observations deux ans plus tard, formulant ainsi sans ambages sa position sur le sujet qui nous intéresse : « Au point de vue pratique, la question de la reconnaissance des Etats, comme celle de la reconnaissance des gouvernements et des insurgés belligérants, est une des questions les plus importantes du droit international. Cependant, aucune tentative n'a été faite jusqu'ici pour lui réserver la place qu'elle mérite dans l'œuvre de codification. »22 Ainsi, force est de constater qu’en 1949, et a fortiori en 1944, le statut juridique de la reconnaissance des Etats (comme celle des gouvernements et des insurgés belligérants) n’est pas issue de la lege lata (ius conditum, selon le droit constitué) mais bien de la lege ferenda (ius condendum, selon le droit qu’il faudrait constituer). En août 1944, si les conditions et les conséquences juridiques de la reconnaissance des Etats sont donc floues et sujettes à interprétation, elles expriment néanmoins des positionnements militaro-politiques de premier ordre. En ce qui concerne la question de la reconnaissance de l’Etat français, celle-ci semble pourtant ne pas poser de difficulté juridique23. Prima facie, l’Etat français est un Etat 22 Examen d'ensemble du droit international en vue des travaux de codification de la Commission du droit international (mémorandum du Secrétaire général), Extrait de l'Annuaire de la Commission du droit international, New York, A/CN.4/1/Rev.1, Publication des Nations Unies, 1949, vol. 1 (1), pp. 29ss. 23 Voir notamment Hersch Lauterpacht, "Recognition of States in International Law", The Yale Law Journal, vol. 53, n°3, juin 1944, pp. 385-458 ; ainsi que l’analyse juridique de Julien ème éd, 1947, pp. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel. Paris : Domat-Montchrestien, 2 842-844. Pour un historique de la notion, cf. John Fischer Williams, "The New Doctrine of 17 anciennement établi : il ne revendique donc aucunement une reconnaissance qui ne concerne que les nouveaux Etats24. En outre, l’Etat français correspond à la définition classique retenue : l’Etat est une institution politique et juridique effective fondée sur le principe de la continuité, qui agit sur une population et sur un territoire25. Par cette qualification, l’Etat a acquis la personnalité internationale26. La Convention de Montevideo, dont l’autorité dépasse depuis longtemps le champ d’action régional américain, précise dans ses articles 6 et 7 que la reconnaissance de l’Etat, expresse ou tacite, signifie une acceptation inconditionnelle et irrévocable de la personnalité de l’autre en droit27. En d’autres termes, la reconnaissance est un acte discrétionnaire, l’objet d’un libre choix politique d’un Etat28. Par la reconnaissance, le corps diplomatique tend à déclarer en droit l’existence de la personnalité juridique internationale d’un Etat29. En outre, la doctrine et les normes internationales préservent la continuité légale de l'État : l'État et ses obligations restent les mêmes malgré tout changement constitutionnel ou gouvernemental ; c'est un principe qui remonte à Hugo Grotius30. “Recognition”", Transactions of the Grotius Society, vol. 18, Problems of Peace and War, Papers Read before the Society in the Year 1932, pp. 109-129. 24 Comme le souligne à propos Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945). Paris : LGDJ, 2005, p. 233. 25 Pour l’ordre juridique international, l’Etat est défini comme un pouvoir politique organisé s’exerçant de manière souveraine et indépendante sur une population et un territoire donné, capable d’entrer en relation avec les autres Etats : c’est ce qu’on peut notamment déduire de la Convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des États, 26 décembre 1933, Recueil des traités de la Société des Nations, 1936, n°3802, art. 1. et 2. Voir de même Georges Scelle, Manuel élémentaire de droit international public. Paris : DomatMontchrestien, 1944, p. 120. 26 Sur le sujet de la personnalité légale internationale de l’Etat, voir Hans Aufricht, "Personality in International Law", The American Political Science Review, vol. 37, n°2 (avril 1943), pp. 217-243. 27 Convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des États, 26 décembre 1933, op. cit., art. 6 et 7. 28 Pour une bibliographie détaillée sur la reconnaissance : Jean Charpentier, reconnaissance internationale et l’évolution du droit des gens. Paris : Pedone, 1956. 29 C’est par ailleurs en ce sens que statue l’Institut de droit international le 23 avril 1936 au er sujet de la reconnaissance d’Etats nouveaux : notamment l’article 1 de la Résolution sur la reconnaissance de nouveaux Etats et gouvernements, Institut de droit international, rapporteur Philip Marshall Brown, session de Bruxelles, Annuaire de l’Institut de droit international, 1936, III, p. 300. La résolution est en accord avec la décision du Tribunal er arbitral mixte germano-polonais de l’Affaire Deutsche Continental Gasgesellschaft, 1 avril 1929, Recueil des décisions des Tribunaux arbitraux mixtes institués par les traités de paix, vol. 9, pp. 336ss. ; voir de même Philip Marshall Brown, "The Legal Effects of Recognition", The American Journal of International Law, vol. 44, n°4 (Oct., 1950), pp. 617-640. 30 « Neque refert quomodo gubernetur... Idem enim est populus Romanus sub regibus, consulibus, imperatoribus. » : in Hugo Grotius, De iure belli ac pacis libri tres : in quibus ius naturae & Gentium : item iuris publici praecipua explicantur. Hildesheim : G. Olms, 2006 [1625], livre 2, c. IX, § VIII. 18 La Quant à la problématique du retrait de la reconnaissance du statut d’Etat, il apparaît que, du constat que l’établissement de liens diplomatiques est constitutif de la reconnaissance de jure de l’Etat français31, nous pouvons considérer que la rupture diplomatique de certains Etats n’est pas de nature à remettre en question la reconnaissance de l’Etat français en tant que tel, mais uniquement à ne plus être activement en lien avec le gouvernement établi. b) Le statut de l’Etat français en tant qu’Etat sous occupatio bellica Le cas de l’occupation en temps de guerre ne disqualifie pas pour autant un Etat même s’il le prive de certains de ses attributs. En effet, si la sentence arbitrale de 1928 dite de l’Ile de Palmas32 a consacré le principe de la compétence exclusive de l’Etat en ce qui concerne son propre territoire, l’occupation en est l’exception33. Aussi l’occupation n’estelle qu’un état de fait reconnu par le droit34. Prévaut, dès lors, l’usage établissant la validité des engagements pris par un Etat occupé en temps de guerre35. L’occupation du territoire, soit la perte de l’exercice de la souveraineté partielle ou intégrale, n’implique pas la disparition de l’Etat. Tant que le territoire reste occupé et non 31 Articles 3 et 4 de la Résolution sur la reconnaissance de nouveaux Etats et gouvernements, Institut de droit international, op. cit., p. 300. 32 Affaire de l’Ile de Palmas (ou Miangas), Recueil des sentences arbitrales des Nations-Unies, vol. 2, pp. 838ss. : l’arbitre Max Huber considère que la souveraineté dans les relations internationales entre Etats signifie l’indépendance, particulièrement territoriale. Sur ce sujet, cf. Fernand de Visscher, "L'arbitrage de l'île de Palmas", Revue de droit international et de législation comparée, vol. 10, 1929, pp. 735ss. 33 Il est même possible de considérer que l’occupation puisse être librement consentie au travers d’un traité. Le principe des bornes librement contractées de la souveraineté, même si en l’occurrence le champ du consentement est limité, a été posé par la Cour permanente de justice internationale, dans l’Affaire du vapeur Wimbledon, arrêt du 17 août 1923, Publications de la Cour permanente de Justice internationale, série A, n°1, p. 25 : « La Cour se refuse à voir dans la conclusion d’un traité quelconque, par lequel un État s’engage à faire ou à ne pas faire quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre apporte une restriction à l’exercice des droits souverains de l’État, en ce sens qu’elle imprime à cet exercice une direction déterminée. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l’État ». 34 Frantz Despagnet, Cours de droit international public. Paris : L. Larose, 3 pp. 414ss. 35 Si le Pacte Briand-Kellogg de 1928 condamne le recours à la guerre, ce traité de valeur morale n’est pas encore sanctionné juridiquement en droit positif, donc tous les actes y relatifs demeurent valables en 1944 : Traité de Paris Briand-Kellogg, en annexe du Protocole pour la mise en vigueur, sans délai, du Traité de Paris du 27 août 1928 relatif à la renonciation à la guerre en tant qu'instrument de politique nationale, Recueil des Traités de la Société des Nations, 1929, n°2137, pp. 57-64. 19 ème éd., 1905, annexé, le droit considère que l’Etat persiste36 : sa souveraineté n’est pas abolie mais juste suspendue ipso facto37. Les normes existantes sont maintenues38 et le droit de l’occupant n’est en aucune manière absolu39. La puissance occupante ne succède pas au souverain légal, elle consiste en un pouvoir fondé sur la force et exercé comme une mesure de guerre. Si, en politique, l’impuissance40 des représentants du régime peut être propre à discréditer leur représentativité, en droit international, la personnalité juridique de l’Etat français demeure ; seule son incarnation a été modifiée. Ses composantes (territoire et population) n’ont été incorporées dans aucune autre personne juridique. En d’autres termes, la souveraineté ne sera acquise par l’occupant qu’en temps d’assujettissement41 36 Maurice Flory, Le statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre 1939-1945. Paris : Pédone, 1952, p. 17. 37 Fritz Ernst Oppenheimer, "Governments and Authorities in Exile", The American Journal of International Law, vol. 36, n°4, octobre 1942, p. 571. Fritz Ernst Oppenheimer y relève notamment que le principe a même été reconnu par la Cour Suprême allemande de Leipzig le 26 juillet 1915 (Supreme Court of Germany, Leipzig, 26 juillet 1915, Fontes Iuris Gentium, Ser. 1, sec. II, vol. 1, p. 486). 38 Ludwig von Köhler, The Administration of the Occupied Territories. vol. 1 : Belgium. Washington : Carnegie Foundation for International Peace, 1942, p. 8. 39 D’une part, le droit international interdit l’arbitraire, l’administration martiale ne devant pas se transformer en oppression martiale : Lassa Oppenheim, "The legal relations between an occupying power and the inhabitants", Law Quarterly Review, n°33, 1917, p. 364 ; d’autre part, non seulement l’occupant ne doit modifier ni la Constitution ni les normes tenant à la nationalité, mais encore certains champs du droit devraient échapper à la sanction de l’occupant : aussi John Westlake relève-t-il les considérants de la Cour de Nancy qui disposent qu’« il est de principe que l’occupation du territoire par l’ennemi n’entraîne pas la suspension du droit politique ou privé du pays occupé ; que les lois civiles et pénales conservent au contraire tout leur empire, à moins qu’elles n’aient été l’objet d’abrogations expresses et spéciales commandées par les exigences de la guerre. Telle est l’opinion des auteurs les plus accrédités qui ont écrit sur le droit international » : Nancy, 27 août 1872, Recueil périodique et critique mensuel Dalloz, 1872, II, p. 185 ; Journal du droit international (Clunet), 1874, p. 126 : in John Westlake, International Law - Part II : War. [Cambridge : University Press, 1907]. Royaume-Uni : Adamant Media Corporation, 2000, p. 97. 40 Walter Stucki, témoin privilégié, relève notamment « l’impuissance absolue » de Philippe Pétain, chef de l’Etat, en 1944 et le dépeint comme un personnage manquant de volonté comme de fermeté : in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy. Neuchâtel : La Baconnière, 1947, p. 16. 41 Soit possession effective du territoire avec manifestation de l’intention claire d’une annexion définitive, l’adversaire ayant été réduit à l’impuissance ou soumission, voire étant pratiquement annihilé, sans résistance (les conditions de la debellatio étant remplies) : cf. Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and neutrality. ème éd, 1944, p. 466 ; Coleman Philipson, London : Ed. Lauterpacht / Longmans Green, 6 Termination of War and Treaties of Peace. [New York : E.P. Dutton & Co., 1916] Lawbook Exchange, 2008, p. 9 ; Josef Kunz, "The Status of Occupied Germany under International Law: A Legal Dilemma", Western Political Quarterly, 3:4, décembre 1950, pp. 538ss. ; Alfons Klafkowski, "Les formes de cessation de l’état de guerre en droit international (les formes classiques et non classiques)", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 149, Martinus Nijhoff Publishers, 1976, p. 267. 20 ou de cession par traité de paix42. Tant que l’occupation perdure, l’Etat souverain envahi, quelles que soient ses maigres perspectives de ne jamais pouvoir expulser l’envahisseur, persiste par conséquent en droit43. Nous ne pouvons dès lors considérer, à l’instar de certains historiens de l’occupation, que « l’Etat français n’existe plus »44. Il s’agit bien d’une occupatio bellica puisque, aucun traité de paix ni de capitulation n’ayant été signé, l’Etat français est encore en guerre contre l’Allemagne après sa déclaration de guerre du 3 septembre 193945. Certes, pendant la validité de la convention d’armistice46 du 22 juin 1940, on pourrait qualifier l’occupation allemande sur le territoire français d’occupatio mixta47. En effet, après une débâcle militaire et civile caractérisée et malgré l’accord franco-britannique sur l’interdiction de signer une paix séparée48, la France, représentée par le gouvernement du régime de Vichy, signe cet armistice. En nous référant aux articles 36 à 41 du Règlement annexe de la Quatrième Convention de 42 Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and neutrality, op. cit., p. 466. 43 Thomas Baty, The Canons of International Law. Londres : Murray, 1930, p. 476 ; Ministère de la guerre de la France, Manuel de droit international à l'usage des officiers de l'armée de ème éd., p. 93. terre: ouvrage autorisé pour les écoles militaires. Harvard : L. Baudoin, 1884, 3 44 Comme le relève Pierre Bourget, Un Certain Philippe Pétain. Paris : Casterman, 1966, p. 220. 45 Depuis le 3 septembre 1939 par la note adressée aux Puissances étrangères par le gouvernement français, reproduit dans le Journal officiel de la République française, Lois et Décrets, 4 septembre 1939, p. 11086. 46 Les différentes conventions entre belligérants : Riccardo Monaco, "Les conventions entre belligérants", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 75, 1949, pp. 309ss. 47 Frederick Llewellyn-Jones, "Military Occupation of Alien Territory in Time of Peace", Transactions of the Grotius Society, vol. 9, Problems of Peace and War, Papers Read before the Society in the Year 1923, p. 150. 48 Il s’agit de l’accord du 28 mars 1940 négocié par Paul Reynaud – cf. notamment Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale. t. 2 : L’Heure tragique, vol. 1 - La Chute de la France mai – décembre 1940. France : Plon, 1948, p. 118 et pp. 191ss. Le 13 juin 1940, à Tours, Winston Churchill fait part de sa « compréhension apitoyée » et accepte que la France demande un armistice tout en cherchant certaines garanties (au sujet de la flotte française et des prisonniers aviateurs allemands) : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., pp. 60ss. A noter toutefois la déclaration radiophonique de M. Baudouin, alors Ministre des affaires étrangères de Philippe Pétain, le lundi 17 juin, disant qu’il faut continuer à combattre sur tous les fronts, voire que la France continuera la lutte si les conditions de l’armistice se trouvent contraires à l’honneur ou à l’indépendance nationale : in Jean-Raymond Tournoux, Pétain et de Gaulle. France : Plon, 1965, p. 431. 21 la Haye de 1907, rappelons que l’armistice n’est pas la capitulation49 ni la paix, mais une cessation (ou suspension) temporaire des hostilités en temps de guerre, clausula rebus sic stantibus. En effet, la convention d’armistice prévoit dans son article 24 qu’elle reste « valable jusqu’à la conclusion du traité de paix [et qu’elle] peut être dénoncée à tout moment pour prendre fin immédiatement par le gouvernement allemand si le gouvernement français ne remplit pas les obligations par lui assumées dans la présente convention »50. Or, elle est dénoncée le 11 novembre 1942 par Adolf Hitler lui-même qui constate que « les données premières et les fondements de la convention d’armistice se trouvent supprimées »51, à la suite du débarquement des alliés en Afrique du Nord deux jours plus tôt et particulièrement au manquement du gouvernement français de n’avoir su empêcher Charles de Gaulle de s’allier avec les forces anglo-américaines, contrairement aux termes de l’armistice. L’armistice est donc caduc depuis novembre 1942 et l’Etat français est un Etat en guerre dont le territoire métropolitain est la proie d’une occupatio bellica52. ème ème 49 Louis-Henri Parias, Histoire du peuple français– De la III à la IV République. Paris : Nouvelle Librairie de France, t. 4, 2000, pp. 524ss : Philippe Pétain considère le régime républicain, et non pas l’état-major, comme la cause de la défaite : il s’agit d’un armistice et non pas d’une capitulation. Il semble que Philippe Pétain ne se présente pas comme un chef d’Etat mais plutôt comme un père et un chef militaire qui prend une posture sacrificielle, avec un patriotisme fort qui accepte la perte de la liberté nationale. Sur ce sujet, voir aussi : ème République. Paris : Gallimard, 1968, pp. 47-52. Voir aussi Emmanuel Berl, La fin de la III Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale. t. 2 : L’Heure tragique, vol. 1 - La Chute de la France mai – décembre 1940, op. cit., pp. 212ss. qui fait référence au précédent de la capitulation hollandaise qui permet à l’Etat de conserver « son droit souverain de continuer la lutte par tous les moyens en son pouvoir ». Selon Winston Churchill, Paul Reynaud ne réussit pas à imposer à Maxime Weygand, commandant en chef de l’armée, le parti de la capitulation. Au contraire, Maxime Weygand, soutenu par Philippe Pétain, pense que la reddition doit être celle « du gouvernement et de l’Etat » et ne pas entacher de « honte » la force militaire. 50 Ministère des affaires étrangères, Documents diplomatiques français, Les armistices de juin 1940. Bruxelles [etc.] : Peter Lang, 2003, n°69, p. 88. Cette formulation est conforme au ème Convention concernant les lois et coutumes de la chapitre V (articles 36 à 41) de la IV ème Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 juin - 18 octobre guerre sur terre : cf. II 1907, Actes et Documents, La Haye, 1907, vol. 1, pp. 626-637 51 Note d’Adolf Hitler à Philippe Pétain du 11 novembre 1942, Arch. Nat., AJ/41/613. 52 Et ce, malgré les assurances politiciennes qu’Adolf Hitler donne à Philippe Pétain : « Je dois vous indiquer ici, Monsieur le Maréchal, que l’action des troupes allemandes n’est pas dirigée contre vous, Chef de l’Etat et Chef révéré des vaillants soldats français de la guerre mondiale, ni contre le Gouvernement français, non plus que contre tous les Français qui désirent la paix et qui, surtout, veulent éviter que leur beau pays soit une fois de plus le théâtre de la guerre. Enfin, cette action ne sera pas dirigée contre l’administration française qui, je l’espère, continuera à remplir sa mission comme jusqu’ici, car l’unique objet de notre décision est d’empêcher qu’une situation analogue à celle qui s’est produite en Afrique du Nord ne se répète sur les côtes méridionales de la France » : in Pierre-Jean Rémy, Diplomates en guerre, La Seconde Guerre mondiale racontée à travers les archives du Quai d’Orsay. France : Lattès, 2007, pp. 675-678. 22 c) Le statut de l’Etat français en tant qu’Etat sous occupatio mixta L’Etat français est aussi, en date du 19 août 1944, un Etat occupé par les armées des Etats tiers alliés dont l’objectif est la capitulation inconditionnelle des forces de l’Axe. L’opération, entamée concrètement depuis le débarquement normand du 6 juin 1944, est de grande envergure et entraîne avec elle l’image de la libération de la France des mains de ses bourreaux53. Il est difficile de définir précisément le statut de cette occupation militaire et civile par les Alliés. Contrairement à d’autres territoires, comme celui de l’Italie, les Alliés renoncent à établir un A.M.G.O.T., acronyme anglo-saxon pour Gouvernement Militaire Allié des Territoires Occupés54, sur le territoire français qu’ils entendent libérer. En effet, sur le terrain, les armées alliées sont accompagnées de troupes françaises ainsi que de fonctionnaires du tout nouveau Gouvernement provisoire de la République française, prêts à prendre les affaires courantes en main, en lieu et place des administrateurs en fonction de Vichy. En droit, la libération d’un territoire occupé par un allié du souverain ne rétablit pas nécessairement l’autorité du gouvernement reconnu par celui établi avant l’occupation : l’allié libérateur peut tout à fait, à cause des nécessités militaires, établir un gouvernement militaire55. Toutefois, compte tenu de son évaluation des circonstances, il peut également prendre d’autres mesures, comme s’accorder avec un gouvernement 53 Extrait du discours de Charles de Gaulle à Alger du 14 juillet 1943 : « La France n’est pas cette princesse endormie que le génie de la libération viendra doucement réveiller. La France est une captive torturée qui, sous les coups, dans son cachot, a mesuré une fois pour toutes les causes de ses malheurs comme l’infamie de ses tyrans. La France a d’avance choisi un chemin nouveau ! » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 388. 54 Voir Pierre-Jean Rémy, Diplomates en guerre, La Seconde Guerre mondiale racontée à travers les archives du Quai d’Orsay, op. cit., pp. 739-759 ; Lord Rennell of Rodd, "Allied Military Government in Occupied Territory", International Affairs (Royal Institute of International Affairs 1944-), vol. 20, n°3, juillet 1944, pp. 307- 316 ; Kelly Edwards et Steven Still, "Dubious Liberators : Allied Plans to Occupy France, 1942-1944", éd. Ted Rall, 1991, consulté sur http://rall.com/1991/11/05/dubious-liberators-allied-plans-to-occupy-france1942-1944 le 21 janvier 2009 ; Raymond Aubrac, "Débats", in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994. Paris : Complexe, 1996, pp. 245-259 ; Régine Torrent, La France américaine. Controverses de la Libération. Bruxelles : Éditions Racines, 2004, pp. 75-221 ; Bruno Bourliaguet, L’AMGOT, contingence militaire ou outil de politique étrangère ?, mémoire de M. A. en Histoire, Université de Laval, 2009, consulté sur http://www.theses.ulaval.ca/2009/26972/26972.pdf le 12 septembre 2015, notamment pp. 154-155. 55 Ernst H. Feilchenfeld, The International Economic Law of Belligerent Occupation. Washington : Columbia University Press, Monograph Series of the Carnegie Endowment of International Peace, n°6, 1942, p. 7 ; Henry W. Halleck, Halleck’s International Law or Rules ème Regulating the Intercourse of States in Peace and War. Londres : K. Paul, 1996, vol. 2, 4 éd., p. 538. 23 provisoire pour lui déléguer l’exercice du pouvoir civil de fait sur les territoires libérés, menant ainsi ses opérations militaires sans administration décentralisée durable sur le territoire, ce qui lui permet entre autre de s’affranchir de complications parasitaires non essentielles à l’accomplissement de sa mission, à savoir l’objectif de l’annihilation de la machine de guerre de l’Axe. Cette occupation militaire n’est pas pour autant une occupatio pacifica, qui, elle, ne concerne que les temps de paix. Elle est assimilée à une occupatio bellica par l’Ecole des Civil Affairs de Wimbledon pour qui : « Sans doute reconnaît-on que les territoires libérés ne sont pas des territoires ennemis, mais l’on considère que l’assimilation est possible parce qu’il n’y a pas dans le pays un [sic] gouvernement national. Les gouvernements existant à l’extérieur ne seront pris en considération que le jour où ils auront été autorisés à réintégrer leurs territoires nationaux. »56 La formule militaire ici ne s’encombre pas de rigueur juridique. Si l’assimilation semble possible pour les officiers des Civil Affairs, en droit cependant, il ne s’agit pas de catégories juridiques similaires. Le juriste ne doit pas perdre de vue que les Alliés ne sont pas en guerre contre l’Etat français, malgré le fait que la collaboration a été perçue comme un élément probant de « l’alliance » entre la France et l’Allemagne57. Ainsi, en 1941, peut-on lire dans la presse anglaise que si le gouvernement de Vichy, persévérant dans sa politique déclarée de collaboration avec l’ennemi, agit ou permet des actions au détriment de la conduite de la guerre ou en faveur de l’assistance de l’effort de guerre ennemi, les Alliés devront naturellement se considérer libres d’attaquer l’ennemi où qu’il se trouve et, ce faisant, ne se considèreront plus tenus d’opérer de distinction entre territoire occupé et non occupé dans l’exécution de leurs plans militaires58. 56 Voir le rapport du Contrôleur de l’Armée P. Laroque, Chef du Service militaire d’études administratives à M. le Général Mathenet, chef de la Mission militaire française s/c de M. le Commandant, chef du service des liaisons, le 14 septembre 1943, in Pierre-Jean Rémy, Diplomates en guerre, La Seconde Guerre mondiale racontée à travers les archives du Quai d’Orsay, op. cit., p. 741. 57 « Whatever doubts there may have been about Vichy’s policy of conciliating the Reich vanished on June 10 when Darlan broadcast a speech in which, speaking for Pétain, he urged the necessity of collaborating with Germany as the only alternative to national suicide » : in Cyril Black, "Vichy Puppet Show", Current History, vol. 1, n°1, septembre 1941, p. 58. 58 « If the Vichy government, in pursuance of their declared policy of collaboration with the enemy, take action or permit action detrimental to our conduct of the war or designed to assist the enemy's war effort, we shall naturally hold ourselves free to attack the enemy wherever he may be found, and in so doing we shall no longer feel bound to draw any distinction between occupied and unoccupied territory in the execution of our military plans. » : The Times, 23 mai 1941, p. 4. 24 Toutefois, quelles que soient les considérations d’ordre politique gouvernemental, les alliances interétatiques ne sont pas modifiées. Nous rappelons que le territoire est interprété comme un élément constitutif de l’Etat, non du gouvernement. L’Etat français étant reconnu et n’étant pas considéré comme ennemi, nous ne sommes effectivement pas confrontés à une terra nullius sous occupatio bellica mais plutôt à notre sens à un cas d’occupatio mixta dont les contours restent néanmoins mal circonscrits. B – Le statut juridique du régime de Vichy en tant que gouvernement de l’Etat occupé en droit international Penchons-nous sur la question centrale de la reconnaissance du régime de Vichy en droit international en tant que représentant de l’Etat français, du fait de l’occupation d’une part et face à la reconnaissance de l’entité gaulliste concurrente d’autre part. Rappelons ici les travaux de la Commission de Droit International de novembre 1947 : d’après le droit international en vigueur en 1944, la distinction de jure et de facto dans la pratique de la reconnaissance des gouvernements n’est pas encore clarifiée. Le Secrétariat de la Commission, ne suivant pas les conclusions de son Comité d’experts (pour lequel la reconnaissance d'un gouvernement n'est pas une matière qui puisse être réglée juridiquement, étant exclusivement d'ordre politique), dénotera au contraire qu’il y a lieu de règlementer juridiquement le sujet de la reconnaissance des gouvernements, « qui, du point de vue pratique, semble être plus urgent encore que celui de la reconnaissance des Etats ».59 Dès lors, les questions suivantes se posent : comment le droit international envisage-t-il le statut du gouvernement du régime de Vichy dans le contexte où la puissance allemande détient entre ses mains l’exercice de la souveraineté de l’Etat français (a) ? Nonobstant, sachant qu’un seul gouvernement représente l’Etat, comment qualifier le statut du gouvernement, après la reconnaissance du Gouvernement provisoire de la République française comme belligérant et insurgé, voire comme autorité de facto, tant sur les territoires métropolitains et des colonies que sur les régions dites libérées par les armées alliées ? Le gouvernement du régime de Vichy, officiellement en guerre contre les 59 Examen d'ensemble du droit international en vue des travaux de codification de la Commission du droit international (mémorandum du Secrétaire général), Extrait de l'Annuaire de la Commission du droit international, New York, A/CN.4/1/Rev.1, Publication des Nations Unies, 1949, vol. 1 (1), pp. 29ss. 25 puissances de l’Axe malgré son choix de collaboration active, est-il concurremment en guerre civile contre le Gouvernement provisoire de la République française (b)? a) Le gouvernement de Vichy comme gouvernement de l’Etat souverain durante bello En principe, pour le droit international de l’époque, l’invasion d’un territoire par des forces armées contre la volonté de l’autorité souveraine exerçant le contrôle dans le pays envahi implique un état de guerre, que les forces de ce pays résistent activement ou non, que le souverain annonce l’état de guerre ou non et que des objectifs limités soient proclamés ou non par l’envahisseur60. Il s’agit dès lors d’étudier le statut du gouvernement dont le territoire est occupé par l’ennemi dans un premier temps (1), puis les réactions diplomatiques dans un second (2). 1. Un gouvernement préalablement établi investi par l’occupant de la gestion des affaires courantes Dans l’état de guerre, non seulement l’Etat occupé mais aussi le gouvernement qui auparavant était reconnu comme porteur de la souveraineté légitime existent toujours en droit. C’est la raison pour laquelle le droit international considère que l’occupation belligérante n’implique pas que l’occupant reçoive le pouvoir de souveraineté sur le territoire occupé ; de par l’occupation belligérante, le gouvernement légal est rendu incapable d’exercer son autorité et n’est que substitué, pour le temps de l’occupation, par l’autorité occupante : ainsi, nous pouvons établir que la souveraineté est un titre, non pas une faculté en soi61. 60 Thomas Baty, "Abuse of Terms: “Recognition” : “War”", The American Journal of International Law, vol. 30, n°3, juillet 1936, p. 398. 61 Comme en doctrine germanique, où est posée la distinction entre le titre de souveraineté (Souveränitätsrecht) d’une part, et la suprématie, ou les prérogatives attachées à la souveraineté, en droit interne comme externe, qui peuvent être cédées et qui précèdent historiquement la souveraineté (Hoheitsrecht), d’autre part : sur ce sujet, voir notamment ème éd., 1914, ch. 14, p. 451 et Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre. Berlin : O. Häring, 3 p. 486. 26 Il s’ensuit que le gouvernement préalable de l’Etat occupé, et particulièrement son chef d’Etat, pourra choisir l’exil62 ou être expulsé du territoire occupé et établir son siège sur le territoire d’un allié. De même, les membres du gouvernement et, en premier lieu, le chef de l’Etat pourront aussi être faits prisonniers de guerre. Le droit international ne règlemente pas stricto sensu le destin du gouvernement d’un territoire étatique occupé en tant que tel63. Il s’intéresse plutôt à l’autorité en place sur le territoire occupé, qui est dorénavant et temporairement entre les mains de l’occupant en raison d’une « convergence d’intérêts »64 entre les occupants et les habitants. Le principe est fondé sur le constat simple qu’il ne s’agit pas d’une annexion de la partie contrôlée : en effet, si un belligérant n’a pas l’intention de réduire à néant son adversaire en tant qu’Etat dans le sens du droit international, il ne doit pas abolir son gouvernement65. Il en découle dans le cas d’espèce un statut juridique quelque peu ambigu, qui n’est pas celui de territoire d’un Etat annexé (hormis le cas de l’Alsace et de la Lorraine) ni de territoire strictement envahi (où ne font que combattre des armées, qui ne mettent sur pied aucune administration)66. Les normes édictées par la Quatrième Convention de la Haye de 1907 et son Règlement annexe ont été ratifiés notamment par l’Allemagne, la France, les Etats-Unis et la GrandeBretagne67. En vertu de ses articles 42 et 43, le Règlement annexe de la Quatrième Convention de la Haye prévoit : 62 Soit le gouvernement, connu pour incarner la souveraineté d’un Etat, est sur le champ civil et/ou militaire, soit il ne l’est pas. S’il a été entièrement ruiné, cadit quaestio. A moins qu’il ne continue la lutte hors de son sol tel un gouvernement en exil. « If it continued to rule a shrunken territory it still carried on the existence of the state, as an embodied idea, although a new sovereign state might be formed by rebels in its lost lands. And it still carried on the existence of the state, as an embodied idea, and did not even lose the sovereignty of territory occupied by foreign invaders, however securely the latter were seated in control. » : in Thomas Baty, "The Trend of International Law", The American Journal of International Law, vol. 33, n°4, octobre 1939, p. 657 ; voir aussi Andrée Jumeau, Le refuge du gouvernement national à l’étranger. Aix-en-Provence : P. Roubaud, 1941. 63 La question de savoir si l’occupation du territoire est totale ou partielle ne présente ici aucune importance ; la conservation d’un lambeau de sol national ou colonial n’est que symbolique : cf. Georges Scelle, Droit international public. Manuel élémentaire avec les textes essentiels. Paris : Domat-Montchrestien, 1943, p. 133. 64 Law of Belligerent Occupation. Ann Arbor Michigan : The Judge Advocate General's School, 1944, n°11, pp. 33ss. 65 S’il le faisait, la question reste ouverte quant à savoir si l’Etat pourrait rester souverain et ainsi exister en droit international : pour la thèse positive voir Hans Kelsen, "The Legal Status of Germany According to the Declaration of Berlin", The American Journal of International Law, vol. 39, n°3, juillet 1945, p. 521 ; pour une thèse contraire, voir Max Rheinstein, "The Legal Status of Occupied Germany", Michigan Law Review, vol. 47, n°1, novembre 1948, p. 25. 66 Alberic Rolin, Le droit moderne de la guerre. Bruxelles : A. Dewit, 1920-1921, pp. 439ss. 67 Voir en particulier les articles 42 à 56 du Règlement concernant les lois et coutumes de la ème Convention concernant les lois et coutumes de la guerre guerre sur terre, annexe de la IV 27 Article 42 : « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie. L'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer. »68 Article 43 : « L'autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l'occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer, autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. »69 ème sur terre : cf. II Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 juin - 18 octobre 1907, Actes et Documents, La Haye, 1907, vol. 1, pp. 626-637 ; James Brown Scott [Dir.], The Hague Conventions and Declarations of 1899 and 1907 (1915), accompanied by tables of signatures, ratifications and adhesions of the various powers, and texts of reservations. New-York : Oxford University Press American Branch, 1915 ; Ludwig von Köhler, The Administration of the Occupied Territories. vol. 1, Belgium, op. cit., pp. 4ss. Notons que ladite Convention de 1907 a été reconnue déclaratoire du droit international coutumier en 1921, mais seulement « pour le cas d’espèce » (Recueil des sentences arbitrales des Nations-Unies, août 1921, Affaire Navigation on the Danube, vol. 1, pp. 97ss.). Ce n’est que er le jugement de Nuremberg, rendu le 1 octobre 1946, qui considèrera, en substance, que les normes de La Haye de 1907, reconnues par tous les Etats, étaient en date de 1939 déclaratoires des droits et coutumes internationales en temps de guerre pour tous les Etats et que le pouvoir de l’Allemagne sur les territoires étrangers qu’elle a pu contrôler était nécessairement un pouvoir d’une occupation belligérante (Cmd. 6964, 1946, p. 65, reproduit notamment dans American Journal of International Law, n°41, 1947, pp. 172-333). Voir de même la présentation des fondements légaux internationaux faite par Georg Schwarzenberger, "The Law of belligerent occupation : Basic issues", Nordisk Tidsskrift for International Ret, n°30, 1960, pp. 10ss. 68 Il s’agit là d’une reprise mot pour mot de l’article 1 du Projet d'une Déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre. Bruxelles, 27 août 1874, Actes de la Conférence de Bruxelles. Bruxelles : F. Hayez, 1874, pp. 297-305 et pp. 307-308 ; ainsi que ème Convention de l’article 42 du Règlement de la Convention de La Haye de 1899 : II concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe, Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 29 juillet 1899 : Conférence internationale de la Paix 1899. La Haye : Martinus Nijhoff, 1907, pp. 19-28. La formule rappelle aussi le Manuel des lois de la guerre sur terre d’Oxford, 9 septembre 1880. Institut de droit international, Tableau général des résolutions (1873-1956). Bâle : Hans Wehberg, 1957, pp. 180-198, qui prévoyait, dans la première partie, article 6 : « Aucun territoire envahi n'est considéré comme conquis avant la fin de la guerre ; jusqu'à ce moment, l'occupant n'y exerce qu'un pouvoir de fait essentiellement provisoire. » 69 Il s’agit là encore d’une reprise mot pour mot non seulement des articles 2 et 3 fondus du Projet d'une Déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre. Bruxelles, 27 août 1874, Actes de la Conférence de Bruxelles, op. cit., pp. 297-305 et pp. 307-308 ; mais aussi de l’article 43 du Règlement de la Convention de La Haye de ème 1899 : II Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe, Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de La Haye, 29 juillet 1899 : Conférence internationale de la Paix 1899, op. cit., pp. 19-28. Enfin, cet article n’est pas non plus sans rappeler les articles II A 41, II B 43, II B 44 et II C a du Manuel des lois de la guerre sur terre d’Oxford, 9 septembre 1880. Institut de droit international, Tableau général des résolutions (1873-1956), op. cit., pp. 180-198. Pour un commentaire, voir Edmund H. Schwenk, "Legislative Power of the Military Occupant under Article 43, Hague Regulations", The Yale Law Journal, vol. 54, n°2, mars 1945, pp. 393-416 qui fait une mise au point terminologique de l’article 43, notamment en rapport avec la version anglaise erronée ; John Westlake, International Law - Part II : War, op. cit., pp. 95ss. ; Arthur ème Berriedale Keith, Wheaton’s Elements of International Law. London : Stevens and Sons, 6 éd., 1929 ; Ernst H. Feilchenfeld, The International Economic Law of Belligerent Occupation, ème op. cit., p. 89 ; William Hall, A Treatise on International Law. Oxford : Clarendon Press, 8 éd., 1924 ; Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and 28 Dans cette situation « généralement dictatoriale et de confusion des pouvoirs »70, ce n’est donc que l’autorité du pouvoir légal qui est, dès lors, temporairement transmise de facto « entre les mains » de la puissance occupante, non le pouvoir en soi71. Effectivement, selon les normes de La Haye, en prenant le contrôle du territoire, l’occupant doit faire en sorte que les lois existantes restent en vigueur pour autant qu’elles soient compatibles avec les buts de l’occupation. Ainsi et comme nous l’avons présenté, la puissance occupante, investie pour le temps de l’occupation de l’exercice de la souveraineté de l’Etat occupé, peut opérer un choix : soit prendre en main ses nouvelles fonctions par ses propres moyens, soit déléguer l’exercice de l’administration civile. Les hypothèses pour cerner les motivations de l’Allemagne à choisir une option sont nombreuses. Est-ce la considération du Führer Adolf Hitler pour Maréchal Philippe Pétain qui influence ce choix ? Est-ce plutôt l’idée selon laquelle une communauté de vue peut à terme se dessiner avec ces représentants soumis (français certes, mais tout de même « aryens » selon les critères nazis), dont les opinions politiques et les visions sociales sont potentiellement compatibles avec les intérêts du Reich ? Est-ce, sinon, l’intérêt pratique d’instrumentaliser ces volontaires, tout en sachant conserver, grâce à une savante propagande, une autorité et crédibilité certaine sur la grande majorité de la population ? Quelles qu’en soient les causes, le gouvernement allemand décide de maintenir sur place le gouvernement français, en qualité d’agent soumis à ses directives et son contrôle72. Quoi qu’il en soit, il est patent qu’un régime neutrality, op. cit. ; Georges Grafton Wilson, Handbook on International Law. Saint Paul ème Minn. : West Publishing Co, 2 éd., 1927 ; Graf Stauffenberg, "Vertragliche Beziehungen des Okkupanten zu den Landeseinwohnern", Zeitschrift für Ausländisches Öffentliches Recht und Völkerrecht, 1931, n°2, pp. 86-119 ; Arnold Mac Nair, "Municipal Effects on Belligerent Occupation", Law Quarterly Review, n°57, 1941, pp. 33ss. ; Ernst Wolff, "Municipal Courts of Justice in Enemy Occupied Territory", Transactions of the Grotius Society, vol. 29, Problems of Peace and War, Papers Read before the Society in the Year 1943, pp. 99-118. 70 Comme Scelle définit les situations des gouvernements de fait : Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 55, Martinus Nijhoff Publishers, 1936, p. 109. 71 D’aucuns soutiennent que l’article 43 du Règlement a été violé, en particulier parce que les proclamations des forces allemandes occupantes n’avaient pas fait mention desdites Régulations et que, par ailleurs, leurs contenus étaient incompatibles avec ces dernières : Eyal Benvenisti, The International Law of Occupation. New Jersey : Princeton University Press, 1993, pp. 64ss. 72 « En dernière analyse, l’Allemagne a conservé la fiction d’un gouvernement français autonome dans l’intérêt du maintien de l’ordre » : in Robert Paxton, La France de Vichy, op. cit., p. 301. 29 sous occupation reste par définition limité, car il n’exerce d’autorité que par la délégation et sous l’autorité de l’occupant73. Par voie de conséquence, de par l’occupation effective (que l’on a pu légitimer par la loi de nécessité74), l’occupant est en droit de suspendre l’exercice de certains droits, tels le droit de réunion, de suffrage et celui de porter les armes75. L’expression des opinions de la population du pays occupé, si elle est susceptible d’entrer en conflit avec les intérêts de la puissance occupante, n’est pas protégée en droit international76. En effet, l’occupation belligérante77 est une phase des opérations militaires issue de la force et maintenue par la force78. L’objectif primordial et immédiat de la puissance occupante qui dicte tous ses actes et auquel elle sacrifie toute son énergie et son potentiel est celui de « gagner la guerre »79 : il s’agit bien d’un gouvernement d’urgence80 qui se limite aux actions en la matière strictement nécessaires. Dès lors, pour des raisons autant pratiques que juridiques, l’occupant adopte des mesures qui s’appuient sur l’appareil administratif 73 En effet, il semble qu’il soit intéressant pour la puissance occupante de superviser et sanctionner un gouvernement préalablement établi plutôt que de se substituer à un tel gouvernement, comme d’ailleurs l’édicte la coutume colonisatrice britannique : cf. Robert Wells, "Interim governments and Occupation Regimes", Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 257, Peace Settlements of World War II, mai 1948, p. 71 ; Raphael Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe: Laws of Occupation, Analysis of Government, Proposals for Redress, op. cit., pp. 171ss. 74 Au sujet de la notion de l’état de nécessité et de la spécificité de la définition germanique (Notstand – Notrecht / Kriegsräson) sur les autres systèmes de droit, voir Karl Strupp, Das völkerrechtliche Delikt. Berlin/Stuttgart [etc.] : Kohlhammer, 1920, pp. 122ss. ; Paul Weidenbaum, "Necessity in International Law", Transactions of the Grotius Society, vol. 24, Problems of Peace and War, Papers Read before the Society in the Year 1938, pp. 105132 ; Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", op. cit., p. 108. 75 Percy Bordwell, The Law of War between Belligerents : A History and Commentary. Chicago : Callaghan & Co, 1908, p. 301. Soulignons que les lois politiques et privilèges constitutionnels sont suspendus durant l’occupation. Ces normes sont, en règle générale, inconsistantes vis-à-vis de la situation factuelle créée par l’occupation : William Hall, A Treatise on International Law, op. cit., p. 561 ; Alberic Rolin, Le droit moderne de la guerre, op. cit., pp. 444ss. 76 Georg Schwarzenberger, "The Law of belligerent occupation : Basic issues", op. cit., p. 20. 77 Wyndham Legh Walker, "Recognition of Belligerency and Grant of Belligerent Rights", Transactions of the Grotius Society, vol. 23, Papers read before the Society in the Year 1937, pp. 177-210. 78 « Occupation […] is a belligerent act, maintained by belligerent methods and for belligerent purposes » : in Colby Elbridge, "Occupation Under the Laws of War", Columbia Law Review, n°25, 1925, p. 910. 79 Lassa Oppenheim, "The legal relations between an occupying power and the inhabitants", op. cit., pp. 363ss. 80 D’après l’expression de Carl J. Friedrich, "Military Government as a Step Toward Self-Rule", The Public Opinion Quarterly, vol. 7, n°4, hiver 1943, p. 531. 30 existant81 (la tendance essentielle des gouvernements d’occupation étant d’attacher une valeur primordiale à la stabilité et à l’ordre). Ainsi, laissant sciemment une certaine autonomie au gouvernement du régime de Vichy pour les affaires courantes tout au moins, les autorités occupantes n’ont de cesse de rappeler aux autorités françaises que le gouvernement doit être géré de façon à assister leurs opérations ou, du moins, à ne pas les entraver82. Cette considération est à mettre en parallèle avec l’analyse selon laquelle le Reich, dans l’optique de conserver un relatif ordre public et de ne pas perturber les actions en cours de son administration et de sa police83, souhaite éviter à tout prix une éventuelle démission du chef de l’Etat Philippe Pétain en œuvrant pour le maintenir à la tête du régime de Vichy. Il s’agit, pour conclure ce point, d’une tutelle gouvernementale et policière (avec la Gestapo), pouvant discrétionnairement établir des régimes spéciaux le long des côtes et frontières (zones interdites) comme à Marseille et Toulon, dans l’intérêt de la sécurité martiale et de la stratégie de guerre. Le statut du gouvernement du régime de Vichy est donc celui d’un gouvernement anciennement effectif qui a perdu l’exercice de la souveraineté du fait de l’occupation belligérante dont il est la victime consentante84. Ayant refusé l’exil, il ne reste actif sur le territoire que par la volonté de l’occupant. Nous pouvons résumer cette situation en établissant que le gouvernement du régime de Vichy est l’autorité de fait seconde de par la volonté de l’autorité de fait première de l’occupant car c’est, et nous insistons, l’occupant qui, investi de l’exercice de la souveraineté, est l’autorité de fait en droit international. En d’autres termes, le gouvernement du régime de Vichy est dans cette optique l’organe auquel l’Allemagne, première autorité de facto85 du fait de sa propre 81 Wolfgang H. Kraus, "Law and Administration in Military Occupation : A Review of Two Recent Books", Michigan Law Review, vol. 43, n°4, février 1945, p. 747. 82 Carl J. Friedrich, "Military Government as a Step Toward Self-Rule", op. cit., p. 528. 83 Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-1951. Paris : Perrin, 2002, p. 255. 84 Thomas Baty analyse d’ailleurs cette situation sans concession et pousse la logique à son paroxysme. Il considère qu’un souverain, s’il devient faible et défait, doit être traité comme ayant perdu sa souveraineté et qu’il est incongru d’annoncer qu’il la retienne de jure. « In the law of nations « de jure » means nothing. A British politician remarks that it does mean something – « it means that he is entitled to get his sovereignty back if he can » ; but anybody is entitled to acquire sovereignty « if he can ». The international test of legal right is success. » : in Thomas Baty, "The Trend of International Law", op. cit., p. 656. Cette position nous paraît erronée, au vu de ce que nous avons développé dans le présent paragraphe : à notre sens, la souveraineté n’est pas cessible du fait de l’occupation. 85 Voir notamment dans cette optique Everett P. Wheeler, "Governments de Facto", The American Journal of International Law, vol. 5, n°1, janvier 1911, pp. 66-83 ; au contraire, existe aussi l’interprétation non dénuée d’ironie selon laquelle l’occupation belligérante ne fait pas de l’occupant un gouvernant de facto : Thomas Baty, "So-called « De Facto » Recognition", The Yale Law Journal, vol. 31, n°5, mars 1922, p. 488. 31 carence, a délégué la majeure partie de cet exercice86. En droit international de l’époque, le gouvernement du régime de Vichy ne doit pas être compris comme un nouveau gouvernement de facto, mais plutôt comme une institution indirecte subordonnée aux nouveaux gouvernants étatiques ad hoc flagrante bello. L’occupant exerce donc l’autorité à l’exclusion du gouvernement préalablement établi à l’instar d’un locum tenens. Précisons, par ailleurs, que le Reich est en mesure de prononcer la destitution des gouvernants en fonction pour leur en substituer d’autres. Toutefois, l’inclination des membres du régime de Vichy, prompts à collaborer activement, lui convient et c’est discrétionnairement qu’il décide de les maintenir à leurs postes, sous sa supervision transitoire87. Telle est la situation en droit international en vigueur à l’époque. Mais outre le droit international, nous nous devons de prendre en considération l’interprétation et l’usage des normes du droit international ainsi que le contexte des événements civils comme militaires – ce que d’aucuns traduisent en termes radicaux, dénonçant le droit international comme un mythe, voire un instrument politique88. Nous permettant quelque conjecture, nous supposons que si le gouvernement de Vichy n’avait pas opté pour une politique de collaboration active et radicale, le Reich n’aurait pas hésité à s’en dispenser89. Or, réduit à n’être que sa propre caricature, par enthousiasme réel ou par intérêt, le régime de Vichy, qui a opté « pour la victoire de l’Allemagne »90, s’aliène définitivement ses interlocuteurs 86 En d’autres termes, le gouvernement légal, dès l’instant où il n’a plus la force de gouverner, se trouve avoir perdu compétence, car la détention de la force est une des conditions juridiques de l’attribution des compétences gouvernementales : voir Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", op. cit., p. 109. 87 « Possessed of exclusive power to enact laws and administer them, the occupant must regard the exercise by the hostile government of legislative or judicial functions (as well as those of an executive or administrative character) as in defiance of his authority, except insofar as it is undertaken with his sanction or cooperation » : in Charles Hyde, International Law Chiefly as Interpreted and Applied by the United States. Boston : Little, Brown and Co., 1922, vol. 2, 1922, p. 366 ; Charles E. Magoon, Reports on the Law of Civil Government in Territory Subject to Military Occupation by the Military Forces of the United States, Submitted to Hon. Elihu Root, Secretary of War, Washington Government Printing Office, 1902, p. 198 ; S.E.B., "Review", in The Yale Law Journal, vol. 12, n°1, 1902, pp. 50ss. 88 « I believe that what is being taught as international law now is largely a myth, whereas what is taught as international law by the Totalitarian States is just a political instrument, and nothing else » : in Wolfgang Gaston Friedmann, "International Law and the Present War", Transactions of the Grotius Society, vol. 26, Problems of Peace and War, Papers Read before the Society in the Year 1940, p. 233. 89 « Hitler avait coutume de soutenir que la politique de collaboration visait surtout à obtenir de l’Allemagne des concessions unilatérales. » : Otto Abetz, Histoire d'une politique francoallemande : 1930-1950 : mémoires d’un ambassadeur. Paris : Delamain et Boutelleau, 1953, p. 285. 90 Selon le mot de Pierre Laval lors de son discours à la Radio de Vichy du 22 juin 1942, à l'occasion du premier anniversaire de l'attaque de l'U.R.S.S. bolchevique par l'Allemagne 32 alliés. Au 19 août 1944, le camp des futurs vainqueurs semble avoir déjà choisi officieusement sinon le Gouvernement provisoire de la République française tout au moins de rayer le gouvernement du régime de Vichy des potentiels prétendants crédibles à sa propre succession91. L’argument de préférence politique supplanterait-il le juridique ? Le fait d’opérer un choix entre des entités est en conformité avec le droit international mais ne renseigne pas encore sur l’éventuelle qualification du statut du régime de Vichy. 2. Les réactions diplomatiques face au gouvernement du régime de Vichy Face à l’occupation effective du territoire d’un Etat par les armées d’un Etat ennemi, les réactions diplomatiques diffèrent en fonction des prévisions que les gouvernements des Etats tiers peuvent émettre sur l’issue de la guerre. Soulignons à cet égard que nous ne trouvons nulle trace, dans la doctrine contemporaine, d’un commentaire sur la qualification du statut de la reconnaissance diplomatique du gouvernement du régime de Vichy en droit international. Nous ne relevons que des analyses très sommaires et peu documentées qui définissent le gouvernement du régime de Vichy uniquement par la négative, c’est-à-dire par ce qu’il n’est pas. Nous apprenons, en effet, qu’il ne s’agit assurément d’aucun type de gouvernement reconnu par le droit international, i.e. ni d’un gouvernement constitutionnel établi, ni d’un gouvernement insurgé soutenu par la population et cherchant à se légitimer. Que le gouvernement du régime de Vichy ne soit pas considéré comme un gouvernement insurgé ne prête pas à débat. Or, il est admis par la majorité des Etats que ce dernier répond aux conditions d’un gouvernement souverain jusqu’en 1942 au moins. En outre, les Etats neutres entretiennent des relations diplomatiques avec lui jusqu’à son départ de Vichy92. Toutefois, à l’été 1944, il semble qu’il soit alors d’une certaine manière sous le coup de quelque forclusion publique, dans le sens où il aurait laissé prescrire son droit à être reconnu comme gouvernement légal et établi. Que justifie un si radical changement de perspective? nazie : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne, parce que, sans elle, le bolchévisme s’installerait partout… » : in Louis Noguères, Le véritable procès du Maréchal Pétain. Paris : Fayard, 1955, p. 397. 91 Après la décision des Etats-Unis de reconnaître de facto le Gouvernement provisoire de la République française sur les territoires libérés, comme nous le verrons dans la prochaine section : Hersch Lauterpacht, "Recognition of Governments : II. The Legal Nature of Recognition and the Procedure of Recognition", Columbia Law Review, vol. 46, n°1, janvier 1946, pp. 59-60. 92 Maurice Flory, Le Statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre : 1939-1946, op. cit., pp. 45-99. 33 Avant de nous intéresser aux différents cas de reconnaissance en l’espèce, relevons que la reconnaissance d’un gouvernement peut non seulement avoir lieu formellement ou non, être retirée formellement ou non, mais surtout qu’elle peut être partielle – cas de figure très fréquent en cas de guerre. En effet, nous avons qualifié le gouvernement de Vichy comme nouveau gouvernement de l’Etat souverain durante bello. Or, si nous revenons aux dispositions de la Résolution de Bruxelles dont nous avons déjà fait état93, nous observons que celle-ci prévoit deux cas de figure : « La reconnaissance du gouvernement nouveau d'un Etat déjà reconnu est l'acte libre par lequel un ou plusieurs Etats constatent qu'une personne ou un groupe de personnes sont en mesure d'engager l'Etat qu'elles prétendent représenter et témoignent de leur volonté d'entretenir avec elles des relations. » et « La reconnaissance est, soit définitive et plénière (de jure), soit provisoire ou limitée à certains rapports juridiques (de facto). »94 Ainsi, la reconnaissance de jure est la conséquence d’une déclaration expresse ou d’un fait positif univoque définitif, alors que la reconnaissance de facto serait caractérisée par une déclaration expresse, la signature d’accords ou l’entretien de relations en vue d’affaires courantes avec une optique limitée : soit dans le temps (dans une visée provisoire), soit dans le contenu (pour certains actes seulement). Par voie de conséquence, tandis que la première implique la reconnaissance de la compétence des organes judiciaires, administratifs ou autres, la seconde ne la prévoit pas nécessairement. De cette distinction découle un éventail de diverses réactions diplomatiques possibles face au gouvernement dont le territoire est occupé. C’est la raison pour laquelle les positions des Etats tiers diffèrent et évoluent. Rappelons dans un premier temps la chronologie des évènements. Quand, en 1940, le gouvernement français – qui a perdu toute effectivité de souveraineté dans la zone occupée – quitte Bordeaux pour s’établir à Vichy, le corps diplomatique le suit. Ainsi, l’ensemble des légations étrangères est délogé de la zone, ce qui par voie de 93 Résolution sur la reconnaissance de nouveaux Etats et gouvernements, Institut de droit international, rapporteur Philip Marshall Brown, session de Bruxelles, Annuaire de l’Institut de droit international, op. cit. : cf. note 29. 94 Articles 10 et 11 de la Résolution sur la reconnaissance de nouveaux Etats et gouvernements, Institut de droit international, op. cit., p. 300. 34 conséquence perturbe grandement les activités consulaires95. Les gouvernements des Etats de tous les continents entretiennent ainsi des relations diplomatiques avec le gouvernement du régime à Vichy. Il est donc bel et bien reconnu par ses pairs dès son intronisation en 1940, en dépit de l’occupation de sa capitale et d’une partie de son territoire. Aussi, mis à part l’Etat britannique et le Canada, qui rappellent leurs ambassadeurs en juillet 194096 (le Canada laissant néanmoins sur place son Consul et le Consul de France étant maintenu dans l’exercice de ses fonctions à Londres), les autres puissances manifestent leur volonté de maintenir des relations diplomatiques avec le régime97. De surcroît, c’est le gouvernement du régime de Vichy qui décide de rompre ses relations diplomatiques avec l’U.R.S.S. en juin 194198, comme avec les gouvernements en exil de Belgique, de Norvège, des Pays-Bas, de Pologne et de Yougoslavie. Quant au Canada et aux Etats-Unis, ils ne rompent définitivement leurs relations diplomatiques qu’en novembre 1942, après l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes (les Etats-Unis, qui ont rappelé leur ambassadeur l’amiral William D. Leahy en avril 1942, date du retour au pouvoir de Pierre Laval, gardent néanmoins un chargé d’affaires jusqu’à cette date99). Ainsi, au début de 1944, le corps diplomatique reconnaissant le gouvernement du régime de Vichy comme représentant légal de l’Etat français est réduit aux Etats de l’Axe et aux Etats neutres d’Europe et d’Amérique. Il est intéressant de préciser que la Suisse y représente notamment les intérêts diplomatiques des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et de 17 autres Etats, soit presque la moitié de la population mondiale100 : une certaine effectivité du gouvernement du régime de Vichy demeure donc. 95 En juin 1940, le corps diplomatique se réunit à Bordeaux pour décider s’il suivrait le gouvernement français en Afrique, cas échéant ; il rejette cette option avec une certaine mollesse, selon Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 132ss. 96 Concernant la Grande-Bretagne : cf. Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., p. 82 et Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale. t.2 : L’Heure tragique, vol. 1 - La Chute de la France mai – décembre 1940, op. cit., p. 253. 97 C’est notamment le cas du Ministre de la légation suisse Walter Stucki, du nonce apostolique Valerio Valeri, l’Amiral Leahy, ambassadeur des Etats-Unis et d’Aleksandr Bogomolov, ambassadeur de l’U.R.S.S. : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., p. 76. 98 Communiqué de Vichy du 30 juin 1941 annonçant la rupture des relations diplomatiques avec l'U.R.S.S, Arch. Nat., Haute Cour de justice, vol. 7 et 9, 3W/284, III 2A1. 99 Il s’agit de Pinkney Tuck, dit Kippy Tuck, qui sera interné comme otage à Baden-Baden à partir de novembre 1942. C’est là que son homologue suisse le rencontrera, comme ce dernier le relate dans ses mémoires : Claude Caillat, Les coulisses de la diplomatie. France : Le Publieur, 2007, p. 60. 100 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 23. De surcroît, selon le témoignage de Walter Stucki, au 20 août 1944, 13 Etats sont représentés par des missions diplomatiques à Vichy, dont la Suisse, le Vatican, la Turquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Finlande, ainsi que l’Australie, qui garde jusqu’en août 1944 ses relations diplomatiques avec le régime de Vichy parallèlement aux autres relations diplomatiques qu’elle tisse avec le Gouvernement provisoire de la République française : in Ibid., p. 130. 35 La position helvétique ne souffre pas de remise en question : pour elle, il ne fait pas de doute que la souveraineté française demeure aux mains du gouvernement du régime de Vichy, malgré l’occupation de la zone libre par les forces allemandes en novembre 1942. Pour preuve, la légation de Suisse est toujours sur place et refuse l’invitation allemande du 17 août 1944 à quitter Vichy pour la zone nord, au motif qu’il serait ainsi contraire à la souveraineté que le siège de l’Etat soit transféré dans l’ancienne zone dite « occupée », d’autant plus que Philippe Pétain déclare qu’il ne quitterait pas volontairement Vichy et que, ce dernier étant prisonnier, la présence du Ministre suisse n’aurait plus d’objet101. Contrairement à la Suisse, les Etats alliés retirent leur reconnaissance au gouvernement de Vichy. Or, il apparaît que la raison de ce changement de position n’est pas à trouver dans le simple fait de l’occupation entière du territoire métropolitain. Certes, nous pouvons considérer qu’« à partir de 1943 […] la France occupée n’a plus de politique étrangère propre »102, notamment puisque le gouvernement n’a d’autre choix que de céder à la puissance occupante l’usage du chiffre et des courriers diplomatiques, attributs de tout gouvernement indépendant103. Cependant, au niveau interétatique, ce sont deux autres considérations qui motivent un revirement de reconnaissance : l’engagement nettement collaborationniste du gouvernement du régime de Vichy, mené par les personnalités 101 Ibid., p. 81. 102 Jean-Baptiste Duroselle, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours. France : Dalloz, 1993, p. 358. Le même auteur considère que l’appareil diplomatique de Vichy s’écroule à la fin 1943 in L’abîme 1939-1945. Paris : Imprimerie nationale, 1983, pp. 449ss. 103 Adolf Hitler avait lui-même exprimé l’intention selon laquelle « la souveraineté française sera reconnue, mais dans la seule mesure où elle servira nos intérêts. Elle sera supprimée dès l’instant où elle ne pourra plus être conciliée avec les nécessités militaires » : conférence à l’Oberkommando der Wehrmarcht du 23 décembre 1942, Document du Tribunal international de Nuremberg, in Eberhard Jäckel, La France dans l’Europe de Hitler. Paris : Fayard, 1968, cité d’après Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto. France : Flammarion, 1982, p. 264. Un an après, Joachim von Ribbentrop confirme cette position dans la lettre adressée à Philippe Pétain le 29 novembre 1943 : « le gouvernement allemand doit exiger catégoriquement que les dirigeants de l’Etat français engagent activement l’autorité qu’ils ne tiennent que de la générosité allemande […] » : in Le Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, au chef du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz du 8 décembre 1943, Arch. féd., document diplomatique non numérisé J I.131 1000/1395 Bd : 9 et Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°53. 36 extrémistes, d’une part104 et l’empêchement d’exercer ses fonctions de son chef d’Etat Philippe Pétain, d’autre part105. L’attitude des Etats-Unis est alors à mettre en exergue : ils considèrent ne pas être prêts à reconnaître le gouvernement du régime de Vichy comme le gouvernement de la France mais ils annoncent qu’ils ne reconnaîtront aucune autre entité tant que les choses restent en l’état. Sous prétexte d’objectifs de guerre et de non intervention dans les affaires d’un Etat tiers, les Etats-Unis, depuis la fin de 1942, sont déterminés à ne pas trancher et, dès lors, à considérer qu’à leurs yeux l’Etat français est dépourvu de gouvernement propre106. Le 21 novembre 1942, Franklin Roosevelt interpelle pour la dernière fois Philippe Pétain en le nommant d’égal à égal dans son message officiel l’informant du débarquement des armées alliées en Afrique du Nord107. Le Président des Etats-Unis considère effectivement le gouvernement du régime Vichy comme dorénavant faisant partie intégrante du système nazi : « Il est de notoriété publique que le territoire de la France métropolitaine, contrairement à la volonté du peuple français, est utilisé dans un degré toujours croissant pour les opérations militaires actives contre les Etats-Unis et que le régime de Vichy est désormais partie intégrante du système nazi. Le Gouvernement des États-Unis ne reconnaît pas Vichy ni ne reconnaîtra ou négociera avec un 104 « Ce qui vicie les actes du gouvernement de Vichy c’est son caractère de gouvernement de fait et plus encore son étroite subordination à l’Allemagne » : in Maurice Flory, Le Statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre : 1939-1946, op. cit., p. 53. 105 « Pétain n’a plus d’importance politique dans le sens actif du terme » : cette expression est récurrente dans la plupart des transmissions de l’O.S.S. au Président des Etats-Unis ; à titre d’illustration, cf. Document a54n01–a54n013, Office of Strategic Services March. 1944 Index, Box 4, Memo, William J. Donovan to the President, April 3, 1944, President's Secretary's Files, Safe Files : State Dept., 1944, Franklin D. Roosevelt Digital Archives. 106 A propos des territoires nord-africains sous contrôle des armées alliées : « People in the United Nations likewise would never understand the recognition of a reconstituting of the Vichy Government in France or in any French territory. We are opposed to Frenchmen who support Hitler and the Axis. No one in our Army has any authority to discuss the future Government of France and the French Empire. The future French Government will be established, not by any individual in metropolitan France or overseas but by the French people themselves after they have been set free by the victory of the United Nations. The present temporary arrangement in North and West Africa is only a temporary expedient, justified solely by the stress of battle. The present temporary arrangement has accomplished two military objectives. The first was to save American and British lives on the one hand, and French lives on the other hand. » : President Franklin D. Roosevelt's Statement on Political Arrangements in North Africa made by Lieut. Dwight D. Eisenhower, Allied Commander in Chief in North Africa, Department of State Bulletin, 17 novembre 1942, vol. 7, p. 935. 107 « Marshall Pétain, I am sending this message to you as the Chef d'Etat of the United States to the Chef d'Etat of the Republic of France » : Department of State Bulletin, 21 novembre 1942, vol. 7, n° 177, reproduit in International Law Studies series U.S. Naval War College, 1942, pp. 23-25. 37 représentant français dans les Antilles qui reste subordonné ou qui maintient le contact avec le régime de Vichy. »108 Dans ce contexte, la doctrine du gouvernement fantoche ou de marionnettes pourrait être invoquée109. Cette expression désigne un gouvernement qui tire son existence uniquement de par la volonté de l'occupant et doit ainsi être considéré comme un simple organe de l'occupant. Par voie de conséquence, le gouvernement de marionnettes n'a pas de plus grand droit dans le territoire occupé que celui de l'occupant lui-même110. Toutefois, nous ne pouvons invoquer cet argument pour invalider le régime. En droit international, les actes du gouvernement du régime de Vichy ne sont pas entachés d’illégalité du fait de sa non-marge de manœuvre en politique extérieure. Au regard du droit international, toute forme gouvernementale peut être l’objet d’influences politiques de la part d’une autre entité et l’on ne peut ainsi retenir la théorie des vices du consentement111. Comme nous l’avons déjà envisagé, quand bien même les actes seraient imposés par la violence, ils créent, à tout le moins, des situations de fait que le droit ne peut ignorer112. Ainsi, la thèse selon laquelle la nullité des actes du gouvernement 108 « It is a matter of common knowledge that the territory of Metropolitan France, contrary to the wish of the French people, is being used in an ever-increasing degree for active military operations against the United States and that the Vichy regime is now an integral part of the Nazi System. The Government of the United States does not recognize Vichy nor will it recognize or negotiate with any French representative in the Antilles who remains subservient to or maintains contact with the Vichy regime. » : Department of State Bulletin, er 1 mai 1943, vol. 8, n°201, reproduit in International Law Studies series U.S. Naval War College 1943, pp. 81-82 (notre traduction). 109 « The war fully unmasked and cast into the dust-heap of history the fiction of « puppet governments » : in Eugene Korovin, "The Second World War and International Law", The American Journal of International Law, vol. 40, n°4, octobre 1946, p. 745. 110 « The creation of puppet states or of puppet governments does not give them any special status under international law in the occupied territory. These organizations derive their existence from the will of the occupant and thus ought to be regarded as organs of the occupant. Therefore the puppet governments and puppet states have no greater rights in the occupied territory than the occupant himself. Their actions should be considered as actions of the occupant and hence subject to the limitations of the Hague Regulations » : in Raphaël Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe : Laws of Occupation, analysis of government, proposals for redress, op. cit., p. 11. 111 En l’absence de pressions observées sur les personnes, les pressions d’ordre politique ne sont pas constitutives de nullité des actes de gouvernement : Albert de Geouffre de Lapradelle, Principes généraux du Droit International, conférences / novembre 1928 - juin 1929. Paris : Centre européen de la dotation Carnegie pour la Paix internationale – 1930 ; Jan De Louter, Le droit international public positif. Oxford : Impr. de l'Université, 1920, vol. 2, p. 316. 112 Malgré la théorie contraire de la non-validité des traités imposés par la violence : Louis Le Fur, "Le développement historique du droit international", Règles générales du droit de la paix. Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye n°54. Martinus Nijhoff Publishers, 1935, pp. 21-194 et Georges Scelle, Précis de droit des gens - Principes et systématique. Paris : Sirey, t. 2, 1934, p. 60. A noter que la majeure partie de la doctrine ème siècle considère que le terme de « souveraineté », de la fin de la première partie du XX tout à fait adéquat dans sa connotation purement interne comme descriptif de la relation 38 du régime de Vichy remontent dès la formation du cabinet de Philippe Pétain (soit le 16 juin 1940 puisque ce dernier a comme intention première de demander l’armistice) ne peut pas être soutenue du point de vue du droit international. Elle présume effectivement que le gouvernement du régime de Vichy ne serait plus libre car passé sous statut de vassal ou d’entité sous protectorat.113 Or, nous pensons que le terme de vassalité n’est pas une appellation qui convienne au gouvernement du régime de Vichy du fait qu’il n’est pas, en droit, un fief du Reich114. Enfin, nous ne pouvons ignorer la thèse selon laquelle il importe peu, en droit international de l’époque, que le gouvernement établi d’un Etat « commette des actes contraires aux règles humanitaires ou à la morale internationale, ou même commette des actes illégaux : il est toujours le gouvernement légal »115. Le gouvernement, amputé de ces qualités proprio motu, ne cesse néanmoins pas de conserver sa représentativité internationale et s’ancre toujours dans la tradition de continuité juridique. A l’appui de cette position, citons l’Arbitrage Tinoco à l’occasion duquel, en 1923, l'arbitre américain William Taft estime que tous les engagements d’un régime lient l'Etat et ce même si le régime politique est constitutif d’un gouvernement de facto. Aussi William Taft peut-il considérer, en se fondant sur le principe coutumier de continuité de l’Etat, que tout engagement pris par un gouvernement qui, par la suite, cesse d’exister continue de lier l’Etat au nom duquel cet engagement est pris, même si le régime de ce gouvernement est le fait d’usurpateurs arrivés au pouvoir en violation des normes constitutionnelles116. entre un supérieur et un inférieur entre l'état et ses sujets, est toutefois inapplicable aux relations entre des Etats indépendants et égaux et doit être banni de la littérature du droit international, la théorie traditionnelle devant être révisée et reformulée pour se conformer à la pratique internationale réelle : voir l’abondante bibliographie citée par James W. Garner, "Limitations on National Sovereignty in International Relations", The American Political Science Review, vol. 19, n°1 (février 1925), p. 2. 113 Maurice Flory, Le Statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre : 1939-1946, op. cit., p. 53. Pour la définition de la vassalité, voir Henry Bonfils et Paul ème éd., Fauchille, Manuel de droit international public (droit des gens). Paris, A. Rousseau, 7 1914, pp. 122ss. 114 Quand bien même ce serait une notion retenue, nous indiquons, subsidiairement, que la vassalité ne détruit pas la souveraineté externe d’un gouvernement et n’invalide point les actes qu’il a pu émettre : voir Frantz Despagnet, Cours de droit international public, op. cit., p. 82. 115 Cezary Berezowski, "Les sujets non souverains de caractère transitoire – 1. Des guerres civiles", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 65, 1938/III, Martinus Nijhoff Publishers, p. 41. 116 Arrêt Grande Bretagne c. Costa Rica, 18 octobre 1923, Recueil des sentences arbitrales des Nations-Unies, vol. 1, p. 369 – à propos de la non reconnaissance du gouvernement révolutionnaire du Costa Rica par divers Etats, dont la Grande Bretagne ; « To hold that a government which establishes itself and maintains a peaceful administration, with the acquiescence of the people for a substantial period of time, does not become a de facto government unless it conforms to a previous constitution, would be to hold that within the 39 La posture internationale de Philippe Pétain, dès le 11 novembre 1942, suit cette optique. Il se présente alors comme le chef d’un Etat occupé, donc exceptionnellement « en exil partiel » et en « semi-liberté »117. Le choix terminologique est d’importance. Si la France combattante ou France Libre considère que 1942 sonne le glas de l’entière liberté du chef de l’Etat et de son gouvernement (car étant prisonnier et ne pouvant plus édicter d’acte valide, il entre ainsi dans une sorte de coma politico-institutionnel), Philippe Pétain soutient cependant une autre position selon laquelle il serait temporairement et limitativement, et surtout non-essentiellement, empêché. Il adopte, par conséquent, une posture sacrificielle qui n’est pas sans rappeler, sinon celle de Léopold III, le roi-prisonnier belge118, tout du moins celle du président de la République tchécoslovaque Emil Hácha, devenu président du protectorat de Bohême – Moravie après le démantèlement de son Etat, à la même période119. L’incapacité du gouvernement de Vichy, qui s’est déjà manifestée précédemment à diverses reprises, culmine après l’échec de la tentative de « grève du pouvoir » de novembre à décembre 1943120. Face à l’attitude de résistance de Philippe Pétain, Adolf Hitler parvient à imposer que la puissance occupante, déjà responsable du maintien de l’ordre et du calme public en France, instaure le devoir de soumettre toutes les modifications d’ordre législatif à l’approbation du Reich ainsi qu’un remaniement ministériel favorable à la collaboration, en invitant Philippe Pétain à démissionner s’il n’était pas prêt à s’y soumettre ou s’il se considérait comme empêché d’exercer ses fonctions. Philippe Pétain cède alors une fois encore et accepte de représenter l’Etat français auprès de l’occupant, aux côtés de Pierre Laval, en adoptant une politique officielle soumise à l’Allemagne. Cet épisode précurseur de la fin d’année 1943 illustre déjà les deux notions clés de l’épisode de Sigmaringen : la cessation des fonctions de rules of international law a revolution contrary to the fundamental law of the existing government cannot establish a new government » : in "Judicial Decisions Involving Questions of International Law - Arbitration between Great Britain and Costa-Rica", The American Journal of International Law, 1924, vol. 18, n°1, p. 154. er 117 Message du jour de l’An du 1 janvier 1942, cité in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir. Paris : La Couronne littéraire, 1949, pp. 125ss. ; Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., pp. 129ss. 118 Thomas J. Knight, "Belgium Leaves the War, 1940", The Journal of Modern History, vol. 41, n°1, mars 1969, pp. 46-67. 119 Hubert Beuve-Méry, "De l'accord de Munich à la fin de l'État tchéco-slovaque ?", Politique étrangère, 1939, vol. 4, n°2, pp. 135-154. 120 Concernant la crise politico-institutionnelle du gouvernement du régime de Vichy des novembre et décembre 1943, voir infra : chapitre 2, section 1. 40 chef de l’Etat sous la pression de l’occupant et le transfert des membres du régime en Allemagne. b) Le gouvernement de Vichy comme gouvernement de l’Etat souverain en guerre civile Suivant Roger Pinto, le juriste se doit avant toute chose de classer tout conflit armé complexe parmi les guerres civiles ou internationales121. Or, cette tâche est bien souvent difficile à accomplir, puisqu’il n’est pas exclu qu’un conflit, eu égard à sa complexité, puisse se transformer d’une guerre civile en une guerre internationale ou s’avérer être simultanément une guerre civile et une guerre internationale. L’aspect international de la guerre et ses effets concernant le statut de l’Etat français et du gouvernement du régime de Vichy ont été abordés. Il s’agit dès lors de se pencher sur la question de la qualification de guerre civile entre le gouvernement de Vichy et le Gouvernement provisoire de la République française selon le droit international en vigueur (1). Dans un second temps, nous présenterons la pratique de reconnaissance de belligérance de l’armée française (2) qui, à un moment donné, cristallise les ambiguïtés liées au statut de l’autoproclamé Gouvernement provisoire de la République française qui revendique le fait de mener la guerre au côté des Alliés au nom de la France. 1. La guerre civile en droit international entre le gouvernement de Vichy et le Gouvernement provisoire de la République française Une première source pour qualifier le conflit en question se trouve dans les normes de droit codifiées par la Société des Nations. Or, le Pacte de la Société des Nations ne prévoit pas expressément le cas d'une guerre civile. Certes, alors que son article 10 vise une guerre entre Etats en la déclarant explicitement illégale, l’artiche 11, quant à lui, traite de questions relatives aux conséquences d’une guerre civile, sans la nommer expressément. On a pu en déduire une contradiction entre les normes fondamentales du droit des gens, l’article 10 admettant implicitement la légalité de la guerre civile122. A l’occasion du Conseil de la Société des Nations du 11 mai 1938, Lord Halifax reconnaît 121 Voir en particulier Roger Pinto, "Les règles du droit international concernant la guerre civile", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 114, Martinus Nijhoff Publishers, 1965, p. 455. 122 Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", op. cit., pp. 117ss. 41 par conséquent qu’il faut se laisser guider par des principes généraux, le corpus juridique de la Société des Nations démontrant son incapacité à prévenir les agressions d’Etat et à encadrer efficacement les guerres civiles internes123, d’autant que les parties ne font pas appel à ses instances dans le cas d’espèce puisque les Etats de l’Axe ne font plus partie de la Société des Nations. Partant, il nous faut, pour identifier le statut de guerre civile du régime de Vichy en droit international, puiser dans d’autres sources du droit que celles codifiées dans le cadre de la Société des Nations. Considérant que la guerre civile est une lutte entre une autorité établie en fait qui entend se substituer à un gouvernement établi en droit en revendiquant sa sécession ou sa légitimation124, notre tâche est de déterminer si le face-à-face entre le gouvernement du régime de Vichy et celui du Gouvernement provisoire de la République française peut être qualifié de guerre civile125. Pour ce faire, il convient de déterminer si le Gouvernement provisoire de la République française est reconnu comme une autorité établie en fait qui vise à faire reconnaître sa légitimité en suppléant le gouvernement du régime de Vichy à la tête de l’Etat français. Comme nous l’avons précédemment observé, le droit international et la pratique des Etats instaurent une présomption de reconnaissance de jure en faveur du gouvernement établi. En l’occurrence, le Gouvernement provisoire de la République française ne peut acquérir un statut légal de représentant de l’ensemble de la République. Cependant, sur les territoires d’Outre-mer comme sur les quelques territoires progressivement libérés en France métropolitaine, il y est le pouvoir effectif, indépendamment de l’autorité des autres Etats : il constitue donc une autorité de fait. A ce titre, comme tout occupant, il n’est qu’un administrateur transitoire ou un gestionnaire des affaires courantes sur un plan local126. Nous pouvons en conclure que, d’une manière générale, l'exercice de sa compétence devrait être soumis au contrôle hiérarchique, contrairement à celle du gouvernant. Dès 123 Journal officiel de la Société des Nations, mai-juin 1938, p. 330. 124 Cezary Berezowski, "Les sujets non souverains de caractère transitoire – 1. Des guerres civiles", op. cit., p. 29. 125 Pour les éléments de constitution de la définition d’une guerre civile, voir Hans Wehberg, "La guerre civile et le droit international", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 63, Martinus Nijhoff Publishers, 1938, p. 39. 126 « Le gouvernement de fait n'est en somme, comme tout occupant, qu'un administrateur précaire, ou, si l'on veut, un expéditeur des affaires courantes » in Georges Scelle, "Règles générales du droit de la paix", Recueil des cours à l’Académie de Droit International de La Haye, vol. 46, Martinus Nijhoff Publishers, 1933, p. 384. La transformation du gouvernement de fait local en gouvernement de fait général est présentée par Albert Geouffre de la Pradelle, Recueil des arbitrages internationaux, tome I : 1798-1855. Paris : Pédone, 1905, p. 466. 42 lors, il doit obéir au principe de contrôle d'opportunité qui implique le droit de réformer, voire d’interdire, les actes juridiques qu’il pourrait émettre. En l’occurrence, l’autorité qui lui est supérieure reste, en territoire combattant libéré, la puissance militaire alliée. En ce qui concerne le territoire non-combattant, le souverain qui lui est supérieur sera en principe le corps électoral et les pouvoirs institués car il se prévaut de principes républicains. C’est grâce à la notion de nécessité que le gouvernement de fait127 verra son vice originaire ultérieurement régularisé par une « constitutionnalisation » ou une ratification des gouvernés128. Par voie de conséquence, le Gouvernement provisoire de la République française ne jouit pas de statut stable similaire à celui d’un gouvernant en août 1944, bien qu’il bénéficie d’une certaine reconnaissance des Etats alliés. Rappelons ici que le gouvernement du régime de Vichy ne peut pas bénéficier de son côté du statut de gouvernement de fait, mais reste en principe le gouvernement de jure privé temporairement de ses compétences en temps de guerre et en particulier d’occupation129. Le pouvoir de facto est dès lors passé entre les mains de l’occupant qui exerce encore en août 1944 sa puissance de contrainte et entre celles du Gouvernement provisoire de la République française sur les territoires qu’il contrôle effectivement130. L’affrontement entre les deux entités révèle de ce fait la fragilité de leurs positions respectives. Cette conception dualiste transitoire des pouvoirs locaux, ressemblant à des systèmes fédéralistes, nous paraît en profonde rupture avec la conception française désormais établie d’un pouvoir centralisé et ne peut satisfaire ni le Gouvernement provisoire de la 127 Le gouvernement de fait est le gouvernement qui a autorité sur un territoire en contradiction avec la Constitution en vigueur : Gemma Scipione, "Les gouvernements de fait", Recueil des cours à l’Académie de droit international de La Haye, t. 4, 1924, III, p. 307. 128 « Les actes accomplis pendant la période de gouvernement de fait […] reçoivent des circonstances elles-mêmes une valeur juridique, au moins dans de certaines limites » : in Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", op. cit., pp. 108-109. Après la Commune de Paris, la Cour de Cassation a elle-même défini qu’« en droit, le gouvernement légal qui triomphe d’une insurrection est seul investi du droit de reconnaître ou d’annuler, autant qu’il le jugera utile pour le bien public, les actes accomplis par les insurgés » : Cass. Req., Affaire S., 27 novembre 1872, Recueil périodique et critique mensuel Dalloz, 1873, I, p. 203. 129 Contrairement à l’interprétation d’Emmanuel Cartier, qui comprend le gouvernement de Vichy comme un « gouvernement de fait légitime local » à mesure que les autorités du Gouvernement provisoire de la république française prennent possession du territoire. Il relève même que ces dernières deviennent dès lors un « gouvernement de fait général » in Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., p. 216. 130 Hersch Lauterpacht, "De Facto Recognition, Withdrawal of Recognition, and Conditional Recognition", British Yearbook of International Law, n°22, 1945, p. 171 ; du même auteur, "Recognition of Governments : I", Columbia Law Review, vol. 45, n°6, novembre 1945, pp. 825ss. 43 République française, ni le gouvernement du régime de Vichy. En outre, d’autres critères, nécessaires pour que la reconnaissance de jure de l’autorité de fait soit pleine et entière, ne sont pas encore remplis en août 1944. Seulement si ces conditions, c’est-à-dire l’acceptation du nouveau régime par la majeure partie de la population et la volonté de respecter les engagements internationaux, se réalisent, la reconnaissance de jure pourra être accordée. Dans le cas contraire, il faut entendre la reconnaissance de facto comme une reconnaissance limitée qui devrait à terme être retirée131. Aussi peut-on comprendre que la reconnaissance de facto est autant une consécration qu’une menace conditionnelle puisqu’elle est relative à un état qui devrait prendre fin. En l’occurrence, il s’agit donc d’un véritable cas-limite de la reconnaissance de pouvoir de facto, car il y a lieu d’appréhender les entités qui occupent une zone territoriale et s’y font obéir comme en possession d’une compétence similaire à une occupatio bellica sur le plan international132. Quant à la question de la revendication de légitimité de l’autorité de fait, si elle reste importante au niveau symbolique, elle a perdu sa pertinence entre-deux-guerres. Pourtant, elle a été dans le passé une condition nécessaire à la qualification de la guerre civile en reconnaissant l’autorité installée de facto, permettant à terme celle de sa reconnaissance de gouvernement de jure133. Toutefois, ce critère de revendication de légitimité est abandonné après la Première Guerre mondiale. Dans cette période pendant laquelle, en Europe et ailleurs, des systèmes de gouvernement autoritaires s’instaurent tout en respectant scrupuleusement les procédures légales voire démocratiques, le standard de reconnaissance de gouvernement en droit international devient celui de l’effectivité du pouvoir, concurremment avec un degré suffisant de stabilité et de 131 Hersch Lauterpacht, "De Facto Recognition, Withdrawal of Recognition, and Conditional Recognition", op. cit., p. 171. 132 Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", op. cit., p. 117. 133 Cette revendication devait être présente au préalable (l’entité ayant comme objectif d’être reconnue comme légitime en droit international), mais aussi a posteriori, comme sanctionnée par le droit positif (l’entité ayant été légitimée en droit interne). Rappelons que ème République avait lui-même connu l’obstacle de cette condition le gouvernement de la III de légitimation : en effet, lorsque le Gouvernement provisoire de la République française nouvellement proclamé le 4 septembre 1870 avait cherché à être reconnu par les Etats tiers, la Grande-Bretagne lui avait opposé de n’avoir aucune sanction légale tant qu'il n'avait pas été élu par l'Assemblée Constitutive, même si la Suisse suivant les Etats-Unis s’était empressée de reconnaître le nouveau régime ; « La Suisse a toujours reconnu le droit de libre constitution des peuples. La France s’étant constituée en République aux acclamations du pays tout entier, le Conseil Fédéral n’hésite pas un instant à appliquer ce principe au nouveau Gouvernement de la France. » : in Le Ministre de Suisse à Paris, J. C. Kern au Conseil fédéral du 9 septembre 1870, in Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 2 (1866-1872), n°287. 44 perspective raisonnable de permanence et non plus, principalement, la volonté de respecter les obligations internationales de l’Etat ou la légitimité de son origine134. Comme l’exprime le juriste Luis A. Podestà Costa : « Dans le droit public international moderne, le concept de la légitimité a été remplacé par celui de l’effectivité du gouvernement à l’effet de subsister et d’accomplir comme tels les ordres de la nation et les devoirs de la vie commune internationale. Le gouvernement de facto est une autorité de fait qui émane expressément de la volonté nationale, quelle que soit la forme dans laquelle celle-ci se sera manifestée. »135 En conséquence, c’est conformément au seul test d'efficacité que le Comité français de libération nationale, formellement fondé à Alger le 3 juin 1943136, est reconnu par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en août 1943 comme administrateur de territoires reconnaissant son autorité137. Il n’est ainsi pas reconnu comme l’unique gouvernement provisoire de l’Etat français et ceci malgré le nom de Gouvernement provisoire de la République française qu’il utilise dès avant la libération du territoire138. La revendication de légitimité reste donc un argument politique pour le Gouvernement provisoire de la 134 Hersch Lauterpacht, "Recognition of Governments : II. The Legal Nature of Recognition and the Procedure of Recognition", op. cit., p. 37 ; Georges Scelle, "Chronique des faits internationaux : Mexique", Revue générale de droit international public, n°21, 1914, pp. 117132. C’est ainsi qu’en 1938 les Etats-Unis reconnaissent de jure le gouvernement révolutionnaire de l’Equateur sur le fondement qu’il semble « apparemment fermement établi », les changements internes ne produisant pas d’effet dans les relations diplomatiques entre Etats (Hersch Lauterpacht, "Recognition of Governments : I", op. cit., pp. 858). Il n'y a, de même, aucune référence au consentement de la majorité de la population quand en 1939, à la fin de la guerre civile espagnole, la Grande-Bretagne reconnaît de jure le gouvernement nationaliste de Franco : le consentement formel de la population à l’établissement et à l’autorité d’un gouvernement devient, entre les deux guerres, implicite voire ambigu (Ibid, pp. 860-861). 135 Luis A. Podestà Costa, "Règles à suivre pour la reconnaissance d'un gouvernement de facto par des états étrangers", Revue générale de droit international public, n°29, 1922, pp. 52ss. 136 « Le comité est le pouvoir central français […] il exerce la souveraineté française […] il assume la gestion de la défense de tous les intérêts français dans le monde […] jusqu’à ce que le comité ait pu remettre ses pouvoirs au futur Gouvernement provisoire de la République française de la République, il s’engage à rétablir toutes les libertés françaises, les lois de la République, le régime républicain et à détruire entièrement le régime d’arbitraire et de pouvoir personnel imposé aujourd’hui au pays » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., pp. 370ss. 137 Departement of State Bulletin, vol. 9, n°218, 28 août 1943 reproduit in International Law Studies series U.S. Naval War College, 1943, p. 74 ; voir de même Alfred Vagts, "Military Command and Military Government", Political Science Quarterly, vol. 59, n°2, juin 1944, p. 250. 138 Voir les débats à l’Assemblée consultative provisoire du 15 mai 1944, Journal officiel de la er République française, 1 juin 1944 ; Ordonnance transformant le Comité français de libération nationale en Gouvernement provisoire de la République française du 3 juin 1944 ; cf. Documents des Foreign Relations of the United States (FRUS), United States Department of State Foreign Relations of the United States diplomatic papers, 1944. The British Commonwealth and Europe, U.S. Government Printing Office, 1944, col. 3, pp. 685ss. 45 République française. Cette référence est laissée temporairement de côté par les grandes puissances alliées. Or, celles-ci auraient dû rester attentives à concilier le droit fondamental de chaque Etat à déterminer sa propre forme de gouvernement et le droit des autres Etats individuellement comme de la communauté des Etats vue comme un ensemble de pouvoir être lié à des gouvernements responsables qui représentent la volonté de leur population et non d’un groupe minoritaire139. 2. La reconnaissance de belligérance des forces du Gouvernement provisoire et ses conséquences Il est à noter que, malgré la convention d’armistice qui considère les troupes armées françaises comme des francs-tireurs non protégés par le droit de la guerre140 et le fait que le Comité français de libération nationale et ses formes ultérieures n’ont jamais été reconnus par les puissances de l’Axe comme combattant légitime141, le Comité International de la Croix Rouge obtient pendant toutes les hostilités que, sur le terrain, ceux qui luttent « aux côtés d’un État reconnu par l’ennemi comme belligérant régulier » obtiennent le statut de prisonniers de guerre142. Afin de comprendre comment la reconnaissance de belligérance s’est construite, nous allons en présenter le principe (a) avant d’en présenter la pratique par les Alliés anglo-saxons (b). Ensuite, nous mettrons en évidence la manière dont l’ambiguïté de la reconnaissance a été utilisée par d’autres Etats parties au conflit pour anticiper la reconnaissance de gouvernement de facto du 139 D’après les débats relatifs à la Résolution du Comité de Défense Nationale, prise à Montevideo le 24 décembre 1943 : voir Charles G. Fenwick, "The Recognition of New Governments Instituted by Force", The American Journal of International Law, vol. 38, n°3, juillet 1944, p. 452. 140 Lester Nurick et Roger W. Barrett, "Legality of Guerrilla Forces Under the Laws of War", The American Journal of International Law, vol. 40, n°3, juillet 1946, pp. 580ss. : l’article conclut que la doctrine n’est pas uniforme au sujet de la nature précise des forces combattantes de guérillas ; Richard R. Baxter, "So-called “Unprivileged Belligerency” : Spies, Guerrillas, and Saboteurs", British Yearbook of International Law, n°28, 1951, pp. 333ss. Le texte de l’armistice est le suivant : « Le Gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre l'Allemagne au service d'États avec lesquels l'Allemagne se trouve encore en guerre. Les ressortissants français qui ne se conformeraient pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme francs-tireurs » : in article 10 al. 3, Ministère des affaires étrangères, Documents diplomatiques français, Les armistices de juin 1940. Bruxelles [etc.] : Peter Lang, 2003, n°69. 141 Eugène Martres, "Points de vue allemands sur Résistance et Maquis", in François Marcot [Dir.], La Résistance et les Français: lutte armée et maquis : actes du colloque international de Besançon 15-17 juin 1995. France : Presses Universitaires de Franche-Comté, 1996, vol. 617, pp. 193-194. 142 Jean Pictet [Dir.], Commentaire de la Troisième convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre. Genève : Comité International de la Croix-Rouge, 1958, p. 70. 46 Gouvernement provisoire de la République française et comment cette vision s’est imposée (c), tout en soulignant enfin que la Résistance n’a jamais pu accéder à une reconnaissance pleine et entière et par voie de conséquence à une protection internationale de plein droit (d). 2 – a Liminaires sur la reconnaissance de belligérance Tout d’abord, il convient de souligner la possible confusion qui provient du fait que « la reconnaissance de belligérance » a parfois été désignée « reconnaissance de facto » parce qu’il y a, ex hypothesi, reconnaissance de personnes se comportant de facto comme des belligérants et de ce fait comme détenant quelques attributs de structure de l'État143. Or, comme nous l’avons précisé, il est admis que dans le cas d'une guerre civile ou d’une guerre de sécession, il est contraire au droit international de l’époque d’accorder la reconnaissance pleine à la partie qui s’oppose au gouvernement en place. En effet, la reconnaissance de facto est, et c’est une tautologie, fondée sur un fait, non pas sur une spéculation de réussite des insurgés. De là, la crainte des reconnaissances prématurées144 : tant que la question n'a pas été réglée définitivement en faveur du parti indocile, la reconnaissance est considérée comme hâtive et de ce fait illégale145. En d’autres termes, jusqu'à ce que l’une des parties s’impose et que l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce que sa position soit solide et permanente, ceux qui s’opposent aux institutions en place restent légalement soumis au gouvernement de l'Etat qu’ils cherchent justement à combattre146. Pour savoir en quoi consiste la reconnaissance de belligérance, il convient de se référer au Règlement de l’institut de droit international concernant les conflits armés non 143 Thomas Baty, "So-Called « De Facto » Recognition", op. cit., pp. 470ss. 144 Hersch Lauterpacht, "Recognition of Insurgents as De Facto Government", The Modern Law Review, vol. 3, n°1, juin 1939, pp. 6ss. ; Hersch Lauterpacht, "Recognition of Governments : I", op. cit., pp. 22ss. ; « La reconnaissance, pas seulement de la possession par intérim, mais de l’indépendance définitive d’un peuple en insurrection illégitime ou de celle d’un usurpateur, serait un outrage fait au souverain légitime, tant qu'il n'a pas renoncé ou qu'il ne doit être censé avoir renoncé à ses droits de souveraineté » : in Jean-Louis Klüber, Droit des gens moderne de l’Europe. Tome 1. Paris : Aillaud, 1831, paragr. 23. 145 Cette reconnaissance prématurée, qui préjuge du dénouement de la guerre civile, constitue un abus du pouvoir de reconnaissance aux yeux de Hersch Lauterpacht, "Recognition of Governments : I", op. cit., p. 823. 146 William Hall, A Treatise on International Law, op. cit., p. 105. 47 internationaux dits mouvements insurrectionnels ou guerres civiles de 1900147. Celui-ci opère, d’une part, une distinction entre insurgés et belligérants et pose, d’autre part, le principe de non-intervention dans une guerre civile148. Ainsi, selon son article 8, une partie révoltée doit, pour être reconnue comme belligérante par les Etats tiers, contrôler une partie du territoire national, agir comme un gouvernement souverain sur celui-ci et mener des combats dans le strict respect de la discipline militaire et du droit de la guerre. En d’autres termes, tant qu’elle n’est qu’insurgée, elle ne dispose d’aucun droit reconnu en droit international malgré la lutte sur le terrain contre l’autorité instituée. Cependant, dès qu’elle est reconnue explicitement voire implicitement comme belligérante, c’est-à-dire dès qu’elle a acquis une certaine stature et qu’elle est mise en place, elle devient sujet de droit et de devoir international et les Etats tiers peuvent à ce moment-là s’impliquer dans le conflit. La reconnaissance est envisageable, cependant est-elle pour autant due ? Pour une partie de la doctrine, elle ne va pas de soi et n’est pas non plus un droit pour les insurgés149. D’aucuns insistent toutefois sur la gravité de la situation et soutiennent qu’il n’y a pas de demi-reconnaissance, toute reconnaissance devant être claire et complète puisque le droit international ne reconnaît aucun état de « chrysalide » ; d’après ce point de vue strict, si l’entité concurrente au gouvernement institué n'a pas complètement remplacé le gouvernement précédent, elle ne doit pas être reconnue du tout, mais si elle l'a complètement remplacé elle constitue de ce fait un gouvernement comme tous les autres150. Selon cette opinion, la reconnaissance de belligérance de la part d’Etats tiers implique par conséquent un pas, sinon tout à fait définitif tout au moins non-équivoque, en faveur de la reconnaissance de la guerre civile dans un Etat donné. En état de cause, pour une autre partie de la doctrine suivant Georges Scelle, la reconnaissance de belligérance des Etats tiers serait due car elle serait une compétence liée qui « ne pourrait être refusée que si les insurgés, par leur conduite ou par leurs déclarations, répudiaient les normes générales du droit des gens, se mettaient eux-mêmes hors de la communauté 147 Règlement sur les Droits et devoirs des Puissances étrangères, au cas de mouvement insurrectionnel, envers les gouvernements établis et reconnus qui sont aux prises avec l’insurrection, Institut de droit international, rapporteurs : Arthur Desjardins et Marquis de Olivart, session de Neuchâtel, Annuaire de l’Institut de droit international, 1900, vol. 18, p. 229. 148 Pour Louis Erasme Le Fur, ce dernier principe prévaut autant que celui de la neutralité face à une guerre entre Etats : voir Louis Erasme Le Fur, La Guerre d’Espagne et le droit. Paris : éd. internationales, 1938, pp. 33ss. 149 Vernon O’Rourke, "Recognition of Belligerency and the Spanish War", The American Journal of International Law, vol. 31, n°3, juillet 1937, p. 402. 150 Thomas Baty, "So-Called « De Facto » Recognition", op. cit., p. 470. 48 internationale »151. En l’absence de traces écrites, nous nous permettons d’interpréter le silence de la quasi-totalité des Etats tiers face aux rebelles en Espagne en 1936 comme un refus de reconnaissance motivé par ces mêmes justifications. Effectivement, hormis l’Italie et l’Allemagne qui ont reconnu le gouvernement révolutionnaire en novembre 1936152, la majorité des grandes nations ne leur reconnaissent pas le statut de belligérants153 et ce jusqu’au 27 février 1939 où la France reconnaît le régime franquiste de jure. La conduite inadéquate des insurgés ne leur aurait, par conséquent, pas permis d’être reconnus préalablement. C’est aussi parce que les gains de la reconnaissance de belligérance sont inégaux que son usage s’est révélé de plus en plus limité. En effet, la reconnaissance de belligérance de la part d’Etats tiers ne confère pas seulement aux insurgés les droits de belligérance : elle les confère en même temps au gouvernement légitime154. Si un tel statut attribue à l’autorité insurgée une autorité morale, pour le gouvernement établi au contraire, il met en évidence que ce dernier est contesté et n’a pas la puissance de rétablir l’ordre public. En outre, les Etats tiers sont en mesure de saper l'indépendance des Etats en œuvrant à paralyser les efforts que ces derniers entreprennent pour réprimer une révolte155. Quant à la teneur de l’implication des Etats tiers, la doctrine est unanime sur le principe que leur gouvernement se doit d’adopter une stricte neutralité et de s’abstenir de toute participation active à la lutte : en principe, un secours d’ordre militaire est interdit en droit international156. Cependant, ils peuvent intervenir de diverses manières, comme accueillir des réfugiés sur leur territoire et, pour des raisons pratiques, entretenir des liens avec une autorité insurgée sans pour autant que cela implique une reconnaissance de facto de cette dernière entité. Il n'y a, dès lors, aucune objection légale au maintien des canaux normaux de communication avec une autorité qui s'est établie dans une partie 151 Georges Scelle, "Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international", op. cit., pp. 117ss. 152 New-York Times, 19 novembre 1936, p. 1. 153 Vernon O’Rourke, "Recognition of Belligerency and the Spanish War", The American Journal of International Law, vol. 31, n°3, juillet 1937, p. 399. 154 Hans Wehberg, "La guerre civile et le droit international", op. cit., p. 85. 155 Voir sur ce dernier aspect l’opinion du rapporteur Arthur Desjardins in Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 17, 1898, p. 76. 156 « Toute intervention dans une guerre civile constitue une atteinte au droit des peuples de régler eux-mêmes leurs propres affaires avec une entière indépendance. Le fait que l'une des parties sollicite l'intervention n'est nullement de nature à la rendre légitime, alors même que la demande émanerait du gouvernement établi. » : in Carlos Wiesse, Le droit international appliqué aux guerres civiles. Lausanne : B. Benda, 1898, p. 86. 49 considérable du territoire du pays concerné et dont les activités, notamment marchandes, affectent les intérêts d'Etats étrangers. Dans le pays déchiré par une guerre civile, nul ne peut contester qu’il y ait deux autorités effectives ; néanmoins, on ne peut identifier le maintien régularisé de relations diplomatiques et commerciales avec un processus significatif de reconnaissance157. En réalité, plus encore que la reconnaissance d’un gouvernement de facto, la reconnaissance de belligérance est surtout celle de l’existence de la guerre civile158. Le gouvernement de facto local ne possède pas de personnalité internationale comme s’il était gouvernement de jure. Pourtant, par le biais de la reconnaissance de belligérance, il acquiert une subjectivité internationale limitée et transitoire, pour autant qu’il poursuive la lutte159. 2 – b La reconnaissance anglo-saxonne de belligérance Concrètement, dès le 27 juin 1940, Winston Churchill reconnaît Charles de Gaulle comme « chef des Français libres »160, avant que ce dernier ne se proclame « chef de la France Libre » puis « gérant provisoire des intérêts de la nation », à Brazzaville161. Le 7 août 1940, la Grande-Bretagne reconnaît plus précisément la France Libre comme seule organisation qualifiée pour représenter la France en guerre dans un accord fondateur Churchill – de Gaulle signé par René Cassin et William Strang162. Cet accord permet la création d’une force navale, de terre et aérienne sous le commandement des forces 157 Hersch Lauterpacht, " Implied recognition", British Yearbook of International Law, n°21, 1944, p. 147. 158 Herbert Arthur Smith, "Some Problems of the Spanish Civil War", British Yearbook of International Law, n°18, 1937, p. 18. 159 Cezary Berezowski, "Les sujets non souverains de caractère transitoire – 1. Des guerres civiles", op. cit., pp. 45ss. 160 Winston Churchill interpelle Charles de Gaulle le 13 juin 1940 en le nommant en français « l’homme du destin » et le considère même, le 16 juin 1940, comme le « Connétable de France » : in Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale. t. 2 : L’Heure tragique, vol. 1 - La Chute de la France mai – décembre 1940, op. cit., p. 192 et p. 226. Voir également La reconnaissance du général de Gaulle par le Gouvernement britannique, 27 juin 1940, Bulletin officiel des Forces Françaises Libres, n°1, 15 août 1940, p. 1. 161 Accord du 7 août 1940, Bulletin officiel des Forces Françaises Libres n°1 du 15 août 1940, p. 2. La France Libre comme « gérante inébranlable » des intérêts de la France se transformera en France combattante pour intégrer tous les combattants en France métropolitaine et dans l’Empire : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., p. 218. A relever toutefois que la Grande-Bretagne ne refuse pas pour autant de rompre ses relations diplomatiques avec Vichy : voir Pierre Queuille, Histoire diplomatique de Vichy : Pétain diplomate. Paris : Albatros, 1976, pp. 9ss. 162 Bulletin officiel des Forces Françaises Libres, n°1, Londres, 15 août 1940 ; Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., p. 167. 50 britanniques163 et d’une administration française distincte164. « Charte de la France Libre » pour Cassin165, les accords du 7 août 1940 ont une portée politique, symbolique et diplomatique sous la tutelle militaire et juridique britannique et sont ainsi une première étape de reconnaissance de belligérance166. Dès lors, les différentes structures successives de la France Libre (le Comité national de la France Combattante en 1942, puis le Comité français de libération nationale en 1943 et enfin le Gouvernement provisoire de la République française avant le débarquement de 1944) acquièrent une personnalité internationale temporaire167. En effet, à partir du moment où, dès le 10 septembre 1941, la Grande-Bretagne reconnaît en Charles de Gaulle le chef de tous les Français libres où qu’ils soient168, elle peut, 16 jours plus tard, considérer le Comité national français169 comme représentant de tous les Français libres soutenant la cause des Alliés. L’expression met un point d’orgue à la reconnaissance de belligérance : elle permet aux Alliés d’être en mesure de demander l’assistance de la France Libre, notamment d’un point de vue militaire, dans leur effort de guerre. C’est ainsi qu’il nous faut interpréter la position du gouvernement des Etats-Unis quand, les 11 et 24 novembre 1941, il annonce que la défense des territoires français sous le contrôle des er 163 Selon le mémorandum d’accord du 1 juillet 1940 annexé aux échanges de lettres du 7 juillet 1940 entre Winston Churchill et Charles de Gaulle : Great Britain, Treaty Series, France n°2, 1940, Cmd. 6220. 164 Minute by R. M. Makins, Archives nationales de Grande-Bretagne, Londres, FO 371/26451/C6163/G, 7 juin 1941. 165 René Cassin, Les Hommes partis de rien : le réveil de la France abattue (1940-41). Paris : Plon, 1974, pp. 105-116 166 Selon les termes du Règlement sur les Droits et devoirs des Puissances étrangères, au cas de mouvement insurrectionnel, envers les gouvernements établis et reconnus qui sont aux prises avec l’insurrection, Institut de droit international, rapporteurs : Arthur Desjardins et Marquis de Olivart, session de Neuchâtel, Annuaire de l’Institut de droit international, op. cit., p. 229. Voir aussi Hersch Lauterpacht, Recognition in International Law. Cambridge University Press, 1947, p. 175 et du même auteur, "Recognition of Governments : I", op. cit., p. 864 et "Recognition of Governments : II. The Legal Nature of Recognition and the Procedure of Recognition", op. cit., pp. 52ss. 167 Il s’agit d’une reconnaissance de belligérance qui attribue une personnalité juridique internationale à l’entité contrôlant de facto une partie du territoire s’y comportant comme un gouvernement régulier. Au sujet du statut des belligérants en droit international à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, voir en particulier Cezary Berezowsky, "Les sujets non souverains de caractère transitoire – 1. Des guerres civiles", op. cit., pp. 27ss. 168 Anthony Eden, 10 septembre 1941 devant le Parlement, Parliamentary Debates : Official Report n°374, 1940-1941 (House of Commons), p. 159. 169 Parliamentary Debates : Official Report n°376, 1940-1941 (House of Commons), p. 727 - A l’occasion de la Première puis de la Deuxième Guerre mondiale, le droit voit apparaître en effet de nouvelles entités : les Comités nationaux. A l’instar du Comité national tchèque et du Comité national polonais, établis en France, le Comité national français s’installe à Londres en 1941. 51 forces des Français Libres est vitale pour la défense des Etats-Unis170. La reconnaissance de belligérance se révèle donc être un élément de stratégie militaire des Alliés anglo-saxons. On comprend aisément que, le 9 juillet 1942, le gouvernement des Etats-Unis reconnaisse « la contribution du général de Gaulle et les efforts du Comité national français afin de maintenir vivant l’esprit traditionnel de la France et de ses institutions, percevant le Comité national français comme symbole de la résistance française contre l’Axe »171, tout en précisant prudemment que, pour les États-Unis comme pour la Grande-Bretagne, le destin et l’organisation politique de la France doivent être déterminés par l’expression de l’opinion de la majorité des Français sans aucune forme de coercition et que les Etats-Unis, poursuivant des objectifs militaires communs, continueront à traiter avec les Français Libres sur les territoires que ces derniers contrôlent effectivement, portant assistance aux forces militaires et navales, sans préjuger de la légitimité de la représentation de la France Libre pour l’Etat français conformément au principe d’efficacité172. Les Etats-Unis conservent cette attitude mesurée173 quand ils déclarent, le 26 août 1943, uniquement considérer le Comité français de libération nationale comme administrateur des territoires d’Outre-mer qui reconnaissent son autorité, en lui soumettant la condition 170 « For the purposes of implementing the authority conferred upon you as Lend-Lease Administrator by Executive Order n°8926, dated Oct. 28, 1941, and in order to enable you to arrange for lend-lease aid to the French Volunteer Forces (Free French) by way of retransfer from His Majesty's Government in the United Kingdom or their allies, I hereby find that the defence of any French territory under the control of the French Volunteer Forces (Free French) is vital to the defence of the United States. » : in Times, Nov. 25, 1941, p. 1 ; U.S. Department of State, Publication 1983, Peace and War: United States Foreign Policy, 19311941. Washington, D.C.: U.S., Government Printing Office, 1943, pp. 98-117. 171 Departement of State Bulletin, vol. 7, n°159, 11 juillet 1942 reproduit in Naval War College (US), International Law Studies series U.S. Naval War College. Newport : Naval War College, 1942, pp. 160-161 ; Communiqué du Gouvernement des Etats-Unis publié à Washington le 9 juillet 1942, reproduit in Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 2 : L’Unité, documents. Paris : Plon, 1956, pp. 337-339. 172 Charles de Gaulle remarque en 1944 qu’« il est avantageux [aux yeux de la GrandeBretagne] que la souveraineté française demeure quelque peu nébuleuse. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 451. 173 Pour une étude plus nuancée des attitudes des protagonistes nord-américains, voir Chantal Morelle et Maurice Vaïsse, "La reconnaissance internationale : des enjeux contradictoires" in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994, op. cit., pp. 855-878. 52 qu’il doive continuer à se soumettre aux exigences militaires des commandants alliés174. La Grande-Bretagne adopte le même jour ce modèle175. Depuis le ralliement des Antilles au Comité français de libération nationale176, les évènements militaires s’accélèrent assurément : le 25 juin 1943, Benito Mussolini est arrêté et du 10 au 17 août, les Alliés débarquent en Sicile. Le Comité français de libération nationale n’est pas invité lors de la cérémonie de signature de l’armistice de l’Italie (dit de Cassibile) du 8 septembre 1943 auprès des Alliés souverains177. En effet, bien que, fin 1943, quarante Etats (dont les gouvernements des Etats en exil : la Norvège, la Grèce, la Pologne, le Chili et la Belgique) reconnaissent le Comité français de libération nationale comme l’autorité de fait menant la guerre au nom de la France et des Français178, le Comité n’est toujours pas l’égal des gouvernements tiers. De même, le Gouvernement provisoire de la République française qui le remplace n’est pas considéré comme belligérant régulier au sens du droit international au même titre que les représentants d’Etat, c’est-à-dire qu’il ne bénéficie pas d’une reconnaissance internationale comme gouvernement de jure malgré le succès de son initiative. A peine est-il reconnu comme autorité locale de facto sur certaines parties 174 « Cette déclaration ne constitue pas de reconnaissance d'un gouvernement de France ou de l'Empire français par le Gouvernement des États-Unis. Il constitue véritablement la reconnaissance du Comité français de libération nationale comme fonctionnant dans des limitations spécifiques pendant la guerre. Plus tard le peuple de la France, librement et sans entrave, continuera en temps utile à choisir son propre gouvernement et ses propres représentants officiels pour l'administrer. » [notre traduction] : in Departement of State Bulletin, vol. 9, n°218, 28 août 1943 reproduit in Naval War College (US), International Law Studies series U.S. Naval War College. Newport : Naval War College, 1943, p. 74 ; voir de même Alfred Vagts, "Military Command and Military Government", op. cit., p. 250. 175 « Aux yeux de la Grande-Bretagne, le Comité est l’organisme qualifié pour exercer la conduite de l’effort français dans la guerre » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 400. 176 « Le ralliement des Antilles achevait l’accomplissement d’un grand dessein national, entrevu ème République, adopté par la au cours du désastre par le dernier gouvernement de la III France Libre immédiatement après les « armistices » et, depuis lors, poursuivi coûte que coûte, mais auquel les gouvernants de Vichy, répondant, consciemment ou non, aux intentions de l’ennemi, s’étaient opposés sans relâche. Sauf l’Indochine, que le Japon tenait à sa merci, toutes les terres de l’Empire avaient maintenant repris la guerre pour la libération de la France. » : in Ibid., p. 393. 177 Ruggero Zangrandi, 1943 : 25 luglio - 8 settembre. Milan : Feltrinelli, 1964, p. 1183 ; « Tout en constatant volontiers notre redressement, tout en s’entendant avec nous lorsque cela est utile, Washington affectera, aussi longtemps que possible, de considérer la France comme une jachère et le gouvernement de Gaulle comme un accident incommode, auquel n’est pas dû, en somme, ce que l’on doit à un Etat. » : in Albert N. Garland et al., Sicily and the surrender of Italy. Washington : Office of the chief of military history Department of the Army, 1965, pp. 450ss. 178 André Kaspi et Ralph Schor, La Deuxième Guerre mondiale : chronologie commentée. Bruxelles : Complexe, 1995, p. 371. 53 du territoire français179, malgré l’ambiguïté de cette terminologie, en contradiction notamment avec la tradition du pouvoir français centralisé. Suivant les intérêts de leur objectif stratégique militaire, les Alliés anglo-saxons reconnaissent donc ses diverses formes sans jamais toutefois être nettement explicites quant à la nature juridique exacte de leur reconnaissance. Néanmoins, nous pouvons observer que le Gouvernement provisoire de la République française bénéficie implicitement et très rapidement d’une personnalité juridique internationale avec des droits d’un pouvoir souverain sur le plan militaire180 ainsi que d’autres attributs particulièrement étendus tels un régime d’immunité diplomatique et des invitations à se faire représenter lors de certaines conférences interalliées181. Il obtient ipso facto un statut partiel de belligérant. A l’appui de cette interprétation, nous pouvons faire appel au Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre182, dans lequel la qualité de belligérant est reconnue aux milices et aux corps de volontaires réunissant quatre conditions : avoir à leur tête un commandement clairement identifié et responsable, disposer d’un signe 179 Depuis 1942, les Etats-Unis précisent que « c’est avec les autorités françaises qui ont le contrôle effectif des territoires français dans le Pacifique que ce gouvernement a traité et continuera de traiter sur la base de leur administration présente des territoires en question. Ce gouvernement reconnaît en particulier que les îles françaises dans cette zone sont sous le contrôle effectif du Comité national français établi à Londres, et les autorités des ÉtatsUnis coopèrent pour la défense de ces îles avec les autorités établies par le Comité national français et avec nulle autre autorité française. » : Lettre de Mac Vitty au Haut-Commissaire d’Argenlieu, 25 février 1942 : Arch. nat., Papiers Thierry d’Argenlieu, 517/AP/14, cité in Thomas Vaisset, "Une défense sous influence", Revue historique des armées, n°257, 2009, pp. 113-114. 180 Notamment car il constitue des forces armées autonomes qui font partie intégrante du système allié. En outre, le droit de la guerre lui a été appliqué dès 1942 quand le gouvernement des Etats-Unis étend son système d’aide prêt-bail : voir l’ordonnance du 3 juin 1944 substituant au nom du Comité français de libération nationale celui de Gouvernement provisoire de la République française, Journal officiel de la République française n°47 du 8 juin 1944, p. 449. René Pleven a réussi à obtenir qu’elle serait aussi accordée aux F.F.I. : in Des Hommes Libres, film de Daniel Rondeau et Alain Ferrari d’après les entretiens filmés par Roger Stéphane, DVD Editions Montparnasse, 2004, DVD2, 0 : 27. 181 Maurice Flory, Le Statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre : 1939-1946, op. cit., p. 98. Voir de même Fritz Ernst Oppenheimer, "Governments and Authorities in Exile", op. cit., p. 575, qui considère que l’Armée française de la Libération est organisée et impliquée dans la guerre contre l’Axe aux côtés des Alliés. Les troupes de la France Libre remplissent par ailleurs les conditions de la qualification de belligérants aux termes de la Convention de La Haye de 1907. 182 Section I, chapitre 1 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, ème Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre : cf. annexe de la IV ème Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 juin - 18 octobre 1907, Actes et II Documents, La Haye, 1907, vol. 1, pp. 626-637 ; voir de même Fritz Ernst Oppenheimer, "Governments and Authorities in Exile", op. cit., p. 575. 54 distinctif fixe et reconnaissable, porter les armes ouvertement et respecter les lois et coutumes de la guerre. Certes, l’article vise apparemment plutôt les milices et autres corps francs. Or, l’armée française de libération, sous ses différentes appellations précédentes, est bien une force hiérarchisée distincte, en uniforme, qui s’efforce de respecter les règlements et coutumes militaires en vigueur et non un corps d’armée incorporé aux autres troupes alliées. Nous insistons sur le fait que la reconnaissance de belligérance de l’Armée française de la libération n’est pas explicite mais ne peut que se déduire des faits et, précisément, du long bras de fer entre le Gouvernement provisoire de la République française et les Alliés. En effet, Charles de Gaulle, ayant réussi à arracher des « accords de débarquement », parvient à faire reconnaître l’Armée française de la libération comme l’héritière des forces du Comité, malgré les grandes réticences alliées183. Les gouvernements des Etats-Unis et de Grande-Bretagne reconnaissent donc la belligérance du Comité (et par voie de conséquence du Gouvernement provisoire de la République française qui lui succède) sur la base qu’il est une autorité de fait sur un territoire métropolitain de plus en plus étendu au fil de l’avancée des troupes alliées. Ce principe d’efficacité sur le terrain de l’autorité de fait est couronné de succès dans le courant de juillet 1944, avec l’établissement de structures civiles soumises au Gouvernement provisoire de la République française sur le territoire métropolitain progressivement libéré. Jusqu’à cette libération quasi-complète du territoire métropolitain français, le Gouvernement provisoire de la République française, sous ses différentes formes, n'a effectivement pas exercé de contrôle de la population dans son ensemble et, à la différence des gouvernements en exil, ne peut se présenter comme garant de la continuité légale en qualité de successeur constitutionnel du gouvernement précédemment reconnu mais non libre car sous occupation ennemie. A partir du moment où les forces alliées gagnent Paris et où la population accueille positivement l’action des préfets et commissaires de la République gaulliste, les Etats-Unis, qui auparavant n’étaient pas enclins à accorder une reconnaissance en tant que Gouvernement 183 Sur le sujet, voir Jean-Baptiste Duroselle, "Le dernier « calvaire » du général de Gaulle en 1944. Les « accords de débarquement »", Politique étrangère, n°4, 1982, pp. 1021-1033. L’article relève que la déclaration des Etats-Unis du 12 juillet 1944 (selon laquelle le Comité français de libération nationale est « qualifié pour exercer l'administration de la France ») refuse sciemment de prendre acte que le Comité s’est transformé en Gouvernement provisoire de la République française depuis lors. Le nouvel intitulé semblerait trop prétentieux aux yeux des forces alliées. 55 provisoire de la République française légal de la France184, abandonnent leurs projets d’A.M.G.O.T. et décident le 12 juillet 1944 de reconnaître le Comité français de libération nationale comme « de facto l'autorité pour l'administration municipale de France »185. Insistons toutefois sur le fait que les Etats-Unis ne se prononcent toujours pas quant au statut de la nouvelle forme de Gouvernement provisoire de la République française, se gardant par conséquent toute une marge de manœuvre vis-à-vis de cette structure, ne concédant donc qu’une autorité fortement limitée au pouvoir gaulliste186. Quant à la Suisse, déclarée neutre dans le conflit, la position de son Conseil fédéral est fort prudente vis-à-vis des différentes formes de la France Libre. Ainsi, le chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna, annonce le 17 octobre 1941 au Ministre de Suisse à Londres Walter Thurnheer que le Conseil fédéral ne saurait « entrer en relations officielles avec le Comité national français », précisant que les relations officieuses peuvent continuer dans les territoires contrôlés par le Comité français de libération nationale « par la force des choses », mais qu’« ailleurs, et notamment à Londres », il s’agit d’« adopter une attitude compatible avec la prudente réserve qui doit être celle du gouvernement suisse » et « éviter tout ce qui pourrait être une cause de complication entre Berne et Vichy, où [la Suisse a] à ménager de légitimes 184 Quand, lors d’un entretien avant le débarquement début juin 1944, Eisenhower communique à de Gaulle une proclamation pour le peuple français, de Gaulle la refuse puisqu’il n’y est alors pas fait mention d’une « autorité française » : in Charles de Gaulle, Mémoires. Paris : Gallimard, 2000, Chronologie, 4 juin 1944, p. CIX ; à rapprocher de la critique qu’opère de Gaulle en 1944 du positionnement des Etats-Unis : « comment prendre au sérieux les scrupules affichés par Washington, qui affectait de tenir à distance le général de Gaulle sous prétexte de laisser aux Français la liberté de choisir un jour leur gouvernement et qui, en même temps, conservait des relations officielles avec la dictature de Vichy ? » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 288. 185 Jean-Baptiste Duroselle, "Le dernier « calvaire » du général de Gaulle en 1944. Les « accords de débarquement »", op. cit., p. 1033 ; Hersch Lauterpacht, "Recognition of Governments : II. The Legal Nature of Recognition and the Procedure of Recognition", op. cit., pp. 59-60 ; « De la part de ces chefs [anglo-saxons], une telle attitude répondait, sans doute, à l’utilité immédiate […]. Il leur fallait, en effet, dans leurs rapports avec de Gaulle, surmonter une surprise à vrai dire bien compréhensible. Ce chef d’Etat, sans Constitution, sans électeurs, sans capitale, qui parlait au nom de la France ; cet officier portant si peu d’étoiles, dont les ministres, généraux, amiraux, gouverneurs, ambassadeurs de son pays tenaient les ordres pour indiscutables ; ce Français, qui avait été condamné par le gouvernement « légal », vilipendé par beaucoup de notables, combattu par une partie des troupes et devant qui s’inclinaient les drapeaux, ne pouvait manquer d’étonner le conformisme des militaires britanniques et américains. Je dois dire qu’ils surent passer outre et voir la France où elle était. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., pp. 525-526. 186 « […] jamais les Anglo-saxons ne consentirent à nous traiter comme des alliés véritables. Jamais ils ne nous consultèrent, de gouvernement à gouvernement, sur aucune de leurs dispositions. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 522. 56 susceptibilités »187. La Confédération reste sur cette position en 1943 ; si la Suisse a un Consul à Alger, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit que du résultat d’un simple constat : en Algérie s’affairent des « autorités de fait » et c’est pourquoi la Suisse y mène de « bonnes relations de fait ». Elle ne reconnaît par conséquent pas le Comité français de libération nationale (qu’elle nomme incidemment « le nouveau Pouvoir français d’Alger ») et souligne que le Consul ne doit pas outrepasser ses compétences, c’est-à-dire ne pas intervenir dans le champ de la politique diplomatique même s’il en a l’inclination188. C’est ainsi que, en réponse à la demande adressée par le Comité français de libération nationale à la Suisse afin que celle-ci transfère sa représentation diplomatique de Vichy à Alger, Berne agit discrètement et prudemment, se limitant à décréter la nomination d’un conseiller de légation à Alger avec pour mission d’assurer le contact avec les autorités militaires interalliées en Afrique du nord, mais surtout d’assurer la représentation des intérêts étrangers et les relations entre « les autorités civiles françaises » de libération nationale, « ne serait-ce que par courtoisie […] toute reconnaissance de jure étant exclue »189. Peu après, le Conseil fédéral insiste auprès de son consul à Alger et précise que « pour raisons évidentes déjà exposées [la Suisse doit] éviter à tout prix reconnaissance formelle ou prématurée d'un Gouvernement français dissident »190, ce qui est exemplaire vis-à-vis du droit international en vigueur. 2 – c Le dépassement de la reconnaissance de belligérance : la reconnaissance prématurée de gouvernement de facto Dès sa création, certains n’hésitent pas à considérer l’organe directeur de la France Libre non pas comme une entité en exil mais, avec le ralliement des colonies, comme « un 187 Le chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna, au Ministre de Suisse à Londres, Walter Thurnheer du 17 octobre 1941 : Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°117. 188 La Division des affaires étrangères du Département politique fédéral au Consul de Suisse à Alger, Jules Arber du 8 juin 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 14 (1941-1943), n°372. 189 Procès-verbal de la séance du Conseil fédéral du 11 juin 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 14 (1941-1943), n°373. 190 La Division des affaires étrangères du Département politique fédéral au Consul de Suisse à Alger, Jules Arber, annexe du 16 juillet 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°384. Le Conseil fédéral exprime quelques jours plus tard son agacement face au coup de force tenté par les représentants civils et militaires français d’Alger, insistant pour que la Suisse renonce à représenter « les intérêts privés de Vichy » auprès des pays reconnaissant Alger : in Le Consul de Suisse à Alger, Jules Arber, à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral du 27 juin 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°384. 57 véritable gouvernement insurrectionnel, disposant d’une assise territoriale »191. A ce propos, le Gouvernement provisoire de la République française s’insurge devant l’assimilation de son mouvement à celui d’une partie insurrectionnelle en guerre civile. Dans sa forme première dès le 1er juillet 1940, il avait bien précisé que les Forces Françaises Libres (F.F.L.) ne combattraient jamais les troupes de Vichy192. Il refuse ainsi de se voir qualifier comme un mouvement en sédition193, rejetant d’être présenté comme dissident : c’est tout l’objet de la conception défendue par René Cassin qui considère le statut légal de la France Libre comme indépendant de la légalité du gouvernement du régime de Philippe Pétain194. L’objectif de cette vision est clair : faire reconnaître la France Libre comme détentrice de l’unique légitimité, voire de la légalité gouvernementale. Or cette position nécessite un dépassement de la reconnaissance de belligérance afin que la France Libre, jusqu’à ce qu’elle prenne sa forme de Gouvernement provisoire de la République française, soit reconnue comme gouvernement de facto puis de jure. Cette conception est soutenue par certains Etats non anglo-saxons qui cherchent à faire reconnaître les entités gaullistes non pas comme une faction en guerre civile interne mais comme un gouvernement de fait représentatif de la France et des Français. En effet, l’U.R.S.S. qui avait déjà, le 28 septembre 1942, considéré la France combattante comme « l’ensemble des citoyens et des territoires français qui, par tous les moyens en leur pouvoir, contribuent, où qu’ils se trouvent, à la libération de la France » et le Comité national comme « l’organe directeur de la France Combattante, ayant seul qualité pour organiser la participation des citoyens et des territoires français à la guerre »195, va encore 191 Yves-Maxime Danan, "La nature juridique du conseil de défense de l'Empire (Brazzaville, octobre l940) - Contribution à la Théorie des Gouvernements Insurrectionnels", Publications de la Faculté de Droit et d'Economie d'Amiens, n°4, 1972-1973, pp. 145-149. 192 Accord du 7 août 1940, Bulletin officiel des Forces Françaises Libres, n°1 du 15 août 1940, p. 2 ; d’autant que, sur le terrain, très peu de conflits entre formes armées françaises des deux camps ont eu lieu, comme le souligne Olivier Wieviorka, "Guerre civile à la française ? Le cas des années sombres", Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, n°85, janviermars 2005, pp. 5-9. 193 Hersch Lauterpacht, Recognition in International Law, op. cit., p. 270. 194 René Cassin, "Vichy or Free France ?", op. cit., p. 102 ainsi que l’Avis du Commissariat National à la Justice, Londres le 21 juillet 1942, après H. Tahsin-Adam, "Le statut international de la France Libre", mémoire, Paris, 1942, Service des études législatives, Londres le 6 février 1942, in Arch. Nat., Fonds René Cassin, AN 382/AP/31, Dossier 1, p. 2. Voir de même Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., pp. 251ss. qui considère que la France Libre possède un statut sui generis jusqu’à sa reconnaissance formelle par les Alliés qui n’est ni celui d’un Etat indépendant issu d’un mouvement de dissidence, ni d’un gouvernement de fait insurrectionnel, ni d’un gouvernement en exil. 195 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 301. 58 plus loin dans son interprétation l’année suivante. Effectivement, l’U.R.S.S. reconnaît le Comité français de libération nationale le 26 août 1943 comme ayant seul qualité pour coordonner la poursuite de la guerre au nom de la France196. Les gouvernements en exil ont par ailleurs tendance à considérer le Gouvernement provisoire de la République française comme leur égal. Le 29 septembre 1942, le Président de la Tchécoslovaquie Edvard Beneš déclare ainsi qu’il considère le Comité national français, sous la direction du général de Gaulle, « comme le véritable gouvernement de la France »197. Le 3 septembre 1943, Charles de Gaulle compte vingt-six Etats reconnaissant le Comité198. Fort de ce soutien, Charles de Gaulle cherche à asseoir sa légitimité internationale à diverses reprises. A Winston Churchill, lors d’une rencontre de Gaulle-Churchill révélant leur différence de points de vue concernant le Levant et Madagascar, en septembre 1942, qui lui lance : « Non, vous n’êtes pas la France. Je ne vous reconnais pas pour la France, vous n’êtes que la France combattante », Charles de Gaulle répond habilement par « Pourquoi discutez-vous avec moi si je ne suis pas la France ? »199. Tentant ainsi un coup de force politique, le 19 juin 1943, Charles de Gaulle interpelle Dwight Eisenhower en lui disant : « je suis ici […] en ma qualité de Président du gouvernement français »200, alors même que les Etats-Unis ont tendance à nier l’existence d’une France souveraine et la représentativité du Comité, en cette même période201. Dès lors, Charles de Gaulle considère que « la formalité de reconnaissance n’intéress[e] plus le gouvernement français. Ce qui lui import[e, c’est] d’être reconnu par la nation française. Or le fait [est] acquis » et Charles de Gaulle de faire référence à la fiction 196 Le Comité « représente les intérêts de l’Etat de la République française » et il est le « seul organisme dirigeant et le seul qualifié de tous les patriotes français en luttant contre l’hitlérisme » : Ibid., p. 400. 197 Ibid., p. 300. 198 Ibid., p. 400. 199 « "Vous dites que vous êtes la France ! Vous n’êtes pas la France ! Je ne vous reconnais pas comme la France ! […] La France ! Où est-elle ? Je conviens, certes, que le général de Gaulle et ceux qui le suivent sont une partie importante et respectable de ce peuple. Mais qui pourra, sans doute, trouver en dehors d’eux une autre autorité qui ait, elle aussi, sa valeur." Je le coupai : "Si, à vos yeux, je ne suis pas le représentant de la France, pourquoi et de quel droit traitez-vous avec moi de ses intérêts mondiaux ?" Churchill garda le silence. » : in Ibid., p. 297. Ces affirmations sont à relever en contraste la phrase de Henri Giraud qui assure en juillet 1943 devant la presse britannique : « Personne n’a le droit de parler au nom de la France ! » : in Ibid., p. 383. 200 Ibid., p. 377. 201 Le 10 juillet 1943, Franklin Roosevelt déclare, au sujet de l’invitation donnée à Henri Giraud (et non à Charles de Gaulle, dont ils cherchent à réduire l’influence) concernant la question de l’armement des troupes, que ce n’est qu’une visite « d’un soldat français combattant pour la cause des Alliés, puisque dans le moment présent la France n’existe plus. » : in Ibid., p. 383. 59 juridique d’une France « une et indivisible »202. C’est dans cette circonstance que le Comité français de libération nationale devient Gouvernement provisoire de la République française, dont de Gaulle est nommé président le 3 juin 1944. D’ailleurs, malgré le désaccord des Etats-Unis203, le Conseil des ministres belge en exil reconnaît le Comité français de libération nationale comme gouvernement légitime de jure de la France204 et les autres gouvernements en exil à Londres ne tardent pas à reconnaître le Gouvernement provisoire de la République française205. Certains gouvernements restent quant à eux plus mesurés mais prennent néanmoins position en faveur de la France libre, à l’instar des gouvernements hollandais206, égyptien207 et brésilien208. A peine trois jours après le débarquement, le 6 juin 1944, débute l’offensive alliée en Normandie. En Provence, le second débarquement a lieu le 15 août 1944. Le 14 juin 1944, Charles de Gaulle prononce son discours à Bayeux209 et l’administration du Gouvernement provisoire de la République française est mise en place210. Le 12 juillet 1944, comme nous l’avons observé, les Etats-Unis déclarent reconnaître le Comité comme autorité de facto pendant la période d’avancée des troupes alliées sur le territoire français dite de libération du territoire, pour diriger les affaires civiles211. Dès lors, le 202 Ibid., p. 483. 203 Note de Anthony Eden à Lancelot Oliphant, 23 mai 1944, Archives nationales de GrandeBretagne, Londres, FO 371/38890. 204 Lettre de Spaak à Dejean du 9 juin 1944 : Académie Royale de Belgique, Documents Diplomatiques Belges 1941-1960, t. 1, n°135, p. 343. 205 Reconnaissances belge, tchécoslovaque et luxembourgeoise : Archives diplomatiques françaises, Guerre Londres-Alger, vol. 646, Télégramme Londres/Diplofrance du 13 juin 1944 – reconnaissances polonaise et yougoslave : Télégramme du 14 juin 1944 – reconnaissances norvégienne et grecque : Télégrammes des 20 et 23 juin 1944. A noter que la Grèce recule ensuite pour surseoir à sa reconnaissance, dans l’attente de la position des Grands : Télégramme Baelen/Diplofrance des 16, 21 et 23 juin 1944 : Archives diplomatiques françaises, Guerre Londres-Alger, vol. 648. 206 Télégramme du 20 juillet 1944 : Archives diplomatiques françaises, Guerre Londres-Alger, vol. 649. 207 Lettre de Nahas Pacha à René Massigli du 20 juillet 1944 : Archives diplomatiques françaises, Guerre Londres-Alger, vol. 646. 208 Télégramme Blondel (Rio)/Diplofrance du 29 juin 1944 : Archives diplomatiques françaises, Guerre Londres-Alger, vol. 647. 209 Jean-Louis Quermonne, "Le retour de l’Etat légitime", in Françoise Decaumont [Dir.], Le Discours de Bayeux, hier et aujourd’hui. France : Presses universitaires d’Aix-Marseille / Paris, 1991, pp. 113ss. 210 Jean-Baptiste Duroselle, L’abîme, 1939-1945, op. cit., p. 497. Le Rapport Guizot confirme la préparation des préfets et commissaires de la République un mois avant le débarquement grâce à l’ordonnance du 21 avril 1944 in Rapport Guizot (Laffont), 28 mai 1944, Arch. Nat., AN AG2/397. 211 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut. Paris : Gallimard, 2000, p. 629. 60 Gouvernement provisoire de la République française s’affirme plus que jamais et son positionnement ne peut qu’impressionner les observateurs internationaux. On trouve ainsi un rapport confidentiel suisse relevant « le succès de la mission du général de Gaulle qui se transforme visiblement d’un chef de la dissidence qu’il était jusqu’à présent en chef d’Etat régulier » qui note qu’ « il paraît donc certain qu’il faille compter, après la libération de la France ou d’une grande partie de ce pays, avec Charles de Gaulle et son gouvernement comme la Puissance française déterminante »212. Ne pouvant ni ne voulant se prétendre gouvernement d’un Etat dissident, ni gouvernement de facto, ni gouvernement de facto insurrectionnel, ni gouvernement en exil, le Gouvernement provisoire de la République française acquiert un statut international sui generis, qui reconnaît son autorité fonctionnelle213. 2 – d La non-reconnaissance de la Résistance intérieure Refusant l’occupation du territoire métropolitain, les exigences et abus de droit perpétrés par les forces policières et militaires allemandes comme, progressivement, la répression ainsi que la politique d’exclusion du régime de Vichy, la Résistance intérieure est une entité diffuse qui comprend différents mouvements menant des combats par intermittence contre l’occupant sans contrôler effectivement le territoire. Les organisations politisées, les maquis et les autres réseaux à la mi-1944 ne sont pas des partisans isolés pratiquant une rébellion voire une guérilla, mais bien des membres d’une structure complexe, polymorphe et organisée dont l’action se concentre autour de sabotages, harcèlements et autres embuscades214. Nous sommes à nouveau en présence d’un cas-limite : celui d’une guerre civile ayant lieu dans le contexte d’une guerre internationale et engagée au sein de celle-ci. Dans ce cas de figure, le droit international de l’époque ne considère pas ces combattants dits intermittents qui continuent la guerre dans un territoire occupé comme des belligérants que les lois et les coutumes de la guerre sont en mesure de protéger 212 Note de Ernst Schlatter à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral de Paris, le 4 août 1944, Arch. féd., Document diplomatique non numérisé E 2200.41 1000/1691 Bd: 1a (1945). 213 Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945, op. cit., pp. 251ss. 214 Sur la multiplicité de la Résistance, voir : Peter Davis, France and the Second World War : occupation, collaboration and résistance. Londres /New-York : Taylor & Francis, 2001, p. 36. De surcroît, la Résistance est aussi composée de certains membres qui ne sont pas tous hostiles au régime de Vichy : voir à ce sujet Denis Peschanski, « La Résistance française face à l’hypothèque Vichy », in David Bidussa et Denis Peschanski, La France de Vichy. Milan : Feltrinelli, 1996, pp. 3-42. 61 mais comme des rebelles de guerre215. Le rebelle de guerre, depuis le Code américain Lieber de la Guerre Civile aux EtatsUnis216, est considéré comme illégitime et, à ce titre, n’est pas protégé en droit international. Si l’on suit l’esprit du Code Lieber, qui alors a pris force de coutume selon la doctrine en droit international, ceux qui se lèvent en masse ou organisent la levée en masse contre l’occupation d’un territoire par les forces d’un Etat ennemi ne sont pas assimilables à des insurgés, voire combattants de droit commun, mais entrent dans cette catégorie : « 85. - Les rebelles de guerre sont des personnes qui, à l'intérieur d'un territoire occupé, prennent les armes contre l'armée d'occupation ou d'invasion ou contre les autorités établies par elle. S'ils sont pris, ils peuvent être mis à mort, qu'ils se soient soulevés spontanément, en bandes plus ou moins nombreuses, ou à l'appel de leur propre gouvernement expulsé. Ils ne sont pas prisonniers de guerre, et il en va de même s'ils sont découverts avant que leur conspiration n'ait eu pour effet un soulèvement effectif ou des violences armées. »217 Par voie de conséquence, l’Etat tiers qui soutient un rebelle de guerre entre en état de guerre contre l’Etat concerné218. Dans le même esprit, les débats de la Conférence de Bruxelles de 1874 ne donnent naissance à aucun consensus international afin d’assimiler 215 Richard R. Baxter, "The Duty of Obedience to the Belligerent Occupant", British Yearbook of International Law, n°27, 1950, p. 253 ; Francis Lieber, Guerilla Parties Considered in Reference to the Laws and Usages of War, Written at the request of Major-General Henry W. Halleck, General-in-Chief of the Army of the United States. New York : D. van Nostrand, 1862 : Richard Shelly Hartigan, Lieber’s Code and the Law of War. Chicago : Precedent Publishing, 1983. 216 Si le Code, qui est concrètement le règlement préparé par Francis Lieber en 1863 pendant la Guerre Civile des Etats-Unis, n’est pas un document de droit positif de droit international, il est pourtant considéré comme une source de droit et est notamment l’un des documents fondamentaux auxquels les puissances européennes font référence lors de la Conférence de Bruxelles de 1874 : Waldemar A. Solf, "Protection of Civilians against the Effects of Hostilities under Customary International Law and under Protocol 1", American University Journal of International Law & Policy, n°1, 1986, p. 121 ; Burrus M. Carnahan, "Lincoln, Lieber and the Laws of War : The Origins and Limits of the Principle of Military Necessity", The American Journal of International Law, vol. 92, n°2, avril 1998, pp. 213-231 ; Jordan J. Paust, "War and Enemy Status after 9/11 : Attacks on the Laws of War", Yale Journal of International Law, n°28, 2003, pp. 326ss. ; Ben Clarke, "Juridical Status of Civilian Resistance to Foreign Occupation under the Law of Nations and Contemporary International Law", University of Notre Dame Australia Law Review, vol. 7, 2005, pp. 1-22. 217 Richard R. Baxter, "The Duty of Obedience to the Belligerent Occupant", op. cit., p. 253 ; voir aussi "Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field", prepared by Francis Lieber, LL.D., Originally Issued as General Orders n°100 by President Lincoln on 24 April 1863, Adjutant General's Office, 1863, Washington 1898 : Government Printing Office. Reproduit par Dietrich Schindler and Jiří Toman, The Laws of Armed Conflicts, The laws of armed conflicts : a collection of conventions, resolutions and other documents. Genève : Henry Dunant Institute, 1988, pp. 3-23. 218 Roger Pinto, "Les règles du droit international concernant la guerre civile", op. cit., p. 468. 62 les résistants révoltés aux belligérants de droit. Au contraire, précisant la distinction entre combattants et non-combattants, la conférence n’aboutit qu’à une Déclaration internationale concernant les lois et les coutumes de la guerre non contraignante et non ratifiée par de nombreux gouvernements, selon laquelle les rebelles usant de la force sur un territoire qu’ils ne contrôlent pas ne sont pas protégés219. Cela étant, la doctrine, grâce au Manuel d’Oxford220, conserve ce texte et pérennise les enjeux de la définition du combattant. Les conventions et déclarations postérieures ne leur sont pas plus favorables221. Ainsi, les résistants métropolitains ne peuvent être assimilés à la population d'un territoire non occupé qui, à l'approche de l'ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d'invasion sans avoir eu le temps de s'organiser et qui, elle, peut être considérée comme belligérante, à la condition de porter les armes ouvertement et de respecter les lois et coutumes de la guerre222. Aussi insatisfaisant que cela puisse paraître, non reconnue comme combattante régulière, la Résistance ne peut être comprise par la coutume du droit international d’alors 219 Actes de la Conférence de Bruxelles. Bruxelles : F. Hayez, 1874, pp. 158ss. et pp. 297-308. La thèse de la violation du droit international par ces criminels de guerre est défendue notamment par Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and neutrality, op. cit., p. 343 ; Jean de Breucker, "La Déclaration de Bruxelles de 1874", Revue de Droit Pénal Militaire et de Droit de la Guerre, Bruxelles, Société internationale de droit pénal militaire et de droit de la guerre, 1975, pp. 47-48 ; voir aussi du même auteur : "La déclaration de Bruxelles de 1874 concernant les lois et coutumes de la guerre", Chronique de Politique Etrangère, vol. 28, n°1, Bruxelles, Institut Royal des Relations Internationales, janvier 1974, p. 47. 220 Manuel des lois de la guerre sur terre, Oxford, 9 septembre 1880, Institut de droit international, Tableau général des résolutions (1873-1956), op. cit., pp. 180-198. 221 James Brown Scott [Dir.], The Hague Conventions and Declarations of 1899 and 1907 (1915), op. cit. ; Antoine Pillet, Les conventions de La Haye du 29 juillet 1889 et du 18 octobre 1907, étude juridique et critique. Paris : Pedone, 1918 ; Ben Clarke, "Juridical Status of Civilian Resistance to Foreign Occupation under the Law of Nations and Contemporary International Law", op. cit., pp. 1-22. 222 Section I, chapitre 1 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, ème Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre : cf. annexe de la IV ème Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 juin - 18 octobre 1907, Actes et II Documents, La Haye, 1907, vol. 1, pp. 626-637 ; voir de même Fritz Ernst Oppenheimer, « Governments and Authorities in Exile », op. cit., p. 575. Concernant la levée en masse comme résistance spontanée de la population à l’invasion étrangère, voir John Horne, "Populations civiles et violences de guerre : pistes d'une analyse historique", Revue internationale des sciences sociales, 4/2002, n°174, pp. 535-541 et du même auteur, "Defining the enemy : War, law and levée en masse in Europe, 1870-1945", in Daniel Moran, Arthur Waldron [Dir.], The People in Arms, Military Myth and National Mobilization since the French Revolution. Cambridge : Cambridge University Press, 2002, pp. 200-223. 63 autrement que comme un agrégat de francs-tireurs223. C’est la raison pour laquelle la doctrine de l’état-major allemand considère les résistants comme des « terroristes » ou des « bandes de partisans » et les fait exécuter224. En réaction, le 9 juin 1944, le Gouvernement provisoire sous sa forme de Comité français de libération nationale, vise à attribuer unilatéralement aux Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) un statut juridique225 sans que pour autant cette bien tardive tentative (car postérieure au débarquement allié en Normandie) modifie le droit positif226. D’une certaine manière, c’est pour le moins cette réalité du combat de la résistance et des F.F.I. en particulier que la doctrine cherchera à reconnaître lors des débats de la Troisième Conférence de Genève, après-guerre. C’est ainsi que la Convention de Genève du 12 août 1949 protègera, sinon les résistants isolés, du moins la résistance collective227, conformément à la clause Martens qui prévoit la 223 Richard R. Baxter, "So-called « Unprivileged Belligerency » : Spies, Guerrillas, and Saboteurs", op. cit., pp. 333ss ; Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty, Les fusillés: répression et exécutions pendant l'occupation, 1940-1944. France : Atelier, 2006, pp. 123ss. Pour une analyse de l’image du franc-tireur dans la perspective germanique, voir : Jean Solchany, « Le commandement militaire en France face au fait résistant : logiques d'identification et stratégies d'éradication », in Laurent Douzou et al. [Dir.], "La Résistance et les Français : Villes, centres et logiques de décision", supplément au Bulletin de l'IHTP, n°61, Paris, IHTP, 1996, pp. 511-530. 224 Pour une étude des écrits des états-majors de la Wehrmacht et des comptes rendus diplomatiques du Reich concernant la résistance armée intérieure, voir notamment : JeanNicolas Pasquay, "De Gaulle, les F.F.L. et la Résistance vus par les responsables de la Wehrmacht", Revue historique des armées, n°256, 2009, pp. 43-65. 225 « Ces forces armées font partie intégrante de l'armée française et bénéficient de tous les droits et avantages reconnus aux militaires par les lois en vigueur. Elles répondent aux conditions générales fixées par le règlement annexé à la convention de La Haye du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. » : article 1 de l’Ordonnance du 9 juin 1944 fixant le statut des Forces françaises de l'intérieur, Journal officiel de la République française, n°48 du 10 juin 1944, p. 467. 226 La Wehrmacht communique notamment le 24 juillet 1944 qu’elle continue à considérer les F.F.I. comme des francs-tireurs en s’appuyant sur la convention d’armistice ainsi que sur le fait que les combattants n’agissent que de manière clandestine : Otto Abetz, Histoire d'une politique franco-allemande : 1930-1950 : mémoires d’un ambassadeur, op. cit., p. 312. Ce n’est que le 23 septembre 1944 que le Haut Commandement de l’Ouest allemand publie l’ordre selon lequel : « les membres de la Résistance française combattant en unités constituées aux côté des troupes ennemies, et dont la qualité de combattants est attestées par des brassards ou autres signes distinctifs, doivent désormais être traités en combattants, aux termes de la convention de la Haye. » : Ibid, p. 314. 227 Odile Debbasch, L’occupation militaire : pouvoirs reconnus aux forces armées hors de leur territoire national. Paris : L.G.D.J., 1962, p. 237. 64 validité de la coutume et la possibilité d’adopter de nouvelles dispositions de droit international relatives aux conflits armés228. CONCLUSION DE LA SECTION 1 Au terme de cette première section consacrée au statut du régime de Vichy en droit international de l’époque, il apparaît que ce dernier revêt concurremment, en date du 19 août 1944, deux statuts juridiques. Il est, d’une part, l’autorité préalablement établie à laquelle le gouvernement de facto occupant allemand a confié la gestion des affaires courantes de l’Etat en guerre : cette position de dépendance acceptée, voire assumée politiquement, n’invalide pas pour autant le statut de ce régime qui garde sa représentativité en droit international en tant que gouvernement de l’Etat français occupé. Il est aussi, d’autre part, le gouvernement de jure belligérant face au Gouvernement provisoire de la République française, belligérant concurrent reconnu par les Etat alliés qui le soutiennent, sous occupation mixte. Cet aspect de guerre civile est patent à l’analyse du point de vue du droit international. Or, plus que complémentaires, les deux statuts sont intrinsèquement liés. C’est d’ailleurs l’un des points particulièrement saillants à souligner : en droit international de l’époque, la désintégration du gouvernement du régime de Vichy du fait de l’occupation aurait entraîné l’illégalité pour le Gouvernement provisoire de la République française en guerre civile, car la guerre civile en soi aurait pris fin. Dans le cas de la chute prématurée du gouvernement du régime de Vichy, le Gouvernement provisoire de la République française n’aurait pas pu se prévaloir de base légale pour asseoir son autorité sur les régions métropolitaines libérées par les Alliés. Malgré le fait qu’il se défende d’être en guerre civile, c’est donc paradoxalement la qualification de sa belligérance qui lui a servi de tremplin politique sur la scène internationale. En d’autres termes, il bénéficie des effets juridiques d’un statut qu’il nie. Dans ce cadre, il est dès lors extrêmement important pour le Gouvernement provisoire de 228 « En attendant qu'un Code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par Elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique » : Préambule des deux règlements de la Haye de 1899 et 1907 : ème Convention concernant les lois et Règlement de la Convention de La Haye de 1899 : II coutumes de la guerre sur terre et son Annexe, Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 29 juillet 1899 : Conférence internationale de la Paix 1899. La Haye : Martinus Nijhoff, 1907, pp. 19-28 ; voir de même le Règlement concernant les lois ème Convention concernant les lois et et coutumes de la guerre sur terre, annexe de la IV ème Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 coutumes de la guerre sur terre : cf. II juin - 18 octobre 1907, Actes et Documents, La Haye, 1907, vol. 1, pp. 626-637. 65 la République française de démontrer qu’il est sous commandement responsable et respectueux du droit et des usages de la guerre229. Cette position lui permet en effet de prendre part au conflit et surtout au débarquement et à la libération du territoire aux côtés des Alliés. Il peut dès lors arguer d’une légitimité prioritaire à étendre sa puissance civile administrative sur les territoires progressivement libérés. Il s’oppose ainsi au régime de Vichy et se prépare à instaurer dans les faits un pouvoir civil et administratif concurrent sur le territoire libéré par les troupes alliées. En cet été 1944, ce n’est concrètement plus tant sur le terrain mondial que se pose la question du statut du régime de Vichy que sur le terrain local. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’aborder la qualification juridique du régime de Vichy en droit interne dans une seconde section. 229 Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and neutrality, op. cit., section 60. 66 SECTION 2 – LE STATUT DU REGIME DE VICHY EN DROIT INTERNE : UN GOUVERNEMENT EN PERTE DE STATUT « Ainsi va le droit : le pouvoir conditionne l’autorité, ce qu’on nomme aussi la légitimité, mais sans légitimité le pouvoir est condamné à disparaître. 230 Le régime légal devient illégal, l’autorité légitime pouvoir de fait. » D’un côté, dès août 1944 s’instaure sur le territoire métropolitain un Gouvernement provisoire de la République française auto-légitimé sur le principe qu’il incarne la République française « qui n’a pas cessé d’exister »231. De l’autre, le camp vichyste s’octroie une image concurrente, celle d’un gouvernement provisoirement empêché incarnant l’Etat français qui, dès lors, ne cesse d’exister. La question se pose alors de savoir si le régime de Vichy, à la veille de son départ de la capitale provisoire le 19 août 1944, est en droit interne le représentant légal de l’Etat français. La réponse à cette interrogation fait l’objet d’une longue controverse depuis près de 70 ans : en politique, en doctrine mais aussi en jurisprudence, le débat s’est ouvert et refermé par à-coups232. Deux positions s’opposent : d’une part, celui qui estime que le régime de Vichy n’a pas à l’époque de statut légal en droit interne et que l’Etat n’est pas engagé par ses actions et exactions car la Constitution de la IIIème République ne saurait valider son existence juridique. C’est la thèse de René Cassin et de Pierre Tissier, conseillers juridiques influents de Charles de Gaulle233, qui a été majoritairement consacrée durant cinquante années, jusque dans les années 1990. D’autre part, nous trouvons la thèse qui admet que la continuité des institutions s’est imposée car le nouveau régime n’a pas violé la Constitution de la IIIème République. Le statut juridique du régime de Vichy et son ordre juridique sont ainsi intrinsèquement liés à sa correspondance avec les normes constitutionnelles alors en vigueur. 230 Jean-Marc Varaut, Le Procès Pétain, 1945-1995. Paris : Perrin, 1995, p. 17. 231 Article 1 de l’ordonnance du 9 août 1944 dont il sera fait état ultérieurement. Voir infra dans la présente section : B b 2. 232 Voir en particulier les synthèses d’Olivier Duhamel, Histoire constitutionnelle de la France. France : Seuil, 1995, pp. 105ss. et de Michel Verpeaux, "L’affaire Papon, la République et l’État. ‘Ceux qui ont su trahir leur pays sans cesser de respecter la loi’ Albert Camus", Revue Française de Droit Constitutionnel, 2003/3, n° 55, pp. 513-526. 233 En ce qui concerne l’influence du légiste Pierre Tissier, voir l’intervention dans le Colloque organisé par l’E.H.E.S.S. et le Conseil d’État les 21, 22 et 23 février 2013, en Sorbonne et à l’E.H.E.S.S. de Matthieu Schlesinger et Aurélien Rousseau, "Pierre Tissier, un homme de l’Etat", in Marc-Olivier Baruch [Dir.], Faire des choix ? Les fonctionnaires dans l’Europe des dictatures 1933-1948. Paris : La Documentation française, 2014, pp. 225ss. 67 En droit interne, nous entendons par statut juridique d’une entité ses actes constitutifs comportant les objectifs et règles de fonctionnement. En ce qui concerne un Etat, ce statut est traditionnellement constitutionnel, la Constitution définissant la dévolution du pouvoir et son exercice. Si l’on conçoit la Constitution comme un ensemble matériel et formel de normes supérieures aux autres normes internes, on comprend qu’elle véhicule un projet politique légitimant un certain ordre établi, consacrant une idéologie sociopolitique. Or, selon la position de René Cassin, l’idéologie de la IIIème République est et ne peut qu’être républicaine234 : le régime de Vichy étant notamment dépourvu de caractère républicain, il ne saurait être considéré comme le pouvoir légitime et légal de l’Etat français, conformément à l’adage romain ex injuria non oritur ius. Seule l’entité concurrente gaulliste, qui se réclame de la continuité juridique et politique de la IIIème République, serait statutairement légalement instituée. Or, si la république désigne la chose publique commune, en opposition à la chose de quelques uns ou d'un seul, elle fait ainsi référence au but du pouvoir qui est l'intérêt général ou bien commun. Certes, le régime de Vichy assume son caractère antidémocratique et si la démocratie désigne le peuple comme titulaire du pouvoir, le régime de Vichy est caractérisé par son aspect autoritaire235. Cependant le régime de Vichy est-il pour autant antirépublicain et par là anticonstitutionnel ? Afin d’analyser en droit constitutionnel et des libertés publiques de la IIIème République la légalité du régime de Vichy sous les angles d’incarnation de la continuité des institutions et de la légitimité du pouvoir, nous allons aborder dans un premier temps son statut en droit constitutionnel (A) puis dans un second paragraphe la contestation de son statut (B). A – Le statut juridique du régime de Vichy en droit constitutionnel : un gouvernement investi A plusieurs reprises depuis la Révolution française, les pouvoirs institués ont violé les normes constitutionnelles avec succès. A titre d’exemple, le Sénat de l’Empire met en place le 1er avril 1814 un Gouvernement provisoire de la République française « chargé 234 Article 2 de la Loi du 14 août 1884 portant révision partielle des lois constitutionnelles : « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet de révision. – Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République. » : in Jacques Godechot [Prés.], Les Constitutions de la France depuis 1789. Paris : G. Flammarion, 1979, p. 337. 235 « L’autorité ne vient plus d’en bas. Elle est proprement celle que je confie et que je délègue. » : in Message du 12 août 1941 au peuple français, cité in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 112. 68 de pourvoir aux besoins de l’administration et de présenter au Sénat un projet de Constitution qui puisse convenir au peuple français »236, avant de proclamer deux jours plus tard avec le Corps législatif la déchéance des Bonaparte puis d’installer par décret Louis XVIII sur le trône. Ce faisant, le gouvernement usurpe ses pouvoirs originairement limités237. L’investiture du gouvernement du régime de Vichy est-elle tout autant inconstitutionnelle, par suite d’un coup d’Etat politique ou, au contraire, est-elle conforme au droit interne ? Afin de qualifier l’articulation entre rupture et continuum législatif de Vichy avec la IIIème République238, nous proposons de présenter l’assise constitutionnelle du régime de Vichy (a) avant d’envisager son aspect autoritaire en particulier (b). a) L’assise constitutionnelle du régime de Vichy et de son droit En droit interne, la légalité de la constitution du gouvernement le 16 juin 1940 (date de la formation du Cabinet Pétain avec l’intention déclarée de demander l’armistice239) ne prête pas à discussion depuis la position du Conseil d’Etat240. Toutefois, la doctrine 236 Jean Vidalenc, La Restauration (1814-1830). Paris : Presses Universitaires de France, 1966, p. 7. 237 Pour une revue historique des abus de pouvoir des organes institués, voir Emmanuel Cartier, "Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire", Revue française de droit constitutionnel, 2007/3, n°71, pp. 519ss. 238 En reprenant l’expression de Jean-Pierre Le Crom, "Droit de Vichy ou droit sous Vichy ? Sur l'historiographie de la production du droit en France pendant la Deuxième Guerre mondiale", Histoire@Politique, Politique, culture, société, 2009/3, n°9, p. 7. 239 « […] je déclare en ce qui me concerne que hors du gouvernement, s’il le faut, je me refuserai à quitter le sol français. Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères – L’armistice est à mes yeux la condition nécessaire à la pérennité de la France » : intervention de Philippe Pétain devant le Conseil des Ministres du 13 juin 1940, in Jean-Jacques Chevallier et Gérard Conac, Histoire des institutions et des régimes ème éd., 1991, pp. 492-493. politiques de la France, de 1789 à nos jours. Paris : Dalloz, 8 240 Le gouvernement que Philippe Pétain constitue le 16 juin 1940 est « régulier à tous égards » : arrêt Entreprise Chemin, Conseil d’Etat, 4 juin 1947, Recueil Lebon, p. 246 ; Jurisclasseur périodique, 1947, II, 3673, concl. Célier. Pourtant, Maurice Flory (Le Statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre : 1939-1946, op. cit., p. 54) et Anne Simonin (Le déshonneur de la République. Une histoire de l’indignité 17911958. Paris : Grasset, 2008, pp. 373-381) sont d’avis contraire. En particulier, Anne Simonin argue que le décret voté à la hâte par Paul Reynaud et Georges Mandel le 16 juin 1940 modifiant la loi du 9 août 1849 sur l’état de siège, marque l’inconstitutionnalité du régime de Vichy car il maintient « les pouvoirs de police dévolus à l’autorité militaire » au pouvoir civil du Ministre de l’intérieur, sachant que le gouvernement n’a pas levé l’état de siège déclaré le er 1 septembre 1939. Ce régime d’exception a pourtant des fondements trop fragiles relativement au principe de parallélisme des formes : un décret ne saurait modifier une loi, d’autant plus une loi de cette importance. 69 contemporaine comme postérieure à la guerre241 reste divisée quant à la constitutionnalité des actes du gouvernement du régime de Vichy à partir de la loi du 10 juillet 1940 par laquelle l’Assemblée nationale confie les pleins pouvoirs au gouvernement sous l'autorité et la signature de Philippe Pétain pour prendre toutes les mesures nécessaires à l'effet de promulguer une nouvelle Constitution de l'État français242. Avant de nous pencher sur les questions inhérentes au débat sur la constitutionnalité des actes émis par le gouvernement du régime de Vichy et sur le fondement de cette loi du 10 juillet 1940, il nous semble au préalable utile de procéder à un rappel succinct de la chronologie des évènements. Le socle du régime de Vichy est le projet de loi du 9 juillet 1940, qui est soumis aux deux chambres séparément pour qu’elles considèrent, à la majorité absolue des voix, s'il y a lieu de réviser la constitution conformément à la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Le 9 juillet 1940, le Sénat (par 225 voix favorables) et la Chambre le 10 juillet (par 395 voix) décident d’adopter le projet. En conséquence, le 10 juillet 1940, les deux chambres réunies en Assemblée nationale à Vichy adoptent formellement la loi par 569 voix contre seulement 20 abstentions et 80 oppositions243. Cette loi, promulguée par le Président de la IIIème République Albert Lebrun, est complétée par les trois actes consécutifs mentionnés ci-après qui forment avec elle l’arsenal constitutionnel du régime de Vichy. Philippe Pétain, chef du gouvernement français et autoproclamé chef de l’Etat français, s’arroge la compétence constituante sans plus de formalisme par l’acte constitutionnel n°1 du 11 juillet 1940. Par la suite, il fait adopter les actes constitutionnels n°2 et 3 qui abrogent presque la totalité de la Constitution de 1875, alors que les deux Chambres, qui subsistent, se retrouvent ajournées et que le Président de la République, quant à lui, 241 Opposant les courants dogmatiques, positivistes, jusnaturalistes et décisionnistes juridiques ; voir à ce sujet l’approche d’Olivier Camy, "Le positivisme comme moindre mal ? Réflexions sur l’attitude des juristes français face au droit antisémite de Vichy", Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 1997, n° 39, pp. 1-25. 242 Pour une revue des arguments relatifs à l’inconstitutionnalité présumée du gouvernement de Vichy, voir Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., pp. 50ss. Voir aussi Odile Rudelle, "Le général de Gaulle et le retour aux sources du constitutionalisme républicain", in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994, op. cit., pp. 29-54. 243 Annales de l’Assemblée nationale, Séance du 10 juillet 1940, pp. 826-827. Les 569 voix représentent donc la majorité absolue des sièges (932 au total), mais aussi celle des parlementaires effectivement en exercice (850) et nettement celle des suffrages exprimés (649) : Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., pp. 64-65. 70 prend la décision de se retirer244. En particulier, l’acte constitutionnel n°2 du 11 juillet 1940, qui fixe les pouvoirs du chef de l’Etat français, octroie à celui-ci l’exercice du pouvoir législatif en Conseil de Cabinet jusqu’à la formation de nouvelles assemblées, voire ultérieurement en cas de « tension extérieure ou crise intérieure grave »245. Dès lors et jusqu’au 17 novembre 1942, Philippe Pétain cumule les fonctions de chef de l’Etat et de chef de gouvernement, concentrant ainsi en ses mains l’exclusivité du pouvoir gouvernemental. Le Président du Conseil, Pierre Laval, François Darlan, puis de nouveau Pierre Laval, exécute ses décisions et rend compte de leur application. Du 17 novembre 1942 au 19 août 1944, la compétence législative du chef de l’Etat est exercée concurremment avec le chef de gouvernement en vertu de l’acte constitutionnel n°12 et n°12 bis (article unique) des 17 et 26 novembre 1942246. Deux questions se posent : de par la loi du 10 juillet 1940 et malgré un exercice de souveraineté limité, le régime de Vichy bénéficie-t-il ainsi originairement d’un transfert de pouvoir constituant, conformément aux normes constitutionnelles, prenant ainsi la forme du seul représentant de l’Etat français dès sa mise en place ? De surcroît, son exercice du pouvoir jusqu’au 19 août 1944 est-il toujours conforme au droit constitutionnel ? En l’absence d’ordre juridique avec Constitution écrite détaillée et de contrôle de constitutionnalité des normes dans l’ordre juridique de la IIIème République, nous sommes contraints de nous pencher sur les analyses de la doctrine pour nous prendre position. En effet, la Constitution de la IIIème République consiste en un ordre juridique souple dans lequel les modifications des normes constitutionnelles comme infra-constitutionnelles sont peu formalisées. Selon les actes constitutionnels de la IIIème République, le pouvoir constituant est dévolu aux deux chambres réunies247. Or, la loi du 10 juillet 1940, conformément au droit constitutionnel interne en vigueur, a-t-elle transféré le pouvoir constituant ou en a-t-elle transféré l’exercice ? Et plus en amont : y a-t-il anéantissement 244 Jean-Jacques Chevallier et Gérard Conac, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France, de 1789 à nos jours, op. cit., p. 496. 245 Journal officiel de la République française du 12 juillet 1940, p. 4517. 246 Journal officiel de l’Etat français des 19 novembre 1942, p. 3834 et 27 novembre 1942, p. 3922. 247 Comme le précise Charles Lefebvre, Étude sur les lois constitutionnelles de 1875. Paris : A. Maresca aîné, 1882, p. 59. 71 de la Constitution antérieure et donc rupture avec l’ordre juridique en vigueur248 ou délégation régulière de l’usage de pouvoirs constituants dérivés249 ? Selon la France Libre, le pouvoir constituant dérivé est intransmissible car seule l’Assemblée nationale a la compétence de modifier la Constitution et ne peut disposer de ce pouvoir en le délégant250. Face à ce solide argument, deux éléments sont à considérer : le principe de la continuité de l’Etat et celui non pas de la délégation de compétence mais de la délégation d’usage de la compétence, en analogie avec la notion d’usufruit en droit civil. En tout premier lieu et en l’absence de référence en droit écrit, c’est la doctrine de la continuité de l’Etat251 en « circonstances exceptionnelles » ou d’ « état de nécessité » qui peut s’imposer252, d’autant qu’aucun contrôle de constitutionnalité des lois n’est prévu. Contrairement aux constitutions postérieures253, il est patent qu’aucune limitation à la procédure de révision constitutionnelle n’existe dans les normes et principes constitutionnels de la IIIème République. C’est, par conséquent, une certaine conception de 248 Selon le concept de Carl Schmitt, Théorie de la Constitution. Paris : PUF, [1927] 1993, pp. 231ss. 249 Comme l’entend Christophe Chabrot, "Ceci n'est pas une V de droit constitutionnel, 2010/2, n°82, p. 261. 250 Déclaration organique du 16 novembre 1940, Journal officiel de la France Libre n°8 du 20 janvier 1941, p. 4 et René Cassin, "Un coup d'Etat juridique. La soi-disant Constitution de Vichy", Première partie publiée dans La France Libre, décembre 1940, vol. 1, n°2 ; seconde partie publiée dans La France Libre, janvier 1941, vol. 1, n°3, in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 20 octobre 2010, n°3, pp. 646ss. Voir aussi in Arch. Nat., Fonds René Cassin, AN 382/AP/47. C’est aussi la conclusion de Julien Laferrière, Le nouveau gouvernement de la France : les actes constitutionnels de 19401942. Paris : Sirey, 1942, p. 147 ; voir aussi Georges Berlia, "La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940", Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1944, ème pp. 46-57 et Maurice Prélot, Précis de droit constitutionnel. Paris : Dalloz, 1955, 3 éd. 251 L’ordonnancement juridique se transmet dans le sens où le contenu des normes persiste, malgré l’hypothèse du changement de fondement de la validité de ces normes. Sur la continuité de l’Etat fondée sur la théorie fonctionnelle de l’Etat et de son droit : Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel. T.1 : La règle de droit. Paris : E. de Boccard, 1921-1925, pp. 17ss. Selon la conception de Hans Kelsen, la continuité de l’ordonnancement juridique antérieur s’applique sinon à la forme sinon au contenu des normes : Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’Etat. Paris/Bruxelles : LGDJ/ Bruylant, 1997, p. 171. 252 Pour une présentation de la distinction, en droit administratif et constitutionnel, voir François Saint-Bonnet, L’état d’exception. Paris : Presses Universitaires de France, 2001, pp. 15ss. 253 Article 94 Titre XI de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Au cas d’occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères, aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie » : Décret du 27 octobre 1946 promulguant la Constitution de la République française, Journal officiel de la République française du 28 octobre 1946, p. 9166 ; article 89 Titre XVI de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » : Journal officiel de la République française du 5 octobre 1958, p. 9151. 72 ème République", Revue française la souveraineté du régime qui se révèle, dans laquelle le souverain est libre d’agir temporairement conformément au droit ou de s’en détacher. C’est en ce sens que le décrit Carl Schmitt : « est souverain celui qui décide de l’état d’exception »254. Comme toutes les souverainetés constituées, la souveraineté du régime de Vichy révèle ainsi un paradoxe juridique : le souverain serait le garant du respect de l’ordre juridique, mais il en serait aussi la source255. La question du statut constitutionnel de Vichy comme souverain absolu de l’Etat français dans des circonstances d’exception serait, dans cette acception, un cas-limite juridique, une anomalie. En second lieu, la doctrine favorable au régime n’hésite pas à affirmer la validité de la loi du 10 juillet 1940 comme révisant légalement la procédure constitutionnelle en délégant le pouvoir constituant sous condition de procédure de ratification256. Selon cette interprétation, il ne s’agit pas d’une délégation du pouvoir constituant mais d’une délégation de l’exercice de ce pouvoir, compte tenu des circonstances et de la volonté de la majorité des parlementaires. Une doctrine de l’époque qui ne peut être taxée de collaborationniste appuie cette position : Maurice Duverger257 considère ainsi que si l’Assemblée peut déléguer son pouvoir législatif avec l’usage de décrets lois dans l’entredeux guerres (alors-même que cet exercice n’est pas prévu par les lois constitutionnelles de 1875), elle peut, en conséquence, déléguer ses pouvoirs constituants. A l’instar de Georges Vedel258, nous pouvons, de même, envisager que si l’Assemblée ne pouvait pas déléguer son pouvoir, elle pouvait néanmoins décider de réviser la procédure de révision. 254 Carl Schmitt, Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität. München ème éd., p. 13. Relevons que Schmitt fait und Leipzig : Duncker & Humblot, [1922] 2004, 8 référence à l’état de siège créé par le décret impérial de Napoléon du 24 décembre 1811 pour fonder sa doctrine, en écho avec l’acception d’état exception généralisée développée par Walter Benjamin. A ce sujet, la réception des thèses de Carl Schmitt en théorie juridique française de l’époque est encore un sujet à développer. 255 « The paradox of sovereignty consists in the fact that the sovereign is, at the same time, outside and inside the juridical order » : in Giorgio Agamben, Homo Sacer. Sovereign Power and Bare Life. Stanford : Stanford University Press, 1998, p. 15. 256 Roger Bonnard, "Les actes constitutionnels de 1940", Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1942, pp. 46ss. (concernant le caractère antidémocrate de la pensée de Roger Bonnard, voir Grégoire Bigot, "Vichy dans l’œil de la Revue de Droit Public", in Bernard Durand et al. [Dir.], Le Droit sous Vichy, op. cit., pp. 415ss.) ; Louis Delbez, "La révision constitutionnelle de 1942 " Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1943, p. 93 ; Georges Burdeau, Traité de Science politique, t.3 La dynamique politique. Paris : LGDJ, 1968, p. 147. 257 Maurice Duverger, "La situation des fonctionnaires depuis la Révolution de 1940", Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1941, n°4, pp. 417ss. et Manuel de droit constitutionnel et de science politique. Paris : PUF, 1948, pp. 294-297 ; 258 Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel. Paris : Sirey, 1949, pp. 70ss. 73 Georges Berlia259 va même plus loin en considérant que l’on pourrait valablement penser qu’il s’agit d’une déconstitutionnalisation des lois constitutionnelles de 1875, la loi du 10 juillet 1940 modifiant la hiérarchie des normes. Par ailleurs, à l’appui de la validité de la loi du 10 juillet 1940, l’argument du consentement du Président de la République est patent. Selon les lois constitutionnelles de la IIIème République, le Président de la République aurait pu en refuser la promulgation rapide, notamment en choisissant de la retarder, ce qui n’a pas été le cas. Quant à la question de savoir si la procédure de révision constitutionnelle totale est légale en période de guerre ou d’occupation, il apparaît à l’étude que, en l’absence d’autres normes en droit positif, l’article 8 de la loi du 25 février 1875 portant révision des lois constitutionnelles en tout ou en partie qui porte sur la délibération législative permet cette révision260. Certes, la loi Tréveneuc du 15 février 1872261 est la seule référence en droit positif qui concerne l’impossibilité matérielle de réunion des chambres. Or, nous ne saurions la retenir dans le cas d’espèce, car non seulement elle est antérieure aux lois constitutionnelles de 1875 mais encore elle vise à l’impossibilité de se réunir et non à l’impossibilité de se réunir dans le siège officiel prévu par temps de guerre. Par conséquent, la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 relative aux rapports des pouvoirs publics qui précise dans son article 2 que l’ajournement des Chambres par le président de la République « ne peut excéder le terme d’un mois ni avoir lieu plus de deux fois dans la même session » n’est plus valable. Par l’acte constitutionnel n°3 du 11 juillet 1940 prorogeant et ajournant les Chambres qui prévoit que le Sénat et la Chambre des députés subsistent mais sont ajournées sine die, Philippe Pétain signe l’abrogation explicite de l'article 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, rendant caducs les autres articles sans les viser expressément. Par la suite, en août 1942, est promulguée 259 Malgré le fait qu’il opte en fin de compte pour l’inconstitutionnalité de la loi du 10 juillet 1940 : Georges Berlia, "La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940", op. cit., p. 48. 260 « Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l’initiative et la confection des lois ». Loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics article 8 : « Les Chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. – Après que chacune des deux Chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision. – Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. […] » : article 8 de la Loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat. Pour une présentation des débats doctrinaux quant à savoir si la révision constitutionnelle peut être valable « en tout ou en partie » après la loi du 14 août 1884 portant révision partielle des lois constitutionnelles qui protège la forme républicaine du régime, voir Adhémar Emstein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé. Paris : Sirey, 1914, pp. 501-511. 261 Journal officiel de la République française du 23 février 1872, p. 1281. 74 une loi mettant fin à « l’activité » des bureaux des deux chambres. Jules Jeanneney, Président du Sénat, et Edouard Herriot, Président de l’Assemblée nationale, protestent. Edouard Herriot renvoie sa légion d’honneur – il sera arrêté, rejoignant notamment sous les verrous Paul Reynaud, Edouard Daladier, Léon Blum, Georges Mandel et Maurice Gamelin262. Subsidiairement, la question de forme de la légalité de la tenue de l’Assemblée nationale à Vichy ne semble pas poser de question majeure. Effectivement, les arguments de René Cassin ne nous paraissent pas convaincants : il considère que l’Assemblée ne s’est pas réunie dans les formes constitutionnelles car elle n’a pas tenu sa session à Versailles263 et qu’elle a débattu sous la pression conjuguée des troubles extérieurs et d’intrigues intérieures, sans que des élections libres soient rendues possibles264 : partant, il ne prend pas en compte l’article 59 de la loi du 11 juillet 1938 portant organisation de la Nation en temps de guerre qui permet le transfert temporaire du siège des institutions265. Quant à l’argument de pression externe comme interne, il ne nous paraît pas être un argument juridique suffisamment fort pour entacher d’illégalité le vote : aussi est-il plus un raisonnement symbolique. Nous en concluons que le fait que l’Assemblée siège à Vichy est conforme au droit constitutionnel, et qu’elle peut ainsi valablement transmettre 262 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 301. Sur le procès de Riom, voir notamment : James de Coquet, Le procès de Riom. Paris : Fayard, 1945 ; Henri Michel, Le procès de Riom. Paris : A. Michel, 1979 ; Julia Bracher [Prés.], Riom 1942 : le procès. Paris : Omnibus, 2012. 263 Conformément à la loi organique du 22 juillet 1879 qui précise que le Congrès continue de se réunir à Versailles : loi du 22 juillet 1879 relative au siège du pouvoir exécutif et des Chambres à Paris à compter du 3 novembre 1879, Recueil Duvergier, p. 300, malgré les modifications antérieures. En effet, la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics dans son article 9 fixait « le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres (…) à Versailles. ». Or la loi du 21 juin 1879 qui révise l’article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 avait, quant à elle, transféré à Paris le siège du pouvoir exécutif et législatif (Journal officiel de la République française du 22 juin 1879). Soulignons que les lois constitutionnelles n’avaient pas prévu l’occupation du territoire métropolitain. 264 René Cassin, "Un coup d'Etat juridique. La soi-disant Constitution de Vichy", op. cit. 265 Loi dite « Paul-Boncour » du 11 juillet 1938 relative à l’organisation générale de la nation en temps de guerre, Journal officiel de la République française du 13 juillet 1938, p. 8330. Le décret du 7 juillet 1940, sur son fondement, transfère provisoirement le siège des pouvoirs publics à Vichy, Journal officiel de la République française du 8 juillet 1940, p. 4503 et décret du 8 juillet 1940, Journal officiel de la République française du 13 juillet 1940, p. 4505. Sur l’interprétation extensive de la loi du 11 juillet 1938 qui ne vise expressément que le gouvernement, voir Julien Laferrière, Le nouveau gouvernement de la France : les actes constitutionnels de 1940-1942, op. cit., p. 25. 75 l’exercice des pouvoirs constituants dérivés au gouvernement du régime de Vichy, si l’on prend en compte la faiblesse des remparts constitutionnels de la IIIème République266. Si l’on retient cette thèse, l’utilisation de pouvoirs constituants dérivés n’aboutit cependant pas à la ratification nationale des actes constitutionnels ni à la promulgation d’une nouvelle Constitution. Philippe Pétain, qui pourrait justifier ce fait par l’état de siège, spécifie que l’occupation l’en empêche : « Elle était prête depuis longtemps. Si je ne l’ai pas promulguée, c’est en raison de l’occupation. On ne donne pas une constitution nouvelle à un pays sous l’occupation. »267 Quelles que soient les tentatives de Philippe Pétain pour se dégager de sa responsabilité de ne pas avoir fait promulguer de nouvelle Constitution, il s’agit de s’intéresser aux raisons pour lesquelles l’occupation semble incontestablement avoir été un obstacle. Etait-ce le fait du refus du régime de Vichy pour préserver l’Etat occupé, comme le laisse entendre la dernière citation, ou bien plutôt celui de l’occupant, qui a cherché à la contrecarrer jusqu’aux derniers instants268? Si nous revenons à ce que nous avons établi, à savoir que le gouvernement de fait en temps de guerre est la puissance occupante qui ne laisse le régime de Vichy aux commandes des affaires courantes que par sa propre volonté, nous sommes quoiqu’il en soit d’avis que le principe, comme d’ailleurs la lettre fort républicaine269 de la nouvelle Constitution émise par Vichy, ne correspondent principalement pas aux enjeux stratégiques de la puissance occupante. 266 Cette conception va dans le sens d’une récente thèse qui examine le droit de Vichy : Thi Hong Nguyen, La notion d'exception en droit constitutionnel français, thèse dactylographiée de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. [s.l.] : [s.n.], 2013, consultée le 12 novembre 2014 sur http://www.theses.fr/2013PA010284/document, pp. 109ss. 267 « D’étroits contacts entre le Gouvernement et la Nation ont été prévus dans la Constitution. Cette Constitution sera bientôt prête, mais elle ne peut être datée que de Paris et ne sera promulguée qu’au lendemain de la libération du territoire. » : affirme Philippe Pétain dans er son Message du jour de l’An du 1 janvier 1942, in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 123. 268 Allocution de Philippe Pétain du 13 novembre 1943 concernant l’achèvement de sa nouvelle Constitution : Ibid., pp. 142ss. Cette allocution n’a jamais été radiodiffusée suite aux interventions des Allemands sur manœuvre de Pierre Laval. Elle a néanmoins circulé ; les pays étrangers la connaissent par la Suisse où Henry du Moulin de Labarthète, attaché financier à l’ambassade de Berne (ex-directeur du cabinet de Philippe Pétain), la fait diffuser. André Payot en parle à la radio suisse et, en France, la Légion française des combattants, Jean Jardel, Lucien Romier et Bernard Ménétrel répandent l’appel dans plusieurs départements : Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-195, op. cit., pp. 252255 et p. 264. 269 Jacques Godechot [Prés.], Les Constitutions de la France depuis 1789, op. cit., pp. 343ss. 76 Reste à aborder la question de la validité constitutionnelle du droit émis par Vichy. En effet, le droit discriminatoire, à l’instar des lois antisémites de Vichy, peut-il être considéré comme un monstre juridique270 car contraire, en son principe même, au concept d’un système de droit protégeant les personnes ? Ce serait un anti-droit271, un para-droit, un pseudo-droit. Si, pour des raisons intellectuelles et morales, nous sommes sensibles à cette critique, nous ne pouvons que rejeter cette position d’un point de vue de la logique juridique de l’époque, vu son absence de fondement en droit public, et considérer cette position comme étant méta-juridique. Effectivement, les lois constitutionnelles de 1875 n’incluent ni libertés et droits fondamentaux et ne se réfèrent à aucun « Etat de droit ». Il est patent que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’a aucune force normative car elle ne fait pas partie du corpus de droit positif de la IIIème République. Subsidiairement, le principe de l’écran législatif empêche d’interpréter le droit émis sous l’autorité du régime de Vichy à l’aide des principes généraux constitutionnels. Le Conseil d’Etat de la IIIème République, dans son arrêt Arrighi en 1936 avait clairement précisé son incompétence à opérer un contrôle de constitutionnalité d’un acte réglementaire pris en application d’une loi et, par conséquent, de contrôler la conformité d’une loi aux principes généraux du droit272 ; ce qui, dans son arrêt Vincent au printemps 1944, lui avait permis de rappeler sa même incompétence face aux décrets de Vichy exécutés comme loi d’Etat comme des lois parlementaires273. En conséquence, il est difficile de nier la validité juridique du droit de Vichy. Concrètement, nous ne pouvons que déplorer le fait que l’émission de droit propre à discriminer des personnes en fonction de ce qu’elles sont (ou, plus exactement, de ce que le droit prescrit qu’elles sont) et ainsi à les rendre incapables et indésirables, menant à des situations d’atteinte grave portée aux biens et surtout aux personnes, n’est donc pas contraire au droit de la IIIème République. Nous soulignons ici que la constitution souple et lacunaire de la IIIème République permet la violence des institutions à l’encontre de la vie d’individus. Le régime de Vichy a, par conséquent, le statut d’un système inique de gouvernement d’Etat ; reste à s’interroger si l’aspect autoritaire du régime est susceptible de questionner son statut de gouvernement investi. 270 Pour reprendre l’interprétation d’Eric Loquin, in "Le juif « incapable »", Le Genre Humain, 1996, n°30-31, pp. 173-188. 271 Comme le nomme Philippe Fabre, Le Conseil d’Etat et Vichy : le contentieux de l’antisémitisme. Paris : Publications de la Sorbonne, 2001, pp. 71ss. 272 Arrêt Arrighi du Conseil d’Etat du 6 novembre 1930, Recueil Lebon, p. 966. 273 Arrêt Vincent du Conseil d’Etat du 22 mars 1944, Recueil Lebon, p. 417 et Recueil Sirey, 1945, III, pp. 53-55 avec note Edouard Charlier p. 54. 77 b) La souveraineté du régime de Vichy : un « coup » d’un tyrannus ab exercitio ? La nature politique du régime de Vichy, notamment la question de son aspect potentiellement antirépublicain, pose la question de sa souveraineté en droit interne. Ainsi, sur le fondement de la loi constitutionnelle de 1884 qui nie le droit de modifier la nature républicaine du régime à l’Assemblée nationale274, les gaullistes considèrent que le régime de Vichy est inconstitutionnel car il leur semble patent qu’il veuille abolir la République275. Le régime de Vichy n’est dans cette optique qu’un tyrannus absque titulo car il fait usage du pouvoir sans titre juridique. Cependant, bien qu’elle soit fort séduisante, cette position ne tient pas à l’analyse juridique276. En effet, Philippe Pétain se défend d’avoir tenté de changer la forme du régime277 et considère que l’utilisation du terme « Etat français » est due à l’application stricte de l’expression de l’Assemblée nationale qui le charge de « promulguer (par un ou plusieurs actes) une nouvelle 274 Loi constitutionnelle du 14 août 1884 portant révision partielle des lois constitutionnelles (Journal officiel de la République française, 15 août 1884, p. 4361) modifie l’article 8 de la loi du 25 février 1875 relative aux pouvoirs publics par son article 2 à la suite de l’amendement Wallon et dispose comme suit : « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision ». Pour une étude de la loi constitutionnelle de 1884, voir Nathalie Droin, "Retour sur la loi constitutionnelle de 1884 : contribution à une histoire de la limitation du pouvoir constituant dérivé", Revue française de droit constitutionnel, 4/2009, n°80, pp. 725-747 et Olivier Jouanjan, "La forme républicaine du gouvernement, norme supraconstitutionnelle ?", in Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux [Dir.], La République en droit français : actes du colloque de Dijon, 10 et 11 décembre 1992. France : Economica, 1996, pp. 267-287. Sur la question de la dérogation au respect de la forme républicaine du gouvernement en cas de circonstances exceptionnelles, voir Serge Arné, "La prise de pouvoir par le Maréchal Pétain (1940) et le Général de Gaulle (1958) – Réflexions sur la dévolution du pouvoir", Revue du droit public et de la science politique en France et à ème l’étranger, 1969, pp. 48-99. Relevons enfin que l’article 95 de la Constitution de la IV République reprend textuellement l’article 2 de la loi du 14 août 1884. 275 S’appuyant sur la thèse de Maurice Hauriou qui considère que la limitation de la loi de 1884 a une force juridique supra-constitutionnelle : cf. Maurice Hauriou, Précis de droit ème éd., 1929, p. 276. constitutionnel. Paris : Sirey, 2 276 Comme certains protagonistes le reconnaissent une fois les armes posées : certains gaullistes admettent plus tard que la thèse de Cassin de l’illégalité de Vichy était une « thèse d’opportunité », à l’instar de François Quilici, éditeur du journal La Marseillaise, devant l’Assemblée nationale (Journal officiel de la République française, débats de l’Assemblée Nationale du 4 novembre 1950, p. 7452). Raymond Aron écrit de même que « Vichy était légal et probablement légitime » : in L’Opium des intellectuels. Paris : Calmann-Levy, 1955, p. 130. 277 « En ce qui concerne mon attitude vis-à-vis des institutions républicaines, je puis dire que je n’ai jamais eu aucune ambition politique : je n’ai jamais eu même l’idée de me servir des évènements pour renverser un régime vis-à-vis duquel j’ai toujours observé la plus grande loyauté. J’ai cherché simplement, à la demande de l’Assemblée nationale, des moyens de l’améliorer » : Message du 12 août 1941 au peuple français in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., pp. 107ss. 78 constitution de l’Etat français »278. D’ailleurs, il suspend certains articles des lois constitutionnelles de 1875279 par ses actes constitutionnels, non les lois dans leur ensemble ; aucun de ces actes n’abolit officiellement la République280. Relevons que le Président de la République Albert Lebrun, qui s’est retiré, n’a en outre élevé aucune objection à l’usage qui est fait des termes « Etat français ». Aussi Philippe Pétain se targue-t-il d’avoir refusé la dictature : « Je me rappelle que la révision de la constitution a été souhaitée par la quasi-unanimité du parlement. Car, parmi ceux-là mêmes qui devaient voter contre le projet de loi, le 10 juillet, un certain nombre ayant à leur tête Paul-Boncour m’ont déclaré qu’ils souhaitaient me voir conférer les pleins pouvoirs comme à un dictateur romain. J’ai refusé ce présent. J’ai répondu : « Je ne suis pas un César et je ne veux point l’être »281. Ainsi, nous ne disposons pas d’élément objectif qui montre que la République soit formellement abolie. Or, comme les lois constitutionnelles de la IIIème République ne précisent pas de critères aux contours suffisamment clairs et précis, nous sommes dans l’impossibilité d’effectuer un examen plus approfondi relativement à la question du respect du caractère républicain de l’Etat par Vichy. Nous ne pouvons pas non plus établir, par voie de conséquence, si la République est alors abolie dans les faits, ou si une telle abolition est inscrite dans l’agenda caché du gouvernement de Vichy. Aucune source ne nous donne de piste à cet égard et les opinions des sources secondaires, partisanes, ne nous permettent pas de nous prononcer. A notre sens, cela est dû au fait que les lois constitutionnelles restent marquées par l’ambiguïté de la volonté de ses constituants à 278 Jacques Isorni (qui se trouve être l’un des défenseurs de Philippe Pétain), Mémoires 19111945. Paris : Laffont, 1984, p. 41. 279 Comme par exemple l’article 3 de l’acte constitutionnel n°3 du 11 juillet 1940 abrogeant er l’article 1 de la loi du 16 juillet 1875 : Journal officiel de la République française, 12 juillet 1940, p. 4518. 280 Comme le remarque le président Edouard Herriot d’après Francis Leenhardt lors de la deuxième séance de l’Assemblée constituante du 18 avril 1946, Journal officiel de la République française du 19 avril 1946, pp. 2016-2017. D’ailleurs, l’article 14 de la Constitution du régime de Vichy qui n’a pas été adoptée précise que le chef de l’État porte le titre de Président de la République : Jacques Godechot [Prés.], Les Constitutions de la France depuis 1789, op. cit., p. 345. D’ailleurs, force est de constater que, dans les faits, la République demeure car aucun autocrate héréditaire ne prend le pouvoir et par voie de conséquence le régime de Vichy reste conforme aux prescriptions constitutionnelles, comme le relève Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 278. 281 Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 34. Toutefois, l’orgueil de Philippe Pétain et son ambition personnelle sont souvent soulignés par les observateurs, à l’instar de la légation suisse : « Le Maréchal, ainsi que le prouvent les événements, est fermement décidé à rester à la tête de l’Etat, coûte que coûte. Il y est poussé non seulement par le sens qu’il a de ses responsabilités et par son entourage, mais aussi par un sentiment intime puissant : l’amour du pouvoir. » : in Lettre du chargé d’affaires a.i. de la légation de Suisse en France à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Vichy, le 11 janvier 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 79 leur origine qui n’entérinaient pas de République forte, permettant à des velléités légitimistes, orléanistes et bonapartistes d’éventuellement refaire surface282. Or, même si nous considérons alors que le régime de Vichy n’abolit pas la République, il est loisible de se demander s’il a pour autant le droit de modifier la nature démocratique de la République, car tel un tyrannus ab exercitio, le gouvernement du régime de Vichy est devenu par rejet du parlementarisme un gouvernement autoritaire centré sur le pouvoir exécutif283. Il est patent que Philippe Pétain cherche jusqu’au 20 août 1944 à faire reconnaître qu’il incarne la souveraineté française284. Avec cette individualisation du pouvoir285 et avec l’assentiment de la majeure partie de la population286, fusionnent les deux personnes qui ne se confondaient plus depuis la monarchie absolue c’est-à-dire la personne morale et la personne physique du représentant de l’Etat287. Il n’y a plus de garantie que la loi soit l’expression de la volonté générale et non pas celle de la volonté 282 A ce sujet, voir en Odile Rudelle, La République absolue : aux origines de l’instabilité constitutionnelle de la France républicaine 1870-1889. Paris : Publications de la Sorbonne, 1982, pp. 41ss. 283 « La France est soumise à un régime qui emprunte la forme républicaine jusqu’aux premiers actes constituants du Maréchal le 11 juillet 1940 puis une forme autoritaire à partir de cette date » : Emmanuel Cartier, "Histoire et droit : rivalité ou complémentarité ?", Revue française de droit constitutionnel, 2006/3, n°67, p. 524. Cette formule est à rapprocher de celle du procureur général André Mornet qui affirme : « Aux termes du second acte, Pétain concentrait en lui tous les pouvoirs : pouvoir exécutif, pouvoir législatif, en attendant que, plus tard, il exerçât le pouvoir judiciaire. Il nommait les ministres, qui n’étaient responsables que devant lui. Or, cela, c’est le principe fondamental du gouvernement démocratique dont on faisait purement et simplement abstraction. » : in Réquisitoire du procureur général Mornet, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Dix-huitième audience, samedi 11 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 325, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 284 Ainsi, misant sur le soutien populaire, Philippe Pétain tente de déclarer encore le 12 novembre 1943 qu’il « incarne aujourd’hui la légitimité française » : cf. Jean-Raymond Tournoux, Pétain et de Gaulle, op. cit., p. 312 ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 72 ; « sur le plan de l’opinion, la dissidence africaine a augmenté le trouble dans les esprits. C’est pourquoi, en toutes occasions, j’ai proclamé la légitimité d’un pouvoir que je suis seul à tenir légalement du peuple français. » : in Lettre de Pétain du 11 décembre en réponse à la lettre de von Ribbentrop du 29 novembre 1943, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9 ; dans le procès-verbal de la séance du Conseil des Ministres du 17 novembre 1942, Philippe Pétain et Pierre Laval relèvent que Philippe Pétain continue « comme chef de l’Etat, à incarner la souveraineté française et la permanence de la Patrie » : in Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., pp. 244ss. 285 Pour reprendre l’expression d’Albert Mabileau qui distingue notamment l’individuation du pouvoir de la personnification du pouvoir dans son article "La personnalisation du Pouvoir dans les gouvernements démocratiques", Revue française de science politique, 1960, vol. 10, n°1, p. 40. 286 « Le gouvernement dit «gouvernement de Vichy » est donc bien factuellement et juridiquement le gouvernement de la France pendant cette période, ainsi qu’en témoignent son acceptation par la majorité des Français sur le plan interne » : in Emmanuel Cartier, "Histoire et droit : rivalité ou complémentarité ?", op. cit., p. 524. 287 Pour reprendre le concept développé par Ernst Kantorowicz dans son ouvrage Les deux corps du roi. Paris : Gallimard, 1989. 80 personnelle du chef de l’Etat288. Le régime prescrit effectivement dès ses débuts que le principe de la volonté générale s’impose à celui de la volonté de la majorité arithmétique pour produire le droit, en utilisant les pleins pouvoirs attachés à l’état d’exception avec prétention à la légalité289, comme le précise Philippe Pétain : « Je voudrais, enfin, rappeler à la grande République américaine les raisons qu’elle a de ne pas craindre le déclin de l’idéal français. Certes, notre démocratie parlementaire est morte. Mais elle n’avait que peu de traits communs avec la démocratie des Etats-Unis. »290 Le régime de Vichy a-t-il pour autant opéré un coup d’Etat ? La formule est de René Cassin, pour qui les manœuvres politiciennes de Philippe Pétain ne sont qu’« un coup d’État intérieur, coloré seulement d'une apparence juridique » ; se fondant sur l’adage selon lequel la fraude et la violence vicient tout, René Cassin considère ainsi que la délégation de pouvoirs inconstitutionnelle de l’Assemblée est de nullité d'ordre public291. 288 Julien Laferrière, Le nouveau droit public de la France. Paris : Sirey, 1941, p. 9, contrairement à l’opinio juris majoritaire personnifiée par Roger Bonnard : voir Marc-Olivier Baruch, Servir l’Etat français : l’administration en France de 1940 à 1944. France : Fayard, 1997, p. 58 et, du même auteur, "A propos de Vichy et de l’état de droit", Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, n°6, printemps 2000, pp. 53-68. 289 Tel que le décrit Mercier-Josa concernant les principes de Carl Schmitt in Solange MercierJosa, "A propos de la légalité et légitimité de Carl Schmitt" in Carlos-Miguel Herrera [Dir], Le droit, le politique : autour de Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt ; colloque organisé par l’URA 1394 CNRS-Université de Paris X « Philosophie politique, économique et sociale ». Paris : Ed. L'Harmattan, 1995, pp. 89-98. 290 Message du 12 août 1941 au peuple français, cité in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., pp. 107-108. 291 René Cassin, "Un coup d'Etat juridique. La soi-disant Constitution de Vichy", op. cit. 81 De surcroît, lors du procès de Philippe Pétain, l’expression de coup d’Etat est employée plusieurs fois pour qualifier l’action de l’ancien chef de l’Etat français292. En l’absence de théorie juridique du coup d’Etat, nous nous appuyons pour répondre à cette question sur les sources doctrinales de l’entre-deux guerres. En effet, celles-ci considèrent le coup d’Etat de deux manières : soit comme étant une transgression juridique, un fait hors du droit293, soit comme un événement qui fasse perdre toute ou une partie de sa force juridique à la Constitution antérieure, car de nouveaux gouvernants 292 L’expression est notamment reprise par Edouard Herriot, Président de la Chambre des députés, pendant le procès de Philippe Pétain : « L’acte constitutionnel numéro 1 dit : "Nous déclarons assumer les fonctions de chef de l’Etat". Entre le premier texte voté par l’Assemblée et le premier acte constitutionnel, il y a le coup d’Etat ; c’est là qu’il se place […] la dictature est réalisée » : in Déposition d’Edouard Herriot, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Septième audience, lundi 30 juillet 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 112. De même, le procureur général Mornet utilise le même jour l’expression « coup d’Etat » en visant les trois actes constitutionnels promulgués le 11 juillet 1940 : in Déposition d’Edouard Herriot, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Septième audience, lundi 30 juillet 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 118. Une joute verbale entre le premier président Paul Mongibeaux et Pierre Laval est aussi axée sur ce terme : « Ce coup d’Etat a-t-il été fait par le Maréchal seul… - Jamais je n’ai fait de "coup d’Etat". – Mettons, si vous le voulez, cette "opération politique" si le mot vous déplaît. – Le mot "coup d’Etat" me choque dans la mesure où je n’ai jamais rien fait pour l’accomplir […] il ne pouvait pas être question de coup d’Etat », in Déposition de Pierre Laval, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Onzième audience, vendredi 3 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 188-189, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. Le procureur André Mornet clame enfin : « Attentat contre la République, c’est ainsi qu’a commencé l’affaire Pétain » : in Réquisitoire du procureur général Mornet, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Dix-huitième audience, samedi 11 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 319, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. C’est en ce sens que l’arrêt de la Haute Cour considère que « Pétain en arrivait bientôt à supprimer les institutions républicaines, donnait au régime politique qu’il imposait à notre pays une ressemblance de plus en plus grande avec le régime allemand et le régime italien, c’est-à-dire avec le régime des pays dont la victoire lui avait facilité la révolution intérieure qu’il avait accomplie et qu’il n’hésitait pas, par une sorte de dérision verbale, à appeler "notre révolution nationale" » : in Arrêt de la Haute Cour de Justice, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Vingtième audience, mardi 14 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 385, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 293 Carré de Malberg déclare ainsi que par le fait même du coup d’Etat « il n’y a plus ni principes juridiques ni règles constitutionnelles : on ne se trouve plus ici sur le terrain du droit, mais en présence de la force » ou encore « il n’y a point de place dans la science du droit public pour un chapitre consacré à une théorie juridique des coups d’Etat ou des révolutions et de leurs effets » : Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat. Paris : Sirey, 1920-1922, pp. 497ss. 82 prennent la tête de l’Etat en violation des règles préexistantes de dévolution du pouvoir294. Si l’on comprend le coup d’Etat comme un acte que le droit peut appréhender, on peut le qualifier comme cet « attentat contre la liberté publique, qui réside essentiellement dans l’équilibre des pouvoirs organisés. L’acte est brusque, et toujours il se revêt de formes légales, car l’agresseur, quel qu’il soit, possède des pouvoirs réguliers, puisqu’il fait partie d’un corps constitué »295. Ce qui retient notre attention, c’est que la définition correspond à la prise du pouvoir par le régime de Vichy, d’autant plus qu’il a utilisé la violence à l’encontre de toute résistance296. Ceci étant, la prise de pouvoir comme le maintien du régime de Vichy aux rênes de l’Etat français pendant quatre ans est-elle plutôt le fait d’un coup de force297 que celle d’un coup d’Etat ? D’après la distinction opérée par Marcel Prélot, le coup de force ou putsch est mené de l’intérieur du système institutionnel par un individu qui détient déjà l’essentiel du pouvoir ou qui y dispose de puissants complices, tandis que le coup d’Etat n’est pas le fait de particuliers mais d’un corps public subordonné qui s’approprie l’autorité de l’Etat, hors des voies constitutionnelles298. En ce sens, le régime de Vichy s’est imposé par la volonté de Pierre Laval, Philippe Pétain et leur entourage, avec l’assentiment nécessaire des forces d’occupation et non uniquement du corps de l’armée et de la police : il s’agirait dès lors non pas d’une usurpation de pouvoir mais d’un coup de force. Toutefois, il est utile de relever que ce coup de force ne s’opère pas en complète rupture avec l’ordre juridique antérieur : ainsi, si elle trouve une certaine inspiration dans les droits nazis et fascistes, la législation et l’administration 294 Adhémar Emstein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit., pp. 501511. La définition de prise illégale du pouvoir est notamment celle reprise par le Dictionnaire Capitant : Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique. Paris : Presses Universitaires de France, 2000, article Coup d’Etat. Relevons que l’exécutif est ainsi l’organe de prédilection des coups d’Etat, comme le relève Hauriou : « toute la force gouvernementale se trouve concentrée dans le pouvoir exécutif » in Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, op. cit., pp. 304-383. 295 Georges Pariset, "La Révolution (1792-1799)", in Ernest Lavisse [Dir.], Histoire de France contemporaine : depuis la Révolution jusqu'à la paix de 1919. Paris : Hachette, 1921, t. 2, p. 112. 296 Notamment via les cours martiales de 1944 après la Cour de Riom : sur ce sujet, voir notamment Alain Bancaud, "La magistrature et la répression politique de Vichy ou l’histoire d’un demi-échec", Droit et Société, n°34, 1996, pp. 557ss. ; Virginie Sansico, La justice du pire, Les cours martiales sous Vichy. Paris : Payot, 2003 ; de la même auteure : "France, 1944 : maintien de l’ordre et exception judiciaire. Les cours martiales du régime de Vichy", Histoire@Politique, Politique, culture, société, n°3, novembre-décembre 2007. 297 Ou, comme le formule André Mornet, un « abus de confiance » : « A côté de la haine du régime, à côté de l’empressement à accepter la défaite, à côté de la souveraineté de la France annihilée, il y a quelque chose qui a une qualification dans le Code pénal et qui s’appelle "l’abus de confiance". » : in Réquisitoire du procureur général Mornet, Compterendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Dix-huitième audience, samedi 11 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 325, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 298 Marcel Prélot, Institutions politiques et droit constitutionnel. Paris : Dalloz, 1963, p. 186. 83 discriminatoire notamment xénophobe, antisémite, raciste et sexiste de Vichy est l’héritière d’une politique et d’une pratique d’exclusion bien identifiée dans les décennies précédentes tant dans l’opinion publique que dans les rangs parlementaires299. Le fait que Vichy ait conservé la quasi-totalité du personnel de la police de la IIIème République300 participe, d’ailleurs, à asseoir l’interprétation d’un Vichy « face cachée » de la République301. C’est ainsi que l’on peut considérer que « la singularité [de Vichy] n’est pas d’avoir "cessé d’être un Etat de droit" même s’il est vrai qu’il use toujours plus de méthodes administratives et policières, toujours plus de législations et de juridictions d’exception »302 : régime autoritaire et répressif303, il cherche via l’image de son attachement à la tradition légaliste française à lutter contre la Résistance et imposer l’assise de son autorité alors-même que son impuissance se développe. L’exemple de la modification de la législation relative à l’état de siège est significatif : la loi du 14 septembre 1941304 instaure un « état de guerre fictif civil » prolongé par l’acte du loi du 10 juin 1944 prorogeant l’activité des cours martiales jusqu’à la fin de l’année305. 299 A titre d’exemple : « L’Allemagne ne fut pas à l’origine de la législation antijuive de Vichy. Cette législation fut, si j’ose dire, spontanée, autochtone. » : Henry du Moulin de Labarthète, Le temps des illusions. Genève : éd. du cheval ailé, 1946, p. 267. Voir de même Dominique Gros, "Le « statut des juifs » et les manuels en usage dans les facultés de Droit (19401944) : de la description à la légitimation", Cultures & Conflits, n°9-10, 1993, pp. 139-154 ; ème Marie-Claire Laval-Reviglio, "Parlementaires xénophobes et antisémites sous la III République", Le Genre Humain, Le Droit antisémite de Vichy, n°30-31, mai 1996, pp. 85114 ; Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy et les juifs. France : Calmann-Lévy, 1981 ; Hugues Moutouh, "Le Bon Grain de l'Ivraie. Brève histoire de la préférence nationale en droit français", Recueil Dalloz, 1999, pp. 419-429 ; Gérard Noiriel, Les Origines républicaines de Vichy. Paris : Hachette, 1999, pp. 85ss. ; Denis Peschanski, La France des camps. L’internement 1938-1946. France : Gallimard 2002, pp. 32ss. ; Mattias Guyomar et Pierre Collin, "Les décisions prises par un fonctionnaire du régime de Vichy engagent la responsabilité de l'Etat", note sous l’arrêt du Conseil d’Etat Ass. Papon du 12 avril 2002, L'actualité juridique du droit administratif, 2002, n°5, Chroniques, p. 427 ; Bernard Laguerre, "Les dénaturalisés de Vichy (1940-1944)", Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, n°20, octobre-décembre 1988, pp. 3-15 ; Anne Simonin, Le déshonneur de la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, op. cit. 300 Jean-Marc Berlière, "« La Cour du 19 août 1944 » : essai sur la mémoire policière", Crime, Histoire & Sociétés, 1999, vol. 3, n°1, pp. 105-127. 301 Selon l’expression de Régis Meyran, "Vichy ou la « face cachée » de la République", L’Homme, 106 / 2001, pp. 177-184. 302 Alain Bancaud, "Vichy et les traditions judiciaires", CURAPP – Questions sensibles, PUF, 1998, p. 172. Concernant les juridictions d’exception du régime de Vichy, voir en particulier : Louis Noguères, Le véritable procès du Maréchal Pétain, op. cit., pp. 317-350. 303 Alain Bancaud, "La magistrature et la répression politique de Vichy ou l’histoire d’un demiéchec", op. cit., pp. 560ss. 304 Journal officiel de l’Etat français, 18 septembre 1941, p. 3991. 305 Anne Simonin, Le déshonneur de la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, op. cit., p. 384. 84 En particulier, il est utile de rappeler que Vichy n’a pas innové en créant une gestion de l’exception juridique et judiciaire, mais s’inscrit dans une « tradition de recours à l’exception » et des « prédispositions autoritaires » de l’organisation de la justice et de l’administration (discipline d’Etat, sévérité), notamment républicaines306. C’est pourtant cette qualification de droit d’exception qui, de manière erronée nous semble-t-il, permet à la doctrine majoritaire actuelle de rejeter le droit de Vichy comme non-conforme aux principes d’équité et de justice307, car la démarche impliquerait de rejeter aussi, par conséquent, le droit de la IIIème République (qui considère, à titre d’exemple, les "indigènes" et les femmes comme incapables). Enfin, pour reprendre la notion abordée précédemment, nous ne pouvons pas considérer le régime de Vichy comme un gouvernement qui bénéficie d’un « état d’exception ». En effet, si nous nous fondons sur le iustitium (notion à origine de l’« état d’exception » en droit romain308), ce dernier ne peut pas être réalisé par des autorités à l’exercice de la souveraineté limitée. Si le régime nazi laisse formellement subsister la constitution de Weimar sans l’abroger de manière explicite, c’est pour la vider de son sens en lui superposant une structure parallèle qui créé un tout nouveau droit, réalisant là le iustitium. Or, c’est un régime souverain. Le régime de Vichy ne va pas aussi loin et reste dans une continuité d’un cadre positiviste légaliste classique, quitte à mettre au jour des législations et règlements fortement discriminatoires. Par son coup de force, le régime de Vichy est ainsi celui d’un gouvernement investi en droit interne depuis l’été 1940 qui s’inscrit dans une certaine continuité institutionnelle avec la IIIème République. Il est à noter, quoi qu’il en soit, que le coup de force n’est pas une catégorie juridique applicable en droit de l’époque. Toutefois, elle permet de qualifier la nature de l’exercice de la souveraineté qu’effectue le régime de Vichy. Ainsi, son statut 306 Alain Bancaud, "Vichy et les traditions judiciaires", op. cit., pp. 179-180. 307 Maurice Duverger, "La perversion du droit", in Religion, société et politique : mélanges en hommage à Jacques Ellul. Paris : P.U.F., 1983, pp. 704-718 ; Danièle Lochak, "Le juge doitil appliquer une loi inique ?", Le Genre Humain, 1994, n°28, pp. 33ss. ; Dominique Gros, "Le droit antisémite de Vichy contre la tradition républicaine", Le Genre Humain, 1994, n°28, pp. 17-26, ainsi que du même auteur "Un droit monstrueux ?", Le Genre Humain, 1996, n°3031, pp. 561-576 ; Daniel Vergely, La notion d’exception en droit, thèse dactylographiée, Université Paris X-Nanterre. [s.l.]: [s.n.], 2006, pp. 37ss. ; Sophie Attali, Le droit antisémite de Vichy : un droit politique d’exception, thèse dactylographiée, Université Toulouse I. [s.l.] : [s.n.], 2008, pp. 150ss. 308 William Seston, Scripta varia. Mélange d’histoire romaine, de droit, d’épigraphie et d’histoire du christianisme. Rome : Ecole française, 1980, pp. 155-173 ; voir aussi Giorgio Agamben, L'Etat d'exception. Homo Sacer II. Paris : Seuil, 2003. 85 juridique est fragilisé par le fait qu’il est un régime politique contesté depuis sa constitution ; c’est la critique de son manque de contrôle et d’ordre juridique que nous proposons d’envisager dans une seconde partie. B – Le statut juridique du régime de Vichy en droit interne : un gouvernement contesté En dépit de son investiture, le gouvernement du régime de Vichy est vivement contesté. Après une revue des arguments de la France Libre qui réfutent sa légitimité (a), nous aborderons comment l’ordre juridique concurrent allègue la nullité tant de son assise que de ses actes (b), avant de mettre à jour les contours de la perte de l’exercice de la souveraineté pour chacun des camps (c). a) Du constat de la souveraineté limitée du régime de Vichy à la remise en question de sa légitimité Le régime de Vichy ne jouit pas de toutes les prérogatives de la souveraineté française au 19 août 1944. Effectivement, depuis le 17 novembre 1942 tout au moins, date des actes constitutionnels n°11, 12 et quinquies par lesquels le chef de l’Etat délègue au chef de gouvernement le pouvoir de promulgation des lois et décrets à durée indéterminée (hormis certains actes comme la déclaration de guerre et la promulgation d’actes constitutionnels), Philippe Pétain est contraint de partager le pouvoir avec Pierre Laval dans un Etat occupé par les forces allemandes. Dès lors, prisonnier volontaire de sa propre mystique de rester sur le territoire au côté des Français309, Philippe Pétain garde l’apparence d’un pouvoir, mais il ne peut cacher que ce pouvoir est maintenu grâce à maintes compromissions310. En outre, la tentative de « légaliser » l’Etat, en formant de nouveau l’Assemblée nationale à la mi-août 1944, est un échec311. 309 A la Commission d’enquête parlementaire qui l’interroge le 10 juillet 1947 à l’Ile d’Yeu : « pourquoi ne pas avoir rejoint Alger ? – Pendant que les Allemands occupaient la France, je m’étais fait un devoir de ne pas quitter le pays… je crois avoir rendu service aux Français, mais j’aurais peut-être rendu service à la France si j’étais passé de l’autre côté » in Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., p. 229. 310 Comme le relève Pierre Bourget, Un Certain Philippe Pétain, op. cit., p. 222. 311 Voir notamment : Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 76 et pp. 85ss. et infra : chapitre 2, section 1. 86 La faiblesse du gouvernement du régime de Vichy est soulignée par ses adversaires, qui, s’ils ne bénéficient pas d’une investiture constitutionnelle, ont néanmoins pour objectif d’y apporter une alternative. Sur le plan rhétorique en effet, les discours des deux camps s’opposent avec la même arme symbolique, celle de la légitimité. Quand Charles de Gaulle appelle à la continuation de la guerre et à la résistance, sur un fondement légitime basé sur le « bien commun »312, Philippe Pétain parle tout autant d’honneur, de dignité, de bien commun et d’intérêts permanents de la France313. Il s’agit là de l’impasse de la coexistence de deux gouvernements auto-déclarés légitimes314. Certes, en droit interne, il ne peut y avoir qu’un gouvernement ; la légitimité d’un gouvernement est néanmoins indépendante de sa conduite de la politique315 et a priori seul le gouvernement de fait, et non celui de droit, pourrait être considéré comme illégitime316. Or, si l’on reconnaît être en présence de la coexistence de deux entités se présentant comme pouvoirs de fait, la distinction de Gaston Jèze peut être utile. Celui-ci souligne notamment, dans l’entre-deuxguerres, la différence entre les gouvernements de fait légitimes et les gouvernements de fait usurpateurs : selon lui, contrairement aux seconds, les premiers sont approuvés par la population317. Reste à définir les contours de la population concernée318 et, à savoir ce que nous devons retenir pour qualifier son expression : que son approbation soit manifeste et formelle ou qu’elle soit plutôt implicite, c’est-à-dire qu’elle consiste en l’absence de manifestation contraire ? Le témoignage de popularité est ainsi un indice 312 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., pp. 370ss. 313 Cf. les appels de Philippe Pétain, en particulier celui du 25 juin 1940 reproduit in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., pp. 51ss. 314 Maurice Flory, Le statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre 1939-1945, op. cit., p. 33. 315 Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 279. 316 Maurice Duverger, "Contribution à l’étude de la légitimité des Gouvernements de fait", Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, janvier-mars 1945, n°60, p. 76. 317 Gaston Jèze, Les Principes généraux de droit administratif. Paris : Giard, 3 pp. 343ss. 318 La notion de population revêt plusieurs réalités. La population française est en effet divisée à divers titres : sur le plan territorial, d’abord, ce qui implique qu’elle ne réponde pas aux mêmes commandements civils et surtout militaires, mais aussi sur le plan de la capacité. La population française d’avant 1945, est sous un régime de suffrage dit universel masculin qui n’est autre que très restreint dans la pratique ; une très grande partie de la population est discriminée, le statut civique étant lié au statut personnel et civil et non pas à la nationalité des individus. Ainsi, non seulement toutes les femmes mais aussi la plupart de ceux qui sont appelés indigènes hors de la métropole sont privés de droits civiques : voir notamment Christian Bruschi, "La nationalité dans le droit colonial", Procès, Cahiers d’analyse politique et juridique, n°18, 1987-1988, pp. 29-83 ; Emmanuelle Saada, "Une nationalité par degré ; civilité et citoyenneté en situation coloniale" in Patrick Weil et Stéphane Dufoix [Dir.], L’esclavage, la colonisation, et après... Paris : PUF, 2005, p. 209 ; Hervé Andres, "Droit de vote : de l’exclusion des indigènes colonisés à celle des immigrés", Revue Asylon(s), n°4, mai 2008, p. 6. 87 ème éd., t. 2, 1930, séduisant mais, sans définition claire, il ne peut être convaincant. Il est pourtant utilisé par certains protagonistes pour valider la légitimité de l’un des deux camps. Aussi, le gouvernement du régime de Vichy serait-il devenu impopulaire à partir de la rencontre Hitler – Pétain à Montoire319, comme a pu le soutenir le procureur du procès d’Angelo Chiappe320, lors du retour de Pierre Laval en avril 1942, à partir de novembre 1942 ou dès les lendemains des premiers jours de la libération du territoire métropolitain ? Ce qui n’est pas opposable, c’est qu’à l’armistice Philippe Pétain est acclamé et qu’à la Libération, il ne l’est plus. Quant à la France Libre, à quel moment est-elle considérée comme populaire321 : dès sa création d’un « gouvernement provisoire », accompagné d’une « Assemblée »322 ou dès les premiers jours de la libération du territoire, les forces alliées décidant d’abandonner leur projet d’A.M.G.O.T., vu l’accueil favorable de la population323 ? En l’occurrence, il est patent que l’adhésion populaire sur le territoire métropolitain au gouvernement de Vichy en 1940 est à mettre en parallèle à l’adhésion à l’entité gaulliste dès le débarquement de l’été 1944324. Selon Charles de Gaulle lui-même, la légitimité de la France Libre est une légitimité « qui procède du salut public et que, toujours, reconnaît la France au fond de ses grandes 319 Charles de Gaulle déclare, dès cet instant : « désormais, d’évidentes raisons me commandent de dénier, une fois pour toutes, aux gouvernements de Vichy le droit de légitimité, de m’instituer moi-même comme le gérant des intérêts de la France, d’exercer dans les territoires libérés les attributions d’un gouvernement. A ce pouvoir, comme tenant et comme aboutissant, je donnai : la République, en proclamant mon obédience et ma responsabilité vis-à-vis du peuple souverain et en m’engageant, d’une manière solennelle, à lui rendre des comptes dès que lui-même aurait recouvré sa liberté. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., pp. 121-122. 320 Combat, 23 décembre 1944. De même, dans la zone sud occupée, le Comité national des juristes, avec l’avocat Paul Vienney, diffuse une brochure à la fin de l’année 1943 qui sous entend que la souveraineté politique n’appartient plus au gouvernement et suggère son illégitimité : cf. Me Portalis [Pierre Garraud], Le gouvernement de Vichy est-il légitime ? Brochure clandestine éditée par le Comité national des juristes (zone nord), France, 1943. 321 Charles de Gaulle dans ses mémoires fait remonter à 1942 ses hésitations : « Ce chef, que n’avaient investi nul souverain, nul parlement, nul plébiscite, et qui ne disposait en propre d’aucune organisation politique, serait-il longtemps suivi par le peuple le plus mobile et indocile de la terre ? » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 629, à propos des divisions de la population et des pressions diverses, telle celle des forces communistes. 322 L’Assemblée consultative provisoire, inaugurée le 3 novembre 1943, siège jusqu’à la Libération plus de cinquante fois, surtout en Commissions, pour traiter de sujets divers comme l’épuration et l’établissement des pouvoirs publics à la Libération : cf. Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 416. 323 « En somme, c’est l’Etat qu’on voyait reparaître dans les faits et dans les esprits avec d’autant plus de relief qu’il n’était pas anonyme. Dès lors que Vichy ne pouvait plus faire illusion, les enthousiasmes ou les consentements, sans parler des ambitions, se portaient vers de Gaulle d’une manière automatique. » : in Ibid., p. 385. 324 Robert Paxton, La France de Vichy 1940-1944, op. cit., p. 225 ; Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy. Paris : Seuil, 1990, p. 286. 88 épreuves, quelles que fussent les formules dites « légales » du moment »325. Dès 1940 et malgré le soutien de la majeure partie des chambres parlementaires comme de la population de la métropole, Charles de Gaulle considère effectivement que Vichy « n’est pas du tout la France » : selon sa vision, le gouvernement du régime de Vichy ne représente qu’une France résiduelle, c’est-à-dire une « France officielle » dissociée de la « France réelle »326. C’est ainsi qu’à Brazzaville il déclare qu’« il n’existe plus de gouvernement proprement français. En effet, l’organisme sis à Vichy, et qui prétend porter ce nom, est inconstitutionnel et soumis à l’envahisseur »327. En d’autres termes, pour la France Libre, c’est notamment parce qu’il est dépourvu de liberté328 et servile329 que le 325 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 385. Charles de Gaulle est en effet persuadé être investi par la nation du pouvoir d’assurer le calme et l’ordre, jusqu’à l’épuisement des menaces : c’est la légitimité de salut public (Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., pp. 608ss.). Voir de même : « Cette légitimité de salut public, donnée par la voix du peuple, reconnue sans réserve, sinon sans murmure, par tout ce qui était politique, ne se trouvait contestée par aucune institution. Il n’y avait, dans l’administration, la magistrature, l’enseignement, non plus que dans les armées, aucune réticence à l’égard de mon autorité. » : in Ibid., p. 608 ; ainsi que : « La légitimité naît des victoires remportées par les armes dans la défense de la patrie. L’amendement Wallon, estce que cela compte ? à côté de la légitimité apportée par Gambetta ? » : propos de Charles de Gaulle notés par Pierre Messmer, Les écrits militaires, cité Charles de Gaulle, Mémoires, op. cit., Notes et variantes, note 25, pp. 1291-1292. 326 Les expressions sont citées in Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., p. 83. L’expression « Etat officiel » pour désigner le gouvernement du régime de Vichy se situe dans Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 631. 327 Manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940 relatif à la direction de l’effort français dans la guerre ainsi que l’ordonnance n°1 du 27 octobre 1940 organisant les pouvoirs publics durant la guerre et instituant le Conseil de Défense de l’Empire, Journal officiel de la France Libre, Afrique équatoriale française le 27 octobre 1940, p. 1 et Journal officiel de la France Libre n°1 du 20 janvier 1941, p. 3. Il nous semble intéressant de relever que si de la légitimité de la France Libre, Charles de Gaulle déduit la transition d’une entité militaire à une entité politique, ce n’est pas au goût de tous ses membres : certains protagonistes s’opposent à ses velléités de prise de pouvoir en ne retenant que la légitimité combattante. Voir par exemple : Henri de Kerillis, De Gaulle dictateur, une grande mystification de l’histoire. Montréal : Beauchemin, 1945, pp. 13ss. 328 « Il ne peut y avoir de gouvernement légitime qui ait cessé d’être indépendant. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 583. De même, « La légitimité authentique, c’est le refus du joug de l’occupant » : in Raymond Tournoux, Pétain et de Gaulle, op. cit., p. 235 ; Voir Charles de Gaulle, Discours du 23 juin 1940 au Royal Institute of International Affairs in Documents on International Affairs, 1939-1946, Vol. II : Hitler’s Europe. Londres : Margaret Carlyle éd., 1954, p. 166 ; Dominique Rousseau, "Vichy a-t-il existé ?", Le Genre Humain, n°28, été-automne 1994, pp. 97-106. 89 régime de Vichy est illégitime. Le gouvernement du régime de Vichy dans cette optique a une assise légale de façade mais aucune légalité effective et, de ce fait, il perd le crédit que la légalité lui apporte330. De surcroît, il est, toujours selon cette conception, un gouvernement de facto complice d’un pouvoir ennemi d’occupation331. Par opposition, Charles de Gaulle clame à Bayeux : « C’est ici que sur le sol des ancêtres, apparaît l’Etat, l’Etat légitime »332. En 1944, en effet, il déclare solennellement : « Un appel venu du fond de l’Histoire, ensuite l’instinct du pays, m’ont amené à prendre en compte le trésor en déshérence, à assumer la souveraineté française. C’est moi qui détiens la légitimité. C’est en son nom que je puis appeler la nation à la guerre et à l’unité, imposer l’ordre, la loi, la justice, exiger au-dehors le respect des droits de la France. »333 Sur le terrain de l’éloquence, la légitimité s’impose ainsi comme un argument clé de l’opposition à la validité du statut juridique du gouvernement du régime de Vichy. Du côté de la Résistance intérieure, dès juin 1942, l’Organisation civile et militaire (O.C.M.)334 fait écho à cette vision dans ses Cahiers335 en postulant qu’il faut déclarer Vichy illégitime car commettant des actes en faveur du pouvoir occupant. 329 La servilité est en quelque sorte la faute originelle du gouvernement du régime de Vichy : les choses auraient été différentes si le gouvernement de la France en 1940 n’avait pas accepté l’armistice mais s’était rendu en Afrique du Nord pour prévoir la lutte, selon Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 373. Par voie de conséquence, a pu être retenue l’accusation de « trahison contre la République » comme l’a soutenu Léon Blum lors du procès de Philippe Pétain : in Jacques Isorni, Mémoires 1911-1945, op. cit., p. 469 ; enfin, voir Courrier de Jean Simon à René Cassin, fin 1940 : « La France Libre a tout intérêt à démontrer que Vichy n’est pas le gouvernement régulier de la France, mais un instrument de l’ennemi » : Arch. Nat., Fonds René Cassin, AN 382/AP. Il semble que la servilité est due en particulier à l’évanouissement de sa volonté qui frappe Philippe Pétain avant même sa sénescence : sur ce sujet, voir Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, pp. 107ss. 330 « En juin 1940, le gouvernement de Vichy est légal mais, dépourvu de liberté, il est illégitime ». L’un et l’autre sont insuffisants seuls, et doivent être indissociables pour de Gaulle, d’après les auteurs : in Marcel Prélot et Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques. France : Dalloz, 1997, pp. 492-493. 331 François de Menthon à l’Assemblée Consultative le 10 juillet 1944 : Journal officiel de la République française, débats de l’Assemblée Consultative Provisoire, 27 juillet 1944, pp. 147-154. 332 Jean-Louis Quermonne, "Le retour de l’Etat légitime", dans Françoise Decaumont (Dir), Le Discours de Bayeux, op. cit. 333 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 583. 334 Pour plus d’information concernant l’O.C.M., voir Arthur Calmette, L'Organisation civile et militaire. Histoire d'un mouvement de Résistance, de 1940 à 1946. Paris : PUF, 1961 ; Guillaume Piketty, "Organisation civile et militaire", dans François Marcot [Dir.], Dictionnaire historique de la Résistance : Résistance intérieure et France Libre. Paris : Laffont, 2006 et Marc Sadoun, Les Socialistes sous l'Occupation. France : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1982. 335 Les Cahiers de l’O.C.M. sont publiés dans Maxime Blocq-Mascart, Chroniques de la Résistance. Paris : Corréa, 1945. 90 A cet égard, force est de constater que, dans les arcanes mêmes du pouvoir, il est aussi fait référence à cette légitimité. En effet, le 5 juillet 1944, face à l’avancée des troupes alliées sur le territoire, les quatre membres du gouvernement Abel Bonnard, Marcel Déat, Jean Bichelonne et Fernand de Brinon se distinguent en signant une déclaration avec plusieurs collaborationnistes, dont Jean Luchaire, Jacques Doriot, Charles Platon, Jacques Benoist-Méchin, Charles Lesca, Pierre Drieu la Rochelle, Lucien Rebatet et Alphonse de Châteaubriant à l’attention de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris Otto Abetz les dissociant de la politique de Pierre Laval et de Philippe Pétain336. Cette tentative préfigure les alliances de Sigmaringen. En substance, les signataires, considérant la désagrégation de l’Etat français et l’inéluctabilité du chaos politique qui y est liée, considèrent que les membres du gouvernement se sont personnellement discrédités tant auprès des Allemands que des Anglo-américains. Ils demandent dès lors un remaniement gouvernemental et le retour des institutions à Paris. Nous retenons de ce qui précède que la rhétorique autour de la question de la légitimité est ainsi un élément de légitimation (comme de contestation, quand sa lacune est dénoncée) invoqué de part et d’autre, qui permet d’ouvrir une brèche dans la démonstration juridique de la France Libre menant à l’établissement d’un ordre juridique s’opposant à celui de Vichy. b) La déclaration de nullité juridique des actes de Vichy et l’instauration d’un ordre juridique concurrent Afin d’asseoir l’autorité de sa production légale, la France Libre dépasse la dénonciation de l’illégitimité de Vichy en affirmant la nullité juridique de Vichy (1), ce qui lui permet d’élaborer un corpus juridique différent (2). 336 Déclaration commune sur la situation politique du 5 juillet 1944, Arch. Nat., AN/2AG/80 et Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 ; pour une mise en relief de la déclaration et le rapport qui la précède d’octobre 1943 de Marcel Déat, de Jean Luchaire et de Joseph Darnand notamment, voir Jean Tracou, Le Maréchal aux liens. France : éd. André Bonne, 1948, pp. 325ss. et Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., pp. 241ss. ; Marcel Déat, Mémoires politiques. Paris : Denoël, 1989, pp. 747-750. 91 1. La thèse du régime de Vichy sans statut légal Alors que la législation vichyste prévoit très tôt la déchéance de la nationalité française des combattants de la France Libre337, le Gouvernement provisoire de la République française (sous ses différentes formes depuis son annonce de la poursuite de la guerre au nom de la France) tâche de s’imposer comme entité politique distincte et légitime s’opposant au gouvernement du régime de Vichy qu’il considère être une « dictature »338, « pseudo-gouvernement » non seulement illégitime mais encore dénué de statut juridique, ayant usurpé le pouvoir avec un « coup d’Etat »339. Il considère que le régime n’est qu’un état de fait dépourvu de statut, car la Constitution de la IIIème République ne saurait valider son existence juridique et en conclut la nécessité de construire une autorité capable transitoirement de maintenir sauve et tangible la souveraineté de la France. Selon l’argument de la France Libre, l’Etat républicain ne répond pas de l’« Etat français » qui en est la négation. Il est à relever que cette fiction juridique340 permet de régler la question de la continuité de l’Etat en établissant le principe de la légitimité de la France Libre contre celui de la nullité de Vichy, s’appuyant sur la nécessité de défendre des intérêts nationaux. Il n’est, par voie de conséquence, pas nécessaire que le Gouvernement provisoire abroge les actes du gouvernement de Vichy par des actes de même valeur. C’est ainsi que ce raisonnement permet d’exonérer longtemps la responsabilité de l’Etat français, partant que la responsabilité de l’Etat ne peut être engagée par des actes réalisés sous l’administration du gouvernement de Vichy en partant du principe qu’ils sont commis sous l’autorité de l’occupant allemand341 jusqu’à de 337 Loi du 23 juillet 1940 relative aux individus ayant quitté les territoires nationaux entre le 10 mai et le 30 juin 1940 sans ordre de mission régulier émanant de l’autorité compétente ou sans motif légitime (Journal officiel de la République française, 24 juillet 1940, p. 4569) et loi du 10 septembre 1940 relative à la déchéance de la nationalité à l'égard des Français qui auront quitté les territoires d'outre-mer (Journal officiel de la République française, 13 septembre 1940, p. 4983 et Dalloz Périodique 1940, 4, p. 334) et loi du 8 mars 1941 visant les personnes se rendant sans autorisation gouvernementale « dans une zone dissidente » (Journal officiel de la République française, 11 mars 1941, p. 1100) ; sur ce sujet, voir Bernard Laguerre, "Les dénaturalisés de Vichy (1940-1944)", op. cit., pp. 3-15. 338 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 288. 339 René Cassin, "Vichy or Free France ?", op. cit., pp. 106ss. 340 Guillaume Wicker, "Fiction", in Denis Alland et Stéphane Rials [Dir.], Dictionnaire de la culture juridique. Paris : PUF, Lamy, 2003, p. 717. 341 Arrêt Sieur Quin, Conseil d’État, 12 novembre 1948, Recueil Lebon, 1948, p. 427 ; Arrêt Epoux de Persan, Conseil d’État, 13 juillet 1951, Recueil Lebon, 1951, p. 822 ; Arrêt Epoux Giraud, Conseil d’Etat Ass., 4 janvier 1952, Recueil Lebon, 1952, p. 14 ; Arrêt Demoiselle Remise, Conseil d’Etat Sect., 25 juillet 1952, Recueil Lebon, 1952, p. 401 ; Arrêt Turin de Montmel, Conseil d’État, 12 mai 1954, Recueil Lebon, 1954, p. 888. 92 récents et importants revirements jurisprudentiels342. La France Libre, cherchant à se fonder en droit positif, se réfère en outre à l’article 75 du Code pénal français343, ce qui lui permet de discréditer le gouvernement de Vichy comme coupable d’intelligence avec l’ennemi en vue de favoriser ses objectifs propres et de prendre dès lors l’initiative de créer une législation de droit public et de droit pénal en vue d’une prise de pouvoir effective344. C’est tout l’objet du débat doctrinal prompt à légitimer la résistance intérieure et extérieure qui ruine les fondements légaux du régime de Vichy et prépare l’après-Libération345. René Cassin précise : « Le précédent de l'Assemblée Nationale de Bordeaux s'offre aussitôt à l'esprit, car le 17 février 1871 elle a, par une loi en un article, nommé « M. Thiers, chef du pouvoir exécutif de la République Française » et décidé « qu'il exercera ses fonctions sous l'autorité de l'Assemblée Nationale, avec le concours des ministres qu'il aura choisis et présidera ». Plusieurs autres voies étaient ainsi possibles : vote immédiat d'une loi 342 Cf. le revirement fondamental de 2001, de manière implicite, par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Pelletier et autres, Conseil d’Etat Ass. du 6 avril 2001, n°224945, Revue française de droit administratif, mai-juin 2001, p. 712, concl. Stéphane Austry, Recueil Lebon, 2001, p. 173 et de manière explicite par l’arrêt Papon consacrant le principe de continuité de l’Etat : conclusions de Sophie Boissard sur l’arrêt Papon, Conseil d’Etat Ass. 12 avril 2002, Les Petites Affiches, 2002, n°106, pp. 12-25. 343 République (Code Par un décret-loi du 29 juillet 1939, l’article 75 du Code Pénal de la III pénal - livre III - Chapitre premier, in Journal officiel de la République française du 30 juillet 1939) : « Sera coupable de trahison et puni de mort : 1° Tout Français qui portera les armes contre la France ; 2° Tout Français qui entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère en vue de l’engager à entreprendre des hostilités contre la France, ou lui en fournir les moyens, soit en facilitant la pénétration des forces étrangères sur le territoire français, soit en ébranlant la fidélité des armées de terre, de mer ou de l’air, soit de toute autre manière ; 3° Tout Français qui livrera à une puissance étrangère ou à ses agents, soit des troupes françaises, soit des territoires, villes, forteresses, ouvrages, postes, magasins, arsenaux, matériels, munitions, vaisseaux, bâtiments, ou appareils de navigation aérienne, appartenant à la France, ou à des pays sur lesquels s’exerce l’autorité de la France ; 4° Tout Français qui, en temps de guerre, provoquera des militaires ou des marins à passer au service d’une puissance étrangère, leur en facilitera les moyens ou fera des enrôlements pour une puissance en guerre contre la France ; 5° Tout Français qui, en temps de guerre, entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents, en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France. » 344 Voir à ce sujet : Jacques Charpentier, Au service de la liberté. Paris : Fayard, 1949, p. 210 ; René Hostache, Le Conseil National de la Résistance : Les Institutions de la clandestinité. Paris : PUF, 1958, pp. 344-346 ; Henri Michel, Les courants de pensée de la Résistance. France : PUF, 1962, pp. 347-348 ; Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op.cit., p. 232. 345 Pour une présentation de ces efforts de légitimation : voir Liora Israël, "Résister par le droit ? Avocats et magistrats dans la résistance (1940-1944)", L'Année sociologique, 2009/1, vol. 59, pp. 167-170. ème 93 simple de pleins pouvoirs, suspension momentanée ou abrogation de tels ou tels textes de la Constitution de 1875, etc. »346 Le Gouvernement provisoire de la République de 1870 s’était effectivement auto-investi de la mission de convoquer des élections générales et avait dès lors formé une Assemblée qui s’était doté sui generis de la compétence constituante en dehors de la procédure de révision prévue par la Constitution de l’Empire. Reproduisant cette logique, le Gouvernement provisoire de la République française créé à Alger le 3 juin 1943 prévoit, en cas de succès et en dehors des formes prévues par les lois constitutionnelles de 1875, un référendum en vue de décider le rétablissement desdites lois constitutionnelles ou l’investissement d’une Assemblée constituante347. Or, la question de la déclaration de la nullité des actes de Vichy est délicate. En effet, les normes internes ne prévoient pas, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, le cas de figure de la nullité des actes de son gouvernement préalablement institué. De plus, conformément à ce que nous avons préalablement établi, cette position selon laquelle le régime de Vichy et le droit qu’il émet ne seraient pas légaux car contraires aux libertés et droits fondamentaux n’est pas conforme à la lege lata en droit interne de l’époque. Cette interprétation est plutôt déduite de la lege ferenda, qui ne saurait produire un raisonnement juridique rigoureux en droit interne car, en d’autres termes, elle signifie que Vichy est dépourvu de statut car Vichy devrait être dépourvu de statut. Nous identifions ici une manifestation de la performativité du droit348 : en opérant son œuvre de qualification, en catégorisant, la France Libre institue le réel et crée du droit. 2. Un nouvel ordre juridique concurrent provisoire Pour rappel, le 27 octobre 1940 avec le manifeste de Brazzaville, est créé le Conseil de Défense de l’Empire (qui sera reconnu par le gouvernement britannique le 24 décembre 1940) et c’est toujours dans la même ville que sera émise la Déclaration organique du 16 346 René Cassin, "Un coup d'Etat juridique. La soi-disant Constitution de Vichy", op. cit. 347 Emmanuel Cartier, "Les petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel transitoire", op. cit., p. 521. 348 « Le droit est par excellence du discours agissant » : Pierre Bourdieu, "La force du droit. Eléments pour une sociologie du champ juridique", Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 64, 1986, p. 13. 94 novembre 1940, « Au nom du peuple et de l’Empire français »349, qui proclame « l’illégalité » et « l’inconstitutionnalité » du gouvernement de Vichy. En tout état de cause, le manifeste, les deux ordonnances et la déclaration organique forment pour Charles de Gaulle « la charte de [s]on action »350. La première ordonnance du 27 octobre 1940 est en quelque sorte la « première constitution matérielle de la France Libre »351 car elle porte sur l’exercice de compétence de souveraineté interne de l’Etat : le Conseil de Défense de l’Empire est chargé de la « direction de l’effort de guerre » et de « l’activité économique » ainsi que de « traiter avec les puissances étrangères des questions relatives à la défense des possessions françaises et aux intérêts français »352. Formellement, il n’a alors qu’un rôle consultatif auprès du chef des Français libres, mais il préfigure le Comité français de libération nationale du 3 juin 1943. Les ordonnances postérieures consolident ensuite le mouvement du militaire au politico-institutionnel353. C’est là qu’intervient le Comité Juridique auprès du Comité français de libération nationale (anciennement Commission de législation auprès du Comité national français à Londres jusqu’au 6 août 1943), qui s’attelle à différencier différentes catégories de textes des normes du gouvernement du régime de Vichy : ceux qui seront frappés de nullité, ceux dont les effets seront validés et enfin ceux qui seront conservés « en raison de considérations locales ou parce qu’ils constituent un progrès sur l’état de choses 349 « Au nom du Peuple et de l’Empire français, Nous, général de Gaulle, Chef des Français Libres, Déclarons […] Ordonnons […] » : Déclaration organique de Brazzaville de novembre 1940, cité Charles de Gaulle, Mémoires, op. cit., Introduction, p. XIII. 350 Charles de Gaulle, Mémoires. ch.1 : L’Appel, op. cit., p. 122. 351 Selon l’expression d’Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (19401945), op. cit., p. 56. 352 Ordonnance n°1 du 27 octobre 1940 organisant les pouvoirs publics durant la guerre et instituant le Conseil de Défense de l’Empire, Journal officiel de la France Libre, Afrique équatoriale française le 27 octobre 1940, p. 1 et Journal officiel de la France Libre n°1 du 20 janvier 1941, p. 3. A noter que l’ordonnance n°2 du 27 octobre 1940 nomme les membres du Conseil de Défense de l’Empire, dans le même Journal officiel de la France Libre. 353 Ordonnance n°5 du 12 novembre 1940 précisant les conditions dans lesquelles seront prises les décisions du chef des Français libres, Journal officiel de la France Libre n°2 du 10 février 1941, p. 7 ; Ordonnance n°16 du 24 septembre 1941 portant organisation nouvelle des pouvoirs publics de la France Libre, Journal officiel de la France Libre n°11 du 14 octobre 1941, pp. 1-2 ; Ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du Comité français de libération nationale, Journal officiel de la France Libre n°1 du 10 juin 1943 ; Ordonnance 6 août 1943 instituant un Comité juridique auprès du Comité français de libération nationale, Journal officiel de la France Libre n°11 du 12 août 1943, p. 64 ; Ordonnance 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, Journal officiel de la France Libre n°34 du 22 avril 1944, pp. 325ss. ; Ordonnance 3 juin 1944 substituant au nom de Comité français de libération nationale celui de Gouvernement provisoire de la République française, Journal officiel de la République française n°47 du 8 juin 1944, pp. 449-450. 95 antérieur »354. Aux côtés du Comité du contentieux355, le Comité juridique, palliant le manque de Conseil d’Etat au sein de la France Libre, élabore des projets d’ordonnance et de décret, émet des avis et examine la législation de Vichy356. Après avoir écarté Henri Giraud du pouvoir, Charles de Gaulle, restant seul à la tête du Comité français de libération nationale le 9 novembre 1943357, annonce aux Français à la radio que « leur gouvernement fonctionnait maintenant à Alger en attendant de venir à Paris »358. La manœuvre d’établissement d’un nouvel ordre juridique et institutionnel, avec ses pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire embryonnaires, est ainsi mise en marche. La fondamentale ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité 354 Procès-verbal de la réunion de la commission de législation du CNF du 17 fév. 1943 : Arch. Nat., Fonds René Cassin, 382/AP/54. Le Conseil d’Etat après-guerre considère ainsi les lois de l’Etat français qui n’ont pas été déclarées nulles comme valables : voir à ce sujet Philippe Fabre, Le Conseil d’Etat et Vichy : le contentieux de l’antisémitisme, op. cit., pp. 312ss. ; en outre, Danièle Lochak relève que les services publics du régime de Vichy intègrent l’ordre ème République et que, sous des aspects traditionnels et autoritaires, la juridique de la III production juridique de Vichy fait également preuve de modernité (rationalisation et concentration industrielle, apprentissage de la planification et gestion étatique de l'économie, à titre d’exemple) : cf. Danièle Lochak, "Le Conseil d’Etat sous Vichy et le Consiglio di Stato sous le fascisme : éléments pour une comparaison", in Jacques Chevalier et al., Le Droit administratif en mutation. Paris : PUF, 1983, pp. 51-96. 355 Lequel Comité « rendait les arrêts temporaires de sanction ou de réparation que les abus commis par Vichy imposaient de prendre à l’intérieur des services publics », in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 384. 356 Lettre de René Cassin à Charles de Gaulle du 1 décembre 1943 : Arch. Nat., BB 30/1724 ; Lettre de René Cassin au secrétariat général du CFLN du 13 mai 1944 : Arch. Nat., 3 AG1/276 (4). 357 Vote du 6 novembre 1943 du Comité français de libération nationale, cité in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 411. Relevons qu’Henri Giraud est définitivement écarté du pouvoir en avril 1944, son titre étant retiré par le Comité français de libération nationale : Ibid., p. 431. 358 Ibid., p. 371. er 96 républicaine sur le territoire continental359 cherche, quelques jours avant la Libération, à consolider le socle de la transition juridique générale. Elle déclare d’autorité dans son premier article que « la forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n'a pas cessé d'exister », auto-investissant en liminaire sa représentativité institutionnelle. Elle énonce, dans son second article, un principe général normatif de nullité des actes du gouvernement de Vichy, donc décrétés sans effet. Toutefois, elle précise immédiatement que la nullité doit être expressément constatée ; ce qu’elle commence à établir, dans son troisième article, au sujet de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, des actes constitutionnels, de « tous les actes qui ont institué des juridictions d’exception », de ceux « qui ont imposé le travail forcé pour le compte de l’ennemi », de ceux « qui sont relatifs aux associations dites secrètes » et de ceux « qui établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif », ainsi que de nombreux actes mentionnés en annexe. L’article 10, quant à lui, dissout les mouvements collaborationnistes. Ce qui est intéressant dans l’approche de l’ordonnance est qu’elle considère une nullité de principe puis la limite à une constatation expresse360. 359 Journal officiel de la République française du 10 août 1944, pp. 688-689. Cette ordonnance proclame le retour de la légalité sur le territoire hexagonal et, par voie de conséquence, sur l’Empire, après d’autres textes la préfigurant : l’ordonnance du 4 janvier 1943 relative aux modalités du rétablissement de la légalité républicaine à la Guyane (Journal officiel de la République française du 6 janvier 1943), celle du 2 mars 1943 portant le même titre pour l’Île de la Réunion (Journal officiel de la France combattante du 18 mars 1943), celle du 20 avril 1943 pour la colonie de Madagascar (Journal officiel de la France combattante du 3 mai 1943) et l’ordonnance du 2 septembre 1943 relative à la côte française des Somalis (Journal officiel de la République française du 4 septembre 1943). Il est à noter que les nombreux débats au sein notamment de l’Assemblée Consultative Provisoire ont eu comme sujet la question du principe et de la forme du rétablissement de la légalité, entre abrogations et validations en bloc. Les débats de l’Assemblée consultative provisoire autour du projet d’ordonnance de rétablissement de la légalité républicaine du 26 juin 1944 sont très instructifs à cet égard : en premier lieu, la séance du 26 juin 1944 (compte rendu, Journal officiel de la République française, Débats de l’ACP n°53 du 29 juin 1944, pp. 95ss.) ; Marcel Waline, "L’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine", Semaine juridique (JCP), janvier 1945, n°441 ; Hervé Bastien, "Alger 1944 ou la révolution dans la légalité", Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 37, n°3, juilletseptembre 1990, pp. 429-451; Bernard Mathieu et Michel Verpeaux, "La transition juridique : l’ordonnance du 9 août 1944 ou le rétablissement du droit dans les faits", in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994, op. cit., pp. 805-830. 360 La situation créée par l’ordonnance du 9 août 1944 est ainsi « pratiquement sensiblement la même que si l’ordonnance avait suivi une marche apparemment inverse et avait validé en bloc la législation de Vichy en se réservant d’en abroger une partie par des décisions expresses » : Marcel Waline, Gazette du Palais, 1944/2, pp. 17-20 ; voir de même Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., pp. 39ss. ; Georges Berlia, "Chronique administrative", Revue de droit public et de la science politique, 1944, p. 315 ; Marcel Waline, "L’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine", op. cit. ; Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, "La transition juridique : l’ordonnance du 9 août 1944 ou le rétablissement du droit dans les faits", in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994, op. cit., pp. 805-830 ; Hervé Bastien, "Les ordonnances d'Alger", Espoir, n°95, janvier 1994, pp. 16-24. Pour la critique de l’opportunité 97 L’article 6 précise d’ailleurs que « les actes de l'autorité de fait, se disant « gouvernement de l'Etat français » dont la nullité n'est pas expressément constatée dans la présente ordonnance ou dans les tableaux annexés, continueront à recevoir provisoirement application ». René Cassin impose là sa vision pragmatique face à d’aucuns qui maintiennent au contraire qu’il est nécessaire de maintenir le statu quo361. Le paradoxe de la nullité des actes du gouvernement de Vichy sera d’ailleurs illustré par la jurisprudence Ganascia362, prise précisément sous la présidence de René Cassin, qui considère nulle la législation d’exception du gouvernement de Vichy, contrairement au surplus des actes législatifs ou réglementaires qui sont rétroactivement validés et qui engagent la responsabilité de l’Etat selon le droit commun363. En corollaire à l’affirmation de la nullité juridique de principe des actes de Vichy, la France Libre avance dans sa réalisation d’un arsenal législatif. Le grand nombre d’actes juridiques pris, concurremment avec ceux qui sont émis par le gouvernement de Vichy, est compilé dans un Journal officiel propre. En effet, à l’instar de la coexistence des deux éditions, à Paris et à Versailles, lors de la Commune de Paris du 20 mars au 24 mai 1871, le Journal officiel, qui est édité à Vichy du 1er juillet 1940 au 24 août 1944 sous le titre de « Journal officiel de l’Etat français. Lois et décrets », se voit concurrencer par le « Journal officiel de la France Libre » paru à Londres (du 20 janvier 1941 au 16 septembre 1943), du « Journal officiel du Commandement en chef français », publié à Alger (du 1er janvier au 30 mai 1943) et du « Journal officiel de la République française » (du 10 juin 1943 au de l’ordonnance, voir l’article de Dominique Rousseau qui aborde le caractère irréconciliable des approches historiques, juridiques et politiques de celle-ci : cf. "Vichy a-t-il existé ?", Le Genre Humain, n°28, été-automne 1994, pp. 97-106. 361 « Le maintien de fait, sauf exceptions, est ce qu’il y a de meilleur » : in Maurice Hauriou, procès-verbal de la réunion du 15 mai 1944 de la commission de législation et de réforme de l’État de l’ACP : Arch. Nat., C 15269 ; pour les versions des projets antérieurs qui optent pour une validation expresse des actes pourtant déclarés nuls de Vichy : Arch. Nat., Fonds René Cassin, 382/AP/72. 362 Arrêt Ganascia, Conseil d’Etat du 14 juin 1946, Recueil Lebon, p. 166. Cet arrêt-phare confirme la position prise par le Conseil d’Etat après-guerre qui statue que les lois de Vichy non publiées au Journal officiel mais dont les intéressés ont eu connaissance ont une force obligatoire normale : cf. les arrêts Rony, 5 avril 1945, Recueil Lebon, p. 107 et Gauthier, 4 février 1948, Recueil Lebon, p. 56. 363 Aux termes de l’arrêt M. Lipietz et autres du Tribunal administratif de Toulouse, 2 chambre, Requête n°0104248, audience du 16 mai 2006, lecture du 6 juin 2006, conclusions de Jean-Christophe Truilhé, Commissaire du gouvernement, consulté le 7 mai 2008 sur http://www.ta-toulouse.juradm.fr/ta/toulouse/pdf_doc/conclusions_ta_toulouse_0104248.pdf. Voir à ce sujet l’article de Jean-Pierre Le Crom, "L’avenir des lois de Vichy", in Bernard Durand et al. [Dir.], Le Droit sous Vichy. Frankfurt am Main : Klostermann, 2006, pp. 453478. ème 98 31 août 1944) à Alger364. Ainsi, à titre d’exemple de la production d’instruments en vue de la prise de contrôle du territoire métropolitain, citons deux aspects particuliers : d’une part, l’organisation administrative avec, en particulier, l'ordonnance du 10 janvier 1944 créant les commissaires de la République365 et l’ordonnance du 14 mars 1944 concernant l'exercice des pouvoirs civils et militaires sur le territoire métropolitain au cours de sa libération qui met en place les procédures d’administration civile366 et, d’autre part, l’organisation politique, avec l’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération qui prévoit les élections municipales, départementales et nationales à venir367. D’autre part, citons l’ordonnance du 26 juin 1944 qui vise, pour sa part, la responsabilité pénale des individus détenant une fonction administrative ou de direction qui auraient pu éviter d’exécuter les ordres368. Concernant cette dernière question de responsabilité pénale, il est patent de remarquer que pour la France Libre, par conséquent, l’autorité du gouvernement de Vichy ne saurait couvrir la responsabilité individuelle des membres de l’élite politique et administrative369. La France Libre ne se prononce pas sur la question de l’autorité des décisions de justice sous Vichy dans l’ordonnance du 9 août 1944, ce qui laisse à supposer qu’elle cherche à 364 Ce ne sera que le 8 septembre 1944 que le Journal officiel de la République française reparaît à Paris, comme l’attestent les numéros conservés à ce jour. 365 Publiée tardivement au Journal officiel de la République française, 6 juillet 1944. Il paraît utile de relever que la fonction des Commissaires de la République n’est pas sans rappeler celle des représentants en mission de la Convention révolutionnaire : voir à ce propos Michel-Henry Fabre, "Les pouvoirs du Commissaire régional de la République. Etude théorique et pratique de l’article 4 de l’ordonnance du 10 janvier 1944 spécialement sous l’angle de la compétence", Annales de la Faculté de droit d’Aix, n°38, 1945, pp. 37ss. ; Charles-Louis Foulon, Le pouvoir en province à la Libération. Les Commissaires de la République 1943-1946. Paris : Fondation nationale des sciences politiques, A. Colin, 1975 ; voir de même Arch. Nat, Fonds Michel Debré, 98AJ. 366 Journal officiel de la République française, 1 avril 1944. 367 Journal officiel de la République française, 22 avril 1944, pp. 325-327. 368 Journal officiel de la République française, 28 août 1944, pp. 767-768. Cette ordonnance sera modifiée par l’ordonnance du 28 novembre 1944 portant modification et codification des textes relatifs à la répression des faits de collaboration qui ira plus loin que le texte de l’ordonnance initiale du 26 juin 1944 en précisant qu’aucune norme ni ordre de quelque ordre que ce soit qui émane de Vichy ne peut être considéré comme une justification au sens de l’article 327 du Code pénal si un individu est en mesure personnellement de se soustraire à son exécution « et que sa responsabilité ou son autorité morale était telle qu’en refusant il aurait servi la nation » : in Journal officiel de la République française, 29 novembre 1944, pp. 1540-1544. 369 Cela ouvre la porte à la responsabilité personnelle, mais aussi à la faute de service, soulignée par les commentateurs : voir en particulier les conclusions de Frédéric Lenica, "La responsabilité de l'Etat du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", sur l’avis contentieux Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, pp. 316-328. er 99 conserver a priori le principe de l’autorité de la chose jugée370. Toutefois, elle met sur pied, à côté des cours militaires, des tribunaux civils en vue de la justice d’exception : celle, souvent expéditive, de l’épuration371. Aussi crée-t-elle des cours de justice, le 26 juin 1944 (ersatz de cours d’assises)372, avant d’instituer des chambres civiques, le 26 août 1944373 qui jugeront de l’indignité nationale, ainsi que la Haute Cour de Justice, le 18 novembre 1944374. Si l’on résume ce que nous venons de préciser, après avoir établi que le régime de Vichy est illégitime et sans statut et qu’il produit des normes nulles, voire illégales, la France Libre conçoit un corpus juridique élaboré pour pallier le vide que cette situation engendre. Comment qualifier cette démarche en droit ? c) La perte de souveraineté du régime de Vichy : un coup d’Etat de droit ? Ce qui nous paraît singulièrement favoriser l’émergence d’un ordre juridique concurrent à celui du régime de Vichy est le contexte de l’aspect colonial de l’Etat français375. En effet, l’Empire d’alors, avec ses personnes, richesses et territoires soumis à la métropole, permet l’implantation d’une autorité concurrente au pouvoir investi dans un espace géographique éloigné, avec des conditions stratégiques différentes. Si, comme nous en avons fait l’hypothèse, le régime de Vichy a pu s’implanter et se maintenir par un coup de force et la collaboration de son appareil d’Etat avec la puissance occupante, la France Libre, quant à elle, a manifestement pu se financer, se développer et créer un nouveau dispositif juridique grâce à une initiative soutenue par des Etats alliés, à Londres d’abord, 370 La question reste ouverte, voir : Question of validity of a judgment passed by a Vichy Court on a question of salvage / Enquiry whether a Vichy decree regarding approved Accountants is still in operation, Archives des affaires étrangères de Grande-Bretagne, Londres, FO 341 / 42106 301675. 371 Arch. Nat., série W (juridictions extraordinaires) : 3W et série Z (juridictions spéciales) : Z5 et Z6 ; voir aussi Association française pour l’histoire de la justice, La Justice de l'épuration. A la fin de la seconde guerre mondiale. France : Documentation Française, 2008, n°18 ; Alain Bancaud, "L’épuration judiciaire", in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994, op. cit., pp. 435-446. 372 Journal officiel de la République française, 6 juillet 1944, p. 535. 373 Journal officiel de la République française, 28 août 1944, p. 767. 374 Journal officiel de la République française, 19 novembre 1944, p. 1382. 375 A ce propos : Olivier Beaud, "La France Libre, Vichy, l’Empire colonial", Jus Politicum / Revue internationale de droit politique, n°14, juin 2015, http://juspoliticum.com/Lacitoyennete-dans-l-empire.html consulté le 6 août 2015 ; Eric Jennings, La France fut africaine. Paris : Perrin, 2014 ; Jean-Louis Crémieux-Brilhac, France Libre. De l’appel du 18 juin à la Libération. Paris : Gallimard, 1996, pp. 106ss. 100 puis et surtout dans les territoires de l’Empire. Ce qui participe à l’intérêt de cette approche est d’observer le renversement de l’ordre de domination. Ce n’est plus l’autorité première, implantée en métropole, qui exerce son influence sur les colonies, mais l’autorité sise dans les colonies qui s’impose à la métropole – et ce, non pas dans le but de faire sécession, mais pour renverser le régime et prendre sa place. Hors du « pays légal »376 de manière à s’extraire de la souveraineté de Vichy, l’entité gaulliste se nomme elle-même France « libre » dans le sens où elle s’émancipe des fers vichystes pour être libre de définir sa propre légalité, en se réclamant de l’héritage républicain. A l’appui de cette interprétation, nous faisons appel à la dichotomie créée par les juristes français de la IIIème République qui considèrent que, dans le cadre de l’Empire, « nation » et Etat sont dissociés377. Hors de la « nation » et arguant de vouloir la délivrer, la France Libre s’appuie sur le fait que sa puissance est implantée dans un territoire inclus dans les frontières de l’Etat378. Il est patent en effet qu’il ne s’agit pas à ce titre d’une autorité en exil. Accentuant la fragmentation de l’Empire, entre un centre et ses territoires annexes, la France Libre apparaît comme inversant la logique classique des territoires dépendants qui se définissent par leur centre (métropolitain, espace de source de l’autorité). Tandis que la métropole se définit plutôt par ses frontières (entre un dedans souverain et un dehors étranger)379, la France Libre semble au contraire puiser sa force, outre du soutien allié, 376 Selon l’expression de Maurice Hauriou, Précis élémentaire de droit constitutionnel. Paris : Sirey, 1925, p. 8. 377 Maurice Hauriou, Principes de droit public à l’usage des étudiants en licence (3e année) et en doctorat ès sciences politiques. Paris : Sirey, 1916, pp. 223-224, Précis de droit ème éd., pp. 294ss. et Précis administratif et de droit public. Paris : Sirey, 1921, 10 élémentaire de droit constitutionnel. Paris : Sirey, 1925 ; Pierre Dareste, Traité de droit colonial. Paris : Impr. du Recueil de législation, de doctrine et de jurisprudence coloniales, 1931 ; Louis Rolland et Pierre Lampué, Précis de législation coloniale (colonies, Algérie, protectorats, pays sous mandat). Paris : Dalloz, 1931 ; Pierre Lampué, "Le régime constitutionnel des colonies", Annales de droit et des sciences sociales, t. 4, 1934, pp. 233ss. ; Joseph Barthélémy et Paul Duez, Traité de droit constitutionnel. Paris : ème éd. Dalloz 1933), pp. 289ss. Economica, 1985 (2 378 Comme la jurisprudence récente le confirme encore : « La France Libre exerçait donc son autorité sur des hommes et un territoire qui, s’il n’était pas la France continentale, n’en était pas moins le sol français » : in Arrêt Etat français c. Société Aristophil, Tribunal de Grande Instance de Paris du 20 novembre 2013 (n°12/06156) consulté sur http://artdroit.org/wpcontent/uploads/2013/11/TGI-Paris-20-nov.-2013.pdf le 6 août 2015 ; Olivier Agnus, "Les archives de la France Libre sont des archives publiques", L'actualité juridique du droit administratif, 2014, p. 226 ; Sophie Monnier, "Quel statut pour les archives du chef de la France Libre ?", La Semaine juridique, Administrations et collectivités territoriales, n°6, 10 février 2014. 379 Conformément à la vision défendue par Denis Baranger, Ecrire la constitution non écrite. Une introduction au droit politique britannique. Paris : PUF, 2008, p. 271. Voir de même Yerri Urban, "La citoyenneté dans l’Empire colonial français est-elle spécifique?", Jus Politicum / Revue internationale de droit politique, n°14, juin 2015, http://juspoliticum.com/La-citoyennete-dans-l-empire.html, consulté le 6 août 2015. 101 dans ses frontières qui la dissocient du centre pour mieux discréditer et renverser le gouvernement qui y est installé. Le droit propre à l’Empire donne à cet égard une clé de compréhension de la manière péremptoire dont la France Libre a pu considérer emporter avec elle son statut d’héritière de la tradition républicaine de l’Etat français. Il est utile, en effet, de rappeler la doctrine de l’époque qui précise que les citoyens français, hors du sol de la France métropolitaine, « emportent leur statut avec eux »380. Cet axiome vise par là les attributs légaux que chaque citoyen français a par définition, que son lieu de domicile et de résidence soit celui de la métropole ou d’un territoire de l’Empire, par opposition aux sujets français non citoyens tels les indigènes et étrangers. Par analogie, les Français de la France Libre emportent avec eux leur statut de citoyens républicains. En exergue, notons qu’ils emportent surtout le fait que leur statut est celui de citoyens républicains capables d’exprimer leur volonté, puisque leur territoire et leur voix ne sont pas entravés par l’occupant ennemi. Leur liberté est dès lors intacte. Ce dernier aspect constitue l’une des conditions nécessaires à la légitimation de leur mouvement. Or, cette légitimation peut paraître a priori viciée, car le mouvement gaulliste est composé pour grande part de membres de l’élite politique et de l’armée française qui auraient dû par principe être subordonnés à l’autorité du gouvernement institué de l’Etat. Toutefois, sans avoir été investie démocratiquement pour ce faire, hors des voies constitutionnelles et du respect de la hiérarchie des normes, la France Libre s’est approprié le pouvoir de représentativité de la défense de l’Empire, donc d’une partie essentielle de l’Etat français avec ses territoires coloniaux, sous mandat ou protectorat – et, par extension, de l’Etat français dans son intégralité. Ce qui est à souligner est qu’elle en déduit sa capacité à bâtir une « reconstruction » juridique381 en créant du droit positif, tant public, administratif, pénal, civil que militaire, sans avoir reçu aucune habilitation. Ce faisant, elle n’opère pas de rupture matérielle concrète mais produit une discontinuité formelle. Nous relevons ici que nous sommes de nouveau face à un paradoxe juridique : mettre l’accent sur l’illégitimité comme sur l’illégalité tant du régime de Vichy que de ses normes, au regard notamment des principes généraux du droit et des normes républicaines, implique de considérer une continuité juridique entre la République et le régime de Vichy, que 380 « En principe, le Français et la femme française aux colonies conservent la jouissance de tous les droits qu’ils ont dans la métropole […] ils emportent leur statut avec eux » : in Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 645. 381 Selon l’expression de Emmanuel Cartier qui fait référence à la tension qui résulte d’une fiction juridique, c’est-à-dire de la différence entre le donné réel du passé et le construit (ou reconstruit) juridique : "Histoire et droit : rivalité ou complémentarité ?", op. cit., p. 525. 102 pourtant la France Libre remet en cause fondamentalement. La fiction de discontinuité formelle ne saurait pourtant résoudre ce dilemme. Comment considérer que la France Libre assume le fait de s’affranchir des conditions juridiques pour marteler la perte de souveraineté de Vichy à son avantage et créer du droit ? Cette manœuvre de l’entité non instituée qui s’extrait du droit pour affirmer le droit et concevoir du droit est un « coup » stratégico-politique. Plus loin encore, comme elle a pour ambition de représenter, ne serait-ce que temporairement un Etat, nous la comprenons comme un coup d’Etat382. A l’étude cependant, le paradoxe de l’impossibilité de justifier en droit la position de la France Libre est apparent. Effectivement, ce qui permet d’affiner la qualification serait de considérer ce « coup » comme fondé juridiquement car nécessaire, commandé par les circonstances, conforme à l’impératif de sauvegarde du bien commun – que ce commun se nomme République, Nation, Etat ou France. Cet impératif de conservation de la continuité de l’Etat, dans son principe et dans son aspect pragmatique de représentation, considère capital de résister à l’oppression, i.e. de réagir à l’occupation par un Etat ennemi en état de guerre mais surtout à la politique menée par un gouvernement qui a détourné l’exercice républicain du pouvoir, qui abuse de sa puissance, qui trompe la volonté générale pour satisfaire des intérêts particuliers383. Il donne la possibilité exceptionnelle à une entité qui s’entoure de précautions légalistes pour ne pas laisser libre cours à une figure de dictature d’opportunité384 de prendre provisoirement un certain 382 Pour reprendre l’acception de Marcel Prélot, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit, p. 186. Voir de même François Saint-Bonnet, "Technique juridique du Coup d’Etat", in Frédéric Bluche, Le prince, le peuple et le droit. Autour des plébiscites de 1851 et 1852. Paris : PUF, 2000, pp. 123-160. 383 « Selon les principes de Rousseau, pour être légitime, la « loi » doit avoir comme but la conservation d’un régime bien spécifique, celui qui assure au peuple de continuer d’être le pouvoir suprême. […] La justification de l’acte de résistance réside précisément dans le fait que le pouvoir usurpateur rende l’acte de librement choisir la “loi” impossible de par son usurpation. Ainsi, de surcroît, l’acte de résistance, s’il se veut légitime dans le temps, devra se mesurer ex post par sa capacité d’induire un changement réel de régime, de sorte que le choix – qui, logiquement, s’imposera chaque fois de nouveau en faveur de la souveraineté populaire – ne soit pas prédéterminé dans les faits, faute de quoi il pourra être considéré comme un acte illégitime qui ne cherchera en réalité qu’à usurper le pouvoir à son tour » : in Michael Bloch, "Droit et résistance dans la pensée politique de Rousseau", in Alfred Dufour, François Quastana et Victor Monnier [Dir.], Rousseau, le droit et l’histoire des institutions: actes du Colloque international pour le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), organisé à Genève, les 12, 13 et 14 septembre 2012. Genève/Aixen-Provence : Schulthess/Presses universitaires de Provence, 2013, p. 62. 384 A l’occasion de sa première conférence de presse, le 4 décembre 1940, Charles de Gaulle se défend : « Je ne veux pas être un dictateur, je veux être un leader » : Charles de Gaulle, Mémoires, op. cit., Introduction, p. XXII. Pourtant, André Philip, Commissaire chargé des rapports avec l’Assemblée consultative, prie de Gaulle le 7 mars 1944, au sujet du 103 pouvoir représentatif385 et, dès lors, organisationnel sur le terrain : c’est-à-dire que nous sommes en présence d’un coup d’Etat visant le rétablissement du droit, un coup d’Etat de droit386. En d’autres termes, il ne s’agit pas de la part de la France Libre d’une stratégie de légitimation juridique tendant à renverser un régime politique, c’est-à-dire à justifier le changement de la forme d’un gouvernement. Au contraire, plus fondamentalement, il s’agit de parer à la dissolution de l’Etat conçu comme une République à partir du constat que le souverain conçu comme une unité, le peuple, est désagrégé en multitude qui ne fait plus corps premier institué, les magistrats subordonnant alors l’intérêt général à l’intérêt particulier387. Dès lors, malgré le fait que nous ne trouvons pas trace de référence explicite à la théorie générale du droit de résistance républicain (française qui plus est) chez les juristes de la France Libre, nous ne pouvons que déduire l’inspiration sousjacente de sa position tranchée prise dans les fondements de la philosophie politique du républicanisme au sens strict. Cette théorie républicaine se fonde ici sur un principe de l’audace, de la prise de risque de la France Libre, opposé au principe de collaboration et de conservation vichyste. Ce que nous soulignons, c’est que s’illustre, dans ce contexte d’Empire en temps de guerre, l’opposition de deux considérations de l’Etat, i.e de la fonctionnement du Conseil et des Commissions qui se heurte parfois à des difficultés, d’« établir un contact humain » avec l’Assemblée : « votre intelligence est républicaine, vos instincts ne le sont pas […] je ne puis accepter d’être le garde-chiourme de l’Assemblée ni le chaouch qui lui transmet vos ordres » : in Ibid., Notes et variantes, note 39, p. 1300. 385 Lettre du général de Gaulle au Président F.D. Roosevelt, à Washington », Londres, 26 octobre 1942 : « Est-ce à dire que mes compagnons et moi nous soyons posés, à aucun moment, comme le gouvernement de la France ? En aucune manière. Nous nous sommes tenus et proclamés comme une autorité essentiellement provisoire, responsable devant la ème République. » : in Ibid., future représentation nationale et appliquant les lois de la III Appendices, p. 1219. 386 Nous reprenons ici la récente expression d’Olivier Cayla, qui, quant à lui, vise l’initiative du ème République en 1971 qui s’arroge d’un coup la compétence Conseil constitutionnel de la V de contrôle de la constitutionnalité des lois en attribuant un rang constitutionnel aux droits et libertés prévus dans la Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946 : in Olivier Cayla, "Le Coup d’Etat de droit ?", Le Débat, 1998/3, n°100, pp. 108-133. Notre reprise, quant à elle, entend qualifier la détermination de la France Libre à s’attribuer l’héritage des compétences exécutives, législatives, judiciaires et représentatives de l’Etat français face à la compromission vichyste. 387 « La tyrannie peut étouffer la République aussitôt que les défenseurs du bien commun sont réduits à l’impuissance et que la crainte empêche les citoyens de s’en faire les défenseurs. La liberté s’évanouit avec le silence de la volonté générale. » : in Maurizio Viroli, La théorie de la société bien ordonnée chez Rousseau. Berlin/New-York : Walter de Gruyter, 1988, p. 166. 104 République en son sens premier, ou, plus précisément, de deux conceptions de l’origine légitime et légale du pouvoir388. Une fois que la France Libre nie la validité de l’origine fondatrice de Vichy, et ainsi dénie la validité de son droit, les efforts gaullistes pour apparaître comme une émanation de l’Etat français qui construit un ordre légal et administratif solide revêtent les atours d’un respect légal formel. Toutefois, en cette période intermédiaire d’incertitudes politiques et militaires, ils ne sont encore tout à fait conformes ni à l’ordre juridique français ni aux principes républicains389. Le gouvernement provisoire semble ainsi tirer quelque profit du fait de ne pas encore devoir répondre de son respect de la légalité en élaborant des normes aux contours juridiques approximatifs. Partant, le droit interne de l’époque n’a pas prévu d’outil pour décrire et catégoriser la démarche de la France Libre qui se pose comme l’alternative à un gouvernement qui, considère-t-elle, a perdu son statut. Sa conception d’un nouvel ordre juridique concurrent qui, d’une part, se prétend héritier de la IIIème République et, d’autre part, crée ab initio des normes et pratiques nouvelles pour le droit français ne peut être compris que comme une initiative inédite née d’une nécessité de conservation de principe institutionnel : gagner sur le terrain symbolique et politique, perdurer et imposer son raisonnement juridique. Certes, ce n’est pas la force ou la faiblesse des arguments juridiques qui font basculer le cours des évènements390, mais une fois l’avantage pris, le 19 août 1944, la France Libre doit faire la preuve de son autorité sur le territoire français et sait qu’elle doit compter sur la solidité de son système juridique et de ses règles de droit pour sauvegarder sa prétention à la souveraineté. 388 Parce que l’attitude de Vichy n’émane pas de la volonté générale et, par voie de conséquence, n’engage pas l’Etat, car « céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ? » : in Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes III, Du Contrat social. Paris : Gallimard, 1959, Livre I, ch. III, p. 354. 389 En effet, la France Libre « ne va pas jusqu’à rétablir un Etat de droit », comme le souligne Denis Salas au sujet des nouvelles juridictions d’épuration qu’il compare à une justice d’exception dans la tradition française dans sa présentation du texte introductif de l’ouvrage La Justice de l’épuration à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Paris : Documentation française, n°18, 2008, p. 3, sur http://www.justice.gouv.fr/_telechargement/doc/La_Justice_de_lepuration_a_la_fin_de_la_s econde_guerre_mondiale.pdf, consulté le 7 août 2015. 390 Mais « la victoire militaire des Alliés et la victoire politique des gaullistes » : in Peter Novick, Appendice A sur "La légitimité et la légalité de Vichy", L’épuration française 1944-1949, op. cit., pp. 305-312. 105 CONCLUSION DE LA SECTION 2 En conclusion de cette seconde section consacrée au statut du régime de Vichy en droit interne de l’époque, il apparaît que, si nous ne pouvons que nous résoudre à constater son assise constitutionnelle de par la faiblesse intrinsèque des lois de 1875, son manque de contrôle au vu de la question de la souveraineté est, quoi qu’il en soit, patent. Indépendamment de la qualification d’autorité illégitime de la part de la France Libre, nous observons que, dans la limite de l’exercice de sa souveraineté résiduelle, le régime de Vichy fait preuve d’un système de gouvernance qui réprime toute expression de nature à s’opposer au destin commun liant l’Allemagne nazie à la France de la collaboration. Nonobstant, tant le procédé que le fonctionnement du régime ne peuvent être catégorisés comme étant en rupture avec certaines traditions républicaines précédentes ; c’est d’ailleurs une raison pour laquelle il est malaisé de qualifier son statut en droit interne avec les outils constitutionnels de l’époque. La position de la France Libre fait montre, quant à elle, de moins d’hésitation en déclarant Vichy illégitime et ses actes nuls en droit. Pour la France Libre, le droit du régime de Vichy est vicié dès son origine car le gouvernement investi n’a pas continué l’effort de guerre contre l’occupant, lui signifiant par là sa dépendance. Consécutivement, la France Libre critique l’abandon par le gouvernement du régime de Vichy de son devoir de sauvegarder la souveraineté française. Pour que l’Etat perdure, avec ses composantes et dans ses principes, la France Libre se pose, par conséquent, comme dépositaire provisoire de la souveraineté nationale. S’il apparaît à l’analyse plusieurs paradoxes juridiques non résolus, il n’en reste pas moins que l’état de tension s’est vu cristalliser dans les actes successifs de la part de la France Libre, dès l’appel du 18 juin 1940 jusqu’au 19 août 1944, visant à imposer un corps juridique légitime concurrent, tant sur les terres de l’Empire que sur les territoires métropolitains progressivement pris sous son contrôle. Dans ce mouvement, nous observons que la France Libre puise ses fondements juridiques dans une logique républicaine au sens strict qui ne saurait tolérer l’existence légale du régime de Vichy. Anticipant le succès de la libération du territoire continental, avec les prises des villes symboliques comme Vichy et Paris, la stratégie juridique gaulliste annonce par là son objectif de voir son autorité pleinement et effectivement reconnue sur le terrain, comme de fait (car, partant, de droit) accompli. En d’autres termes, ce n’est pas par le fait que se sont déroulés des évènements militaires et diplomatiques en sa faveur que la France Libre se prévaut de son autorité légitime. Elle tire sa force de la valeur intrinsèque de son droit à représenter la résistance de l’Etat. Elle oppose au gouvernement du régime de 106 Vichy (qui non seulement détient l’avantage d’avoir été investi en tant que gouvernement légal mais encore qui s’inscrit dans la continuité de pratiques gouvernementales françaises) une assise de force symbolique étatique plus grande, car puisant ses racines dans la théorie politique même de la France républicaine qui ne supporte aucune concession. 107 CONCLUSION DU CHAPITRE I A la veille de son départ de la capitale provisoire le 19 août 1944, le statut juridique du régime de Vichy est encore celui du gouvernement légalement investi de l’Etat français. Certes, nous avons pu constater que le statut du régime est plus solide selon les critères du droit international de l’époque que selon ceux du droit interne. Ce décalage de densité de justification juridique permet l’ouverture d’une brèche dans l’édifice juridique de Vichy. Sa soumission à l’autorité de fait du gouvernement allemand occupant met l’accent sur le fait qu’il est le gouvernement d’un Etat qui n’exerce pas sa souveraineté de manière autonome. Néanmoins, ce qui permet de contester fortement son statut est le constat des limites de son autorité dans les zones administrées par la France Libre, tant dans les territoires de l’Empire que dans les zones progressivement passées sous son contrôle en France métropolitaine, suivant les avancées des blindés alliés. Le régime de Vichy est, par conséquent, un gouvernement en perte de ses attributs de représentation officielle sur le territoire de l’Etat. Par ailleurs, en droit interne, lorsqu’il fait preuve d’autorité, les compromissions dont il fait preuve et les décisions politiques qu’il opère participent activement à remettre en question ses fondements républicains. Ceci concourt à altérer son statut de gouvernement incarnant la continuité de l’Etat français. Ce tableau général, dépréciant l’assise juridique du régime de Vichy comme celui du gouvernement d’un Etat occupé en guerre civile et aux fondations étatiques contestées, permet d’anticiper la chute de ce dernier. Néanmoins, cette perception des lacunes statutaires du régime de Vichy ne saurait suffire à lui ôter ses fondements. C’est surtout le coup d’Etat de droit opéré par la France Libre qui porte efficacement atteinte à l’image du statut du régime de Vichy, par lequel la France Libre soutient assurer le respect des principes républicains qui fondent la pérennité de l’Etat, contrairement au gouvernement du régime de Vichy qui tire ses sources d’une conception de l’Etat favorisant les intérêts particuliers, à l’encontre de la conservation du bien commun. A ce jour, l’évolution historiographique391 a permis de cesser de concevoir le régime de Vichy comme une sorte d’anomalie historique, parenthèse d’un pouvoir de fait illégitime et 391 Cf. notamment : Eberhard Jäckel, La France dans l’Europe de Hitler, op. cit. ; Robert Paxton, La France de Vichy 1940-1944, op. cit. ; Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy et les Juifs, op. cit. ; Stanley Hoffman, "Aspects du régime de Vichy", Revue française de science politique, janvier-mars 1956 et "Collaborationism in Vichy France", Journal of Modern History, n°40, 3, septembre 1968, republié dans Preuves, juillet-septembre 1969. Ces deux textes ont été repris dans Stanley Hoffman, Essais sur la France. Déclin ou 108 illégal, sans représentativité étatique ni ancrage populaire. Il est dorénavant possible de plonger dans les archives ouvertes, non seulement françaises mais aussi suisses, étatsuniennes, anglaises et allemandes, afin de comprendre le régime comme un gouvernement de collaboration avec une puissance nazie occupante, qui grâce à un coup de force politique a su pendant quatre ans asseoir son autorité face aux velléités combattantes non seulement de la Résistance intérieure, mais aussi de celle qui s’organise depuis Londres puis Alger. Or, si le régime à Vichy n’est pas celui d’un gouvernement fantoche, quelle conséquence tirer quant à son statut juridique dès son départ de Vichy? Le régime à Sigmaringen tient-il au « monde de fiction »392? N’est-il situé qu’à la « marge » dans l’histoire de Vichy393 ? Au contraire, révèle-t-il le statut juridique du régime de Vichy dans la perception de l’histoire de longue durée, permettant de « sortir Vichy de l’exception dans laquelle on l’enferme »394 ? renouveau ? Paris : Seuil, 1974 ; Henry Rousso, Histoire et mémoire des années noires, Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, Institut d'études politiques de Paris, juin 2000, Bulletin de l’IHTP n°76, novembre 2000, consulté le 4 avril 2013 sur http://www.ihtp.cnrs.fr/pdf/HR-habilit.pdf, pp. 97-99. 392 Conformément à la lecture de Jean Sigmann dans sa recension de l’ouvrage d’Eberhard Jäckel, "Eberhard Jaekel, La France dans l’Europe de Hitler", in Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, 1971, vol. 26, n°1, pp. 54-56. 393 Henry Rousso, Histoire et mémoire des années noires, op. cit., pp. 42ss. 394 A l’instar d’Alain Bancaud pour ce qui est de l’histoire judiciaire, « Vichy et les traditions judiciaires », op. cit., pp. 171ss. ; Christian Bachelier et Denis Peschanski, "L’épuration de la magistrature sous Vichy", in Association française pour l’histoire de la justice, L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération : 150 ans d’histoire judiciaire. Paris : Loysel, 1994, pp. 103ss. ; Gérard Noiriel, Les origines républicaines de Vichy, op. cit. 109 CHAPITRE II - LES CONDITIONS JURIDIQUES DE L’EXISTENCE DU REGIME DE VICHY A PARTIR DU 20 AOUT 1944 Le mois d’août 1944 est une période d’accélération des mouvements. Dans la présente recherche, nous cherchons à démontrer que le statut du régime de Vichy à Sigmaringen n’est en rien la conséquence d’une rupture brutale, mais que ses fondements sont à trouver dans les années précédentes, tant dans les racines constitutionnelles souples de la IIIème République que dans les choix stratégiques de son positionnement face aux Alliés. Le mois d’août 1944 est, dans ce contexte, une période charnière qui permet, en quelques jours, de voir se mettre en place le clivage net entre les assises fébriles tant du statut du régime de Vichy que de celui de la France Libre. Il apparaît clairement que les enjeux primordiaux de la France Libre ne semblent pas inscrits dans l’immédiat mais dans la durée, dans cet avenir à créer conçu pour durer, s’engageant dans un tournoi d’escrime diplomatique avec les puissances alliées particulièrement combatif dans un présent important, au service de ce futur qui compte395. Pour les membres du régime de Vichy, ce présent est aussi un tournant, eux qui s’accrochent à leur statut passé, le revendiquant comme un étendard promis à l’éternité. Comme la présente recherche tend à le démontrer, il ne s’agit pas d’une période de passage d’un « ancien régime » à un « ordre nouveau », telle une nouvelle révolution politique, comme certains acteurs de l’époque la qualifient396. Il s’agit plutôt, à notre sens, d’une période qui révèle la crise de la notion de souveraineté, ou plus particulièrement de sa divisibilité ou de sa solubilité. La souveraineté revêt plusieurs aspects selon ses effets : diplomatiques, juridiques ou politiques, et la souveraineté française, en août 1944, semble n’avoir jamais été aussi peu incarnée alors même que de nombreux concurrents désirent la représenter. Or, une souveraineté sans incarnation ne semble qu’une fiction fragile : son simulacre faiblit dès que tombe sa tête ; c’est ce que semble considérer le corps diplomatique, dont les intérêts sont notamment défendus par la Suisse, qui quitte Vichy et est remanié dès que Philippe Pétain et les membres de son gouvernement prennent la route. 395 Dans le contexte des négociations du traité d’alliance et d’assistance mutuelle francosoviétique de décembre 1944, de Gaulle reprend son principe selon lequel « L’avenir dure longtemps. Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 659. 396 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 205ss. 110 Sur le terrain, le débarquement a commencé sur les côtes normandes le 6 juin et les Alliés posent le pied sur les côtes méditerranéennes le 15 août 1944. Du 6 juin au 25 août 1944, plusieurs autorités de fait s’installent sur le territoire : le commandement militaire anglo-américain, mais aussi le Comité français de libération nationale devenu Gouvernement provisoire de la République française397, ainsi que le Comité de la Libération sur place sous l’égide du Comité National de la Résistance, sans compter le régime de Vichy et la force des autorités allemandes, ce qui crée une situation confuse, les Français ne sachant plus à quelle autorité se référer398. Le 20 août 1944, Philippe Pétain et Pierre Laval, qui clament être dans l’impossibilité d’exercer leurs fonctions, quittent Vichy et Paris en se déclarant prisonniers des forces allemandes. Philippe Pétain perd alors son statut de chef d’Etat et Pierre Laval celui de chef de gouvernement de manière ad hoc : en effet, sans démissionner, ils reconnaissent être empêchés d’exercer leur pouvoir par les forces d’occupation encore effectives pendant quelques heures à Vichy et Paris. Ce faisant, ils rejoignent, avec quelques membres du gouvernement ainsi que les chefs collaborationnistes, l’est de la France encore sous occupation allemande. C’est en tant que personnalités privées que la plupart rencontrent les autorités allemandes à Rastenburg, avant de partir, dès le 7 septembre, pour Sigmaringen, en territoire allemand. Si l’on suit cette logique, le régime de Vichy est déchu et ses représentants destitués. Il paraît donc aux yeux du chercheur que l’épisode de Sigmaringen est perçu politiquement comme une sorte de non-lieu institutionnel, comme un épisode négligeable. L’analyse en histoire du droit soulève dès lors plusieurs questions : comment appréhender le changement de statut des représentants de l’Etat et du gouvernement à Vichy à partir du matin du 20 août 1944 ? Comment le droit, en effet, considère-t-il ledit régime de Vichy qui a trouvé exil à Sigmaringen, alors que ses membres n’ont à aucun instant démissionné et qu’il continue d’être reconnu par certaines diplomaties étrangères, assurément beaucoup moins nombreuses qu’à Vichy? Incidemment, comment considérer des représentants déchus en temps de guerre? De surcroît, leur absence de Paris et de Vichy pour raison d’empêchement d’exercice de leurs prérogatives équivaut-elle à considérer que l’Etat français est sans institutions exécutives, sachant que le parlement est déjà inactif ? Qui représente l’Etat français, tant auprès de la population que du corps 397 Par l’ordonnance du 3 juin 1944 reproduite in Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 2 : L’Unité, documents, op. cit., pp. 574-575. 398 Maurice Flory, Le statut international des gouvernements réfugiés et le cas de la France Libre 1939-1945, op. cit., p. 233. 111 diplomatique, à partir du 20 août 1944 ? Les conditions de constitution d’un gouvernement en exil sont-elles remplies ? Enfin, quelle qualification juridique donner aux structures françaises créées à Sigmaringen ? Afin d’analyser et prendre en compte le statut juridique du gouvernement de Vichy après le 20 août 1944 en tant que gouvernement empêché (1), et notamment à Sigmaringen dès le 7 septembre 1944 (2), nous nous attellerons à développer les enjeux de la volonté de respecter et maintenir les formes juridiques de la part des représentations diplomatiques de toutes les factions, autant des représentants de Vichy, du Gouvernement Provisoire, du gouvernement allemand et des instances alliées. SECTION 1 – LE STATUT DU REGIME HORS DE VICHY : LE STATUT D’UN GOUVERNEMENT EMPECHE « Vous aviez raison de dire : quand on passe par Montoire, 399 on finit par Sigmaringen. Il ne faut jamais passer par Montoire. » Dès le début de sa prise de pouvoir, la mystique propagandiste de Philippe Pétain, qui révèle déjà plus une stature de tacticien militaire que celle d’un homme politique actif, est fondée sur le postulat de la nécessité que le gouvernement reste sur le territoire français. C’est ainsi qu’il a pu déclarer : « il est impossible au gouvernement, sans émigrer, sans déserter, d’abandonner le territoire français. Le devoir du gouvernement est, quoi qu’il arrive, de rester dans le pays, sous peine de n’être plus reconnu comme tel. […] Je déclare, en ce qui me concerne que, hors du gouvernement, s’il le faut, je me refuserai à quitter le sol métropolitain. […] Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères »400. Suivant cette doctrine, le régime de Vichy, comme la terminologie l’indique, est intrinsèquement lié à son établissement dans la ville d’eau. Hors de Vichy, il n’est plus que régime déchu. Les évènements historiques vont confirmer cette conception du pouvoir, Philippe Pétain et Pierre Laval constatant, les 17 et 19 août 1944, leur incapacité à assumer leurs responsabilités au vu de l’empêchement d’exercer leurs fonctions créé 399 Déclaration de Charles de Gaulle à André Malraux, in André Malraux, Les chênes qu’on abat… France : Gallimard, 1971, p. 225. 400 Note lue par le Maréchal Pétain au Conseil des Ministres du 13 juin 1940 au Château de Nitray, reproduite in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 45. 112 par l’occupant. Sans démissionner ni transmettre les pouvoirs exécutifs, Philippe Pétain et Pierre Laval se constituent prisonniers de la puissance occupante en déroute. Il s’agira dans un premier temps de revenir sur les évènements ayant conduit à cette situation d’empêchement de l’exécutif sans transfert du siège du gouvernement et de comprendre comment le droit interne comme international qualifient cette situation de personnalités prises en otages (A) et quelles en sont les conséquences, tant pour les membres du régime de Vichy et surtout les « ultras » de la collaboration parisienne (B) que pour le Gouvernement provisoire de la République française (C). A – L’empêchement de l’exécutif sans transfert du siège du gouvernement Afin d’étudier l’empêchement des membres du pouvoir exécutif et les conséquences juridiques à tirer de ce fait, il s’agit de se pencher sur les conditions des empêchements des chefs d’Etat et de gouvernement (a) avant d’en qualifier les enjeux juridiques, afin de permettre par là de mettre en avant les pratiques et principes différents des parties en présence, tant en ce qui concerne la pratique de prise d’otages que des conceptions de la souveraineté et de la continuité de l’Etat (b). a) Les conditions des empêchements des chefs d’Etat et de gouvernement A partir du 20 août 1944, le chef de l’Etat comme le chef de gouvernement sont formellement et concrètement empêchés d’exercer leurs pouvoirs par la force qu’effectue l’armée du Reich à leur encontre. Afin d’aborder le contexte de ces empêchements décisifs, nous proposons de rappeler le précédent des mois de novembre et décembre 1943 (1), les évènements et les prises de positions de la période du printemps et du début d’été 1944 (2) ainsi que les conséquences du débarquement de Provence de juillet 1944 pour le régime de Vichy (3). En dernier lieu, nous mettrons en lumière les conditions dans lesquelles Philippe Pétain et Pierre Laval se voient empêchés d’exercer leurs prérogatives (4). 1. Le précédent de fin 1943 L’étude du premier précédent à la situation du 20 août 1944, qui a lieu dix mois auparavant, permet de mieux appréhender les enjeux de cet évènement. En effet, à la fin 113 de l’année 1943, l’on retrouve les deux problématiques : celle du « transfert de résidence »401 (volontaire ou de force) et celle de la cessation des fonctions de chef de l’Etat et de gouvernement. Lors d’une tentative peu stratégique de regain de souveraineté, qui se solde par un échec cuisant, Philippe Pétain se heurte à la puissance de l’occupant. Cette crise révèle les raisons pour lesquelles le Reich porte un intérêt particulier au fait qu’il reste à la tête du régime, les motivations de Philippe Pétain pour conserver sa position, mais aussi le fait que les éléments les plus motivés de la collaboration prennent le devant de la scène. Le 13 novembre 1943, Philippe Pétain cherche, en effet, à faire passer un acte constitutionnel, le n°4 sexies du 12 novembre 1943, via un discours radio-enregistré402. En désirant annoncer la mise sur pied de sa nouvelle Constitution, Philippe Pétain entend opérer une démonstration de force contre Pierre Laval, avec lequel il ne s’entend pas, et envoyer un message empreint de légitimité aux Alliés au-delà des combats internes. Par une manœuvre de Pierre Laval, Philippe Pétain commet la maladresse de prévenir Roland Krug von Nidda403, ambassadeur d’Allemagne près du régime de Vichy. Cette allocution n’est, par conséquent, jamais diffusée, les autorités allemandes bloquant l’émission du journal officiel et de la radio. Toutefois, son texte circule404. C’est à cette occasion que Philippe Pétain déclare la première fois avec force ne plus vouloir exercer 401 Selon les termes de Renthe-Fink in Note pour mémoire de la communication orale du Ministre von Renthe-Fink à Philippe Pétain de Vichy le 17 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 402 « Français, le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale m’a donné mission de promulguer, par un ou plusieurs actes, une nouvelle constitution de l’Etat français. J’achève la mise au point de cette constitution. Elle concilie le principe de la souveraineté nationale et le droit de libre suffrage des citoyens avec la nécessité d’assurer la stabilité et l’autorité de l’Etat. Mais je me préoccupe de ce qui adviendrait si je venais à disparaître avant d’avoir accompli jusqu’au bout la tâche que la nation m’a confiée. C’est le respect de la légitimité, qui conditionne la stabilité d’un pays. En dehors de la légitimité, il ne peut y avoir qu’aventures, rivalités de factions, anarchie et luttes fratricides. J’incarne aujourd’hui la légitimité française. J’entends la conserver comme un dépôt sacré et qu’elle revienne à mon décès à l’Assemblée nationale de qui je l’ai reçue si la nouvelle Constitution n’est pas ratifiée. Ainsi, en dépit des événements redoutables que traverse la France, le pouvoir politique sera toujours assuré conformément à la loi. Je ne veux pas que ma disparition ouvre une ère de désordres qui mettrait l’unité de la France en péril. Tel est le but de l’acte constitutionnel qui sera promulgué demain au Journal officiel. Français, continuons à travailler d’un même cœur à l’établissement du régime nouveau dont je vous indiquerai prochainement les bases et qui seul pourra rendre à la France sa grandeur. » : Discours préparé de Philippe Pétain du 13 novembre 1943 au sujet de l’acte constitutionnel n°4 sexies du 12 novembre 1943, in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., pp. 142ss. 403 Fred Kupferman, Pierre Laval. Paris : Masson, 1976, pp. 151-152 ; Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944. Paris : Fayard, 1954, pp. 640ss. 404 Via sa transmission par Henry du Moulin de Labarthète, attaché financier à l’ambassade française à Berne et ancien directeur du cabinet de Philippe Pétain, la Suisse la diffuse, notamment via la Tribune de Genève du 30 novembre 1943, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 114 ses fonctions de chef de l’Etat tant qu’on le contraint à ne pas faire aboutir le projet constitutionnel et qu’on l’empêche de s’adresser à la population : « Je constate le fait et je m’incline, mais je vous déclare que jusqu’au moment où je serai en mesure de diffuser mon message, je me considère comme placé dans l’impossibilité d’exercer mes fonctions. »405 Philippe Pétain tente de mener cette grève du pouvoir pendant plusieurs jours406. Le 28 novembre 1943, Adolf Hitler par la voix de Joachim von Ribbentrop rappelle Philippe Pétain à l’ordre, soutenant le principe selon lequel le régime de Philippe Pétain est soumis au bon vouloir du gouvernement du Reich. Adolf Hitler rappelle qu’il observe l’activité de Philippe Pétain comme chef de l’Etat avec une méfiance toujours grandissante et souligne qu’au vu des responsabilités de maintien du calme et de l’ordre public du Reich, il ne tolère pas les agissements de Philippe Pétain. Partant, il exige que tout projet de loi soit dorénavant soumis à l’approbation du gouvernement du Reich et impose un nettoyage du cabinet par Laval, menaçant de prendre d’autres dispositions si Vichy ne se plie pas à ses demandes407. Joachim von Ribbentrop relève notamment : « Si, après sa victoire sur la France, le Führer s’est montré disposé à laisser subsister dans ce pays occupé par l’armée allemande un gouvernement français particulier et à entretenir des rapports avec lui, le fait est à attribuer exclusivement à l’attitude généreuse adoptée par le Führer à l’égard de la France dès sa défaite, ce que vous ne contesterez pas, Monsieur le Maréchal. […] Aujourd’hui, le seul et l’unique garant du maintien du calme et de l’ordre en France même et, par là aussi de la sécurité du peuple français et de son régime contre la révolution et le chaos bolchevique, c’est l’armée allemande. […] Si […] vous vous jugiez hors d’état de donner suite aux demandes allemandes indiquées plus haut ou si le rejet par nous de votre projet de loi dirigé contre les intérêts allemands vous décidait à vous considérer après comme avant comme empêché d’exercer vos fonctions, je tiens à vous faire savoir, au nom du Führer, qu’il vous laisse entièrement libre d’en tirer les conséquences qui vous paraîtront utiles. »408 405 Déclaration de Philippe Pétain à Roland Krug von Nidda, reproduite in Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, op. cit., pp. 641ss. Robert Aron ne peut alors s’empêcher de relever le mot du Dr. Bernard Ménétrel : « Il va faire la grève sur le tas, plus exactement sur l’Etat. » : in Ibid., pp. 641ss. 406 Note sans autre mention du 17 novembre 1943, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 407 A ce sujet, voir notamment : Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 13 et pp. 230ss. ; Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, op. cit., pp. 640ss. ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p.72. ; Yves Durand, Le Nouvel ordre européen nazi: la collaboration dans l'Europe allemande (1938-1945). Bruxelles : Complexe, 1990, pp. 279ss. 408 Lettre du Ministre des affaires étrangères du Reich, Joachim von Ribbentrop à Philippe Pétain du 28 novembre 1943 de Berlin, en version originale en allemand ainsi qu’en version traduite en français, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 et E 27/14487. 115 Cette lettre, c’est Otto Abetz, ambassadeur allemand à Paris, qui la transmet à Philippe Pétain le 5 décembre 1943 à Vichy. Après s’être assuré que Philippe Pétain n’a pas les moyens de prendre la fuite (craignant un enlèvement par les Alliés), Otto Abetz l’informe de sa volonté de l’emmener dans un château de la région parisienne si Philippe Pétain ne change pas d’avis409. Philippe Pétain réplique par un message très conciliant daté du 11 décembre 1943, faisant preuve par là de sa volonté de ne pas démissionner et de conserver une politique de « redressement » : « Pour que cette politique d’autorité soit possible, il faut que l’ordre règne en France et que son gouvernement reste souverain. […] Sur le plan de l’opinion, la dissidence africaine a augmenté le trouble dans les esprits. C’est pourquoi, en toutes occasions, j’ai proclamé la légitimité d’un pouvoir que je suis seul à tenir légalement du peuple français. […] Par la lutte contre le terrorisme et le communisme, [ma politique] contribue à la défense de la civilisation occidentale ; elle est seule de nature à sauvegarder les chances de cette réconciliation de nos deux peuples qui est la condition de la paix en Europe et dans le monde. »410 Philippe Pétain fait la démonstration le 18 décembre 1943 de sa reprise d’activité en acceptant que toute modification législative soit désormais soumise avant publication aux autorités d’occupation et en acceptant le remaniement ministériel voulu par Pierre Laval et Otto Abetz411. Toutefois, il persiste à laisser émettre des rumeurs de démission, voyant peut-être dans l’information selon laquelle le débarquement serait imminent une occasion de tenter un coup de force412. Pour toute réponse, Joachim von Ribbentrop assigne un délégué diplomatique spécial pour le surveiller, Cecil von Renthe-Fink, lequel est intégré, pour la forme, au secrétariat privé de Philippe Pétain413. La reprise des fonctions de 409 Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-1951, op. cit., pp. 254-255 ; voir aussi Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo. Paris : Fayard, 1962. 410 Lettre de Philippe Pétain à Adolf Hitler du 11 décembre 1943 de Vichy, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 et J I.131 1000/1359 Bd : 9. 411 Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, op. cit., p. 649 ; Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 2 : L’Unité, documents, op. cit., note 14 p. 1298. 412 En effet, le 23 décembre 1943, « la nuit est agitée à l’étage du Maréchal, qui voudrait quitter Vichy pour Charmeil et annoncer sa démission. Ce qui n’est, du reste, point étonnant puisque ce même jour le maréchal von Rundstedt informe officiellement Philippe Pétain de la « vraisemblance d’un débarquement imminent des Alliés » : in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 35 ; la lettre de Gerd von Rundstedt est, quant à elle, reproduite in Pierre-Jean Rémy, Diplomates en guerre, La Seconde Guerre mondiale racontée à travers les archives du Quai d’Orsay, op. cit., pp. 770-771. 413 « Otto Abetz, informé de ces projets par Brinon et Marion, menace le Maréchal qui cède dans l’après-midi du 29 décembre. On lui inflige un « surveillant », le délégué diplomatique spécial Cecil von Renthe-Fink, qui est intégré, pour la forme, au secrétariat privé de Philippe Pétain, le remaniement ministériel se fera aux conditions d’Abetz » : in Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-1951, op. cit., p. 255. Voir de même : Lettre de Joachim von Ribbentrop, Ministre des affaires étrangères du Reich à Philippe Pétain, Chef de l’Etat, du Grand Quartier Général le 23 décembre 1943, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 116 Philippe Pétain sera officialisée lors de la cérémonie du 1er janvier 1944414. Aux yeux de ses collaborateurs, des « ultras » de la collaboration415 ainsi que de l’occupant, il apparaît comme un homme faible qui a perdu son prestige. En effet, il ne se présente pas comme un homme de parole quand Pierre Laval obtient la caution du Reich et que Marcel Déat et d’autres collaborationnistes entrent au gouvernement. La Gestapo et la Milice arrêtent des fonctionnaires et Philippe Pétain ne peut cacher qu’il perd son influence. Contrairement à sa position du 19 août 1944, lorsqu’il persistera à se considérer comme mis dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions par l’occupant, Philippe Pétain décide ainsi en décembre 1943 de recouvrer son autorité en cessant sa grève. Pour comprendre les raisons qui motivent son choix, il est utile de se reporter aux discussions en coulisse des hommes d’influence de Philippe Pétain. Nous trouvons, en effet, trace des calculs du Secrétaire d’Etat Fernand de Brinon et du médecin et conseiller privé de Philippe Pétain Bernard Ménétrel, qui conviennent ensemble de pousser Philippe Pétain à agir dans l’intérêt de « la réconciliation franco-allemande dans le sens de la défense de la civilisation occidentale » en apportant « l’élément d’apaisement et d’ordre indispensables sur les arrières de l’armée allemande »416. Il leur paraît, par conséquent, nécessaire de se conformer aux attentes allemandes, puisque notamment : « M. Abetz a reçu des instructions de Berlin demandant que le Maréchal reconsidère la question. Si un débarquement s’effectuait, il serait très grave pour les autorités allemandes que la situation actuelle se prolonge c’est-à-dire que le Maréchal cesse d’exercer ses fonctions. Il faut donc que cette question soit éclaircie, il faut que le Maréchal reste. »417 Cette information, fondée ou non, est jugée crédible par Fernand de Brinon et Bernard Ménétrel qui parviennent à convaincre Philippe Pétain de modifier sa position. Philippe Pétain revient à son poste, acceptant de soutenir un gouvernement de collaborationnistes et soumettant son autorité législative au veto de l’occupant. 414 Rapport du chargé d’affaires de Suisse a.i. à la Division des affaires étrangères au Département politique fédéral Vichy, le 11 janvier 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 415 Terme que reprend notamment Walter Stucki pour qualifier les collaborationnistes engagés : in Rapport de Walter Stucki, chef de la légation de Suisse à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de Vichy, le 11 mai 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 416 Synthèse de la conversation du Dr. Ménétrel avec M. de Brinon du 29 novembre au 5 décembre 1943, Arch. féd., J I.131 1000/1359 Bd : 9. 417 Note complémentaire à la Synthèse de la conversation du Dr. Ménétrel avec M. de Brinon du 5 décembre 1943 du 29 novembre 1943, Arch. féd., J I.131 1000/1359 Bd : 9. 117 Ce n’est donc pas pour éviter que l’autorité d’occupation prenne le pouvoir civil et administratif de la France que Philippe Pétain se ravise et cesse de se considérer comme étant empêché d’exercer ses prérogatives. L’Allemagne, dans cette dernière phase de la guerre, ne semble d’ailleurs pas avoir pour ambition de gérer la France et préfère de loin en utiliser les ressources en laissant une administration et une police complaisantes au pouvoir. Tout au moins désire-t-elle ne pas à avoir à gérer des troubles intérieurs et une résistance administrative joignant ses forces aux F.F.I., si l’annonce d’une déchéance de Philippe Pétain vient à être diffusée. Philippe Pétain est assuré, après cet épisode, de ne plus avoir aucune influence sur les pouvoirs gouvernementaux tenus par des personnalités dont il se méfie. Pourquoi, dès lors, risque-t-il son statut de chef d’Etat ? Nous pouvons supposer qu’au vu des informations dont il dispose, cette stratégie est à tenter ; peut-être, en effet, pense-t-il acquis que les Allemands le laisseront regagner un tant soit peu de légitimité dans son combat de popularité face à Charles de Gaulle et à la Résistance intérieure. Les sources de commandement et d’intrigue dans le Reich sont multiples et les renseignements qu’il obtient alimentent probablement sa confiance excessive en sa politique. Nous manquons de source dans les archives qui prouve cette hypothèse, mais aucune, cependant, ne la contredit. A notre sens, Philippe Pétain ne garde son rôle que pour des raisons pragmatiques. S’il persiste à refuser de démissionner, il sait certainement qu’il sera arrêté, gardé en résidence surveillée et écarté de fait des arcanes du pouvoir, ce à quoi il se refuse. Au lieu de montrer sa volonté de ne pas se compromettre face au Reich, il affiche une soumission non seulement militaire mais aussi politique et cherche à garder des options pour l’avenir en restant à son poste. Les motivations pour lesquelles Philippe Pétain reste ne semblent donc pas être liées, comme le relève la littérature, à son manque de volonté, sa sénescence ou sa faiblesse, Philippe Pétain étant aisément manipulable418, mais au contraire précisément par volonté. Nous ne saurions être persuadée, en effet, par le fait que Philippe Pétain est à ce point dupe du jeu politique essentiel qui se joue à cette période. Décembre 1943 n’est pas juin 1940, Philippe Pétain sait que les Alliés progressent dans leurs plans et que, peut-être, un armistice voire une paix séparée pourront bientôt être proposés (peut-il se figurer en 1943 comment sera interprétée la doctrine de l’unconditional surrender énoncée en janvier de la même année lors de la Conférence de Casablanca par Franklin Roosevelt et Winston Churchill ?419). Ce n’est pas qu’il poursuive volontairement un objectif de réconciliation avec le Reich, malgré le contenu de sa lettre à Adolf Hitler du 11 décembre 1943 qui 418 Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, op. cit., pp. 649-650 ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 73 ; Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-1951, op. cit., p. 255. 419 A ce sujet, cf. Archives nationales des Etats-Unis (NARA), Franklin Delano Roosevelt Library, Basil O'Connor Collection, Box 46. 118 soutient officiellement et sans ambiguïté un programme de collaboration active. Il semble plutôt qu’il se soumette temporairement pour ne pas se démettre. 2. Le bal des stratégies du printemps – été 1944 Au printemps 1944, on pourrait penser que la question des options du régime de Vichy en vue du prochain débarquement allié se pose de nouveau, puisque les autorités allemandes planifient un déplacement de leurs forces. C’est ainsi que, le 17 avril 1944, la légation suisse de Vichy informe Berne de la stratégie allemande visant à garder Philippe Pétain et Pierre Laval proches de leur état-major : « Périodiquement, le bruit court à Vichy que le Gouvernement va rentrer à Paris, mais, cette fois-ci, cette rumeur se fonde sur des faits plus précis. En effet, les autorités allemandes ont fait savoir au Maréchal Pétain qu’elles désiraient qu’en cas de débarquement allié sur les côtes de France, la résidence du Chef de l’Etat et celle du gouvernement fussent transférées dans un endroit se trouvant aussi près que possible du Grand Quartier Général ; celui-ci serait vraisemblablement établi dans la région parisienne. Ces derniers jours, une certaine pression aurait même été faite pour amener le Maréchal à quitter Vichy avant même que des opérations militaires aient commencé en France. […] Il avait toujours été prévu qu’en cas de débarquement, les Allemands seraient amenés à placer le Maréchal Pétain dans une position qui leur offrirait toutes les garanties et qu’ils exerceraient une surveillance encore beaucoup plus grande sur sa personne. Cette récente démarche allemande confirme donc ces prévisions. »420 Or, Philippe Pétain sait que Franklin Roosevelt indique que les armées alliées vont débarquer incessamment et que les Etats-Unis n’ont pas encore opté pour un soutien à Charles de Gaulle : « Le haut-commandement américain désirerait voir le Maréchal en personne ne plus s’occuper de l’Etat, se retirer dans une propriété, de telle sorte que les armées alliées, en libérant le territoire français, libèrent en même temps la légalité et la légitimité prisonnières. »421 Pourtant, comme en juin 1940422 et en novembre 1942, Philippe Pétain décide de ne pas se retirer de la scène politique en attendant une délivrance alliée. Tenant à l’image qu’il 420 Lettre du chargé d’affaires a.i. de la légation de Suisse en France au Département politique fédéral le 17 avril 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 328. 421 « Roosevelt souhaite que les armées alliées trouvent "la légalité prisonnière" » : in Note du colonel de Gorostarzu à J.-R. Tournoux, retranscrite in Jean-Raymond Tournoux, Pétain et de Gaulle, op. cit., p. 460. 422 « Il avait cédé trop souvent ; mais sur un point, du moins, il ne cèderait jamais : il ne quitterait jamais volontairement Vichy » : Walter Stucki reformule la déclaration que lui fait er Philippe Pétain le 1 mai 1944, in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 40. 119 détient sa souveraineté en tant que chef d’Etat, il tient à affirmer son intention de rester à Vichy, ce qui, selon les Etats-Unis, cause sa perte423. Toutefois, les forces allemandes cherchent à garder des options ouvertes en gardant Philippe Pétain sous leur garde, quitte à exercer la contrainte424. Le 4 mai 1944, face à l’imminence débarquement, les autorités allemandes pressent Philippe Pétain de considérer un transfert temporaire du siège de son gouvernement et de sa résidence : Cecil von Renthe-Fink organise le départ de Philippe Pétain pour le Château de Voisins, le 7 mai 1944, à quelques kilomètres de Paris près de Rambouillet, « comme la puissance occupante ne pouvait plus garantir la sécurité du chef de l’Etat à Vichy ». Les Allemands semblent une fois encore craindre un enlèvement possible de Philippe Pétain par les Alliés et, par ailleurs, un appel à la résistance par Philippe Pétain leur semble encore possible. Selon l’observateur Walter Stucki, ambassadeur suisse à Vichy, ce départ semble en fait être orchestré par le « groupe parisien de Déat et Doriot »425. Cet élément montre une fois de plus la manière dont les « ultras » de la collaboration se positionnent et cherchent à influer sur le cours des évènements. En réponse à cette menace, Philippe Pétain veut informer qu’il ne part que sous la contrainte, en prisonnier. Nonobstant, il se ravise, pour éviter toute rupture diplomatique. Il déclare donc à Walter Stucki et au nonce apostolique Valerio Valeri, doyen du corps diplomatique, après avoir obtenu l’assentiment allemand : « Le gouvernement allemand a informé le Chef de l’Etat français de sa volonté de transférer provisoirement la résidence de ce dernier de Vichy en France occupée. Le motif invoqué est la sécurité de sa personne. Le Maréchal a maintes fois déclaré qu’il entendait rester à Vichy, dont il a fait le siège légal du gouvernement depuis l’armistice. Devant l’exigence qui lui est présentée et en raison des circonstances, le Maréchal se rendra cependant dans les environs de Paris. Mais le siège du gouvernement reste toujours Vichy, où le Maréchal reviendra 423 « Evidemment, il ne pouvait être question, du côté du gouvernement américain, de négocier avec le Maréchal tant qu’il se trouvait sous la coupe des Allemands. Mais la question aurait été tout autre si le Maréchal avait choisi de quitter Vichy et de se déplacer dans un pays où on aurait pu traiter avec lui comme chef de l’Etat en exil, plutôt que comme chef de l’Etat, prisonnier de l’ennemi. Je crois que presque tout ce qui a été dit au sujet du Maréchal Pétain et je suis d’accord avec le colonel de Gorostarzu que, sans les mauvais génies du Maréchal, sans certaines influences, on aurait pu, peut-être, persuader le vieux Maréchal de partir pour l’Afrique le 11 novembre 1942. Si ceci s’était produit, l’histoire de l’Europe, et certainement celle de la France, se serait développée autrement. » : lettre du colonel Robert A. Solborg, de l’O.S.S. de l’armée des U.S.A. à Jean-Raymond Tournoux, Jean-Raymond Tournoux, Pétain et de Gaulle, op. cit., pp. 461-462 [c’est nous qui soulignons]. 424 Cette déclaration est à mettre en parallèle avec le conseil que donne Marcel Déat à Otto Abetz le 28 décembre 1943 : « je lui dis que, s’il demande, il n’obtiendra rien, que s’il exige, il obtiendra tout » : in Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., p. 258. 425 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 41ss. 120 dès que les circonstances qui motivent son éloignement auront cessé d’exister. »426 Philippe Pétain obtient donc formellement que son départ soit officiellement temporaire et que Vichy reste le siège du gouvernement. Contrairement à novembre 1943, la situation tourne à l’avantage de Philippe Pétain, car elle se transforme en occasion de voyage pour entrer en contact avec les populations urbaines de la zone nord de la France. Comme Philippe Pétain apparaît concrètement comme prisonnier, la population l’acclame, ainsi qu’à Orléans et à Paris427. Le 8 mai 1944 déjà, s’opère un revirement : les autorités allemandes signifient à Pétain qu’il est autorisé à rentrer à Vichy et qu’il sera dorénavant entouré de policiers français et non plus des forces allemandes. Néanmoins, Philippe Pétain, Bernard Ménétrel et les chefs de cabinets civils et militaires profitent de l’occasion pour se réunir : « Le Cabinet du Maréchal s’occupa de trouver la procédure à employer pour justifier vis-à-vis du corps diplomatique le changement de résidence du Chef de l’Etat, de façon à ce que, d’une part, aux yeux de la population française, il semble s’incliner devant la volonté des autorités allemandes et vis-à-vis du corps diplomatique, il paraisse conserver toute son indépendance »428. A son retour le 28 mai 1944, Philippe Pétain est installé au château de Lonzat, près de Vichy, après s’être fait acclamer à Lancy, Dijon et d’autres villes429. Pierre Laval, lui, se rend précipitamment à Paris pour essayer, en vain, d’« empêcher le départ de Vichy du Maréchal »430. Il invite Philippe Pétain à le rejoindre à Paris afin d’accueillir les Alliés, œuvrer à construire une figure d’autorité capable d’éviter la guerre civile et reformer un 426 Compte-rendu de Walter Stucki du 9 mai 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 8. 427 Notons que, dans son allocution prononcée au balcon de l’Hôtel de Ville de Paris le 26 avril 1944, Philippe Pétain précise que s’il s’agit de sa première visite, il espère qu’il pourra « revenir bientôt sans être obligé de prévenir mes gardiens… Aujourd’hui ce n’est pas une visite d’entrée dans Paris, c’est une petite visite de reconnaissance », anticipant une « visite officielle » qui n’aura jamais lieu : in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 143. 428 Compte-rendu de Walter Stucki du 10 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 8 et E 2300 1000/716 Bd : 348 (avec note signée par l’attaché militaire et de l’air près la légation de Suisse à Vichy, Richard de Blonay). 429 André Brissaud, Dernière année de Vichy (1943-1944). Paris : Perrin, 1965, pp. 367-371. 430 Compte-rendu de Walter Stucki du 10 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 8 et E 2300 1000/716 Bd : 348 (avec note signée par l’attaché militaire et de l’air près la légation de Suisse à Vichy, Richard de Blonay). 121 nouveau gouvernement ; toutefois Philippe Pétain hésite et se méfie de la faisabilité du plan, compte tenu de sa garde rapprochée allemande431. En juillet 1944, les Alliés progressent sur le territoire de la France métropolitaine. Réagissant aux rumeurs précisant que les Allemands veulent les transférer à Nancy, lui et le gouvernement, dans le cas de la nécessité d’un retrait des troupes allemandes vers l’est, le 16 juillet 1944, Philippe Pétain déclare à Valerio Valeri qu’il compte s’opposer à son départ de Vichy, conformément aux conclusions émises au Château de Voisins quelques jours plus tôt : « Des rumeurs persistantes tendent à faire croire que les Allemands auraient l’intention de transporter dans la région de Nancy le Gouvernement français et le Maréchal. Ce déplacement aurait lieu si les armées allemandes étaient contraintes d’évacuer une partie du territoire français et de se retirer vers l’Est. Le Maréchal tient à préciser dès maintenant et à faire connaître à S. Ex. le Nonce comme Doyen du Corps diplomatique, qu’il s’opposera par tous les moyens en son pouvoir à son départ de Vichy vers l’Est. Le Maréchal est resté sur le territoire français depuis 1940. Il est décidé à ne pas le quitter maintenant. »432 L’attentat manqué contre Adolf Hitler, le 20 juillet 1944, fait aussi réagir le régime de Vichy. Philippe Pétain se montre moins enthousiaste que Pierre Laval pour faire part de son soutien à Adolf Hitler et Cecil von Renthe-Fink obtient le renvoi du gouvernement de Jean Tracou, Directeur du cabinet civil du chef d’Etat, pour avoir été l’auteur de la déclaration de Pétain du 16 juillet 1944433. Or, la question de savoir si Pétain doit revenir à Paris et, dans l’affirmative, dans quelles conditions, reste à l’ordre du jour. C’est notamment l’objet de l’entretien du 30 juillet 1944 entre Philippe Pétain et Pierre Laval à Lonzat, auquel assistent Charles Rochat, Jean Tracou et Bernard Ménétrel, après l’annonce par l’agence Reuter de l’installation possible du Gouvernement provisoire d’Alger à Cherbourg. Lors de cette discussion, Charles Rochat résume les deux hypothèses qui se dessinent pour l’occupant : soit les Allemands se retirent totalement du territoire français et, dans ce cas, n’ont aucun avantage à prendre avec eux Philippe Pétain, soit ils restent sur le territoire en résistant sur la ligne 431 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 68-72 ; Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., p. 309. 432 Note verbale de Philippe Pétain remise à Valerio Valeri, nonce apostolique, à Vichy le 16 juillet 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 433 Lettre de Walter Stucki à Marcel Pilet-Golaz de Vichy, le 26 juillet 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 122 Hindenburg (Soissonnais), ce qui dès lors leur permet d’emmener avec eux le chef de l’Etat : « En conclusion, au cours de l’entretien, le Maréchal et M. Laval ont été d’accord pour envisager un transfert rapide à Paris, afin d’occuper les premiers les locaux qui, symboliquement, représentent la légalité et les pouvoirs français : l’Elysée pour le Maréchal. Il a été convenu que M. Laval essaierait par quelques phrases personnelles de le faire comprendre aux maires de la région parisienne. Il est convenu que si la censure allemande laisse passer ce texte, c’est qu’elle admet le principe du retour. »434 Philippe Pétain et Pierre Laval s’entendent donc sur la stratégie que Philippe Pétain se rende à Paris au moment de l’évacuation par les Allemands et avant l’occupation par les Américains, afin de maintenir le principe de légitimité du régime et dissocier celui-ci du Reich. Nous trouvons, en outre, plusieurs documents dans les archives qui témoignent du fait que la question de la stratégie à adopter quant à se rendre à Paris est fortement discutée, à l’instar du résumé de l’amiral Jean Fernet, conseiller de Philippe Pétain qui le suivra, par ailleurs, à Sigmaringen. Dans sa note datée du 3 août 1944, compte tenu du fait qu’il relève une atmosphère favorable aux Anglo-Américains dans l’opinion française et qu’il observe que Philippe Pétain est étroitement surveillé par la Gestapo, il formule la situation ainsi : « Il est à craindre que, si la bataille se rapproche de Paris, Vichy n’apparaisse de plus en plus lointain et qu’il faille ensuite un rude déploiement de tous moyens pour remonter la pente. Le Maréchal doit-il ou devrait-il revenir à Paris ? Les avis sont partagés. […] Les uns disent oui, coûte que coûte. Ce sont les fervents qui obéissent à leur sentiment, à leur foi, - et ceux qui, au moment où il va falloir peut-être prendre des responsabilités majeures, voudraient bien se couvrir de la personne et de la personnalité du Chef de l’Etat : milieux politiciens et administratifs principalement. Les autres disent non, estimant que le Maréchal ne fera une entrée utile ici que lorsqu’il aura pris une position vis-à-vis des Allemands et que s’il a des assurances fermes du côté anglo-américain ou tout au moins américain. »435 De même, dans une note intitulée Conversation de Bernard Ménétrel (B. M.) avec Monsieur Laval (M. L.) du 6 août 1944, en présence de Charles Rochat, est soulignée l’option que Philippe Pétain aille seul à Paris se rapprocher des Alliés, en couvrant 434 Procès-verbal de la conversation au Château de Lonzat entre le Maréchal et le Président Laval à Vichy, le 30 juillet 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 435 Note sans référence de l’Amiral Fernet du 3 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 123 notamment la politique faite par Pierre Laval, qui, lui, craint pour sa sécurité personnelle. Il est révélateur de remarquer que Pierre Laval envisage ici de démissionner : « Dans ces conditions si cela était, il suffirait que le Maréchal demande aux Secrétaires Généraux de continuer à administrer leurs départements techniques sans former pour le moment de nouveau gouvernement. Ainsi tomberait de soi-même le gouvernement actuel qui n’a plus aucune utilité ni aucune valeur. Ainsi, MM. Déat, Bonnard, etc. se trouveraient libérés de toutes obligations et pourraient suivre les replis de l’armée allemande sans pour autant entraîner avec eux le Président et à plus forte raison le Maréchal. B. M. fait remarquer cependant que cette démission ne saurait être acceptée aussi facilement par les Allemands et que dans ces conditions le Président courerait [sic] le risque d’être arrêté par les Allemands. Il faut donc que tout soit préparé pour qu’il puisse rapidement donner sa démission et faire savoir ce geste de grand Français qui dégage le Maréchal et qui prouve qu’il ne veut à aucun prix quitter la France ou suivre les armées allemandes. »436 Toutefois, cette démission permettrait à un nouveau gouvernement de se constituer, surtout dans le cas d’empêchement du chef d’Etat, par exemple dans l’hypothèse où il serait prisonnier. Pierre Laval a donc l’opportunité de ne pas démissionner en ne faisant que déclarer son incapacité temporaire à exercer ses fonctions, ce qui lui laisse le loisir de changer d’avis, d’une part, et qui a l’avantage d’empêcher les collaborationnistes engagés que sont Marcel Déat, Fernand de Brinon et Jacques Doriot de prendre le pouvoir, d’autre part. Après réflexion, c’est cette dernière option que choisit Pierre Laval, comme il le déclare à Walter Stucki en présence de Charles Rochat, le même jour : « J’ai appris que la Puissance occupante aurait l’intention, vu le développement de la situation militaire, de mettre « en sécurité » le Chef de l’Etat ainsi que le Chef du Gouvernement. Vous connaissez la déclaration que le Chef de l’Etat a remise au doyen du Corps diplomatique, S.E. Monsieur le Nonce Apostolique, en ce qui concerne un départ éventuel de Vichy. Quant à moi, je tiens à vous déclarer de la façon la plus catégorique que jamais, dans aucune circonstance, je n’assumerai les fonctions de Chef du Gouvernement ailleurs qu’à Vichy ou à Paris. Je ne le ferai ni à Nancy ni dans une autre ville de l’Est, beaucoup moins en dehors de la France. Si, un jour, l’on disait que Monsieur Laval exerçait les fonctions de Chef du Gouvernement dans une autre ville que Paris ou Vichy, vous pouvez être certain que cela ne correspondrait pas à la vérité. Je serai alors un simple prisonnier privé, sans aucune fonction officielle. »437 436 Note sans référence du 6 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 437 Message de Pierre Laval à Walter Stucki le 6 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. Ce message est mentionné dans le Message de Walter Stucki, Ministre de Suisse à Vichy au nonce apostolique de France Valerio Valeri, de Vichy, le 19 août 1944, J I.131 1000/1395 Bd : 8. 124 Valerio Valeri s’empresse d’accuser réception de ce message en relevant : « Cette déclaration pourrait être utile et s’avérer, en ces moments difficiles, d’une extrême importance »438. A cette période, en effet, le conseiller de l’ambassade allemande à Vichy, Gustav Struve, transmet à Walter Stucki la demande de Berlin de remettre la protection des intérêts allemands à Vichy à la Suisse439, ce qui révèle que le départ a déjà été décidé par le Reich à ce moment-là. De l’imminence de ce départ, les membres du régime de Vichy sont convaincus et cherchent à se positionner. Le 8 août 1944, ils font diffuser une dépêche par l’agence Havas-Ofi à Madrid, qui propage l’information selon laquelle les rumeurs de départ de Philippe Pétain et de Pierre Laval ne correspondent pas à leur volonté, précisant qu’ils ont toujours « pratiqué la politique de la présence »440. A partir de cette dépêche, les observateurs de l’époque établissent les diverses éventualités d’évolution politique. Une note de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral suisse résume fort à propos les quatre options ouvertes à Vichy en date du 10 août 1944441 : (1) le départ de Philippe Pétain de Vichy sous la contrainte de la force occupante : ce qui signifierait, puisqu’il a déclaré « refuser de collaborer de ce fait au Gouvernement de la France », que la France n’a plus de gouvernement dont la Suisse puisse reconnaître la légalité, demandant dès lors au Ministre de Suisse Walter Stucki de rentrer en Suisse ; (2) le départ de Philippe Pétain qui accepterait, en fin de compte, de transférer le siège du gouvernement français dans une autre ville de France : ce qui impliquerait la continuité du pouvoir légal et donc la nécessité de maintenir une présence minimale consulaire suisse, Walter Stucki étant plus utile dans d’autres fonctions ; (3) le départ de Philippe Pétain qui accepterait, en fin de 438 Message du nonce apostolique de France Valerio Valeri à Walter Stucki, Ministre de Suisse à Vichy, de Vichy, le 19 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 439 Gustav Struve fait part confidentiellement de cette demande à Walter Stucki le 17 août 1944 : in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 82. 440 « Gazette de Lausanne 9.8.1944 : Le maréchal Pétain et M. Laval entendent demeurer en France – Madrid, 8 août (Havas-Ofi.) – Il ressort de nouvelles toutes récentes apportées par des voyageurs neutres venus de France, que les bruits concernant le départ éventuel du maréchal Pétain et de M. Pierre Laval pour une nouvelle résidence, ne correspondent aucunement à leurs intentions. Ils ont, en effet, toujours pratiqué la politique de la présence. Le gouvernement du maréchal qui est demeuré depuis quatre ans en territoire national, partageant les épreuves de tous les Français de la métropole, ne saurait songer à s’expatrier ou à changer spontanément le lieu de son siège au moment où la guerre impose un surcroît de souffrances au pays. On est convaincus que, dans la mesure où cela dépendra de leur volonté, le maréchal et M. Laval resteront là où ils sont. » : in Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 441 Note de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral du 10 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 8. 125 compte, de transférer le siège du gouvernement français sur le territoire d’un autre Etat : dès lors, la Suisse ne pourrait que contester la légalité d’un gouvernement français émigré, préférant qu’aucun agent de la Confédération ne le suive en exil ; (4) une dernière option n’est mentionnée que pour mémoire, Marcel Pilet-Golaz témoignant par là qu’il n’envisage pas cette éventualité : l’arrivée des forces alliées à Vichy sans que ni Philippe Pétain ni le corps diplomatique aient pu quitter la ville, cette option ayant pour conséquence que « le gouvernement français cesserait pratiquement d’exister ». Il s’agirait ainsi, pour la Suisse, d’œuvrer à la sauvegarde des intérêts suisses et étrangers confiés à la Suisse et de rapatrier son personnel d’ambassade, non sans avoir tenté de négocier avec les troupes alliées que la note considère comme étant « les nouveaux occupants ». Les membres du régime de Vichy envisagent-ils d’autres options ? Le même jour, le président du Conseil de la francisque et ancien secrétaire général du chef de l’État, Charles Brécard, enjoint le chef du régime de Vichy à se rendre à Paris, où, rappelle-t-il, Philippe Pétain conserve des amis fidèles et a été acclamé quelques mois plus tôt : « Si vous êtes à Paris, c’est à vous que se présenteront les Alliés, c’est vous qui les recevrez : votre situation et celle de votre gouvernement dépendront de l’attitude du commandement anglo-am. [sic]. Il est très probable que si cette attitude vous est favorable, elle le sera peu au gouvernement. Si vous n’êtes pas à Paris, c’est le chef du gouvernement qui recevra les Alliés et comme ils ne cachent pas leur intention de n’avoir aucun rapport avec lui, ils le remplaceront aussitôt, lui, ses ministres et les présidents des 2 assemblées parisiennes. Vous serez alors relégué à Vichy ou ailleurs : votre rôle sera terminé et ce qui est plus grave, on essaiera de vous déshonorer parce que vous n’aurez pas couru le risque d’être présent à Paris au moment de l’arrivée des alliés. […] Peut-être n’êtes-vous pas libre et dans ce cas le fait d’être prisonnier justifierait votre absence. Mais si vous êtes libre, dussiezvous même courir un risque – il faut que vous soyez à Paris. »442 Pour Charles Brécard, il est nécessaire que Philippe Pétain prépare, pour Paris, une liste prête d’un remaniement ministériel à annoncer à la radio. Cependant, il s’empresse de signaler qu’en cas d’empêchement de venir à Paris, ou « même [s’il était] emmené par eux, ce qu’il n’est pas inutile de prévoir », il propose que le chef de l’Etat lui délègue temporairement ses pouvoirs, avec André Lefebvre de Laboulaye, ex-ambassadeur à Washington et Marcel Olivier, ex-Président de la section française de l’exposition de New- 442 Lettre de Charles Brécard à Philippe Pétain du 10 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 126 York (membres du Conseil de l’Ordre de la francisque) pour négocier « avec les alliés et les dissidents. »443 Cette proposition est révélatrice du fait que les proches de Philippe Pétain cherchent à conserver leur chance de retrouver une honorabilité dans les dernières heures de Vichy et qu’ils l’encouragent à risquer de toute urgence de se rendre à Paris. Cette information est confirmée par des messages que les Britanniques adressent quelques jours plus tard aux Etats-Unis et au gouvernement provisoire à Alger444. Elle témoigne de l’urgence pour le chef de l’Etat de prendre une décision. Cette lettre est-elle arrivée sur le bureau de Philippe Pétain ? Quoi qu’il en soit, si elle l’a été, Philippe Pétain l’ignore car c’est le lendemain, le 11 août 1944, qu’il donne pouvoir à Gabriel Auphan de le représenter auprès des Alliés et des gaullistes « pour agir au mieux des intérêts de la Patrie, pourvu que le principe de légitimité que j’incarne soit sauvegardé »445. Le même jour, les renseignements suisses apprennent que « le Quartier Général du Commandant des troupes allemandes en France [aurait] été transporté de Paris à Nancy et qu’il ne reste qu’une division pour la défense de Paris »446. Ce qui a été envisagé en avril s’est réalisé, accélérant ainsi la suite des évènements. C’est pourquoi Philippe Pétain apprend à Walter Stucki que ses collaborateurs et lui ont peur pour leur vie, sachant qu’ils seront « pour le moins arrêtés et longtemps internés quelque part »447. Philippe Pétain demande à Walter Stucki d’être joignable à toute heure pour témoigner des heures à suivre et fait allusion à son projet de proclamation aux Français qui mentionne qu’il est le bouclier de la France448. Ce serait donc cette crainte d’être enlevé qui pousse Philippe Pétain à donner procuration à Gabriel Auphan de contacter le Gouvernement provisoire par l’intermédiaire des F.F.I. 443 Lettre de Charles Brécard à Philippe Pétain du 10 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 444 Télégramme du Foreign Office à Londres aux représentants britanniques à Alger et à Washington du 18 août 1944, portant mention que, selon les informations suisses de Marcel Pilet-Golaz, des amis de Philippe Pétain lui ont conseillé d’aller à Paris pour rencontrer Charles de Gaulle à l’arrivée des Alliés, pour éviter une guerre civile. Mais il semble improbable que les Allemands ou la Gestapo le permettent : in Archives des affaires étrangères de Grande-Bretagne, Londres, FO 660/117 C 301679. 445 Message de Philippe Pétain donnant pouvoir de représentation à l’Amiral Auphan du 11 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 446 Note sans précision, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 328. 447 Entretien de Philippe Pétain et Walter Stucki à Vichy en date du 11 août 1944 in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 68. 448 « Je n’ai jamais cherché à avilir la Résistance car j’étais moi-même un résistant. Le résistant de France dans la métropole. », in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 35. 127 Le document est intéressant car le nom de Gabriel Auphan est ajouté à la main par Philippe Pétain à une formule dactylographiée, ce qui laisse à penser qu’il a été décidé tardivement. Cette tentative de contact avec Charles de Gaulle est le signe que Philippe Pétain cherche à organiser une passation des pouvoirs sans se rendre à Paris, ce qu’il doit considérer comme impossible ou trop dangereux449. De même que Philippe Pétain ne répondra jamais à l’appel de Charles Brécard, Charles de Gaulle ne répondra jamais à Philippe Pétain, Gabriel Auphan ne parvenant jamais à ses fins. Charles de Gaulle prétendra apprendre cette démarche le 28 août 1944, précisant que l’approche ne le surprend pas450. En effet, le 14 août 1944, Henry Ingrand, Commissaire de la République à Clermont-Ferrand, lui fait part de la demande du capitaine Paul Ollion, envoyé de Philippe Pétain, de placer celui-ci sous la sauvegarde des F.F.I. afin d’éviter qu’il se laisse enlever par l’occupant (étant donné qu’il ne pouvait envisager de chercher refuge dans une ambassade ni de résister avec sa garde personnelle et les groupes mobiles de réserve451, faisant couler du sang inutilement), ce qu’Henry Ingrand accepte, relevant qu’il considérerait Philippe Pétain comme son prisonnier et non comme un chef d’Etat452. Parallèlement aux démarches auprès des F.F.I. et du gouvernement provisoire, envisageant toutes les possibilités, il apparaît enfin lors de cette période que l’entourage de Philippe Pétain produit un dossier à l’attention des Américains, afin d’organiser une rencontre Pétain – Roosevelt, dénoncer l’armistice, décréter une mobilisation générale, former un nouveau gouvernement et remettre ses pouvoirs aux mains de l’Assemblée nationale. Ce projet improbable et tardif, notamment du fait de la vigilance des Allemands et de la réaction prévisible des Etats-Unis, n’ira pas plus loin453. Il en va de même de la 449 Exposé de M. Jacques Laurent-Cély, alias Cécil Saint-Laurent, des négociations qui se sont déroulées à l’Etat-Major du maquis dans la Région de la Bourboule et du Mont-Dore, du 28 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 450 « Je sais que, depuis le début d’août, le Maréchal, qui s’attend à être sommé de partir pour l’Allemagne, a fait prendre des contacts avec des chefs de la Résistance » : in Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 2 : L’Unité, documents, op. cit., pp. 581-582. 451 Sur les groupes mobiles de réserve, voir : Alain Pinel, Une police de Vichy. Les groupes mobiles de réserve (1941–1944). Paris : L’Harmattan, 2004 et Yves Mathieu, Policiers perdus : les G. M. R. dans la seconde guerre mondiale. Toulouse : Y. Mathieu, 2009. 452 Arch. nat., Papiers Ingrand et d’Astier de la Vigerie, 72 AJ ; Henry Ingrand, Libération de l’Auvergne. Paris : Hachette, 1974 ; Jacques Soustelle, Envers et contre tout. t. 2 : D'Alger à Paris, souvenirs et documents sur la France Libre, 1942-1944. Paris : Laffont, 1950 ; Herbert Lottman, Pétain. Paris : Seuil, 1984, pp. 515ss. ; Jean Débordes, Le temps des passions. L’Allier dans la guerre. Romagnat : De Borée, 2005, p. 73 ; Télégramme de la délégation en zone sud du 14 août 1944 à Charles de Gaulle : in Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 2 : L’Unité, documents, op. cit., note 48, p. 1320. 453 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 72-73. Ce projet est lié aux contacts pris par Philippe Pétain avec des Etats-Unis dès le 22 juin 1944, tentant de faire parvenir à Roosevelt le message selon lequel il est nécessaire que ce dernier conserve l’administration 128 procuration confiée par Philippe Pétain à Gabriel Jaray. Cette procuration, qu’aucun historien ne relève, est signée un jour après celle remise à Gabriel Auphan. Dans celle-là, Philippe Pétain donne la mission de contacter le Président Franklin Roosevelt afin de l’avertir des contacts qu’il compte prendre auprès de la France Libre : « Je donne pouvoir à M. Gabriel Louis Jaray, conseiller d’Etat, Président du Comité France-Amérique, pour prendre contact en mon nom personnel avec les autorités diplomatiques américaines accréditées en Suisse, à l’effet de les mettre au courant du problème politique français et de faire connaître mes intentions au moment de la libération du territoire en vue de la sauvegarde du principe de légitimité que j’incarne. Je lui donne la mission de rechercher une solution de nature à empêcher la guerre civile en France, comptant pour cela sur la haute autorité du président Roosevelt. Si les circonstances le permettent, M. G. L. Jaray me rendra compte de sa mission ; si c’est impossible, je lui fais confiance pour agir au mieux des intérêts de la France »454. Nous ignorons quelle est la suite donnée à cette procuration d’une teneur générale donnée au nom propre de Philippe Pétain, d’autant qu’aucune étude ne la mentionne455. Le récent arrêté du 24 décembre 2015 portant ouverture d'archives relatives à la Seconde Guerre mondiale456 permettra certainement de redécouvrir prochainement ce document, parmi d’autres dossiers de la Haute Cour que l’ancien Président de la Haute Cour de Justice a pu consulter en son temps. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons que constater que cette tentative d’informer et de mobiliser les Etats-Unis reste sans effet. civile en France sans la remplacer par une structure alliée, rappelant la légalité et la légitimité du statut du chef de l’Etat Philippe Pétain, comme l’atteste le Télégramme 4033-36 d’Allen Dulles à Franklin Roosevelt du 8 juillet 1944, reproduit in Neal H. Petersen, From Hitler's Doorstep: The Wartime Intelligence Reports of Allen Dulles, 1942-1945. Etats-Unis : Pennsylvania State University Press, 1996, pp. 326-327. Voir de même la réaction du quartier général allié à la tentative d’un message de Philippe Pétain, la réponse alliée est univoque : « the only relations [the Supreme High Commander] would have with Vichy would be the purpose of liquidating it. » : in Rapport du 22 septembre 1944 du grand quartier général allié (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force) concernant le message supposé du Maréchal Pétain au Général Eisenhower, Archives des affaires étrangères de Grande-Bretagne, Londres, Z 6331 / 17 G – FO 371 / 42096 C 301674. 454 Message de Philippe Pétain donnant pouvoir de représentation à Gabriel Jaray du 12 août 1944, publiée in Louis Noguères, Le véritable procès du Maréchal Pétain, op. cit., annexe photographique. 455 Louis Noguères ne fait nulle part mention de ce document dans les quelques 659 pages de son ouvrage Le véritable procès du Maréchal Pétain, op. cit., et, à notre connaissance, ni Gabriel Jaray ni aucune recherche historique n’en a jamais fait part. 456 Journal officiel de la République française n°0300 du 27 décembre 2015, p. 24116. 129 3. Les accélérations suite au débarquement en Provence Le débarquement sur les côtes méditerranéennes a lieu le 15 août 1944, avec à sa tête le général Alexander Patch commandant le 6ème corps américain et le général Jean de Lattre de Tassigny dirigeant la 1ère armée française457. Cette action capitale et les développements de la bataille de Normandie pressent l’issue des évènements côté allemand. Le 16 août 1944, le nonce et Walter Stucki obtiennent des informations selon lesquelles le Reich envisage d’emmener de force Philippe Pétain vers Nancy-Belfort, les membres du gouvernement et le corps diplomatique458. Pourtant, le 17 août 1944, Cecil von Renthe-Fink répond à Walter Stucki qui s’inquiète du sort de la légation suisse en cas de départ forcé de Philippe Pétain que : « jusqu’à présent […] l’Allemagne n’a pas exigé du Maréchal qu’il quitte Vichy. Cette question peut d’ailleurs se poser à bref délai »459. En effet, le même jour, Gustav Struve fait comprendre à Walter Stucki qu’il importe peu pour les légations diplomatiques que Philippe Pétain soit à Vichy, « Nancy ou ailleurs », maintenant par là le mystère quant à la destination choisie, pour éviter des fuites ou parce qu’à ce moment-là les informations ne sont pas encore parvenues de Berlin : toutefois, Gustav Struve indique à l’ambassadeur suisse qu’une communication allemande importante va bientôt être transmise à Philippe Pétain. L’effectivité du départ n’est ainsi plus qu’une question d’heures460. En effet, aucune suite n’est portée aux démarches de Gabriel Auphan et plusieurs rencontres à la Bourboule ainsi qu’au Mont-Dore entre des envoyés de Philippe Pétain, les F.F.I. et Henry Ingrand les 16, 17 et 18 août461. Alors qu’il est prévu que Philippe Pétain se rende lui-même au Mont-Dore le 19 août 1944, il en est empêché par les forces allemandes462 ; Charles de Gaulle le relève et se refusera de répondre officiellement à Gabriel Auphan : 457 Jean de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première armée française. Paris : Plon, 1949, pp. 51ss. 458 Walter Stucki obtient à ce propos que les légations du Vatican et de la Suisse ne soient, quant à elles, soumises à aucune coercition : Lettre de Walter Stucki à Maître Payen, de Berne le 9 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 9. 459 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 79. 460 Ibid., p. 81. 461 Exposé de M. Jacques Laurent-Cély, alias Cécil Saint-Laurent, des négociations qui se sont déroulées à l’Etat-Major du maquis dans la Région de la Bourboule et du Mont-Dore, du 28 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 462 Rapport du colonel Mortier, historique de la Résistance en R6, Arch. nat., 72 AJ 515 - 517 Papiers Galimand. 130 « La légitimité, qu’il prétend incarner, le gouvernement de la République la lui dénie absolument, non point tant parce qu’il a recueilli naguère l’abdication d’un parlement affolé qu’en raison du fait qu’il a accepté l’asservissement de la France, pratiqué la collaboration officielle avec l’envahisseur, ordonné de combattre les soldats français et alliés de la libération, tandis que, pas un seul jour, il ne laissa tirer sur les Allemands. […] Un appel venu du fond de l’Histoire, ensuite l’instinct du pays, m’ont amené à prendre en compte le trésor en déshérence, à assumer la souveraineté française. C’est moi qui détiens la légitimité. C’est en son nom que je puis appeler la nation à la guerre et à l’unité, imposer l’ordre, la loi, la justice, exiger au-dehors le respect des droits de la France. Dans ce domaine, je ne saurais le moins du monde renoncer, ni même transiger. Sans que je méconnaisse l’intention suprême qui inspire le message du Maréchal, sans que je mette en doute ce qu’il y a d’important, pour l’avenir moral de la nation, dans le fait qu’en fin de compte c’est vers de Gaulle qu’est tombé Pétain, je ne puis lui faire que la réponse de mon silence. »463 Si Charles de Gaulle ne prend connaissance officiellement des démarches de Gabriel Auphan que le 28 août 1944, ses services à Alger cependant sont toutefois informés à temps. Emmanuel d’Astier de la Vigerie, son Ministre de l’Intérieur, via Jacques Soustelle, directeur général des services spéciaux, expédie, en effet, un télégramme aux délégués de la France Libre et au chef de la France Libre pour la zone sud, Pierre Guillain de Bénouville et Pascal Copeau précisant : « 1. Aucun pourparlers entre personne mandatée de l’entourage de Gaulle avec entourage Pétain. […] 2. Gouvernement provisoire ne peut que repousser toute tentative et notamment déclaration pour établir un lien entre usurpation Vichy et gouvernement provisoire. 3. […] Si Pétain est fait prisonnier par les F.F.I. il devra être tenu à la disposition justice pour être jugé comme tout membre gouvernement Vichy conformément à la déclaration faite par C.F.L.N. »464 Cette réponse claire est déjà caduque quand elle est formulée. Elle révèle que le Gouvernement provisoire ne peut que refuser de se voir transmettre le pouvoir par un Philippe Pétain discrédité : ce n’est pas la logique qu’adopte l’ordonnance déjà édictée du 9 août 1944. L’approche de Philippe Pétain est, quant à elle, motivée par le calcul que la France Libre se doit d’être conciliatrice et non partisane si elle cherche une représentativité française, car Philippe Pétain détient toujours une certaine popularité au sein de la population465. Il ressort que l’influence du Ministre suisse a été décisive pendant 463 Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 2 : L’Unité, documents, op. cit., pp. 582-583. 464 Télégramme de Merlin (d’Astier) d’Alger le 21 août 1994, Arch. nat., Papiers d’Astier de la Vigerie, 72 AG 408-410. 465 Exposé de M. Jacques Laurent-Cély, alias Cécil Saint-Laurent, des négociations qui se sont déroulées à l’Etat-Major du maquis dans la Région de la Bourboule et du Mont-Dore, du 28 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 131 les dernières heures du régime de Vichy des 17 au 20 août 1944. Selon la ligne de Walter Stucki, Philippe Pétain doit résister à un enlèvement de force par les Allemands pour conserver son crédit personnel et la relative souveraineté de son régime, d’autant que sa déclaration du 16 juillet 1944 est connue466. Walter Stucki souligne qu’à ses yeux Philippe Pétain est un homme âgé et hésitant ; il écrit sans équivoque qu’il influence ce dernier en réponse à ses demandes réitérées de conseil467. Le Suisse freine même les démarches de Bernard Ménétrel auprès du maquis pour que Philippe Pétain fuie, se cache ou se rende468, sans toutefois pouvoir poursuivre la discussion puisque les autorités allemandes dévoilent alors leur plan : transférer Philippe Pétain et Pierre Laval à Belfort. Or, la manœuvre est différée, puisque le chef du gouvernement se trouve à Paris tandis que le chef de l’Etat se trouve toujours à Vichy. Au lieu de mettre en même temps Philippe Pétain et Pierre Laval devant une décision historique, le manque d’unité de lieu implique pour la mise en scène allemande un manque d’unité de temps, alors même que l’intrigue est similaire. Otto Abetz à Paris auprès de Pierre Laval et Cecil von Renthe-Fink à Vichy devant Philippe Pétain tentent de contraindre leurs interlocuteurs au départ, le 17 août pour Laval, le 17 puis le 19 août pour Philippe Pétain, quitte à les emmener prisonniers. A Vichy, le 17 août 1944, Cecil von Renthe-Fink somme oralement Philippe Pétain de se rendre immédiatement à Belfort qui, selon ses dires, devrait être considéré provisoirement comme le siège du Gouvernement français puisque Pierre Laval s’y trouverait déjà avec les membres du gouvernement469. Cecil von Renthe-Fink laisse, d’ailleurs, une note écrite moins précise : « I. Le gouvernement du Reich a donné son accord à la convocation de l’Assemblée nationale. Du côté allemand on ne créera aucun obstacle à la réunion de l’Assemblée nationale, sans égard au développement ultérieur de la situation militaire. Les autorités françaises prendront en toute liberté les mesures nécessaires à cet effet. II. Etant donné les développements militaires des derniers jours, il y a danger que Vichy soit coupé de la moitié septentrionale de la France. 466 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 88. 467 Lettre de Walter Stucki à Pilet-Golaz de Vichy le 16 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 468 Cette retenue de Walter Stucki serait peut-être liée au fait qu’à l’instar du corps diplomatique dans son ensemble, il se méfie du maquis qui est peu au fait des usages internationaux et qui a mauvaise réputation, d’autant plus qu’il redoute les combats entre la S.S. et le maquis : Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 94 et p. 133 ; voir aussi Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-1951, op. cit., p. 274. 469 Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 132 En outre, les nouvelles reçues par les autorités allemandes font naître la plus sérieuse crainte que Vichy soit encerclé par des forces importantes de la Résistance. Le Chef de l’Etat a lui-même, au cours des derniers jours, insisté à plusieurs reprises sur ce danger menaçant. Dans ces conditions, la personne du Chef de l’Etat court les plus grands dangers à Vichy. Le gouvernement du Reich a, en conséquence, accordé l’autorisation de transférer la résidence du Chef de l’Etat, selon le vœu qu’il avait exprimé lui-même, dans la zone nord. III. Etant donné le danger menaçant de la situation, un départ de Vichy aussi rapproché que possible apparaît nécessaire. IV. Corrélativement, il est souhaitable que les membres du gouvernement français, qui se trouvent ici, notamment le secrétaire général du ministère des affaires étrangères, M. l’ambassadeur Rochat, le général Bridoux et l’amiral Bléhaut accompagnent le Maréchal. Il paraît également nécessaire de rétablir la liaison directe du Chef de l’Etat avec son gouvernement. V. Le gouvernement du Reich a également donné son accord pour le transfert de la résidence du Corps diplomatique dans le voisinage du Chef de l’Etat. VI. Pour le séjour du Chef de l’Etat et du gouvernement dans la zone nord, le gouvernement du Reich accorde les mêmes conditions qu’à Vichy. Le transfert de résidence en zone nord doit être considéré comme simplement provisoire et imposé par les circonstances militaires »470. Ne pouvant communiquer avec Pierre Laval, puisque les communications téléphoniques et télégraphiques avec Paris sont interrompues471, Philippe Pétain demande à envoyer un officier d’état-major, le commandant Georges Féat membre du cabinet militaire, en voiture, afin de le contacter pour vérifier les informations données par Cecil von RentheFink. C’est là une manœuvre de Philippe Pétain tendant à gagner du temps, peut-être pour continuer ses démarches auprès du maquis472. Cependant, les quelques heures de répit obtenues ne seront pas suffisantes pour ce faire. Philippe Pétain écrit ainsi à Pierre Laval le 17 août 1944 pour l’informer de la communication orale de Cecil von Renthe-Fink informant que le Gouvernement allemand a donné son assentiment à une convocation de l’Assemblée nationale, « à Nancy où le Président Herriot se trouverait actuellement » et lui faisant part de son étonnement 470 Note pour mémoire de la communication orale du Ministre von Renthe-Fink à Philippe Pétain, de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 471 L’ordre de mission de Philippe Pétain au Capitaine de Vaisseau Féat du 17 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 472 Télégramme de Walter Stucki à Marcel Pilet-Golaz de Vichy, le 18 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 ; Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 133 puisque son départ ne correspond pas à ce qui était annoncé le 6 août 1944, lui demandant par conséquent une explication473. Pierre Laval cherche aussi, de son côté, à faire valoir sa légitimité. Du 10 au 17 août, depuis Paris, il obtient d’Otto Abetz de faire libérer Edouard Herriot, chef du parti radical et président de l’Assemblée nationale assigné à résidence dans un asile où il feint la folie près de Nancy, afin que, sous prétexte de réunir l’Assemblée nationale à Paris pour former un nouveau gouvernement qui prenne de vitesse Charles de Gaulle474 ou, du moins, constituer avec Pierre Laval une sorte de comité héritier de la IIIème République qui accueille les Alliés475. La manœuvre est un échec : Edouard Herriot ne collabore pas au projet, Marcel Déat et les chefs de la collaboration alertent les S.S.476 et Joachim von Ribbentrop intervient auprès d’Helmut Knochen sur ordre d’Heinrich Himmler et d’Adolf Hitler. En fin de compte, Edouard Herriot est de nouveau fait prisonnier par les Allemands477. Le 17 août 1944, à la nouvelle de son arrestation, Pierre Laval proteste auprès d’Otto Abetz : « Si cet ordre était maintenu […] Je devrais vous demander de me considérer comme prisonnier au même titre que le Président Herriot et, 473 Lettre de Philippe Pétain à Pierre Laval, de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 474 Otto Abetz, Histoire d’une politique franco-allemande : 1930-1950, mémoires d'un ambassadeur, op. cit., pp. 328-330 ; Hoover Institute, La vie de la France sous l’occupation. Paris : Plon, 1957, notamment : Déclaration d’André Enfière, p. 1075 et Déclaration d’Helmut Knochen, p. 1782. Les services de l’O.S.S. auraient en effet fait savoir à Pierre Laval que les Etats-Unis sauraient apprécier favorablement son intervention en faveur de la libération d’Edouard Herriot, qui face à un Charles de Gaulle autoritaire a l’avantage de représenter la République française : Télégramme 818-21 de Allen Dulles à Londres du 15 juillet 1944, reproduit in Neal H. Petersen, From Hitler's Doorstep: The Wartime Intelligence Reports of Allen Dulles, 1942-1945, op. cit., p. 334 et p. 613 ; voir de même André Béziat, Franklin Roosevelt et la France (1939-1945). Paris : L'Harmattan, 1997, p. 404. 475 Marcel Déat, Mémoires politique, op. cit., pp. 868-871. 476 Déposition d’Edouard Herriot, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Septième audience, lundi 30 juillet 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 113, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. Les dissonances entre les services du Reich se révèlent ainsi notamment à cette occasion, les services de Heinrich Himmler faisant pression sur ceux de Joachim von Ribbentrop : cf. William Mortimer-Moore, Paris '44: The City of Light Redeemed. Oxford and Pennsylvania : Casemate Publishers, 2015, p. 187. 477 Otto Abetz, Histoire d’une politique franco-allemande : 1930-1950 : mémoires d'un ambassadeur, op. cit., p. 330 ; Hoover Institute, La vie de la France sous l’occupation, op. cit., notamment : Déclaration d’Helmut Knochen, p. 1782 ; Edouard Herriot, Episodes 19401944. Paris : Flammarion, 1950, pp. 108-205 ; Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 871. 134 dans tous les cas, vous me placeriez dans la nécessité de renoncer immédiatement à l’exercice de mes fonctions. »478 Un échange de lettres du même jour met Pierre Laval dans la situation d’empêchement d’exercer ses fonctions. La première étape de cette situation est la communication d’Otto Abetz intimant à Pierre Laval de transférer le siège du gouvernement à Belfort : « Etant donné que Paris et Vichy peuvent être touchés d’un moment à l’autre par des évènements intérieurs ou extérieurs dus à la guerre, le Gouvernement allemand me prie de vous faire savoir que pour la sauvegarde de l’ordre dans les régions de France non atteintes par les opérations, il estime nécessaire que le Gouvernement français transfère son siège de Vichy à Belfort. Je sais que comme Chef du gouvernement, vous avez pris la décision de rester, quoi qu’il arrive, au milieu de la population de la capitale, et j’ai informé mon Gouvernement de votre décision. Le Gouvernement allemand qui comprend certainement le sens national et la portée personnelle de votre décision, se voit néanmoins dans l’obligation, étant donné les raisons énoncées ci-dessus, de ne pas revenir sur son point de vue. Il va de soi qu’il ne s’agira jamais d’inviter le Gouvernement français à quitter le territoire national et que, dès que les dangers dont il est question dans cette lettre, seraient dissipés, il y aurait un désintéressement total du Gouvernement allemand en ce qui concerne une décision ultérieure au sujet du siège du Gouvernement français. J’ai prié le Commandant en Chef des Armées Allemandes en France de donner son accord pour la mise en marche du Premier Régiment de France en direction de Belfort. Cet accord vient d’être donné. Dans le cas où tel serait votre désir, je me permets de vous demander de bien vouloir donner les ordres. »479 Ce à quoi Pierre Laval répond : « Je vous accuse réception de votre lettre dont j’ai donné connaissance au Conseil des Ministres. Le Gouvernement français n’accepte pas de transférer son siège de Vichy à Belfort, quelles que soient les raisons que vous invoquez. Dans ces conditions, et après en avoir conféré avec eux, j’estime, avec tous les Ministres présents, qu’ils ne peuvent pas répondre à l’invitation que vous leur adressez. »480 Toutefois, Otto Abetz insiste : « La communication que j’ai eu l’honneur de vous faire cet après-midi en ce qui concerne le transfert des membres du Gouvernement français à Belfort représente une décision irrévocable du Gouvernement du Reich. J’ai donc le regret de devoir répondre à la protestation du Gouvernement français communiquée ce soir qu’en cas de refus l’application de moyens de contrainte devient inévitable. Très honoré, 478 Lettre de Pierre Laval à Otto Abetz, de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348, accompagnée d’une protestation écrite d’Edouard Herriot confirmant la teneur de la lettre de Pierre Laval et annexée à celle-ci, datée du 16 août 1944. 479 Lettre d’Otto Abetz à Pierre Laval de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 480 Seconde lettre de Pierre Laval à Otto Abetz de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 135 Monsieur le Président, vous-même et les membres de votre Gouvernement ne verront pas seulement dans cette décision allemande l’expression du souci de maintien de la tranquillité et de l’ordre de l’arrière de l’armée allemande mais aussi le souci légitime d’assurer la sécurité personnelle du Gouvernement français. »481 Enfin, Pierre Laval cède et annonce sa cessation de fonction : « En réponse à votre lettre, j’ai le regret de constater que le Gouvernement allemand n’hésiterait pas à recourir à des mesures de contrainte pour assurer le transfert du Gouvernement français à Belfort. Vous voulez bien me faire part de votre souci d’assurer la sécurité personnelle du Gouvernement français ; mais laissez-moi vous dire que mon souci était plus haut : je voulais accomplir jusqu’au bout et quels qu’en soient les risques mon devoir de Chef de Gouvernement. Je dois m’incliner, mais vous comprendrez que, dans ces conditions, je cesse d’exercer mes fonctions. »482 Pierre Laval cesse ainsi toute activité officielle et se considère comme prisonnier privé, remettant à plus tard une éventuelle démission formelle à Philippe Pétain. Le gouvernement français de Vichy n’est plus en état de fonctionner, le pouvoir exécutif demeure aux seules mains du chef de l’Etat. Le 18 août, Pierre Laval quitte Paris avec les membres de son gouvernement pour se rendre à Belfort, non sans avoir préalablement, en date du 17 août 1944, délégué l’intérim des Secrétariats d’Etat aux Secrétaires généraux ou à leurs directeurs les plus anciens483. Pierre Laval écrit aussi deux lettres : l’une à René Bouffet, Préfet de la Seine, et à Amédée Bussière, Préfet de Police, les priant de se charger de l’ordre public, des questions matérielles et de recevoir les autorités militaires alliées et de représenter auprès d’elles le Gouvernement français, ainsi qu’une seconde, à Pierre Taittinger, Président du Conseil municipal de Paris et à Victor Constant, Président du Conseil départemental de la Seine, les remerciant484. Il écrit le 18 août une troisième et dernière lettre, à Jean Faure, Préfet régional de la Lorraine, le chargeant de gérer à son tour les prérogatives administratives, ce qui va bientôt être sans objet. 481 Seconde lettre d’Otto Abetz à Pierre Laval de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 482 Troisième lettre de Pierre Laval à Otto Abetz de Vichy, le 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 483 Lettre du 17 août de Pierre Laval déléguant l’interim des Secrétariats d’Etat aux Secrétaires généraux ou à leurs directeurs les plus anciens, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 ; voir aussi Le Gérant du Consulat de Suisse à Paris, René Naville, au Chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna, de Paris, le 22 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 ; Décret n°2296 du 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 484 Lettres du 17 août de Laval à Bouffet et Bussière ainsi qu’à Taittinger et Constant, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. 136 Georges Féat n’a ainsi pas pu rencontrer Pierre Laval, lequel est déjà parti quand il arrive à Paris le 18 août. A l’Elysée, il prend connaissance des dispositions de Pierre Laval et apprend « que les ministres ont été emmenés dans la nuit à Belfort, où ils doivent retrouver le Maréchal qui s’y trouve déjà »485. Il rencontre Amédée Bussière, René Bouffet, Pierre Taittinger et Charles Brécard notamment, pour leur faire part de la réalité de la situation et prendre de plus amples informations sur les circonstances du départ des ministres. Georges Féat note que Joseph Darnand est déjà parti avec la Milice de la zone nord « en direction de l’Est » et que Marcel Déat et Fernand de Brinon seraient « partis spontanément dès le mercredi 16 vers l’Est »486. Il souligne aussi qu’Abel Bonnard, « prisonnier sur parole », n’a pu se rendre le 17 août au rendez-vous « en vue de son transfert en Allemagne », sa voiture ayant été réquisitionnée par les Allemands et qu’il est probable qu’il va partir avec Otto Abetz le 19 août 1944. Il note que Pierre Cathala (qui mourra dans la clandestinité) et François Chasseigne (arrêté par la Résistance) ne se sont pas présentés au rendez-vous et qu’étaient absents Eugène Bridoux et Henri Bléhaut (qui se trouvaient auprès de Philippe Pétain). Georges Féat relève qu’Otto Abetz fait courir l’information selon laquelle Philippe Pétain aurait été arrêté le jour-même, soit le 18 août 1944 et décide de retarder son départ pour en savoir plus. Ayant compris qu’il s’agit d’un leurre, « M. Abetz ayant laissé échapper qu’il était privé de communications avec M. von Renthe-Fink »487, Georges Féat décide de rentrer à Vichy. Quand il arrive le soir du 19 août 1944, il est en présence de Philippe Pétain, du Général Eugène Bridoux et des Amiraux Jean Fernet et Henri Bléhaut, juste avant l’entrée en scène du délégué spécial diplomatique Cecil von Renthe-Fink et du général Alexander Neubronn von Eisenburg (dit Neubronn). 4. L’empêchement de l’exécutif Le 19 août, Cecil von Renthe-Fink et Alexander Neubronn se rendent chez Philippe Pétain pour réitérer officiellement l’ultimatum allemand du 17 août 1944. Compte tenu des circonstances, c’est-à-dire de l’avancée des Alliés et des actes de résistance des F.F.I., 485 Compte-rendu détaillé du voyage à Paris du capitaine de vaisseau Féat (18-19 août 1944) du 20 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 486 Walter Stucki relève d’ailleurs que, le 17 août 1944, l’épouse de Fernand de Brinon lui demande un visa d’urgence pour la Suisse pour son mari et elle, ce à quoi il oppose un refus : Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 86. 487 Toutes les citations de ce paragraphe sont tirées du Compte-rendu détaillé du voyage à Paris du capitaine de vaisseau Féat (18-19 août 1944) du 20 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 137 Cecil von Renthe-Fink annonce le transfert temporaire du siège du gouvernement ainsi que de la résidence du chef de l’Etat dans le nord. Le gouvernement allemand offre cependant la garantie que la mesure n’est que provisoire et qu’il n’est pas question de quitter le territoire de la France : «Note pour mémoire : 1. Le président Laval se trouve avec les membres du gouvernement à Belfort, nouveau siège provisoire du gouvernement français. 2. Le gouvernement du Reich donne l’assurance solennelle que, en toute circonstance, le Maréchal demeurera sur le sol français. 3. Le gouvernement du Reich assure que le Maréchal et le gouvernement français pourront revenir à Vichy dès que la situation sera assez sûre pour le permettre.»488 A cette communication, Philippe Pétain préfère ne pas répondre, remettant le mémorandum concernant la déclaration de Pierre Laval du 6 août 1944 qui contredit le premier point, ce qui, d’après les témoins, a pour effet d’irriter Cecil von Renthe-Fink489. S’ensuit un après-midi de négociations impliquant notamment Walter Stucki, au sujet des moyens de pression militaire dont n’hésiteraient pas à user les forces allemandes à l’égard de la personne de Philippe Pétain comme de la ville de Vichy. Sur les conseils du diplomate suisse, Philippe Pétain convient de ne céder qu’à la menace d’utiliser la force contre Vichy, effectuant là le choix d’une résistance passive et non active490, optant pour le principe de Vichy « ville ouverte »491. Lorsque Cecil von Renthe-Fink et Alexander Neubronn reviennent une seconde fois rencontrer Pétain, le diplomate allemand lui adresse une nouvelle lettre plus pressante : « Monsieur le Maréchal, Au nom de mon gouvernement, j’ai l’honneur de vous faire part de ce qui suit : en raison des développements militaires des derniers jours, il y a danger que Vichy soit coupé de la moitié nord de la France. En outre, les nouvelles reçues par les autorités allemandes font craindre de la façon la plus sérieuse que Vichy soit cerné par des forces importantes de la Résistance. Le Chef de l’Etat a insisté lui-même à plusieurs reprises au cours des derniers jours sur ce danger menaçant. La personne du Chef de l’Etat, dans ces conditions, court les plus grands dangers à Vichy. Le gouvernement du Reich, en conséquence, a donné son accord au transfert de la résidence du Chef de l’Etat dans la zone 488 Note remise pour mémoire à Philippe Pétain par von Renthe-Fink à Vichy, le 19 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 489 Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 490 Philippe Pétain décide ainsi de se soumettre à une menace de force brutale manifeste et non à une simple sommation de principe : Lettre de Walter Stucki à Maître Payen le 9 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 491 Rapport du Général Blasselle du 19 août 1944, Archives privées Roger Dudenhoeffer, 3 A e ; Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 138 nord conformément au vœu qu’il a précédemment exprimé. Le président Laval, ainsi que les membres du gouvernement, se trouvent déjà à Belfort, nouveau siège provisoire du gouvernement français. Le gouvernement du Reich donne l’assurance solennelle que le Chef de l’Etat français et le gouvernement français pourront revenir à Vichy dès que la situation sera assez sûre pour le permettre. Pour le séjour du Chef de l’Etat et du gouvernement dans la zone nord, le gouvernement du Reich accorde les mêmes conditions qu’à Vichy. Le gouvernement du Reich a également donné son accord au transfert de la résidence du Corps diplomatique au nouveau siège provisoire du gouvernement français. Depuis la déclaration faite au Chef de l’Etat au nom du gouvernement du Reich, la situation s’est encore aggravée. Elle est telle, à présent, que, du côté allemand, on ne peut plus prendre la responsabilité de laisser le Chef de l’Etat français séjourner plus longtemps à Vichy. En conséquence, le gouvernement du Reich a donné l’instruction d’opérer le transfert de la résidence du Chef de l’Etat français même contre sa volonté. Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l’assurance de ma plus haute considération. »492 Face aux deux diplomates de la Suisse et du Vatican, appelés par Philippe Pétain afin de servir de témoins, et après une discussion animée (lors de laquelle les ministres du régime de Vichy traitent les représentants allemands de menteurs, d’autant qu’ils disposent alors du rapport de Georges Féat), les envoyés du Reich se retirent une fois de plus. Quoi qu’il en soit, Cecil von Renthe-Fink convient de repousser le délai de départ au lendemain matin, 20 août 1944493. Une troisième et dernière lettre parviendra à Philippe Pétain dans la nuit, fixant clairement le départ pour Belfort le soir-même, invitant les proches collaborateurs de Philippe Pétain ainsi que son épouse à se joindre à lui : « Monsieur le Maréchal, Comme suite à ma lettre de ce jour, j’ai l’honneur de vous faire savoir, de la part de mon gouvernement, que, en raison de la situation, le départ pour Belfort est prévu pour ce soir. Je crois avoir compris que Madame la Maréchale a l’intention de vous accompagner. Je me permets de proposer que les membres du gouvernement français qui sont demeurés ici, et notamment le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, M. l’ambassadeur Rochat, le secrétaire d’Etat à la Défense, M. le général Bridoux et le secrétaire d’Etat à la Marine, M. l’amiral Bléhaut, accompagnent le Chef de l’Etat français. En outre, je voudrais exprimer le désir que le général Debeney et le docteur Ménétrel prennent également part au voyage. La désignation des autres 492 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 112-113. 493 Pour un compte-rendu général des évènements des 19 et 20 août, voir : Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9 et Compte-rendu du Commandant Huss, Chef du détachement de liaison auprès du Général allemand représentant à Vichy le Commandement ouest au sujet des entretiens auxquels il a assisté le 19 août 1944, Arch. féd., E 27/9965 Bd : 2-7 ; voir de même Lettre du Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, au chef du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz du 20 août 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (19431945), n°203. 139 personnes qui accompagneraient ou suivraient le Chef de l’Etat à Belfort demeurera subordonnée à un accord entre autorités compétentes. Le règlement de toutes autres questions demeure également subordonné à ententes réciproques. Veuillez agréer, M. le Maréchal, l’assurance de ma plus haute considération. »494 Le lendemain 20 août 1944, la seule violence effectuée par les forces allemandes est de forcer six portes avant de faire face à Philippe Pétain et à sa suite et de réitérer l’ultimatum. Il est à noter que le convoi prend du retard, Philippe Pétain obtenant plus d’une heure de répit pour prendre son petit-déjeuner et remercier ses collaborateurs en privé495. Il ne part pas sans adresser une protestation à Adolf Hitler où il mentionne explicitement qu’il se considère comme n’étant plus dans la possibilité d’exercer ses prérogatives de chef de l’Etat : « En concluant l’armistice de 1940 avec l’Allemagne, j’ai manifesté ma décision irrévocable de lier mon sort à celui de ma Patrie et de n’en jamais quitter le territoire. J’ai pu ainsi, dans le respect loyal des conventions, défendre les intérêts de la France. Le 16 juillet dernier, devant les rumeurs persistantes concernant certaines intentions allemandes à l’égard du Gouvernement français et de moi-même, j’ai été amené à confirmer ma position au Corps diplomatique, en la personne de son doyen, Son Excellence le Nonce Apostolique, précisant que je m’opposerai par tous les moyens en mon pouvoir à un départ forcé vers l’Est. Vos représentants m’ont fourni des arguments contraires à la vérité pour me décider à quitter Vichy. Aujourd’hui, ils veulent me contraindre par la violence et au mépris de tous les engagements, à partir pour une destination inconnue. J’élève une protestation solennelle contre cet acte de force qui me place dans l’impossibilité d’exercer mes prérogatives de Chef de l’Etat français. »496 Philippe Pétain accompagne sa protestation d’une déclaration aux accents sacrificiels adressée aux Français, leur précisant qu’au moment où ce message leur parviendra, il ne sera « plus libre », en mentionnant : « l’ordre doit régner parce que je le représente, légitimement. Je suis et je reste votre chef. […] Pour moi, je suis séparé de vous mais je ne vous quitte pas […]. »497 494 Troisième lettre du Ministre de von Renthe-Fink à Philippe Pétain du 19 août 1944 annonçant le départ pour Belfort, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 495 « Je suis obligé de partir pour une destination inconnue. Vous devez rester et continuer à faire fonctionner vos Services. Faites comme moi, ayez confiance. Je reviendrai je ne sais pas quand, mais peut-être bientôt. Je veux que tout continue ici comme avant. » : in Rapport du Général Blasselle du 19 août 1944, Archives privées Roger Dudenhoeffer, 3 A e. 496 Déclaration du Maréchal de France, Chef de l’Etat, à Monsieur le Chef d’Etat du Grand Allemand à Vichy, le 20 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 497 Déclaration de Philippe Pétain aux Français, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 140 Philippe Pétain, s’étant constitué prisonnier, part sous escorte en direction du nord-est accompagné de son épouse et de Bernard Ménétrel, sous les yeux du nonce Valerio Valeri et de Walter Stucki498. b) Les enjeux juridiques de l’empêchement de l’exécutif Afin d’analyser les faits exposés dans le présent paragraphe, il paraît utile de s’interroger sur les intérêts et arguments logiques légitimant les positions de chaque partie en présence. La pratique germanique des prises d’otage de personnalités est, à cet égard, un élément particulièrement révélateur des raisons pour lesquelles les autorités du Reich ont avantage à emmener avec elles les tenants du régime de Vichy (1). S’exprime, de surcroît, une inconciliable opposition des parties en présence (vichystes, alliées et allemandes) au sujet de la notion de souveraineté (2), qui, par conséquent, met en valeur différentes conceptions du principe et de la pratique de la continuité de l’Etat qu’il s’agit de révéler (3). Enfin, la transition de l’exercice du pouvoir à Vichy dévoile des enjeux juridiques en droit diplomatique et international, mais aussi le rôle central de la légation suisse (4). 1. La systématisation de la prise d’otage de personnalités Les évènements d’août 1944 ont, en effet, lieu dans un contexte où la pratique de la prise d’otage d’hommes d’Etat est déjà systématisée par l’Allemagne. En 1870, les autorités prussiennes prennent en otage des personnalités afin de dissuader leurs ennemis français d’actions directes (actes d’agression de membres de la population au sein des territoires occupés) ou indirectes (dommages collatéraux dus à la réaction des occupants) sans toutefois considérer ces personnes sous contrainte comme des prisonniers de guerre, protégés plus tard par la Convention de la Haye. Lassa Oppenheim note en 1944 que cet usage a été condamné par les publicistes de renommée internationale, tout en le considérant comme légal pour sa part, en arguant du droit aux représailles499. Sans 498 Partent aussi le général Eugène Bridoux, l’amiral Henri Bléhaut, le Colonel Louis de Longueau-Saint-Michel, du cabinet militaire du chef d’Etat, le secrétaire général aux affaires étrangères Charles Rochat et les officiers d’ordonnance, mais aussi Abel Bonnard, Jean Bichelonne, Paul Marion et Maurice Gabolde : cf. Georges Rougeron, Quand Vichy était capitale, 1940-1944. France : éd. Horvath, 1983, p. 278 et Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 77. 499 Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and neutrality, op. cit., pp. 271ss. 141 qu’elle soit jamais expressément nommée par les acteurs de l’époque dans aucun document d’archive, il nous apparaît que cette pratique ne peut qu’inspirer amplement le Reich lorsqu’il procède au départ pour Belfort sous bonne garde des représentants du régime de Vichy. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est patent que le Reich développe sa pratique de prise d’otages en enlevant hors du territoire français des personnalités pour les déporter ou les interner sur le territoire allemand. Ces prisonniers particuliers sont conservés à toutes fins utiles ; il ne s’agit plus seulement de se garder la possibilité d’utiliser ces personnalités comme objets potentiels de représailles pour faire pression sur les forces ennemies, mais aussi de les mettre à l’écart de la France Libre, voire de les utiliser comme future monnaie d’échange. En effet, avant le 20 août 1944, de nombreuses personnalités, dont des hommes d’Etat, sont déjà enlevées et internées sur le territoire allemand dans des prisons pour personnes de premier plan. Toutes dépendent de la volonté d’Adolf Hitler concernant leur sort500. Ainsi, dès 1943, sont ainsi retenues une douzaine de personnalités françaises, déportées d’honneur au château d’Itter dans le Tyrol autrichien : ces personnes de renommée sont des personnes privées qui, en fonction de leurs qualités ou fonctions, sont déportées en quelque sorte préventivement pour éviter qu’elles ne portent atteinte aux intérêts du Reich et n’exercent une influence morale sur la résistance501. Leurs conditions de vie, par rapport aux prisonniers classiques et aux déportés, sont relativement supportables : en particulier, ils ne sont pas contraints de travailler502. Après leur arrestation en 1940 et le procès retentissant de 500 L’assassinat de Georges Mandel, qu’Adolf Hitler fera sortir d’Itter afin qu’il soit assassiné en France, illustre le fait que les otages ne sont que les instruments du Reich : voir François Delpa, Qui a tué Georges Mandel (1885-1944) ? Paris : L’archipel, 2008. Selon les informations diffusées par Hans Frölicher, chef de la légation de suisse à Berlin, Adolf Hitler aurait accordé à Pierre Laval le pouvoir de disposer des personnes de certains politiciens et militaires internés en Allemagne en représaille des condamnations faites par la France Libre (visant, sans doute, la condamnation à mort de Pierre Pucheu), en citant explicitement Léon Blum, Georges Mandel, Edouard Daladier et Maurice Gamelin. Certes, nous nous interrogeons sur la véracité des informations communiquées pendant la guerre par Hans Frölicher, le diplomate suisse nous paraissant convaincu par la propagande allemande (à titre d’exemple, il diffuse dans la même note des informations sur l’opérationnalité des armes secrètes du Reich). Ce rapport révèle néanmoins que, pour les autorités allemandes, il est important de diffuser l’information selon laquelle les tenants du régime de Vichy ont intérêt à décider du sort des internés français : cf. Lettre de Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, le 12 juillet 1944, Arch. féd., E 2003 1000/716 Bd : 68. 501 Augusta Léon-Jouhaux, Prison pour hommes d’Etat. Paris : éditions Denoël, 1973, p. 9. 502 Pour plus d’information à ce sujet, se référer à Léon Blum, Le dernier mois. Paris : Ed. Diderot, 1946 ; Raoul de Broglie, Souvenirs français dans le Tyrol. Innsbruck : Raoul de Broglie éd., 1948 ; Stephen Harding, The Last Battle: When U.S. and German Soldiers Joined Forces in the Waning Hours of World War II in Europe. Philadelphie : Da Capo Press Inc, 2013. 142 Riom, Léon Blum, Maurice Gamelin, Edouard Daladier, Paul Reynaud et Georges Mandel se trouvent au château d’Itter dès le franchissement de la ligne de démarcation par les Allemands. Rejoignent ces hommes politiques le Président de la IIIème République Albert Lebrun, mais aussi la famille Giraud, Michel Clemenceau (le fils de Georges), ainsi que Léon Jouhaux, secrétaire général de la C.G.T., et l’ambassadeur André FrançoisPoncet503. Outre le château d’Itter, le Reich compte le château d'Eisenberg, en Bohème (où sera interné Pierre de Gaulle, frère de Charles), ainsi qu’une maison privée à Buchenwald, l’hôtel d’Hirschegg, dans l’ex-Tchécoslovaquie, l’hôtel de Plansee, près de Füssen, l’hôtel Walsertal, au Tyrol, et encore l’hôtel Dreesen de Bad Godesberg, au sud de Bonn. Chacune de ces résidences est administrativement rattachée à un camp de concentration. Le choix de ces châteaux, de cette maison et de ces hôtels ne saurait masquer les conditions dans lesquelles vivent les personnes prisonnières. Cependant, le luxe apparent, teinté d’histoire et de grandeur, donne un aspect honorable aux conditions de rétention, contrairement aux camps de la mort qui les jouxtent504. Or, la pratique se développe plus encore pendant l’été 1944 : la prise d’hôtes d’honneur, ou, en d’autres termes, Ehrengäste ou Gäste des Reiches505, s’accélère, en effet, à partir du débarquement de Normandie. Plus de 300 « personnalités otages » sont ainsi internés au Camp C (leur conférant ainsi le nom de « Ducancé ») de Compiègne en attendant leur déportation en juillet 1944 à Neuengamme, à quelques kilomètres de Hambourg506. Ces hauts fonctionnaires, élus, juristes, médecins, politiciens, syndicalistes, journalistes, cadres et autres professionnels ont été remarqués par la Gestapo ; le but de leur enlèvement, outre de les utiliser comme otages, est de réprimer leur désobéissance aux exigences allemandes et d’entraver le fonctionnement administrativo-politique de la France par leur absence. Tous ont en commun deux éléments : avoir contesté, à leur 503 Au château d’Itter, dans le premier semestre 1944, seront enfermés au total près de 400 civils dont la plupart soutient, activement ou passivement, le régime de Vichy. Certains seront considérés comme internés politiques, déportés ou résistants, en fonction de leur situation : voir notamment Augusta Léon-Jouhaux, Prison pour hommes d’Etat, op. cit. ; Kim Munholland, "The Gravediggers of France at the Château d’Itter 1943-1945", Journal of Opinions, Ideas and Essays, août 2013. 504 Jean Manson [Dir.], Leçon de ténèbres. Résistants et déportés. Paris : Plon, 1995. 505 On trouve l’expression dans un message de la légation suisse en Allemagne de Berlin le 17 juin 1944 : in Lettre de Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, le 17 juin 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 8 et E 2003 1000/716 Bd : 68. 506 Benoît Luc, Otages d'Hitler 1942-1945. France : Vendémiaire, 2011, pp. 107-137. 143 mesure, le pouvoir allemand mais aussi ne pas s’être rebellé contre l’autorité du gouvernement du régime de Vichy507. Force est de constater que les similitudes fonctionnelles comme symboliques sont fortes entre la pratique des « otages de marque » et l’enlèvement de Philippe Pétain, Pierre Laval, des membres du gouvernement du régime de Vichy et de leurs proches, à partir du 20 août 1944. Nous comprenons que la référence à cette pratique militaire germanique, si elle peut être occultée de nos jours, n’est pour les acteurs de l’époque que clair sousentendu, raison pour laquelle nul besoin d’explicitation n’est nécessaire dans les documents que nous consultons. Ainsi, suite au débarquement, le Reich fait constituer prisonniers ses anciens interlocuteurs officiels représentant l’Etat français afin de contrecarrer les potentialités d’un enlèvement de Philippe Pétain par les Alliés et d’un appel de ce dernier à lutter contre les Allemands508. 2. Les enjeux juridiques de la crise de conception de la souveraineté En droit, le départ des chefs de l’exécutif hors du siège du gouvernement pour se rendre en zone nord occupée ainsi que le fait que ces derniers se considèrent dans l’incapacité d’exercer leurs fonctions permet d’abord de conclure à une rupture indiscutable de l’armistice. Jusqu’alors, il était encore possible formellement de considérer que le franchissement de la ligne de démarcation n’avait impliqué ni rupture ni dénonciation de l’armistice. En effet, faisant face à de fortes tensions en juin 1944 dans les départements du Puy de Dôme et de Haute Vienne, le Militärbefehlshaber in Frankreich (Commandant militaire en France) Karl Heinrich von Stülpnagel lui-même indique formellement et de manière univoque à Fernand de Brinon ne pas vouloir usurper les droits de l’exécutif dans la zone sud mais seulement user du pouvoir de « prendre des mesures nécessaires au rétablissement de l’ordre sans qu’il y ait atteinte à la souveraineté française »509. 507 « La reconnaissance de ces "déportés spéciaux" a fait débat et les batailles juridiques avec l’administration française ont été́ nombreuses. Leur exécution, le 8 mai 1945, en aurait peutêtre fait des martyrs ; leur libération en fait des marginaux de la répression nazie. » : in Benoît Luc, "Les « Ducancé », des déportés de marque à Neuengamme", Mémoire vivante, Bulletin de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, n°68, mars 2011, p. 9. 508 Ce sont là les justifications émises par le Reich pour l’enlèvement des membres du régime de Vichy d’après Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 44-45. 509 Compte-rendu de la Section militaire de liaison des Services de l’Armistice à Vichy le 29 août 1944, Archives Roger Dudenhoeffer, 3 E a) ; Arch. Nat. AJ/41/1101 à 1343 (Section 144 Toutefois, le 20 août 1944, il n’en est plus de même, la souveraineté française est touchée puisque les chefs de gouvernement et d’Etat sont effectivement mis hors d’état d’exercer leurs fonctions par l’armée allemande. Partant, cette violation de la convention d’armistice ne porte à aucune conséquence concrète sur le terrain. Certes, la violation de l’armistice, interdite par le droit international, implique le droit de l’autre partie de la dénoncer et de reprendre les hostilités sans notification, selon l’article 40 de la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907510. Cependant, Philippe Pétain, Pierre Laval et les ministres du gouvernement ne peuvent exercer cette dénonciation formelle, étant donné leur incapacité à assumer leurs responsabilités, sachant quoi qu’il en soit que les forces de police et de la garde mobile de réserve de Vichy, qui comptent nombre de défections pour rejoindre les F.F.I., ne sont pas en mesure de reprendre à elles seules les hostilités511. De plus, il est patent qu’on assiste à la fin de l’autorité du gouvernement de Vichy qui n’a, effectivement, plus les moyens d’assurer la gestion des affaires courantes durante bello : l’occupant reprend là son droit de puissance de fait sur les territoires qu’il contrôle. Le gouvernement allemand fait ainsi preuve de sa vision normative de la souveraineté, partant du principe que le régime de Philippe Pétain n’est pas souverain étant donné qu’il est toujours soumis à son autorité, le 20 août 1944. Cependant, en tout état de cause, cette conception est affaiblie par le fait que la puissance occupante est, elle-même, en déroute depuis l’avancée des divisions blindées alliées. Si elle s’impose sur Vichy au 20 août 1944 et qu’elle dispose du champ libre pour déplacer sur le sol de l’Etat le cortège des anciens représentants du pouvoir exécutif, elle n’est néanmoins pas maîtresse des évènements car elle perd progressivement autorité sur une partie du territoire. Aussi, le 20 août 1944, l’Etat français n’a-t-il plus de gouvernement ? Si l’on suit les déclarations de Philippe Pétain et de Pierre Laval, leur incapacité d’exercer leurs fonctions n’est que temporaire, puisqu’ils n’ont pas démissionné. Partant, peuvent-il le faire, puisqu’aucune instance compétente n’est en activité pour recevoir leurs démissions ? Est-ce uniquement par l’effet de force majeure qu’ils ne démissionnent pas ? Il paraît, à l’étude, que ce n’est pas la raison de l’attitude tant de Philippe Pétain que de Pierre Laval. En constatant et faisant constater leur impuissance, ils prennent, en militaire de liaison de Vichy (S.M.L.), groupes de liaison, détachements de liaison et sections françaises de liaison (S.F.L.) (zone sud)). 510 Lassa Oppenheim, International Law, A Treatise - vol. 2, Disputes, war and neutrality, op. cit., p. 251. 511 Lettre de Walter Stucki à Pilet-Golaz de Vichy le 16 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 145 quelque sorte, une option pour la suite, considérant que les pouvoirs qu’ils détiennent sont suspendus du fait de la violence exercée sur leurs personnes512. Cette suspension ne saurait qu’être transitoire, comme le précédent de décembre 1943 le prouve, et empêche formellement, de fait, la nomination de successeurs. Il s’agirait ainsi d’une logique qui profite du fait que les normes constitutionnelles de la IIIème République ne prévoient aucunement les conditions d’empêchement de l’exécutif, ce qui leur permet de conserver une envergure politique. Cet état de fait traduit clairement une certaine conception de la souveraineté du régime de Vichy, selon laquelle l’exercice de la souveraineté est moins essentiel à celle-ci que le fait d’en être le dépositaire. C’est la raison pour laquelle Philippe Pétain insiste sur le fait d’être titulaire de la souveraineté nationale de par son investiture régulière ; il en fait constamment la démonstration quand il exprime sa volonté d’en assurer l’exercice. Les maintes démarches qu’il effectue, en interne, mais aussi auprès du Reich, des Alliés et du Gouvernement provisoire, font montre de sa volonté d’incarner la souveraineté et, par là, d’en défendre le principe. C’est en ce sens que nous pouvons interpréter la mission que Philippe Pétain donne à Gabriel Auphan de le représenter auprès de Charles de Gaulle et des Alliés pour négocier une issue aux luttes internes. En effet, il formule précisément que le principe de légitimité qu’il incarne se doit d’être respecté ; il lui est alors primordial de transmettre à Gabriel Auphan l’exercice de la souveraineté sans lui donner les pleins pouvoirs de représenter l’Etat, car il conserve, dans sa logique, le titre de la souveraineté513. Il en va de même pour ce qui est du contenu des démarches auprès des F.F.I. et du Gouvernement provisoire, lors des derniers jours de sa présence à Vichy car, pour Philippe Pétain, lorsqu’il perd l’exercice de la souveraineté, il n’en perd pas le titre pour autant. En d’autres termes, pour le régime de Vichy, le fait d’être mis dans l’incapacité d’exercer les fonctions de chef de l’Etat et du gouvernement n’implique en rien une perte de souveraineté, mais uniquement une suspension temporaire de son exercice jusqu’à nouvelle expression de capacité et de volonté. Nonobstant, la logique du régime de Vichy se heurte à deux principaux écueils. Le premier est justement relatif à la limitation de sa souveraineté : si Philippe Pétain se targue de faire preuve de volonté et de subjectivité, la censure constante de l’occupant 512 Comme le formule notamment Pierre Bourget, Un Certain Philippe Pétain, op. cit., p. 251 ; voir aussi Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit. 513 « […] je lui fais confiance pour agir au mieux des intérêts de la Patrie, pourvu que le principe de légitimité que j’incarne soit sauvegardé » : in Message de Philippe Pétain donnant pouvoir de représentation à l’Amiral Auphan du 11 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 146 restreint son choix et le contraint. Ainsi, s’il veut exprimer sa souveraineté, il n’est pas en mesure de pouvoir l’imposer, comme le démontre le précédent de décembre 1943. L’exercice de la souveraineté sous occupation militaire d’un Etat ennemi est, ab initio, limité. Le second écueil est celui de la faiblesse intrinsèque du régime de Vichy, du fait de son attachement à son assise territoriale. Depuis sa création, en effet, le régime est lié à son siège provisoire de la ville de Vichy et par extension à la zone sud, ce qui est prégnant dans les discours de Philippe Pétain. Il paraît que seul un retour au siège traditionnel parisien aurait été envisageable, mais de manière autonome et non pas sous la menace des baïonnettes allemandes514. Ainsi, un départ du territoire pour la zone nord occupée implique pour Philippe Pétain le fait d’être confronté à une faille de souveraineté, car il ne peut l’y exercer. A cette interprétation vichyste de la souveraineté s’oppose la vision républicaine du Gouvernement provisoire. Pour celui-ci, l’exercice de la souveraineté est un élément de preuve de l’existence de cette même souveraineté. Par conséquent, il est insuffisant pour une instance de soutenir, dans cette optique, qu’elle incarne la souveraineté d’un Etat seulement par le fait qu’elle en a reçu le dépôt à un moment donné de son histoire : autant faut-il que ce dépôt soit légitime, d’une part, et soit durable, d’autre part, quel que soit le contexte, même si une situation de guerre internationale perturbe la clarté de l’effectivité du principe. Pour la conception gaulliste, en effet, ne pas entrer en matière suite aux tentatives de contact et de transmission d’exercice de la souveraineté de la part de Philippe Pétain va de soi, parce qu’au cœur même de la construction juridique du Gouvernement provisoire, la souveraineté est issue de deux sources : l’une métaphysique (la nécessité d’action pour la sauvegarde de la nation, « un appel venu du fond de l’Histoire »515) et l’autre républicaine, statocratique, qui veut que le titre de la souveraineté soit négligeable, car contestable si la souveraineté n’est pas exercée. Charles de Gaulle oppose ainsi l’effectivité de la légitimité qu’il détiendrait à l’effectivité de la volonté de Philippe Pétain. En ce sens, les représentants du régime de Vichy escortés à Belfort ne composent qu’une assemblée d’anciens usurpateurs prisonniers sur le territoire étatique occupé par une puissance étrangère. 514 Lettre de Walter Stucki à Marcel Pilet-Golaz de Vichy, le 10 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 515 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 583. 147 3. Les conséquences sur le principe et la pratique de la continuité de l’Etat Il paraît, à l’analyse des faits, que la continuité de l’Etat est non seulement un instrument juridique mais aussi un enjeu politique primordial pour chaque partie en présence. Le Gouvernement provisoire gaulliste conclut de sa définition de la souveraineté étatique le fait qu’il ne considère en aucune manière assumer la continuité de l’Etat tel que le régime de Vichy la définit. Selon lui, il détient sa légitimité non pas par le pouvoir que Vichy lui transmet mais par une nécessité de défense de l’Etat ou, en d’autres termes, par une représentation de valeurs républicaines, se tenant prêt à répondre de ses responsabilités démocratiques dès que des élections pourront se tenir. Les récentes tentatives de Vichy de lui transmettre l’exercice du pouvoir sont, dans cette vision, insensées, ce que le droit traduit en nulles et non avenues. Pour la France Libre, l’assise de son Gouvernement provisoire en droit constitutionnel français est fondée sur la continuité de la tradition républicaine de la IIIème République et, partant, de l’Etat républicain et non du régime de Vichy dont il nie la représentativité. La France Libre affirme là interpréter le principe de continuité juridique de la République rétroactivement reconstituée516. Assurément, le Gouvernement provisoire a créé, par l’ordonnance du 9 août 1944, une construction juridique cherchant à atténuer les effets pratiques négatifs de la négation de valeur juridique de la législation de Vichy, en intégrant la plupart des effets de la législation de Vichy517. Ainsi, il fait preuve de dimension constitutionnelle intégrative qui non seulement exclut le droit précédent auquel il nie la validité juridique, mais en réceptionne aussi certaines composantes518. Ce rejet de principe du Gouvernement provisoire d’assumer a priori tous les actes pris sous l’autorité du régime de Vichy porte cependant déjà en soi non seulement les justifications des complications juridiques nées de la difficulté à assumer la responsabilité de l’Etat pour les actes commis par et au nom du régime de Vichy, mais aussi la difficulté à assumer ceux-ci sur le plan du paradigme 516 « Il est conforme au droit public de tous les temps que les lois restent en vigueur en cas de changement de gouvernement » : arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 9 avril 1848, Recueil périodique et critique mensuel Dalloz, 1848, I, p. 83. 517 C’est une démarche empiriste pouvant être qualifiée de legal transplantation pour reprendre l’expression de Watson : in Alan Watson, Legal Transplants, an Approach to Comparative Law. Athènes et Londres : University of Georgia Press, 1993, p. 27. 518 A ce propos, voir notamment Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., pp. 227ss. 148 mémoriel moral, nourrissant un interdit de Vergangenheitsbewältigung519 à la française et entravant par là les démarches des victimes pendant des décennies. C’est en fonction d’une interprétation littérale de la continuité de l’Etat que nous pouvons interpréter la position de Philippe Pétain, pour qui, au contraire, le gouvernement du régime de Vichy est le gouvernement de l’Etat français issu en droite ligne des institutions de la IIIème République qui l’ont investi520. C’est sur cette conviction qu’il peut considérer demeurer représentant de l’Etat malgré son empêchement temporaire, d’autant que Pierre Laval est de même empêché. C’est aussi en vertu du principe de la continuité de l’Etat que son gouvernement fait le lien entre la IIIème République et le Gouvernement provisoire, quand Philippe Pétain confère la mission à Gabriel Auphan de contacter Charles de Gaulle. Quitte à se retirer, une fois que le Gouvernement provisoire prendra le pouvoir de fait sur la France métropolitaine et l’Empire, le régime de Vichy conserve, dans cette stratégie, l’assurance de garder un statut institutionnel légal tant vis-à-vis des Etats tiers qu’en interne, garantissant aux personnes les immunités liées à leurs fonctions. Il est possible, de surcroît, de penser que cette conception du régime de Vichy demeurant l’entité instituée qui symbolise la continuité de l’Etat français est aussi celle des autorités gouvernementales du Reich, qui, partant, conservent la sécurité des anciennes personnalités du régime sous leur responsabilité afin de pouvoir leur rendre la relative liberté sur un territoire français dans le cas d’une issue de la guerre qui leur serait favorable. Effectivement, dans l’hypothèse d’une paix séparée, d’un nouvel armistice voire d’une victoire de l’Axe sur les Alliés521, l’Allemagne peut envisager un exercice recouvré des pouvoirs exécutifs de Philippe Pétain, avec Pierre Laval ou une autre personnalité politique favorable à la collaboration comme Président du Conseil. Ce serait 519 Que nous traduisons en confrontation avec le passé et son dépassement. 520 Cette position est d’ailleurs conforme à la conception de Bernard Montague adoptée par Wheaton (Coleman Phillipson et al., Wheaton’s Elements of International Law. Londres : ème éd., 1916, p. 36) qui, selon Hersch Lauterpacht, est souvent utilisée en Stevens, 5 référence par les instances judiciaires, qui dispose que : « le gouvernement de jure est celui qui doit posséder les pouvoirs de souveraineté, quoiqu’il en puisse être temporairement privé. Le gouvernement de facto est celui qui concrètement les possède, bien que cette possession puisse être injustifiée ou précaire » : in Hersch Lauterpacht, "De Facto Recognition, Withdrawal of Recognition, and Conditional Recognition", op. cit., p. 171 et, du même auteur, "Recognition of Governments : I", op. cit., pp. 825ss. 521 Un message de la légation suisse en Allemagne fait en effet mention de l’information selon laquelle Adolf Hitler, quelques jours avant l’attentat qui l’a visé et onze jours après le débarquement en Normandie, aurait pris la décision d’aménager aussitôt que possible ses rapports avec la France dans le but de conclure un avant-traité de paix : in Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de Berlin le 17 juin 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 8 et E 2003 1000/716 Bd : 68. 149 ainsi une autre hypothèse motivant le Reich à prendre les membres du régime de Vichy en otage. 4. La transition de l’exercice du pouvoir à Vichy Dès le 20 août 1944, la transition de l’exercice du pouvoir est orchestrée par le corps diplomatique par l’intermédiaire de Walter Stucki522. A cette date, se trouvent encore à Vichy dix-neuf représentants diplomatiques, ceux de la Suisse (qui représente les intérêts des Etats alliés), du Vatican, de l’Afghanistan, de la Bulgarie, de la Chine, du Danemark, de l’Egypte, de l’Espagne, de la Finlande, de la Hongrie, de l’Irlande, du Luxembourg, de Monaco, du Portugal, de la Pologne, de la Roumanie, de la Suède, de la Tchécoslovaquie et de la Turquie523. Il s’agit ici des Etats dits « neutres », dont les intérêts et liens avec l’Allemagne sont pour autant relativement étroits524. Dès le 19 août 1944, il est clair que Walter Stucki agit souvent de sa propre initiative en usant de ses bons offices, la liaison radio avec Berne n’étant pas sûre525. Depuis des jours déjà, il anticipe le fait que son rôle est central. Dans l’hypothèse, qu’il juge très improbable, d’accompagner le chef de l’Etat du régime de Vichy pour accueillir les Alliés à Paris, il pense déjà être utile en tant que médiateur526. En effet, puisqu’il représente les intérêts américains et anglais, il convainc sa hiérarchie de l’intérêt à participer à organiser une transition dans le calme à Vichy en restant quelques jours, sans que son attitude n’implique « une reconnaissance du Gouvernement provisoire actuellement en 522 Comme l’atteste notamment la Lettre du Ministre suisse à Vichy Walter Stucki au chef du Département politique fédéral Marcel Pilet-Golaz, de Vichy le 20 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. C’est une démonstration du principe de « neutralité active » que Stucki entend rendre effectif : in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 198. 523 Rapport du Général Blasselle du 19 août 1944, Archives privées Roger Dudenhoeffer, 2 C c 12. 524 Preuve en est que, lorsque Pierre Laval transmet à Stucki son message du 6 août 1944, Stucki ne le transmet qu’au nonce pour que l’Allemagne ne soit pas alertée trop tôt via les chefs de missions des Etats neutres, dont en premier lieu l’Espagne ; c’est Philippe Pétain qui, impuissant devant l’ordre allemand, en informe officiellement Cecil von Renthe-Fink le 19 août 1944 par mémorandum : in Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 103. 525 Ibid., p. 109. 526 Déjà le 10 août 1944, Walter Stucki prépare le départ de la légation suisse à Vichy, anticipant le fait que Philippe Pétain ne se rende pas à Paris : Lettre du Ministre suisse à Vichy Walter Stucki au chef du Département politique fédéral Marcel Pilet-Golaz, de Vichy, le 10 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 150 exercice »527. Ainsi, quand, le 16 août 1944, le nonce apprend à Walter Stucki les intentions des Allemands d’emmener Philippe Pétain, son entourage, mais aussi le corps diplomatique528, le chef de la légation suisse prend rendez-vous avec Cecil von RentheFink afin de lui signifier son refus d’être contraint de se déplacer à l’est « au cas où et dès que le chef de l’Etat français devrait quitter Vichy contre sa volonté, car avec lui disparaîtrait la dernière fiction d’indépendance et de souveraineté »529. Bien que, le lendemain, Cecil von Renthe-Fink adresse une note à Pétain signifiant l’accord de son gouvernement pour le transfert de la résidence du corps diplomatique auprès du chef de l’Etat, Walter Stucki obtient ainsi auprès de Gustav Struve des laissez-passer collectifs allemands pour regagner la Suisse, avant de communiquer à Berne la requête du Reich que la Suisse protège les intérêts allemands à Vichy530. En effet, le 17 août 1944, l’attaché militaire suisse Richard de Blonay rapporte déjà à Walter Stucki que le Consul de Suisse à Paris, René Naville, a reçu une demande de protection des intérêts nationaux de la part de l’ambassade d’Allemagne, des consulats d’Italie, du Japon et de Turquie531. Les légations diplomatiques font face à deux questions importantes. La première est légale et concerne les effets juridiques du fait que les représentants du gouvernement de l’Etat français se déclarent captifs et, dès lors, contraints de se considérer empêchés d’exercer leurs fonctions. Effectivement, leurs gouvernements respectifs ont reconnu la légalité de ce gouvernement installé à Vichy et c’est auprès de celui-ci que les légations sont accréditées. La seconde est d’ordre concret et relative à la sécurité personnelle de leurs membres : ces derniers risquent d’être considérés, tant par les armées alliées que les membres des F.F.I. qui ne sont a priori pas des juristes chevronnés, comme des individus privés de charge et ne bénéficiant par conséquent plus de protection diplomatique s’ils quittent Vichy532. La question de savoir si le gouvernement de la France persiste et, par conséquent, si le corps diplomatique peut et doit rester est d’abord débattue par les diplomates à Vichy, lors d’une réunion en date du 20 août 1944 pour prendre les décisions qu’exige la 527 Lettre du Ministre suisse à Vichy Walter Stucki au chef du Département politique fédéral Marcel Pilet-Golaz, de Vichy, le 16 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 528 Lettre de Walter Stucki à Maître Payen, de Berne, le 9 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 9. 529 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 79 530 Ibid., pp. 82-102. 531 Lettre de l’attaché militaire suisse, le Colonel Richard de Blonay, à Walter Stucki, Ministre de Suisse à Vichy, de Paris, le 17 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716. 532 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 86. 151 situation nouvelle533. Certains, à l’instar des représentants de la Roumanie, de la Hongrie et de la Turquie, ont tendance à penser que le gouvernement français se maintient, retenant la constitution d’un cabinet d’intérim du Secrétariat d’Etat suite au décret de Pierre Laval. Ces mêmes diplomates rendent compte de leur commune crainte que leurs immunités, qui persistent en droit international même en cas de suspension de leurs missions, ne soient pas respectées, le maquis risquant de ne pas se soucier, face à la dure réalité, du droit des gens et de la courtoisie internationale. Toutefois, les convictions de Walter Stucki et de Valerio Valeri l’emportent : le corps diplomatique constate collectivement se trouver en droit, le 20 août 1944, devant une absence de gouvernement effectif en France, car il ne persiste au sein de l’Etat français qu’un substrat d’administration534. C’est ainsi que le résument Walter Stucki et Pierre Bonna, qui relèvent respectivement : « En France, il n’existe ni chef de l’Etat ni gouvernement. »535 et « Existence légale gouvernement français ainsi disparue. »536 L’influence de Walter Stucki est, par ailleurs, notable quand il assure avec succès que les contacts qu’il a tissés avec les F.F.I. prouvent qu’il s’agit de personnes raisonnables et désireuses de faire preuve « de discipline et de capacité de gouverner » et il persuade les membres des missions diplomatiques de ne craindre ni pour la sécurité de leurs personnes ni pour la protection de leurs biens537. 533 Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France (datée du 26 août 1944), Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 534 Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France (datée du 26 août 1944), Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8 ; de même le Rapport de Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de Berlin, le 23 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 535 “In Frankreich ist kein Staatschef und keine Regierung vorhanden” : Le Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, au chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz, de Berne, le 20 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 et Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), E 2300 1000/716, n°203 (notre traduction). 536 Télégramme du chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna, au Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, de Berne, le 20 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 et Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), E 2300 1000/716, n°528 (Annexe n°203). 537 Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France (datée du 26 août 1944), Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 152 Pour les légations étrangères, le gouvernement auprès duquel les missions sont accréditées n’existe plus car il a perdu l’exercice de sa souveraineté538 : les légations persistent dès lors dans leur volonté de rester à Vichy et de contacter leurs gouvernements respectifs, afin de savoir si demande leur est faite de regagner leurs capitales ou de rester sur place afin de fermer leurs administrations avant de se rendre à Paris où devrait être formé un nouveau gouvernement539. A l’instar de la Suisse, les diplomates étrangers à Vichy, compte tenu de la déclaration de Philippe Pétain à Adolf Hitler du 20 août 1944 et celle de Pierre Laval à Otto Abetz du 17 août 1944, ne conservent donc « aucune illusion sur la fiction selon laquelle il y aurait encore à Belfort un gouvernement français avec lequel les missions diplomatiques pourraient traiter utilement »540. Seul le Japon se distingue : il suit les Français jusqu’à Sigmaringen541 ; les autres Etats sont considérés par l’Allemagne comme faisant preuve alors d’un « acte hostile »542. En transmettant à leurs gouvernements respectifs leur localisation, les diplomates contribuent, par conséquent, à contredire une information allemande diffusée depuis Berlin selon laquelle le gouvernement et le chef de l’Etat exercent librement leurs fonctions à Belfort, accompagnés du corps diplomatique543. Les raisons pour lesquelles Walter Stucki reste encore plusieurs jours à Vichy tiennent à plusieurs éléments de fait et de politique. Matériellement, d’abord, l’insécurité des voies 538 A l’instar de la formulation suisse : « Situation politique claire. Mission légation devenue sans objet » : in Télégramme du chef du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz, au Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, de Berne, le 20 août 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), E 2300 1000/716 (Annexe n°203). Le Conseil fédéral constate trois jours plus tard le même état de fait, in Procès verbal de la séance du Conseil fédéral du 23 août 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°207. 539 Note de la réunion du 20 août des Chefs des Missions diplomatiques en France (datée du 26 août 1944), Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 540 Lettre du Chef de la Division des affaires étrangères Pierre Bonna à Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin du 28 août 1944 de Berne, pour que la légation suisse de Berlin puisse correspondre avec les consulats suisses en France occupée par les Allemands et protéger les intérêts des Suisses dans ces régions, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 541 « Le corps diplomatique, à l’exception de l’ambassadeur du Japon, refusa alors de quitter Vichy » : in Nouveaux détails sur l’arrestation du Maréchal Pétain, télégramme intercepté H.B.B. de G.L.A. en français adressé à A.F.I. à Londres par son correspondant le 23 août 1944 de Genève, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 542 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 97. 543 Ibid., p. 124. Par ailleurs, au sujet de la manière dont a agi le Reich, le Ministre suisse PiletGolaz relève que « l’attitude du représentant du chancelier Hitler auprès du Maréchal Pétain fut en dessous de tout. En revanche, le Général commandant les troupes allemandes fut impeccable » : in Exposé du chef du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz lors de la séance du 12 septembre 1944 devant la Commission des affaires étrangères du Conseil national, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), E 2809 1/1 (229). 153 de communication implique le nécessaire prolongement du séjour du corps diplomatique à Vichy, d’autant qu’il est utile à la Confédération helvétique que le chef de la légation essaie de trouver une solution aux difficultés de transport du ravitaillement de la Suisse à travers la France544. Plusieurs forces de l’armée et de la police allemandes sont en effet encore stationnées dans la région, comme l’atteste l’invitation du « Commandeur » der Sicherheitspolizei und des SD in Vichy (sous la responsabilité de Heinrich Himmler) du 23 août 1944 à Walter Stucki qui précise avoir reçu message de l’ambassade d’Allemagne alors installée à Belfort que « le Maréchal Pétain, chef de l’Etat français, se trouve actuellement avec ses Ministres, établi dans la ville précitée » et que « les ambassades accréditées sont priées de gagner Belfort », invitant le diplomate suisse à profiter du convoi de la police allemande545. Face aux résistances de Walter Stucki, faisant valoir de la part des missions diplomatiques l’impossibilité juridique (voyage injustifiable vis-à-vis des gouvernements étant donné que les chefs d’Etat et de gouvernement sont prisonniers) et pratique (manque de véhicule et d’essence) de s’exécuter, le chef de la Gestapo de la zone sud Karl Bömelburg renonce à prendre des mesures de contrainte contre les légations546. Le lendemain, le 24 août 1944, la Gestapo et la milice quittent Vichy, remplacées par des détachements S.S. apportant du matériel depuis le sud du massif central547. En second lieu, si Walter Stucki reste à Vichy, c’est aussi sur sollicitation des représentants allemands, pour qu’il use de ses bons offices auprès du maquis afin que ces derniers puissent retirer leurs troupes sans encombre, d’autant que, juridiquement, l’armée allemande ne peut se rendre car elle ne reconnaît pas les F.F.I. comme des 544 D’autant plus que les combats auxquels le maquis participe gênent les transports de ravitaillement de la Suisse à travers la France (la position helvétique est dès lors de ne pas donner d’instruction au maquis car cela pourrait être interprété comme une intervention politique, d’autant plus que l’action du maquis est de plus en plus considérée comme faisant partie des opérations militaires du front occidental) : Rapport de Paul Ruegger, Ministre de er Suisse à Londres, à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral du 1 août 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°189. Comme le précise Berne : « Nous ne devons pas trop avoir d’illusions : les événements, maintenant, mènent les hommes et non le contraire » : in Lettre de Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, à Walter Stucki, Ministre de Suisse à Vichy, de Berne, le 4 août 1944, Arch. féd., J. I.131 1000/ 1395 Bd : 8. 545 Message du Commandeur der Sicherheitspolizei und des SD in Vichy du 23 août 1944 à Walter Stucki, Ministre de la légation de Suisse à Vichy, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 546 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 164ss. 547 Rapport sur les résultats des différentes enquêtes menées par MM. Hoerning, Lapraz et Walser, adressé le 24 août 1944 par Pierre Walser, de la Division des intérêts étrangers de la légation de Suisse en France à Walter Stucki, Ministre de Suisse de la légation de Suisse à Vichy, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 154 troupes régulières548. C’est ainsi que, conformément au droit international, la Suisse assure la protection de grands blessés allemands après des combats entre S.S. et F.F.I.549. Walter Stucki intervient, par ailleurs, auprès du Général allemand Fritz von Brodowski, commandant à Clermont550 et le Comité dirigeant des F.F.I. pour éviter que Vichy soit le théâtre d’affrontements sanglants551. En outre, Walter Stucki reste à Vichy sur demande des représentants de la France Libre, pour lesquels il importe que la transition du pouvoir à Vichy se fasse dans le calme afin que les missions diplomatiques puissent adresser des messages à leurs gouvernements qui soient favorables aux nouvelles autorités552, tout comme pour sauvegarder tant l’intégralité de la Garde que les archives des ministères, en particulier du ministère militaire553. Certes, la question du maintien de l’ordre public est posée, d’autant que nombre d’hommes armés sont présents sur place554, que toutes les colonnes armées allemandes n’ont pas quitté la région555 et que plusieurs individus, dont des représentants du régime de Vichy, cherchent en cette dernière heure à rallier la résistance556. Par 548 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 212. 549 Ibid., p. 178 ; voir de même note 67 supra relative à la IV Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et à son annexe, le Règlement concernant les lois et ème Conférence internationale de la Paix, La Haye 15 coutumes de la guerre sur terre: cf. II juin - 18 octobre 1907, op. cit., pp. 626-637. 550 Ce qui lui vaudra de se voir décerner le titre de citoyen d’honneur de la ville de Vichy en reconnaissance de « la courageuse attitude qui lui a permis de contribuer si heureusement à la protection de notre cité » le 25 août 1944 par le Maire de Vichy, ainsi que le Diplôme de Membre d’Honneur Perpétuel de l’Association de la Reconnaissance Franco-Alliée en égard aux services rendus « à la cause française pendant les heures troubles de notre libération », le 13 août 1949 (in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8). Il sera nommé chef de la division étrangère au Département politique fédéral, à son retour. 551 L’attaché militaire et de l’Air près la légation de Suisse à Vichy, Richard de Blonay, au Chef du Service de Renseignements et de Sécurité de l’Etat-Major Général de l’Armée, Roger Masson, Vichy le 29 août 1944, Arch. féd., E 27/9965 Bd : 2-7 et Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), E 27/9772/5 (214). 552 Exposé de M. Jacques Laurent-Cély, alias Cécil Saint-Laurent, des négociations qui se sont déroulées à l’Etat-Major du maquis dans la Région de la Bourboule et du Mont-Dore du 28 août 1944, Arch. féd., J I .131 1000/1395 Bd : 9. 553 Renseignements généraux, Compte-rendu sommaire des évènements qui se sont déroulés lors de la libération de Vichy, Archives privées de Roger Dudenhoeffer, 3 A. 554 Selon une information de la sous-préfecture, Vichy compte 2'200 hommes armés. Il s’agit de la garde personnelle de Philippe Pétain, de la garde mobile, de la garde mobile de réserve (G.M.R.), de la gendarmerie, des détachements de marins et d’aviateurs, sans compter des miliciens, des membres de la Gestapo encore présents et des maquisards : cf. Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 135 555 Ibid., p. 187. 556 Renseignements généraux, Compte-rendu sommaire des évènements qui se sont déroulés lors de la libération de Vichy, Archives privées de Roger Dudenhoeffer, 3 A. ème 155 ailleurs, une recherche de transition sans confrontation violente entre tout à fait dans ce que définit la stratégie de la résistance locale depuis des mois557. Enfin, le chef de la légation suisse intervient sur le terrain pour décider d’accorder ou de refuser l’asile temporaire à certains hommes politiques compromis à l’Hôtel des ambassadeurs, tels le collaborateur antisémite Xavier Vallat, que Walter Stucki demande de refouler, ou André Parmentier, que Walter Stucki demande d’accepter, en tant qu’« encore détenteur du pouvoir légal », faisant preuve par là d’une interprétation légale tout à fait formaliste558. Aux premières heures du matin du 26 août 1944, les dernières colonnes allemandes quittent la ville, abandonnant du matériel épars559. La prise de Vichy est alors coordonnée par Walter Stucki et l’état-major de des F.F.I. représentée par Roger Dudenhoeffer, alias Lieutenant-Colonel Pontcarral, chef F.F.I à Vichy560, dès le début de l’après-midi561. Stucki fera, d’ailleurs, mention que lorsque les F.F.I. lui demandent d’intervenir pour demander la reddition des Allemands en leur garantissant le statut de prisonniers de guerre selon la protection de la Convention de Genève, le chef de la légation suisse se trouve emprunté car il rencontre à Moulins des soldats de la Wehrmacht avec qui il peine à communiquer car les soldats ne parlent que le russe, puisqu’il s’agit d’une division de l’armée Vlassof. Son intervention est néanmoins fructueuse, car si leur chef fait comprendre à Stucki qu’il n’est pas habilité à capituler, il met ses troupes en marche, évitant par là un affrontement direct avec les forces armées du maquis : cf. Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 212-219. 557 Un rapport daté de décembre 1943 sur la résistance française – région de Limoges (préfecture d’une très vaste région qui n’est séparée de Vichy que par le plateau des Millevaches) établit la manière dont les mouvements de résistance et l’armée secrète s’organisent sous l’impulsion du M.U.R. (Mouvement Unifié de la Résistance) en vue de la prise de pouvoir local, mettant en exergue comment le Napage (de N.A.P. : Noyautage des Administrations Publiques) est mis en œuvre dans les préfectures, les mairies, la police, la gendarmerie, la garde mobile républicaine, la trésorerie générale, le S.T.O., le ravitaillement, les P.T.T. et la S.N.C.F : « Quand prendrons-nous le pouvoir ? Il faut qu’au moment où les troupes alliées se présenteront à la Mairie ou à la Préfecture elles trouvent en face d’elles un Maire ou un Préfet qui sera à nous. Ceux-ci doivent donc être désignés préalablement. […] Cas de repli allemand par suite d’opérations militaires provoquées par un débarquement : dans ce cas, le chef départemental donnera ordre d’insurrection sur sa propre initiative. Il devra agir au fur et à mesure que les Allemands se retireront. » : in Rapport sur la résistance française – région de Limoges, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 558 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 172. A relever : le 28 août 1944, Stucki ne considèrera plus André Parmentier que comme « représentant de l’ordre ancien » : in Ibid., p. 196. 559 Rapport de la légation de Suisse à Vichy intitulé "Choses vues Boulevard des Etats-Unis durant la nuit du 25 au 26 août 1944" du 26 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 560 Complément de renseignements sur la libération de Vichy par Roger Dudenhoeffer alias Pontcarral du 26 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8 ; voir de même le contenu des Archives privées Roger Dudenhoeffer. 561 Historique de la libération de Vichy, que Roger Dudenhoeffer alias Lieutenant-Colonel Pontcarral, Chef de l’A.S. à Vichy, adresse à de Gaulle le 18 octobre 1944 et transmet 156 Stucki, les représentants de la France Libre (Roger Dudenhoeffer et Emile Laffond, suppléant du Commissaire de la République Henry Ingrand) mais aussi les anciennes autorités locales du régime de Vichy (notamment Raoul Blasselle, André Parmentier, Ernest Lagarde) se rencontrent lors d’une réunion officielle de « formalités de la remise des pouvoirs » le 26 août 1944562. Le fait que cette transition de pouvoir de fait s’opère dans le calme est particulièrement marquant. Partant, lors d’un office catholique célébrant la Libération, à laquelle Roger Dudenhoeffer invite Walter Stucki le 27 août 1944 à Vichy563, le chef de la légation suisse ne manque pas de remarquer : « pour la première fois sont là, fraternellement réunis, les anciennes forces de Vichy (police, garde mobile, vieille garde du Maréchal, détachements d’aviateurs et de marins) et les jeunes F.F.I. entrés hier dans la ville. »564 Les anciens ministres et fonctionnaires du régime de Vichy qui se trouvent encore dans l’ancienne capitale provisoire sont relevés de leurs fonctions, laissés en liberté ou assignés à résidence565. Installé inopinément à l’Hôtel Thermal, l’état-major F.F.I. assure l’ordre pendant une courte mais critique période de transition. Après huit jours d’existence, celui-ci est dissous, le 2 septembre 1944, sa tâche étant terminée. En effet, un Commissaire de la République en place à Clermont-Ferrand a nommé un délégué à Vichy, un commandement d’armes régional étant, par ailleurs, réinstallé à ClermontFerrand. Roger Dudenhoeffer ne peut dès lors que constater que : « Le rôle de Vichy en tant que capitale était terminé. »566 comme dédicace à Stucki avec toutes ses notes personnelles, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9 562 Compte-rendu d’une réunion entre les autorités siégeant à Vichy et les représentants des Forces Françaises de l’Intérieur, sous la présidence du Ministre de Suisse, en l’immeuble de la légation de Suisse à Vichy, le 26 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8 ; voir de même Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 18ss. 563 L’attaché militaire et de l’Air près la légation de Suisse à Vichy, Richard de Blonay, au SousChef de l’Etat-Major Général de l’Armée, Chef du groupe Ib, Commandement de l’armée française en campagne, Vichy le 30 août 1944, Arch. féd., E 27/9965 Bd : 2-7. 564 Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 194. 565 Ibid., pp. 196ss. 566 Renseignements généraux, Compte-rendu sommaire des évènements qui se sont déroulés lors de la libération de Vichy, Archives privées de Roger Dudenhoeffer, 3 A d. 157 B – Les sursauts de représentativité des chefs de la collaboration Après Vichy et Paris, c’est dans le nord-est de la France que se rejoignent Philippe Pétain, Pierre Laval, les « ultras » de la collaboration, leurs proches et leurs fidèles. Les environs de Belfort offrent une halte permettant aux protagonistes de redéfinir leurs rôles (a), avant que les entretiens germano-français près de Rastenburg ne permettent de définir un projet pseudo-gouvernemental commun (b) qui aboutira à la création de la Délégation française pour la défense des intérêts nationaux (c). a) L’étape de Belfort : une occasion de redistribution des rôles Le 22 août 1944, la colonne allemande qui escorte Philippe Pétain est à Saulieu et se dirige vers Belfort567. Il est probable que ce n’est qu’à son arrivée que Philippe Pétain peut prendre connaissance de la lettre que Pierre Laval lui a écrite le 19 août depuis cette même ville568. Dans cette lettre, Pierre Laval revient sur les raisons pour lesquelles il a quitté Paris, précisant que se trouvent dorénavant avec lui plusieurs personnalités, dont les ministres Maurice Gabolde, Jean Bichelonne, Paul Marion, Abel Bonnard, le chef de la Milice Joseph Darnand et le député Pierre Mathé (d’autres ministres étant en route pour les y rejoindre), tandis que Fernand de Brinon et Marcel Déat se trouvent déjà à Nancy569. Concrètement, c’est dans le château réquisitionné de Morvillars, à trente kilomètres de Belfort, que Philippe Pétain est placé sous bonne garde. De là, il mentionne que, s’il n’avait pas été enlevé le 20 août, il serait à Paris et se serait effacé devant Charles de Gaulle, considérant ce dernier comme représentant de l’intérêt immédiat de la France : « Le fait que je suis prisonnier me met dans l’impossibilité de me dessaisir de mes pouvoirs de Chef de l’Etat. On parle beaucoup de référendum populaire pour le choix d’un gouvernement et de son chef. Mais on peut être tranquille, je ne me porte pas candidat. […] Puisque politiquement sa présence peut servir les intérêts de la France, moi je disparais. Qu’il sache seulement conserver l’ordre. »570 567 Télégramme du 23 août 1944 de la légation suisse à Vichy à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. 568 Lettre de Pierre Laval à Philippe Pétain de Belfort du 19 août 1944, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. 569 Si les membres du parti populaire français (P.P.F.) s’y trouvent de même, c’est à Belfort que Doriot part le 19 août 1944 : cf. Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme. France : Balland, 1986, pp. 462ss. 570 Compte-rendu de la Visite à Morvillars, près de Belfort, le 31 août 1944 au Maréchal prisonnier, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 158 Cette citation permet de conclure que, d’une part, Philippe Pétain en s’exprimant ainsi se considère toujours comme dépositaire de la fonction de chef de l’Etat et, d’autre part, que c’est sciemment qu’il déclare permettre au gouvernement gaulliste de prendre le pouvoir gouvernemental ad hoc, par souci de conservation de l’intérêt du pays. Cette position est, dès lors, tout à fait conforme à la conception de son rôle et de ses prérogatives qu’il affirme les semaines précédentes. On peut s’interroger sur les motivations derrière le choix de se rendre à Belfort : pour les forces allemandes, il s’agit assurément de se replier en direction de l’Allemagne mais aussi de rester sur le territoire français occupé pour tenir une position leur permettant de continuer leurs efforts de guerre notamment relatifs au ravitaillement du front normand571. Une autre raison peut être formulée : celle, pour le Reich, de garder les personnalités clés du régime de Vichy sous son contrôle. Le gouvernement allemand les maintient certes sous contrainte, mais dans l’apparence de la conservation de leur représentativité en cas de revirement de situation ; après tout, les chefs d’Etat et de gouvernement pourraient a priori à tout moment modifier leurs déclarations et se considérer dans l’état d’exercer leurs fonctions572. Les anciens membres du régime et les « ultras » de la collaboration en sont conscients, sachant que l’éventualité de servir d’otages est plus probable étant donné les circonstances. Or, s’échapper en se fondant dans la nature est risqué ; Belfort représente alors, pour eux, une étape sur le territoire français qui permette de s’organiser en vue de gagner l’Allemagne ou de tenter de passer en Suisse573. Cette escale permet surtout de 571 Belfort est en effet idéalement située : noeud d’un axe de communication important (Belfort – Mulhouse – Bâle en Suisse ou Freiburg im Breisgau en Allemagne / Belfort – Strasbourg – Stuttgart en Allemagne / Belfort – Montbéliard – Besançon – Dijon – Paris / Belfort – Nancy – Metz – Saarbrücken en Allemagne ou Reims – Paris), tant ferroviaire que routier, qui n’est pas encore sujet aux sabotages des maquis comme dans les régions de l’ouest, du centre et er du sud de l’hexagone. C’est ce que, d’ailleurs, note Pierre Laval le 1 août 1944, quand il propose à Marcel Pilet-Golaz de faire passer les marchandises de ravitaillement suisse par un axe Vesoul-Belfort-Bâle : in Rapport de Walter Stucki de la légation suisse de Vichy au Chef du Département politique, Marcel Pilet-Golaz du 13 juillet 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716. 572 Comme l’atteste la Note confidentielle du Ministre de Suisse a.i. à Berlin à Marcel PiletGolaz, chef du Département politique fédéral, le 20 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 573 D’après les informations helvétiques datées du 25 août 1944, Marcel Déat et Fernand de Brinon auraient tenté de se rendre en Suisse, ce à quoi Marcel Pilet-Golaz s’oppose en précisant « Pas question de recevoir Déat et Brinon » : in Message du Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, au chef du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz, à Vichy, le 25 août 1944, avec annotations de Pilet-Golaz, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), annexe du n°207. De même, selon les services britanniques, si Pierre Laval se verra refuser l’entrée en Suisse, comme tous les « réfugiés allemands », à titre exceptionnel, il n’en sera toutefois pas de même pour Philippe Pétain s’il en fait la demande : in Télégramme du Foreign Office à Londres au représentant britannique à Alger du 27 août 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, Londres, FO 660/117 C 301679. 159 leur donner une occasion de se positionner utilement compte tenu de la redistribution des cartes gouvernementales vis-à-vis du Reich. En effet, ils pourraient peut-être jouer un rôle en cas de négociation de paix séparée entre les Alliés et l’Axe, en cas de constitution d’un cabinet ministériel mené par Jacques Doriot, Fernand de Brinon et Joseph Darnand574 ou en cas de réorganisation territoriale et institutionnelle sur fond de déplacement de population en Europe, à l’instar des projets d’Etat burgonde national-socialiste imaginés par Heinrich Himmler575. Effectivement, si Philippe Pétain et Pierre Laval persistent à se considérer empêchés à Belfort, les chefs de la collaboration tentent dorénavant de s’organiser en formant un nouveau gouvernement. Cherchant à combler le vide laissé par le fait que le pouvoir exécutif du régime de Vichy fait dorénavant défaut, ces « ultras » de la collaboration tentent de prendre le pouvoir. A Nancy, Marcel Déat et Fernand de Brinon cherchent à prendre l’avantage en rassemblant les ministres collaborationnistes désireux d’être actifs : « Il était parfaitement possible de grouper [l]es ministres protestataires en une sorte de commission gouvernementale, héritière des pouvoirs abandonnés si cavalièrement par Laval. Brinon était tout qualifié pour reprendre la présidence de cette commission, puisqu’il avait toujours conservé en zone occupée, comme ambassadeur, son titre de représentant direct du Maréchal, de qui, donc, il tenait un mandat particulier. D’ailleurs, il n’était pas impossible, en manœuvrant habilement, d’obtenir l’adhésion du Maréchal à cette procédure […]. »576 Cette commission, dont Marcel Déat s’attribue l’initiative et au sujet de laquelle il précise avoir parlé à Jacques Doriot577, est le projet sur lequel vont se concentrer tous les efforts des collaborationnistes, soucieux de recevoir l’assentiment et le soutien du gouvernement 574 Sur ce sujet, voir en particulier : Jean Hérold-Paquis, Des illusions… désillusions. Mémoires de Jean Hérold-Paquis, 15 août 1944 – 15 août 1945. Paris : Bourgoin, 1948, pp. 30ss. ; Victor Barthélémy, Du communisme au fascisme – L’histoire d’un engagement politique. Paris : A. Michel, 1978, pp. 417ss. ; Birgit Kletzin, Trikolore unterm Hakenkreuz: Deutschfranzösische Collaboration 1940–1944 in den diplomatischen Akten des Dritten Reiches. Wiesbaden : Springer, 1996, pp. 117-124 ; Gilbert Joseph, Fernand de Brinon, l’aristocrate de la collaboration. Paris : A. Michel, 2002, pp. 496-510. 575 Heinrich Himmler évoque en juin 1940 le projet « Burgund » qui envisage l’expulsion des Franc-Comtois, mais aussi, en mars 1943, le projet de constitution de « l'Ancienne Bourgogne » (das alte Burgund), sorte d’Etat tampon entre la France et l’Allemagne : Karl Stuhlpfarrer, Umsiedlung Südtirol 1939-1940. Wien-München : Löcker Verlag, 1985, vol. 1, pp. 649ss. Voir également : Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration. Paris : Fayard, 1969, pp. 396ss. ; Albert de Jonghe, "La lutte Himmler-Reeder pour la nomination d'un HSSPF à Bruxelles (1942-1944). Troisième partie: Evolution d'octobre 1942 à octobre 1943", in Cahiers d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, n°5, 1978, pp. 5-172. 576 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 876. 577 Ibid., pp. 876-878. 160 allemand. En effet, c’est suite aux entretiens de Rastenburg dont il s’agit, à présent, de faire état, que cette structure voit le jour. b) Les rencontres de Rastenburg : un projet gouvernemental Les entretiens de Rastenburg permettent aux chefs de la collaboration de rencontrer Adolf Hitler et Joachim von Ribbentropp, entre le 28 août et le 1er septembre 1944578. Y sont convoqués cinq anciens membres du gouvernement du régime de Vichy : Pierre Laval, Marcel Déat, Fernand de Brinon, Joseph Darnand et Paul Marion. Si Pierre Laval refuse de s’y rendre579, les quatre « ultras » de la collaboration, qu’il nomme « la clique de Paris » et dont il a pu se plaindre des agissements en été 1944580, acceptent de faire le voyage, rejoints quelques jours plus tard par Jacques Doriot581. Le but de ces rencontres est, pour le gouvernement allemand, de former un gouvernement national-révolutionnaire, si possible sous les auspices de Philippe Pétain, comme le permet notamment de le constater le compte-rendu des entretiens établi par Paul Otto Schmidt, interprète officiel de la Wilhelmstrasse (Ministère des affaires étrangères du Reich)582. Ce projet ne peut se discuter que sous le contrôle effectif du chef de l’Etat allemand, raison pour laquelle les négociations ont lieu dans les locaux du Grand quartier général où il se terre depuis des semaines. Adolf Hitler convoque donc les 578 Mises à part les mentions de ces entretiens par l’ancien Président de la Haute Cour de Justice Louis Noguères (La dernière étape Sigmaringen. Paris : Fayard, 1956, pp. 39-57) et par Marcel Déat (Mémoires politiques, op. cit., pp. 883-890), plusieurs historiens français en ont fait état, dont Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., pp. 81ss. et Jean-Paul Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 463ss., suivant les traces de l’historien allemand Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., pp. 399-406. 579 Pierre Laval refuse de se rendre à l’invitation d’Adolf Hitler car il est « placé par les circonstances dans l’impossibilité morale d’aller au Quartier Général. Un tel voyage apparaîtrait aux Français en contradiction avec l’attitude que j’ai adoptée et que je vous ai fait connaître, et ils ne comprendraient pas à quel titre j’effectuerais le déplacement. » : in Lettre de Pierre Laval à Adolf Hitler, chef de l’Etat Grand Allemand, de Belfort, le 25 août 1944 reproduite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 41. 580 Lettre de Walter Stucki à Marcel Pilet-Golaz de Vichy, le 26 juillet 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 581 Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme. op. cit., p. 463. 582 Série des comptes-rendus de Paul Otto Schmidt pour la période 1940-1944 : voir Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 131 qui cite les Archives politiques des affaires étrangères (PA AA Bonn (ex-RFA)), Aufzeichnungen 1940-1944, Bd : 11, RAM Reichsaussenminister, - Ribbentrop 32/44 et suivants aujourd’hui Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt ; traduction officielle de M. Dunan pour la Haute Cour de Justice, Arch. Nat., W 350, bordereau 102 ; voir de même Procès Fernand de Brinon, Arch. Nat. 3 W 112. 161 Français dans la région du front de l'est, au sud-est de Königsberg, où se situe la Wolfsschanze (littéralement « la tanière du loup »), près de Rastenburg583. Ces entretiens permettent, par ailleurs, de constater que Hitler ne considère pas les Français qu’il convie comme de simples prisonniers. Il permet à chacun d’exprimer ses vues et encourage la création d’une entité officielle, certes sous l’autorité de son propre gouvernement, avec laquelle il serait susceptible de traiter. On pourrait interpréter cette initiative comme s’ancrant dans un projet de création d’un gouvernement satellite en cas de paix séparée ou de retournement de situation avec victoire de l’Allemagne. Il semble, en effet, que le Reich tienne à s’assurer de la collaboration active des Français déjà compromis par la collaboration, dans le cas où il aurait besoin de les utiliser autrement que comme des boucliers humains ou monnaie d’échange. Peut-être que l’une des motivations de cette stratégie est-elle de maintenir un certain statu quo au sein des bâtiments industriels germaniques dans lesquels travaillent nombre de travailleurs français, pour éviter que l’annonce de la perte d’influence des anciens membres du régime de Vichy et de la victoire des forces de résistance intérieure et extérieure ne provoque chez certains des actes de rébellion. Ces rencontres permettent, en tout cas, de stimuler une effervescence du côté des Français collaborateurs, ce qui questionne tout au moins Philippe Pétain et Pierre Laval qui se maintiennent à l’écart. Concrètement, le 28 août 1944, quand Joachim von Ribbentrop rencontre Fernand de Brinon, il ne peut que se remémorer le rapport sur la situation en France que ce dernier a fait parvenir à Adolf Hitler le 24 mai 1943584. Dans ce dernier, Fernand de Brinon, Secrétaire d’Etat, ambassadeur délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés et co-dirigeant de la Légion des volontaires français, se présente comme un fervent admirateur d’Adolf Hitler. Il y critique, en particulier, la mésentente entre Philippe Pétain et Pierre Laval, dénonçant tant le conservatisme du premier que le manque d’audace et l’antimilitarisme du second. Selon lui, l’homme politique qui se démarque est Jacques Doriot, qui n’a toutefois pas la valeur d’un Adolf Hitler. Entre les lignes, il se présente lui-même comme l’un de ces hommes volontaires, « convaincus et 583 Aujourd’hui Kętrzyn, en Pologne. Les premiers entretiens des 28, 29 et 31 août 1944 prennent place dans le train spécial de Ribbentrop, le Westfalen, ainsi qu’au château de er Steinort, tandis que le dernier, le 1 septembre 1944, a lieu dans le bunker d’Adolf Hitler. 584 Rapport de Fernand de Brinon sur la situation de la France fait à Paris le 17 mai 1943 adressé au Ministre de la Propagande Joseph Goebbels, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. Goebbels transmet ce rapport à Hitler le 7 juin 1943 : Lettre de transmission de Joseph Goebbels à Adolf Hitler du 7 juin 1943, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 162 courageux », sur lesquels l’Allemagne pourrait s’appuyer585. Pendant un premier entretien entre Joachim von Ribbentrop et Fernand de Brinon le 28 août 1944, Joachim von Ribbentrop insiste sur le fait que, pour le Reich, il est prioritaire que soit formé un nouveau gouvernement français avec lequel il pourrait s’entretenir et, qu’a priori, afin de respecter les formes légales, il incombe à Philippe Pétain de nommer ce nouveau gouvernement. Si Philippe Pétain se borne à représenter la souveraineté française sans décider de former un nouveau gouvernement, il importe, quoi qu’il en soit, que ce gouvernement soit mis en place même sans son assentiment préalable ; ce qui laisse la possibilité au chef de l’Etat d’y souscrire a posteriori586. Lors d’un second entretien, Joseph Darnand insiste sur la nécessité d’une délégation formelle préalable de Philippe Pétain, faute de quoi ses miliciens « refuseront d’obéir à un gouvernement illégal ». Il met l’accent sur la stratégie qui présente Fernand de Brinon comme détenteur de la légalité en qualité de Délégué pour les territoires occupés désigné de manière régulière par Philippe Pétain, afin de former un gouvernement français provisoire. Joachim von Ribbentrop fait part de ses doutes, car Fernand de Brinon étant clairement opposé à Philippe Pétain et Pierre Laval, il lui sera difficile de faire reconnaître sa légitimité587. C’est pourtant le raisonnement des collaborationnistes français qui sera déterminant quant à la suite des évènements. Lors d’une troisième rencontre le même jour, face à Marcel Déat et Paul Marion, Joachim von Ribbentrop avance un argument essentiel selon lequel la légalité tant de l’Etat que du gouvernement du régime de Vichy n’est entendue qu’en tant que façade et non comme une légalité pleine et entière : pour le Reich, c’est la présence symbolique de Philippe Pétain qui est retenue, le nouveau gouvernement ne devant que se réclamer de sa légalité formelle588. Le 29 août 1944, Joachim von Ribbentrop, Otto Abetz et le Gauleiter d’Alsace Joseph Bürckel rencontrent finalement Jacques Doriot. Ce dernier est celui qu’Adolf Hitler, Joachim von Ribbentrop et Joseph Goebbels considèrent depuis des mois comme 585 Dans une note rédigée par le Ministère de la Propagande nazie à l’attention de Goebbels transmettant ledit rapport, Fernand de Brinon est décrit comme « l’un des amis les plus sûrs de l’Allemagne », notamment en sa qualité avant-guerre de Vice-Président du « Comité France-Allemagne » : in Note du Ministère de la Progagande à son Ministre Joseph Goebbels concernant l’affaire de Brinon, de Berlin, le 24 mai 1943, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 586 Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 131 : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 32/44. 587 Ibid. : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 33/44. 588 Ibid. : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 34/44. 163 l’homme de la situation, plus utile à leurs yeux que Pierre Laval589. Jacques Doriot tente de faire preuve de pertinence politique, comprenant que, dorénavant, la donne politicoinstitutionnelle est différente car les Français ne soutiennent plus le régime de Vichy. Il tente, dès lors, de balayer la question de la légalité, partant du principe que Philippe Pétain est déchu depuis son message du 20 août 1944 (rejoint dans son opinion par Joseph Bürckel). Prenant la posture d’un homme d’Etat révolutionnaire, il prône que le récent accès au pouvoir de la France Libre affranchit la création d’un nouvel organe gouvernemental des anciennes normes constitutionnelles590. Quand Jacques Doriot et Joachim von Ribbentrop se retrouvent seuls lors d’un second entretien, le Ministre allemand, toujours soucieux de préserver les apparences de la légalité, lui impose néanmoins le projet de la création d’une Délégation provisoire sous la présidence de Fernand de Brinon pour la gestion des affaires courantes et administratives. Pour Joachim von Ribbentrop, Jacques Doriot, qui mobiliserait les militants et réorganiserait le P.P.F., serait nommé délégué politique à la propagande. La Délégation comprendrait Fernand de Brinon, Jean Bichelonne, Joseph Darnand, Marcel Déat, Abel Bonnard et Paul Marion et serait consacrée par Philippe Pétain, qui, à terme, devrait accepter la constitution d’« un gouvernement français légal et révolutionnaire », destiné à être dirigé par Jacques Doriot591. Lors de l’entretien du 31 août 1944, c’est bien le projet de créer une Délégation provisoire présidée par Fernand de Brinon, Philippe Pétain demeurant à son poste de caution symbolique et formelle, qui l’emporte592. Joachim von Ribbentrop résume en quelques mots : « On a besoin du vieux Maréchal, en tout cas, comme portedrapeau »593. En effet, quand Adolf Hitler entre en scène le 1er septembre 1944 face à Jacques Doriot, Fernand de Brinon, Marcel Déat, Joseph Darnand et Paul Marion dans son bunker de la Wolfsschanze, il appelle de ses vœux un nouveau gouvernement français formé sous l’égide de Philippe Pétain. Adolf Hitler insiste sur le fait que les gouvernements tirent une certaine autorité d’être couverts par la légalité, rappelant que la délégation que lui a confiée Paul von Hindenburg lui a permis de poursuivre ses buts 589 Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration. France : Fayard, 2001, p. 641. 590 Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 131 : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 35/44. 591 Ibid. : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 35a/44. Doriot échoue à imposer sa vision de constituer un gouvernement révolutionnaire présidé par lui-même, soutenu par des forces armées françaises (membres français de la L.V.F. et de la Waffen-S.S sous une direction commune) et opérant une active propagande antibolchévique. 592 Ibid. : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 36/44. 593 Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., p. 405. 164 cachés sans être encombré d’objections juridiques. En conclusion, Fernand de Brinon s’engage à persuader Philippe Pétain de lui déléguer le pouvoir à très court terme et à former une Délégation avec d’anciens ministres du régime de Vichy pour les affaires courantes, afin de permettre la naissance in fine d’un gouvernement Doriot, si possible avec le soutien de Philippe Pétain594. Toutefois, de retour à Belfort, Fernand de Brinon met certains aspects de son engagement de côté, tout à son avantage, comme nous allons l’aborder dans le paragraphe suivant. c) La Délégation française pour la défense des intérêts nationaux Le 4 septembre 1944, les troupes alliées ne cessent de progresser sur le terrain et, comme nous le verrons, les responsables de la France Libre parviennent à asseoir leur autorité dans les territoires libérés de l’occupation allemande. L’entourage de Philippe Pétain et de Pierre Laval ne peut manquer de les en informer. Or, sans même avoir entendu le compte-rendu des entretiens de Rastenburg, c’est le jour que choisit Philippe Pétain pour demander à Pierre Laval de lui présenter sa démission, sans prendre garde à ce que sa démarche implique quant à la reprise de ses fonctions : « […] Lorsque je suis arrivé à Belfort, vous m’avez fait savoir que vous aviez suspendu vos fonctions. Vous m’avez appris, d’autre part, que certains membres du gouvernement partaient pour l’Allemagne et vous m’avez fait part de vos craintes de voir se constituer un nouveau gouvernement que je ne pourrais accepter et auquel vous refuseriez votre collaboration. Je vous ai approuvé quand vous m’avez proposé de ne rien faire qui puisse laisser place à cette combinaison. Mais aujourd’hui, une telle perspective devient invraisemblable, étant donné l’évolution rapide de la situation militaire. Tout se passe comme si le Commandement allemand avait, d’ores et déjà, décidé d’évacuer la totalité du territoire français. Dans cette éventualité, un gouvernement quelconque ne saurait trouver aucun support territorial et, par la suite, aucune raison d’être. D’autre part, les membres du gouvernement sont dispersés, certains d’entre eux arrêtés, aucun ne peut exercer les devoirs de sa charge. Cette situation ne saurait se prolonger. Il est indispensable de dissiper toute équivoque. Je ne vois qu’un moyen d’y parvenir : c’est de vous prier de bien vouloir me remettre la démission du gouvernement que vous présidez, comme vous me l’aviez vous-même précédemment proposé. »595 594 Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 131 : Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, RZ 248 Paul Otto Schmidt - Reichsaussenminister Ribbentrop 73/44. 595 Lettre de Philippe Pétain à Pierre Laval, de Morvillars, le 4 septembre 1944 reproduite in Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., p. 67. 165 Cette requête se heurte à un refus sans ambiguïté de Pierre Laval, qui répondra, non sans ironie, le 6 septembre 1944 : « […] Les événements militaires sont tels que ma démission est devenue sans objet. Parti de Paris sous la contrainte allemande, j’ai déclaré alors que je cessais l’exercice de mes fonctions. […] N’ayant plus de support territorial français, comme vous le dites vous-même dans votre lettre, mon rôle de chef de gouvernement est donc devenu sans objet. Vous avez adopté la même attitude. Ma démission, dans ces conditions, constituerait, de ma part, un acte de gouvernement que vous ne pourriez enregistrer, puisque vous avez, vous-même, renoncé à l’exercice de vos fonctions de chef de l’Etat. La situation actuelle est claire, plus nette encore qu’une démission qui ne pourrait d’ailleurs être l’objet d’aucune publication au Journal Officiel… »596 La vaine démarche de Philippe Pétain semble motivée par une nouvelle tentative de sa part de démontrer sa bonne foi à la France Libre et aux Alliés. Sans même avoir reçu la réponse de Pierre Laval, dont il peut prévoir la teneur, il va tenter de renouveler l’expérience le jour-même, quand Fernand de Brinon lui offre l’occasion de faire preuve de son intérêt pour la sauvegarde de la vie des nombreux internés et déportés civils français en Allemagne. En effet, de retour à Belfort, Fernand de Brinon rapporte sa version des rencontres de Rastenburg au Général Victor Debeney, pour que ce dernier la communique à Philippe Pétain597. On ne peut manquer de relever que le compte-rendu verbal qu’effectue Fernand de Brinon est partiel et partial : il attire surtout l’attention de Philippe Pétain sur le fait qu’Adolf Hitler est « soucieux de la "légalité", et que, pour lui, la légalité c’est le Maréchal » et qu’il désire « pouvoir trouver en liaison, et par entente avec le Maréchal, un moyen de sauvegarder les intérêts français en Allemagne, "prisonniers, travailleurs et internés ainsi que l’intégralité territoriale française" »598. Ainsi, il ne mentionne ni délégation de pouvoir, ni gouvernement Doriot. La réaction de Philippe Pétain est a priori conforme à sa position de principe de ne plus émettre d’acte de gouvernement, car il répond par une note verbale en date du 6 septembre 1944 indiquant qu’il n’est pas question d’opérer une délégation de pouvoirs. Toutefois, et le geste est d’importance, il 596 Lettre de Pierre Laval à Philippe Pétain, le 6 septembre 1944, reproduite in Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., p. 68. 597 Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., 108ss. ; Gilbert Joseph, Fernand de Brinon, l’aristocrate de la collaboration, op. cit., p. 507. Philippe Pétain refuse en effet de recevoir directement Fernand de Brinon, comme le relève Herbert R. Lottman, Pétain, op. cit., p. 526. 598 Compte-rendu du général Victor Debeney suite au retour de Fernand de Brinon du 4 septembre 1944, reproduite in Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., p. 73. 166 n’hésite pas à préciser explicitement qu’il ne s’oppose pas à l’action de Fernand de Brinon puisqu’il l’a déjà chargé de certaines fonctions. En effet, la courte note précise comme suit : « Le 20 août dernier, le Maréchal a déclaré solennellement qu’il cessait d’exercer ses fonctions de chef de l’Etat. Il ne lui est donc plus possible d’étendre les pouvoirs de qui que ce soit. Cependant, étant donné l’importance des intérêts en cause, le Maréchal ne fait pas d’objection à ce que M. de Brinon continue à s’occuper des questions dont il était chargé en ce qui concerne les internés civils. »599 A ce stade, il est important de souligner plusieurs éléments. Tout d’abord, la position de Philippe Pétain s’appuie sur un fait erroné : Fernand de Brinon n’a jamais été chargé du dossier des internés ni des déportés civils français. Il a été nommé Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés en novembre 1940, soit bien avant le franchissement de la ligne de démarcation600. Philippe Pétain est-il manifestement induit en erreur ou est-on face, ici, à un signe de confusion mentale ? Autre hypothèse : laisse-til délibérément l’avantage à Fernand de Brinon, permettant par là qu’il suive de près le sort des prisonniers civils français en Allemagne601 ? Il est possible, après tout, que Philippe Pétain cherche aussi, sans trop se compromettre, à ce que le projet conçu à Rastenburg tel qu’il l’a compris soit relativement conforme à l’ordre juridique interne pour lui donner une chance de voir le jour. Deux arguments, à nos yeux, vont dans le sens de cette interprétation. D’abord, en donnant l’assurance, ne serait-ce que verbalement, qu’il ne s’opposerait pas à ce que Fernand de Brinon soit chargé des affaires des civils internés et déportés en Allemagne, Philippe Pétain, sans se déclarer dans la capacité d’exercer de nouveau ses fonctions et ainsi sans émettre d’acte officiel, permet à Fernand de Brinon de s’en charger, même si la délégation est nouvelle : si Philippe Pétain n’est pas un proche de Fernand de Brinon, il est néanmoins notoire qu’il se soucie du sort des nombreux Français en Allemagne602. Ensuite, si Philippe Pétain ne donne audience ni aux envoyés du Reich ni aux chefs de la collaboration, il se tient informé des évènements récents et ne peut que savoir que ses rares communications verbales seront remarquées. 599 Note de Philippe Pétain à Fernand de Brinon du 6 septembre 1944, reproduite in Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., pp. 79-80. 600 Cf. papiers personnels de Fernand de Brinon : Arch. Nat. 411AP. 601 Henry Rousso suppose que, malgré les efforts de Bernard Ménétrel pour que Philippe Pétain conserve sa réserve, ce dernier agit de son propre chef : in Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 111. Louis Noguères convient, de son côté, que Philippe Pétain (qui, selon lui, était coutumier du fait) est influencé en dernier lieu par un autre conseiller qu’il n’identifie pas : Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., p. 79. 602 Voir les messages de Philippe Pétain, notamment celui du 24 décembre 1941, in Philippe Pétain, Messages d'outre-tombe du maréchal Pétain : textes officiels, ignorés ou méconnus, consignes secrètes. Paris : Nouvelles Editions Latines, 1983, p. 162. 167 Son geste, s’il est insuffisant à convaincre en droit, a donc un fort impact politique comme il pouvait s’y attendre : Fernand de Brinon ne s’y méprend pas et considère que son action, à ce stade, est légitimée par Philippe Pétain. Fernand de Brinon se crée là une opportunité de fonder une Délégation gouvernementale pour la défense des intérêts français en Allemagne. Marcel Déat, Eugène Bridoux, Jean Luchaire et Joseph Darnand acceptent d’être membres actifs de cette entité603. Fernand de Brinon prend donc l’avantage sur Jacques Doriot : il n’est plus question d’un gouvernement dirigé par le chef du P.P.F.604. La Délégation est créée à temps605 : tôt le lendemain, le 7 septembre 1944, alors que la division blindée de Jean de Lattre entre dans Dijon, un convoi transporte Philippe Pétain et sa suite en direction de l’Allemagne du sud606. Lors de son départ, Philippe Pétain remet une dernière protestation devant le fait de se voir emmener en captivité hors du territoire français607. Le 8 septembre 1944, les autres personnalités du régime de Vichy les suivent, quittant le territoire français. C – Un exécutif remplacé : un coup d’Etat régularisé Dans les faits, les représentants du gouvernement provisoire de la France Libre ne se heurtent de front ni aux autorités d’occupation ni à l’administration du régime de Vichy, ces dernières s’effaçant devant l’avancée des armées de libération du territoire608. Dès le 603 Gilbert Joseph, Fernand de Brinon, l’aristocrate de la collaboration, op. cit., p. 508. 604 Comme l’atteste le compte-rendu écrit que rédige le général Victor Debeney après son entretien avec Fernand de Brinon, retranscrit in Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., pp. 72ss. 605 Communiqué de Belfort, Office français d’information, Arch. Nat., Archives de la Justice militaire, Dossier Otto Abetz JM/Ab, Papiers Renthe-Fink. 606 Note interne du 13 septembre 1944 au Conseiller fédéral Eduard von Steiger, chef du Département fédéral de justice et police, E 2300 1000/716 Bd : 348 ; dans le même temps, la presse suisse s’en fait l’écho : Tribune de Genève du 13 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. Dès le 3 septembre 1944, un ordre de Ribbentrop parvient à Otto Abetz précisant la nécessité du départ en raison de la situation militaire : Gilbert Joseph, Fernand de Brinon, l’aristocrate de la collaboration, op. cit., p. 506 ; Ordre de Ribbentrop du 3 septembre 1944, Arch. Nat., Archives de la Justice militaire, Dossier Otto Abetz JM/Ab, Papiers Renthe-Fink. 607 Protestation de Philippe Pétain à Monsieur le Chef de l’Etat Grand Allemand, de Morvillars, le 7 septembre 1944, retranscrite in Louis Noguères, La dernière étape, Sigmaringen, op. cit., p. 85. 608 « Vichy s’est évanoui, comme le chat de Lewis Carroll, mais sans même laisser une trace… Inutile de vous dire que la question de savoir si le gouvernement de Gaulle est "accepté" ne se pose même pas ! » : in Télégramme de Cran Brinton, membre d’une commission de l’O.S.S. en France, à Washington, fin août 1944, cité in Jean Lacouture, De Gaulle. Le politique 1944-1959. Paris : Seuil, t. 2, 1985, p. 33. 168 6 juin 1944, l’activisme des Commissaires de la République impose sur le terrain le pouvoir de fait de la France Libre en métropole, prenant le pas sur l’organisation des officiers d’administration américains et britanniques. L’effectivité de la mise en place de l’administration publique de transition en France ainsi que les témoignages de la popularité de Charles de Gaulle à chacune de ses apparitions publiques participent à convaincre les Alliés de laisser à la France Libre la mainmise sur l’administration civile le 12 juillet 1944609. Sur le plan interne, la France Libre recompose les institutions (a) et, sur le plan diplomatique, obtient la reconnaissance de droit comme gouvernement provisoire de l’Etat français, près de deux mois après sa prise de Paris (b), contribuant à la campagne de l’est de la France (c). a) L’autorité de fait du gouvernement provisoire gaulliste L’établissement de l’autorité du gouvernement provisoire gaulliste sur les territoires libérés de l’occupation allemande est grandement facilité par le fait que le régime de Vichy n’est plus en mesure d’assumer son rôle. Sans moyens de pression gouvernementaux, l’administration publique du régime laisse le champ libre à l’action des Commissaires de la République qui imposent leur influence. Concrètement, après la déclaration d’un état insurrectionnel par les F.F.I. le 19 août 1944, un accord de trêve est signé le 20 août 1944 à Paris entre le Général Dietrich von Choltitz610 et les membres de la France Libre. Cet accord permet à la Wehrmacht d’évacuer Paris malgré les échauffourées entre les S.S. et la guérilla communiste sur le terrain611. La libération de Paris a lieu les 24 et 25 août 1944, les forces des Alliés permettant à Charles de Gaulle d’y installer son gouvernement provisoire le 31 août 609 Jean-Baptiste Duroselle, "Le dernier « calvaire » du général de Gaulle en 1944. Les « accords de débarquement »", op. cit., pp. 1021-1033. 610 Le Gérant du Consulat de Suisse à Paris, René Naville, au chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna, Paris, le 4 septembre 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), annexe du n°222 et E 2300 1000/716 Bd : 348. Le rapport indique qu’il s’agit du « Général von Schochlitz », mais il s’agit en réalité du général allemand, gouverneur militaire de Paris, Dietrich von Choltitz (« nom mal orthographié par R. Naville » comme l’indique l’Index des noms des personnes, in Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), J, p. 1182). 611 Grâce notamment à l’intervention du Consul suédois Raoul Nordling : Le Gérant du Consulat de Suisse à Paris, René Naville, au chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna, Paris, le 22 août 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), E 2300 Paris / 98 (206) ; voir de même Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., p. 136. 169 1944612. Conformément à sa position de principe, ce dernier se pose en représentant de la République française : « J’entre dans le bureau de Préfet de la Seine. Marcel Flouret m’y présente les principaux fonctionnaires de son administration. Comme je me dispose à partir, Georges Bidault s’écrie : « Mon général ! Voici, autour de vous, le Conseil National de la Résistance et le Comité parisien de la libération. Nous vous demandons de proclamer solennellement la République devant le peuple ici rassemblé ». Je réponds : « La République n’a jamais cessé d’être. La France Libre, la France Combattante, le Comité français de libération nationale l’ont tour à tour, incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moimême suis le président du gouvernement de la République française. Pourquoi irais-je la proclamer ? » »613 Charles de Gaulle, au titre de chef du Gouvernement provisoire de la République française, assume dès lors les prérogatives du pouvoir exécutif614 pendant quatorze mois jusqu’à la mise en place du double référendum sur la question des institutions du 21 octobre 1945615. Progressivement, les légations de France à l’étranger s’en remettent à Charles de Gaulle pour prendre leurs dispositions616. Charles de Gaulle relève que plusieurs diplomates, mais aussi des fonctionnaires, des militaires et des publicistes l’approchent et tentent de se justifier, à l’instar du Président de la IIIème République Albert Lebrun qui, d’après lui, lui déclare le 11 octobre 1944 : 612 Concernant la libération de Paris, voir en particulier : Raymond Massiet, La préparation de l'insurrection et la bataille de Paris : avec les documents officiels de l'état-major clandestin des FFI. Paris : Payot, 1945 ; Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945. Paris : Plon, 1953, pp. 35-36 ; Emmanuel d'Astier de la Vigerie, De la chute à la libération de Paris : 25 août 1944. Paris : Gallimard, 1965 ; Francis Crémieux et André Carrel, La vérité sur la libération de Paris. Paris : Belfond, 1971 ; Henri Michel, La libération de Paris : 1944. Bruxelles : Complexe, 1980 ; Olivier Wievorka, Histoire du débarquement en Normandie : des origines à la libération de Paris (1941-1944). Paris : Seuil, 2007 ; Jean-François Muracciole, La libération de Paris : 19-26 août 1944. Paris : Tallandier, 2013. 613 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., pp. 570ss. 614 Exerçant un pouvoir « présidentiel ou même autoritaire, plutôt que parlementaire » : in JeanJacques Chevallier et Gérard Conac, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France, de 1789 à nos jours, op. cit., p. 502. 615 Réalisant là le vœu de la France Libre à la fin de 1943 : « Personne, bien entendu, n’imaginait que le Maréchal et son « gouvernement » fissent autre chose que disparaître. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 418. Voir notamment : Georgette ème République. t.1 : La République des illusions (1945-1951). Paris : Elgey, Histoire de la IV Fayard, 1993. 616 A l’instar de l’ambassadeur français à Ankara s’adressant au chef du gouvernement provisoire à Paris : « Sur le territoire français libéré de l’occupation allemande vous exercez la seule autorité constituée. Je viens donc mettre mon poste à votre disposition et vous demander des instructions urgentes » : in Télégramme de l’ambassadeur de France en Turquie M. Bergery du 25 août 1944 à Charles de Gaulle, cité in La République du 28 août 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, Londres, FO 660/117 C 301679. 170 « J’ai toujours été, je suis, me déclara le Président, en plein accord avec ce que vous faites. Sans vous, tout était perdu. Grâce à vous, tout peut être sauvé. Personnellement, je ne saurais me manifester d’aucune manière, sauf toutefois par cette visite que je vous prie de faire publier. Il est vrai que, formellement, je n’ai jamais donné ma démission. A qui d’ailleurs, l’aurais-je remise, puisqu’il n’existait plus d’Assemblée nationale qualifiée pour me remplacer ? Mais je tiens à attester que je vous suis tout acquis. »617 Il est patent que la France Libre fait reconnaître aisément son autorité par les Français sur le terrain ; les Commissaires de la République destituent et prennent la place des autorités territoriales fidèles au régime de Vichy sans que la population civile proteste618. Sur le plan monétaire, alors que les soldats alliés étaient munis de billets émis sans référence au Trésor public français lors de la Libération, les administrateurs civils alliés acceptent sur le terrain que la devise française soit émise sur les territoires libérés619. Le gouvernement provisoire a donc compétence de battre monnaie et fait reconnaître cet élément de souveraineté620. 617 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 608 et note 24 p. 1323. Suite à quoi, Charles de Gaulle conclut : « Au fond, comme chef d’Etat, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un Etat. » : in Ibid., p. 609. 618 Pour plus d’information, voir Harry L. Coles et Albert K. Weinberg, "Civil Affairs : Soldiers Become Governors. Washington : Center of Military History United States Army", 1964, consulté sur http://webdoc.sub.gwdg.de/ebook/p/2005/CMH_2/www.army.mil/cmhpg/books/wwii/civaff le 14 décembre 2015. A ce propos, Novick relève la remarque du brigadier Lewis, officier supérieur des affaires civiles de la seconde armée britannique, qui décrit la réaction des Alliés à la prise du pouvoir par les gaullistes en Normandie comme équivalant « quasiment à un coup d’Etat » : in Peter Novick, L’épuration française 19441949, op. cit., p. 121. 619 Jérôme Blanc, "Pouvoirs et monnaie durant la Seconde Guerre mondiale en France : la monnaie subordonnée au politique", contribution au colloque International conference on War, Money and Finance, Monetary and Financial Structures : The Impact of Political Unrests and Wars, Economix, Juin 2008, Nanterre, consulté sur https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-00652826/document le 31 août 2015 ; voir de même Régine Torrent, La France américaine. Controverses de la Libération, op. cit., pp. 196-221 et Jean-Baptiste Duroselle, "Le dernier « calvaire » du général de Gaulle en 1944. Les « accords de débarquement »", op. cit., pp. 1021-1033. Concernant la question de francs métropolitains et de leur taux de change, voir en outre : Nerin E. Gun, Les secrets des archives américaines. t.1 : Pétain – Laval - de Gaulle. Paris : A. Michel, 1979, pp. 397-398 ; Jean-Guy Mérigot et Paul Coulbois, "Le problème monétaire français depuis la fin du deuxième conflit mondial", Revue économique, vol. 1, n°3, 1950, pp. 259-277. 620 Le 12 juin 1944 à Londres, François Coulet est nommé Commissaire régional de la République par de Gaulle. Le 14 juin, il accompagne de Gaulle en Normandie, alourdi par 25 millions de francs français pour payer les fonctionnaires français à la fin du mois et se substituer ainsi aux finances de l’administration de Vichy. Il témoigne : « Les Alliés, eux, avaient […] fait imprimer aux Etats-Unis d’extraordinaires billets de banque […] et qui étaient exactement du modèle du green bank, du dollar américain, le billet de 1 dollar, vert, dans le même papier, sans aucune signature du trésorier, du Ministre des finances, de qui que ce soit, et derrière un petit drapeau tricolore. C’était une offense impardonnable aux yeux du général de Gaulle faite à la souveraineté de la France que d’introduire sur le sol français cette monnaie en fait étrangère mais prétendument française. » : Déclaration de François Coulet, in Des Hommes Libres, film de Daniel Rondeau et Alain Ferrari, op. cit., 171 En outre, l’édiction de ses propres normes permet au gouvernement provisoire de la France Libre de régulariser sa situation en ce qui concerne le droit interne français. Effectivement, après avoir édicté un ordre juridique d’exception, tirant des conséquences juridiques sans disposer d’aucun mandat ni habilitation à émettre des normes reconnues par le système juridique interne et, suspendant notamment les lois constitutionnelles de 1875, la France Libre émet nombre d’actes de souveraineté en tant qu’autorité de fait621. Avec un « gouvernement de structure autoritaire et d’esprit démocratique »622, la France Libre envisage de rétablir une constitutionnalité républicaine en s’affranchissant des lois constitutionnelles de 1875 par l’ordonnance du 21 avril 1944623. Marcel-François Astier, sénateur radical-socialiste membre de l’Assemblée consultative provisoire de la France Libre, déclare pourtant que les moyens utilisés par la France Libre pour aboutir à l’abrogation de ces lois signifient un « coup d’Etat » juridique usurpant le pouvoir constituant624. Ce projet de rupture avec l’ordre juridique de la IIIème République sera réalisé par le biais de l’application d’une norme postérieure, celle de l’ordonnance du 17 août 1945 qui permettra l’adoption de la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 réalisant DVD2, 1 : 37. Cette anecdote n’est pas sans rappeler le témoignage de Raymond Aubrac, autre Commissaire de la République, qui se souvient qu’on lui remet à Marseille « un immense et lourd sac de pommes de terre contenant dix millions de francs en coupures diverses, pour le cas où les Allemands auraient détruit les billets de banque […] heureusement il n’en fut rien » : in Raymond Aubrac, Où la mémoire s’attarde. Paris : Odile Jacob, 1996, p. 125. 621 A ce propos, voir l’étude Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (19401945), op. cit., pp. 419-434. 622 Georges Burdeau, Manuel de droit constitutionnel. Paris : LDGJ, 5 623 Pour la participation de la résistance intérieure, voir en particulier : René Hostache, ème "L'organisation de la résistance au printemps de 1944", in Comité d'histoire de la 2 guerre mondiale, La Libération de la France : actes du colloque international tenu à Paris du 28 au 31 octobre 1974. Paris : éd. du CNRS, 1976, pp. 376-449 ; Jacques Debû-Bridel, De Gaulle et le CNR. Paris : Éditions France-Empire, 1978 ; Diane de Bellescize, Les neuf sages de la Résistance. Le comité général d'études dans la clandestinité. Paris : Plon, 1979 ; François Bédarida et Jean-Pierre Azéma [Dir.], Jean Moulin et le Conseil National de la Résistance : études et témoignages. Paris : éd. du CNRS, 1983 ; Pierre-Henri Teitgen, Faites entrer le ème République. Rennes : Ouest-France, témoin suivant, 1940-1958. De la Résistance à la V 1988 ; Laurent Ducerf, "Le CGE face à l'épuration", in Jacqueline Sainclivier et Christian Bougeard [Dir.], La Résistance et les Français : Enjeux stratégiques et environnement social : actes du colloque international "La Résistance et les Français : le poids de la er stratégie, Résistance et société" : 29-30 septembre-1 octobre 1994. France : Presses universitaires de Rennes, 1995. 624 « Si l’Assemblée le vote, elle aura fait son premier coup d’Etat et la voie sera ouverte au fascisme » : in intervention de Marcel-François Astier, Séance du 22 mars 1944 à Alger, Assemblée consultative provisoire, organisation des pouvoirs publics en France libérée, Commission de réforme de l’Etat et de législation, Arch. Nat., Fonds René Cassin, AN 382 AP 72. 172 ème éd., 1947, p. 206. par là une « véritable révolution juridique » par rapport à l’ordre normatif de la IIIème République625. Comme nous l’observons, la construction institutionnelle et, plus largement, juridique de la France Libre est centralisatrice et unitaire. Nous identifions de nouveau là l’aspect statocratique vertical de la conception gaulliste de l’Etat : l’Etat, incarné par son chef, transcende la société. L’Etat n’est pas l’aboutissement d’un processus d’institutionnalisation démocratique, mais est matérialisé par un pouvoir exécutif qui opère les réformes. Hormis notamment les lois dites « portant statut des Juifs », la majeure partie des lois et décrets pris sous Vichy reste en vigueur, conformément à l’ordonnance du 9 août 1944. Retenons en particulier que la loi du 14 septembre 1941 relative à l’état de siège n’est pas abrogée par le rétablissement de la légalité républicaine : au contraire, les Commissaires régionaux de la République exercent au quotidien « un état de siège civil »626. Dotés de pouvoirs exceptionnels jusqu’en octobre 1945, ils concentrent en leurs mains les fonctions exécutives, législatives et juridictionnelles627. Avant qu’elles ne puissent exercer les pouvoirs de police et de justice, les juridictions civiles d’exception confient aux tribunaux militaires et aux cours martiales le soin d’effectuer une épuration judiciaire, sans cependant pouvoir empêcher nombre d’exactions extra-judiciaires628. Cette épuration judiciaire et administrative629, « fruit d’une volonté de renouvellement »630, 625 Emmanuel Cartier, La transition constitutionnelle en France (1940-1945), op. cit., p. 486. 626 Anne Simonin, Le déshonneur de la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, op. cit., p. 388. En témoigne le document secret de la légation de suisse en France concernant l’état de siège à Vichy dès le 28 août 1944 : cf. L’attaché militaire et de l’Air près la légation de Suisse à Vichy, Richard de Blonay, au Sous-Chef de l’Etat-Major Général de l’Armée, Chef du groupe Ib, Commandement de l’armée en campagne, Vichy le 30 août 1944, Arch. féd., E 27/9965 Bd : 2-7. 627 Trois éléments permettent ce changement : la levée de l’état de siège le 12 octobre 1945, l’élection de l’Assemblée nationale constituante le 21 octobre 1945 et la limitation des pouvoirs des Commissaires de la République par l’ordonnance du 24 octobre 1945 (Journal officiel de la République française, 25 octobre 1945, p. 6887). Le corps administratif des Commissaires de la République sera supprimé par la loi du 26 mars 1946 : voir Anne Simonin, Le déshonneur de la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, op. cit., p. 387, citant notamment Pierre Doueil, L’Administration locale à l’épreuve de la guerre (1939-1949). Paris : Librairie du Recueil Sirey, 1950, pp. 52ss. 628 Concernant l’épuration, voir : Emile Garçon [Dir.], Code pénal annoté, Nouvelle édition par Rousselet, Patin et Ancel. Paris : Sirey, 1952, t. 1, pp. 244-414 ; Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., pp. 229ss. ; Jean-Pierre Rioux, "L'épuration en France (19441945)", L'Histoire, octobre 1978, n°5, pp. 24-38 ; Marcel Baudot, "L’épuration : bilan chiffré", Bulletin de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n°25, septembre 1986, p. 42 ; Henry Rousso, "L’épuration en France. Une histoire inachevée", Vingtième Siècle, n°33, janviermars 1992, pp. 78-105. 629 Voir notamment : Raymond Aubrac, "L’épuration judiciaire", Jacques Chevallier, "L’épuration au Conseil d’Etat", Etienne Burin des Roziers, "L’administration des Affaires étrangères", Marc Watin-Augouard, "La gendarmerie et le rétablissement de la légalité républicaine", Jean-Marc Berlière, "L’épuration dans la police", François Rouquet, "Libération et épuration 173 est complétée par un droit pénal transitoire répressif et discriminatoire, axé sur une dichotomie distinguant citoyens dignes et indignes à effet rétroactif : c’est l’objet de l’ordonnance relative à la répression des faits de collaboration du 26 juin 1944631 et, surtout, de l’ordonnance instituant l’indignité nationale du 26 août 1944632. Par voie de conséquence, l’administration du gouvernement provisoire émet dès le 8 septembre 1944 plusieurs mandats d’arrêts, en particulier contre Philippe Pétain et Pierre Laval633. Sur le plan interne, l’autorité du gouvernement provisoire de la France Libre progresse malgré les tentatives de résistance d’autorités locales ainsi que de mouvements politiques et armés, notamment communistes634. Il ne reste plus à l’entité gaulliste qu’à obtenir la reconnaissance de son autorité en droit international : « On nous considérait, au fond, comme un gouvernement. Seulement, on nous considérait en fait. Maintenant, en droit, beaucoup de choses étaient à conquérir. »635 au Ministère des PTT", in Fondation Charles de Gaulle, Le rétablissement de la légalité républicaine (1944) : actes du Colloque de Bayeux des 6, 7 et 8 octobre 1994, op. cit., pp. 435-542 ; André Kaspi [Dir.], La libération de la France, juin 1944 - janvier 1946. Paris : Perrin, 2004. 630 Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., p. 229. 631 Journal officiel du Gouvernement provisoire de la République française à Alger, 6 juillet 1944. Elle sera abrogée et remplacée par l’ordonnance du 28 novembre 1944 portant modification et codification des textes relatifs à la répression des faits de collaboration (Journal officiel de la République française du 29 novembre 1944, p. 1540). 632 Journal officiel de la République française, 28 août 1944, p. 767. Elle sera modifiée par er l’ordonnance du 30 septembre 1944 (Journal officiel de la République française, 1 octobre 1944, p. 852) et abrogée par l’ordonnance du 26 décembre 1944 (Journal officiel de la République française, 27 décembre 1944, p. 2078), complétée par l’ordonnance du 9 février 1945 (Journal officiel de la République française, 10 février 1945, p. 674). 633 Comme le diffusent Libération et Reuters : cf. Neue Zürcher Zeitung, n°1522 du 9 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. Les mandats d’arrêt font suite à la décision du Comité français de libération nationale du 3 septembre 1943, constatant Philippe Pétain et ses ministres coupables du crime de trahison puni par les articles 75 et suivants du Code pénal pour avoir signé l’armistice, « pratiqué la collaboration la plus étroite sur le double plan économique et militaire », recruté des militaires au service de l’ennemi et livré du matériel à l’armée allemande d’Afrique : in Jacques Isorni, Le Condamné de la citadelle. France : Flammarion, 1982, pp. 13-14. 634 Voir notamment, un compte-rendu pro-gaulliste de novembre 1944 : Rapport d’un membre de l’ancien comité des corps élus sur la situation générale en France en novembre 1944, du 11 novembre 1944, Arch. féd., E 27 9965 Bd : 24-27. 635 René Cassin, in Des Hommes Libres, film de Daniel Rondeau et Alain Ferrari, op. cit., DVD1, 1:57. 174 b) Les réactions diplomatiques et la reconnaissance de jure en droit international Pendant la campagne militaire, malgré leurs premiers doutes quant à la représentativité de Charles de Gaulle636, les Alliés constatent l’efficacité tant des forces des F.F.I. que de l’administration du gouvernement provisoire637. Il est, dès lors, manifeste que les gouvernements alliés mettent en place en territoire libéré français une stratégie différente de celle pratiquée dans les autres territoires que leurs forces occupent en Europe638. Certes, les administrateurs civils de l’A.M.G.O.T. sont mis en place par les gouvernements alliés ; toutefois, ils se cantonnent à être des instruments de gestion civile qui soutiennent les opérations militaires au quotidien sans s’impliquer politiquement dans les affaires internes françaises639. L’accord d’affaires civiles conclu en août 1944 voit ainsi le territoire français divisé en deux zones distinctes : une zone des armées sous l’autorité du commandant suprême interallié et une zone de l’intérieur administrée par les autorités françaises640. La reconnaissance du gouvernement provisoire comme étant officiellement l’unique gouvernement de jure de la France met plusieurs mois à être réalisée. Il est patent que 636 Relativement à sa personnalité : « De Gaulle est peut-être un garçon honnête, mais il a le complexe du Messie. Il pense en outre que le peuple français est derrière lui. Ce dont je doute. A mon avis, le peuple français est derrière la France Libre ; il ne connaît pas vraiment de Gaulle […] je crois de plus en plus que lors du débarquement en France, nous devrons considérer ce pays comme militairement occupé et gouverné par des généraux anglais et américains » : in Lettre de Franklin D. Roosevelt du 8 mai 1943 à Winston S. Churchill, reproduite in Nerin E. Gun, Les secrets des archives américaines. t. 1 : Pétain – Laval - de Gaulle, op. cit., pp. 394-395. 637 André Kaspi, "Les Etats-Unis et la Résistance française : juin 1940 – août 1945", conférence du 15 juin 2006 devant l’Assemblée générale de l’association Mémoire et Espoirs de la Résistance, consulté sur http://www.memoresist.org/rencontre/les-etats-unis-et-laresistance-francaise-juin-1940-aout-1945 le 11 juin 2015 ; voir de même André Kaspi [Dir.], La libération de la France, juin 1944 - janvier 1946, op. cit. et Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., p. 114. 638 Sur ce sujet, voir : Charles R. S. Harris, Allied military administration of Italy: 1943-1945. Londres : Her Majesty’s Stationery Office, 1957 ; Frank S. V. Donnison, North-West Europe, 1944-1946. Londres : Her Majesty’s Stationery Office, 1961. 639 Et non pas des instruments politiques d’administration des territoires libérés, comme le démontre Bruno Bourliaguet, L’AMGOT, contingence militaire ou outil de politique étrangère ?, op. cit., p. 154. 640 « Le général Eisenhower a donné au Général de Gaulle tout pouvoir en ce qui concerne d’administration des régions libérées » : in Lettre du Consulat suisse de Paris à la Division des intérêts étrangers du Département politique fédéral, de Paris, le 2 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 ; Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., p. 257. 175 les acteurs lui sont a priori favorables, comme l’anticipe la légation suisse début août 1944 : « Le discours du Premier Ministre Churchill, du 3 août, confirme, une fois de plus, le plein succès de la mission du Général de Gaulle qui se transforme visiblement d’un chef de la dissidence qu’il était jusqu’à présent en chef d’Etat régulier. Il paraît donc certain qu’il faille compter, après la libération de la France ou d’une grande partie de ce pays, avec de Gaulle et son gouvernement comme la puissance française déterminante »641. Toutefois, le gouvernement provisoire est mis à l’écart des rencontres et négociations du « club des grands » (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne et Chine) et les gouvernements alliés restent prudents en ce qui concerne la reconnaissance du gouvernement de la France Libre642. Ainsi, la Grande-Bretagne, s’alignant sur la position des Etats-Unis, ne désire pas prendre position en temps de guerre et, de plus, préfère attendre la constitution d’un gouvernement français provisoire plus représentatif et donc élargi aux représentants de la résistance intérieure : « 18 août 1944 - Premier Ministre à Secrétaire aux Affaires étrangères. Je déconseille de prendre aucune décision concernant la France tant que nous n’aurons pas vu plus clairement ce qui émerge des fumées de la bataille. Si le grand succès de nos opérations assure la libération de la France de l’ouest au sud, Paris compris, ce qui peut parfaitement se produire, il existera une vaste zone dans laquelle on pourra constituer un gouvernement provisoire qui sera vraiment authentique et non pas composé entièrement par le Comité français de Libération nationale, dont l’intérêt à se saisir de titres de propriété sur la France est évident. Je déconseille donc très fortement de prendre en ce stade quelque engagement que ce soit envers le Comité national français, en dehors de ceux que nous avons déjà pris. On ne sait pas du tout ce qui peut se produire et il vaut autant que nous gardions les mains libres. Il faut, à mon avis, qu’une base plus large soit assurée avant que nous puissions nous engager. »643 De plus, la Grande-Bretagne note le 14 octobre 1944 que si l’élargissement de la représentation française à l’Assemblée consultative a fait de larges progrès, les élections projetées au sein des départements libérés n’ont pas pu être réalisées du fait notamment de grandes difficultés de communication644. Effectivement, le gouvernement provisoire 641 Message confidentiel de Walter Stucki à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral du 4 août 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1a. 642 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 629-677 ; Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., pp. 260-262. 643 Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., p. 254. 644 Ibid., pp. 255-256. 176 modifie la composition de l’Assemblée consultative provisoire le 12 octobre 1944 par une ordonnance élargissant sa formation avec trois quarts de résistants en son sein645. Après de nombreuses tergiversations, les Etats-Unis procèdent à la reconnaissance du gouvernement provisoire comme le gouvernement représentant officiellement l’Etat français. Leurs hésitations sont dues aux conditions qu’ils posent à cette reconnaissance : ils attendent que se réalisent, d’une part, l’élargissement de l’Assemblée provisoire et l’effectivité de la gestion par le gouvernement provisoire de la « zone intérieure » limitée englobant Paris. Constatant la constitution de ces deux éléments le 20 octobre 1944, les Etats-Unis reconnaissent donc le gouvernement provisoire en date du 23 octobre 1944, suivis par le Canada, la Grande-Bretagne et l’U.R.S.S.646. Le Gouvernement provisoire de la République française, présidé par Charles de Gaulle, chef des armées, est approuvé sur le terrain par une majorité de la population qui se conforme à son administration. De plus, il est désormais soutenu diplomatiquement et peut démontrer sa capacité à assumer le pouvoir exécutif en France. Dès lors, Charles de Gaulle ne peut qu’affirmer non sans une certaine ironie que « le gouvernement français est satisfait qu’on veuille bien l’appeler par son nom »647. Quant à la Suisse, elle ne fait pas preuve d’une grande audace dans ses relations avec la France Libre648, ce qui a eu pour effet de créer certaines tensions avec le pouvoir d’Alger, 645 Sur ce sujet, voir Emmanuel Choisnel, L’Assemblée consultative provisoire (1943-1945) : le sursaut républicain. Paris : L’Harmattan, 2007. Relevons que Charles de Gaulle critique cette Assemblée qui cherche à élargir son champ d’action : arguant de sa représentativité, il considère qu’il est le seul apte à répondre devant le peuple car « La France est plus large que la Résistance » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 692. 646 Voir notamment : Lettre de Franklin D. Roosevelt à Winston S. Churchill du 20 octobre 1944, reproduite in Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., p. 257 ; Télégramme de Georges Bidault, Ministre des Affaires Etrangères, reproduit in Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 3 : Le Salut. Documents. Paris : Plon, p. 335. 647 Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 3 : Le Salut. Documents, op. cit., p. 339. 648 En 1943, si la Suisse a nommé un Consul à Alger, ce n’est que pour y mener de « bonnes relations de fait », parce qu’en Algérie s’affairent des « autorités de fait » (qu’elle nomme incidemment « le nouveau Pouvoir français d’Alger ») : in La Division des affaires étrangères du Département politique fédéral au Consul de Suisse à Alger Jules Arber, de Berne, le 8 juin 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, volume 14 (1941-1943), n°372. En d’autres termes, la Suisse n’intervient que dans le champ économique avec son nouveau partenaire, pas dans le champ de la politique diplomatique. Face à la demande expresse de la France Libre que la Suisse retire sa représentation diplomatique de Vichy pour venir à Alger, Berne agit avec flegme, nommant Ernst Schlatter conseiller de légation à Alger (« délégué officieux du Conseil fédéral auprès du Gouvernement provisoire de la République française ») pour assurer la représentation des intérêts étrangers et la question des relations entre le Comité français de libération nationale et ses revendications : Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, volume 14 (1941-1943), n°373, du 11 juin 1943. 177 concernant, d’une part, la représentation des intérêts de Vichy par la Suisse649 ainsi que, d’autre part, la représentation de l’Etat français à Berne650. De manière très procédurière, l’une des principales questions que se pose le gouvernement suisse est celle de la difficulté à conférer l’immunité diplomatique à une personne entrée en fraude651. En fin de compte, le Conseil fédéral et la France Libre échangent des délégués officieux en mars 1944652, avant que la Suisse procède à la reconnaissance de jure du gouvernement provisoire le 31 octobre 1944653. Ce n’est que le 10 novembre 1944, quand le gouvernement provisoire accrédite Jean-Louis Vergé en tant que chef de sa délégation en Suisse (lui qui fonctionne déjà officieusement en Suisse654), qu’Ernst Schlatter, ancien chargé d’affaire suisse à Alger auprès de la France Libre655, est officiellement nommé à 649 Daniel Bourgeois, "La représentation des intérêts étrangers de Vichy par la Suisse à l'ombre de l'Occupation et de la France Libre", Relations internationales, 2010/4, n°144, p. 31 ; Gérard Lévêque, La Suisse et la France gaulliste : problèmes économiques et diplomatiques. Genève : Impr. Studer, 1979. 650 Lettre du délégué officieux du Conseil fédéral auprès du Gouvernement provisoire de la République française, Ernst Schlatter, au Département politique fédéral du 3 août 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°192. 651 D’autant plus que l’entrée illégale des représentants diplomatiques hongrois et de leur famille s’est vue opposer un refus : cf. Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°182 du 24 juillet 1944, E 4800 A 1967/111/329 et E 2001 D 3/268-269. 652 Notice à l’intention de Monsieur le Conseiller fédéral Petitpierre, de Berne, le 3 mars 1945, Arch. féd., E 2001 D 1000 / 1553 Bd : 65. A partir de ce moment, ce que la Suisse appelle « l’interrègne » prend fin en France : cf. Lettre de la Division des intérêts étrangers de la légation de Suisse à Paris adressée à Walter Stucki, Ministre plénipotentiaire à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris, le 16 novembre 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. 653 Le Département politique fédéral « verrait avec plaisir les Délégations qui assurent actuellement la liaison entre les deux Gouvernements prendre un caractère diplomatique complet » : in Note de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral à la Délégation du Gouvernement provisoire de la République française à Berne, de Berne, le 31 octobre 1044, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°275 ; Arch. féd., Protokoll des Bundesrates, septembre 1944, n°49, pp. 1875-1876. Le 16 novembre 1944, un message de la légation suisse à Paris indique à Berne que « certaines équivoques subsistent sur la nature de notre reconnaissance, de facto ou de jure, et surtout sur les effets qu’elle devra déployer à bref délai sur le plan pratique » : in Lettre de la Division des intérêts étrangers de la légation de Suisse à Paris adressée à Walter Stucki, Ministre plénipotentiaire à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris, le 16 novembre 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8. La communication détournée dont fait preuve la Suisse, si elle est « légitime sur le plan du droit international strict et selon l’usage diplomatique traditionnel » est néanmoins une « solution de compromis qui ne peut être ressentie que comme une demi-mesure » : in Gérard Lévêque, La Suisse et la France gaulliste 1943-1945 : problèmes économiques et diplomatiques, op. cit., p. 137. 654 Voir Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°217. 655 Notice de C. Fedele à l’intention de Monsieur le Conseiller de légation C. Stucki [sic], le 29 janvier 1945, Arch. féd., E 2001 D 1000 / 1553 Bd : 65. 178 Paris656. La presse française tend à confondre ces deux faits et considère que la reconnaissance de la Suisse date du jour où Berne envoie un Ministre dans la capitale française, soit postérieurement à la reconnaissance opérée par le gouvernement de Francisco Franco, formulant maintes critiques contre une Suisse apparaissant comme pro-fasciste657. A posteriori, Londres confirme avoir toujours reconnu dans les faits l’entité de la France Libre comme représentant la France, son alliée pendant la guerre658. En novembre 1944, Charles de Gaulle est finalement invité à la Commission européenne de Londres et obtient que la France dispose d’une zone d’occupation en Allemagne659. En dépit du fait que les Etats-Unis maintiennent Charles de Gaulle hors de la Conférence de Yalta, le gouvernement provisoire signe un accord bilatéral d’alliance et d’assistance mutuelle avec Staline le 10 décembre 1944660. Progressivement, le Gouvernement provisoire de la République française assied son autorité représentative sur le plan international. 656 Arch. féd., Rapport de gestion du Conseil fédéral (1943-1944) Z – 74, pp. 78-79 ; Notice à l’intention de Monsieur le Conseiller fédéral Petitpierre, de Berne, le 3 mars 1945, Arch. féd., E 2001 D 1000 / 1553 Bd : 65 657 Lettre de la légation suisse en France au chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, à Paris, le 9 décembre 1944, Arch. féd., E 2809 1000/723 Bd : 2. 658 « This opinion is based on our interpretation of the situation which in fact existed during that period rather than on a legal interpretation of such agreements as there might have been between the two countries » : suite à une demande d’information canadienne, le gouvernement anglais, après avoir précisé que son avis n’engage pas le Canada qui est un Etat indépendant, précise que l’alliance franco-britannique n’a jamais été rompue. En effet, d’après une interprétation des faits et non pas des accords juridiques entre le Royaume-Uni et l’Etat français, le Royaume-Uni considère qu’il est l’allié du mouvement des Français Libres parce qu’il représente l’Etat français comme l’indique le discours du roi concernant la prorogation du Parlement du 23 novembre 1942 : in Message de J.W. Russel, Western Dept du Foreign Office à J.F. Rae pour P. Sigvaldson, Haut Commandement du Canada le 15 août 1949, Archives nationales de Grande-Bretagne, Londres, FO 371 /79085 – C301678 – Z 5466 1949. 659 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., pp. 636ss. ; Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., pp. 260-262 ; Nerin E. Gun, Les secrets des archives américaines. t. 1 : Pétain – Laval - de Gaulle, op. cit., pp. 427-428. 660 Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., pp. 261-268 et Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 646. 179 c) Les opérations militaires du commandement suprême de septembre à novembre 1944 Enfin, pour situer le contexte des développements internes et diplomatiques, il semble utile de rappeler brièvement le développement des opérations militaires sur le terrain. Dwight Eisenhower ayant autorisé les troupes françaises à participer à la campagne d’Allemagne661, la 1ère armée française662 menée par Jean de Lattre de Tassigny contribue en cette fin d’été 1944 à sonder « l’ennemi en direction des Vosges et de la trouée de Belfort »663. La stratégie affichée est de battre sur le terrain la Wehrmacht qui plie en retraite664. En effet, une fois Lyon libérée, dans la nuit du 2 au 3 septembre 1944, l’objectif du commandement suprême allié est explicite : il s’agit de « continuer à poursuivre implacablement l’adversaire sur l’axe Lons-le-Saunier – Besançon – Belfort afin de l’empêcher de s’échapper vers l’Allemagne »665. Il est tentant de penser que le commandement suprême est informé que les anciens membres du régime de Philippe Pétain se trouvent justement à Belfort. Pourtant, nous ne trouvons nulle trace dans les documents militaires d’un objectif relatif à la capture des anciens dignitaires français. De surcroît, il nous semble douteux que tel en aurait été l’intérêt tant des gouvernements alliés que du gouvernement provisoire, les premiers plus occupés à vaincre militairement et à mettre à genoux le gouvernement nazi et le second plus concentré à instaurer sa légitimité et à faire reconnaître son statut légal qu’à mettre les anciens représentants du régime de Vichy sur le devant de la scène, tant nationale qu’internationale. Il est néanmoins curieux de noter que Jean de Lattre de Tassigny témoigne que c’est bien en date du 8 septembre 1944666 que le commandement américain modifie pour la première fois son objectif annoncé le 2 septembre. Il n’est, par conséquent, plus aussi prompt à poursuivre en direction de Belfort, d’autant qu’il est « bien informé de l’intense activité 661 A son sujet, voir notamment : Stephen E. Ambrose, The Supreme Commander: The War Years of Dwight D. Eisenhower. New York: Doubleday, 1970. 662 Sous ses nombreuses autres dénominations avant le 25 septembre 1944 : cf. Jean de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première armée française, op. cit., p. 168. 663 Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., p. 211. 664 « En tout cas, il est clair que tout doit être fait afin de gagner la course de vitesse engagée avec l’adversaire pour lui couper définitivement ses lignes de repli. » : in Jean de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première armée française, op. cit., p. 147. 665 Ibid., p. 137. 666 Pour rappel, le 8 septembre 1944 est aussi la date du départ des derniers chefs collaborateurs et de leur suite ainsi que celle de l’émission des mandats d’arrêts à l’encontre de Philippe Pétain et de Pierre Laval. 180 déployée par les Allemands pour consolider leur présence dans cette région et pour la mettre à l’abri d’un rush rapide »667. Quoi qu’il en soit, il est non seulement bien trop tard pour retenir les colonnes allemandes escortant les anciens membres du régime de Vichy et leur suite qui passent la frontière le jour-même, mais les Alliés qui n’ont pas rencontré jusqu’alors de forte résistance se heurtent à présent à des engagements actifs des forces allemandes propres à freiner largement leur progression. C’est la raison pour laquelle l’armée alliée n’entre que le 20 novembre à Morvillars et le 22 novembre 1944 à Belfort668, ne prenant Strasbourg que le 25 novembre 1944669 avant d’atteindre le Rhin à Bâle et d’obliquer vers Colmar670. CONCLUSION DE LA SECTION 1 Afin d’appréhender les conditions juridiques de l’existence du régime de Vichy au 20 août 1944, nous avons abordé la question de son statut juridique hors de Vichy. C’est un moment marqué par un changement de paradigme institutionnel rapide, dans un contexte d’accélération des mouvements militaires. En quelques jours, le territoire métropolitain voit, d’une part, l’occupation perdre du terrain face à l’avancée des troupes alliées et, d’autre part, l’administration du régime de Vichy se retirer au profit de l’action des Commissaires régionaux de la République de la France Libre. Philippe Pétain, Pierre Laval, les principales personnalités de la collaboration et leurs proches sont évacués de Vichy et de Paris, escortés par la Wehrmacht. Le gouvernement légalement investi de l’Etat français tel qu’il l’était le 19 août 1944 est désormais empêché par les actes de 667 Jean de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première armée française, op. cit., p. 148. Confirmant cette information, un rapport de la légation suisse à Berlin du 2 septembre 1944 précise que l’armée allemande creuse des tranchées vers Belfort : Rapport du Major Peter Burkhardt, attaché militaire de la légation de la Suisse en Allemagne, de Berlin, le 2 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 668 Jean de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première armée française, op. cit., pp. 287-296. D’ailleurs, le 27 octobre 1944, le Conseil fédéral autorise le Département politique fédéral de faire une démarche auprès des autorités allemandes pour faire transférer la population du territoire de Belfort sur le territoire français non occupé : Note verbale du Conseil fédéral concernant le transfert de la population du territoire de Belfort, de Berne, le 27 octobre 1944, Arch. féd., Protokoll des Bundesrates, septembre 1944, n°449. 669 Les Alliés, après avoir fait preuve de « courtoisie » en permettant aux représentants de la France Libre d’entrer dans Paris en posture de vainqueurs, considèrent Strasbourg comme une ville symbolique ; car une fois Strasbourg prise, « on considère la France comme libérée » : in Jacques de Guillebon, in Des Hommes Libres, film de Daniel Rondeau et Alain Ferrari, op. cit., DVD2, 1 : 48. 670 Winston S. Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, t. 6 - Triomphe et Tragédie, v. 1 - La victoire 6 juin 1944 – 3 février 1945, op. cit., pp. 275-276. 181 l’occupant d’exercer ses prérogatives, et par là, toutes ses fonctions. Dès lors, les anciens hommes forts du régime de Vichy commencent à se distinguer. Philippe Pétain, qui ne peut ni ne veut démissionner, fait savoir qu’il détient toujours le dépôt de la souveraineté mais que les contraintes qu’il subit en font le prisonnier du Reich. Quant à Pierre Laval, il considère que sa captivité le met dans l’incapacité subite d’agir politiquement. La différence de position est claire et permet aux convaincus de la collaboration, suivi par quelques anciens membres du régime de Vichy, de tirer profit d’une faille du principe de Philippe Pétain selon lequel il est encore titulaire de la souveraineté de l’Etat français. En effet, motivés à trouver, d’une manière ou d’une autre, une issue qui leur soit favorable dans le chaos des conditions de leur fuite, ils élaborent avec le soutien d’Adolf Hitler une stratégie leur permettant de se poser formellement en représentants du régime de Vichy, et, partant, de l’Etat français, en créant en toute hâte une Délégation française pour la défense des intérêts nationaux en Allemagne. Culmine ainsi une opposition claire entre deux conceptions politiques et juridiques de la souveraineté et, par voie de conséquence, de la continuité de l’Etat : celle d’un chef d’Etat temporairement empêché et celle d’un chef d’Etat consacré par son opération de régularisation interne et externe, chacune excluant l’autre. En définitive, nous soutenons que l’analyse du statut du régime de Vichy dès le 20 août 1944 permet de percevoir l’imbrication particulière des évènements en histoire du droit. En effet, nous ne concevons pas la transition institutionnelle Vichy – France Libre comme le passage radical d’un gouvernement illégal à un gouvernement légal ou comme une révolution démocratique s’imposant à une doctrine autoritaire. En d’autres termes, nous n’assistons pas à une rupture brutale d’un système juridique à un autre. Les mystiques et rituels concurrents des fondements et de pratique du pouvoir exécutif et de définition de l’Etat ne s’entrechoquent pas le 20 août 1944. La vision de Vichy s’efface tandis que celle de la France Libre s’implante. Or, celle du régime de Vichy s’essouffle du fait de ses propres déficiences : gouvernement soumis au pouvoir de trois autorités de fait (Axe, Alliés et France Libre), ne s’appuyant que sur le symbole de dépôt de souveraineté et sur un système répressif administratif, policier et judiciaire, son manque d’assise juridique solide annonçait déjà sa faillite. Toutefois, singulièrement, ce sont ces mêmes lacunes qui permettent aux « ultras » de la collaboration de s’en réclamer et de tenter la création d’une structure hybride. Tels les Spartoi671, les chefs de la collaboration émergent et imaginent la fondation, sur les ruines d’un combat épique, d’une nouvelle colonie. Parallèlement, la conception gaulliste de l’Etat et du rôle de ses représentants perdure et 671 Ovide, Les métamorphoses. Paris : Gallimard, 1994, t. 1, livre 3, Légendes thébaines : Fondation de Thèbes – Actéon, lignes 101-132. 182 profite de l’espace laissé par le régime de Vichy pour asseoir son autorité. Elle maintient la fiction selon laquelle le régime de Vichy n’a jamais existé, même si le Gouvernement provisoire hérite de la majeure partie de sa législation ainsi que de ses décisions administratives et judiciaires. L’épuration qu’il opère fait preuve d’une conception du droit au service des valeurs morales que le pouvoir politique impose, avec son lot de lois à effet rétroactif. Les gouvernements alliés, plus soucieux de gagner la guerre que de s’opposer aux velléités de prise de pouvoir de fait des gaullistes en métropole, laissent le Gouvernement provisoire organiser le remplacement des institutions de Vichy. On peut déduire de la reconnaissance du Gouvernement provisoire qu’ils expriment leur désir d’impliquer la France dans leurs stratégies d’influence politique, en s’en tenant juridiquement à une interprétation des normes relatives à la reconnaissance internationale des gouvernements favorable à la France Libre. Cette reconnaissance a surtout, en interne, pour conséquence de donner un statut de gouvernement de jure au Gouvernement provisoire de la République française en dépit du fait qu’il ne reste plus grand chose de l’esprit et de la Constitution de la IIIème République. Enfin, pour ce qui est du gouvernement allemand, nous identifions une lecture positiviste du droit révélant une vision impériale de l’autorité suprême qui a toute liberté de vie et de mort sur ses sujets qui, même s’ils ont représenté un Etat, n’en sont pas moins des individus. 183 SECTION 2 – LE STATUT DU REGIME A SIGMARINGEN : LE STATUT INDIVIDUEL D’ANCIENS MEMBRES D’UN GOUVERNEMENT Domus propria domus optima. Domi manere convenit felicibus 672 Septembre 1944 marque le temps des règlements de compte des instances françaises et allemandes contre les individus qu’elles considèrent comme séditieux : on compte nombre de mandats d’arrêts et de procès en France673 ainsi que plusieurs procès pour trahison en Allemagne après l’attentat manqué contre Adolf Hitler du mois de juillet674. En ce qui concerne les anciens représentants du régime de Vichy, le glissement du champ de représentation étatique au plan individuel est marqué. Pour le gouvernement allemand comme pour le gouvernement provisoire, Philippe Pétain, Pierre Laval et ceux qui les accompagnent sont avant tout des personnes physiques. Otages pour le Reich, responsables pénalement pour la France, aucune immunité ne leur est accordée. Le chef d’Etat et le chef du gouvernement empêchés se trouvent désormais hors du territoire national contre leur volonté. Quelques anciens dignitaires du régime de Vichy s’alignent sur leur position et s’abstiennent de toute action officielle. D’autres, au contraire, font preuve d’activisme et d’ambition. Une délégation aux velléités gouvernementales constituée à Belfort ne demande qu’à agir, tandis que Jacques Doriot cherche à affirmer son rôle. Alors que plusieurs rumeurs indiquent depuis début août 1944 déjà que Philippe Pétain se trouve en Allemagne675, ce dernier ne franchit la frontière que le 7 septembre 1944, suivi le lendemain par les autres tenants du régime. Après un passage à Baden-Baden, 672 Inscriptions gravées sur le mur nord du salon de réception du château Hohenzollern de Sigmaringen. 673 Le procès et l’exécution de Pierre Pucheu de mars 1944 à Alger en ayant été l’annonce, voir notamment : Fred Kupferman, Le Procès de Vichy – Pucheu, Pétain, Laval (1944-1945). France : Complexe, 2006, pp. 33-52. 674 Message du Major Peter Burckhardt, attaché militaire suisse en Allemagne, de Berlin le 2 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 BD : 68 ; Christine Levisse-Touzé et Stefan Martens, Des Allemands contre le nazisme : oppositions et résistances, 1933-1945. Paris : A. Michel, 1997 ; Richard J. Evans, Le Troisième Reich – vol. 3 : 1939-1945. Paris : Flammarion, 2009, pp. 747ss. 675 Walter Stucki dénonce une certaine presse suisse alimentant ces informations infondées : Lettre de Walter Stucki à Pilet-Golaz de Vichy, le 10 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 184 leur « transfert de résidence »676 à Sigmaringen et ses environs est avéré. Pour rappel, plusieurs précédents de transferts de résidence préfigurent l’installation de Philippe Pétain et de Pierre Laval à Sigmaringen. C’est, opportunément, toujours dans des châteaux qu’ils s’établissent (du temps du régime de Vichy, Pierre Laval est domicilié au Château de Châteldon dont il est propriétaire, tandis que Philippe Pétain transfère ses quartiers d’été au Château de Lonzat). En mai 1944, à deux pas de Vichy677, c’est aussi dans un château, celui de Voisins, que Cecil von Renthe-Fink installe Philippe Pétain et sa suite sous surveillance678. De septembre 1944 à avril 1945, les Français dans le Baden-Württemberg se divisent en deux camps : ceux qui se considèrent prisonniers et ceux qui trouvent dans ce contexte historique l’opportunité de prendre le devant de la scène, aussi réduite qu’elle soit. Nous proposons d’aborder la qualification en droit de leur présence, afin de démontrer pourquoi nous considérons que nous ne faisons pas face à un gouvernement en exil (A). Ensuite, nous présenterons de manière plus détaillée l’objet et l’impact de leurs actions sur le territoire (B) avant d’aborder les enjeux du départ de chacun et de leurs responsabilités légales (C). A – L’aporie juridique du gouvernement captif en exil Dès leur installation à Sigmaringen et à Mainau, les Français s’activent à concrétiser leurs ambitions de constituer un substitut de gouvernement français héritier du régime de Vichy, sous les auspices du gouvernement allemand. Afin de qualifier cette tentative de représentation, nous proposons d’abord d’aborder les conditions du choix de leur établissement (a). Ensuite, nous considérerons les raisons pour lesquelles, d’après notre analyse, les Français échouent à constituer une structure représentative (b). 676 Selon les termes de Renthe-Fink in Note pour mémoire de la communication orale du Ministre von Renthe-Fink à Philippe Pétain de Vichy le 17 août 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 677 Selon un engagement d’Adolf Hitler, les troupes germaniques ne peuvent stationner à Vichy, hormis pour la protection de l’état-major allemand (Vichy est alors sous le contrôle de la Gestapo) : Walter Stucki, La fin du régime de Vichy, op. cit., pp. 51-52. 678 « Déplacement exigé par les autorités allemandes sous prétexte impossibilité assurer sécurité chef Etat Vichy en cas de débarquement » : in Télégramme de l’attaché militaire suisse, le Colonel de Richard de Blonay, aux Départements politique et militaire, de Vichy, le 10 mai 1944, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. 185 a) Le choix de Sigmaringen Les 7 et 8 septembre 1944, les convois allemands qui accompagnent les Français atteignent le Baden-Württemberg. Selon les renseignements suisses, c’est à Fribourg-enBrisgau, après un passage à Baden-Baden, que Philippe Pétain, Pierre Laval, Joseph Darnand et Marcel Déat rencontrent Heinrich Himmler et Otto Abetz le 8 septembre679. L’ordre du jour des discussions y concerne probablement les conditions de résidence des Français680. Le Reich fait face à des problèmes de taille. Il lui faut d’abord concrètement, et dans les meilleurs délais, loger les anciens représentants de l’Etat et du gouvernement du régime de Vichy. Ensuite, il s’agit pour lui de statuer juridiquement sur les conditions de leur présence. Enfin, il lui faut accueillir un nombre accru de personnes civiles et armées qui les accompagnent681, le tout dans un contexte où il doit faire face au nombre croissant d’Allemands déplacés dans la région. Après avoir envisagé l’installation des Français dans la ville d’eaux de Freudenstadt682, le gouvernement allemand opte temporairement pour Baden-Baden qui a l’avantage d’être plus vaste. Après Vichy, le principe de symétrie thermale semble donc s’imposer, étant donné les infrastructures adaptées pour accueillir de très nombreuses personnes dans des conditions confortables, notamment pour ce qui est des moyens de communication. Le bourg de Sigmaringen n’est pas encore prévu comme point de chute pour les Français nouvellement arrivés en Allemagne. Aussi est-il intéressant de relever que le Ministère des affaires étrangères l’envisage plutôt comme une zone de repli pour l’Ambassade d’Espagne à Berlin683. 679 Note interne de la police fédérale suisse datée du 10 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 10000/716 Bd : 348. 680 Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, op. cit., p. 647. 681 A titre d’exemple, on compte depuis le 1 septembre des centaines voire milliers de militants du P.P.F. et leurs proches se trouvent déjà à Neustadt-an-der-Weinstraße. De surcroît, près de 6'000 miliciens traversent progressivement le Rhin : cf. notamment Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 468-474 et Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., p. 407. 682 Gilbert Joseph, Fernand de Brinon, l’aristocrate de la collaboration, op. cit., p. 506 ; Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", in Fritz Kallenberg (éd.), Hohenzollern, Schriften zur politischen Landeskunde Baden-Württembergs, Herausgegeben von der Landeszentrale für politische Bildung Baden-Württemberg, vol. 23, Stuttgart : Kohlhammer, 1996, p. 431. 683 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45. Sigmaringen : Jan Thorbecke Verlag, 1980, p. 9. er 186 Baden-Baden se prépare ainsi à l’arrivée de personnalités françaises et des membres de l’administration de l’ancienne ambassade d’Allemagne à Paris dès le 22 août 1944. Depuis le 30 mai 1944, Otto Abetz s’intéressait déjà fortement à Baden-Baden comme ville de repli. Les services du Ministère des affaires étrangères du Reich y réquisitionnent tous les hôtels, dont certains comptent parmi les plus renommés d’Allemagne. Les ressortissants français déjà présents sont tous porteurs de laissez-passer allemands précisant que le refuge en Allemagne leur est accordé en raison du danger qu’ils courent en France du fait de leur sympathie pour le Reich. Ils sont rejoints par de très nombreux réfugiés gagnant Fribourg-en-Brisgau684. A partir des 8 et 9 septembre, les « réfugiés d’honneur »685 français arrivent pourtant à Sigmaringen686 avant que les fidèles du P.P.F. ne s’installent à Mengen et dans le château de l’île de Mainau687. En les éloignant de Baden-Baden, le Reich les écarte de la proximité du front, mais aussi des nombreux travailleurs français présents à Baden-Baden 684 Pour tout ce paragraphe : Karl Sebastian Regli, Consul suisse à Baden-Baden à Hans Frölicher, Ministre de suisse à Berlin, avec copie à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de Baden-Baden le 22 août 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 685 Selon l’expression reprise par Louis Noguères dans la procédure de la Haute Cour : cf. Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 94. 686 Plusieurs recherches historiques ont pour sujet la colonie française à Sigmaringen, dont : Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit. ; Gérard-Trinité Schillemans, Philippe Pétain, le prisonnier de Sigmaringen. Paris : éd. MP, 1965 ; André Brissaud, Pétain à Sigmaringen 1944-1945. Paris : Perrin, 1966 ; Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit. ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit. ; Marc Ferro, Pétain. Paris : Fayard, 1987 ; Corinna Franz, Fernand de Brinon und die deutsch-französischen Beziehungen 1918-1945. Bonn : Bouvier, 2000 ; Jean-Paul Cointet, Sigmaringen : une France en Allemagne (septembre 1944 - avril 1945), op. cit. ; Silke Böhm, Die französische Vichy-Regierung in Sigmaringen. Stuttgart : Grin, 2009. 687 Voir notamment : Alexander et Johanna Dées de Sterio, Die Mainau. Chronik eines Paradieses. Zürich : Belser, 1977 ; Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., pp. 428-446 ; Arnulf Moser, Die andere Mainau 1945. Paradies für befreite KZ-Häftlinge. Konstanz : UVK, 1995 ; Kohlhammer, 1996, pp. 428-446 ; Lennart Bernadotte, ...Ein Leben für die Mainau. Konstanz : Stadler, 1996 ; Daniela Frey et Claus-Dieter Hirt, Französische Spuren in Konstanz. Ein Streifzug durch die Jahrhunderte. Konstanz : UVK, 2011 ainsi que Lothar Burchardt, Tobias Engelsing et Jürgen Klöckler, "Gutachten - Lennart Bernadotte (1909-2004) während der Zeit des Nationalsozialismus und in den unmittelbaren Nachkriegsjahren", Konstanz, janvier 2014, consulté sur http://www.mainau.de/files/content/7_0_unternehmen/Chronik/GutachtenLennartBernadotte 2014.pdf. le 24 décembre 2015 Peu d’études le relèvent, toutefois il nous paraît utile de rappeler le précédent des 1’900 Français émigrés à Constance fuyant la Terreur, principalement des ecclésiastiques et des nobles, doublant le nombre d’habitants dans cette calme ville cléricale de l’Empire. Sur ce sujet, voir Arnulf Moser, Die französische Emigrantenkolonie in Konstanz während der Revolution (1792-1799). Sigmaringen : Jan Thorbecke Verlag, 1975. 187 au titre du S.T.O.688 qui savent faire comprendre aux collaborateurs qu’ils n’apprécient pas leur présence689. En effet, Sigmaringen, Mengen et Mainau sont, comparativement à Baden-Baden, parfaitement calmes et isolés, sans grand risque de tension entre collaborateurs et travailleurs français690. En outre, les émigrés français ne s’entendent pas, chacun ayant sa vision stratégique et ses pratiques politiques : le fait d’être séparés leur convient tout à fait, les fidèles du P.P.F. d’une part, le camp des collaborateurs et les représentants de la Délégation de l’autre691. Relevons que Baden-Baden reste pendant quelque temps un point de rencontre après l’installation à Sigmaringen et Mainau : à titre d’exemple, les diplomates suisses y notent le 28 septembre 1944692 la présence de Marcel Déat, Jacques Doriot et Jean Luchaire venus pour débattre de la Délégation gouvernementale. Ils y remarquent, par ailleurs, de très nombreux collaborateurs français, ajoutant savoir que ces derniers obtiennent des papiers par l’intermédiaire d’Otto Abetz qui, ce faisant, se révèle être plus un agent de la Gestapo qu’un diplomate. Ce n’est qu’en novembre 1944, selon la même source, que les collaborateurs désertent Baden-Baden pour rejoindre « la colonie » des Français à 688 Concernant le service du travail obligatoire (S.T.O.), voir en particulier : Jacques Evrard, La déportation des travailleurs français dans le IIIe Reich. Paris : Fayard, 1972 ; Ulrich Herbert, History of Foreign Labor in Germany, 1880-1980. Seasonal Workers/Forced Laborers/Guest Workers. Ann Arbor : The University of Michigan Press, 1990 ; Patrice Arnaud, "Gaston Bruneton et l’encadrement des travailleurs français en Allemagne (1942-1945)", Vingtième siècle, Revue d’histoire, n°67, juillet-septembre 2000, pp. 95-118 ; Bernd Zielinski, Staatskollaboration. Vichy und der „Arbeitseinsatz“ für das Dritte Reich. Münster : Westfälisches Dampfboot, 1995 ; Vincent Viet, "Vichy dans l'histoire des politiques françaises de la main-d'oeuvre", Travail et emploi, n°98, 2004, pp. 77-93 ; Patrice Arnaud. Les STO. Histoire des Français requis en Allemagne nazie - 1942-1945. Paris : éd. du CNRS, 2010 ; Raphaël Spina, "La France et les Français devant le service du travail obligatoire (1942-1945)", Histoire. Ecole normale supérieure de Cachan - ENS Cachan, 2012, consulté le 23 décembre 2015 sur https://tel.archives-ouvertes.fr/tel00749560/document. 689 Les travailleurs français s’en prennent aux biens des collaborateurs et refusent de les servir, comme en atteste la note du Consulat suisse local : Karl Sebastian Regli, Consul suisse à Baden-Baden à Hans Frölicher, Ministre de suisse à Berlin, avec copie à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de Baden-Baden le 16 novembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 690 Dans l’exil, Alphonse Stoffels, membre du P.P.F., consigne ses expériences dans son journal intime. Il note : « A Sigmaringen, nous n’avons pas eu jusqu’à ce jour, ni d’alertes ni de bombardements. C’est un pays très tranquille, où on ne se croyerait [sic] pas en guerre. Les habitants sont très sympathiques et très gentils pour nous. » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 691 Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., p. 473. D’ailleurs, à Sigmaringen, Pierre Laval et Philippe Pétain auraient même désiré être placés ailleurs pour se désolidariser des collaborateurs actifs : Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945). France : Fayard, 2011, p. 692. 692 Karl Sebastian Regli, Consul suisse à Baden-Baden à Hans Frölicher, Ministre de suisse à Berlin, avec copie à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de BadenBaden le 28 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 188 Sigmaringen693. Les actions des travailleurs français au titre du S.T.O. pourraient y être liées694. En 1944, Sigmaringen n’est plus la capitale de la principauté de HohenzollernSigmaringen, membre du Saint-Empire romain germanique. La bourgade est paisible et contraste avec l’effervescence de Baden-Baden. Otto Abetz manœuvre pour réquisitionner le château des Hohenzollern pour raison d’Etat afin d’y installer Philippe Pétain, Pierre Laval et les membres de la Délégation gouvernementale695. Les deux princes, neveux du roi de Roumanie, soupçonnés de sympathie anti-nazie, sont ainsi déplacés en résidence surveillée dans leur château d’Umkirch à Fribourg-en-Brisgau696. Sont de même réquisitionnés un bâtiment princier, le Prinzenbau, pour servir de bâtiment administratif officiel, ainsi que trois hôtels pour une partie des Français collaborateurs qui les accompagnent, le tout sous le contrôle de la S.S. et de la Gestapo697. Par ailleurs, chaque personnalité française compte, à ses côtés, un représentant allemand chargé de le surveiller698. Quand l’administration princière se plaint à la police locale de Sigmaringen de comportements abusifs des Français par rapport aux normes relatives à la prévention des incendies dans le Prinzenbau, le Regierungspräsident, alerté par le maire de Sigmaringen, ne peut que demander à l’ambassade d’Allemagne d’agir, constatant que la 693 L’expression est reprise d’un témoin de l’époque : « De tous les côtés, dans les restaurants, pâtisseries, magasins, dans la rue, on n’entend que le français. Il est vrai que la colonie française avec tous les employés des ministères y est très forte. Tout le monde essaie d’apprendre l’allemand et les Allemands essaient d’apprendre le français » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 694 Karl Sebastian Regli, Consul suisse à Baden-Baden à Hans Frölicher, Ministre de suisse à Berlin, avec copie à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de BadenBaden le 16 novembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 695 Ordre de réquisition du Landrat du 7 septembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22. 696 Ordre de réquisition du Landrat du 7 septembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22 ; Robert Aron, Histoire de Vichy, 1940-1944, op. cit., p. 716 ; Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 89-90 ; Otto H. Becker, "Kriegsende und Besatzungszeit in Sigmaringen 1944-1945", Heimatkundliche Schriftenreihe des Landkreises Sigmaringen, Bd : 4, 1995, pp. 34ss. 697 Extrait de la communication confidentielle de la douane de Kreuzlingen à l’attention de Eduard von Steiger, chef du Département fédéral de justice et police, le 13 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. Un document local précise même l’organisation d’un service de protection des membres du « gouvernement français » à Sigmaringen : in Ordre du Regierungspräsident du 28 septembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 1922. 698 Audition de Fernand de Brinon, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Seizième audience, jeudi 9 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 289, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 189 police locale n’a pas le mandat d’intervenir sur un territoire extraterritorial699. Sigmaringen n’est pas pour autant un deuxième Vichy : il y fait froid, les conditions de logement, de chauffage et d’alimentation sont spartiates. Ceux qui n’ont pas l’opportunité de s’entasser dans les hôtels trouvent un logis de fortune dans des écoles, des gymnases ou la gare dans de pénibles conditions700, d’autant que nombre d’entre eux n’a pas de vêtements adaptés701. Au total, la « colonie française » compte plus de 1'600 personnes : environ 150 représentants ou anciens représentants du régime de Vichy, 250 civils, 400 miliciens et 800 réfugiés titulaires de permis officiels702. On compte parmi ces exilés plusieurs collaborateurs et leurs proches, dont le franciste Marcel Bucard et l’écrivain et médecin Céline. S’ajoutent au décompte près de 3'400 réfugiés non-français provenant de toutes les régions de l’Allemagne, ce qui fait que la population de Sigmaringen dépasse en 1944 le nombre de 10'000 personnes au total, alors qu’en 1939 elle comptabilisait moins de 5'700 habitants703. Quant au château de l’île de Mainau au bord du lac de Constance, cela fait plus d’un an qu’Albert Speer l’a loué à la famille Bernadotte (famille royale de Suède) pour y établir des officiers du Reich704. Il n’a jamais été utilisé à cette fin mais convient parfaitement pour accueillir la direction du P.P.F. et plusieurs collaborateurs. Cela ne correspond pourtant pas au projet initial de Jacques Doriot. Ce dernier est d’abord attaché à implanter le P.P.F. dans le Palatinat, à Neustadt-an-der-Weinstraße près de Heidelberg. Soutenu par l’Office central de la sécurité du Reich (le R.S.H.A.) de Heinrich Himmler et du Gauleiter 699 L’affaire est dénoncée à la police en décembre 1944 et transmise dans un rapport daté du 31 janvier 1945. Nous n’avons pas trouvé trace à ce jour de la réponse du bureau de Joachim von Ribbentrop, plus préoccupé nous semble-t-il par d’autres dossiers plus urgents que celui de rappeler à l’ordre les membres de la Commission qui ne prêtent suffisamment garde aux consignes de sécurité anti-incendie dans le Prinzenbau : cf. Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22. 700 On trouve de nombreux ordres de réquisition émis par le Ministère des affaires étrangères de septembre à mars 1945 dans les Staatsarchiv Sigmaringen, le plus tardif datant même du 9 avril 1945 : cf. Ho T 235 T 19-22. Ces mêmes documents témoignent en particulier d’épidémies de tuberculose. 701 Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A et Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 437. 702 Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 436. Par ailleurs, il importe de souligner que les grossesses et les naissances se multiplient : cf. Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 934. 703 Rapport du Regierungspräsident du 13 novembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22 ; Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 436. 704 Arnulf Moser, "Von der Organisation Todt zur französischen Exilregierung", Wochenblatt, 1999, consulté le 12 décembre 2015 sur http://www.wochenblatt.net/index.php?id=532 et, du même auteur, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 18. 190 Joseph Bürckel, Jacques Doriot désire y développer des actions clandestines notamment relatives à la propagande radio, à l’organisation d’un maquis collaborationniste en France et aux sabotages qu’il pourrait y effectuer705. Toutefois ses ambitions sont freinées par le Ministère des affaires étrangères de Joachim von Ribbentrop. Tant Otto Abetz, Joachim von Ribbentrop que Cecil von Renthe-Fink usent de leur influence pour que Jacques Doriot soit éloigné de Joseph Bürckel706. Malgré leur pression, Jacques Doriot refuse de déplacer le P.P.F. à Wilflingen : trop étroit pour ses centaines de fidèles et trop connoté politiquement, celui-ci ayant été réquisitionné suite à l’attentat manqué de Claus von Stauffenberg à l’encontre d’Adolf Hitler707. Sous la pression d’Adolf Hitler en personne, Jacques Doriot commande en fin de compte aux membres du P.P.F. qui le suivent de gagner Sigmaringen le 27 septembre 1944 et d’y former une délégation, pour y rester sur place avec Simon Sabiani708. Les délégués du P.P.F. restent alors à Sigmaringen jusqu’au 7 octobre 1944709 avant de s’établir à Mengen, à 12 kilomètres de Sigmaringen, quand l’ambassade allemande fait réquisitionner le Bayer Hôtel710. Ce n’est qu’à la mioctobre que la famille Doriot les y rejoint, quand, le 28 septembre, survient la mort de Joseph Bürckel, son soutien à Neustadt-an-der-Weinstraße, avant de s’installer officiellement au château de l’île de Mainau le 6 novembre 1944711. b) La disqualification de gouvernement en exil Après avoir qualifié juridiquement la présence des Français à Sigmaringen et Mainau (1), nous présenterons les constitutions des deux structures concurrentes (Commission gouvernementale de Fernand de Brinon et Comité de libération française de Jacques Doriot) (2), que nous qualifions non pas de structures gouvernementales mais d’entités politiques en exil à titre privé (3). 705 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 13-16. 706 Ibid., pp. 14-16. 707 Ibid., p. 15. 708 Le journal intime d’Alphonse Stoffels, interprète au bureau P.P.F. de Mengen et proche des familles Doriot et Sabiani, est un témoignage des pérégrinations des membres du P.P.F. : cf. Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4. 709 « Nous espérons (…) être arrivés au terminus de notre exode » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 710 « Espérons que nous ne bougerons plus et que nous pourrons rester à Mengen jusqu’à la fin de la guerre » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 711 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 13-20 ; Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 473. 191 1. La qualification juridique de leur présence Plusieurs réunions sont mises en place par le Ministère des affaires étrangères allemand pour définir et coordonner le langage gouvernemental concernant les expatriés français et ses rapports avec ceux-ci. Cette question politique, mais aussi juridique, nécessite de l’attention ; c’est pourquoi plusieurs rencontres interministérielles ont lieu à Berlin du 25 août 1944 au 5 janvier 1945712. Il ressort de ces colloques que le Reich décide de ne pas considérer les Français nouvellement arrivés sur son territoire comme des « réfugiés » (Flüchtlinge) mais comme des « repliés » (en français dans le texte), des « adhérents à la collaboration » (Collaborations-Anhänger) ou des « Français d’Europe » (EuropaFranzosen)713. Une des conséquences de ce travail terminologique se dévoile au travers de la décision du Reich de modifier l’intitulé de la Délégation française pour la défense des intérêts nationaux en Allemagne. Constituée le 6 septembre 1944, jour-même de la libération de Dijon par l’armée dirigée par Jean de Lattre714, elle n’existe sous ce nom que 21 jours, car le 27 septembre 1944, le gouvernement allemand lui demande précisément de prendre le nom de « Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux »715 ou Regierungskommission für die Verteidigung der nationalen Interessen716. Ce changement de titre ne saurait être anodin. Il révèle une fois encore le rapport de force entre Allemands et Français collaborateurs, les membres de la Délégation ne décidant même pas le nom de la structure qu’ils forment. En la renommant Commission gouvernementale, le gouvernement allemand signifie qu’il entend l’entité présidée par Fernand de Brinon comme étant mandatée par Philippe Pétain et son gouvernement. Un avis juridique allemand sur la nature de la Commission gouvernementale pour la défense des intérêts nationaux est émis en ce sens le 24 novembre 1944, le gouvernement allemand considérant formellement la Commission 712 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 10-11. 713 Ibid., p. 11. 714 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 98-145. 715 La France n°1, 26 septembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen ; Report from the Japanese Ambassador Mitani, 7 novembre 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, HW1 / 3343 C 300489 ; voir de même la Note du dossier de la Haute Cour, retranscrite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 113. 716 Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 430. 192 comme faisant partie du gouvernement légal de l’Etat français717. Tout porte alors à croire qu’il s’agit d’un repli gouvernemental hors des frontières de l’Etat. Cette interprétation n’est pas convaincante, d’autant qu’elle n’a, en fin de compte, que peu d’impact sur le plan stratégique, les projets doriotistes prenant progressivement le pas sur ceux de la Commission, comme nous allons le démontrer ci-après. En outre, les efforts terminologiques berlinois n’ont que peu d’effet sur le plan local, les autorités sur place continuant de qualifier indistinctement les Français de Sigmaringen comme des « réfugiés »718. De surcroît, le Ministère des affaires étrangères du Reich fait savoir dans les médias internationaux qu’il respecte la légalité internationale et considère Philippe Pétain comme le chef légal de l’Etat français719. Pour prouver qu’il ne procède pas officiellement à une limitation de l’exercice de souveraineté du chef de l’Etat et de ses ministres, le Reich prend plusieurs décisions officielles. D’abord, il déclare l’extraterritorialité tant du château de Sigmaringen que de sa dépendance, le Prinzenbau. Ensuite, la garde allemande y est remplacée par la garde des miliciens français720. Il en va de même à Mainau, où les hommes du P.P.F. sont les seuls gardes armés721. Pour le reste, à Sigmaringen, le service d’ordre est assuré par l’Office central de la sécurité du Reich, le R.S.H.A.722. En outre, il désigne l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris comme ambassadeur auprès de la Commission723. Les archives locales gardent des traces de la cérémonie des couleurs faisant régulièrement flotter le drapeau français sur le château de Sigmaringen le 8 puis le 17 717 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 11. 718 Cf. les nombreux ordres de réquisition pour concernant les « Französische Flüchtlinge » : in Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22. 719 “Auf Anfrage wird in der Wilhelmstraße erklärt, daß Marschall Pétain nach wie vor der legale französische Staatschef sei.” : in Neue Zürcher Zeitung du 16 octobre 1944, n°1757, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 (notre traduction). 720 « Le Château est gardé par la Milice. » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 721 Message du Groupe du Lac de l’Etat-major de l’armée suisse à Pierre Bonna, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, du QG, le 15 décembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 722 Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, op. cit., p. 647. 723 « L’administration française est installée dans un grand bâtiment genre Ministère. » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 193 septembre 1944724. Toutefois, c’est la cérémonie médiatisée des couleurs du 1er octobre 1944 qui retient l’attention, car c’est celle qui officialise avec faste l’extraterritorialité du château et du Prinzenbau en présence de l’ambassadeur Otto Abetz et des autorités allemandes725. Nonobstant l’absence de Philippe Pétain et de Pierre Laval, Fernand de Brinon clame un discours fort en symbole, affirmant que grâce à Adolf Hitler les « Français qui travaillent pour leur Patrie demeurent en France […] à côté du Maréchal, seul chef légitime de l’Etat français »726. Pour reconnaître diplomatiquement l’extraterritorialité du mince territoire et, partant, la Commission comme représentante de l’Etat français, sont présentes non seulement la légation allemande sous l’autorité d’Otto Abetz, mais aussi celle du Japon par la personne de Takanobu Mitani et celle de la République de Salò par l’ancien consul italien à Nancy, Mario Longhini727. Afin de qualifier en droit le statut de la présence et de l’activité relative des expatriés français, il nous faut clarifier les normes relatives à la légalité du refuge. Est-il possible juridiquement de qualifier le gouvernement du régime de Vichy comme un gouvernement en exil dont la mission est de conserver et de représenter l’Etat hors de son territoire ? Comme nous l’avons identifié, à partir du 20 août 1944, les statuts de Philippe Pétain et de Pierre Laval sont ceux d’un chef de l’Etat et d’un chef de gouvernement français empêchés d’exercer leurs fonctions, du fait de la contrainte qu’exerce l’occupant sur leurs personnes. Selon leur propre conception, ils sont encore dépositaires de la souveraineté française tant qu’ils n’ont pas démissionné ou qu’ils n’ont pas été renversés. La première 724 « Cette pieuse cérémonie, qui maintient la permanence de la souveraineté française, ranime chaque dimanche dans les cœurs de ceux qui en sont les témoins, l’espoir du retour et de la résurrection nationale. » : in La France, n°5, lundi 30 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. En se fondant sur le journal de Maximilian Schaitel, témoin de l’époque, conservé aux Staatsarchiv de Sigmaringen, Marc Herwig retient la cérémonie du 8 septembre 1944 : Marc Herwig, "Trikolore über dem Schloss : Sigmaringen als Hauptstadt Frankreichs", Südwest Presse, 8 septembre 2014, consulté le 2 décembre 2015 sur http://www.swp.de/ulm/nachrichten/suedwestumschau/Trikolore-ueber-dem-SchlossSigmaringen-als-Hauptstadt-Frankreichs;art4319,2782116 ; Otto H. Becker retient pour sa part la date du 17 septembre 1944 comme celle de la première cérémonie : Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 434. 725 Report from the Japanese Ambassador Mitani to the Japanese Ministry of Foreign Affairs, 24 novembre 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, HW1 / 3343 C 300489 – French Quislings in Germany ; « Des soldats français montent la garde et tous les ordres sont donnés en français » : in "La situation du Maréchal Pétain décrite par le Corriere della Sera", La Gazette de Lausanne, 19 décembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 726 Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 115 ; Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 100-103. 727 Marino Viganò, Il Ministero degli affari esteri e le relazioni internazionali della Repubblica sociale italiana (1943-1945). Milan : Edizioni universitarie Jaca, 1991, p. 187 ; Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 434 ; Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, op. cit., p. 647. 194 hypothèse n’est pas corroborée par les faits : Philippe Pétain et Pierre Laval persistent à se considérer prisonniers. Ils ne sauraient faire usage de leurs prérogatives et exprimer des intentions en émettant des actes liant l’Etat. Il n’y a donc aucun élément juridique qui permette de conclure qu’ils représentent le gouvernement de la France en exil. Or qu’en est-il de la seconde hypothèse ? Pour évaluer si le processus opéré par le gouvernement provisoire est à considérer comme un renversement de régime issu de sa victoire dans le cadre de la guerre civile, il nous faut établir si les statuts du chef de l’Etat et du gouvernement sont ceux de chefs déchus, qui perdraient de fait leurs titres et représentativité. Dans ce cas de figure, ils ne sauraient, dès lors, non plus représenter de gouvernement en exil. Pourtant, pour qualifier ce renversement de régime et donc ce renversement de source de souveraineté, il faudrait identifier des éléments tangibles en droit qui font encore défaut en cette période de transition. La reconnaissance de la majeure partie des Etats tiers en serait une première étape, dans l’attente de la mise en place de nouvelles institutions et d’un nouveau régime politique soutenu par la volonté populaire, ce qui ne pourra être réalisé qu’en novembre 1945. Nous sommes donc ici face à ce que l’on pourrait appeler une aporie juridique : bien que l’Etat français persiste, n’ayant pas été annexé, le prime dépositaire de la souveraineté, c’est-à-dire le gouvernement légal anciennement investi, perd de fait son titre parce qu’il continue à se considérer empêché par l’ennemi, qu’il est hors du territoire national et qu’une autorité de fait concurrente administre de manière autonome la majeure partie du territoire de l’Etat. Comme il ne l’a pas transmis, ce titre s’éteint. L’évaporation du titre de la souveraineté dure dès lors jusqu’à nouvelle émission de dépôt. L’épisode de Sigmaringen, méconsidéré en histoire du droit, est, à notre sens, tout à fait révélateur de ce cas limite en droit interne comme en droit international qui veut que l’Etat persiste sans gouvernement. En droit interne de l’époque, aucune disposition ne prévoit le fait que l’Etat ne soit pas représenté par un gouvernement. En droit international, sans gouvernement, la France ne perd pas en principe son existence juridique mais est dénuée pour un temps de sa capacité à agir sur le plan international728. Le 19 août 1944, la France est un Etat en guerre internationale et en guerre civile qui dispose d’un gouvernement légal décrié par une autorité de fait soutenue par ses alliés. Du 20 août au 7 septembre 1944, elle est un Etat en guerre internationale et en guerre civile avec un gouvernement empêché et une autorité de fait qui gagne en influence sur le terrain. Dès 728 Manfredi Siotto Pintor, "Les insurgés reconnus comme belligérants. Les gouvernements de fait. Les groupements nationaux (tribus, minorités, populations sous mandat). Les organisations internationales. L'individu (041)", Collected Courses of the Hague Academy of International Law, Hague Academy of International Law, vol. 41, Brill / Nijhoff, Leiden / Boston, 1932, p. 91. 195 le 7 septembre 1944, la qualification s’affine : elle est un Etat dont les chefs d’Etat et de gouvernement sont faits prisonniers sur le territoire de l’ennemi et qui est en proie à deux nouvelles tentatives parallèles de coup d’Etat. Il s’agit, d’une part, de la tentative de coup d’Etat d’une autorité de fait qui administre la majeure partie du territoire et, de l’autre, de celle de politiciens cherchant à réclamer depuis l’extérieur leur représentativité par le biais d’une délégation que le chef de l’Etat ne peut émettre. Rappelons, en l’espèce, que si les personnalités du régime de Vichy sont contraintes de partir, elles ne trouvent pas refuge au sein de leur propre territoire, celui d’un Etat neutre ou d’un Etat allié, comme cela a pu être le cas de tous les autres gouvernements en exil préexistants. Les membres du gouvernement sont captifs en Allemagne et ils ne fuient pas une occupation ennemie du territoire729. Or, en droit international de l’époque, les trois éléments constitutifs de l’exil pour un gouvernement sont une invitation du souverain territorial, un consentement à s’exécuter et une reconnaissance internationale730. Or, le gouvernement allemand ne convie pas le gouvernement du régime de Vichy sur son territoire. Au contraire, il le contraint, tant formellement que dans les faits. Le fait que l’Allemagne déclare l’extraterritorialité du territoire du château et de la bâtisse princière de Sigmaringen ne saurait masquer la réalité : le chef de l’Etat et le chef du gouvernement ne cessent de se déclarer empêchés d’exercer leurs fonctions par le Reich. Juridiquement, ils sont effectivement maintenus en otages et déplacés sur le territoire ennemi. Si le château et le Prinzenbau sont, par le biais d’un subterfuge, formellement sur territoire français, ce n’est que par la seule volonté de l’Allemagne, ennemie de la France, et avec le consentement d’individus se prétendant représentants de l’Etat français sans délégation officielle, dans un contexte de guerre internationale. Effectivement, si les chefs de la collaboration consentent à être présents sur le territoire allemand proprio motu, ils ne sauraient toutefois représenter le gouvernement de la France. On ne peut pas non plus considérer en droit interne la Commission gouvernementale comme constituant un ème 729 Retenons la définition de l’occupation par l’article 42 de la IV Convention concernant les ème Conférence internationale de la Paix, La lois et coutumes de la guerre sur terre : cf. II Haye 15 juin - 18 octobre 1907, Actes et Documents, La Haye, 1907, vol. 1, pp. 626-637 selon lequel : « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie. L'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer ». L’occupation allemande a bien eu lieu, mais en 1940 partiellement puis totalement en 1942 et disparaît quand le gouvernement quitte Vichy, puis Belfort. De plus, l’avancée des troupes américaines, anglaises et des Forces affiliées à la Résistance n’est pas assimilable à une occupation ennemie. 730 Ces conditions sont énumérées par le General Attorney britannique dans l’affaire Armand en 1941, High Court of Justice, King’s Bench Division, n°2/239, qui les considère réunies dans le cas du gouvernement des Pays-Bas souverain exilé au Royaume Uni, comme l’indique Maurice Flory, Le statut international des gouvernements réfugiés et la cas de la France Libre 1939-1945, op. cit., p. 17. 196 gouvernement légal, et cela pour deux raisons. La première est que le représentant de la Commission, Fernand de Brinon, n’est jamais expressément nommé comme chef de gouvernement par le chef de l’Etat731. Ensuite, les actes constitutionnels ne prévoient aucunement le cas de figure où Pierre Laval et Philippe Pétain se trouveraient conjointement empêchés732. La seule condition très partiellement remplie est celle de la reconnaissance internationale, par le biais des Etats constituant l’Axe : Allemagne, Japon et République de Salò. Cependant, ces représentations ne sauraient masquer leur caractère limité et symbolique733. En conclusion de ce qui précède, nous considérons que la présence de la colonie française n’est pas assimilable à l’existence d’un gouvernement en exil. Nous ne sommes pas non plus en présence d’un gouvernement en fuite, mais plutôt d’anciens gouvernants assignés à résidence accompagnés par une assemblée hétérogène d’individus présents à titre privé et politique. 2. La Commission gouvernementale v. le Comité de libération française Mus par un mélange d’opportunisme politique et de la volonté du gouvernement allemand, les « ultras » de la collaboration s’organisent et fondent deux entités concurrentes : d’abord la Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux (2 – a) puis le Comité de libération française (2 – b). 2 – a La Commission gouvernementale La Commission gouvernementale française pour la défense des intérêts nationaux compte cinq membres. Son président, Fernand de Brinon, en assume la coordination interne ainsi que sa représentativité auprès du Reich. Marcel Déat est nommé délégué à 731 En fonction de l’Acte constitutionnel n°11 du 18 avril 1942 : consulté sur http://mjp.univer perp.fr/france/co1940.htm#11, le 1 décembre 2015. 732 Acte constitutionnel n°4 quinquies du 17 novembre 1942, relatif à la suppléance et à la succession du chef de l'État : consulté sur http://mjp.univ-perp.fr/france/co1940.htm#11, le er 1 décembre 2015. 733 Ainsi, le bureau de la légation japonaise est réduit à son strict minimum (un ambassadeur, un secrétaire et un chancelier), ce qui motive l’ambassadeur à confier : « there is practically no opportunity here for me to carry out my functions » : in Account of the position of French and German leaders and Japanese representative in Sigmaringen, Japanese M.A. Berlin forwards an account of French Politics from the Attache in France, 30 octobre 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, HW1 / 3303 C 300489. 197 la solidarité nationale et à la protection des travailleurs français en Allemagne, Eugène Bridoux devient délégué à la protection des prisonniers de guerre et Jean Luchaire, commissaire à l’information et à la propagande. Quant à Joseph Darnand, il prend le rôle de délégué à l’organisation des forces nationales à la tête de la Milice, de la L.V.F. et des forces françaises de la Waffen-S.S. Il semble que la Commission assume le caractère de « gouvernement provisoire »734 sur lequel mise le Reich. Elle entend d’ailleurs respecter les formes et s’opposer au gouvernement provisoire de la France Libre en publiant officiellement ses actes dans son journal La France735. Par ailleurs, elle tient à garder l’image d’une structure fidèle à son chef de l’Etat. Ainsi, conformément aux recommandations d’Adolf Hitler à Rastenburg, les membres de la Commission font savoir qu’ils considèrent que « le Maréchal de France reste le seul détenteur du pouvoir légal » et que leur intention et de demeurer à ses côtés736. C’est en ce sens que Fernand de Brinon adresse un « Appel à tous les Français » par l’intermédiaire de la presse allemande afin de présenter ce qui s’appelle alors la Délégation : « Appel à tous les français Le Chef de l’Etat français, le maréchal Pétain, s’est rendu de Belfort en Allemagne, pour la défense des vrais intérêts du peuple français contre les usurpateurs gaullistes et les exploiteurs anglais et américains du peuple français. Se prévalant de la qualité de Délégué général du Gouvernement français, qui lui a été attribuée par le chef de l’Etat, l’ambassadeur de Brinon a entrepris la constitution d’une ‘Délégation gouvernementale française pour la Défense des intérêts nationaux’ : A cette Délégation française, appartiennent : - Le Ministre du Travail, Déat, comme délégué pour la Solidarité nationale et la protection des travailleurs français en Allemagne. - Le secrétaire d’Etat à l’Intérieur et au maintien de l’ordre, Joseph Darnand, comme délégué à l’organisation des forces nationales de la Milice, de la Légion des Volontaires contre le bolchévisme, des Waffen S.S. français. 734 Selon l’expression de Gérard-Trinité Schillemans, Philippe Pétain, le prisonnier de Sigmaringen, op. cit., p. 142. 735 « Vu les articles premiers et suivants et Code civil, vu l’ordonnance du 27 novembre 1816 concernant la promulgation des lois et ordonnances et les textes subséquents qui l’ont modifiée et complétée, la Commission Gouvernementale pour la défense des Intérêts Nationaux décrète : Article 1 : Tous les textes législatifs, décrets, règlements et arrêtés seront promulgués par l’insertion au journal la France. Cette promulgation tiendra lieu d’insertion au Journal officiel de l’Etat français. Article 2 : Les textes susvisés seront obligatoires pour l’ensemble des ressortissants français sur toute l’étendue du territoire allemand, dix jours après leur promulgation à Sigmaringen. Sigmaringen, le 28 octobre 1944, Signé : Fernand de Brinon » : in La France, 26 février 1945, Staatsarchiv Sigmaringen. 736 La France, n°1, 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 198 - Le secrétaire d’Etat à la Défense, général Bridoux, comme délégué à l’Information et à la Propagande. L’ambassadeur de Brinon, en prenant ses fonctions, a adressé un appel à tous les Français ; dans cet appel, il insista sur le fait que le chef de l’Etat français, le maréchal Pétain, demeure le seul détenteur du pouvoir légal français. Les intérêts français, détenus pendant quatre ans par les Autorités du Maréchal, continuent encore à être sous sa protection. L’ambassadeur de Brinon affirma enfin que ce serait sa tâche et celle de ses collaborateurs de maintenir les intérêts de son pays. Son appel se termina par ces mots : « Vive la France, Vive le Maréchal ! ». Alors que le Comité de Gaulle n’est reconnu ni par le peuple français, ni par les soi-disant alliés et que la France s’engage dans la guerre civile et le chaos bolchévique, le maréchal Pétain et la Délégation gouvernementale française demeurent les seuls défenseurs des intérêts légaux et nationaux de la France. »737 Le journal La France, organe de presse de propagande de la Commission, le formule explicitement dans son article "Le seul pouvoir légitime français" du 27 octobre 1944 : « La « Délégation française » pour la Défense des Intérêts Nationaux a changé tout récemment son appellation en « Commission Gouvernementale Française pour la Défense des Intérêts Nationaux ». A ce sujet, l’un des nouveaux Commissaires Généraux a déclaré : « Le terme de « Délégation » était, à l’usage, apparu équivoque. Il n’indiquait pas assez expressément, en effet, que notre organisme et ses membres étaient d’essence ministérielle et gouvernementale. Une délégation de pouvoirs peut être détenue par de simples fonctionnaires, ce qui est effectivement le cas des préfets qui exercent encore leurs fonctions dans la zone du territoire français non occupée par les AngloAméricains. Le terme « Commission Gouvernementale » traduit d’ailleurs plus exactement l’expression allemande « Regierungsausschuss ». La situation est désormais parfaitement claire. La Commission Gouvernementale, présidée par l’ambassadeur de Brinon dont la délégation personnelle a été confirmée par le consentement du Maréchal Pétain, Chef de l’Etat Français, est reconnue par l’Allemagne. Son siège et celui de ses services essentiels jouissent des privilèges de l’extraterritorialité. Le Japon et l’Italie ont auprès de la Commission Gouvernementale des représentants diplomatiques accrédités. En bref, la Commission Gouvernementale est chargée de défendre les intérêts français non seulement en Allemagne, mais en France et dans le monde. Elle détient et exerce à cet effet la plénitude théorique des pouvoirs gouvernementaux, qui sont simplement limités par les circonstances de guerre et par la nécessité provisoire du séjour en territoire allemand. Les pouvoirs de la Commission ne sont nullement la somme des pouvoirs particuliers de ses membres selon la situation de chacun de ses membres par rapport au gouvernement qui siégeait précédemment à Vichy, mais bien les pouvoirs du seul gouvernement 737 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 98-99 ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 113. 199 légitime de la France. Et elle usera en pleine légalité, une légalité française qui n’existe nulle part ailleurs. »738 Cette déclaration est à mettre en parallèle avec le discours de Marcel Déat devant des membres du R.N.P. à Sigmaringen dans l’exemplaire de La France daté du même jour : « Nous ne sommes plus en France, déclare Marcel Déat, en martelant ses mots, nous sommes en Allemagne. Disons tout de suite que nous n’y sommes pas comme des vaincus, ni comme des gens qui ont abandonné leur pays et rompu à tout jamais ses liens avec lui. […] Nous sommes venus ici avec l’intention de retourner en France le plus vite possible, pour y reprendre le combat et le mener jusqu’à la victoire. […] Nous sommes donc en Allemagne et d’abord le Gouvernement français est en Allemagne. Il ne doit y avoir de méprise de quiconque, aucune équivoque sur la situation. Il y a assez d’esprits subtils et mal intentionnés pour essayer de répandre des doutes sur la légalité du Gouvernement français. En réalité, le drapeau français flotte sur le château et ses les bâtiments ministériels, l’extraterritorialité a été obtenue pour divers bâtiments. Ces symboles suffisent pour prouver que le Gouvernement français est habilité à connaître et à résoudre toutes les questions qui se posent à l’occasion de la présence des travailleurs français et des prisonniers en Allemagne. La Commission gouvernementale remplace le Conseil des ministres et est chargée des intérêts français dans le Reich et dans le monde. »739 De retour en France et dans les conditions du procès de Philippe Pétain, les membres de la Commission reconnaissent pourtant que ce dernier n’a jamais donné son assentiment à la création de la Commission et qu’elle n’est pas l’émanation du gouvernement français, à l’instar de Joseph Darnand qui, pour répondre au premier président Mongibeaux qui lui demande « quelques mots sur l’organisation de cette délégation ou de ce gouvernement fantôme qui s’était constitué à Sigmaringen », confie que Philippe Pétain « ne s’est jamais occupé de la Commission gouvernementale en Allemagne »740. Fernand de Brinon précise de même à la barre du même tribunal : « Ce n’était pas un gouvernement, Monsieur le président, bien loin de là, j’ai toujours moi-même protesté contre cette définition. »741 Explicitant les contours de sa position, Fernand de Brinon indique : 738 "Le seul pouvoir légitime français", La France, n°2, vendredi 27 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 739 La France n°2, 27 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 740 Audition de Joseph Darnand, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Seizième audience, jeudi 9 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 290-291, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 741 Audition de Fernand de Brinon, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Seizième audience, jeudi 9 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 288, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 200 « Le Maréchal, je le répète, n’a pas donné son assentiment, parce qu’il avait renoncé à tous ses pouvoirs de chef de l’Etat, à la constitution de la Commission pour la défense des intérêts français en Allemagne. »742 Ce que Fernand de Brinon ne précise pas, c’est que Philippe Pétain conteste avoir jamais donné son consentement à la création de la Commission, après la lecture de l’article "Le seul pouvoir légitime français" du journal La France préalablement cité. Il dégrade Fernand de Brinon lui demandant de s’abstenir « de porter l’insigne de la francisque »743. La marge de manœuvre est donc étroite et la Commission entend conduire sa politique dans cet interstice : elle affirme détenir sa légitimité d’une précédente délégation donnée par le chef de l’Etat à son président, tout en justifiant le fait de ne pas avoir reçu de soutien formel par l’incapacité dans laquelle Philippe Pétain est d’émettre quelque acte officiel. Les protestations non relayées de Philippe Pétain n’arrêtent pas la Commission. Elle continue de se réclamer héritière de son charisme et de son ancienne position. Pour la Commission, le droit n’est alors qu’un instrument de forme qui permet d’arriver à des fins politiques. Avec ce stratagème, ses membres entendent parier sur le futur, comme le formule Marcel Déat : « L’Etat français n’est peut-être plus qu’un fantôme en exil, mais nous devons donner à ce fantôme une allure vivante, le faire parler, agir et figurer, en réservant l’avenir »744 Ce pari sur le lendemain est foncièrement lié à celui de l’Allemagne. En droit interne, aucun argument convaincant ne permet de considérer que la Commission est représentative du gouvernement du régime de Vichy. Juridiquement, en effet, elle n’existe et n’est active que par la volonté du Reich. D’ailleurs, concernant ses moyens financiers, la Commission gouvernementale est financée par des crédits allemands ou, plus précisément, par le solde du clearing franco-allemand, résultat de quatre années de pillage, qui s’élève officiellement à la fin de l’occupation à plus de 160 milliards de francs français de l’époque, soit plus de 8 milliards de Reichsmarks745. Ainsi, la Commission 742 Audition de Fernand de Brinon, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Seizième audience, jeudi 9 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 289, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 743 Note de Philippe Pétain à Fernand de Brinon, de Sigmaringen, le 29 octobre 1944, reproduite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 137-138. 744 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 875. 745 Lettre de Fernand de Brinon à Philippe Pétain, de Sigmaringen, le 2 octobre 1944, retranscrite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 118-119 ; Otto Abetz, D’une prison. Paris : Amiot Dumont, 1949, p. 66 et, du même auteur, Histoire d'une politique franco-allemande : 1930-1950 : mémoires d’un ambassadeur, op. cit., p. 287. Voir 201 profite du fait que l’Allemagne, désireuse de respecter un légalisme formel, renouvelle les accords de clearing sous l’occupation et lui accorde une partie de cette somme afin qu’elle bénéficie de fonds soi-disant propres746. En l’occurrence, soumise aux différentes autorités allemandes dont les intérêts et les procédures divergent, il est patent que la Commission n’en comprend pas tous les arcanes, entre les services administratifs généraux et locaux, de renseignement, de police politique, de police locale, militaire, les services du N.S.D.A.P. et du Gauleiter747 : « On ne sait jamais qui commande en fin de compte, qui supervise effectivement, ni qui il faut consulter au juste quand une difficulté surgit. […] les branches administratives sont rivales et concurrentes. »748 Cet antagonisme limite la Commission qui ne parvient pas à développer ses activités. Par ailleurs, le gouvernement allemand freine grandement ses ambitions d’obtenir des postes de trop grande influence, à l’instar de l’action de Heinrich Himmler qui empêche Joseph Darnand d’intégrer les éléments de la Milice dans la Waffen-S.S et de parvenir à diriger la division Charlemagne749. En interne, la Commission rencontre également en son sein des freins qui la paralysent. Ainsi, quand Fernand de Brinon suggère à Marcel Déat et à Eugène Bridoux que les services de Gaston Bruneton et de Georges Scapini soient regroupés à Sigmaringen750, ses vœux ne sont pas exaucés car ces derniers se méfient de la Commission751. Il est dès lors patent que l’opacité et les contradictions ne sont pas l’apanage des services allemands. L’ambassade japonaise souligne à ce propos que les Allemands éprouvent de la difficulté à soutenir la Commission : de même la Note concernant l’ambassadeur Scapini élaborée au Consulat Suisse de Berlin à l’attention de Pierre Bonna, Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, du 16 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 qui fait mention de 162 milliards de francs. 746 Voir Sylvain Schirmann, Les relations économiques et financières... pour l'Histoire économique et financière de la France. Paris : Imprimerie nationale, 1995 ; Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutschfranzösischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 31-32. 747 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., pp. 896-900. 748 Ibid., p. 913. 749 National Archives HW1 / 3343 C 300489 – report from the Japanese Ambassador, Mitani – 7 novembre 1944. Voir de même Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, 1939-1945. Paris : Laffont, 1993, t. 10, p. 355-357 ; Karl Sebastian Regli, Consul suisse à Baden-Baden à Hans Frölicher, Ministre de suisse à Berlin, avec copie à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, de Baden-Baden le 28 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 750 Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, op. cit., p. 648. 751 Voir le paragraphe B a, dans la présente section, ci-après. 202 « En effet, ils ne se risquent pas à soutenir le gouvernement fantôme […]. On peut constater qu'ils sont conscients de devoir porter un poids mort. »752 Les écueils auxquels se heurte la Commission sont aussi soigneusement construits par les velléités concurrentielles de Jacques Doriot. Soutenu par le R.S.H.A. et le Ministère des affaires étrangères du Reich, il entend s’opposer à l’autorité de la Commission dès le mois de septembre 1944. Fernand de Brinon s’insurge et refuse de se soumettre quand Cecil von Renthe-Fink, mandaté par Joachim von Ribbentrop, lui demande d’accepter le fait que Jacques Doriot sera chef de gouvernement753. Marcel Déat résume la position radicale de la Commission qui ne veut point céder son rang : « Notre position juridique est forte. Nous sommes reconnus par Hitler qui n’a certainement pas donné son adhésion au projet final de Ribbentrop. Nous sommes, qu’on le veuille ou non, une émanation du gouvernement régulier et à l’ombre de ce Maréchal qu’on ne peut tout de même pas effacer d’un coup devant la gloire montante de Doriot. »754 Cette vision ne peut toutefois convaincre : comme nous l’avons établi, le statut juridique de la Commission est celui d’une structure politique non gouvernementale soutenue par la volonté du gouvernement allemand et qui regroupe certaines personnalités du gouvernement du régime de Vichy sans participation de ses anciens chefs d’Etat et du gouvernement. A ce stade, la rivalité de l’organisation de Jacques Doriot est encore balbutiante. Or, le gouvernement allemand ne tarde pas à choisir de la soutenir aux dépens de la Commission. 2 – b Le Comité de libération française Il est attesté que Jacques Doriot rencontre Heinrich Himmler le 18 septembre 1944 pour prévoir un plan axé tant sur l’aspect de la propagande que sur celui de l’organisation militaire755. Heinrich Himmler n’est pas encore celui qui compte, en novembre 1944, négocier une paix séparée avec les Etats-Unis. Il est combatif et sa radicalisation 752 « Indeed they do not venture to support the shadow government […]. One can see that they are conscious of having had to carry a dead weight » : Account of the position of French and German leaders and Japanese representative in Sigmaringen, Japanese M.A. Berlin forwards an account of French Politics from the Attache in France, 30 octobre 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, HW1 / 3303 C 300489 (notre traduction). 753 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 14. 754 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 924. 755 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 20-21. 203 correspond à celle de Jacques Doriot qu’il appuie. Le projet du Comité de libération française de Jacques Doriot est ainsi le produit du soutien du R.S.H.A. Certes, il est, dans un premier temps, l’objet de tensions entre Heinrich Himmler et Joachim von Ribbentrop, ce dernier critiquant l’illégalité du Comité. Jacques Doriot a déjà tenté par divers moyens de constituer son gouvernement révolutionnaire, en rencontrant en particulier Joachim von Ribbentrop à Rastenburg, sans toutefois réussir à imposer son agenda756. L’argument de légalité est un enjeu entre le R.S.H.A. et le Ministère des affaires étrangères ; pourtant, Joachim von Ribbentrop757 finit par céder et soutenir la création du Comité. A cette fin, il installe aux côtés de Jacques Doriot un de ses représentants, Otto von Reinebeck758. Mainau est alors prêt à éclipser Sigmaringen, comme le résume Marcel Déat qui entend s’y opposer : « La discorde qu’il y avait eue entre Doriot et le gouvernement de Vichy eut sa réplique sur le sol allemand ; les idées fascistes et nationalsocialistes étaient plus accessibles aux membres de la Commission gouvernementale française qu’à Laval et à ses ministres. […] Le but de Doriot était de supprimer la Commission gouvernementale française et de la remplacer par un Comité de libération française qu’il eût dirigé ; il était en cela appuyé par Himmler, Goebbels, et différents gauleiters particulièrement par Bürckel et Sauckel. J’estimais pour ma part que le Comité de libération avait à s’occuper des émigrés politiques français, au nombre de dix mille et plus, mais qu’il était plus opportun de laisser à la délégation, politiquement neutre, constituée par le gouvernement de Vichy, le soin de représenter les intérêts d’un million de prisonniers de guerre et ceux des cinq cent mille ouvriers français. »759 Lucide, Jacques Doriot sait que Philippe Pétain refuse d’avaliser les ambitions gouvernementales de Fernand de Brinon760. Dans un rapport sur la situation militaire qu’il lui adresse, il conseille à Philippe Pétain de ne pas utiliser l’argent du clearing et lui indique son projet de le faire revenir à la tête de l’Etat quand ses forces auront gagné Paris. Il lui confie que son objectif est de constituer un gouvernement de transition présidé par lui que Philippe Pétain pourra reconnaître761. Cette approche démontre la ferme volonté de Jacques Doriot de se présenter comme alternative à la Commission sans pour autant attendre de l’ancien chef de l’Etat un blanc-seing. Son but est limpide : il envisage 756 Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., pp. 408-412. 757 Qui n’est plus guère consulté par Adolf Hitler à partir de l’été 1944, d’après Ian Kershaw, La fin, Allemagne 1944-1945. France : Seuil, 2012, p. 45. 758 Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 759 Otto Abetz, Histoire d'une politique franco-allemande : 1930-1950 : mémoires d’un ambassadeur, op. cit., p. 333 760 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 22. 761 Ibid., p. 20. 204 de prendre d’abord le pouvoir, quitte à le régulariser par la suite quand ses forces seront victorieuses sur le terrain. Jacques Doriot dévoile le fait qu’il n’est pas une personnalité politique qui s’appuie sur les intrigues internes mais un chef paramilitaire porté par de hautes ambitions politiques qui veut imposer une nouvelle légalité. Dès mi-décembre 1944, suite à la reprise de confiance que l’offensive des Ardennes permet de gagner du côté du Reich, le Ministre des affaires étrangères accepte de privilégier le projet de Comité de Jacques Doriot au détriment de la Commission762. Par voie de conséquence, le 23 décembre 1944 Joachim von Ribbentrop destitue de ses fonctions Otto Abetz, qui a échoué à rapprocher Pierre Laval et Philippe Pétain de la Commission763. Joachim von Ribbentrop remet à Otto Reinebeck la direction de l’ambassade d’Allemagne à Sigmaringen avec la mission de faire en sorte que la Commission s’efface devant le Comité764. Le Ministère des affaires étrangères allemand cherche alors à s’installer dans un hôtel de Constance765. Quant à Cecil von Renthe-Fink, il est remplacé par Kurt von Tannstein, un jeune diplomate inexpérimenté, et Pierre Laval est écarté, avec Maurice Gabolde, Charles Rochat, Jacques Guérard et Paul Marion, dans le château de Wilflingen réquisitionné pour raison d’Etat que Jacques Doriot refusait plus tôt766. Le gouvernement allemand redistribue les cartes qu’il a réparties quelques mois plus tôt. 762 « Doriot est en train de former le nouveau gouvernement pour aussitôt qu’une parcelle de notre pays sera libéré. Les Allemands ont décidé cette fois-ci de lui confier la constitution du nouveau Gouvernement français. Au château réside également l’ambassadeur allemand Otto von Reinebeck et sa suite auprès du Gouvernement français et qui accompagnera le Gouvernement quand il rentrera en France » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 763 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 217. 764 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 921 ; Otto Abetz, Histoire d'une politique franco-allemande : 1930-1950 : mémoires d’un ambassadeur, op. cit., p. 333 ; Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, op. cit., p. 663. Dans les documents transmis par Walter Stucki, on trouve mal orthographié le nom du représentant du Ministère des affaires étrangères allemand « von Rheinebeck » : in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 765 Message du Groupe du Lac de l’Etat-major de l’armée suisse à Pierre Bonna, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, du QG, le 15 décembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 766 Rapport du Regierungpräsident du 31 janvier 1945, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22 ; Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 23. 205 Le 6 janvier 1945 est la date de la création officielle du Comité de libération française767. Sa stratégie est de créer des comités locaux de contre-résistance en France et de préparer la formation des militants et propagandistes en Allemagne. A ce jour, l’origine des fonds qui soutiennent le P.P.F. et le Comité de libération reste floue768 ; tout au plus pouvons-nous supposer que le Reich appuie le Comité par des fonds secrets de diverses origines, gérés notamment par les services de Joachim von Ribbentrop et de Heinrich Himmler. Toujours est-il que les tenants du P.P.F. bénéficient de ravitaillements de bien meilleure qualité qu’à Sigmaringen769 et que les moyens financiers et techniques dont il dispose pour sa propagande dépassent de loin ceux de la Commission, comme nous allons l’exposer dans le prochain paragraphe. La Commission perd la bataille dès que Fernand de Brinon, de guerre lasse et désireux de conserver une place dans les futures stratégies politiques internes, adhère au Comité de libération, après Gaston Bruneton et Alphonse de Châteaubriant770. Si Marcel Déat et Jean Luchaire forment le projet d’une Assemblée consultative pour pallier ce fait, il n’est pas concrétisé et la paralysie de la Commission s’impose, vu l’abandon du soutien allemand771. La mort de Jacques Doriot, tombé sous les balles de mitrailleuses d’avions de chasse le 22 février 1945 arrête net son élan772. La désorganisation française à Sigmaringen prend 767 « Le 7 janvier, Doriot a fondé le Comité de la Libération Française [sic] en Allemagne qui groupe les milliers de Français qui se trouvent en Allemagne, milice, R.N.P., Francistes, P.P.F., Camp de jeunesses, prisonniers, travailleurs, réfugiés politiques, etc. Le 8 janvier, le manifeste a été lu par Doriot d’Allemagne et a dû être entendu sur les antennes du monde entier. C’est en quelque sorte le futur Gouvernement de la France qui s’est constitué. » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 768 Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 477-478 ; Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 31-32. 769 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 32 et Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 770 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 923 ; Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 230 ; Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 485ss. 771 Lettre de Jean Luchaire à Otto Abetz, de Sigmaringen, le 12 avril 1945, Arch. Nat., AN 72 AJ 2003 Papiers Jean Luchaire ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., p. 154 ; Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 922. 772 "Aux obsèques de Doriot" et "Jacques Doriot mitraillé et tué par un avion anglo-américain", Le Petit Parisien du 26 février 1945, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A ; "Les funérailles solennelles de Jacques Doriot assassiné par les aviateurs terroristes de l’Impérialisme anglo-américain et du Bolchévisme", La France du 26 février 1945, Staatsarchiv Sigmaringen. Voir aussi : Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 232- 206 le pas après son enterrement et l’on assiste à une scission prévisible entre Fernand de Brinon d’une part et Marcel Déat, Joseph Darnand, Jean Luchaire et Marcel Bucard, de l’autre, qui cherchent le soutien du Reich par un arbitrage en leur faveur juste avant la débâcle d’avril 1945773. 3. Des entités politiques en exil Ne pouvant qualifier la Commission et le Comité de structures représentatives gouvernementales, nous constatons que la présence des nombreux Français exilés dans le Baden-Württemberg constitue un agrégat de personnalités politiques d’un régime déchu en exil. Ces personnalités ne composent pas une communauté d’opinion et d’action homogène. Au contraire, de nombreuses rivalités politiques cohabitent en son sein. Leurs oppositions dans ce petit monde clos participent à alimenter une atmosphère délétère774 propre à développer rumeurs et désinformations, constituant une « communauté réduite aux caquets »775. Leur principal point commun est leur conviction antibolchévique née d’une solide angoisse face à ce qu’ils considèrent comme une menace contre l’Europe776. Dès 1943, déjà, face à la « politique de neutralité » de Laval, les « ultras » se sont lancés dans une « politique de collaboration » active, en faveur de la création d’un gouvernement collaborationniste sans restriction aux accents national- 233 ; Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945), op. cit., p. 698 ; Jean-Paul Cointet, Sigmaringen : une France en Allemagne (septembre 1944 - avril 1945), op. cit., pp. 279-283. 773 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 238. 774 Comme le décrit, en particulier, Céline : « L'histoire de D'un château l'autre est singulière parce que c'est assez rigolo de voir 1’142 condamnés à mort français dans un petit bourg. Ca ne se voit pas souvent. C'est très rare d'être le mémorialiste de 1’142 condamnés à mort. Un tout petit bourg allemand hostile avec le monde entier contre soi. Parce que ceux de Buchenwald, tous les gens les attendaient pour les embrasser, leur donner la bise, tandis que ceux de Sigmaringen, le monde les traquait pour les étriper... [Journal du Dimanche : « on a un haut le coeur lorsqu'il ose comparer Buchenwald et Sigmaringen », njdp] Et moi, j'étais dans ceux-là parce que j'étais antisémite. C'était quelque chose de particulier. « Moi, j'étais collaborateur mais pas antisémite, mais lui, lui, celui-là, il était antisémite. Voilà, lui, on peut y aller, il va expier pour tout le monde". Lâcheté, bonne vacherie humaine. » : in "Interview de Céline avec Madeleine Chapsal (L’Express)", Cahiers Céline, n°2, in Dauphin, Jean-Pierre et Fouché, Pascal [Prés.], Céline et l'actualité littéraire : 1932-1957. Paris : Gallimard, 1976, pp. 35-36. 775 Selon l’expression du commentaire de la photographie de Philippe Pétain, dans l’article d’André Brissaud, "Le Maréchal Pétain à Sigmaringen", Historia, n°237, août 1966, p. 91 et de la troisième partie de son ouvrage Pétain à Sigmaringen 1944-1945, op. cit., pp. 181-284. 776 « Une invasion mille fois plus redoutable que celle d’Attila, d’un Attila motorisé et scientifiquement outillé, muni de méthodes éprouvées, susceptibles de faire peser sur le continent le joug le plus total que jamais vaincus aient subi. » : in Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 715. 207 socialistes et fascistes, anti-bolchéviques et favorables à l’Axe777. Leurs comportements à Sigmaringen et Mainau n’en sont que la conséquence et leurs actions contrastent donc avec le « sommeil » ou la « démission larvée et grève gouvernementale » de la plupart des anciens membres de cabinet du régime de Vichy, suivant Philippe Pétain et Pierre Laval778. Ces « actifs » de la Commission (il s’agit de Fernand de Brinon, d’Eugène Bridoux, de Joseph Darnand, de Marcel Déat et de Jean Luchaire) sont logés dans une aile particulière du château779. Ce sont eux qui profitent de l’occasion qui leur est donnée de tenter d’influencer le cours des évènements. Quant aux anciens membres du gouvernement du régime de Vichy qui composent le groupe des nombreuses personnalités « en sommeil », ce sont ceux qui ne veulent pas prendre part à la politique de la Commission ou du Comité. Il apparaît que leurs frais sont financés par les fonds secrets du Ministère des affaires étrangères780. On compte parmi eux Philippe Pétain, Henri Bléhaut, Victor Debeney, Bernard Ménétrel (qui avec leurs proches et leur personnel occupent le 7ème étage du château), mais aussi Pierre Laval, Jean Bichelonne, Maurice Gabolde, Abel Bonnard, Pierre Mathé, Paul Marion, Jacques Guérard, Charles Rochat (qui ne côtoient pas les premiers)781. Leur attitude attentiste fait référence à plusieurs épisodes de grève du pouvoir auxquels nous avons déjà fait écho, notamment en ce qui concerne Philippe Pétain. Rappelons aussi à cet égard le comportement de Pierre Laval qui, dès le débarquement de juin 1944, se pétrifie, ne prenant aucune décision et empêchant quiconque de prendre le pouvoir : « […] de plus en plus, il gardait sous le coude toutes les décisions, il n’occupait le pouvoir que pour empêcher que les autres ne pussent s’en servir. Toutes ses habiletés, toutes ses roueries, toutes ses manœuvres pour conserver en main tous les fils visaient surtout à éviter que quelqu’un ne pût s’aviser un jour de tirer sur eux pour faire se mouvoir quelque chose quelque part. Tout se passait comme si, désormais, Laval eût pris pour devise, non pas quieta non movere puisque rien n’était plus calme, puisque nous étions au milieu du plus tragique des tumultes, mais tragica non accelerare, et même ignorare. Ce qui veut 777 Otto Abetz, Histoire d'une politique franco-allemande : 1930-1950 : mémoires d’un ambassadeur, op. cit., pp. 302-304. 778 L’expression est reprise maintes fois par des témoins de l’époque à l’instar de Marcel Déat, in Mémoires politiques, op. cit., p. 875 et p. 892. Pour Hans Frölicher, chef de la légation suisse à Berlin, Pétain se considère comme « prisonnier de guerre » (Kriegsgefangener) : in Note concernant l’ambassadeur Scapini élaborée à la légation suisse de Berlin à l’attention du chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral Pierre Bonna, de Berlin, le 16 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 779 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 95. 780 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 31-32. 781 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 95. 208 dire en bon français qu’il entendait ne plus se mêler de rien, laisser courir les événements, laisser les Allemands glisser à leur destin, en essayant de tirer du brasier son épingle tordue par la flamme. […] Bref, Laval devenait attentiste, abstentionniste. Il lâchait en douceur la rampe à laquelle il s’était cramponné si longtemps. Il n’était plus en scène qu’en guignant de l’œil la coulisse. »782 Loin d’être indifférents à leur sort, le fait d’être « en sommeil » ne les empêche ni de s’informer autant que faire se peut783, ni de protester auprès des « actifs ». Par exemple, Philippe Pétain s’offusque du fait que la Commission sous-entende qu’il la soutienne784. Il continue de se considérer comme « prisonnier de guerre » (Kriegsgefangener)785. Les « passifs » savent aussi adresser des protestations à l’attention des autorités allemandes, comme Philippe Pétain786, Henri Bléhaut787 et Victor Debeney788 qui, constatant que leur présence à Sigmaringen donne une apparence de consentement alors qu’ils sont retenus en résidence forcée, demandent à pouvoir changer de lieu de résidence surveillée. Concernant Pierre Laval, Victor Debeney ironise : 782 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 838. 783 Par le biais des informations diffusées par les médias allemands, collaborationnistes, mais aussi suisses, surtout radiophoniques « qui nous donne des nouvelles de ce qui se passe en France et surtout sur les assassinats et exécutions abominables qui s’y perpétuent sous le régime criminel de la « Libération » in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. « [Pétain] mène une vie très retirée, s’intéresse au développement de la situation militaire, particulièrement en France » : in "La situation du Maréchal Pétain décrite par le Corriere della Sera", La Gazette de Lausanne du 19 décembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 784 Notamment, voir Note de Philippe Pétain à Fernand de Brinon, de Sigmaringen, le 29 octobre 1944, reproduite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 137-138. Voir de même : « Dans tout le courant du mois d’octobre, [Pétain] a adressé à de Brinon des notes extrêmement nettes, catégoriques pour ne pas dire plus, au cours desquelles il lui répétait : « Je ne vous ai donné aucun pouvoir, je ne vous ai donné aucune délégation », refusant tout contact avec de Brinon. » : in Déposition du Général Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 274-275, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 785 Note concernant l’ambassadeur Scapini élaborée au Consulat Suisse de Berlin à l’attention de Pierre Bonna, Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, du 16 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 786 Protestation de Philippe Pétain du 3 octobre 1944, dans Note du dossier de la Haute Cour, retranscrite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 112-115. 787 Protestation de Henri Bléhaut à Otto Abetz, de Sigmaringen, le 1 octobre 1944, retranscrite in Ibid., pp. 110-111. 788 « J’ai remis, en rentrant en France, à Montrouge, au service des archives, et par conséquent à l’instruction, la collection de toutes ces protestations. Si j’ai bonne mémoire, il y en a au moins cinq ou six. » : in Déposition du Général Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 274275, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. er 209 « M. de Brinon cherche se prévaloir de son ancien titre de délégué général du Gouvernement français pour les territoires occupés. Or, je fais remarquer qu’il n’y a plus de Gouvernement français et je fais remarquer également qu’il n’y a plus de territoires occupés. »789 Le gouvernement allemand fait plusieurs fois pression sur Philippe Pétain pour qu’il apporte son aval clair aux projets des « actifs ». Par une note datée du 2 octobre 1944, Bernard Ménétrel cherche à faire prendre conscience à Philippe Pétain de la gravité de la situation et lui présente l’option qui s’offre à lui d’agir soit comme un prisonnier isolé qui persiste à refuser de rencontrer quiconque, soit comme un collaborateur des Allemands : « M. de Brinon vient de constituer un « Comité gouvernemental pour la Défense des Intérêts français » qu’il entend placer sous l’autorité du Maréchal, avec MM. Déat, Darnand, Luchaire, le général Bridoux. Une cérémonie des couleurs a eu lieu au château de Sigmaringen ; M. de Brinon y a prononcé un discours où il se réclame du Maréchal. Les radios du monde annoncent ces faits et laissent entendre que le Maréchal s’est mis à l’abri en Allemagne pour se ranger à ses côtés dans la lutte contre les Alliés. C’est un tournant très grave. Il est indispensable que, cette fois, le Maréchal ait le courage de choisir une position définitive, de s’y tenir, et il faudra avoir la loyauté de lui dire ce que l’on pense être la vérité. […] La France est actuellement gouvernée par de Gaulle qui a remis en marche les administrations, dans une France occupée par les Alliés. Il reçoit partout (si l’on en croit les radios françaises) un accueil enthousiaste. Cet accueil est, en grande partie, justifié par le fait qu’il lutte contre tout ce qui est allemand, ou a été proallemand. Le Maréchal ne peut actuellement rien faire pour entraver le succès de de Gaulle, ni pour empêcher les désordres qui se produisent probablement en France avec le concours des communistes parés de l’auréole d’un patriotisme vengeur. […] Ou le Maréchal est prisonnier, ou le Maréchal travaille avec les Allemands. »790 L’entourage de Philippe Pétain est conscient que sa ligne de conduite lui impose la retenue, comme le formule Victor Debeney lors du procès de l’ancien chef de l’Etat : « Dès le mois de septembre, dès que nous eûmes connaissance à Sigmaringen des premières nouvelles concernant les arrestations en France et des poursuites qui étaient intentées contre d’anciens subordonnés du Maréchal, M. de Renthe-Fink est venu voir le Maréchal et a demandé s’il ne jugeait pas opportun de protester, de couvrir ceux qui lui avaient obéi. Le Maréchal, éventant le piège, a pris chaque fois très nettement position en disant ceci : « Je suis parfaitement conscient de mes devoirs de chef. Mais ce n’est qu’en France que je peux songer à les remplir. Toute parole de moi, venant de l’étranger, est à exclure formellement ; toute parole de moi prononcée sous la contrainte est à 789 Déposition du Général Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 274-275, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 790 Note du dossier de la Haute cour, retranscrite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 103-107. 210 exclure formellement. Je demande à rentrer en France pour défendre mon honneur et couvrir ceux qui m’ont obéi ». »791 Enfin, nous relevons que si les conditions de rétention de ces « dormants » sont tout à fait correctes et diffèrent de celles des « otages de marque », cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient libres. A cet égard, nous pouvons citer deux cas particulièrement marquants : ceux de Bernard Ménétrel et de Pierre Laval. Le premier est vainement écarté de Sigmaringen par la Gestapo en novembre 1944 afin de faire réagir Philippe Pétain792. Il est déporté le 16 mars 1945 au S.S. Kommando d’Eisenberg, en Bohème793. Son éloignement accélère d’ailleurs la chute d’Otto Abetz. Quant au second, qu’Otto Abetz cherche à éloigner de Sigmaringen dès le 10 septembre 1944 à la suite de son comportement non coopératif794, il rejoint Bernard Ménétrel, étant arrêté le même mois de novembre 1944 puis « transféré au début de 1945 dans un S.S.-Kommando en Bohème »795. Ces exemples témoignent du fait que les personnalités politiques françaises ne sont, pour le gouvernement du Reich, que des personnes privées de nombreux droits, à leur merci, bien que le Ministère des affaires étrangères fasse respecter les formes de leur installation pour raison d’Etat796 et leur permette de faire passer quelques messages à l’attention de leurs proches et d’obtenir des biens par l’intermédiaire de la diplomatie suisse797. 791 Déposition du Général Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 275, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 792 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 22. La tentative de Joachim von Ribbentrop de réactiver Philippe Pétain est vaine, ce dernier ne voulant pas rencontrer son remplaçant, Gérard-Trinité Schillemans : cf. Gérard-Trinité Schillemans, Philippe Pétain, le prisonnier de Sigmaringen, op. cit. 793 Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, 1939-1945. Paris : Robert Laffont, 1993, t. 10, p. 333. 794 Assigné à résidence à Scheer, à 7 km de Sigmaringen, il est ensuite déplacé en Bohème en mars 1945, les Allemands craignant qu’il contacte la Suisse voire qu’il renseigne les services secrets britanniques : in Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945), op. cit., p. 693. Voir de même Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 10. 795 Lettre de Bernard Ménétrel à Walter Stucki du 12 juin 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 796 Ordre du Regierungspräsident du 29 mars 1945 refusant la réquisition d’une salle de bain avec baignoire pour Madame Reinebeck, statuant de l’impossibilité juridique de ce faire car le château de Sigmaringen a au préalable été réquisitionné pour raison d’Etat, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22. 797 Les archives témoignent d’échanges de lettres entre Walter Stucki et les résidents de Sigmaringen, les Français cherchant à transmettre des nouvelles à leurs proches et à obtenir quelques biens, comme du tabac ou du chocolat. A ce sujet, voir : Lettre de Pierre 211 B – Les objets de la présence des anciennes personnalités politiques françaises en Allemagne Niant le fait qu’elles ne possèdent qu’un statut privé, les individus formant la Commission comme le Comité légitiment leur présence par leur action et revendiquent la représentation des ressortissants français en Allemagne. Dans le présent paragraphe, nous proposons d’examiner plus en détail l’objet et l’impact de leurs actions sur le territoire en deux points : d’abord, le prétexte de la protection des intérêts français (a) puis l’intérêt de leurs opérations en terme de propagande et de mobilisation (b). a) Le prétexte de la protection des intérêts français en Allemagne Le gouvernement allemand est conscient de l’impact de la docilité des prisonniers et travailleurs français sur la productivité de l’industrie allemande comme sur le respect de l’ordre public. Les enjeux sont importants car les Français sont très nombreux en Allemagne. Au total, ce sont deux millions à deux millions et demi de Français que l’on recense en Allemagne entre septembre 1944 et mai 1945 ; il s’agit de prisonniers, de travailleurs, de déportés et d’Alsaciens-Lorrains798. On compte ainsi environ 1’000’000 prisonniers de guerre, de 700’000 à 900'000 travailleurs (volontaires et forcés dans le cadre du S.T.O.) et de 150'000 à 600'000 déportés et internés civils799. Jusqu’au 19 août 1944, les intérêts français, en terme de sécurité des personnes et des biens, n’étaient pas tous protégés : en particulier, aucune autorité française n’intervient Laval à Walter Stucki du 21 septembre 1944, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8 et Lettres de Bernard Ménétrel à Walter Stucki, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 798 Account of the position of French and German leaders and Japanese representative in Sigmaringen, Japanese M.A. Berlin forwards an account of French Politics from the Attache in France, 30 octobre 1944, Archives nationales de Grande-Bretagne, HW1 / 3303 C 300489. 799 Lettre de Paul Ruegger, légation suisse de Londres, à Ernst Schlatter, conseiller de légation à Paris, de Londres, le 12 octobre 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1 ; Commentaires du Dr. Bernard Ménétrel au compte-rendu du Général Victor Debeney, in Louis Noguères, Le véritable procès du Maréchal Pétain, op. cit., p. 76. Ménétrel ajoutera que la masse des prisonniers allemands qui ne cesse d’augmenter chaque jour protège de fait les Français en Allemagne ; Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 176 ; Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., pp. 113ss.; Georges Kantin et Gilles Manceron [Dir.], Les échos de la mémoire, tabous et enseignement de la Seconde Guerre mondiale. Paris : Le Monde éd., 1991, pp. 51-52. 212 concernant la sauvegarde des intérêts des déportés, tout comme des fonds et créances français800. Toutefois, un service dit représenter les intérêts des travailleurs et un second ceux des prisonniers français auprès du régime de Vichy. D’abord à la tête du Commissariat général à l'action sociale pour les travailleurs français en Allemagne, Gaston Bruneton dirige la Délégation officielle française en Allemagne, véritable structure de collaboration active auprès de la Deutsche Arbeitsfront801. A ce titre, il dispose du pouvoir de représenter le régime de Vichy auprès du gouvernement allemand en ce qui concerne les conditions de travail des Français envoyés en Allemagne au titre du S.T.O. Quant à Georges Scapini, il est chargé de la mission de sauvegarde des intérêts des prisonniers de guerre français près de Berlin, parallèlement à l’action plus large du Comité International de la Croix-Rouge802. Or, à partir du 20 août 1944, les représentants du régime de Vichy étant réduits à l’impuissance, les intérêts français en Allemagne ne sont formellement plus protégés. Préoccupé, le Commissaire aux affaires étrangères du gouvernement provisoire, René Massigli, approche d’ailleurs à ce sujet le Consul suisse à Paris, René Naville803. Or, ni la Suisse ni l’Allemagne ne reconnaissent le Gouvernement provisoire. La France Libre ne peut donc protéger les prisonniers, les déportés et les travailleurs français en Allemagne. A ce propos, le Gouvernement provisoire et le gouvernement suisse communiquent activement entre septembre et octobre 1944804. Ainsi, le Gouvernement provisoire demande au Conseil fédéral de se charger de la sauvegarde des intérêts des personnes 800 Ce sont ces fonds et créances français en Allemagne (selon l’accord de clearing francoallemand) qui sont mis à la disposition de la Délégation gouvernementale de Sigmaringen comme avance sur le crédit français : Cf. Lettre de Fernand de Brinon à Philippe Pétain, de Sigmaringen, le 2 octobre 1944, retranscrite in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 118-119. Or, au lieu de versements français au titre de l’entretien des autorités d’occupation, il s’agit plutôt de fonds allemands : Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 477-478. 801 Patrice Arnaud, "Gaston Bruneton et l'encadrement des travailleurs français en Allemagne (1942-1945)", op. cit., pp. 95-118 et Jean-Louis Quéreillahc, Le STO pendant la Seconde guerre mondiale. Riom : Ed. de Borée, 2010. 802 Note concernant l’ambassadeur Scapini élaborée à la légation suisse de Berlin à l’attention du chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral Pierre Bonna, de Berlin, le 16 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 ; Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 921. Concernant la protection des intérêts de Vichy en Allemagne, voir de même : Rapport Georges Scapini à Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin, le 30 octobre 1944, Arch. féd., E 2001 D / 1000/1553 BD : 101. 803 « Les prisonniers et ouvriers français […] se trouvent dépourvus de protection en Allemagne » : in Le Gérant du Consulat de Suisse à Paris, René Naville, à Marcel PiletGolaz, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, Pierre Bonna de Paris, le 2 septembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 804 A titre d’exemple : Lettre du chargé d’affaires de Suisse à Paris à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral concernant l’intérêt de Maurice Dejean au sujet de la note Scapini, de Paris le 18 décembre 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1689 Bd : 2. 213 et des biens français en Allemagne. Quand Paul Ruegger fait savoir aux représentants du Gouvernement provisoire que « les expériences faites dans des cas analogues ne f[ont] guère prévoir que le Gouvernement allemand puisse se prêter à une représentation officielle par la Suisse des intérêts du Gouvernement provisoire français » indiquant, cependant, que le Département suisse entend rendre « des services à titre officieux », il déclenche malgré lui un incident diplomatique, les Français reprochant aux Suisses leur mauvaise volonté à assumer une tâche trop lourde805. Les tensions franco-helvétiques au sujet de la protection des intérêts français en Allemagne provoquent pendant des mois une crise de confiance, la France Libre mettant en doute les capacités de médiation conservées par la Suisse806. La Suisse, qui a représenté les intérêts étrangers du régime de Vichy en rendant visite aux prisonniers politiques français en Italie au printemps 1944807, peine à offrir sa protection aux prisonniers de guerre allemands et français808. En effet, la Suisse cherche à se placer en protectrice des prisonniers de guerre français en Allemagne comme des prisonniers allemands en France, en sus de l’action du Comité International de la Croix-Rouge. Ce que Berne cherche à démontrer, c’est que si les prisonniers français en Allemagne sont susceptibles de souffrir de représailles effectuées par le gouvernement allemand en réponse aux épurations opérées sous le contrôle des autorités gaullistes, le gouvernement français a intérêt à négocier avec son homologue allemand qui détient un pouvoir certain sur « des otages français en Allemagne », car ceux-ci voient en permanence planer sur eux une « menace évidente » dans ces temps de ligne dure prônée par Joachim von Ribbentrop809. De son côté, la Croix-Rouge française interpelle le Comité International de la Croix-Rouge à Genève pour qu’il mette les prisonniers, déportés et internés français en Allemagne sous sa protection810. 805 Lettre de Paul Ruegger, légation suisse de Londres, à Ernst Schlatter, conseiller de légation à Paris, de Londres, le 12 octobre 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1. 806 Le 13 février 1945, le Ministère des affaires étrangères français communique à la légation suisse à Paris que « le gouvernement allemand continuant de refuser au gouvernement helvétique d’assurer la défense des intérêts français en Allemagne, le gouvernement français ne sait admettre que les intérêts allemands fussent toujours protégés en France par les autorités suisses » : in Lettre des affaires étrangères françaises à la légation suisse de Paris du 13 février 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 6. Voir aussi Lettre de la légation suisse en France à la Division des intérêts étrangers du Département politique fédéral, de Paris, le 14 février 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 6. 807 Mémorandum du 8 mars 1944 à l’Ambassade de France à Berne accompagnant le rapport sur la visite aux détenus politiques français à Imperia, San Remo et Toggia, Arch. féd., E 2001.02 1000/17 Bd : 25. 808 Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945), op. cit., p. 697. 809 Lettre de la légation suisse en Allemagne au Conseiller fédéral Max Petitpierre, chef du Département politique fédéral, du 5 mars 1945, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 69. 810 Lettre de Paul Ruegger, légation suisse de Londres, à Ernst Schlatter, conseiller de légation à Paris, de Londres, le 12 octobre 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1. 214 Parallèlement, la légation suisse en Allemagne, présumant que la demande du Gouvernement provisoire de protéger les intérêts français sera rejetée par l’Allemagne, conclut également qu’il appartient au Comité International de la Croix-Rouge d’assurer la protection des intérêts des prisonniers français811. Parallèlement à ces démarches, la Commission gouvernementale à Sigmaringen se présente comme ayant pour mission de gérer les « intérêts matériaux et moraux de tous les réfugiés politiques en Allemagne, de tous les travailleurs français et des prisonniers de guerre »812. Le Comité de libération française concurrent adopte également le même objectif parmi ses priorités. D’ailleurs, Fernand de Brinon se targue de faire savoir, pendant le procès de Philippe Pétain, qu’il a déployé des efforts en faveur des travailleurs et des prisonniers en Allemagne, en sa qualité de président de la Commission : « Le maréchal a déclaré tout de suite, quand je lui ai fait exposer les choses, qu’il avait renoncé à tout son pouvoir, qu’il ne pouvait pas donner de délégation nouvelle ; mais il était entendu, d’autre part, que, dans les limites de la délégation que j’avais, je pouvais veiller aux intérêts des prisonniers, des travailleurs ou des déportés en Allemagne. Pour les déportés, je dis tout de suite que je n’ai réussi en rien, malgré tous les efforts. Pour les travailleurs et les prisonniers, je crois que nous avons pu faire quelque chose. »813 Quel est donc ce « quelque chose » que la Commission prétend avoir effectué ? En ce qui concerne la protection des travailleurs français au titre du S.T.O. en Allemagne, il apparaît que ses moyens sont limités et qu’elle s’enlise dans des tentatives pour s’imposer. Marcel Déat, en tant que délégué à la solidarité nationale et à la protection des travailleurs français en Allemagne, cherche ainsi sans succès à contrôler les services de Gaston Bruneton qu’il considère soumis à l’autorité du Reich : « Le loyalisme de Bruneton est a priori douteux, et on ne sait pas très bien de quel côté il penchera finalement, son seul but permanent étant de conserver la maîtrise incontrôlée de sa satrapie. […] Il va s’appuyer sur les services allemands, en l’occurrence ceux de l’Arbeitsfront. Et il est d’autant plus à son aise que nous sommes en Allemagne, que mon intrusion apparaît comme une menace et aussi une manière de scandale juridique. Je finirai par comprendre que le service Bruneton en Allemagne, loin d’être, comme on l’imaginait à distance, un service français juxtaposé, en liaison avec les services allemands, mais 811 Lettre du Ministre de Suisse en Allemagne à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris le 27 octobre 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1689 Bd : 2. 812 Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 813 Audition de Fernand de Brinon, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Seizième audience, jeudi 9 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 288-289, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 215 autonome, est intimement fondu avec les Stelle du Front du Travail, avec des enchevêtrements inextricables. Les fonctionnaires de Bruneton sont bien davantage sous la dépendance de la hiérarchie allemande que de leurs chefs théoriques. […] Autant déclarer que je ne saurai jamais rien de ce qui se passe en réalité. »814 Cherchant à conserver un tant soit peu de représentativité, Gaston Bruneton tente d’approcher Philippe Pétain à Sigmaringen. En effet, à la suite d’un rapport des délégués de la Délégation officielle française en date du 14 septembre 1944 qui s’interroge sur les conditions de la collaboration alors que le chef de l’Etat est fait prisonnier, il cherche à obtenir une délégation formelle de Philippe Pétain. Son but est de transmettre aux travailleurs français un message de mobilisation générale : répondant à l’appel du chef de l’Etat Philippe Pétain, les travailleurs se transformeraient en soldats dociles et valeureux. S’il parvient à le rencontrer le 29 septembre 1944, obtenant que Philippe Pétain sorte de son isolement et de son mutisme815, Gaston Bruneton ne réussit cependant pas à gagner le soutien qu’il désire816, Philippe Pétain l’invitant par écrit à poursuivre ses efforts sans pour autant émettre de volonté d’exercer de nouveau ses prérogatives : « Il ne m’est pas possible de vous confirmer officiellement dans les fonctions que vous occupez. Mais si ma situation ne me permet plus d’agir directement en faveur des travailleurs au sort desquels je m’intéresse, au moins puis-je vous redire que je vous fais confiance pour poursuivre l’exécution de la mission morale et sociale dont vous étiez antérieurement chargé ».817 Philippe Pétain lui adresse par là un message similaire à celui qu’il transmet à Fernand de Brinon le 6 septembre 1944. Gaston Bruneton ne s’y trompe pas et comprend qu’il doit chercher un soutien ailleurs. Il fera partie de ceux qui adhèrent au Comité de libération française le 20 février 1945. Le Petit Parisien du 22 février 1945 précise même qu’il le fait au nom de la « Délégation ouvrière française »818 : élément de preuve, si besoin était, de la confusion règnant au sein des colonies émigrées françaises sur le rôle exact des services de Bruneton. 814 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., pp. 902-903. 815 « Pétain has broken his promises and continues to engage in political activities (e.g. by appealing in secret to French prisoners of war and labourers » (notre traduction : Pétain a rompu ses promesses et continue de s’engager dans des activités politiques (p. ex. en s’adressant secrètement aux prisonniers de guerre et travailleurs français) : in Report from the Japanese Ambassador Mitani, 7 novembre 1944, Archives nationales de GrandeBretagne, HW1 / 3343 C 300489. 816 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 922 ; Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 146-184. 817 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 171. 818 Le Petit Parisien, 22 février 1945, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 216 Quant à la protection des prisonniers français en Allemagne, que fait la Commission ? Quand Eugène Bridoux devient officiellement délégué à la protection des prisonniers de guerre au sein de la Commission gouvernementale, Georges Scapini s’oppose immédiatement à lui, affirmant ne pas reconnaître l’autorité de Fernand de Brinon et considérer que Philippe Pétain est prisonnier. Refusant que ses services se soumettent à l’autorité de la Commission de Sigmaringen819, il veut être perçu comme étant favorable au Gouvernement provisoire820. Il n’est jamais reçu à Sigmaringen821 mais se voit remettre un message de la main de Philippe Pétain qui n’est pas sans rappeler celui que ce dernier adresse à Gaston Bruneton : « Je vous exprime toute ma satisfaction de ce que vous avez fait pour [les prisonniers] et si ma situation ne me permet plus de m’intéresser directement à leur sort, au moins puis-je vous redire que je vous fais entièrement confiance pour poursuivre votre tâche sous l’égide de la Convention de Genève et dans le cadre de la mission dont je vous avais chargé. »822 Georges Scapini désire alors en vain trouver appui auprès de la Suisse : d’une part, pour y trouver personnellement un refuge823, mais aussi pour que la Confédération prenne en charge les intérêts des prisonniers français désormais sans défense, en qualité de « détenteur de la fonction protectrice, agissant, à défaut de gouvernement français juridique, - au nom de la souveraineté et de l’Etat français dont il aurait reçu ses pouvoirs »824. En fin de compte, il démissionne le 22 novembre 1944825. Quant à Eugène Bridoux, « il lui faudra des mois, et pour stabiliser la situation, et pour convaincre les 819 Lettre du Ministre Hans Frölicher au Ministre Walter Stucki, Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, du 4 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. La note relève même que Georges Scapini cherche à entrer en Suisse en arguant de son attitude humanitaire. 820 Lettre du Ministre de Suisse à Berlin, Hans Frölicher, à l’ancien Ministre de Suisse à Vichy, Walter Stucki, à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Berlin, le 4 octobre 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), Annexe du n°261. 821 Selon Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., pp. 186ss. Georges Scapini déclare cependant avoir rencontré Philippe Pétain qui lui aurait confié un document : in Notice sur les relations avec la France et l’Allemagne, de Berne, le 16 octobre 1944, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°261. 822 Selon Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 189. 823 Sans pour autant demander l’asile : voir Note concernant l’ambassadeur Scapini élaborée à la légation suisse de Berlin à l’attention du chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral Pierre Bonna, de Berlin, le 16 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 824 Lettre du Ministre de Suisse en Allemagne à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris le 27 octobre 1944, Arch. féd., E 2200.41 1000/1689 Bd : 2. 825 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 138. 217 services allemands compétents, lesquels dépendent de la Wehrmacht et non pas des ministères civils. »826. Quand il y parvient, il est trop tard : le Comité de libération française s’impose. Après la mort de Jacques Doriot et jusqu’à la chute de Berlin, la perte de contrôle de ce qui reste de la Commission s’avère manifeste. Nous concluons de ce qui précède que, malgré leurs déclarations d’intention, ni le Comité de libération française ni la Commission ne sont en mesure d’administrer et de protéger les personnes comme les biens français en Allemagne827. Effectivement, ce sont des autorités gouvernementales allemandes que ces derniers dépendent. Assurément, le Comité de libération française n’a pas bénéficié d’assez de temps pour tenter de mettre en œuvre un programme de collaboration relatif à la sauvegarde des intérêts français en Allemagne. Toutefois, aurait-il pu se prévaloir d’une autonomie plus importante que celle de la Commission vis-à-vis du gouvernement allemand ? Loin de prendre en charge la sauvegarde des intérêts de plus de deux millions de leurs ressortissants, la Commission et le Comité n’en conservent que le prétexte. Ils ne sont pourtant pas des constructions juridiques sans effet, car il se trouve que les archives gardent trace d’une activité de la Commission en faveur de la protection des intérêts de certains Français en Allemagne. Certes, s’il ne s’agit que d’une portion congrue de la nécessaire gestion administrative de la colonie des émigrés français à Sigmaringen, elle a néanmoins eu des effets juridiques. Concrètement, la Commission a pris part à la constitution d’un service sommaire d’état civil français. A l’origine, c’est une demande du service administratif allemand des étrangers à Constance qui suggère à l’ambassade d’Allemagne à Sigmaringen (qui porte le titre ambigu d’« Ambassade d’Allemagne à Paris ») d’ouvrir, le 21 novembre 1944, un service d’état civil à Sigmaringen pour que des Français puissent contracter leur mariage. En effet, plusieurs Français se trouvant dans la région cherchent à se marier en terre française et le principe d’extraterritorialité séduit828. Ce sont donc quelques mariages, naissances et décès qui sont dès lors inscrits dans le registre que la Commission a l’autorisation d’ouvrir829. 826 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 921. 827 Comme le souligne d’ailleurs Barbara Lambauer, in Otto Abetz et les Français ou l’envers de la Collaboration, op. cit., pp. 654-655. 828 Message de l’Ambassade d’Allemagne à Paris, de Sigmaringen, le 4 décembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen, Ho T 235 T 19-22. 829 « Ainsi on était en terre française, on ouvrit un registre d’état civil sur lequel le premier acte fut la constatation de la naissance de la petite-fille de Luchaire. Sa fille danseuse a accouché là-bas. On inscrivit aussi l’acte de décès de la mère d’Abel Bonnard. » : in Maurice Garçon, Journal 1939-1945, op. cit., p. 680. 218 b) La propagande et la mobilisation Si la Commission et le Comité ne protègent pas en réalité les intérêts français en Allemagne, pourquoi le Reich les soutient-il ? A notre sens, si le gouvernement allemand ne porte pas atteinte à la vie des anciens membres du régime de Vichy et s’il soutient les collaborationnistes à Sigmaringen et à Mainau, c’est pour que la propagande de ces derniers favorise la bonne marche de ses appareils industriels et policiers. Comme nous l’avons préalablement souligné, près de deux millions et demi de Français sont présents en Allemagne et la plupart d’entre eux travaillent dans des secteurs importants de l’économie allemande. Le Reich a intérêt à ce qu’aucun soulèvement n’ait lieu et que les sabotages ne soient pas encouragés. C’est la raison pour laquelle elle instrumentalise les moyens de la Commission et du Comité comme des relais d’endoctrinement à destination des Français en Allemagne. En plus de l’intérêt de l’Allemagne, la motivation intrinsèque de la Commission et du Comité à élaborer une propagande est manifeste. En effet, les structures de Sigmaringen et de Mainau concourent à assurer une représentation française, sans pour autant que l’objet de la représentation soit clairement précisé : la France, l’ancien gouvernement de Vichy ou l’ensemble des Français en Allemagne. Quoi qu’il en soit, ils s’adressent a minima à bien plus que la somme des individus qui composent la colonie des collaborationnistes, miliciens et vichystes. La propagande qu’ils mettent en place leur permet de nourrir leurs velléités de représentation et de mobiliser leurs troupes830. Les principaux dispositifs de la Commission et du Comité sont donc axés autour de leurs instruments de propagande, à savoir leurs services de presse et d’émission radiophonique831. Le besoin de mobiliser s’explique d’abord par l’atmosphère nocive et tendue régnant à Sigmaringen : « Les bases de ce régime de Sigmaringen ne s’avéraient d’ailleurs pas très solides, ayant été bâties sur la confusion. Ce qui unissait ces gens, c’était surtout maintenant la crainte du lendemain, la peur de l’Allemand et souvent un passé assez lourd. »832 La propagande opérée par la Commission et le Comité a dès lors pour objectif de mobiliser leurs partisans et, au-delà, de manipuler les Français afin qu’ils nourrissent 830 Note d’Otto Abetz, Politisches Archiv des Auswärtigen Amts (PA AA) de Berlin, R 101 058. 831 Henry Rousso, Pétain et la fin de la collaboration, op. cit., pp. 121-125. 832 Gérard-Trinité Schillemans, Philippe Pétain, le prisonnier de Sigmaringen, op. cit., p. 117. 219 l’espoir d’un proche retournement de situation833. La Commission se présente alors, en reprenant l’expression d’Otto Abetz, comme « le dernier Etat danubien fidèle à l’Allemagne »834. Ses membres sont persuadés qu’il ne leur reste plus qu’à souhaiter la victoire prochaine du Reich et que ce dernier conserve à leur encontre des dispositions favorables : « Je crois qu’il faut prendre au sérieux le thème des « armes secrètes » qui n’est pas simplement un procédé de propagande qui, dans ce cas, ne serait plus qu’un mensonge criminel. »835 La propagation de la doctrine de la production d’armes secrètes à longue portée (V2 et V3) est en effet un procédé classique de la propagande allemande tendant à faire croire que le Reich a les moyens d’assurer son triomphe à court terme836. La presse collaborationniste reprend donc les grands thèmes de la désinformation nazie par ignorance et fanatisme, mais surtout par stratégie de survie : « Ce journal né dans le deuil de la France, est un acte d’espoir. »837 Les articles de La France ne cessent de prôner la « réconciliation franco-allemande »838. Le journal publie diverses communications traduites de l’allemand, comme les discours emphatiques et mobilisateurs d’Adolf Hitler839. La France rejoint alors la presse collaborationniste en langue française disponible en Allemagne, comme La Voix du Reich (« Bi-hebdomadaire de la vie française en Allemagne ») et surtout L’Echo de Nancy (qui paraît à Neustadt-an-der-Weinstraße), conçus pour influencer les travailleurs français en Allemagne840. Engagée dans la mystique nazie, La France se plaît à publier, par exemple, 833 « Les journées sont longues et tristes, mais les Allemands sont tellement confiants dans l’avenir et dans la certitude qu’ils libèreront la France que nous partageons le même optimisme. »: 30 octobre 1944, Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 834 Marcel Déat, Journal, 17 octobre 1944, cité in Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., pp. 340ss. 835 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 929. 836 Lettre de Hans Frölicher, Ministre de Suisse à Berlin à Marcel Pilet-Golaz, chef du Département politique fédéral, le 12 juillet 1944, Arch. féd., E 2003 1000/716 Bd : 68 ; Note interne concernant les armes secrètes allemandes dans un rapport sur la situation en Allemagne, de Berne, le 31 octobre 1944, Arch. féd., E 2300 10000/716 BD : 348. 837 Jean Luchaire, Commissaire général à l’Information et à la Propagande, "« La France » ? Un acte d’espoir", in La France, n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 838 La France, n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 839 A l’instar du discours d’Adolf Hitler à l’occasion du 25 anniversaire de la proclamation du programme du parti national-socialiste, lors de la cérémonie à Munich du 25 février 1945 : in La France n°103, 26 février 1945, Staatsarchiv Sigmaringen. 840 Patrice Arnaud, "Gaston Bruneton et l’encadrement des travailleurs français en Allemagne (1942-1945)", op. cit., p. 108. ème 220 un télégramme de soutien du Ministre hongrois des affaires étrangères Gabor Kemeny, lequel assure : « du désir de collaboration sincère et de l’amitié profonde que la nation hongroise et ses dirigeants éprouvent à l’égard de la France restée fidèle à la solidarité européenne. Je suis convaincu que dans le cadre des peuples nationaux-socialistes, la France et la Hongrie occuperont après la victoire finale une place digne de leur glorieuse destinée »841 A la tête de la Commission, Fernand de Brinon compte déjà une bonne expérience en matière de propagande, ayant notamment été responsable de la diffusion dans les journaux de la zone occupée d’un faux message de félicitations aux troupes allemandes pour le succès de leurs actions signé par Philippe Pétain et Pierre Laval en date du 24 août 1942842. Il a d’ailleurs participé activement à la création du Comité France-Allemagne dont l’action Collaboration 843 de propagande collaborationniste est poursuivie par le groupe . En mettant en place un journal et une émission radiophonique, il entend influencer l’opinion des Français en Allemagne en les fédérant autour du programme de la Commission. Le rôle de Jean Luchaire prend ainsi de l’importance. Le journal La France est tiré à 45'000 exemplaires depuis des imprimeries de la ville de Constance844 et paraît du 26 octobre 1944 au 21 avril 1945845. Les articles de La France dénoncent « l’apparence de la légalité » du gouvernement de Charles de Gaulle846 et considèrent les politiques internes et externes menées par les régimes de la IIIème République comme étant à l’origine des épreuves traversées par la France847. Ils martèlent que Philippe Pétain est le chef de l’Etat français, « le seul 841 La France, n°6, mardi 31 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 842 cf. Déposition de Charles Donati, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Seizième audience, jeudi 9 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 291, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 843 Dont les membres, qui résident « habituellement en France, mais [se sont] repliés en Allemagne en raison des événements », établissent l’adresse officielle à Berlin : in La France, n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 844 Ce qui n’est pas sans rappeler que l’un des avantages en faveur du choix de Mainau pour l’installation du P.P.F. est, en effet, que Constance compte plusieurs imprimeries disponibles : Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., pp. 16-17. 845 Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945), op. cit., p. 697. De nombreux exemplaires de La France sont conservés Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 846 La France n°1, jeudi 26 octobre 1944 et n°2, vendredi 27 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 847 « Nous abandonnons volontiers l’odieux héritage [de la III République] à ceux qui tentent en ce moment de la ressusciter à Paris » : in La France n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. Certains articles critiquent par ailleurs ce qu’ils anticipent comme ème 221 dépositaire légitime de la souveraineté française exprimée régulièrement et librement en 1936 et 1940 »848. C’est pourquoi le premier exemplaire de La France publie en première page une photographie de Philippe Pétain dédicacée à l’attention de Fernand de Brinon datant de 1941, dessinant par ce procédé le trait d’une délégation symbolique849. Loin de présenter Sigmaringen comme un refuge clos, elle désigne la petite ville comme la « forteresse » du principe de la légitimité de Philippe Pétain, comme un « centre de rayonnement et d’action » concentrant des « hommes promis à l’Histoire », accueillis sur un territoire provisoirement français grâce à une délicate générosité allemande850. En ce qui concerne le théâtre des opérations militaires, La France ne manque pas de faire part des progressions allemandes, en particulier dans les Vosges851 et présente régulièrement une « revue de presse gaulliste »852 annonçant de multiples arrestations, condamnations à mort et exécutions sommaires propres à terrifier les lecteurs. Le 29 octobre 1944, elle précise ainsi qu’ « une information a été ouverte contre Philippe Pétain et ses ministres pour intelligence avec l’ennemi »853. On constate que les articles de La France ne cessent d’osciller entre pages combatives et optimistes, d’une part, et encarts angoissants, de l’autre, donnant maintes sombres informations concernant la situation économique et sociale en France. D’ailleurs, il lui arrive d’informer incidemment ses lecteurs au sujet des conditions d’octroi de l’asile en Suisse en novembre 1944 sans pour autant y dédier aucun article de fond854. Contradictoire et partisane, la propagande suit donc le destin politique de la Commission qui l’a créée. Les premières publications de La France témoignent de l’élan constructif, au sens premier comme au sens symbolique, de la Commission. Ainsi, l’on peut trouver des annonces comme celle d’une colonne du 1er novembre 1944 qui fait appel à des ouvriers du bâtiment et du second œuvre (terrassement, bâtiment, menuiserie, forestage, carbonisation) ainsi qu’à des ouvriers spécialisés dans plusieurs branches pour des emplois réservés aux « réfugiés politiques français » / « repliés politiques français » pour « la pseudo IVe République » : in La France n°118, 15 mars 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 848 La France n°1, jeudi 26 octobre 1944 et n°2, vendredi 27 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 849 La France n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 850 La France n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 851 La France n°2, vendredi 27 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 852 A titre d’exemple : cf. La France n°6, mardi 31 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 853 A titre d’exemple : cf. La France n°4, dimanche 29 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 854 "Le Gouvernement Suisse définit les conditions d’admission du droit d’asile", La France, n°18, vendredi 17 novembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 222 un contrat à durée déterminée mentionnant « ce contrat sera résilié dès que les circonstances permettront au Gouvernement de se réinstaller sur le territoire national et d’y rappeler les réfugiés »855. Certes, cela n’empêche pas la Commission de rappeler à toute occasion qu’elle entend regagner le territoire national dès qu’elle le pourra afin de faire valoir ses prétentions politiques856. Elle tient en effet à rassurer ses lecteurs : les Français d’Allemagne redeviendront des Français de France857. A l’occasion de discours politiques ou de « quelques festivités à prétention artistiques ou culturelles »858, les membres de la Commission insistent sur le fait que leur installation ne possède qu’un caractère temporaire : « Nous ne sommes absolument pas ici en Allemagne pour constituer des colonies durables et, à plus forte raison, malgré toute l’amitié que nous pouvons avoir pour ce grand peuple, n’avons-nous pas la moindre intention de nous laisser absorber par lui. Si accueillant que soit le Reich, le Reich sait bien qu’il n’est pas notre patrie, et le drapeau qui flotte sur le château de Sigmaringen est là pour témoigner, au moins symboliquement, qu’il s’agit d’une cordialité qui, pour être cordiale, n’en est pas davantage durable, du moins nous l’espérons, et c’est dans le respect de la souveraineté française que les réfugiés intellectuels doivent continuer ainsi leurs efforts. »859 Parallèlement au tirage de La France et à partir du 1er novembre 1944, l’émission radiophonique favorable à la Commission « Ici la France » (au sous-titre évocateur de « poste gouvernemental ») émet sur les ondes pendant 90 minutes quotidiennes, de 19h30 à 21h860. Le premier exemplaire de La France l’annonce quelques jours auparavant en reproduisant le discours prononcé le 1er octobre 1944 à Sigmaringen : « Bientôt des Français qui n’ont pas renoncé à espérer dans une révolution nationale qui en 1940 représentait le vœu de l’immense majorité, s’adresseront à vous par les ondes françaises. »861 er 855 La France, n°7, mercredi 1 novembre1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 856 A l’instar de Joseph Darnand qui déclare devant 3'000 miliciens : « Nous devons rentrer en er France et nous y rentrerons. » : in La France, n°7, mercredi 1 novembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 857 Jean Luchaire, Commissaire général à l’Information et à la Propagande, "« La France » ? Un acte d’espoir", in La France, n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 858 Gérard-Trinité Schillemans, Philippe Pétain, le prisonnier de Sigmaringen, op. cit., p. 114. 859 "Exposé de Marcel Déat, Ministre, Commissaire au travail et la solidarité nationale" à l’occasion de la « réunion d’études des intellectuels français résidant actuellement en Allemagne » en date du 3 novembre 1944 : in La France, n°10, lundi 6 novembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 860 Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945), op. cit., p. 697 ; Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., p. 414. 861 Jean Luchaire, Commissaire général à l’Information et à la Propagande, "« La France » ? Un acte d’espoir", in La France, n°1, jeudi 26 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen. 223 Le succès d’« Ici la France » est toutefois supplanté par celui d’une émission concurrente lancée par le P.P.F. mi-octobre 1944, celle de « France Radio », ersatz d’émission de Radio-Paris dont les autorités allemandes autorisent la diffusion862. Elle émet plus longuement, soit 150 minutes quotidiennes (de 12h30 à 13h30 ainsi que de 19h30 à 21h) et est reçue plus largement, bien au-delà de Baden-Baden, jusqu’en France863. Appelée aussi par ses auditeurs « France Patrie » et « Radio Patrie »864, elle diffuse des bulletins de propagande apportant notamment des nouvelles militaires favorables aux armées du Reich, des allocutions enthousiastes de membres du Comité et du P.P.F. entrecoupés de morceaux de musique classique865. Disposant d’un solide soutien financier allemand, l’équipe de Jacques Doriot entre à la rédaction de La France fin 1944. Depuis le 22 décembre 1944, en effet, Jacques Ménard, proche de Jean Luchaire, n’est plus directeur de publication. Il en a été écarté au profit d’Henry Mercadier, membre du P.P.F.866. En conséquence, La France prend des accents favorables au Comité. Il rejoint par là Le Petit Parisien que le P.P.F. tire officiellement depuis le 6 janvier 1945 à 80'000 exemplaires (soit près de deux fois plus que le tirage de La France, avec un papier et un service de relecture de meilleure qualité) sur les rotatives du journal nazi local, la Bodensee Rundschau867. Le Comité dispose donc sans conteste de moyens financiers et techniques plus élaborés que la Commission868. Or, la compétition médiatique entre la Commission et le Comité est un enjeu de taille : « tous les moyens de diffusion étant aux mains du comité, c’était le P.P.F. qui bientôt allait faire la loi dans les services Bruneton, agir du côté des camps de prisonniers, disposer pratiquement de tous les moyens de pression et d’action. »869 862 Le journal intime d’Alphonse Stoffels témoigne des débuts de l’émission de radio la semaine du 14 octobre 1944 : Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. Jean-Jacques Brunet note le 20 octobre 1944, pour sa part : cf. Jean-Jacques Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, op. cit., pp. 476-477. 863 Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., p. 408. 864 France Patrie est, pour Alphonse Stoffels, « la voix de la France nouvelle » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 865 Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 866 Message du Groupe du Lac de l’Etat-major de l’armée suisse à Pierre Bonna, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, du QG, le 15 décembre 1944, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348. 867 Le Petit Parisien est alors dirigé par la même personne que lorsqu’il est édité à Paris, Claude Jeantet. Voir : Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., p. 408 ; Jérôme Vaillant et al, La dénazification par les vainqueurs la politique culturelle des occupants en Allemagne 1945 – 1949. France : Presses universitaires de Lille, 1981, pp. 6667 ; Michèle Cointet, Nouvelle histoire de Vichy (1940-1945), op. cit., p. 697. 868 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 900ss. 869 Ibid., p. 923. 224 Le Petit Parisien et « France Radio » s’attachent dès lors à pourvoir la stratégie de Jacques Doriot de procédés d’envergure dans sa lutte antibolchévique870. Soutenant les efforts qu’il fait en vue de lui donner un rôle prépondérant dans la guerre civile en France qu’il augure871, ces moyens de propagande ne camouflent plus les objectifs du chef du P.P.F. qu’il n’ose assumer avant 1939, à savoir former un parti unique et perpétrer un coup d’Etat872. Jacques Doriot sait qu’il a dorénavant le vent en poupe. A Constance, deux bureaux de liaison allemands concrétisent le fait que le Reich mise dorénavant clairement sur lui. Il s’agit de celui du S.D. et de celui du Ministère des affaires étrangères. Ce double encadrement reflète encore une fois la rivalité entre les structures allemandes tout comme le fait que, pour le Reich, la structure doriotiste représente la future structure gouvernementale qu’il entend soutenir et contrôler. Le Ministère des affaires étrangères allemand conserve le rôle officiel de représentation diplomatique, tandis que le bureau du S.D. est instauré pour la mise en œuvre du projet que Heinrich Himmler octroie à Jacques Doriot dans le domaine du renseignement et de la création d’un mouvement de résistance en France873. Le coup d’arrêt de cette construction de propagande est marqué par le décès brutal de Jacques Doriot. La France publie alors un long article de Jean Luchaire874 ainsi que de nombreux articles lui rendant hommage875. Emettant à sa manière un aveu d’impuissance, La France précise qu’elle réduit le nombre de ses pages et annule la parution des petites annonces876. Si la presse et les émissions de radio collaborationnistes continuent d’être diffusées jusqu’au 20 avril 1945, leur contenu n’a plus d’importance : sans direction mobilisatrice, les collaborationnistes ne peuvent que réaliser leur échec, d’autant qu’ils perçoivent que la chute du gouvernement allemand à laquelle ils ne sont pas préparés les prive de leur meilleur soutien. 870 Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 199 ; Dominique Rossignol, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944. Paris : PUF, 1991 ; Jean-Paul Brunet, "Un fascisme français : le Parti populaire français de Doriot (1936-1939)", Revue française ème année, n°2, 1983, pp. 255-280 ; Henry Rousso, Pétain et la fin de de science politique, 33 la collaboration, op. cit., p. 264. 871 Dieter Wolf, Doriot, du Communisme à la Collaboration, op. cit., p. 409. 872 Ibid., p. 298. 873 Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutsch-französischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 19. L’article relève par ailleurs que le S.D. exprime souvent son irritation du fait que des membres du P.P.F. restent armés et font preuve d’indocilité à Constance. 874 La France, n°102, samedi et dimanche 24 et 25 février 1945, Staatsarchiv Sigmaringen. 875 La France, n°103 et 104, lundi et mardi 26 et 27 février 1945, Staatsarchiv Sigmaringen. 876 La France, n°102, samedi et dimanche 24 et 25 février 1945, Staatsarchiv Sigmaringen. 225 C – Les statuts individuels des anciens membres du régime de Vichy après Sigmaringen En avril 1945, parallèlement à la chute des institutions du Reich, les structures mises en place à Sigmaringen s’effondrent. Dès lors, les Français qui briguent en Allemagne des représentativités étatiques sont réduits à ne considérer leurs personnes que comme des personnes privées devant répondre de leurs responsabilités politiques et légales, notamment en terme pénal. Pour appréhender clairement les mécanismes d’un tel changement de paradigme, nous allons contextualiser les conditions du départ des collaborationnistes et des vichystes sur le terrain (a) avant d’aborder les cas des responsabilités individuelles des protagonistes (b), particulièrement lorsque leurs procès ont lieu sur le territoire national (c). a) La chronique d’une victoire militaire et ses conséquences sur le terrain Les mouvements militaires consacrent le succès de la France Libre sur les tentatives de la Commission et du Comité, comme nous allons l’aborder dans un premier point (1). Dans un second temps, pour faire suite à la question de la sauvegarde des personnes des Français sur le territoire allemand, nous proposons d’aborder la manière dont le Gouvernement provisoire gère cet aspect dans la zone qu’il occupe (2). 1. La prise de Sigmaringen par la 1ère armée Dès les premiers jours de janvier 1945, Joachim von Ribbentrop intensifie sa stratégie de désinformation concernant la situation militaire. Sa propagande affirme que l’offensive des Ardennes de décembre 1944 couronne de succès l’armée allemande877. Si la manœuvre se révèle relativement efficace dans un premier temps, elle contient toutefois des failles et la confirmation de l’échec de la Wehrmacht parvient jusqu’à Sigmaringen en février. En 877 Ian Kershaw, La fin, Allemagne 1944-1945, op. cit., p. 219. 226 apprenant que les armées alliées gagnent du terrain, la colonie de Sigmaringen panique et commence à réaliser qu’il lui faut penser au départ878. Effectivement, la 1ère armée française libère la dernière portion du territoire alsacien le 18 mars 1945 aux côtés des armées américaines. C’est à ce moment-là que Charles de Gaulle encourage Jean de Lattre de Tassigny à prendre des initiatives pour ne pas rester sous la tutelle effective des alliés, comme l’exprime un rapport de son état-major : « Suivant les ordres initiaux du Commandement suprême, elle attendra, en deçà de cette limite, que l’effet des offensives alliées, plus au nord, lui permettent d’entrer à son tour en Allemagne. Mais la 1ère armée française ne veut pas assister en spectatrice à l’envahissement de l’Allemagne d’outre-Rhin. Pour des raisons de prestige national, elle se doit de franchir le Rhin sensiblement en même temps que les unités américaines voisines. »879 Charles de Gaulle affiche ses ambitions de déjouer les plans de Dwight Eisenhower : « Bien qu’elle n’y fût pas invitée, puisque l’affaire se déroulerait en dehors de sa zone normale, elle trouverait moyen de s’en mêler tout de même et d’agir, le long du Rhin, à la droite des Américains. Par là même, elle allait conquérir sur la rive palatine du fleuve la base de départ voulue pour envahir Bade et le Wurtemberg. »880 Ce qui motive le président du Gouvernement provisoire est de faire une démonstration de de force, quitte à contrarier les plans américains. Un autre exemple est celui de son objectif de s’emparer de Stuttgart « et, remontant ensuite le Neckar, atteindre la frontière suisse près de Schaffhouse »881. Il ne s’agit pas de capturer vivant Philippe Pétain et ceux qui l’ont suivi ; à ce sujet, Pierre König exprime qu’il serait préférable que Philippe Pétain trouve la mort par les armes allemandes : « Il est regrettable qu’il n’ait pas pu trouver en Allemagne une mort de soldat. Cela nous aurait épargné une des situations les plus délicates, les plus difficiles à résoudre que nous puissions imaginer. »882 Charles de Gaulle donne l’ordre d’arrêter les anciens membres du régime de Vichy mais, avec une formule sibylline, indique qu’il préfère ne pas rencontrer Philippe Pétain883. Pour 878 Otto H. Becker, "« Ici la France » : Die Vichy-Regierung in Sigmaringen 1944/45", op. cit., p. 439. 879 Rapport des services de renseignement du Commandement de l’armée groupe I b, EtatMajor de la Première armée française, La victoire du « Rhin et Danube », Arch. féd., E 27 9965 Bd : 24-27. 880 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 740. 881 Ibid., pp. 754ss. 882 Lettre du Ministre de Suisse à Paris à Max Petitpierre, Conseiller fédéral, chef du Département politique fédéral, de Paris, le 2 juillet 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 227 comprendre l’instruction qu’il transmet à son armée, il nous est utile de nous référer aux écrits de Walter Stucki, qui note détenir des informations selon lesquelles Charles de Gaulle, abordant la question de la prise de Sigmaringen par la 1ère armée, donne la directive claire à Jean de Lattre de Tassigny de faire en sorte que Philippe Pétain puisse s’échapper en Suisse884. Ces informations sont corroborées par le témoignage du colonel Henry Guisan, fils du général, qui affirme que, le 22 avril 1945, Jean de Lattre de Tassigny dans son PC de Karlsruhe lui confie la mission de contacter Max Petitpierre afin de lui faire part de son plan impliquant la Suisse en cas de capture de Philippe Pétain (et de Maxime Weygand) par la 1ère armée : concrètement, par l’intermédiaire de son commandant, la France propose à la Suisse d’exfiltrer l’ancien chef de l’Etat sur le territoire helvétique885. Cette information fait écho au contenu d’un message du directeur général de la Tribune de Genève, Edgar Junod, transmis par le chef du Département militaire fédéral au Département politique fédéral le 29 mars 1945, selon lequel : « le général de Lattre de Tassigny s’apprêterait, après son entrée en Allemagne, à donner la chasse aux émigrés français, mais qu’il s’arrangerait à laisser Pétain chercher refuge en Suisse. […] Si jamais [cela] se réalisait, elle donnerait lieu très certainement à de très violentes protestations de la part des communistes français et il ne serait nullement impossible que, devant cette explosion de la colère populaire, le gouvernement fut amené, nolens volens, à faire à Berne une démarche qui mettrait le Conseil fédéral dans une position d’autant plus délicate que le parti communiste suisse ferait immédiatement chorus. » L’informateur ajoute que, selon une autre source : « en prévision de son entrée en Allemagne, Delattre [sic] aurait demandé par écrit à de Gaulle ce qu’il devait faire, le cas échéant, des émigrés qui lui tomberaient sous la main, et qu’il aurait reçu pour seule réponse de "laisser partir Pétain". Autrement dit, les autres émigrés seraient laissés à sa discrétion, mais de Gaulle préfèrerait ne pas avoir à trancher le cas du Maréchal. Même dans cette hypothèse, une démarche à Berne ne serait d’ailleurs pas exclue car le gouvernement français pourrait être amené à se couvrir ainsi devant son opinion 883 « Au général de Lattre, qui me demandait quelle conduite il devrait tenir s’il advenait que ses troupes, approchant de Sigmaringen, trouvassent là ou ailleurs Philippe Pétain et ses anciens ministres j’avais répondu que tous devaient être arrêtés, mais que, pour ce qui était du Maréchal lui-même, je ne désirais pas qu’on eût à le rencontrer. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 698. 884 Aide-mémoire de Walter Stucki à Max Petitpierre, suite à la visite de Jean Jardin, ancien chargé d’affaires français à Berne, de Berne, le 4 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 885 Lettre de Henry Guisan, colonel, à Max Petitpierre, Conseiller fédéral et chef du Département politique fédéral, le 25 avril 1945, Arch. féd., E 2800 1990/160/18. 228 publique, dans l’idée que le Conseil fédéral ne saurait retirer après coup au maréchal le bénéfice du droit d’asile. »886 Or, c’est le 31 mars 1945 que la 1ère armée française franchit le Rhin. Tandis que le Commandement allié s’attend à ce qu’elle reste en Alsace, elle passe par le Palatinat, pénétrant dans le Bade début avril 1945. Ayant atteint Karlsruhe, elle conquiert la trouée de Pforzheim en direction du sud, vers les plateaux du Wurtemberg, luttant contre la 19ème armée allemande avant d’entrer dans la Forêt noire887. Les nouvelles des développements militaires parviennent à Sigmaringen où les habitants étrangers comme les dignitaires, les militaires et les S.S. allemands ne se font guère d’illusions. S’ils ne fuient pas, ils se feront sous peu arrêter sur place par la 1ère armée : « Le 1er avril, les Français annoncent qu’ils ont franchi le Rhin. Voilà qui est pour nous : nous savons en effet quelles doivent être les « zones d’occupation ». Comme il sied, Sigmaringen est dans la zone d’occupation. »888 En mars 1945, le bourg peine à loger tous les réfugiés français mais aussi tous les autres ressortissants, majoritairement allemands, qui fuient les bombardements des alentours et cherchent à y trouver un répit : nombreux sont les documents qui témoignent des réquisitions d’urgence et des lits de paille qui s’amoncellent889. A partir du 16 avril 1945, les autorités allemandes poussent un millier de civils français à partir de Sigmaringen ; certains n’ont toutefois pas attendu d’être expulsés et c’est accompagnés de nombreux S.S. que, sous des vêtements civils, ils prennent la route à pied en direction de l’Allgäu et de la Bavière. Le 18 avril 1945, plusieurs collaborationnistes et anciens membres du régime de Vichy, tels Joseph Darnand, Marcel Déat et Jean Luchaire, tentent ainsi de s’enfuir par les airs pour le Tyrol ou l’Italie depuis l’aérodrome de Mengen890. 886 Message du chef du Département militaire transmettant au Département politique fédéral une lettre d’Edgar Junod, directeur général de la Tribune de Genève, de Berne, le 29 mars 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 et E 2800 1967/60. Max Petitpierre en accuse réception en remerciant Edgar Junod de ces « informations intéressantes » : in Lettre de Max Petitpierre, chef Département politique fédéral à Edgar Junod, Directeur général de la Tribune de Genève, de Berne, le 29 mars 1945, Arch. féd., E 27/14487. 887 Rapport des services de renseignement du Commandement de l’armée groupe I b, EtatMajor de la Première armée française, La victoire du « Rhin et Danube », Arch. féd., E 27 9965 Bd : 24-27. 888 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 935. 889 Voir les réquisitions et les rapports conservés sous la cote Ho T 235 T 19-22, Staatsarchiv Sigmaringen. 890 "Pétain „regiert“ in Sigmaringen", Stuttgarter Zeitung, n°208, 7 septembre 1984, Kreisarchiv Sigmaringen. 229 Depuis Freudenstadt, un groupement d’attaque de l’armée française atteint le Danube. Il entre à Sigmaringen le 21 avril 1945 ; quelques heures auparavant, Pétain est opportunément parti sous escorte allemande. Il n’est pas l’objet d’une traque de la part des militaires français ; leur mission est de « poursuivre la manœuvre dans le cadre prévu […] de façon à fermer la poche dont le centre est sensiblement Ebingen »891. Leur priorité est d’opérer un « nettoyage » de la zone, ce qu’ils effectuent jusqu’au 28 avril 1945, libérant en cours de progression plusieurs milliers de prisonniers français du BarackenLager de la région892. Une fois le territoire sécurisé, l’objectif final des Français, parallèlement aux avancées des Alliés et des Russes en direction de Berlin, sera de poursuivre le plus loin possible et de prendre le Berghof, résidence secondaire bavaroise d’Adolf Hitler. La désorganisation tant des autorités allemandes que des Français sur place est frappante. Nous pouvons nous demander si ceci est le résultat d’un climat attentiste généralisé ou d’une mécanique de propagande efficace ayant rendu les individus impropres à anticiper leurs prochains pas de manière autonome. Le sort des archives est, à ce sujet, confus. En effet, seul un nombre très faible de sources est conservé dans les fonds d’archives de la ville et de l’arrondissement de Sigmaringen. Concernant les archives allemandes du Baden-Württemberg, il nous a été transmis que la majeure partie des documents a été détruite sur ordre de Wilhelm Dreher, conseiller d'Etat nazi de Sigmaringen (Regierungspräsident), hormis ceux qui concernaient des enjeux locaux893. Le silence des archives, en ce qui concerne Sigmaringen, est donc le résultat d’une politique allemande de la terre brûlée des traces documentaires. Certes, nous pouvons avoir en particulier accès au cahier d'un certain Maximilian Schaitel qui décrit l'arrivée des Français de la France Libre et le départ des Français collaborationnistes, ainsi et surtout ère 891 "Rapport de la 1 armée française du Général de Lattre de Tassigny, en Alsace. Document ème ère bureau de la 1 armée française remis à tous les Commandants officiel établi par le 5 d’unités d’Armée fonctionnant sous les ordres du Général de Lattre de Tassigny", p. 39 : in ème D.I.M. 31 mars – 8 mai 1945, Arch. féd., E Rapport sur les opérations menées par la 2 27/9965 Bd : 24-27. 892 "Rapport de la 1 armée française du Général de Lattre de Tassigny, en Alsace. Document ème ère bureau de la 1 armée française remis à tous les Commandants officiel établi par le 5 d’unités d’Armée fonctionnant sous les ordres du Général de Lattre de Tassigny", pp. 40-42 : ème D.I.M. 31 mars – 8 mai 1945, Arch. féd., E in Rapport sur les opérations menées par la 2 27/9965 Bd : 24-27. Le rapport fait référence sans le nommer à l’ancien premier camp de concentration du Reich, sis à Heuberg, transformé à partir de 1940 comme caserne et camp de travail. L’armée française y libère le 22 avril 1945 plus de 20'000 prisonniers de guerre, majoritairement russes : voir notamment Julius Schätzle, Stationen zur Hölle : Konzentrationslager in Baden und Württemberg 1933-1945. Frankfurt/Main : Röderberg, 1974. 893 Selon notre entretien avec Otto Heinrich Becker, archiviste au Landesarchiv BadenWürttemberg / Abt. Staatsarchiv Sigmaringen, en date du 4 juillet 2007. ère 230 qu’un procès-verbal de la mairie de Sigmaringen et une déposition d’un résident attestant que des malles remplies de documents ont été saisies par les autorités militaires françaises894. La plupart des documents français semblent, quant à eux, avoir été détruits par leurs détenteurs, emportés avec eux (tels le manuscrit des mémoires de Marcel Déat ou les dossiers que Philippe Pétain conserve auprès de lui), voire abandonnés sur place et récupérés par l’armée française895. 2. La gestion humanitaire ad hoc de la zone d’occupation et le rôle de la Suisse Au fur et à mesure de l’avancée des troupes françaises à l’intérieur du territoire allemand, l’une des questions les plus urgentes est celle de la protection et du rapatriement des ressortissants français, qu’ils soient travailleurs, prisonniers, déportés ou internés. En particulier, les forces armées qui libèrent les camps mesurent sur place l’ampleur de leur responsabilité, notamment face à des prisonniers et des déportés en grand nombre dans des états de santé inquiétants. 894 Procès-verbal de la mairie de Sigmaringen du 15 mai 1945 et déposition d’Erich Güntert du 17 mai 1945, Dep. 1 T 9-10 / 328, Staatsarchiv Sigmaringen. La déposition, datée du 17 mai 1945, est celle d’un dentiste allemand, Erich Güntert, qui atteste que son cabinet de Sigmaringen a été réquisitionné pour y installer trois dentistes français. Pendant deux semaines, un certain Dr. Knapp de l’ambassade d’Allemagne y a stocké des malles remplies de documents. Certaines malles ont été récupérées par un transporteur, d’autres par le boulanger et une est restée dans le cabinet. Monsieur Güntert précise que le Dr. Knapp lui a alors proposé d’utiliser le papier contenu dans cette malle comme combustible pour se chauffer. Erich Güntert a indiqué ne pas avoir pensé que cette malle était importante jusqu’à ce qu’un fonctionnaire français la lui réclame. Il a alors demandé au maire de se saisir de la malle. Le procès-verbal de la mairie de Sigmaringen, daté du 15 mai 1945, atteste le contenu de la malle : un classeur contenant des dossiers de médecins juifs à Paris ainsi qu’un répertoire rotatif. Le maire précise que, lorsqu’il est venu chercher la malle, il était accompagné de deux chargés d’affaire du service diplomatique des Etats-Unis qui ont ordonné de rendre la malle aux autorités militaires françaises, ce qui a été manifestement fait. On trouve trace de ce juriste, le Dr. Knapp, que Gustav Struve présente comme « Ministre des Finances » au maire de Mainau le 10 octobre 1944 : Arnulf Moser, Das Französische Befreiungskomitee auf der Insel Mainau und das Ende der deutschfranzösischen Collaboration - 1944/45, op. cit., p. 19. 895 A titre d’exemple, citons le témoignage du lieutenant-colonel Jacques de Guillebon qui mène ses troupes jusqu’au Berghof, résidence secondaire d’Adolf Hitler, et qui relève que, quand les membres de l’armée française atteignent leur but, ils se saisissent « de tout, aussi bien des documents extraordinairement importants au point de vue politique, au point de vue diplomatique, que nous avons pu envoyer aux Archives de France parce que, par un heureux concours de circonstances, alors que nous étions tout de même dans l’armée alliée, pendant les deux premières journées de Berchtesgaden, nous n’avons pas vu un officier des services de renseignement ou des services spéciaux, nous étions libres de faire ce que nous voulions des documents que nous trouvions et ce que nous voulions, naturellement, c’était d’en faire part à notre pays. » : in Des Hommes Libres, Film de Daniel Rondeau et Alain Ferrari, op. cit., 1 : 52. Raymond Tournoux, lui, fait part de désorganisation dans le camp de la France Libre, qui parvient à se saisir de certains documents de Philippe Pétain à son départ de Vichy sans toutefois les conserver et les archiver dans de bonnes conditions : cf. le « mystère des malles du Maréchal », in Raymond Tournoux, Le Royaume d’Otto, op. cit., p. 194. 231 L’étude des documents conservés dans les archives fédérales est encore une fois utile pour analyser les évènements et permet d’appréhender les raisons pour lesquelles le gouvernement suisse s’investit alors. En effet, l’inquiétude des autorités suisses croît au rythme de l’avancée des blindés alliés. Désirant éviter que ne se multiplient les entrées illégales de civils et militaires en fuite sur son sol896, elle cherche à s’organiser. Un document est ainsi particulièrement frappant : celui du Consulat suisse à Stuttgart daté du 13 avril 1945. Ce dernier propose son concours afin d’organiser le passage transitoire par rail des « Français libérés » (déportés, prisonniers et travailleurs) sur le territoire suisse. Il souligne à cet égard que tant l’Allemagne, qui n’est plus désireuse d’assumer la responsabilité de ces personnes, que la France, qui a intérêt à les accueillir, devraient être favorables à ce plan897. Le 15 avril 1945, la légation de Suisse en Allemagne repliée à Bernried bei Tutzing propose, quant à elle, que les très nombreux prisonniers de guerre, internés civils et « travailleurs volontaires » français soient internés provisoirement en Suisse, non pas par sentiment humanitaire mais par esprit pragmatique. Selon Hans Frölicher, en effet, ces personnes sont armées et proches de milieux révolutionnaires et il est à craindre que leur présence ne favorise des actes de pillage et d’autres violences incontrôlables qui pourraient causer des dommages à des propriétés suisses, en particulier dans le Voralberg et près du lac de Constance, sans compter qu’ils sont susceptibles de propager maintes épidémies. Le chef de la légation suisse souligne avoir obtenu le consentement enthousiaste de responsables allemands à ce projet. Il précise que la délégation suisse du Comité International de la Croix-Rouge soutient vivement l’idée que la Suisse interne dans les meilleurs délais les Français, d’autant que le nombre de malades parmi eux ne cesse de croître. La délégation ajoute même que la Suisse doit, quoi qu’il en soit, se préparer à les accueillir quand le gouvernement allemand chutera898. Il semble que l’argument du Consulat à Stuttgart convainque Berne plus que les alarmes catastrophées de sa légation de Bernried bei Tutzing puisque, le 20 avril 1945, le gouvernement suisse alerte les gouvernements de la France, des Etats-Unis et de la 896 Pour rappel, c’est à partir de 1942 que le Département fédéral de justice et police renforce les dispositions de police en vigueur en relevant que « les réfugiés entrés illégalement doivent être refoulés même s’ils courent danger de mort » : in Décision présidentielle à l’instigation du Département fédéral de justice et police du Conseil fédéral du 4 août 1942, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 14 (1941-1943), n°222. 897 Lettre du Consulat suisse à Stuttgart, de Stuttgart, le 13 avril 1945, E 2300 1000/716 Bd : 449. 898 Le Ministre de Suisse en Allemagne, Hans Frölicher, au chef du Département politique fédéral, Max Petitpierre, de Bernried bei Tutzing, le 15 avril 1945, Arch. féd., E 2801/1967/77/6, Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°417 Annexe. 232 Grande-Bretagne. Il leur demande s’il doit contacter le gouvernement allemand pour autoriser la libération et le rapatriement des prisonniers et des déportés se trouvant au sud de l’Allemagne et au Voralberg, que « le gouvernement allemand est, semble-t-il, incapable de ravitailler »899. Dès fin mars 1945, en effet, force est de constater qu’il n’y a plus de direction politique et militaire univoque en Allemagne et que certains membres du gouvernement allemand ont quitté Berlin pour se mettre à l’abri en Allemagne du sud900. En ce qui concerne la France, le gouvernement suisse propose en particulier d’organiser le transport des « fugitifs » jusqu’à sa frontière pour que, là, s’organise « leur triage ». Il ajoute que « la Suisse hospitaliserait dans les limites de ses possibilités les grands blessés et malades intransportables », tout en précisant qu’« elle devrait recevoir l’assurance des autorités françaises qu’aucun de ces fugitifs ne serait refoulé en Suisse »901. Assurément, le « traitement des fugitifs » à sa frontière préoccupe fortement le Conseil fédéral : la veille, il décide de contacter le Ministre de Suisse en Allemagne pour effectuer des démarches de libération en faveur de 6'000 personnes et de contacter la France pour s’entretenir de la question du reste des réfugiés à venir902. Le gouvernement suisse entend faire preuve de pragmatisme politique, signifiant le caractère fortement limité de ses capacités d’accueil temporaire903 : 899 Aide-mémoires de Max Petitpierre pour l’ambassade de France à Berne et les légations des Etats-Unis d’Amérique et de Grande-Bretagne de Berne, le 20 avril 1945, Arch. Féd., E 2800 1967/60. 900 Lettre de la légation suisse en Allemagne au Conseiller fédéral Max Petitpierre, chef Département politique fédéral, le 30 mars 1945, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 69. Le gouvernement suisse persiste toutefois jusqu’au dernier instant à demander à sa légation en Allemagne de se mettre en contact avec « les autorités allemandes », c’est-à-dire, concrètement, « soit dans le réduit, soit Général Kaltenbrunner, adjoint de Himmler » : à titre d’exemple, le 28 avril 1945, le Département politique tient à émettre un document officiel qui demande à la légation de vérifier officiellement si les « rumeurs persistantes auxquelles le Conseil fédéral ne peut rester insensible, extermination de déportés encore dans les camps serait envisagée » sont fondées « pour qu’on puisse les démentir dans la négative ou, si elles sont fondées, [d’insister] sur la gravité de telles mesures » [sic] : Télégramme du Département politique fédéral à la légation suisse en Allemagne repliée à Bernried bei Tutzing, du 28 avril 1945, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 69. 901 Aide-mémoires de Max Petitpierre pour l’ambassade de France à Berne et les légations des Etats-Unis d’Amérique et de Grande-Bretagne de Berne, le 20 avril 1945, Arch. Féd., E 2800 1967/60. 902 Communication verbale du Conseil fédéral de Berne, le 19 avril 1945 concernant le traitement des fugitifs à la frontière allemande, Arch. féd., Protokoll des Bundesrates, avril 1945, n°849. 903 Rappelant par là l’expression « la barque est pleine » du conseiller fédéral Eduard von Steiger en 1942 : in Discours du conseiller fédéral von Steiger du 30.8.1942 (Vortrag von Herrn Bundesrat von Steiger gehalten an der Landsgemeinde der "Jungen Kirchen" in Zürich-Oerlikon), Arch. féd., E 4001 C 1 /185, Documents diplomatiques suisses, vol. 14 233 « Il est constaté en outre que, d’après les calculs faits par le département de justice et police, avec le concours du service du corps des gardes-frontières, le chiffre maximum de personnes qui pourraient être reçues après un triage soigneux ne dépasserait pas 3'000 par jour. »904 D’ailleurs, avec une précision comptable, un communiqué officiel gouvernemental suisse relève, le 24 avril 1945, que 13'040 réfugiés ont pu gagner la Suisse entre le 18 et le 22 avril 1945 et que, parmi eux, 3'372 Français, 572 Hollandais et 355 Belges ont déjà pu regagner la France. De plus, il note que les prisonniers de guerre et travailleurs russes ont demandé l’asile et que seuls 5'446 d’entre eux ont été admis905. En effet, à partir de mai 1945, la Suisse organise l’hospitalisation de personnes internées et déportées sur son territoire, ainsi que des centres d’accueil temporaire (camps de quarantaine, camps de rapatriement pour prisonniers, travailleurs, déportés et internés). En particulier, un de ces accords concernant les personnes déportées valides civiles et militaires (il s’agit des Français ainsi que des titulaires d’autres nationalités accueillis par la France provenant surtout des camps de Dachau, Aalen et Mauthausen) prévoit qu’une fois leur quarantaine effectuée, la Suisse gère leur transit en train pour la France depuis Constance/Kreuzlingen jusqu’à Annemasse. Cette convention que ses représentants passent avec l’armée française précise que l’effectif prévu pour le transport ferroviaire de déportés valides ne s’élève qu’à 1'500 personnes906, ce qui montre une nouvelle fois que les responsables naviguent à vue, préférant administrer à court terme907. Cet accord franco-suisse fait suite à une sollicitation de la France en date du 7 mai 1945. En effet, la 1ère armée réunit les nombreux déportés malades ou blessés qu’elle découvre dans sa zone d’occupation et son commandement en appelle au gouvernement suisse (1941-1943), n°dodis : 14256. Voir de même Alfred Adolf Häsler, Das Boot ist voll : Die Schweiz und die Flüchtlinge, 1933-1945. Zürich : Ex Libris, 1967. 904 Communication verbale du Conseil fédéral de Berne, le 19 avril 1945 concernant le traitement des fugitifs à la frontière allemande, Arch. féd., Protokoll des Bundesrates, avril 1945, n°849. 905 Arch. Féd, Protokoll des Bundesrates, avril 1945, Annexe du n°902. 906 Note concernant le rapatriement en transit par la Suisse et l’hospitalisation en Suisse de PDR faisant part des conclusions prises lors de l’entrevue du 23 mai 1945 à St Margrethen ère entre les représentants militaires et médicaux de la 1 armée française et les représentants du service sanitaire de l’armée suisse, le 27 mai 1945, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 16 (1945-1972), n°4. 907 Nous rejoignons là l’opinion de Luc van Dongen, qui considère qu’« à une théorie planifiée à l’avance, les autorités préfèrent une attitude au coup par coup, laissant une plus grande marge de manœuvre » : in Luc van Dongen, Un purgatoire très discret. La transition « helvétique » d’anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945. France : Perrin, 2008, p. 206. 234 pour qu’il fasse ouvrir le centre d’accueil temporaire auquel il a fait allusion le 20 avril 1945 afin que le transport des prisonniers et des déportés puisse traverser son territoire : « Le Ministère des Prisonniers et le Délégué en France du Comité International de la Croix-Rouge, ayant examiné en commun la question, ont convenu que leur évacuation ne pourrait être entreprise avec succès qu’à travers le territoire de la Confédération helvétique, les voies ferrées dans le sud-ouest de l’Allemagne étant inutilisables. Le Gouvernement provisoire de la République française apprécierait hautement tout concours que le Gouvernement fédéral serait en mesure de lui apporter dans ce but. Il pourrait consister en la création en territoire suisse d’un centre d’accueil pour les grands malades à proximité de la zone occupée par les troupes françaises. La question de leur transport ne se poserait qu’à partir de ce centre. »908 Assurément, la Suisse s’active pour organiser la création et la gestion de centres et de transports ferroviaires destinés aux personnes devant à court terme quitter son territoire. Cependant, les dispositions relatives à l’hospitalisation temporaire en Suisse des personnes survivantes des camps de concentration n’étant pas en état de regagner le territoire de l’Etat dont elles sont ressortissantes posent problème aux autorités en ce qui concerne les enfants « trouvés » dans les camps. En effet, relevant que leur nationalité est délicate à établir, un haut fonctionnaire tel que Edouard de Haller n’hésite pas à afficher sa gêne face aux complications qu’il prévoit pour s’en « débarrasser »909. Concrètement, le 19 avril 1945, « afin d’empêcher que le pays ne soit submergé par un flot de réfugiés »910, le Conseil fédéral décide de « la fermeture totale de la frontière » nord-est entre Petit-Huningue (Bâle) et Altenrhein (St. Gall). Le 21 avril 1945, il décide également de fermer la frontière nord-est. Seuls quelques postes demeurent ouverts pour 908 Aide-mémoire de l’ambassade de France à Berne, le 7 mai 1945, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. 909 Il précise qu’il faudrait accueillir de préférence les enfants « possédant la nationalité d’Etats déterminés, qui les accueilleront sans autre à l’expiration de leur séjour en Suisse » (in Memorandum de Edouard de Haller, délégué du Conseil fédéral aux œuvres d’entr’aide internationale, à l’attention de Max Petitpierre, Conseiller fédéral, de Berne, le 30 mai 1945, Arch. féd., E 2001 D 3/484, n°dodis : 2183), voire qu’« il ne faut pas perdre de vue l'intérêt moral que nous avons à recevoir ces enfants, même au risque d'éprouver d'ici six mois ou un an quelques difficultés à nous débarrasser de certains d'entre eux." (in Memorandum de Edouard de Haller, délégué du Conseil fédéral aux œuvres d’entr’aide internationale, à l’attention de Max Petitpierre, Conseiller fédéral, de Berne, le 28 mai 1945, Arch. féd., E 2001 D 3/484, n°dodis : 13). 910 Cette peur d’être submergé est à rapprocher de la doctrine de l’angoisse d’un "envahissement" d’une population étrangère non assimilée (Überfremdung), particulièrement sous la forme de la peur de l’"enjuivement" (Verjudung), exprimée par les autorités suisses ème siècle : à ce sujet, voir Lorena Parini, La politique d’asile en depuis le début du XX Suisse. Une perspective systémique. Paris : L’Harmattan, 1997. 235 que puissent entrer « des personnes dignes de l’asile »911. Un rapport officiel précise qui sont ces personnes : « Pour qu’il soit possible d’exercer un contrôle et d’empêcher l’entrée d’éléments indésirables, la fermeture totale de la frontière a, suivant la situation générale, été temporairement ordonnée pour des secteurs déterminés. Seuls un nombre restreint de passages y demeuraient ouverts, par lesquels l’afflux de réfugiés a pu être canalisé. […] [Selon] les instructions de la division de police du 12 juillet 1944, on a refoulé les étrangers qui paraissaient indignes de l’hospitalité suisse à raison d’actes répréhensibles ou qui avaient lésé ou menaçaient les intérêts de la Suisse par leur activité ou leur attitude. Le changement complet de la situation amené par la fin des hostilités a engagé la division de police à donner de nouvelles instructions le 22 mai 1945. Exceptions mises à part, ces instructions interdisaient le passage de la frontière suisse aux civils étrangers qui n’étaient pas au bénéfice d’une autorisation d’entrée régulière. »912 En ce qui concerne les personnalités-otages, les services suisses s’activent également. Ainsi, d’après des informations transmises par le chef du service suisse des renseignements Roger Masson913, Heinrich Himmler a délégué le soin de régler la question du traitement des personnalités otages en Allemagne au général S.S. Walter Schellenberg, qui lui-même a chargé son subordonné, le Sturmbannführer-S.S. Hans Eggen, d’en gérer l’aspect opérationnel. Constatant l’inaction du C.I.C.R. et du Département politique à ce sujet, Roger Masson indique qu’il prend l’initiative de contacter directement Walter Schellenberg avec qui il est en contact régulier914. Il obtient notamment l’information selon laquelle Walter Schellenberg a donné l’ordre à son subordonné Hans Eggen de faire libérer « certaines personnalités » dans le Voralberg afin qu’elles se réfugient en Suisse. Il en tient pour preuve que la famille Giraud est déjà sur le territoire helvétique. La question des relations qu’entretient Roger Masson avec un haut gradé S.S. mise à part, nous retenons que l’opération de sauvetage des personnalités otages, en particulier celles détenues à Itter, peut en substance participer à restaurer l’image internationale de la Suisse, raison pour laquelle elle intervient : 911 Arch. Féd, Protokoll des Bundesrates, avril 1945, n°885. 912 C’est le rapport qui souligne : in Arch. Féd, Rapport de gestion du Conseil fédéral (19431944) Z – 74, p. 230. 913 Rapport sur le chef des renseignements militaires Roger Masson, de l’Adjoint à la Division de Police du Département fédéral de justice et police, Robert Jezler au Président du Conseil fédéral Eduard von Steigner, de Berne, le 19 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 914 Pour se dédouaner, Roger Masson souligne dans le rapport qu’Allen Dulles pense que Walter Schellenberg est un contact utile et que Carl Burckhardt, du C.I.C.R., le considère comme un sympathisant de la Suisse. 236 permettre à des personnes renommées de trouver refuge en pays neutre est une opération qui ne peut qu’être saluée, même si elle paraît tardive915. Quant au gouvernement provisoire français, il informe la Suisse que, s’il tient à ce que tous les prisonniers militaires français rentrent en France, il n’en oublie pas moins d’opérer une distinction de traitement concernant les ressortissants civils, les travailleurs et les déportés. Il précise, en effet, qu’il entend organiser le fait que leurs cas seront étudiés individuellement916. Paris se souvient des Français de Sigmaringen et de Mainau ainsi que des miliciens. Elle a déjà établi une liste de personnes qui devront répondre de leurs actes devant les tribunaux qu’elle a mis en place et dont la responsabilité individuelle est en jeu. b) Les responsabilités individuelles des vichystes et des collaborationnistes Les personnalités présentes à Sigmaringen et à Mainau opèrent des stratégies propres notablement différentes en fonction de leur compromission avec le gouvernement allemand. Aussi est-il particulièrement révélateur d’évoquer la situation de l’ancien chef de l’Etat français, Philippe Pétain, qui passe de l’état individuel d’otage sous les fers d’un Etat ennemi à celui d’un justiciable prenant ses responsabilités en toute autonomie (1), contrairement au cas des collaborationnistes marqués par le sceau de la contribution volontaire et active avec le Reich cherchant notamment en vain un refuge en Suisse (2). 915 Il transparaît, dans les passages rédigés par Robert Jezler, adjoint à la Division de Police du Département fédéral de justice et police, que le manque de coordination entre l’armée et la douane suisses embarrassent les responsables car certaines personnalités arrivent à la frontière suisse sans avoir été annoncées, comme Henri Giraud, bien que Roger Masson ait reçu une liste « de Paris » comportant le nom de « personnalités françaises » qu’il est prié de s’engager à faire libérer : in Rapport sur le chef des renseignements militaires Roger Masson, de l’Adjoint à la Division de Police du Département fédéral de justice et police, Robert Jezler au Président du Conseil fédéral Eduard von Steigner, de Berne, le 19 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. Il s’agit là d’une complexité due aux méandres juridiques de l’administration suisse, qui veut que plusieurs départements soient impliqués en ce qui concerne le refuge : voir Luc van Dongen, Un purgatoire très discret. La transition « helvétique » d’anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945, op. cit., pp. 207-208. 916 Lettre de la légation suisse en Allemagne, Hans Frölicher, au Conseiller fédéral Max Petitpierre, chef du Département politique fédéral, de Bernried bei Tutzing, le 7 mai 1945, Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 68. Par ailleurs, peu après l’armistice du 8 juin 1945, un service officiel français de rapatriement s’installe à Berlin. Rodolphe Lemoine, dit Rex (de son vrai nom Rudolf Stahlmann) s’y impose jusqu’à son arrestation par le contre-espionnage français en octobre 1945 : cf. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler. Paris : Nouveau Monde, 2013, p. 281. 237 1. Le cas Philippe Pétain Le traitement de Philippe Pétain est singulier et mérite attention : en effet, les autorités allemandes rappellent d’abord à l’ancien chef de l’Etat français son état de prisonnier (a) avant de lui permettre de recouvrer l’entière liberté de ses mouvements et de sa destination en territoire suisse (b). 1 – a D’un otage… Le 5 avril 1945, comprenant que le gouvernement allemand n’a plus les moyens ni de le contraindre pendant très longtemps ni de le protéger, Philippe Pétain se risque à écrire à Adolf Hitler, lui demandant de le laisser retourner en France assumer ses responsabilités judiciaires : « Je viens d’apprendre que les Autorités françaises se disposent à me mettre en accusation, par contumace, devant une Haute Cour de Justice ; les débats s’ouvriraient le 24 avril. Cette information m’impose une obligation que je considère comme impérieuse et je m’adresse à Votre Excellence pour qu’Elle me mette en mesure d’accomplir mon devoir. […] Je ne puis sans forfaire à l’honneur laisser croire, comme certaines propagandes tendancieuses l’insinuent, que j’ai cherché refuge en terre étrangère pour me soustraire à mes responsabilités. C’est en France seulement que je peux répondre de mes actes et je suis seul juge des risques que cette attitude peut comporter. J’ai donc l’honneur de demander instamment à Votre Excellence de me donner cette possibilité. Vous comprendrez certainement la décision que j’ai prise de défendre mon honneur de Chef et de protéger par ma présence tous ceux qui m’ont suivi. C’est mon seul but. Aucun argument ne saurait me faire renoncer à ce projet. A mon âge, on ne craint plus qu’une chose : c’est de n’avoir pas fait tout son devoir et je veux faire le mien. »917 Ce message, que Philippe Pétain demande à Otto Reinebeck de transmettre au dirigeant du Reich, reste sans réponse918. S’il a bien été transmis, force est de conclure que le sort de Philippe Pétain ne fait plus partie des priorités du dirigeant du Reich. C’est le 20 avril 917 Lettre du Maréchal Philippe Pétain à Monsieur le Chef de l’Etat Grand Allemand, de Sigmaringen, le 5 avril 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1b, E 4001 C 1000/783 Bd : 293 et J I.131 1000/1395 Bd : 9. 918 Kurt von Tannstein indique l’avoir transmis le même jour par radio chiffrée : Déposition de Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 275, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 238 1945 qu’il apprend qu’Otto Reinebeck a reçu l’ordre de le conduire en Bavière. Il proteste formellement contre le fait d’être escorté dans le réduit919 : « Depuis mon départ de Vichy le 20 août 1944, je n’ai cessé d’exprimer ma volonté de rentrer en France. J’ai souligné cette volonté dans ma lettre du 5 avril. Il m’est notifié maintenant que des mesures sont prises pour me transférer dans une zone plus à l’Est. Je suis obligé de constater que cette décision n’a pas pour effet de favoriser mon retour en France comme je l’avais demandé, retour que je considère comme l’accomplissement de mon devoir. J’insiste donc pour recevoir une réponse à ma lettre du 5 avril. »920 Otto Reinebeck ne peut que répondre à Victor Debeney que sa condition de prisonnier empêche en toute logique Philippe Pétain de s’opposer à son transfert : « Je lui rappelle que le Maréchal ne veut pas partir. Il me répond qu’il a l’ordre d’employer la contrainte, et la contrainte la plus formelle. Il indique, d’ailleurs, que, puisque le Maréchal se considère comme prisonnier, il ne comprend pas qu’il proteste contre le changement de sa résidence : un prisonnier va où on le met, il n’a pas à choisir lui-même sa résidence. »921 Victor Debeney raconte lors du procès de Philippe Pétain que c’est dans la nuit du 20 au 21 avril 1945 que ce dernier et sa suite, dont il fait partie, quittent Sigmaringen. Ils sont escortés en direction de Wangen im Allgäu, dans le sud du Baden-Württemberg, sous les bombardements. A Wangen, Philippe Pétain « apprend qu’il va être envoyé au château de Zell [sic]922 », à une vingtaine de kilomètres plus au nord-est. En dépit de ses protestations renouvelées, il y dort le 21 avril au soir, dans un bâtiment bondé de réfugiés venant des alentours. Pendant la nuit, les Français apprennent que l’instruction qu’ont reçue leurs geôliers est de les maintenir sous leur contrôle : « M. von Taugstein [sic]923 finit par dire qu’il a reçu de son gouvernement une instruction permanente lui interdisant de laisser jamais le Maréchal tomber entre les mains des troupes alliées. »924 919 Lettre du 21 février 1951 de M. Caillat, chargé par Walter Stucki d’écrire à Jean Jardin er (ancien chargé d’affaires de France à Berne, remplacé le 1 septembre 1944 par Jean Vergé), en réaction à l’article de Curieux du 10 janvier 1951, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 920 Note verbale du Maréchal Philippe Pétain à Monsieur le Chef de l’Etat Grand Allemand, de Sigmaringen, le 20 avril 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1b et J I.131 1000/1395 Bd : 9. 921 Déposition du Général Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 275-276, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 922 Il s’agit en réalité du château de Zeil, à Leutkirch im Allgäu. 923 Il s’agit en réalité de l’ex-secrétaire d’ambassade d’Allemagne à Sigmaringen Kurt von Tannstein. 239 S’il est loisible d’interpréter cette consigne comme une invitation à exécuter Philippe Pétain et les témoins, il semble que les employés diplomatiques allemands ne peuvent s’y résoudre. Au contraire, Otto Reinebeck et Kurt von Tannstein prennent l’initiative de protéger les personnes de Philippe Pétain et de sa suite. Ils admettent, en effet, qu’ils ne reçoivent plus d’instruction de leur gouvernement et qu’ils n’ont plus de contact avec Joachim von Ribbentrop. Ce sera de son propre chef qu’Otto Reinebeck propose alors d’établir le contact avec la Suisse et d’escorter Philippe Pétain et sa suite jusqu’à la frontière. La décision est prise et c’est la légation suisse à Berlin, repliée à Kisslegg (à 15 kilomètres de Zeil), qui reçoit la requête de Pétain de transiter par la Suisse pour retourner en France. Hans Wilhelm Gasser925, chargé d’affaires du service des intérêts étrangers de la légation suisse en Allemagne, atteste au gouvernement suisse qu’Otto Reinebeck confie que le gouvernement du Reich était prêt à donner leur autorisation de départ. Qu’il en ait ou non douté, Hans Wilhelm Gasser transmet à Walter Stucki la demande qui lui est faite. Effectivement, selon la procédure, il devrait la communiquer à Hans Frölicher qui est le fonctionnaire compétent pour ce faire ; comme il lui est néanmoins impossible de communiquer avec la légation à Bernried bei Tutzing (près du réduit bavarois), il s’en charge lui-même, demandant à un employé, Hans Frey926, de se rendre le 23 avril 1945 au poste-frontière suisse de St. Margrethen (dans le canton de Saint-Gall), afin de téléphoner à Walter Stucki927. Walter Stucki communique que les autorisations de transit sont accordées à Philippe Pétain et ses onze accompagnants928, ce que Hans Frey se hâte de transmettre, évitant de peu la mort car sa voiture essuie un bombardement sur le chemin du retour929. C’est donc le 24 avril 1945, à l’heure 924 Déposition du Général Victor Debeney, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Quinzième audience, mercredi 8 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, pp. 275-276, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 925 Futur consul général suisse à New-York. 926 Hans K. Frey communiquera plus tard avec Walter Stucki : Lettre de Hans K. Frey à Walter Stucki, Ministre, de Oberhofen, le 21 juin 1950, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 927 Notice de Hans Wilhelm Gasser en date du 24 avril 1945, adressée à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral par la Division des intérêts étrangers du Département politique fédéral, le 27 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 928 Il s’agit d’Annie Pétain (son épouse), Victor Debeney, Henri Bléhaut, Jacques Sassy lieutenant d’ordonnance de Henri Bléhaut ainsi que des personnes à leur service : Louis Sarasin (Chef du service de la sécurité du Maréchal Pétain), Henri Sentenac (garde), Martial Perrey (valet de chambre de Pétain), Léon Pauron et Roger Blanchard (chauffeurs), Henri Ollagnier (gendarme) et Gabriel Marinot (second-maître). 929 Déclaration de demande de visa de transit du 23 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10, E 2200.41 1000/1691 Bd : 1a/b et E 2800 1967/60 ; Procès-verbal de la séance du 240 d’ouverture du poste frontière de Bregenz, chef-lieu du Voralberg, que la colonne de voitures se présente. Depuis le matin, la gare et les ponts de la ville subissent de violents bombardements alliés. Toutefois les Français sont chanceux : le passage se fait sans encombre930. 1 – b … à un justiciable français prenant ses responsabilités L’autorisation de transiter par la Suisse n’est donnée à Philippe Pétain et ses accompagnants qu’à titre provisoire jusqu’au moment où les modalités de leur entrée en France auront été réglées. Respectant les formes, un message radiophonique diffuse la « demande d’information du Ministère des affaires étrangères de la demande présentée par Pétain de transiter par la Suisse avec sa femme et sa suite pour comparaître devant les tribunaux français »931. La légation suisse à Paris transmet cette demande, en précisant que « le Maréchal Pétain restera en Suisse jusqu’au moment où des instructions concernant le lieu et la date de la traversée de la frontière seront connues des autorités fédérales » et fait diffuser cette communication par la presse française932. Néanmoins, le Gouvernement provisoire paraît avoir intérêt à ce que Philippe Pétain reste en Suisse933 et le manifeste : « Il est exact que le Gouvernement français nous fit comprendre à l’époque qu’on verrait avec plaisir la Suisse garder le Maréchal sur son territoire, étant entendu qu’on protesterait et demanderait son extradition. Le Conseil fédéral ne pouvait se prêter à ce jeu, d’autant plus que le Maréchal lui-même ne voulait pas rester en Suisse. Il est probable que si le Maréchal avait demandé asile à la Suisse, le Conseil fédéral n’aurait pas refusé ; mais il est impossible de se prononcer sur ce point six ans après le passage du Maréchal en Suisse. »934 Conseil fédéral du 24 avril 1945, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°426. 930 Notice de Hans Wilhelm Gasser en date du 24 avril 1945, adressée à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral par la Division des intérêts étrangers du Département politique fédéral, le 27 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 931 Message radiophonique du 24 avril 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1b. 932 Lettre de la légation suisse à Paris, Ernst Schlatter, à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris, le 25 avril 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1b. 933 Où Philippe Pétain est acclamé, selon le témoignage d’Henri Bléhaut et de Victor Debeney récolté par Walter Stucki le 25 avril 1945 : Rapport de Stucki au Conseil fédéral de la visite de Pétain en Suisse, de Berne, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 et E 2800 1967/60. 934 Lettre du 21 février 1951 de M. Caillat, chargé par Walter Stucki d’écrire à Jean Jardin en réaction à l’article de Curieux du 10 janvier 1951, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 241 L’opinion publique française s’interroge. Certains journaux parient même pour une mise en scène organisée par le Garde des Sceaux, cherchant à retarder le procès pour négocier le retour de Pétain (L’Humanité du 25 avril 1945), d’autres y voient une manœuvre de l’Allemagne surprenant le gouvernement français en créant une scission au sein de la population (France Soir ou Le Populaire du 25 avril) y voyant aussi une manipulation de la Suisse935. La légation suisse à Paris ne manque pas de le relever : « Du côté des autorités françaises, on ne paraissait pas enchanté de l’arrivée en France du Maréchal, à la veille des élections municipales et l’opinion générale était que la libération du Maréchal Pétain par les Allemands ne signifiait qu’une manœuvre habile de ceux-ci pour jeter le trouble dans les esprits. On entend par contre, d’autres sons de cloche aussi. Nombreuses sont les personnes qui, tout en étant gaullistes convaincues, ne veulent pas considérer le Maréchal comme un traître à son pays et seraient scandalisées s’il était condamné à mort ou à la dégradation. »936 D’autres personnalités, à l’instar de Walter Stucki, craignent que Philippe Pétain ne sache se défendre devant ses juges et expriment qu’ils auraient préféré le préserver d’un triste destin prévisible937. Ce dernier a l’impression que Philippe Pétain ne réalise pas que l’opinion en France a changé (notant cependant que l’épouse du maréchal et les officiers sont, quant à eux, sans illusion) et fait savoir que Paris préfèrerait qu’il reste en Suisse938. Afin de sensibiliser le Conseil fédéral au cas où Philippe Pétain déposerait une demande d’asile en Suisse, il va jusqu’à préparer un mémento ultra-secret en faveur de ce 935 La presse française dénonce à de nombreuses reprises la compromission de la Suisse avec l’Allemagne, comme on le relève par exemple début mai 1945 : Lettre d’Ernst Schlatter de la légation suisse en France à Walter Stucki, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris, le 2 mai 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 936 Lettre de la légation suisse à Paris, Ernst Schlatter, à la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris, le 25 avril 1945, Arch. féd., E 2200.41 1000/1691 Bd : 1b. 937 Walter Stucki redoute que Philippe Pétain ne sache se défendre devant ses juges, car il dénote que si l’aspect extérieur de Philippe Pétain a peu changé, son ouïe et sa mémoire ont baissé : Rapport de Stucki au Conseil fédéral de la visite de Pétain en Suisse, de Berne, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 et E 2800 1967/60. Cette remarque corrobore effectivement ce qui transparaît clairement pendant toute la durée du procès de Philippe Pétain : Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 938 Dans un aide-mémoire qu’il destine à Max Petitpierre, Walter Stucki précise qu’Henri Hoppenot lui affirme : « Je sais qu’en très haut lieu à Paris on serait content si le Maréchal arrivait en Suisse. Malgré ça il n’est pas exclu qu’on pourrait me charger d’une démarche en sens contraire. » : in Aide-mémoire de Walter Stucki à Max Petitpierre, suite à la visite de Jean Jardin, ancien chargé d’affaires français à Berne, de Berne, le 4 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 242 dernier939. Persuadé que Philippe Pétain n’est pas un criminel de guerre, il communique à Henri Hoppenot que la Suisse fera tout pour offrir l’asile à l’ancien chef d’Etat s’il en fait la demande940. Il apparaît qu’en dépit du fait que le Département politique fédéral semble encore hésiter le 5 avril 1945, indiquant que pour des raisons de politique intérieure, une demande officielle du gouvernement provisoire français pourrait s’opposer à l’asile de Philippe Pétain en Suisse, même si sa volonté y était contraire941, l’asile aurait pu être octroyé à Philippe Pétain avant sa demande de transit du 23 avril 1945942. Nonobstant, la conviction de Philippe Pétain est faite : il tient à être présent lors de son procès pour répondre de ses actes et défendre son honneur de chef ainsi que celui de ceux qui l’ont suivi. C’est volontairement qu’il a demandé un visa de transit à la Suisse pour retourner en France. A ce stade, par la volonté de l’intéressé allant à l’encontre des manœuvres de la France Libre comme de la Suisse, il n’est pas question de dépôt de demande d’asile. En effet, la déclaration signée par Philippe Pétain et sa suite à l’occasion de leur demande de visa de transit contient un passage qui prend formellement acte du fait que : « Le gouvernement suisse ne saurait refuser une demande d’extradition présentée, à l’égard des personnes susvisées, par le Gouvernement provisoire de la République française. »943 Il est sans doute conscient que fuir ses responsabilités en restant en Suisse l’assimilerait à Guillaume II qui meurt en exil aux Pays-Bas944. Il sait qu’en gagnant la France, toute la procédure de son procès par contumace, qui était fixé le 17 mai, est annulée et qu’il sera 939 Remarques du Ministre Stucki concernant le Maréchal Pétain, document non daté, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 940 Comme il l’exprime dans un document daté de début avril 1945 : Aide-mémoire de Walter Stucki à Max Petitpierre, suite à la visite de Jean Jardin, ancien chargé d’affaires français à Berne, de Berne, le 4 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 941 Lettre du Département politique fédéral au chef du Département militaire fédéral Karl Kobelt, de Berne, le 5 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 et E 27/14487. 942 Suite aux démarches d’Henry Guisan dont nous avons déjà fait part tenant au projet d’exfiltrer incognito Philippe Pétain en Suisse afin qu’il y fasse une demande d’asile, en cas ère de capture par la 1 armée (Lettre d’Henry Guisan, colonel, à Max Petitpierre, Conseiller fédéral et chef du Département politique fédéral, le 25 avril 1945, Arch. féd., E 2800 1990/160/1), il apparaît que le gouvernement suisse aurait accepté cette demande d’asile : le Conseiller fédéral Max Petitpierre le confirme en effet, à ce propos, dans ses entretiens en 1979 avec le journaliste René-Henri Wüst, que « si le plan prévu avait pu se réaliser, je n’aurais pas hésité à admettre que les conditions du droit d’asile étaient remplies » : in Conversations de Max Petitpierre avec René-Henri Wüst en 1979, Arch. féd., E 2800 1990/160/18. 943 Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil fédéral suisse concernant l’entrée du Maréchal Pétain en Suisse du 24 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 ainsi que Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°426 et E 27 / 14486 et 14487. 944 Christopher Clark, Kaiser Wilhelm II: A Life in Power. London : Penguin, 2009. 243 certainement durement jugé. Il réalise en effet qu’il a perdu son prestige sur le territoire métropolitain945 et il déclare : « Je vois la manœuvre, on veut me mettre dans mon tort, on veut m’empêcher de sauver au moins mon honneur. Je ne veux pas rester en Suisse, je veux aller en France et cela aussi vite que possible. »946 Charles de Gaulle, qui reconnaît ne pas avoir désiré le retour de son prédécesseur, salue la volonté de celui-ci : « [Philippe Pétain a] obtenu des Allemands qu’ils l’y mènent et des Suisses qu’il l’y accueillent. M. Karl Burckhardt, ambassadeur de la Suisse, étant venu me l’annoncer, je lui dis que le gouvernement français n’était aucunement pressé de voir extrader Pétain. Mais, quelques heures plus tard, reparaissait Karl Burckhardt. « Le Maréchal, me déclara-t-il, demande à regagner la France. Mon gouvernement ne peut s’y opposer. Philippe Pétain va donc être reconduit à votre frontière. » Les dés étaient jetés. Le vieux Maréchal ne pouvait douter qu’il allait être condamné. Mais il entendait comparaître en personne devant la justice française et subir la peine, quelle qu’elle fût, qui lui serait infligée. Cette décision était courageuse. »947 Pendant deux jours, Philippe Pétain et sa suite séjournent ainsi confortablement dans un hôtel de luxe, le Schloss-Hôtel Mariahalden, à Weesen (St.-Gall)948. Suivant les indications des formalités douanières, Philippe Pétain dispose d’un million de francs français qu’il ne peut pas dépenser949 : c’est le gouvernement suisse qui règle les frais du séjour des Français950. Walter Stucki ne manque pas de le contacter en s’exprimant avec 945 « Je retourne dans mon pays… Je sais qu’on ne m’aime plus ; on aime un autre à ma place! » déclare Philippe Pétain à la propriétaire du Schloss-hôtel Mariahalden avant de prendre la route pour Vallorbe : in "Après le départ du Maréchal Pétain – les dernières heures passées en Suisse par l’ancien chef de l’Etat français", Tribune de Genève, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 946 Rapport de Walter Stucki au Conseil fédéral de la visite de Pétain en Suisse, de Berne, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 et E 2800 1967/60. 947 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 698. 948 C’est le chef du Département fédéral de justice et police de Saint-Gall qui informe la propriétaire du Schloss-hôtel Mariahalden que « des réfugiés français de marque » vont venir : in "Après le départ du Maréchal Pétain – les dernières heures passées en Suisse par l’ancien chef de l’Etat français", Tribune de Genève, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 949 Rapport de l’inspecteur de police Benz concernant le protocole du transfert en Suisse depuis l’Allemagne du Maréchal Pétain, du Ministère public fédéral, le 2 mai 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 950 Lettre de Walter Stucki à Ernst Schlatter, chargé d’affaires de la Suisse à Paris, de Berne, le 27 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 244 ferveur951 avant de lui rendre visite le 25 avril 1945, afin de lui annoncer en personne le départ pour la France prévu le lendemain. Les polices cantonales des cantons de Zurich et Vaud coordonnent le départ discret de la colonne de voitures qui emporte les Français à la frontière de Vallorbe952. Selon les instructions de la police fédérale, le Ministère public assure le passage de Philippe Pétain au poste de douane du Creux le 26 avril 1945. Un nombre impressionnant de membres armés de la force de l’ordre français est prévu : « Environ 150 gendarmes et agents de la Garde républicaine, venus dans 3 cars depuis Paris, font la haie de chaque côté de la route, sur une distance de 2 à 300 mètres. Quelques officiers français et des policiers en civil, se tiennent aussi de l’autre côté de la barrière »953. Le Commissaire spécial de police de Pontarlier, Manuel Perret954 coordonne les opérations. Le général Pierre-Marie König est présent et c’est le directeur-adjoint de la police judiciaire de Paris qui signifie à Pétain son mandat d’arrêt. Jean Mairey, Commissaire de la République de Bourgogne et de Franche-Comté par intérim955, parle avec l’épouse de Philippe Pétain pour lui signifier qu’elle ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt mais qu’il lui sera demandé si elle désire être internée avec son mari, ce qu’elle confirme. Le convoi automobile passe la frontière à 19h25 : le voyage se fera donc en toute discrétion, de nuit, par train spécial qui attend le convoi dans la gare française voisine des Hôpitaux Neufs956. 951 « Très ému de vous savoir sur le territoire suisse je vous présente ainsi qu’à Madame la Maréchale l’hommage de mon profond respect ainsi que mes vœux sincères pour votre anniversaire. J’aurai le plaisir de venir vous voir très prochainement. » : in Télégramme de Walter Stucki à Philippe Pétain, le 24 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 952 Rapport de l’inspecteur de police Benz concernant le protocole du transfert en Suisse depuis l’Allemagne du Maréchal Pétain, du Ministère public fédéral, le 2 mai 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 953 Rapport du Ministère public fédéral au chef de la police fédérale, de Berne, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 ; voir de même le rapport de police de l’inspecteur Benz, cité dans la Notice à l’attention du Conseiller fédéral Karl Kobelt du Département militaire fédéral, de Berne, le 26 avril 1945, Arch. féd., E 27/14487 et reproduit dans la Lettre du Département fédéral de justice et police à Walter Stucki, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Berne, le 5 mai 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 954 Ex-directeur du commissariat spécial de police d’Annemasse après la Libération, devenu directeur du Commissariat de police de Pontarlier dès 1945. 955 Que le Rapport nomme “Merrez” par erreur. Il deviendra Directeur général de la sûreté nationale. 956 Le train part des Hôpitaux Neufs à 21h29. Lors de la première halte, dans la petite ville de Pontarlier, à 21h57, près de 1’500 personnes manifestent violemment : Rapport de l’inspecteur de police Benz concernant le protocole du transfert en Suisse depuis l’Allemagne du Maréchal Pétain, du Ministère public fédéral, le 2 mai 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 245 Avant de partir, Philippe Pétain ne manque pas d’écrire à Walter Stucki un message de remerciement957. Par la suite, Walter Stucki prend au sérieux son rôle et tient à transmettre son récit aux autorités françaises. Il adresse le 27 avril 1945 à Ernst Schlatter, chargé d’affaires à Paris, une note rappelant les évènements tels qu’il en a été le témoin pour qu’il en diffuse les informations. Il martèle que la question de l’asile de Pétain aurait été désirée par la France mais n’a pas été posée car Pétain n’a pas voulu en faire la demande. Il précise que Philippe Pétain, qu’il considère comme affaibli et vieilli, a toujours refusé de rencontrer les autres Ministres et la Commission de Fernand de Brinon et a été transporté hors de Sigmaringen contre sa volonté. Il rappelle qu’Otto Reinebeck a pris l’initiative de le faire revenir en France via la Suisse et que le Conseil fédéral a donné l’autorisation de transit. Il souligne encore que, pendant tout son séjour en Suisse, Philippe Pétain a été considéré comme une personne privée protégée par la police fédérale et qu’il n’a pas été question d’un échange de personnes958. 2. Le cas des collaborationnistes Particulièrement désunis depuis le décès de Jacques Doriot, les collaborationnistes qui se sont compromis dans le camp de la nouvelle Europe dessinée par la propagande nazie préparent individuellement leur fuite959. Contrairement à l’attitude de Philippe Pétain, ils cherchent à fuir l’ire populaire et le verdict des juges de la France Libre. Leur panique les guide vers le sud en direction de la Suisse et de l’Italie pour tenter de s’y installer ou de gagner l’Espagne. Ils ne vont jamais en direction de l’est : quitte à être capturés, ils 957 « Monsieur le Ministre, Au moment où je vais quitter le territoire suisse, je tiens à vous remercier chaleureusement de l’accueil qui m’y a été réservé ainsi qu’à ma femme et aux personnes qui m’accompagnent, et je vous demande de vouloir bien être mon interprète auprès des Hautes Autorités du Conseil Fédéral. » : in Lettre de Philippe Pétain à Walter Stucki, de Vallorbe, le 26 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 958 Lettre de Walter Stucki à Ernst Schlatter, chargé d’affaires de la Suisse à Paris, de Berne, le 27 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. C’est lors de cet entretien que Walter Stucki apprend que Philippe Pétain admet qu’il aurait dû partir en novembre 1942, mais qu’il a cédé sous la pression : Rapport de Stucki au Conseil fédéral de la visite de Pétain en Suisse, de Berne, le 28 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10 et E 2800 1967/60. 959 « Notre situation s’est considérablement aggravée depuis quelques jours en raison du développement des opérations militaires. Nous serons obligés de quitter l’endroit où nous nous trouvons car le front s’approche de plus en plus. Nous nous dirigeons sans doute vers les frontières suisses et italiennes, ce sont les seuls endroits où nous pourrons nous réfugier et après nous ne savons pas du tout ce qui nous arrivera ou ce que nous deviendrons. Les évènements seuls nous fixeront à cet égard. […] L’exode recommence et nous ne savons pas du tout où et quand il s’arrêtera » : in Journal d’Alphonse Stoffels, Kreisarchiv Sigmaringen XI / 5 n°1-4 A. 246 préfèrent que ce soit par les Alliés occidentaux plutôt que par les Russes, qu’ils se figurent aussi cruels que les soldats d’Attila ou de Gengis-Khan960. Le territoire de la Suisse attire les fuyards de Sigmaringen et Mainau, par sa position géographique et sa neutralité. Dans un climat de relations diplomatiques tendues entre les Alliés et la Suisse, ils espèrent que la Suisse acceptera de les accueillir. En effet, la Suisse n’applique pas la nouvelle doctrine des « criminels de guerre » en droit international961 et n’établit aucune catégorisation claire relative aux fascistes, nazis et collaborationnistes. Cette position génère d’ailleurs quelques tensions avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Dès 1943, en particulier, le Président des Etats-Unis prévient les Etats neutres qu’il ne saurait accepter que ces derniers accordent l’asile aux dirigeants de l’Axe et à leurs instruments : « Le 21 août 1942 […], j’ai établi qu’il était l’intention de ce gouvernement que la victoire finale de la guerre doit inclure des dispositions pour la remise des criminels de guerre à l'Organisation des Nations Unies. Les rouages de la justice ont tourné en permanence depuis ces déclarations ont été émises et sont encore en mouvement. Aujourd’hui, selon des rumeurs, Mussolini et des membres de sa bande fasciste peuvent tenter de se réfugier en territoire neutre. Un jour, Hitler et sa bande et Tojo et sa bande vont essayer d'échapper à leur pays. Je trouve difficile de croire qu’un pays neutre donnerait asile ou étendrait sa protection à aucun d’entre eux. Je peux seulement dire que le gouvernement des États-Unis considérerait le fait qu’un gouvernement neutre offre l'asile aux dirigeants de l'Axe ou à leurs instruments comme incompatible avec les principes pour lesquels les Nations Unies se battent et que le gouvernement des États-Unis espère qu’aucun gouvernement neutre ne permettra que son territoire ne soit utilisé comme un lieu de refuge ou n’aide ces personnes dans tout effort pour échapper à leur juste châtiment. »962 960 Marcel Déat, Mémoires politiques, op. cit., p. 931. 961 Pour l’émergence de la catégorie de crime de guerre, voir : Déclaration de Saint James Palace du 12 janvier 1942 sur le crime de guerre et sa répression ; Déclaration de Moscou du 30 octobre 1943 sur le jugement des militaires et dirigeants nazis dans les pays où ils ont commis leurs crimes sauf les grands criminels jugés par les Alliés ; Conférence de Postdam du 17 au 2 août 1945 qui prévoit l’arrestation de criminels nazis ; Accords de Londres du 8 août 1945 qui définit les statuts du tribunal militaire international de Nuremberg : voir Arch. Nat., Archives du Service de Recherches des Crimes de guerre (1941 – 1949), BB 30 1785 – 1831. 962 « On August 21, 1942 […] I stated that it was: the intention of this Government that the successful close of the war shall include provisions for the surrender to the United Nations of war criminals. The wheels of justice have turned constantly since those Statements were issued and are still turning. There are now rumors that Mussolini and members of his Fascist gang may attempt to take refuge in neutral territory. One day Hitler and his gang and Tojo and his gang will be trying to escape from their countries. I find it difficult to believe that any neutral country would give asylum to or extend protection to any of them. I can only say that the Government of the United States would regard the action by a neutral government in affording asylum to Axis leaders or their tools, as inconsistent with the principles for which the United Nations are fighting and that the United States Government hopes that no neutral 247 Le Conseil fédéral résiste et démontre sa volonté de se distancier du nouveau droit international dont les contours restent imprécis en faisant primer son droit interne qui lui permet d’étudier les demandes d’asile au cas par cas : «Le Conseil fédéral […] ne pense pas que le Gouvernement de Sa Majesté (américain) ait eu, en faisant cette communication, l'intention de mettre en cause le droit d'asile comme tel, prérogative incontestable et intangible d'un Etat souverain. Sans doute s'agissait-il plutôt de signaler les intentions des « Nations Unies » à l'égard de ceux que la note appelle les « criminels de guerre » à défaut d'une définition précise et généralement acceptée et d'indiquer en l'état actuel des choses leurs conceptions au sujet d'un problème que le droit des gens n'est pas encore parvenu à résoudre. Aussi n'y a-t-il pas lieu pour le Conseil fédéral de s'engager sur cette question demeurée abstraite jusqu'à maintenant. Toujours résolue à sauvegarder son indépendance et sa liberté, résolument fidèle à la politique de stricte et loyale neutralité qu'elle a séculairement pratiquée dans son intérêt et dans l'intérêt général des peuples, - le présent conflit semble le confirmer -, la Suisse continuera à s'inspirer, dans les décisions autonomes que les circonstances la conduisent à prendre dans chaque cas, du bien suprême de l'Etat, de ses devoirs comme de ses droits de pays neutre et des principes supérieurs de l'humanité. »963 Les critères juridiques suisses d’admission pour le refuge restent ainsi non catégorisés. Si le Procureur général de la Confédération se prononce quant aux conditions du droit d’asile à la fin de l’année 1943964, ses indications restent générales, sans distinction de nationalité et ne ciblent aucunement les demandes d’asiles desdits criminels de guerre (seul les néo-fascistes de la République de Salò se voient opportunément refoulés965). A l’instar de Heinrich Rothmund, les juristes suisses considèrent que la catégorie des Government will permit its territory to be used as a place of refuge or otherwise assist such persons in any effort to escape their just deserts. » : Lettre du Ministre des Etats-Unis à Berne, Leland Harrison, au chef du Département politique fédéral, Marcel Pilet-Golaz, de Berne, le 31 juillet 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°412 Annexe 1 (notre traduction). Une lettre du même jour de la légation de GrandeBretagne à Berne au Département politique fédéral reprend le même discours (Annexe 2). 963 Procès-verbal de la séance du 19 août 1943 relative à la note adressée aux Alliés concernant le droit d'asile, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (19431945), n°412. 964 Il établit que deux conditions cumulatives doivent être réunies : le requérant doit être persécuté du fait d’une activité politique, sa vie devant être gravement menacée, et le refuge du requérant ne doit pas menacer la sauvegarde de la sécurité extérieure et intérieure de la Suisse. Le Procureur conclut en précisant qu’il est essentiel que la Suisse fasse preuve d’indépendance sans être manipulée par des pressions alliées : cf. Lettre de Franz Stämpfli, Procureur général de la Confédération, à Heinrich Rothmund, Directeur de la division de la police du Département fédéral de justice et police, de Berne, le 2 novembre 1943, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°412. 965 Les autorités considèrent en effet qu’il faille « par tous les moyens empêcher d’accueillir les rats qui quittent le navire en train de couler », selon l’expression de Heinrich Rothmund : in Lettre de Heinrich Rothmund à Mario Musso, Délégué de la Croix-Rouge suisse, de Berne, le 30 octobre 1944, Arch. féd., E 2001 D 3/269. 248 criminels de guerre est une invention juridique faible puisqu’elle est élaborée par des Alliés pour disqualifier leurs ennemis et ils relèvent que, par ailleurs, la Suisse dispose déjà d’instruments juridiques adéquats966. Les directives du 12 juillet 1944, en effet, spécifient la catégorie d’étrangers ayant droit à l’asile et la catégorie des « étrangers indésirables » qui sont à refouler967. Ces derniers sont ceux qui, selon ces directives, ont commis des « actes répréhensibles ou qui ont lésé ou menacent les intérêts de la Suisse par leur activité ou leur attitude ». La Suisse ne définit toujours pas de critère permettant de dégager une catégorie systématique de personnes à refouler, mais c’est sur cette base que se fonde le rejet des collaborationnistes qui, par intérêt et adhésion, se sont engagés dans la collaboration avec l’Allemagne968. Quand le Conseil fédéral émet l’arrêté du 30 août 1944, modifié et renforcé par l’arrêté du 27 février 1945 précisant que doivent être considérés comme des civils indésirables les membres de la Gestapo cherchant à entrer en Suisse au même titre que les membres de la Wehrmacht969, le Ministère public de la Confédération compose alors une liste de 6'500 noms de personnes ne se limitant pas à des derniers, en inscrivant de nombreux noms de miliciens et collaborationnistes français970. Parmi ces « étrangers indésirables » pour cause de collaboration active avec l’Allemagne, on compte Marcel Déat, Jean Luchaire et Joseph Darnand. Parvenus en Italie, seul Marcel Déat parvient à survivre dans la clandestinité en bénéficiant de réseaux d’entraide catholiques. Pour les moins chanceux, c’est le 25 mai 1945 que Jean Luchaire puis le 25 juin 1945 que Joseph Darnand sont arrêtés. Ils sont tous deux livrés aux autorités françaises qui préparent leur procès971. Fernand de Brinon, quant à lui, prend la route pour les Alpes autrichiennes. Bloqué à Innsbruck, il n’obtient pas non plus l’autorisation d’entrer en Suisse. Arrêté au Tyrol par l’armée des Etats-Unis, il est livré le 9 mai 1945 à 966 Lettre de Heinrich Rothmund à Arthur Rieter, de Berne, le 20 septembre 1944, Arch. féd., E 2001 D 3/264. 967 Il s’agit des Instructions concernant l’administration ou le refoulement des réfugiés étrangers de la Division de police du Département fédéral de justice et police, le 12 juillet 1944, Arch. féd., E 4320 B 1991/243/17. 968 Rapport de Robert Jezler, de Berne, le 17 août 1944, Arch. féd., E 4320 B 1990/226/351. C’est aussi sur ce fondement qu’une demande d’asile émanant de Benito Mussolini, qui n’a jamais eu lieu, n’aurait jamais été acceptée : cf. Document interne sur la question de l’accueil des réfugiés, de Berne, le 9 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 969 Arrêté du Conseil fédéral du 30 août 1944, Arch. féd., E 2001 D 3/264 ; Arrêté du Conseil fédéral du 27 février 1945, Arch. féd., Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (19431945), n°381. 970 Liste de personnes à refouler, Ministère public de la Confédération (avril 1945) : cf. Arch. féd., E 4320 B 1990/266/350. 971 Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, 1939-1945, op. cit., p. 373. 249 la 1ère armée française. Paul Marion et Abel Bonnard, de leur côté, tentent de passer la frontière en accompagnant le personnel de l’ambassadeur japonais Takanobu Mitani. Ils sont finalement refoulés à la frontière autrichienne, Walter Stucki rappelant qu’ils ne peuvent en aucun cas recevoir l’asile972. Abel Bonnard se plaint depuis le buffet de la gare de St. Margrethen auprès de Walter Stucki : « La Suisse pouvait ne pas m’accueillir ; je n’aurais pas cru possible que ce pays que j’avais depuis longtemps connu et loué, aimé et admiré, pût me chasser après m’avoir accueilli. Je suis plus triste encore de sa conduite pour lui que pour moi. »973 En ce qui concerne Pierre Laval, on retrouve sa trace dans le Voralberg, à la douane de Tisis, près de Feldkirch, face à Schaanwald au Liechtenstein, quand il cherche à entrer à Coire (Grisons) le 23 avril 1945. La douane informe en effet la Suisse que Pierre Laval, son épouse, Charles Rochat, Maurice Gabolde, M. Neraud (secrétaire privé de Pierre Laval), trois chauffeurs et trois automobiles se sont présentés pour demander l’asile. Parmi eux, seul Charles Rochat, grâce à sa réputation et ses relations à Berne, est accepté974. Il fait partie des rares Français acceptés car, pour les autorités suisses, il n’appartient pas à la catégorie des « étrangers indésirables » du fait de sa moralité (sens du devoir, discipline) et de son patriotisme (lié à un antibolchevisme). Charles Rochat représente ainsi les pétainistes de bon teint estimés par Walter Stucki et Eduard von Steiger. En d’autres termes, il ne fait pas partie des collaborationnistes au regard de la doctrine des hauts fonctionnaires suisses car il représente le côté acceptable voire louable du gouvernement du régime de Vichy. En conséquence, ce dernier reste en Suisse une dizaine d’années, à l’abri de sa condamnation à mort par la Haute Cour de Justice en juillet 1946. L’asile n’est, en revanche, pas accordé au reste des personnes qui l’accompagnent en avril 1945, qui sont informés par les services douaniers qu’ils doivent formuler une demande de transit975. Le 24 avril 1945, Pierre Laval n’hésite pas à écrire à Walter Stucki pour insister et lui demander de reconsidérer sa demande d’asile : 972 Note interne concernant les membres du régime de Vichy à l’attention du Président de la confédération Eduard von Steiger, de Berne, le 24 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 973 Message d’Abel Bonnard à Walter Stucki de St Margrethen, le 23 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 974 Lettre de Walter Stucki à Ernst Schlatter, chargé d’affaires de la Suisse à Paris, de Berne, le 27 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 975 Procès-verbal de la séance du 24 avril 1945 du Conseil fédéral concernant la question d’une entrée en Suisse de M. Laval, Arch. féd., E 1004.1 1/456 et Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°901. Voir de même : Notice de Walter Stucki, chef de 250 « J’ignore donc si je peux encore vous demander un asile qui m’eût permis d’attendre et de retrouver une justice qui était une des vertus nationales de mon pays. […] Je n’ai jamais songé, Monsieur le Ministre, à fixer ma résidence à l’étranger. Je ne peux vivre que dans mon pays. C’est pour lui seul et pour la paix que j’ai toujours travaillé. Il me tarde de soumettre mes actes à son jugement que je ne redoute pas car il comprendra, quand les passions seront apaisées, mon attitude dans la période douloureuse qu’il vient de vivre. Il vous appartient donc, Monsieur le Ministre, d’apprécier s’il vous est possible de tenir compte de cette situation pour prendre votre décision. Si vous en jugez autrement, et suivant l’indication que vous m’avez fait donner, je formule ma demande d’un transit pour lequel je n’ai pas jusqu’ici obtenu l’agrément des autorités allemandes et que je ne suis pas sûr encore de pouvoir obtenir. »976 Le Conseil fédéral préfère surseoir à sa réponse le temps que la France lui fasse parvenir sa position : « Le Conseil fédéral ne statuera sur la demande de transit présentée par M. Laval que lorsque l’ambassade de France, discrètement sollicitée de faire connaître l’attitude des autorités françaises, aura fait savoir que ces autorités demandent – ou ne demandent pas – l’admission de M. Laval sur territoire suisse aux fins de transit. »977 La diplomatie internationale observe avec attention les évènements et note que Pierre Laval réfléchit à ses options978. En fin de compte, il s’envole en Espagne. Il n’y trouve cependant pas l’accueil qu’il souhaite car l’Espagne le renvoie en Allemagne où il est arrêté par les forces armées des Etats-Unis qui le livrent à la France. Il est finalement transféré dans le convoi qui transporte Fernand de Brinon979. La Suisse ne refoule pas tous les collaborationnistes à qui elle refuse l’asile. En effet, elle permet à ceux qui ne sont pas visés par la liste du Ministère public de rester provisoirement sur le territoire, étant donné que les peines que l’épuration prévoit à leur encontre lui semblent disproportionnées. C’est la raison pour laquelle quelques collaborationnistes et anciens miliciens restent en Suisse, à l’instar de Charles Rochat. Le long des rives du lac Léman, certains Français rejoignent les anciens ministres, les hauts Division des affaires étrangères du Département politique fédéral à Eduard von Steiger, Président de la Confédération, de Berne, le 23 avril 1945, Arch. féd., E 2800 1967/60. 976 Lettre de Pierre Laval à Walter Stucki, Ministre de Suisse, de Feldkirch, le 24 avril 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 977 Procès-verbal de la séance du 24 avril 1945 du Conseil fédéral concernant la question d’une entrée en Suisse de M. Laval, Arch. féd., E 27 14486 et E 2001 D 3/286 ainsi que Documents diplomatiques suisses, vol. 15 (1943-1945), n°916. 978 Interception du rapport du Ministre brésilien, de Berne, le 26 avril 1945, Archives nationales de Grande-Bretagne - HW 1 / 3726 C 301673. 979 Lettre de Bernard Ménétrel à Walter Stucki du 12 juin 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 251 fonctionnaires et les militaires français arrivés en août 1944 parfois munis de fauxpapiers, comme Jacques Guérard qui y séjourne d’août à octobre 1944 avant de gagner l’Espagne980. Georges Scapini, après s’être vu refuser l’entrée en Suisse en automne 1944, s’y installe ainsi quelque temps981. Toutefois, certaines personnes n’optent pas pour la Suisse et préfèrent s’installer en Espagne, comme Maurice Gabolde et Abel Bonnard982. D’autres s’envolent pour l’Amérique du sud, à l’instar de Victor Debeney qui, après avoir suivi Philippe Pétain, se réfugie en Argentine983. Henri Bléhaut, qui avait aussi accompagné l’ancien chef de l’Etat, se dérobe également à la justice française984, le laissant face à ses juges. c) La Haute Cour de Justice Face à la justice de leur pays, les vichystes, collaborationnistes et miliciens ne représentent plus qu’eux-mêmes. Philippe Pétain, qui voulait rendre des comptes à l’Histoire985, fait finalement face à ses contemporains. Pour Charles de Gaulle, les procès de Philippe Pétain et de Pierre Laval sont des cérémonies à haute valeur symbolique986. Celui de Philippe Pétain est plus un long cérémonial d’arguties politiques987 qu’un tribunal concentré sur les éléments de droit dont 980 Luc van Dongen, Un purgatoire très discret. La transition « helvétique » d’anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945, op. cit., pp. 67-84 et p. 229. 981 Voir : Arch. féd., E 4001 C 1/15. 982 Maurice Gabolde, Écrits d'exil : contribution à l'histoire de la période 1939-1945. France : L’Harmattan, 2009 ; Olivier Mathieu, Abel Bonnard : une aventure inachevée. Paris : Avalon, 1988. 983 Lettre de Hans K. Frey à Walter Stucki, Ministre, de Oberhofen, le 21 juin 1950, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 984 Bernard Bléhaut, Pas de clairon pour l´Amiral. Henri Bléhaut 1889-1962. Paris : Jean Picollec éd., 1991. 985 « Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul que l’Histoire jugera. » : in "Allocution radiodiffusée du 30 octobre 1940", citée in Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, op. cit., p. 71. 986 « La condamnation de Vichy dans la personne de ses dirigeants désolidarisait la France d’une politique qui avait été celle du renoncement national » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 837. 987 Une note de la légation suisse qui suit le procès de Philippe Pétain souligne la partialité des juges qui dirigeraient « un procès politique » et le fait que Pétain, inexpérimenté en politique, n’a pas su user avec intelligence de la doctrine du double jeu : in Note relative au procès du Maréchal Pétain élaborée par M. Marcuard pour la légation suisse à Paris, transmise par le Ministre de Suisse Carl Jacob Burckhardt, de Paris, le 10 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. La théorie du double-jeu de Philippe Pétain, qui mène le régime de Vichy tout en organisant le retour de la France Libre, est battue en brèche par le Procureur général 252 l’issue est prévisible988. La visée judiciaire est de faire tomber Philippe Pétain du piédestal sur lequel il s’est hissé989 et Charles de Gaulle presse la justice en ce sens990. Philippe Pétain a effectivement contre lui une opinion française qui s’attend à ce qu’il soit puni, car l’opinion publique en ce qui concerne son sort est considérablement différente en septembre 1944 et en août 1945. Alors que 64% des personnes interrogées considèrent que Philippe Pétain ne mérite aucune peine en septembre 1944, elles ne sont plus que 16% en juillet 1945 et 19% en août 1945, 81% exprimant en août 1945 que Philippe Pétain mérite d’être condamné, la moitié des sondés suggérant la peine de mort991. L’accusation de Philippe Pétain débute le 3 septembre 1943, par l’émission de l’ordonnance prise à l’unanimité du Comité français de libération nationale, qui entend : « assurer, dès que les circonstances le permettront, l’action de la justice à l’égard du maréchal Pétain et de ceux qui ont fait ou font partie des pseudo-gouvernements formés par lui, qui ont capitulé, attenté à la Constitution, collaboré avec l’ennemi, livré des travaux français aux Allemands et fait combattre des forces françaises contre les Alliés ou contre ceux des Français qui continuaient la lutte. »992 L’Assemblée consultative provisoire, inaugurée le 3 novembre 1943, siège en Commissions pour traiter de sujets divers comme l’établissement des pouvoirs publics à la Libération et l’épuration. En application de l’ordonnance du 3 septembre 1943, elle émet l’ordonnance du 26 juin 1944 qui instaure les juridictions compétentes pour juger la collaboration sans viser les hauts fonctionnaires et les membres du régime de Vichy. Pendant un moment, le Gouvernement provisoire envisage de monter un tribunal militaire, à l’instar du premier procès de l’épuration qui a jugé et condamné Pucheu. Or, c’est le 13 André Mornet qui relève, dans son réquisitoire, que dans ses écrits personnels, Philippe Pétain considère Charles de Gaulle comme un traître : cf. Réquisitoire du procureur général Mornet, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Dix-huitième audience, samedi 11 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 326, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 988 La condamnation à mort, certainement commuée en prison à vie ou bénéficiant d’une grâce comme le suppose Ernst Schlatter : Lettre d’Ernst Schlatter, chef de la légation suisse en France, à Walter Stucki, chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, de Paris, le 2 mai 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 10. 989 « Etre monté si haut ! Etre tombé si bas ! » témoigne Albert Lebrun : in Note relative au procès du Maréchal Pétain élaborée par M. Marcuard pour la légation suisse à Paris, transmise par le Ministre de Suisse Carl Jacob Burckhardt, de Paris, le 10 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 990 « Sans intervenir aucunement dans l’instruction menée par la Haute Cour, le gouvernement lui avait fait connaître son désir de voir la procédure aboutir dès que possible » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 834 991 Tableau synthétisant les résultats des sondages effectués par l’Institut français d’opinion publique et le Service de sondages et de statistiques : in Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., p. 274. 992 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 2 : L’Unité, op. cit., p. 397 253 septembre 1944 que le tribunal militaire de Paris reçoit l’ordre de mettre en accusation de Pétain et de ses ministres993. En fin de compte, le gouvernement lui préfère la Haute Cour de Justice994. Instituée par l’ordonnance du 18 novembre 1944 pour juger les responsables de la politique de Vichy995, elle est compétente pour statuer sur les actes d’intelligence avec l’ennemi et d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat commis aux postes les plus élevés996. En effet, elle siège en mars 1945 « pour juger les personnes qui, sous la dénomination de chef de l'Etat, chef du gouvernement, ministres, secrétaires et sous-secrétaires d'Etat, commissaires généraux, secrétaires généraux du chef de l'Etat, du chef du gouvernement et des ministères, résidents généraux, gouverneurs généraux et hauts commissaires, ont participé à l'activité des gouvernements de l'Etat français du 17 juin 1940 à aout 1944 »997. La procédure de la Cour n’admet aucun moyen de recours, excepté le recours en grâce, et elle est autonome dans le choix et l’application de la peine, sauf qu’elle ne peut prononcer de sursis. Dans le Code pénal, le crime d’« intelligence avec l’ennemi » existe déjà : l’article 75, qui n’a pas été conçu pour juger un chef de l’Etat, un gouvernement et son administration, dispose dans son alinéa 5 : « Est coupable de trahison et puni de mort : tout Français qui, en temps de guerre, entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France. »998 993 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 624. 994 Sur la Haute Cour : Louis Noguères, La Haute Cour de la Libération: 1944-1949. Paris : éd. de Minuit, 1965. 995 Journal officiel de la République française, le 19 novembre 1944, pp. 1382-1384 ; Ordonnance du 18 novembre 1944, reproduite in Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre. t. 3 : Le Salut. Documents, pp. 408ss. ; Louis Noguères, La Haute Cour de la Libération: 19441949. Paris : éd. de Minuit, 1965. Son président est le Premier Président de la Cour de Cassation Paul Mongibeaux, assisté du président de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation M. Donat-Guigne et du Premier Président de la Cour d’Appel de Paris M. Picard. Le Procureur Mornet dirige le Ministère Public et un jury de 24 membres (dont 12 parlementaires de 1940) tirés au sort sur une liste de 50 personnes établie par l’Assemblée Consultative : cf. Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 695. 996 « L’ordre intérieur et la position extérieure de la France exigeaient que la capitulation, la rupture des alliances, la collaboration délibérée avec l’ennemi, fussent jugées sans tarder dans la personne des dirigeants qui s’en étaient rendus responsables. Sans cela, comment, au nom de quoi, châtier les exécutants ? Comment, au nom de quoi, prétendre pour la France à un rang de grande puissance belligérante et victorieuse ? » : Ibid., p. 696. 997 Note relative au procès du Maréchal Pétain élaborée par M. Marcuard pour la légation suisse à Paris, transmise par le Ministre de Suisse Carl Jacob Burckhardt, de Paris, le 10 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 998 Décret-loi du 29 juillet 1939, Journal officiel de la République française, 30 juillet 1939, pp. 9630-9634. 254 En sus de cette disposition, l’ordonnance du 26 août 1944999 crée le crime d’« indignité nationale », qui vise explicitement les anciens membres du régime de Vichy et les collaborationnistes. L'ordonnance stipule que l’indignité nationale est prononcée par des sections spéciales établies auprès des cours de justice réprimant les faits de collaboration. Deux ordonnances la modifient : l'ordonnance du 30 septembre 19441000 qui remplace les sections par des chambres civiques, ainsi que l’ordonnance du 26 décembre 19441001 qui précise le type de délits tombant sous le coup de la qualification d'indignité nationale à temps ou à vie : avoir fait partie des gouvernements nommés après le 16 juin 1940, avoir dirigé dans les services de propagande de ces gouvernements ou dans le Commissariat général aux questions juives, avoir adhéré aux organismes de collaboration (milice, partis divers) ou avoir publié des écrits en faveur de la collaboration. En outre, l'indignité nationale entraîne la dégradation nationale, sous forme, par exemple, de la privation des droits politiques, de la non-accessibilité aux emplois publics et de la confiscation de tout ou partie des biens de la personne. En décembre 1944, la Commission d’instruction, constituée de cinq magistrats judiciaires et de six résistants, ouvre une procédure par contumace à l’encontre de Philippe Pétain qu’elle doit surseoir en avril 1944. L’instruction du procès en Haute Cour de Pétain se fait en trois mois seulement, pour que tout soit terminé avant les élections municipales d’octobre 1945 : réunie en Chambre d’accusation, elle produit un acte d’accusation le 23 avril 1945 pour « crime d’attentat contre la sûreté intérieure de l’Etat » et « intelligence avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes ». Alors que la Haute Cour doit siéger le 17 mai 1944, elle demande un supplément d’information à la suite du retour de Philippe Pétain en France. L’acte d’accusation complété est rendu le 11 juillet 1945 et le procès commence le 23 juillet 19451002. L’acte d’accusation du Maréchal Pétain prévoit deux chefs d’inculpation : celui d’attentat contre la sûreté de l’Etat (puni par l’article 87 du code pénal) et celui de trahison (en d’autres termes, le crime d’« intelligence avec l’ennemi » prévu par l’article 75 du code pénal. La défense de Philippe Pétain anéantit l’accusation de complot contre l’Etat et le Procureur abandonne le premier chef d’inculpation le neuvième jour du procès, faute de preuve. Comme 999 Journal officiel de la République française, 28 août 1944, p. 767. er 1000 Journal officiel de la République française, 1 octobre 1944, p. 852. 1001 Journal officiel de la République française, 25-27 décembre 1944, pp. 2076-2078. 1002 Note relative au procès du Maréchal Pétain élaborée par M. Marcuard pour la légation suisse à Paris, transmise par le Ministre de Suisse Carl Jacob Burckhardt, de Paris, le 10 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9, ainsi que Arch. Nat. 334 AP 31 à 48, W/3/1 à 360. 255 l’armistice en était la clef de voûte, il n’est plus reproché à l’homme qui l’a signé1003 ; reste la haute trahison qui prévoit la peine de mort. Le Procureur général Mornet reste toutefois confiant quant à la qualification des faits1004. Le procès se déroule alors que l’exécution populaire de Benito Mussolini est encore dans les esprits, ainsi que les exécutions et emprisonnements de ceux qui ont obéi aux ordres de Vichy. Philippe Pétain participe très peu aux audiences de son procès ; à notre sens, ses nombreux silences sont dus, sinon à sa surdité1005, au fait qu’il ne reconnaisse pas la compétence de la Haute Cour1006. Walter Stucki ne se présente pas personnellement au procès1007 mais transmet par valise diplomatique ses réponses écrites sur la période de juin à août 19441008. Il fait partie des témoins en faveur de la défense et témoigne que Philippe Pétain n’a « jamais sérieusement cru en une collaboration durable et approfondie avec l’Allemagne »1009. Nonobstant ses efforts, Philippe Pétain est finalement condamné à mort : « Attendu, enfin, que quels que soient les crimes de ceux qui ont exercé le pouvoir dans cette période sous l’autorité du Maréchal, celui-ci, qui avait accepté de les appeler à ses côtés et avait, aux termes mêmes de ses actes constitutionnels, déclaré assumer toutes les conséquences de 1003 Michèle Cointet, Pétain et les Français, 1940-1951, op. cit., pp. 252ss. Il s’agit là d’un revers pour la doctrine gaulliste qui veuille que « la faute capitale de Pétain et de son gouvernement c’était d’avoir conclu avec l’ennemi au nom de la France, le soi-disant "armistice "» : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 834. 1004 « L’affaire Pétain.. ? L’affaire Laval… ? Ce sont des flagrants délits. » : in Louis Noguères, La dernière étape Sigmaringen, op. cit., p. 243. 1005 Cf. à titre d’exemple : Déposition du Général Maxime Weygand, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Huitième audience, lundi 31 juillet 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 143, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 1006 Nous rejoignons l’opinion exprimée par Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., p. 275. De plus, nous relevons la remarque de la légation suisse, qui considère que Philippe Pétain est un digne homme âgé qui ne ressemble pas à la caricature que les journaux parisiens dessinent, à l’instar du Figaro qui le traite de « vieillard foudroyé », du Populaire, qui le décrit comme un « sinistre vieillard » et de l’Humanité, qui le considère comme un « vieux traître » : in Note relative au procès du Maréchal Pétain élaborée par Sigismond Marcuard pour la légation suisse à Paris, transmise par le Ministre de Suisse Carl Jacob Burckhardt, de Paris, le 10 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 1007 En dépit de la demande manuscrite de Philipe Pétain : Lettre de Philippe Pétain à Walter Stucki, du Fort de Montrouge, le 3 juillet 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 1008 Note de Walter Stucki pour le Département politique fédéral au sujet de la demande officieuse de témoigner au procès de Philippe Pétain, le 2 juillet 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. Voir de même Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil fédéral concernant les dépositions de M. le Ministre Stucki dans le procès Pétain du 3 juillet 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 1009 Lettre de Walter Stucki à Maître Payen, de Berne le 9 août 1945, Arch. féd., J I.131 1000/1345 Bd : 9 et E 2800 1967/60. 256 sa politique, doit, dès lors, être tenu pour responsable des actes accomplis sous son autorité ; […] Attendu […] qu’il ressort de l’instruction que, en prenant le pouvoir, Pétain a eu pour objet de détruire ou changer la forme du gouvernement et qu’il l’a effectivement changée ; Attendu que la preuve de la préméditation et de la pensée profonde de l’accusé résulte de sa réponse en date du 11 décembre 1943 à une lettre outrageante de Ribbentrop ; […] Attendu enfin qu’il n’est pas douteux qu’il a entretenu des intelligences avec l’Allemagne, puissance en guerre avec la France, en vue de favoriser les entreprises avec l’ennemi ; crimes prévus et punis par les articles 75 et 87 du Code pénal ; Par ces motifs, Condamne Pétain à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. Tenant compte du grand âge de l’accusé, la Haute Cour de justice émet le vœu que la condamnation à mort ne soit pas exécutée. »1010. Le 17 août 1945, conformément au souhait de la Haute Cour, Charles de Gaulle en sa qualité de Président du Gouvernement provisoire de la République française commue la peine de mort en détention perpétuelle1011. Cela étant, il déclare que son intention est alors que Philippe Pétain ne reste détenu que deux ans1012 ; un tollé médiatique empêche néanmoins Philippe Pétain d’échapper à sa sentence, Francisco Franco ayant offert de lui ouvrir les portes de l’Espagne s’il était libéré1013. Il mourra en détention le 23 juillet 1951, après avoir souffert de démence sénile pendant trois ans1014. 1010 Arrêt de la Haute Cour de Justice, Compte-rendu in extenso des audiences du Procès du Maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice, Vingtième audience, mardi 14 août 1945, Paris : Imprimerie des Journaux officiels, 1945, p. 386, in Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 1011 Jacques Isorni, Mémoires 1911-1945, op. cit., p. 526. 1012 Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 836. 1013 En dépit des efforts du défenseur de Philippe Pétain pour que la Suisse fasse de même (cf. Lettre de Jacques Isorni à Walter Stucki, de Paris, le 10 mars 1951, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9), Walter Stucki écarte ce projet, « pour des raisons de politique, aussi bien internationale que nationale » : in Réponse de Walter Stucki à Jacques Isorni, de Berne, le 17 mars 1951, Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9. 1014 Jacques Isorni rappelle une visite qu’il rend à Philippe Pétain en juin 1949 et lors de laquelle l’échange suivant a lieu : « Mais pourquoi suis-je ici ? dites-moi. Quels griefs a-t-on donc contre moi ? Qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? Sa longue histoire où il avait fait l’Histoire pendant un demi-siècle, il ne la savait plus. Nous hésitions à répondre. Comment lui dire : « Voilà qui vous êtes et vous êtes au fond d’une prison ! » […]. Qu’est-ce qui se passe là ? Ah là là ! Ah là là ! comme mon pauvre cerveau est fatigué ! Tout est vide. Mais cela reviendra. Rassurez-vous. Je voudrais juste savoir si les griefs qu’on a contre moi sont déshonorants. […] - Mais non, Monsieur de Maréchal. Rien de déshonorant. Il s’agit de problèmes politiques, lorsque vous étiez chef de l’Etat. – Comment ! J’ai été chef de l’Etat ? C’est pour cela que je suis ici ? » : in Jacques Isorni, Le Condamné de la citadelle, op. cit., p. 283. 257 Si Bernard Ménétrel bénéficie d’un non-lieu après sa libération conditionnelle pour raison de santé le 15 janvier 19461015, le procès de Pierre Laval devant la Haute Cour de Justice ne ressemble pas à celui de Philippe Pétain : il est mené rapidement et les droits de la défense sont fortement réduits1016. Il est condamné à mort et exécuté le 5 octobre 1945. Le procès de Fernand de Brinon se déroule de manière similaire et sa condamnation à mort est exécutée le 15 avril 19471017. Les sanctions judiciaires de Philippe Pétain et de Pierre Laval permettent de revenir sur notre concept d’évaporation du titre de la souveraineté. Depuis septembre 1944, comme les institutions du régime de Vichy s’évanouissent, ce sont les institutions de la France Libre qui exercent le pouvoir de fait sur le territoire et qui revendiquent avoir repris le dépôt de la souveraineté française. Philippe Pétain ne prétend plus représenter l’Etat français en avril 1945 quand il apparaît intentionnellement devant la Haute Cour. Au moment où elle le condamne à mort, elle le considère comme un citoyen ordinaire auteur d’un crime sortant de l’ordinaire. Pourtant la chute de son statut, de chef de l’Etat à simple justiciable, ne suit pas la logique de la chute du statut du régime de Vichy. Afin d’étayer notre propos, il est utile de comparer sa situation à celle de Pierre Laval. Pierre Laval, comme Fernand de Brinon, est un ancien membre du gouvernement du régime de Vichy. Il en est même le chef à deux longues reprises et, partant, représente sa politique et son administration. C’est au titre de haut fonctionnaire collaborationniste qu’il n’est jamais considéré par les juristes de la France Libre ainsi que par ceux des Etats tiers comme ayant incarné la souveraineté française ; en voie de conséquence, il ne bénéficie d’aucune immunité quant à ses actions politiques. Si le pouvoir exécutif du régime de Vichy est bicéphale, seul le chef de l’Etat incarne la souveraineté nationale, le chef du gouvernement administrant une politique. C’est la raison pour laquelle Pierre Laval répond de ses actes devant ses juges français ; mais c’est aussi pourquoi la Suisse lui refuse l’asile. Ce sont ses actes qui sont incriminés et, en conséquence, c’est sa personne qui est repoussée. Or, le rejet de Pierre Laval ne fait pas écho à celui de Philippe Pétain. Le cas de ce dernier est particulier : il n’est pas l’ancien président du conseil mais l’ancien chef de l’Etat français. C’est à ce titre qu’il a incarné la souveraineté française. S’il n’exerce plus les pouvoirs qui y sont rattachés et si un autre individu s’en estime dépositaire, soutenu en cela par l’expression majoritaire de l’opinion populaire interne et la reconnaissance des Etats tiers, il apparaît cependant qu’il en conserve l’un 1015 Alain Frèrejean, "Bernard Ménétrel, le médecin, l'éminence grise et l'amuseur de Pétain", Historia, n°791, novembre 2012, pp. 108-112. 1016 Fred Kupferman, Le Procès de Vichy – Pucheu, Pétain, Laval (1944-1945), op. cit., p. 159. 1017 Peter Novick, L’épuration française 1944-1949, op. cit., p. 293. 258 des éléments statutaires : l’immunité. La différence de traitement dont il bénéficie, si l’on compare avec celle de Pierre Laval, est manifeste. Le fait que le gouvernement gaulliste cherche à favoriser son exfiltration en Suisse pour qu’il y obtienne l’asile et que la Suisse soit prête et volontaire pour le lui octroyer témoignent qu’une marque de souveraineté demeure sur sa personne physique. Si la souveraineté nationale du régime de Vichy s’évapore, le temps que la France Libre la brandisse, le sceau de la souveraineté sur la personne de Philippe Pétain persiste. Si la dégradation militaire existe, la dégradation juridique de la personne qui porte la marque de la souveraineté n’existe pas. Plus précisément, elle ne peut provenir de l’extérieur. C’est uniquement quand Philippe Pétain y renonce de lui-même que la marque disparaît formellement. Lorsqu’il refuse de demander l’asile, cette décision fait irrémédiablement de lui un justiciable commun. Aux yeux des juges de la Haute Cour, il n’est plus l’ancien chef de l’Etat mais l’ancien responsable de la politique du régime de Vichy et c’est en cette qualité qu’ils le condamnent. Alors que la Suisse et la France Libre avant le 23 avril 1945 désirent préserver la bicéphalité du régime de Vichy, en protégeant la personne de l’ancien chef de l’Etat, Philippe Pétain oppose une vision institutionnelle monarchique. Il entend répondre, de ce fait, de tous les actes du régime de Vichy comme il prétend avoir détenu seul le pouvoir. Là se situe, à notre sens, son erreur d’appréciation. En proclamant avoir incarné la souveraineté monocéphale de l’Etat français de 1940 à 1944, il commet une erreur politique. Non seulement sa position est contraire aux faits qui démontrent qu’il n’a alors plus de pouvoir1018, mais encore il perd le bénéfice de la vision républicaine bicéphale. En clamant qu’il a occupé non pas une fonction honorifique mais une fonction ordinairement politique, il n’est plus qu’une personne privée représentant un ancien régime politique honnis, à l’instar de la personne de Louis XVI arrêté en 1792. Il n’a plus le bénéfice de l’image sacralisée de celui qui a représenté l’Etat ; autrement dit, il perd le prestige de l’immunité lié à la fonction représentative. Sa condamnation permet de condamner, à travers lui, la politique de Vichy. Son corps incarne donc deux personnes : sa personne physique et la personne morale de l’Etat français dirigé par le régime de Vichy et ce sont ces deux personnes qui sont sanctionnées. Les institutions de la France Libre nouent, avec sa condamnation à mort, un lien symbolique avec la Révolution qui, en 1793, condamne à mort l’ancien roi de France. En d’autres termes, le régicide républicain 1018 Comme le remarque un rapport des services secrets états-unien, depuis 1942, « Pétain now has no political importance in the active sense » : in Report from Argus to Regis on conversations with French Resistance Leader (9.03.1944) to the President of the United States by William J. Donovan, Office of Strategic Services Director, le 3 avril 1944, Archives des Etats-Unis, Franklin Delano Roosevelt Library, Box 4, Office of Strategic Services April 1944 - 1945 Index, box4/a55a01. 259 de Philippe Pétain sacralise les institutions de la France Libre en les couronnant de la souveraineté nationale1019. CONCLUSION DE LA SECTION 2 Nous avons mis à jour dans la présente section que nous ne sommes pas en présence d’un gouvernement en exil à Sigmaringen et à Mainau. Sans assise territoriale valable, les anciens membres du gouvernement du régime de Vichy, Philippe Pétain, les collaborationnistes et les personnes qui les accompagnent dans la cohue des membres du P.P.F., du N.R.P., de la L.V.F. ainsi que leurs proches ne forment plus qu’une masse de personnes privées. Hôtes – otages du gouvernement allemand nazi, ces derniers sont divisés entre « passifs » et « actifs » et, malgré leurs efforts épars, ne parviennent pas à recouvrer un statut perdu. Se battant pour obtenir l’aval de leur ennemi amical, il est patent qu’ils sont incapables de gérer les intérêts français en Allemagne. Leurs efforts se bornent à élaborer et diffuser des instruments de propagande, mobilisant peu de personnes si ce n’est eux-mêmes, sans grandes illusions. Les statuts de chacun d’entre eux, une fois que sonne l’heure de la chute du Reich, sont ceux de personnes privées qui cherchent à échapper à leurs responsabilités devant la juridiction pénale. La figure de Philippe Pétain sort du lot : revendiquant le droit de faire face à ses juges, il rejette tout traitement différencié de faveur alors-même qu’il lui est offert. Manque de pertinence politique, inexpérience juridique, témoignage d’une perte de rationalité ou signe d’une rigoureuse discipline militaire qui l’aura accompagné toute sa vie ? Le charisme de sa personne si remarqué depuis la Première Guerre mondiale, qui a fait de lui le candidat idéal pour prendre la posture d’un homme providentiel représentant le courage et la fierté d’un Etat vaincu, ne permet pas de lui offrir des conditions agréables de fin de vie. Toutefois, il parvient indirectement à protéger ceux qui lui ont été fidèles. C’est ainsi que les « pétainistes » parviennent à conserver les grâces de la Suisse, qui fait preuve d’indulgence en ne les refoulant pas lorsqu’ils cherchent à fuir leur jugement sur le territoire du gouvernement helvétique qui a tant soutenu l’ancien chef de l’Etat. Ce n’est pas le cas de la majeure partie des collaborationnistes, dont la mauvaise réputation les empêchent souvent de poursuivre leurs activités de manière agréable dans le lieu de leur choix. Plusieurs condamnations à mort d’anciens résidents de Sigmaringen et de Mainau permettent ainsi de poursuivre l’épuration qui a débuté en 1944. Nombre de « collabos » 1019 Nous rejoignons les thèses relatives à la continuité de l’Etat d’Ernst Kantorowicz (Les deux corps du roi, op. cit.) et de Michael Walzer (Régicide et Révolution : le procès de Louis XVI. Paris : Payot, 1989). 260 parviennent néanmoins à échapper à leur condamnation ou à leur exécution par la fuite mais aussi grâce à leur patience, à la suite des amnisties de 1947, 1951 et 19531020. Si le régime de Vichy à Sigmaringen n’a plus le statut du gouvernement représentatif de l’Etat, l’étude du passage d’un statut l’autre1021 dévoile néanmoins qu’il a fait l’objet d’une perte, ayant auparavant représenté l’Etat français, sa politique et son gouvernement, pour en être dépossédé une fois le Rhin franchi et le Gouvernement provisoire de la République se voyant reconnu. Notre recherche permet dès lors de situer plus précisément les conditions et les enjeux du changement de régime et de gouvernement de l’Etat français, malgré les ambiguïtés que nous avons pu soulever et le désir prégnant de faire de cette période une « parenthèse » de l’histoire de France. 1020 Pour plus d’information concernant l’épuration et la « désépuration », voir : François Rouquet, Une épuration ordinaire (1944-1949), Petits et grands collaborateurs de l'administration française. Paris : CNRS éd., 2011. 1021 Pour faire référence à l’ouvrage de Céline prenant pour décor Sigmaringen, D’un château l’autre. Paris : Gallimard, 2002. 261 CONCLUSION DU CHAPITRE II L’étude du statut juridique du régime de Vichy après le 20 août 1944 permet de mettre au jour le basculement de la lutte des deux parties en guerre civile dans le contexte d’un conflit international. Le Gouvernement provisoire gaulliste, autorité de fait non seulement sur les territoires de l’Empire mais également, de manière progressive, sur le territoire métropolitain, exerce dorénavant le pouvoir institutionnel français, imposant son interprétation de la souveraineté et de la continuité de l’Etat. Parallèlement, le gouvernement du régime de Vichy choit du fait que tant le Président du Conseil que le chef de l’Etat se déclarent empêchés car otages du gouvernement allemand. Malgré les tentatives de liaison avec la France Libre, aucune transmission de pouvoir n’a lieu, et pour cause : les deux politiques s’excluent l’une l’autre. Seule la régularisation du Gouvernement provisoire en tant qu’unique autorité de facto et de jure par les Etats tiers met fin à l’ordre juridique du régime de Vichy en France. Le gouvernement du régime de Vichy n’a, dès lors, plus de statut représentatif de l’Etat français. A Belfort brièvement puis à Sigmaringen, ses membres divisés tentent de survivre. Certains, pariant sur une victoire de l’Allemagne, entendent encore détenir une représentativité politique via une délégation, sinon formelle tout au moins symbolique, de Philippe Pétain. Les collaborationnistes se revendiquent ainsi héritiers de l’ancien statut officiel du régime de Vichy sans parvenir à leurs fins, faute de perspicacité politique. L’écroulement du Reich et les développements de l’épuration judiciaire et administrative mettent alors définitivement fin à l’existence du régime de Vichy et à son gouvernement, liant leur disparition à l’élimination politique voire physique des anciens responsables du régime et de la collaboration. A partir du moment où ses membres fuient ou sont escortés à Sigmaringen et Mainau, la perte de statut du régime de Vichy, qui passe de celui d’un régime représentatif à néant en quelques heures, est rapide. Toutefois, ce changement de qualification est révélateur du fait qu’il est précédemment au bénéfice d’un statut clair pendant de longues années. Il est, en effet, important à nos yeux de ne pas marginaliser la période d’août 1944 à mai 1945. Sigmaringen ne constitue point un détail historique négligeable à écarter de la mémoire collective : l’épisode expose, au contraire, deux éléments fondamentaux. D’une part, il souligne avec quelle force la conviction collaboratrice est ancrée dans l’esprit des hommes forts de la France des années 40 qui s’engluent dans un programme de nouvel ordre européen jusque dans les décombres de la fin de la guerre, au cœur même du 262 territoire allemand. D’autre part, il démontre qu’il est essentiel de distinguer le caractère d’un régime politique et la qualification de son existence juridique. Les tenants du régime de Vichy et les collaborationnistes à Sigmaringen représentent pour la mythologie gaulliste ce qu’elle désire mettre hors du champ de la mémoire de l’Etat républicain : des personnes privées compromises aux choix politiques exécrables. Toutefois, si la France Libre n’a pas organisé leur fuite et leur prise d’otage, elle bénéficie grandement du fait de leur absence sur le territoire métropolitain lorsqu’elle prend le pouvoir de fait, les armées alliées la laissant administrer le territoire. La France Libre rejette d’autant plus aisément la représentativité du régime de Vichy qu’il ne rencontre pas ses dirigeants. Ce faisant, il encourage une confusion entre la légalité du gouvernement du régime de Vichy avant le 20 août 1944, qu’il a toujours niée, et la non-représentativité des tentatives des collaborationnistes à Sigmaringen et Mainau. Nous soutenons que Sigmaringen, et a fortiori le régime de Vichy, ne sont pas fictifs. A l’encontre des tentatives récentes qui dénoncent la « dangereuse légalisation du régime de Vichy »1022, nous voulons démontrer que le droit ne peut que reconnaître l’existence du régime et son autorité avant sa chute le 20 août 1944 et plaidons pour une dissociation de Sigmaringen et de Vichy. 1022 Dans la droite ligne de la conception gaulliste, certains acteurs de la société civile, comme la journaliste Anne-Cécile, accusent ainsi d’« erreur historique » la reconnaissance de sa responsabilité de l’Etat des crimes commis par le régime de Vichy : in Robert Anne-Cécile Robert, "La dangereuse légalisation du régime de Vichy", consulté sur http://actionrepublicaine.over-blog.com/article-5320955.html le 11 octobre 2009. 263 CONCLUSION GENERALE Au terme de cette étude, nous sommes à même de mettre en exergue la pertinence de l’étude du statut juridique du régime de Vichy en histoire du droit à travers la perspective de l’épisode de Sigmaringen. Nous avons conçu plusieurs aspects de l’outil juridique pour aborder le régime de Vichy, envisageant le droit comme ensemble normatif positif de l’époque mais aussi comme instrument révélateur d’un rapport de pouvoir politique. Le droit est aussi, pour nous, un dispositif heuristique permettant de mettre à jour notre recherche. Retour sur notre recherche L’étude du statut du régime de Vichy à Sigmaringen permet de mettre en perspective l’analyse selon laquelle l’organisation politique et juridique du régime de Vichy a un statut juridique défini avant le 20 août 1944. Elle représente la politique du gouvernement légal d’un Etat occupé qui traite avec l’ennemi. En droit international de l’époque, l’Etat français demeure, malgré les occupations qu’il observe sur son territoire (à savoir l’occupation de fait de l’administration de la France Libre, l’occupation des forces armées alliées et l’occupation militaire et policière du gouvernement allemand). Compromis politiquement par leurs liens avec le Reich, le chef de l’Etat et le gouvernement du régime de Vichy défendent toutefois leur souveraineté juridique durante bello. De surcroît, nous avons pu établir l’existence de la qualification d’une guerre civile entre la France Libre et la France occupée : en dépit du fait que la France Libre conteste être engagée en guerre civile, elle bénéficie des conséquences en droit international de son statut de belligérance, notamment en étant reconnue comme gouvernement de facto sur les parties du territoire qu’elle contrôle. En droit interne, nous avons exposé le fait que la thèse du Vichy sans statut légal n’était pas suffisamment étayée en droit, même si elle permet d’asseoir le socle du nouvel ordre juridique provisoire concurrent de la France Libre. Par la suite, notre hypothèse est qu’à partir du 20 août 1944 les empêchements des chefs d’Etat et de gouvernement d’exercer leurs prérogatives dans les faits par la force de l’occupant allemand ont pour conséquence de dévoiler une opposition de deux conceptions opposées de la souveraineté, et, partant, de la continuité de l’Etat. En outre, jusqu’à la fin du mois d’octobre 1944, aucun gouvernement en exercice n’est habilité à représenter 264 l’Etat français. Ce n’est que par le remplacement de l’état de droit du régime de Vichy par celui de la France Libre, opérant ainsi ce que nous avons appelé un coup d’Etat de droit régularisé, que le Gouvernement provisoire de la République française est reconnu par les Etats alliés. Selon nous, en dépit des efforts juridiques allemands, la course contre la montre réalisée par le Reich tenant à encadrer la mise sur pied en territoire allemand (déclaré extraterritorial pour la circonstance) d’une Commission gouvernementale ne permet pas de considérer que le dépôt de souveraineté que revendiquent les tenants du régime de Vichy est transmis aux collaborationnistes. Par ailleurs, la mort de Jacques Doriot arrête précocement l’élan du Comité de libération française. En conséquence de ce qui précède, nous soutenons l’existence du régime de Vichy en tant que gouvernement légal et programme politique en France jusqu’au 20 août 1944 selon le droit positif de l’époque. D’après nos observations, seule la période du 20 août au 23 octobre 1944 peut être considérée comme une période comptant une absence de gouvernement effectif en France et non pas les quatre années de 1940 à 1944 dans leur ensemble. Pour nous, la présence des anciens représentants du régime de Vichy à Sigmaringen équivaut à une prise d’otages de personnalités. Quant à l’activisme des collaborationnistes, membres de la Commission et du Comité, il ne peut être entendu par le droit que comme une constitution de groupements politiques privés sans aucune représentativité publique. Par conséquent, la prise en compte de Sigmaringen et de Mainau permet de comprendre les fondements juridiques sur lesquels l’autorité judiciaire ad hoc du régime provisoire s’appuie pour juger et condamner les anciennes figures du régime de Vichy et de la collaboration qui fleurit durant son exercice. Dans une certaine mesure, le départ à Belfort puis à Sigmaringen fait écho à la fuite de Louis XVI à Varennes, marquant plus qu’une perte de légitimité : une évaporation de l’exercice de souveraineté. Dès lors, les responsabilités pénales en France des personnes privées de Sigmaringen et de Mainau ne sont que la conséquence du refus d’immunité qui leur est opposé – sachant que, dans le cas d’espèce de Philippe Pétain, la logique est inversée : c’est lui-même qui renonce au bénéfice de l’immunité pour faire face à la Haute Cour, écartant toute considération de principe de théorie institutionnelle. D’ailleurs, à notre sens, si Philippe Pétain met en scène une posture sacrificielle en 1945, c’est pour « sauver » le bilan du régime de Vichy. Suivant son interprétation, comme la Prusse vaincue à Iena qui se voit contrainte de se rapprocher de Napoléon Bonaparte pour survivre et se développer, le gouvernement du régime de Vichy s’est plié au diktat de l’ennemi 265 vainqueur pour persister durch dick und dünn1023. Ce faisant, Philippe Pétain n’adopte pas une posture de chef d’Etat ni d’homme politique, mais une posture de militaire prisonnier de guerre. Partant, nous comprenons l’épisode de Sigmaringen comme prenant ses racines non seulement dans la défaite d’un camp dans la guerre civile qui l’opposait au camp adverse (par le passage d’un ancien régime à un nouveau) mais aussi dans les valeurs intrinsèques du régime de Vichy qui valorisent le sacrifice personnel au détriment d’une vision statocratique solide1024. La définition du statut juridique qu’il donne à son rôle de chef de l’Etat, qu’il affirme à Sigmaringen et qu’il soutient encore lors de sa demande d’entrée sur le territoire suisse est une clef de compréhension du principe et du fonctionnement en droit du régime de Vichy de 1940 à 1944. L’étude de Sigmaringen contribue donc à appréhender de manière globale le régime de Vichy. Cette approche en histoire du droit apporte, sinon des données de fait déjà abordées par des historiens, une traduction juridique des évènements permettant de nourrir l’approche contemporaine jurisprudentielle, réglementaire et législative relative à la responsabilité de l’Etat. Le présent travail expose ainsi trois idéaux-types clef de l’histoire des institutions en France entre 1940 et 1945 : d’abord, celui de l’Etat avec un chef contesté à double titre (en état de guerre civile et en état de contrainte par l’occupant dans le cadre d’une guerre internationale), puis celui de l’Etat sans chef (le chef d’Etat étant empêché et son concurrent n’étant pas reconnu) et, enfin, celui d’un chef sans Etat (hôte de son ennemi 1023 Pour reprendre l’expression d’Adolf Hitler dans sa proposition d’alliance adressée au gouvernement du régime de Vichy le 8 novembre 1942. Voir notamment à ce sujet : Corinna Franz, "Vom „homme lige“ zum Rivalen: Fernand de Brinon an der Seite von Pierre Laval 1942/43", in Stefan Martens et Maurice Vaïsse, Frankreich und Deutschland im Krieg (November 1942–Herbst 1944) : Okkupation, Kollaboration, Résistance. Bonn : Bouvier, 2000, pp. 49-71. 1024 Au contraire, c’est la doctrine gaulliste qui défend une conception de l’Etat fort. En dépit du fait que la France ne sera pas représentée à la conférence de Yalta, le 4 février 1945, Charles de Gaulle refuse effectivement de négocier le statut de son Gouvernement provisoire, clamant : « La souveraineté, la dignité, d’une grande nation doivent être intangibles. J’étais en charge de celles de la France. » : in Charles de Gaulle, Mémoires. ch. 3 : Le Salut, op. cit., p. 675. Ainsi, Charles de Gaulle note qu’à partir de Yalta, il ne reste notamment plus rien « de la situation de nation vaincue où la France avait paru tomber, ni de la légitimité de Vichy qu’on avait affecté d’admettre » : in Ibid., p. 677. Le 21 octobre 1945, Charles de Gaulle décide de s’en remettre à la souveraineté populaire en organisant le référendum relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Le 13 novembre 1945, l’Assemblée nationale constituante l’élit à l’unanimité en qualité de Président du Gouvernement provisoire de la République. Le fort caractère de Charles de Gaulle, entre autres, lui vaut d’être taxé de « prima donna » par les Etats-Unis ; cf. l’apostrophe de Franklin Roosevelt à Winston Churchill, le 4 juin 1944 : « All good luck in your talks with the prima donna » : in Ibid., p. 675 et note 63 p. 1331. Le 12 juin 1944, il reprend l’expression, avec ses qualificatifs de « complexe messianique » ou « de Jeanne d’Arc » : in Winston Churchill, Churchill & Roosevelt, the Complete Correspondence. Princeton : Princeton University Press, 1984, t. 2, p. 626 et p. 209. 266 tandis que son adversaire pose les fondements externes et internes de son autorité et de sa représentativité). Actualité du sujet La présente recherche alimente les nouvelles conceptions de la validité juridique du régime de Vichy depuis le revirement jurisprudentiel et doctrinal de ces dernières années. La parenthèse du régime de Vichy, et a fortiori de sa période d’août 1944 à avril 1945, aurait certes pu rester close et notre étude aurait pu manquer d’intérêt, sauf à titre rétrospectif. Or, le sujet demeure actuel. Les considérations péremptoires selon lesquelles le régime de Vichy serait nul et non avenu, n’aurait jamais existé en droit et ne se serait jamais inscrit dans la continuité politico – juridique de la France ne se sont, en effet, pas imposées. Sans le revirement jurisprudentiel et doctrinal très récent, le couvercle de plomb se serait peut-être abattu encore longtemps sur la qualification du statut juridique du régime de Vichy en métropole comme à Sigmaringen, mais à partir du moment où est établie une continuité de l’Etat englobant les faits et actes des institutions et de leurs fonctionnaires sous le régime de Vichy, son statut change. L’évolution de ces dernières années nous incite ainsi à reconnaître la permanence de l’Etat, autrement dit la continuité de l’Etat, assumant la légalité du régime de Vichy et ouvrant le champ du travail de mémoire. Toutefois, les développements législatifs et exécutifs de ces derniers mois démontrent le fort embarras de l’Etat français au regard du gouvernement de Vichy qu’il persiste à considérer comme une autorité de fait. Enjeu de la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat en droit Depuis les années 1970 et 1980, à la suite des travaux de juristes comme Serge Klarsfeld, mais aussi d’historiens comme Robert Paxton ou de cinéastes comme Alain Resnais, Marcel Ophüls et Claude Lanzmann, s’ouvre un débat public à propos de la responsabilité de l’Etat français dans l’arrestation et la déportation des personnes considérées comme juives1025. Le pouvoir judiciaire français établit la responsabilité individuelle pénale de certaines personnes pour crime contre l’humanité, comme Klaus 1025 Comme le reconnaît le Rapport d’Armand Jung n°2875 au nom de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 17 juin 2015 sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français, p. 7. 267 Barbie en 1987, Paul Touvier en 1994 et Maurice Papon en 1997, mais la responsabilité de l’Etat français n’est pas avérée, l’argumentation juridique se canalisant non pas sur le gouvernement du régime de Vichy mais sur l’Allemagne nazie1026. Effectivement, contrairement aux personnes physiques privées, la personne morale publique qu’est l’Etat ne peut pas voir sa responsabilité juridique pénale engagée et ne peut donc être condamnée pour crime contre l’humanité. La question centrale est de savoir si l’Etat peut être reconnu responsable et condamné pour faute ayant provoqué de graves dommages en violation de principes fondamentaux. Hormis la responsabilité civile disciplinaire des agents de l’Etat, c’est la responsabilité juridique civile de l’Etat devant les juges administratifs qui peut éventuellement être mise en cause. Encore faut-il établir sa responsabilité ainsi que le lien de causalité avec le dommage qui lui serait imputable et qui crée un préjudice pour les victimes. Or, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire français considèrent dès la fin de la Seconde Guerre mondiale que l’Etat républicain n’est pas responsable des actes de l’administration française entre 1940 et 1944. Le dogme du défaut de lien entre la légalité du gouvernement du régime de Vichy et la responsabilité de l’Etat français a dès lors une conséquence directe sur la reconnaissance du statut des victimes des actes couverts, voire organisés par l’administration de Vichy. En particulier, le Conseil d’Etat consacre l’irresponsabilité de la puissance publique, partant du principe que les actes effectués sous l’autorité de l’occupant allemand ne sauraient engager l’Etat français1027. La responsabilité de l’administration pour faute est ainsi longtemps exclue. L’Etat français met en place dès la période d’après-guerre un régime d’indemnisation sans responsabilité et seule l’indemnisation pour dommages de guerre est d’abord appliquée1028. C’est ainsi qu’il met en place des droits à des pensions sans jamais assumer formellement leur caractère de réparation. Aussi n’y a-t-il pas de droit spécifique pour les victimes de la 1026 Catherine Grynfogel, "Touvier et la justice, une affaire de crime contre l’humanité ?", Revue de la science criminelle et de droit pénal comparé, n°1, 1993, p. 72 ; Michel Massé, "L’affaire Touvier : l’échappée belle", Revue de la science criminelle et de droit pénal comparé, n° 2, 1993, p. 376. 1027 Arrêt Sieur Quin, Conseil d’État du 12 novembre 1948, Recueil Lebon, 1948, p. 427 ; Epoux de Persan, Conseil d’État du 13 juillet 1951, Recueil Lebon, 1951, p. 822 ; Epoux Giraud, Conseil d’Etat Ass. du 4 janvier 1952, Recueil Lebon, 1952, p. 14 ; Demoiselle Remise, Conseil d’Etat Sect. du 25 juillet 1952, Recueil Lebon, 1952 p. Arrêt Turin de Montmel, Conseil d’État, 12 mai 1954, Recueil Lebon, 1954, p. 888. Arrêt Arrêt Arrêt 401 ; 1028 Après l’arrêt Ganascia, Conseil d’Etat du 14 juin 1946, Recueil Lebon, p. 166. Ce principe est martelé par l’arrêt Toprower, Conseil d’Etat, Ass., 30 janvier 1948, Recueil Lebon, p. 48, concl. Celier ; Semaine juridique (JCP), 1948, n°3, p. 48, concl. Célier. 268 persécution antisémite mais un régime pour les déportés politiques largo sensu1029 et le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre1030 qui regroupe les mesures concernées exclut plusieurs victimes de l’accès à ses prestations1031. Enfin, un régime d’indemnisation pour spoliations matérielles ou bancaires est instauré à la fin des années 1990, sur la pression des Etats-Unis. En 1992, Robert Badinter, alors Président du Conseil constitutionnel, peut donc déclarer : « qu’il s’agisse des juifs ou des résistants, la République ne saurait être tenue pour comptable des crimes commis par les hommes de Vichy »1032. Certes, une grande partie de la doctrine de droit public plaide pour l’abandon de la jurisprudence d’irresponsabilité, compte tenu de son manque de réalisme et de justification1033. Sur l’impulsion de Lionel Jospin alors Premier Ministre, la mission d’étude de Jean Mattéoli1034 recommande la création d’une Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’occupation1035. Toutefois l’ambiguïté persiste : considérer en droit 1029 Il s’agit de droits à pension en tant que victime civile de guerre (loi du 20 mai 1946), en tant que déporté politique au sens large (loi du 9 septembre 1948) et en tant que déporté résistant (loi du 6 août 1948). Ces droits à pension comportent des conditions de nationalité : pour y avoir droit, il est nécessaire d’être titulaire de la nationalité française, de bénéficier de la nationalité d’un pays ayant signé une convention de réciprocité avec la er France (Convention franco-polonaise du 11 février 1947, franco-tchécoslovaque du 1 décembre 1947, franco-britannique du 23 janvier 1950 et franco-belge du 20 septembre 1958) ou de justifier le fait d’être réfugié ou apatride statutaire (protégé par la Convention internationale du 28 octobre 1933). 1030 Réformé bien tardivement par la loi de finances pour 1998 pour les étrangers non couverts ayant acquis par la suite la nationalité française. 1031 Il s’agit des personnes non ressortissantes françaises, ayant perdu la nationalité d’un des pays signataires de convention de réciprocité ou n’étant plus réfugié/apatride statutaire. En outre, un décret du 13 juillet 2000 n°2000-657 instituant une mesure de réparation [sic!] pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites (Journal officiel de la République française n°162, 14 juillet 2000, p. 10838) prévoit une mesure particulière pour les orphelins à l’époque mineurs de victimes de persécutions antisémites déportées depuis la France qui n’avaient pas pu avoir accès à un droit à pension, sans condition de nationalité. Un décret n°2004-751 du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale (Journal officiel de la République française n°174, 29 juillet 2004, p. 13508) organise une mesure similaire pour les orphelins de victimes d’actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale. 1032 Déclaration de Robert Badinter, Libération, 17 juillet 1992. 1033 « Un cas inexplicable d’irresponsabilité de l’Etat » : in note de Marcel Waline sous l’arrêt Epoux Giraud, Conseil d’Etat, 4 janvier 1952, Revue de droit public et de la science politique, 1952, p. 187 ; voir aussi chronique de Sophie-Justine Liéber et Damien Botteghi, "Les préjudices nés des agissements de l'Etat ayant préludé à la déportation doivent être regardés comme réparés autant qu'ils pouvaient l'être", Actualité juridique de droit administratif, 2009, p. 589. 1034 Président du Conseil économique et social et ancien résistant, anciennement interné à Neuengamme ainsi qu’à Bergen-Belsen. 1035 Décret du 10 septembre 1999 n°99-778 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant 269 que l’Etat organise une réparation sans assumer sa responsabilité est une contradiction juridique. L’Assemblée du Conseil d’Etat saisie pour statuer sur le décret du 13 juillet 20001036 se tire de cet embarras juridique par l’arrêt Pelletier et autres du 6 avril 20011037 en spécifiant qu’il est loisible à l’Etat d’édicter des dispositions règlementaires prévoyant des mesures d’« aide » aux orphelins de victimes de persécutions antisémites. Ce faisant, elle précise qu’il ne s’agit pas d’une indemnité. Cette interprétation coïncide encore avec le principe juridique dogmatique de l’illégalité de Vichy et de la conséquence de l’irresponsabilité de l’Etat républicain français. Elle s’insère pourtant dans un contexte particulier de rupture politique. En effet, quelques années plus tôt, le Président Jacques Chirac à peine élu opte officiellement pour une reconnaissance de la responsabilité de la France dans les persécutions antisémites. Il déclare le 16 juillet 1995 que si ce n’est pas la République, c’est la France qui répond de l’Etat français administré par le régime de Vichy et qui est comptable de ses fautes. Jacques Chirac insiste sur le fait que la France « une et indivisible » « n’a jamais été à Vichy » mais dans la France de l’Empire, à Londres et « dans le cœur des Français » qui ont résisté en sauvant la vie de ceux qui étaient menacés1038. Adoptant la position de la France Libre tout en permettant la prise de conscience politique de la réalité historique, son originalité est qu’il conçoit donc que ce qu’il saisit comme la France prend la responsabilité de la réalité créée par l’Etat français. A nos yeux, il puise dans le principe de théorie politique française qui vise à dissocier les concepts de « nation » et d’Etat, dénonçant le fait que l'Occupation. La Commission est prorogée par le Décret n°2009-619 du 6 juin 2009 puis par le Décret du 28 mai 2014 n°2014-555 (Journal officiel de la République française, n°0125, er 31 mai 2014 p. 9059) jusqu'au 1 juin 2019. 1036 Décret précité du 13 juillet 2000 n°2000-657 instituant une mesure de réparation [sic!] pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites (Journal officiel de la République française, n°162, 14 juillet 2000, p. 10838. 1037 Arrêt Pelletier et autres, Conseil d’Etat Ass., 6 avril 2001, n°224945, Revue française de droit administratif, mai-juin 2001, p. 712, concl. Stéphane Austry ; Actualité juridique de droit administratif, 2001, p. 444, note Mattias Guyomar et Pierre Collin ; Recueil Lebon, 2001, p. 173. 1038 « Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy. Elle n'est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le Général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le coeur de ces Français, ces “Justes parmi les nations” qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l'écrit Serge Klarsfeld, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur. Les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l'identité française et nous obligent pour l'avenir. » : in Allocution de Jacques Chirac, Président de la République, prononcée le 16 juillet 1995 lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942, Discours de Vel d’Hiv / Chirac - 16/07/1995 - Archive Ina, CD Crime contre l’Humanité, Témoignages et archives, Fremeaux & associés et INA. 270 l’Etat français n’a pas incarné la « nation » de 1940 à 1944 mais que, cinquante ans plus tard, l’Etat français représentant la « nation » assume les actes officiels de son passé. Quelques jours plus tard, le Premier Ministre Lionel Jospin appuie d’ailleurs le message présidentiel1039. Par ces déclarations, le Président et le Premier Ministre de la Vème République, de droite comme de gauche, assument indirectement la dichotomie qui dévoile la guerre civile entre deux représentations de la « France »1040. La mémoire politique au plus haut sommet de l’Etat rejoint l’Histoire. Or, qu’en est-il de la mémoire juridique, de la qualification de l’Etat gouverné par le régime de Vichy et de ses conséquences tangibles ? L’irresponsabilité juridique de l’Etat républicain relativement aux actes commis sur le territoire français par les organes de l’Etat français régis par le régime de Vichy entre 1940 et 1944 est-elle de l’ordre de la présomption irréfragable ? L’évolution jurisprudentielle montre qu’il n’en est rien. Dans son important arrêt Papon du 12 avril 2002, l’Assemblée du Conseil d’Etat statue sur le recours contentieux du rejet de l’action récursoire que la défense de Maurice Papon fait au Ministre de l’intérieur1041. Elle innove en établissant que l'agissement de l'administration a facilité sur le territoire français les déportations, et cela « indépendamment de l'action » personnelle de Maurice Papon, alors secrétaire général de la Préfecture de la Gironde. La responsabilité de l'Etat se trouve nécessairement engagée à raison de fautes de service, i.e. de défaillances propres 1039 « Il s'agit seulement d'admettre avec solennité, qu'un gouvernement de la France, son Etat, une administration, des juges, une police ont participé […] à une infamie. » : in Déclaration de Lionel Jospin, Libération, 25 juillet 1995. 1040 Henry Rousso à ce propos définit la France comme « un pays clivé » : in Henry Rousso, "Sortir du dilemme : Pétain, est-ce la France ?", Le Débat, 1996/2, n°89, p. 200. 1041 Dans son action récursoire, les conseils de Maurice Papon demandent au Ministre de l’intérieur de prendre en charge le remboursement des dommages et intérêts aux victimes auxquels est condamné leur client au civil, considérant que les actes reprochés à Maurice Papon sont de l’ordre d’une faute de service et non d’une faute personnelle à la suite de sa condamnation au pénal, le 2 avril 1998, à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crime contre l’humanité à raison de la déportation de juin 1942 à août 1944 de plusieurs dizaines de personnes. Le Conseil d’Etat statue sur le refus du Ministre et juge que Maurice Papon a commis une faute personnelle ainsi qu’une faute de service à la charge de l’Etat, ne le condamnant, par voie de conséquence, à payer que la moitié des dommages et intérêts dus aux victimes. Voir arrêt Papon, Conseil d’Etat, Ass., 12 avril 2002, Recueil Lebon, p. 139, conclusions de Sophie Boissard ; Revue française de droit administratif, 2002, p. 582, conclusions de Sophie Boissard ; Actualité juridique du droit administratif, 2002, pp. 423-427, note de Mattias Guyomar et Pierre Collin ; Les Petites Affiches, 28 mai 2002, pp. 12-25, conclusions de Sophie Boissard et note de Emmanuel Aubin. 271 de la puissance publique française pendant l'occupation allemande1042. Dans son avis, le Conseil d’Etat suit les conclusions de son Commissaire de gouvernement1043 et relève les éléments suivants : « Considérant que si l'article 3 de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de l'autorité de fait se disant " gouvernement de l'Etat français " qui "établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif", ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de créer un régime d'irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par l'administration française dans l'application de ces actes, entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ; que, tout au contraire, les dispositions précitées de l'ordonnance ont, en sanctionnant par la nullité l'illégalité manifeste des actes établissant ou appliquant cette discrimination, nécessairement admis que les agissements auxquels ces actes ont donné lieu pouvaient revêtir un caractère fautif ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la faute de service analysée ci-dessus engage, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la responsabilité de l'Etat ; qu'il incombe par suite à ce dernier de prendre à sa charge, en application du deuxième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, une partie des condamnations prononcées, appréciée en fonction de la mesure qu'a prise la faute de service dans la réalisation du dommage réparé par la cour d'assises de la Gironde. »1044 1042 Fautes de service au sens de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, soit mise en place d’un camp d’internement et d’un service des questions juives, ordres d’arrestation, d’internement et de transport de personnes à Drancy. Voir Fabrice Melleray, Actualité juridique du droit administratif, 2002, p. 837 et p. 840 ; "La pesée contestable de la faute de service et de la faute personnelle par le Conseil d'Etat dans l'affaire Papon (C.E. Ass. 12 avril 2002)", Recueil Dalloz, 2003, n°10, note Jean-Pierre Delmas Saint-Hilaire. 1043 La Commissaire de gouvernement conclut en effet : « Il existe sur le plan politique et ème institutionnel une altérité radicale entre l'Etat républicain tel qu'il s'est incarné sous la III ème République, et la parenthèse autoritaire qu'a représenté, dans République puis sous la IV l'histoire récente de notre pays, le régime de Vichy. Mais en droit et en fait, il n'existe pas moins une continuité entre ces différentes périodes de l'histoire de notre pays... Au nom même de cette continuité, nous pensons que l'Etat républicain ne peut échapper à l'héritage de Vichy. Il est tenu d'assumer toutes les conséquences de l'action présente et passée de ses services, même lorsque ces services, agissant sous la tutelle d'autorités illégitimes ont commis de graves illégalités. » : in conclusions de Sophie Boissard sous l’arrêt Papon, Conseil d’Etat Ass. 12 avril 2002, Les Petites Affiches, 2002, n°106, p. 23. 1044 Arrêt Papon, Conseil d’Etat Ass., 12 avril 2002, Recueil Lebon, n°238689, p. 139, conclusions de Sophie Boissard ; Revue française de droit administratif, 2002, p. 582, conclusions de Sophie Boissard ; Actualité juridique du droit administratif, 2002, pp. 423427, note de Mattias Guyomar et Pierre Collin ; Les Petites Affiches, n°106, 28 mai 2002, pp. 12-25, conclusions de Sophie Boissard et note de Emmanuel Aubin ; Recueil Dalloz, 2003, n°10, note Jean-Pierre Delmas Saint-Hilaire. 272 Appliquant la nouvelle jurisprudence, le Tribunal administratif de Paris dans son arrêt Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes juge de la responsabilité de l’Etat français1045 : « Considérant, en premier lieu, qu’en raison du principe de la continuité de l’Etat, la nature de son régime institutionnel et de ses fluctuations au cours de l’histoire ne saurait interrompre sa permanence ou sa pérennité ; que l’Etat républicain instauré par la Constitution du 4 octobre 1958 doit assumer la totalité de l’héritage de ses prédécesseurs. »1046 Quant au Tribunal administratif de Toulouse, il reconnaît le 6 juin 2006, dans l’affaire Guidéon S. et consorts Lipietz, la responsabilité de l’Etat pour fautes de service. Il qualifie de fautes le transport et l’internement au camp de déportation de Drancy, en France, de personnes considérées comme juives et, par voie de conséquence, il condamne l’Etat à une condamnation pécuniaire1047. En 2009, l’arrêt du Conseil d’Etat Hoffman Glemane1048 semble à première vue confirmer à son tour l’arrêt Papon. Saisi sur demande d’avis contentieux par le Tribunal administratif de Paris1049, le Conseil d’Etat persiste ainsi à considérer les actes et agissements du 1045 Rejetant l’argumentation du Ministre français de l’intérieur qui, dans sa décision en date du 17 juillet 2000 concernant les arrestations ordonnées par Maurice Papon, arguait que l’« Etat républicain ne saurait être confondu avec l’Etat français de Vichy qui en fut sa négation » : in arrêt Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes, Tribunal administratif de Paris, 27 juin 2002, n°0002976/5. 1046 Arrêt Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes, Tribunal administratif de Paris, 27 juin 2002, n°0002976/5. 1047 Arrêt Guidéon S. et consorts Lipietz, Tribunal administratif de Toulouse, 6 juin 2006, n°0104248, Actualité juridique du droit administratif, 2006, p. 2292, note Philippe Chrestia ; Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2006, p. 1715, note Jean-Christophe Jobart et concl. Jean-Christophe Truilhé. Si l’Etat n’exerce pas de recours, la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer) condamnée de même interjette appel et obtient gain de cause : un arrêt du Conseil d’Etat de 2007 considère que la juridiction administrative est incompétente à statuer, considérant la S.N.C.F. comme une personne morale privée gestionnaire d’un service public industriel et commercial ayant agi sans prérogatives de puissance publique que seuls les tribunaux judiciaires sont compétents à juger : cf. arrêt Mme Colette Lipietz et autres, Conseil d’Etat, 21 décembre 2007, n°305966, Revue française de droit administratif 2008, p. 80, concl. Emmanuelle Prada-Bordenave. 1048 Arrêt Hoffman Glemane, Conseil d’Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, p. 316, concl. Frédéric Lenica ; Revue française de droit administratif, 2009 p. 525, note Benoît Delaunay et p. 536, note Pauline Roche ; Actualité juridique du droit administratif 2009, p. 589, chronique Sophie-Justine Lieber et Damien Botteghi ; Les Petites Affiches, 17 mars 2009, p. 5, note Florence Chaltiel. Voir de même la restitution de l’intervention de Delphine Costa, "La question de la responsabilité de l’Etat dans la participation de Vichy aux crimes contre l’humanité", séance du 13 octobre 2013, UPA e-bulletin, consulté sur http://www.upavignon.org/IMG/pdf/131015-notes-coursdelphine-costa.pdf le 29 février 2016. 1049 En application de l’art. L.113-1 du Code de justice administrative, puisque la question de droit est complexe, nouvelle et concerne plusieurs litiges pendants. 273 régime de Vichy ayant contribué à la déportation de personnes considérées comme juives comme constituant des fautes engageant la responsabilité de l’Etat français. Cet arrêt est même plus explicite que le précédent ; ce dont l’Etat est responsable, « c’est bien d’avoir organisé, en l’absence de contrainte directe de l’occupant, les opérations qui ont constitué le prélude nécessaire à la déportation. C’est bien d’avoir sciemment retourné la marche du service contre une fraction de la population »1050. Le Conseil d’Etat rejoint l’historiographie qui démontre que l’Etat français sous le régime de Vichy n’était pas qu’un rouage de l’occupant, mais a administré de manière suffisamment autonome. Nonobstant, le Conseil d’Etat s’empresse néanmoins de préciser que l’Etat n’est déjà plus débiteur envers les victimes. D’une part, il indique avoir déjà réparé « autant qu’il a été possible » les préjudices individuels1051 de manière forfaitaire. D’autre part, il ajoute que les « préjudices collectivement subis » dus aux « souffrances exceptionnelles endurées par les personnes victimes de persécutions antisémites » ont eux-aussi été réparés de manière symbolique par la reconnaissance politique et sociale de la « Nation »1052. Autrement dit, l’Etat français est considéré comme responsable mais non débiteur, cette déclaration faisant l’objet de commentaires1053. Nous pouvons notamment, à ce propos, nous interroger sur la nature juridique des dons, pensions et autres dotations censés représenter, pour le Conseil d’Etat, des réparations pour les préjudices subis par les victimes de persécutions antisémites, alors-même que la responsabilité de l’Etat n’était pas reconnue1054. En outre, nous relevons l’influence du droit international moderne sur l’interprétation du Conseil d’Etat portant sur le régime français de la responsabilité : ce 1050 Frédéric Lenica, "La responsabilité de l'Etat du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", sur l’arrêt Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, p. 316. 1051 Préjudices moraux, physiques ou spoliations subis par les victimes elles-mêmes ou leurs ayants droit. 1052 Sont visées ici la loi du 26 décembre 1964 relative à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, la déclaration de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 et l’émission du Décret du 26 juillet 2000 reconnaissant d’utilité publique la Fondation pour la mémoire de la Shoah qui, selon le Conseil d’Etat, attestent de la haute importance que reconnaît l’Etat français à la commémoration des souffrances des victimes. 1053 Pour une vue générale de la doctrine, voir Danièle Lochak "Le droit, la mémoire, l’histoire. La réparation différée des crimes antisémites de Vichy devant le juge administratif", La Revue des Droits de l’Homme, n°2, décembre 2012, consulté le 29 février 2016 sur http://revdh.revues.org/251, p. 27. 1054 A l’instar de la dotation étatique versée en 2000 à la Fondation pour la mémoire de la Shoah : cf. Benoît Delaunay, "La responsabilité de l’État du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", note sous l’avis contentieux du Conseil d’État du 16 févr. 2009, arrêt Hoffman Glemane, n°315499, Recueil Dalloz, 2009, n°3, pp. 525-535. Danièle Lochak relève, quant à elle, l’artificialité de l’addition de mesures aussi hétérogènes in "Le droit, la mémoire, l’histoire. La réparation différée des crimes antisémites de Vichy devant le juge administratif", La Revue des Droits de l’Homme, n°2, décembre 2012, consulté le 29 février 2016 sur http://revdh.revues.org/251, p. 27. 274 dernier reprend, en effet, le principe de la réparation symbolique tel qu’exprimé dans les travaux de la Commission du droit international des Nations-Unies qui mentionne la « satisfaction » comme nouvelle modalité de réparation, quand la restitution ou l’indemnisation ne peuvent réparer un préjudice. Il s’agit, par exemple, de la reconnaissance de la violation des droits, de l’expression de regrets, de la modalité des excuses formelles1055. Ainsi, « le préjudice – dont on n’avait nulle conscience précise – se dévoile en même temps qu’on affirme qu’il a déjà été réparé »1056 : en quelque sorte, la plus haute juridiction administrative opère une césure juridique singulière, admettant le lien de causalité entre la faute de l’Etat et le dommage tout en considérant que le préjudice subi par les nombreuses victimes est déjà suffisamment indemnisé et ainsi qu’aucune d’entre elles ne peut dorénavant prétendre à la réparation. C’est comme si la reconnaissance de la faute de l’Etat suffit en soi comme complément d’indemnisation, comme si la faute, le dommage et le préjudice sont si grands que, d’une autorité péremptoire, le Conseil d’Etat considère qu’aucune compensation matérielle ne saurait la réparer. Tel un souffle de majesté étatique sur la blessure humaine, c’est comme si les conséquences de la décision du Conseil d’Etat concouraient à instaurer « un régime d’irrecevabilité »1057. De là à interpréter cette mention comme une prescription de fait des actes antisémites de la puissance publique, il n’y a qu’un pas. Sous prétexte de faire honneur à la mémoire et 1055 Le Conseil d’Etat suit sans la mentionner explicitement cette doctrine du droit international que lui suggère son Commissaire du gouvernement : cf. Frédéric Lenica, "La responsabilité de l'Etat du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", sur l’arrêt Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, pp. 316-328. Concernant le "Projet d’articles sur la responsabilité ème session de la Commission du droit de l’Etat pour fait internationalement illicite" de la 53 international, en 2001, voir : Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. 2, deuxième partie, p. 31. 1056 Benoît Delaunay, "La responsabilité de l’État du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", note sous l’arrêt Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Recueil Dalloz, 2009, n°3, p. 331. 1057 En reprenant l’expression de Danièle Lochak, in "Le droit, la mémoire, l’histoire. La réparation différée des crimes antisémites de Vichy devant le juge administratif", La Revue des Droits de l’Homme, n°2, décembre 2012, consulté le 29 février 2016 sur http://revdh.revues.org/251, p. 12. 275 aux droits des victimes, le Conseil d’Etat semble plutôt avoir pour effet principal de protéger les finances publiques1058. Ce rappel des étapes, menant en soixante ans à une reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans les persécutions antisémites de Vichy (et donc, largo sensu, à assumer ses potentielles autres fautes pendant la période 1940 à 1944 sur le territoire métropolitain) et faisant de l’Etat français l’héritier juridique du régime de Vichy alimente notre thèse. Nous aurions tendance à laisser penser que l’affirmation intangible de la parenthèse de Vichy est définitivement abandonnée et qu’en droit, il est dorénavant clair que le gouvernement de Vichy est un gouvernement de l’Etat français. Toutefois, l’actualité institutionnelle de ces tout derniers mois démontre qu’il n’en est rien d’un point de vue politique, comme nous allons l’aborder dans le prochain paragraphe. Enjeu de la reconnaissance du gouvernement de Vichy en politique Le Président François Hollande, s’exprimant le 22 juillet 2012 lors de la commémoration des 70 ans de la rafle du Vel d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942 à Paris, souligne qu’il s’agit d’un crime « commis en France par la France »1059. Un déferlement de critiques dans la classe politique et la société civile se déverse aussitôt sur lui par l’intermédiaire des médias traditionnels et des réseaux sociaux1060, alors même que son discours a pour but de s’inscrire dans la droite ligne tracée précédemment par le Président Jacques Chirac et qu’il a notamment pour objet d’insister sur le devoir pédagogique de mémoire. Ce n’est pourtant pas sur le terrain médiatique que l’attaque contre la reconnaissance du gouvernement de Vichy a effectivement lieu mais sur les bancs parlementaires et, par voie de conséquence, dans le langage diplomatique et dans le droit d’une convention 1058 En cela, nous ne rejoignons pas Frédéric Lenica qui considère que les juges du PalaisRoyal ont fait montre d’« une infinie délicatesse » : in "La responsabilité de l'Etat du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", sur l’avis contentieux Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, pp. 316-328. Nous ne sommes pas non plus convaincue du « réalisme juridique » de cette « solution équilibrée » que salue Aurélien Antoine, in "Responsabilité de l’Etat et déportation des Juifs. Réflexions à partir de l’avis de l'Assemblée du Conseil d’Etat de France", Revue trimestrielle des Droits de l’Homme, n°2009/80, p. 1058. 1059 Le discours est reproduit en annexe et diffusé sur http://www.francetvinfo.fr/france/rafle-duvel-d-hiv-en-accusant-la-france-hollande-s-attire-une-salve-de-critiques_121721.html, consulté le 24 juillet 2012. 1060 A titre d’exemple, voir l’article "Rafle du Vél' d'Hiv : Hollande accuse « la France » et s'attire une salve de critiques" consulté le 24 juillet 2012 sur http://www.francetvinfo.fr/france/rafledu-vel-d-hiv-en-accusant-la-france-hollande-s-attire-une-salve-de-critiques_121721.html. 276 bilatérale interétatique. Plus précisément, après un an de négociations dont le gouvernement français est à l’origine, un accord est signé à Washington le 8 décembre 2014 entre les Etats-Unis et la France. En effet, malgré ses dispositifs législatifs et judiciaires, le régime français exclut encore plusieurs victimes (déportés survivants ou leurs ayant-droits) de l’accès à l’indemnisation, ce qui a notamment pour effet d’alimenter des contentieux judiciaires et des initiatives législatives contre la S.N.C.F. et les démembrements de l’Etat français aux Etats-Unis. Le gouvernement français cherche une issue négociée pour satisfaire définitivement les demandes des déportés survivants de nationalité américaine et obtenir, en contrepartie, la garantie d’une sécurité juridique, c’est-à-dire que les futurs recours en réparation soient systématiquement rejetés, l’accord prévoyant comme obligation internationale une immunité de juridiction devant les tribunaux des Etats-Unis. Concrètement, l’accord a pour objectif la création d’un fonds ad hoc de 60 millions de dollars américains en tant que solde forfaitaire de tout compte de réparation pour les victimes n’ayant pas eu accès aux mesures françaises du fait de leur nationalité ou à des compensations de la part d’autres Etats ou institutions. Comme cet accord engage les finances de l’Etat français, son gouvernement demande aux chambres de l’approuver par l’adoption d’une loi, en application de l’article 53 de la Constitution1061. Cette obligation constitutionnelle peut paraître technique, mais ses conséquences sont d’importance. Le débat parlementaire houleux démontre alors le fossé entre la logique juridique et le langage symbolique du pouvoir. Pour comprendre l’importance de la dissonance, reportons-nous à l’accord du 18 janvier 2001 entre la France et les Etats-Unis relatif à l’indemnisation de certaines spoliations intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale qui met à contribution plusieurs banques françaises au titre des avoirs qu’elles ont acquis abusivement de leur propre initiative pendant la période de l’occupation. Signé par Jacques Chirac et Lionel Jospin, ce dernier mentionne clairement le « gouvernement de Vichy » dans son préambule1062. Le gouvernement français dans son décret portant publication et répartition de l’indemnisation n’y prête pas attention. Quoi qu’il en soit, dans la version anglaise du 1061 Constitution du 4 octobre 1958, Journal officiel de la République française, n°0238 du 5 octobre 1958, p. 9151. 1062 « Reconnaissant le fait que la France, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, a adopté des mesures législatives qui ont permis la restitution des biens et l'indemnisation des victimes de persécutions antisémites menées par les autorités d'Occupation allemandes ou par le gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale. » : Décret n°2001-243 du 21 mars 2001 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique relatif à l'indemnisation de certaines spoliations intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale signé à Washington le 18 janvier 2001 et portant répartition de l’indemnisation prévue, Journal officiel de la République française n°70, 23 mars 2001, p. 4561. 277 texte, la formule « Vichy government » est celle qui est utilisée dans tous les textes internes et internationaux émis par les Etats-Unis depuis 1940. L’appellation correspond donc à un état de fait et ne prête pas à discussion. Or, le projet de loi du 8 décembre 2014 est, quant à lui, soumis par le gouvernement en procédure accélérée à approbation de l’Assemblée nationale et du Sénat le 29 avril 2015. La procédure accélérée montre que, déterminé, le gouvernement estime que le contenu de la loi ne pose pas de difficulté majeure et que celle-ci doit être votée dans les meilleurs délais1063. Les rapports des débats des examens en Commission sont très instructifs. En particulier, on y apprend que la première séance de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 27 mai 2015 est suspendue à la suite des fortes oppositions au texte1064. Ces résistances ne tiennent pas tant à l’objet de l’accord qu’à sa formulation et au sens que les députés lui donnent. La pierre d’achoppement est la mention du « gouvernement de Vichy » que les parlementaires ne veulent accepter1065. Plusieurs d’entre eux fustigent le fait que l’accord mette la France sur le même plan qu’un Etat vaincu. Sans le citer, ils visent l’accord international d’indemnisation que la France a signé avec la République fédérale d’Allemagne (R.F.A.) le 15 juillet 1960 en faveur des ressortissants français ayant été l'objet de persécutions national-socialistes, qui prévoit l’attribution de sommes forfaitaires à titre d’indemnisation1066. En 1960, la France fait partie des Etats réputés vainqueurs et siège à ce titre au sein du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. C’est aussi à ce titre qu’elle demande à la R.F.A. des fonds d’indemnisation. En 1960 comme en 2015, aucune personnalité politique ne s’offusque que la R.F.A., entendue comme système politique et institutionnel démocratique et républicain rompant catégoriquement avec son prédécesseur, soit l’héritière et la débitrice du IIIème Reich et représente un Etat 1063 La fiche de synthèse n°32 relative à la procédure législative est disponible sur le site de er l’Assemblée nationale consultée le 1 mars 2016 sur : http://www2.assembleenationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctionsde-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-procedure-legislative. 1064 Compte-rendu n°81 de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 27 mai 2015 "Etats-Unis : indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (n°2705)". 1065 Cette position n’est pas sans rappeler ce qu’exprime Jean Cassou, ancien résistant luimême, quand il critique le fait que les résistants ne se considèrent pas concernés par la collaboration d’Etat : « Pendant quatre ans la France légale, officielle, publique, historique, s’est déclarée sous les traits du régime Pétain, lequel a vécu en bonne intelligence avec l’ennemi. […] il en demeure pour la conscience collective française, pour la conscience des Français, une charge, une blessure, le sentiment d’avoir vécu, ensemble, quelque chose d’un peu amer, d’avoir accompli, ensemble, un périlleux et pesant sacrifice : et nous, nous restons en dehors. La charge, la blessure, ne sont pas pour nous. Nous étions ailleurs. Et aujourd’hui, nous restons où nous étions. » : in Jean Cassou, La mémoire courte. Turin : Mille et une nuits, 2001 [1953], pp. 56-57. 1066 Décret n°61-971 du 29 août 1961 portant publication de l’accord, Journal officiel de la République française, 30 août 1961 p. 8132. 278 vaincu. Or, il n’en va pas de même pour la réputation interne et externe de la France que le législateur cherche à défendre, quitte à écorner le nouveau principe juridique reconnaissant la responsabilité de l’Etat pour les actes de la puissance publique inféodée au régime politique de Vichy. Il est insupportable pour les parlementaires d’accepter que la République française soit indirectement assimilée à la R.F.A.1067. Les parlementaires refusent catégoriquement de confondre la République et le régime de Vichy, ce que le projet de loi n’insinue pourtant pas. Armand Jung, rapporteur de la Commission de l’Assemblée nationale, témoigne de la confusion des débats qui apportent la preuve que « 70 ans après il est toujours d’actualité et ce malgré les prises de positions successives des Présidents »1068. L’enjeu de la reconnaissance du gouvernement de Vichy trouve son paroxysme dans le fait que, sous la pression des débats troublés en première séance de la Commission de l’Assemblée nationale, la Présidente Elisabeth Guigou demande au gouvernement de substituer l’expression de « gouvernement de Vichy » du projet de loi par celle communément de « l’autorité de fait, se disant gouvernement de l’Etat français ». Le gouvernement français y concède et demande au gouvernement des Etats-Unis d’accepter la modification, tirée de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental. Il s’agit d’apprécier avec mesure ce 1067 Les interventions de Pierre Lellouche (parti Les Républicains) rendent particulièrement compte des oppositions au texte : « Je peux admettre que la République française reconnaisse les crimes de Vichy et qu’elle indemnise les citoyens français qui ont pu en être victimes. Mais, je n’imagine pas que la République française puisse être considérée comme débiteur co-responsable des crimes et doive donc donner réparation au gouvernement américain qui fera d’ailleurs ce qu’il veut de ces fonds. La République française a été sortie par le général de Gaulle de la Seconde guerre mondiale comme Etat vainqueur. […] Je ne voterai pas ce texte et je dirai que c’est un scandale sur le plan des principes. Je suis gaulliste, je suis républicain et je ne peux pas admettre que dans un accord international, notre République d’aujourd’hui soit considérée comme un Etat vaincu et donc responsable de la Shoah. C’est Vichy qui a collaboré, pas le général de Gaulle, pas les communistes, pas ceux qui se sont battus. C’est inacceptable, inacceptable ! […] Il y a un problème de droit et un problème de fond qui est politique. Il s’agit d’une contre-vérité historique que nous écrivons dans un texte international. […] A ma connaissance, c’est la première fois que la République française se place en continuatrice du Gouvernement de Vichy dans le cadre d’un accord international. […] En tant qu’Etat vainqueur, nous ne devons pas de réparations à un Gouvernement étranger. […] La République en aucun cas n’est la continuité de l’Etat de Vichy. » : in Compte rendu n°81 de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 27 mai 2015 "Etats-Unis : indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (n°2705)", p. 5, p. 9 et p. 11. 1068 Interventions d’Armand Jung (parti socialiste), in Compte-rendu n°81 de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 27 mai 2015 : "Etats-Unis : indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (n°2705)", p. 12. Lors de la deuxième séance que tient la Commission de l’Assemblée nationale, ce dernier insiste donc sur le fait que l’accord dont il est question ne contient pas un régime de réparation de guerre entre Etats, mais des réparations individuelles, morales et financières. 279 changement qui n’est pas que terminologique, mais qui constitue aussi et surtout un recul sur le fond. Certes, il ne procure aucun impact sur l’objet de l’accord. Toutefois, il signale que, politiquement, les représentants élus détenteurs du pouvoir législatif en France1069 refusent encore à ce jour de considérer le gouvernement de Vichy comme ce qu’il est, soit un gouvernement légal de la France, malgré le fait que le pouvoir exécutif assume la catégorisation et ses conséquences1070. Le recul du gouvernement montre sa volonté de se soumettre aux desiderata du Parlement afin de ne pas retarder l’effectivité de la convention internationale, créant pourtant là un précédent de repli en politique interne. A notre sens, les discours des Présidents Jacques Chirac et François Hollande (Nicolas Sarkozy ayant fait preuve d’un mutisme assourdissant) sont nécessaires mais encore incompris et insuffisants. Les prises de positions parlementaires concernant la terminologie utilisée pour nommer le gouvernement de Vichy en sont un élément de preuve. Enjeu jurisprudentiel récent relatif à la reconnaissance du statut de la France Libre Par le procédé d’une sorte d’effet miroir de la reconnaissance du statut du régime de Vichy, les tribunaux contemporains sont confrontés à la reconnaissance juridique de la France Libre et à ses conséquences. En 2008, l’Etat français revendique et obtient le caractère public de notes rédigées par Philippe Pétain en 1940. Par ailleurs, en 2012, 1069 Car les débats de la Commission du Sénat font écho à ceux de la Commission de l’Assemblée nationale : cf. à titre d’exemple Claude Malhuret (parti Les Républicains) : « Je voudrais, en tant que maire de Vichy, exprimer ma stupéfaction et ma colère de voir figurer dans des textes officiels la mention "Gouvernement de Vichy" qui n’est pas une dénomination juridique appropriée. Cela ne fait que renforcer les amalgames fréquents et insupportables pour la population de ma ville entre "vichystes" et "vichyssois". Il y a quelques années, le député Gérard Charasse avait déposé une proposition de loi demandant de bannir cette formulation dans les textes officiels. Le texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour, mais il avait obtenu des assurances du gouvernement à l’époque. Je constate que l’on continue sans s’en émouvoir davantage de l’utiliser dans des documents officiels. Je souhaite que le texte sorte du Sénat sans ces termes » : in Compte-rendu de er l’examen en Commission du Sénat, in Rapport du Sénat n°584 du 1 juillet 2015 de Nathalie Goulet au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français, p. 28. 1070 En fin de compte, la loi est adoptée par l’Assemblée nationale le 24 juin 2015 et par le Sénat le 9 juillet 2015 avant d’être promulguée par le Président François Hollande le 23 juillet 2015 : loi n°2015-892 du 23 juillet 2015 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français, Journal officiel de la République française n°0169, 24 juillet 2015, p. 12585. 280 l’Etat, en la personne de la Ministre de la Culture et de la Communication, prétend que 313 brouillons de télégrammes manuscrits rédigés par Charles de Gaulle (adressés à la France Libre, à Joseph Staline et à Winston Churchill entre 1940 et 1942) font aussi partie des archives publiques. Il demande que le Tribunal de grande instance de Paris ordonne leur saisie en se fondant sur l’article L 211-4 du Code du patrimoine qui dispose que « les archives publiques sont les documents qui procèdent de l’activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l’Etat, des collectivités locales ou des autres établissements publics ou personnes morales de droit public ou personnes de droit privé chargées d’une telle mission ». Les conclusions de la société Aristophil et de l’association du Musée des lettres et manuscrits, les défenderesses détentrices des documents, relèvent alors qu’ : « assimiler l’organisation des Français libres à l’Etat revient à confondre les notions de légitimité et d’Etat et, lorsque, dans le même temps, le Ministre de la culture revendique aussi comme archives publiques des notes personnelles du maréchal Pétain, cela revient à admettre que deux Etats ont coexisté dans notre pays entre 1940 et 1942, rien n’étant plus contraire à l’idée de souveraineté. »1071 Nonobstant la pertinence de l’argument, le Tribunal de grande instance de Paris dans son jugement du 20 novembre 2013 le rejette et donne raison à l’Etat. Il considère ainsi que les documents ont été écrits « dans le cadre de la fonction de représentation de la nation française qu'il s'était assignée, le temps de la guerre et donc dans le cadre d'une mission de service public » 1072 . Selon la juridiction civile, Charles de Gaulle représente donc à Londres une autorité de l’Etat. Le Tribunal de première instance suit donc les conclusions de l’Etat qui considèrent que, sur le fond : « il n’y a nulle contradiction à estimer qu’ont le caractère d’archives publiques, tant des documents émanant du maréchal Pétain que du général de Gaulle, le gouvernement de Vichy, dont les actes ont engagé la responsabilité de l’Etat coexistant avec un gouvernement français de fait s’opposant à ce régime ; - le général de Gaulle s’est comporté en représentant de l’Etat, ainsi qu’il résulte de la déclaration organique du 16 novembre 1940, de l’ordonnance n°16 du 24 septembre 1941, de l’ordonnance n°55 du 26 mai 1943 ; - le tribunal de grande instance de Nanterre a déjà jugé que l’Etat se trouve investi des droits sur une photographie prise par un membre du service photographique des forces navales de la France Libre, s’agissant d’un fonctionnaire et agent de droit public et qu’il n’y a donc 1071 Jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 20 novembre 2013 (n°12/06156), er mars 2016 sur https://f.hypotheses.org/wpconsulté le 1 content/blogs.dir/2571/files/2016/02/TGIParis_20112013_ArchivesDeGa ulle.pdf,. 1072 Jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 20 novembre 2013 (n°12/06156), er consulté le 1 mars 2016 sur https://f.hypotheses.org/wpcontent/blogs.dir/2571/files/2016/02/TGIParis_20112013_ArchivesDeGa ulle.pdf. 281 aucun doute que “la France Libre correspond à l’Etat”. »1073 La question n’est pas réglée, car la société Aristophil et l’association du Musée des lettres et manuscrits interjettent appel. Le 15 mai 2015, la Cour d’appel de Paris admet que la qualification de l’appartenance des manuscrits au domaine public pose une difficulté sérieuse que « seul le juge administratif peut trancher » et ordonne un sursis à statuer. En effet, il précise que : « les débats sur le statut de la France Libre dans les années 1940-1942 ne sont pas sans soulever des difficultés tant d’un point de vue juridique qu’historique. Le ministère de la culture s’en est d’ailleurs fait l’écho dans le courrier adressé aux appelantes le 2 novembre 2011 par le service interministériel des archives de France en indiquant que les archives du gouvernement de la France Libre posaient un “problème délicat”. »1074 La réponse de la juridiction administrative à cette question préjudicielle apportera un élément qui permettra de qualifier le statut de la France Libre à l’aune de la qualification donnée à ses archives. Nous sommes curieuse de connaître la manière dont les juges et la doctrine appréhenderont ce cas révélateur de la guerre civile réalisée entre le parallélisme des deux instances à mission de service public que l’Etat ne peut que reconnaître concurremment. Paradoxes juridiques Nous observons plusieurs paradoxes relatifs au statut du régime de Vichy. D’abord, il est patent qu’il nous faut distinguer le principe de continuité de l’Etat de ses effets en droit interne et en droit international. En droit international, l’Etat français n’a jamais souffert de discontinuité et le gouvernement représentant l’Etat est responsable devant ses pairs. En outre, le droit international reconnaît les effets de la guerre civile entre la France Libre et le régime de Vichy, via le statut de belligérance de l’entité gaulliste. En droit français, seulement depuis le récent arrêt Papon de 2002, l’Etat français répond des actes dommageables commis tant par le corps politique et juridique de la France Libre que par celui du régime de Vichy, admettant avoir été représenté par ces deux entités. Il n’est plus 1073 [C’est nous qui soulignons.] Jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 20 er novembre 2013 (n°12/06156), consulté le 1 mars 2016 sur https://f.hypotheses.org/wpcontent/blogs.dir/2571/files/2016/02/TGIParis_20112013_ArchivesDeGa ulle.pdf. 1074 Jugement de la Cour d’Appel de Paris du 15 mai 2015 (n°13/23875), consulté sur https://f.hypotheses.org/wpcontent/blogs.dir/2571/files/2016/02/CAParis_15052015_Appel_Archives er DeGaulle.pdf le 1 mars 2016. 282 concevable, aujourd’hui, de disqualifier le régime de Vichy comme n’ayant pas représenté l’Etat. Effectivement, en tant que régime politique, il a notamment été le mode d’organisation des pouvoirs publics sur le territoire métropolitain, représentant donc de manière effective et concrète les pouvoirs publics. Nous pouvons donc conclure, depuis cette jurisprudence, que les régimes politiques sont incarnés et finis mais que l’Etat reste une entité abstraite et continue qui ne supporte pas de parenthèse. Si le droit français ne reconnaît toujours pas officiellement l’état de guerre civile entre 1940 et 1944, il conçoit toutefois que les deux ordres juridiques de la France Libre et de Vichy se superposent et que la responsabilité de l’Etat est engagée par tous les deux. Un commentaire de l’arrêt Papon rejoint ainsi notre thèse en signifiant qu’enfin « la continuité juridique entre la IIIème République et Vichy, puis entre Vichy et l'Etat républicain d'après la guerre, ne peut être sérieusement contestée »1075. Cependant, si la responsabilité de l’Etat français est intimement liée à la légalité du régime de Vichy, la légalité des actes du régime de Vichy demeure clairement discutable. En d’autres termes, si les fondements légaux formels de l’époque nous incitent à considérer que le gouvernement du régime de Vichy a été légal, plusieurs de ses actes n’en ont pas moins été illégaux. Cependant sur quelle base légale sont-ils disqualifiés ? L’arrêt Papon considère que les fautes de service sont relatives à l’obligation contenue a posteriori dans la violation des dispositions de l’ordonnance du 9 août 1944. L’argumentation est laconique et rétroactive : les actes discriminatoires de l’Etat sont fautifs car illégaux sur la base d’une ordonnance émise postérieurement par un ordre juridique concurrent victorieux d’une guerre civile implicite. Nous restons perplexe en ce qui concerne le fondement du manquement aux principes de dignité et d’égalité que brandissent les commentateurs1076 puisque ces notions ont des contours équivoques et sont sans force normative, ne faisant pas partie du corpus de droit positif de l’époque1077. 1075 Arrêt Papon, Conseil d’Etat Ass., 12 avril 2002, Actualité juridique du droit administratif, 2002, note de Mattias Guyomar et Pierre Collin, p. 427. 1076 A l’instar de Benoît Delaunay, "La responsabilité de l’État du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", note sous l’avis contentieux Hoffman Glemane du Conseil d’État, 16 févr. 2009, n°315499, Recueil Dalloz, 2009, n°3, pp. 525535. 1077 Le principe d’égalité n’est présent que dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Concernant la définition et l’utilisation très récente du concept de dignité en droit constitutionnel français, Philippe Cossalter relève, par ailleurs, que la dignité est utilisée de manière « totémique » par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux Hoffman Gleman et par la doctrine qui ancre sans autre moyen de droit le principe dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et la « tradition républicaine », voir : Philippe Cossalter, "La dignité humaine en droit public français : l’ultime recours", Revue générale du droit (www.revuegeneraledudroit.eu), Etudes et réflexions, 2014, n°4. 283 Dans l’arrêt Hoffman Glemane également, le Conseil d’Etat édicte une liste de fautes1078 qui heurtent les « droits fondamentaux de la personne humaine tels qu’ils sont consacrés par le droit public français », la juridiction précisant qu’il s’agit des « valeurs et principes notamment de dignité de la personne humaine consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine »1079. A notre sens, il est délicat de considérer ces droits fondamentaux comme faisant partie du corpus iuris avant la fin de la guerre, à moins d’invoquer une injonction de ius naturale, dont les aspects ontologiques et épistémologiques peuvent être discutés1080. La question de l’opposabilité des « libertés publiques » nées dans le courant du XIXème siècle se pose pour juger des actes commis avant 19461081. Il en va de même pour les principes généraux du droit, dont la valeur juridique n’a été reconnue qu’en 19451082. Comment résoudre le problème lié au fait que le constat de l’illégalité des actes du régime de Vichy manque de base juridique solide à nos yeux ? Le juriste devrait-il accepter que le droit et la justice ne se rencontrent pas, dans des cas d’exception ? Comment accepter que le droit reste soumis à une neutralité axiologique à l’égard de la norme1083 ? Nous y trouvons trace d’un raisonnement téléologique non assumé, mû par l’irrépressible volonté de condamner en droit des personnes pour avoir volontairement agi dans un sens moralement et politiquement 1078 Arrestations, internements, transports dans des camps de transit avant les camps de concentration et d’extermination. 1079 Arrêt Hoffman Glemane du Conseil d’État, 16 févr. 2009, n°315499, Recueil Dalloz, 2009, n°3, pp. 525-535. 1080 Plusieurs auteurs étudient la réhabilitation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui ne se voit consacrée comme source à valeur juridique que dans les décisions du Conseil Constitutionnel des 16 juillet 1971, ainsi que des 28 novembre et 17 décembre 1973. A titre d’exemple, voir notamment : Benoît Jeanneau, "Juridicisation et actualisation de la Déclaration des droits de 1789", Revue de droit public et de la science politique, 1989, pp. 635-663 et "La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et son influence sur les constitutions", Revue internationale de droit comparé, vol. 42, n°2, avril-juin 2009, pp. 765-769. 1081 D’autant que le recours aux droits et principes fondamentaux est notablement réduit depuis les années 2000 par les membres du Conseil Constitutionel, pourtant garants du bloc de ème République, signifiant par là un retour en force des principes de constitutionnalité de la V sécurité publique et, partant, un certain caractère relatif de la notion de fondamentalité de libertés et droits républicains à protéger : voir Véronique Champeil-Desplats, "Le Conseil Constitutionnel, protecteur des droits et libertés ?", Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°9, 2001, pp. 11-22 et Samuel Etoa, "La terminologie des « droits fondamentaux » dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel", Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°9, 2001, pp. 23-29. 1082 Arrêt Aramu, Conseil d’Etat, Ass, 26 octobre 1945, Recueil Lebon, p. 213. 1083 « les juges n’ont pas à faire régner la justice, ils ont à appliquer le droit en vigueur. Entre la Justice et le Droit, il y a un abîme […] : in Gaston Jèze, "Appréciation, par les gouvernants et leurs agents, de l’opportunité d’agir. Création, organisation et fonctionnement des services publics", Revue de droit public et de la science politique, 1943, p. 11, cité par David Maslarski, "La conception de l’État de Gaston Jèze", Jus politicum, n°3, décembre 2009, consulté le 4 mars 2016 sur http://juspoliticum.com/numero/autour-de-la-notion-deconstitution-24.html. 284 hautement condamnable. La justice mémorielle serait-elle plus qu’une raison d’Etat, à savoir une raison de la République ? La doctrine juridique de l’entre deux-guerres nous permet de résoudre le dilemme. Pour nous, ce qui permet de rejeter les normes et actes discriminatoires émis par le régime de Vichy et sous sa responsabilité tient plus aux principes que le régime autoritaire n’avait aucun droit ni légitimité à outrepasser plutôt qu’aux faibles normes positives en vigueur à l’époque ou à des principes généraux du droit anachroniques. En effet, les débats autour du refus des « actes de gouvernement » ou du « droit de nécessité » (Notrecht1084) permettent de considérer le droit légitimant la raison d’Etat comme hors du droit, car contre le droit. Comme le formule Gaston Jèze : « le Notrecht n’est pas autre chose qu’une thèse politique, revêtue des formes juridiques »1085. Une lecture juridique rigoureuse ne conçoit donc pas que l’exécutif dispose des pleins pouvoirs sans contrôle démocratique car les actes de gouvernement font perdre le sens du service public à la puissance publique, qui perd ainsi sa justification. C’est, à notre sens, ce qu’exprime implicitement l’arrêt Hoffman Glemane quand il clame que la faute de service est constituée dans le fait « d’avoir sciemment retourné la marche du service contre une fraction de la population »1086. En permettant les arrestations, les spoliations et les déportations, l’exercice des pleins pouvoirs heurte de plein fouet le principe sur lequel l’Etat républicain se fonde, i.e. le principe d’auto-limitation, même – et surtout – en cas de circonstances exceptionnelles, qui commande que les individus (qui composent le peuple à la base et à la destination de la puissance publique) doivent en tout temps être sauvegardés de l’arbitraire de la politique du gouvernement1087. Nous suivons ainsi Léon Duguit, qui formule que le principe de la protection de l’individu ne devrait avoir d’exception dans son principe de légalité1088. C’est là, à notre sens, que le droit puise sa critique contre les actes commis par le régime de Vichy : par le principe institutionnel non 1084 Robert Hoerni, De l'état de nécessité en droit public fédéral suisse : étude juridique sur les pleins pouvoirs. [S.l.] : [s.n.], 1917. 1085 Gaston Jèze, L’exécutif en temps de guerre. Les pleins pouvoirs. Paris : Paris : M. Giard & E. Brière, 1917, p. 117. 1086 Frédéric Lenica, "La responsabilité de l'Etat du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", sur l’arrêt Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, p. 316. 1087 D’autant que les actes en cause ne doivent pas avoir été pris à l’encontre de l’intérêt général : cf. arrêt Entreprise Chemin, Conseil d’Etat, 4 juin 1947, Recueil Lebon, p. 246. Pour une mention de cette limitation de la théorie des circonstances exceptionnelles, voir l’analyse de l’arrêt Heyriès, 28 juin 1918, Recueil Lebon, p. 651, consultée le 7 mars 2016 sur http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plusimportantes-du-Conseil-d-Etat/28-juin-1918-Heyries. 1088 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel. T. 3 : La théorie générale de l’Etat (suite et fin). Paris : E. de Boccard, 1921-1925, p. 686. 285 écrit inhérent à l’Etat républicain de refuser les pouvoirs exceptionnels au gouvernement, d’autant plus dans une situation de guerre et d’occupation. Le positivisme juridique ne peut donc ignorer ce principe fondateur qui déclare illégales les mesures discriminatoires qui, ne protégeant pas une partie de la population au sein de la société française, a permis de participer à des massacres de masse systématiques. Parallèlement, un autre argument juridique nous permet de disqualifier les actes du gouvernement de Vichy. Il a trait au droit international et fait écho à ce que nous avons établi dans la présente étude. En effet, le statut du gouvernement dont le territoire est envahi par l’occupant est circonscrit : il est certes celui d’une institution subordonnée à l’autorité de fait qu’est le gouvernement ennemi dont les forces l’occupent, mais il est aussi l’autorité qui bénéficie d’une certaine autonomie pour gérer les affaires dites courantes. En droit international de l’époque, le gouvernement du régime de Vichy aurait dû s’en tenir à des actes et agissements tenant à une administration simple de l’Etat. En aucune manière il n’est habilité à prendre des initiatives en faveur d’une réforme institutionnelle et politique d’envergure. Or, il est avéré que le gouvernement du régime de Vichy a outrepassé ses compétences selon le droit international en mettant en place des procédures administratives, de police et de justice propres à discriminer gravement une partie de la population sous son contrôle. C’est, d’ailleurs, paradoxalement la puissance occupante qui, en l’empêchant de présenter son projet de nouvelle Constitution à la fin de l’année 1943, la contraint au respect des dispositions du droit international. Enfin, les conséquences de la jurisprudence Hoffman Glemane nous donnent l’occasion de relever en particulier l’une des limites de l’action juridique et judiciaire qui démontre que lorsque le droit trouve ses limites commence la casuistique. La réparation de l’Histoire par la voie prétorienne nous paraît limitée. Nous ressentons une sorte de malaise face au règlement conjoncturel d’une situation qui se trouve ainsi réduite à des indemnités et quelques gestes symboliques que tous n’ont pas entendu et qui est loin de rectifier une faute extraordinaire, telle que la participation à un génocide. A notre sens, pour aborder sans fards le statut juridique de Vichy et ses conséquences, il s’agit dorénavant d’assumer la faillite du droit commun à résoudre des problématiques d’ordre mémoriel exceptionnel et choisir d’investir plus avant le champ politique1089. Là se trouve 1089 Nous rejoignons la réflexion d’Antoine Garapon dans son ouvrage Peut-on réparer l’histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah. Paris : Odile Jacob, 2008, pp. 257-260 ainsi que les conclusions de Frédéric Lenica, "La responsabilité de l'Etat du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites", sur l’avis contentieux Hoffman Glemane, Conseil d'Etat Ass., 16 février 2009, n°315499, Revue française de droit administratif, 2009, pp. 316-328. 286 la pierre de touche de l’Etat de droit, en particulier face aux victimes et à leurs ayantsdroits que le droit français considère avoir suffisamment indemnisés à la suite des dommages que le droit et l’administration discriminatoires du gouvernement du régime de Vichy ont causé. 287 NOTICES BIOGRAPHIQUES Abetz Otto (1903 – 1958) Adhère au N.S.D.A.P. en 1931. Ambassadeur allemand à Paris dès août 1940, il accompagne les Français dans le Baden-Württemberg. Il est condamné en juillet 1949 aux travaux forcés par le tribunal militaire parisien avant d’être libéré en 1954. Il meurt d’un accident de voiture. Arber Jules (1891 – 1970) Diplomate suisse. Après avoir été nommé à Paris et Berlin, il est nommé consul de Suisse à Alger auprès de la France Libre. Auphan Gabriel (1894 – 1982) Militaire français (contre-amiral). Nommé ministre de la Marine en 1934 et 1935, il est également Secrétaire d’Etat à la Marine en 1942 et, à ce titre, ordonne le sabordage de la Marine à Toulon. Il démissionne en novembre 1942. Fidèle de Philippe Pétain, il est chargé par ce dernier en août 1944 de contacter Charles de Gaulle. Barthélemy Joseph (1874 – 1945) Juriste (Professeur de droit à Montpellier puis Paris) et député (Action républicaine et sociale) de 1919 à 1928. Garde des Sceaux pétainiste du régime de Vichy de 1941 à 1943. Arrêté en 1944, il meurt de maladie avant l'ouverture de son procès. Benoist-Méchin Jacques (1901 – 1983) Journaliste et politicien français collaborationniste. Condamné à mort puis gracié en 1944, il bénéficie d’une libération conditionnelle en 1954. Bichelonne Jean (1904 – 1944) Haut fonctionnaire, il est nommé secrétaire d’État à la Production industrielle et aux Communications en avril 1942 et participe à la création du S.T.O. en 1943. Il suit Laval à Belfort puis à Sigmaringen. Il meurt dans des conditions non éclaircies dans un hôpital allemand en décembre 1944. Blasselle Raoul (1889 – 1981) Militaire français (colonel nommé chef de brigade sous Vichy). Chef de la garde militaire de Philippe Pétain en sa qualité de chef de l’Etat français, il redevient colonel après la guerre puis général de brigade en 1946, avec effet rétroactif. Bléhaut Henri (1889 – 1962) Militaire français (amiral), Secrétaire d'État à la marine et aux Colonies depuis 1943, il fuit en 1944 à Sigmaringen. Arrêté en 1945 à la suite de son retour volontaire en France, il est remis en liberté provisoire en 1946, puis condamné à dix ans de prison par contumace en 1947. Il bénéficiera d’une grâce présidentielle en 1955. Blum Léon (1872 – 1950) Homme politique français à la tête du Front populaire (S.F.I.O.). Il est nommé Président du Conseil de 1936 à 1937 ainsi qu’en 1938. Arrêté en 1940, condamné à Riom puis déporté en Allemagne. Il deviendra chef du gouvernement en 1946, puis, l’année d’après, Ministre des affaires étrangères. Bonna Pierre (1891 – 1945) Avocat d’affaires et haut fonctionnaire suisse. Nommé en 1935 chef de la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral, il est remplacé par Walter Stucki en 1944 et nommé ministre de Suisse à Athènes en 1945. 288 Bonnard Abel (1883 – 1968) Ecrivain français, membre de l'Académie Française dès 1932. Collaborationniste dès 1940, membre du P.P.F. Nommé Ministre pour l'éducation nationale en 1942-1944, il fonde deux nouvelles chaires à la Sorbonne ("Histoire du Judaïsme contemporain" et "Études raciales"). En 1944, il fuit en Allemagne puis en Espagne. Condamné à mort par contumace en 1945, sa peine est commuée en 1960. Il meurt en Espagne. Bouffet René (1896 – 1945) Haut fonctionnaire français vichyste. Préfet de la Seine de 1942 à 1944, il meurt pendant son incarcération. Brécard Charles (1867 – 1952) Secrétaire général du chef de l’État en 1940, peu germanophile, écarté par les Allemands. Président du Conseil de la francisque dès 1942, il n’est pas inculpé à la Libération. Bridoux Eugène (1888 – 1955) Général français, fait prisonnier en 1940 puis libéré sur intervention de Fernand de Brinon. Il est nommé Secrétaire d'État à la Guerre en 1942, puis Secrétaire d'État à la Défense en 1943 avant de fuir à Sigmaringen en 1944. Arrêté par les Alliés en 1945 à Innsbruck, il est livré à la France. Il s’évade en 1947 pour l’Espagne et est condamné à mort par contumace en 1948. Brinon Fernand de (1885 – 1947) Journaliste français et homme politique. Collaborationniste dès l’entre-deux guerres, il fonde avec Otto Abetz le Comité France-Allemagne. En 1940, il est nommé Délégué général du gouvernement dans les territoires occupés avec rang d’ambassadeur, puis, en 1942, Secrétaire d'État auprès du chef du gouvernement Laval. A Sigmaringen, il préside la Commission gouvernementale. Arrêté en 1945, il est condamné à mort et exécuté en 1947. Bruneton Gaston (1882 – 1961) Chef de service de la main d’œuvre en Allemagne dès 1942 dans ce qui deviendra dès 1943 le Commissariat général à l'action sociale pour les travailleurs français en Allemagne. Il sera condamné à quatre ans et six mois de prison en 1948. Bucard Marcel (1895 – 1946) Politicien français fasciste et antisémite. Il fonde le Mouvement franciste en 1933 et cofonde la L.V.F. Après sa fuite en Allemagne, il est arrêté en Italie, extradé en France, puis condamné à mort et exécuté en 1946. Bürckel Josef (1895 – 1944) Gauleiter (chef territorial) nazi, membre du N.S.D.A.P. dès 1921 et du Reichstag en 1930. Il est nommé gauleiter de l’Ouest (Palatinat, Sarre et Moselle) et chef de l'administration civile en Lorraine en 1940. Il se suicide en 1944. Burckhardt, Carl Jacob (1891 – 1974) Historien suisse et cadre du C.I.C.R. En 1937, il est nommé haut-commissaire de la Société des Nations à Dantzig. Il occupe des fonctions dirigeantes au C.I.C.R. pendant la guerre et en devient le président en 1945. La Suisse le nomme Ministre à la légation de Paris de 1945 à 1949. 289 Bussière Amédée (1886 – 1953) Haut fonctionnaire français. Directeur général de la sûreté nationale, puis Préfet de Police de Paris de 1942 à 1944, il est arrêté en 1944 et condamné en 1946 aux travaux forcés à perpétuité avant d’être libéré en 1951. Cassin René (1887 – 1976) Juriste, diplomate et politicien français. Il représente la France à la Société des Nations de 1924 à 1938 avant d’être particulièrement actif au sein de la France Libre. Par la suite, il représentera la France aux Nations-Unies, participera à la création de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, présidera la Cour européenne des droits de l’Homme et recevra le prix Nobel de la paix. Cathala Pierre (1888 – 1947) Haut fonctionnaire et politicien français proche de Laval. Il fonde le parti républicain indépendant en 1935. Secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances de 1942 à 1944, puis secrétaire d’État à l’Agriculture et au ravitaillement en 1944, il meurt dans la clandestinité avant le prononcé de son jugement. Céline : voir Destouches Louis Ferdinand Chasseigne François (1902 – 1977) Haut fonctionnaire et politicien français (S.F.I.O.). Membre du régime de Vichy à divers postes de propagande ouvrière, directeur de cabinet de Jean Bichelonne, puis Secrétaire d'État à l'agriculture et au ravitaillement en 1944. Condamné aux travaux forcés en 1948 puis amnistié en 1951. Châteaubriant Alphonse de (1877 – 1951) Ecrivain, journaliste antisémite et collaborationniste. Prix Goncourt en 1911, grand prix du roman de l’Académie Française, il est directeur de La Gerbe, un hebdomadaire, entre 1940 et 1941. Condamné à mort par contumace en 1945, il meurt pendant son exil au Tyrol en 1951. Choltitz Dietrich von (1894 – 1966) Général allemand de l'infanterie, il est chargé en 1944 du commandement en Italie, en Normandie, puis à Paris, en remplacement de Carl-Heinrich von Stülpnagel. Daladier Edouard (1884 – 1970) Politicien radical français nationaliste et anticommuniste. Président du Conseil de 1938 à 1940, il démissionne et reçoit le portefeuille de la Défense nationale et de la Guerre dans le ministère Paul Reynaud (mars - mai 1940). En juin 1940, il embarque sur le Massilia avec d'autres parlementaires. Ramené en France, il est jugé à Riom en 1942 et livré aux Allemands qui le déportent de 1943 à 1945. Il sera de nouveau député de 1946 à 1958. Darnand Joseph (1897 – 1945) Politicien français antisémite et proche des milieux fascistes. Il entre au P.P.F. et à la Cagoule en 1936. Il fonde en 1942 le service d'ordre légionnaire (S.O.L.), qui devient la Milice en 1943. La même année, il est nommé membre honoraire de la S.S., puis, en 1944, Secrétaire d'État à l'Intérieur et au maintien de l’ordre. Après sa fuite à Sigmaringen, il est arrêté en 1945 en Italie par les Alliés, remis à la France, condamné à mort et exécuté. Déat Marcel (1894 – 1955) Homme politique français. Exclu de la S.F.I.O., il fonde le parti socialiste de France avant de s’engager dans un courant autoritaire et fasciste. Il fonde le Rassemblement national populaire (R.N.P.) en 1941 puis le Front révolutionnaire national en 1942. Nommé 290 Secrétaire d’Etat au Travail et à la Solidarité nationale en 1944, il fuit à Sigmaringen puis en Italie où il meurt, sous un nom d’emprunt, soutenu par plusieurs réseaux catholiques. Debeney Victor (1891 – 1956) Militaire fidèle de Philippe Pétain, fils d’un général de la Première Guerre mondiale, il est le Directeur des services de l'Armistice de 1943 à 1944 puis chef du Secrétariat général de Philippe Pétain en 1944. Il suit Philippe Pétain à Sigmaringen puis en France. Il est arrêté puis relaxé en 1946. Dejean Maurice (1899 – 1982) Diplomate français. Nommé chef du service de presse à l’ambassade de France à Berlin de 1930 à 1939, puis chef adjoint de cabinet du Ministre des affaires étrangères, il rallie la France Libre en 1941 et prend la tête de la Direction des affaires politiques. Commissaire national aux affaires étrangères puis représentant de la France auprès des gouvernements en exil à Londres, il accède au poste de Directeur politique du Quai d’Orsay en 1944, avant de poursuivre sa carrière diplomatique en Tchécoslovaquie, au Japon, en Indochine et en Russie. Destouches Louis Ferdinand, dit Céline (1895 – 1961) Ecrivain français antisémite et raciste, proche des milieux collaborationnistes. Il fuit la France pour l’Allemagne dès juin 1944. Après avoir rejoint Sigmaringen, il fuit dès mars 1945 pour le Danemark. Condamné en 1950 par la France puis amnistié en 1951, il revient en France en 1952. Doriot Jacques (1898 – 1945) Politicien collaborationniste. Exclu du parti communiste français en 1934, il fonde le Parti populaire français (P.P.F.) en 1936, puis la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (L.V.F.). Il crée le Comité français en Allemagne à Mainau avant de mourir en Allemagne en 1945 dans des conditions mal éclaircies. Drieu la Rochelle Pierre (1893 – 1945) Ecrivain français antisémite et proche d’Otto Abetz. Après avoir été proche des milieux surréalistes et socialistes, il opte pour le totalitarisme. Membre du P.P.F. de 1936 à 1939 (puis de nouveau en 1943), il dirige la Nouvelle Revue Française dès 1940. Il se suicide en 1945. Dudenhoeffer Roger (1901 – 1987) Résistant français d’origine alsacienne. Ingénieur divisionnaire des Mines, il rejoint l’Armée secrète en 1942 au début de sa création à Vichy. Il participe activement à la libération de Vichy en tant que Lieutenant-colonel chef F.F.I. à Vichy sous le pseudonyme de Pontcarral. Dulles Allen (1893 – 1969) Diplomate et avocat d’affaires états-unien. Nommé chef de l’O.S.S. (Office of Strategic Services, ancêtre de la C.I.A. (Central Intelligence Agency)) à Berne dès 1942, il assiste l’ambassadeur des Etats-Unis en organisant les services secrets, en contact avec les services industriels et financiers allemands. Il sera nommé directeur de la C.I.A. en 1953. Eden Anthony (1897 – 1977) Politicien conservateur britannique. Ministre de la guerre en 1940, puis Secrétaire aux affaires étrangères de 1940 à 1945 dans le cabinet de Winston Churchill, il sera Premier ministre en 1955. 291 Féat Georges (1892 – 1956) Militaire français (capitaine de vaisseau) conservateur proche de Philippe Pétain, il est membre du cabinet militaire du régime de Vichy. Fernet Jean (1881 – 1953) Militaire français (vice-amiral) proche de François Darlan, peu germanophile. Secrétaire général du Conseil national en 1941 puis conseiller militaire de Philippe Pétain. Il fuit à Sigmaringen en 1944. Franco Francisco (1892 – 1975) Militaire et homme d’Etat espagnol. Il instaure un régime totalitaire soutenu par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste en 1939 et déclare officiellement l’Espagne neutre pendant la Seconde Guerre mondiale. Il proclame en 1947 « l’Etat catholique et social » et, avant la restauration royale, se fera conférer le titre de protecteur-régent à vie et de chef de gouvernement. François-Poncet André (1887 – 1978) Politicien de centre-droite et diplomate français. Ambassadeur à Berlin de 1931 à 1938 puis à Rome de 1938 à 1939. Il est arrêté par la Gestapo en août 1943 avec Albert Lebrun et est déporté au château d’Itter jusqu’à sa libération en 1945 par la 1ère armée française. Il sera nommé Haut Commissaire de la Zone d’occupation française en Allemagne en 1949, puis en 1955 premier ambassadeur de France en R.F.A. à Bonn. Il sera Vice-Président puis Président de la Croix-Rouge française de 1955 à 1967 et président de la Commission permanente de la Croix-Rouge internationale de 1948 à 1965. Gabolde Maurice (1891 – 1972) Juriste français collaborationniste. Avocat général à Riom en 1942 puis Garde des Sceaux de 1943 à 1944, il rédige l’article qui rend rétroactive la loi pénale relative à la mise en place de la « section spéciale ». Après sa fuite à Sigmaringen en 1944, il part pour l’Espagne en 1945 avec Pierre Laval et Abel Bonnard. Condamné à mort par contumace en 1946, il s’installe en Espagne. Gamelin Maurice (1872 – 1958) Militaire français (général). Remarqué lors de la Première Guerre mondiale, il dirige l’armée française en 1940. Après la défaite, il est arrêté et jugé à Riom. Livré en 1942, il est déporté par les Allemands de 1943 à 1945 et libéré par les armées alliées. Gasser Hans Wilhelm (1904 – 1980) Diplomate suisse. Attaché de la légation suisse à Berlin de 1941 à 1945, il sera nommé successivement consul suisse à Francfort en 1949 puis à Bonn en 1950, consul général à New-York de 1956 à 1963 et ambassadeur de 1963 à 1969 à Ottawa. Gaulle Charles de (1890 – 1970) Militaire (général de brigade) et politicien français. Chef de la France Libre, il dirige l’Etat à la Libération. Il sera le futur premier Président de la Vème République française. Goebbels Joseph (1897 – 1945) Politicien nazi, membre du N.S.D.A.P. dès 1924 et député au Reichstag en 1928. Il est nommé à la direction de la propagande du parti en 1929. Il se suicide en 1945. Guérard Jacques (1897 – 1977) Haut fonctionnaire français collaborationniste. Membre de la direction de diverses banques de 1925 à 1938. Chef de cabinet au Ministère des affaires étrangères en 1940 puis secrétaire général du gouvernement de Pierre Laval dès 1942, il tente en vain de se 292 réfugier en Suisse en août 1944 et rejoint Sigmaringen en novembre, puis l’Italie et le Portugal, pour s’installer en Espagne en 1947. Condamné à mort par contumace, il revient en France en 1955 pour travailler comme membre de la direction de plusieurs assurances. Guisan Henri (1874 – 1960) Militaire suisse (général), il est le commandant en chef de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Hácha Emil (1872 – 1945) Juriste et politicien tchèque. Président de la République tchécoslovaque de 1938 à 1939 et Président du protectorat de Bohême-Moravie entre 1939 et 1945, soumis au IIIème Reich, il meurt après son arrestation par l’armée rouge. Son gouvernement de collaboration est controversé. Haller Edouard de (1897 – 1982) Juriste et diplomate suisse, beau-frère de Pierre Bonna. Directeur de la Section des mandats de la Société des Nations à Genève de 1926 à 1940 puis membre du C.I.C.R. de 1940 à 1941 et délégué du Conseil fédéral aux œuvres d'entraide internationale de 1942 à 1948. Il sera nommé Ministre de Suisse à Oslo de 1948 à 1953 ainsi qu’à Moscou de 1953 à 1957, puis ambassadeur à La Haye de 1957 à 1962. Himmler Heinrich (1900 – 1945) Reichsführer S.S., membre du N.S.D.A.P. depuis 1922. Président du R.S.H.A. de 1942 à 1943, puis Ministre de l'Intérieur de 1943 à 1945. En avril 1945, il se suicide après son arrestation par les Alliés. Hitler Adolf (1889 – 1945) Chancelier du Reich dès 1933 et chef de l’Etat nazi dès 1934. Fonde et régit un régime totalitaire impérialiste, antisémite et raciste centré sur sa personne et sur son parti, le N.S.D.A.P. Il se suicide en 1945. Hoppenot Henri (1891 – 1977) Diplomate français, il rallie la France Libre et devient délégué du Gouvernement provisoire aux Etats-Unis en 1943. Ambassadeur de France à Berne de 1945 à 1952, il sera représentant permanent de la France au Conseil de sécurité de l'ONU de 1952 à 1955 avant d’être nommé au Conseil d'Etat de 1956 à 1964. Hull Cordell (1871 – 1955) Juriste et politicien démocrate américain. Parlementaire puis Ministre des affaires étrangères de 1933 à 1944, il recevra le prix Nobel de la paix en 1945. Ingrand Henry (1908 – 2003) Diplômé en médecine coloniale, résistant puis haut fonctionnaire français. Fondateur d’un réseau de résistants en zone occupée, il est arrêté par les Allemands en juin 1942. Après sa fuite en zone libre, il devient chef régional du M.U.R. en Auvergne. Colonel des FFI, il est nommé Commissaire régional de la République en Auvergne en 1944. Après la guerre, il est administrateur des aéroports de Paris et de l’agence Havas. Représentant de la France au Liban puis en Colombie, il est nommé ambassadeur de France au Venezuela entre 1961 et 1963. Isorni Jacques (1911 – 1995) Avocat et écrivain français. Sous l’occupation, il est l’avocat des communistes poursuivis devant la section spéciale de la Cour d’appel de Paris, créée par le gouvernement de 293 Vichy. Après la guerre, il assure la défense de Robert Brasillach (ancien rédacteur en chef du journal antisémite et collaborationniste « Je suis partout ») et de Philippe Pétain. Jardin Jean (1904 – 1976) Haut fonctionnaire et homme d’affaires français. Proche de Pierre Laval, il est nommé directeur de son cabinet de 1942 à 1943 puis premier conseiller à l’ambassade à Berne en 1943. Il reste en Suisse jusqu’en 1947. Jouhaux Léon (1879 – 1954) Syndicaliste français. Secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail (C.G.T.) de 1909 à 1947. Il fondera et présidera la Confédération générale du travail – Force ouvrière (C.G.T. – F.O.) dès 1947 et recevra le prix Nobel de la Paix en 1951. Knochen Helmut (1910 – 2003) Haut fonctionnaire nazi, membre de la N.S.D.A.P. dès 1932. Il est nommé chef de la police de sûreté et du service de sécurité en France (et de la Belgique, dès 1942) de 1940 à 1944, sous les ordres de Carl Oberg. Arrêté par l’armée alliée en 1945, il est condamné à mort par les Britanniques en 1946 et les Français en 1954. Il est cependant gracié en 1958 et libéré, avec Carl Oberg, en 1962. Il mourra en Allemagne. König Marie-Pierre (1898 – 1970) Militaire français (Maréchal de France) commandant en chef des troupes françaises en Grande-Bretagne. Nommé général en chef des F.F.I. en 1944, il est chargé de l’arrestation de Philippe Pétain à Vallorbe afin de l’escorter au fort de Montrouge. De 1945 à 1949, il est nommé gouverneur militaire de la zone d’occupation française en Allemagne avant de s’engager dans une carrière politique. Krug von Nidda Roland (1895 – 1968) Militaire, journaliste et diplomate nazi. Membre du N.S.D.A.P. et de la S.A. dès 1933. Il est nommé ambassadeur d’Allemagne en France près du régime de Vichy de 1941 à 1943, puis muté par Joachim von Ribbentrop à Berlin pour être nommé Président du Comité wallon-flamand dans une division politique du Ministère des affaires étrangères. Détenu de 1945 à 1947 en France, il vit comme écrivain et traducteur jusqu’à sa mort. Lagarde Ernest (1896 – 1968) Diplomate et haut fonctionnaire français. Ministre plénipotentiaire, sous-directeur d’Afrique-Levant et représentant suppléant de la France au Conseil de la S.D.N. puis directeur adjoint des affaires politiques et commerciales sous le gouvernement de Vichy. Lattre de Tassigny Jean de (1889 – 1952) Militaire français (Maréchal de France), commandant en chef de la 1ère armée. Il co-signe la capitulation allemande au nom de la France le 8 mai 1945. Laval Pierre (1883 – 1945) Politicien et avocat français, plusieurs fois ministre. Collaborationniste, il est chef du gouvernement en 1940, puis de 1942 à 1944. Il prône en 1943 la politique de neutralité face aux chefs collaborationnistes cherchant à renforcer une collaboration active. Après Sigmaringen, il fuit en Espagne en 1945, puis en est expulsé pour la France. A la suite de son procès, il est condamné à mort et exécuté. Leahy William (1875 – 1959) Amiral et diplomate des Etats-Unis. Ambassadeur à Vichy jusqu’en 1942, puis chef d’étatmajor particulier du président F. D. Roosevelt. Il sera chef d'état-major du commandant en chef de l'armée américaine et de la Marine jusqu'en 1949. 294 Lebrun Albert (1871 – 1950) Politicien français (parti conservateur de l’Alliance démocratique), élu Président de la République en 1932 et réélu en 1939. Il s’efface dès le vote des actes constitutionnels en 1940. Arrêté par les Allemands, il est transféré à Itter en 1943. Il passe la fin de la guerre en France. Léopold III roi des Belges (1901 – 1983) Roi des Belges dès 1934. Empêché d’exercer sa fonction par l’occupation allemande, face à l’absence du gouvernement parti en exil, il est réduit à rester en résidence surveillée à Bruxelles. Populaire au début de la guerre, il fait preuve de faiblesse. Déporté de force en Autriche en juin 1944, il est libéré par les armées alliées en 1945. En 1946, il échappe à l’accusation de trahison grâce aux conclusions d’une commission d’enquête qui relève qu’il n’a pas signé d’armistice. Réfugié en Suisse de 1945 à 1950, il abdiquera en 1951. Lesca Charles (1871 – 1948) Journaliste français antisémite, fasciste et collaborationniste. Directeur de publication de Je suis partout dès 1943, membre du comité central de la L.V.F. Condamné à mort en 1947, il meurt en Argentine où il a fui en 1944. Luchaire Jean (1901 – 1946) Journaliste proche d’Otto Abetz. Collaborationniste, il crée une structure corporatrice de la presse de la zone nord. A Sigmaringen, il est nommé Commissaire à l’Information de la Commission gouvernementale. Ayant fui en Italie, il est arrêté puis condamné à mort et exécuté en 1946. Mandel Georges (1885 – 1944) Politicien français indépendant, parlementaire puis Ministre pour les colonies (de 1938 à 1940) et Ministre de l’Intérieur (en 1940). Arrêté en 1942, livré à l’Allemagne qui le détient à Itter. En 1944, il est tué en France par la Milice. Marion Paul (1899 – 1954) Journaliste français antisémite. Membre de la Troisième Internationale communiste en 1923 puis de la S.F.I.O. en 1929, il adhère au P.P.F. en 1936. Secrétaire à l'Information et à la Propagande dès 1941-1944, puis Secrétaire d’Etat auprès de Philippe Pétain. Après Sigmaringen, il est condamné à dix ans de prison en 1948, puis gracié pour raisons médicales en 1953. Massigli René (1888 – 1988) Diplomate français. Engagé dans la France Libre en 1943, il y est nommé Commissaire aux affaires étrangères. Il prend la tête de l’ambassade à Londres de 1944 à 1954. Masson Roger (1894 – 1967) Militaire suisse (brigadier). Il est nommé chef des renseignements suisses de 1936 à 1946. Mathé Pierre (1882 – 1956) Politicien français (agraire indépendant), parlementaire de 1936 à 1940. Commissaire général à l'agriculture et au ravitaillement de 1940 à 1944. Il fuit à Sigmaringen. En 1945, il est condamné à 5 ans d'indignité nationale et quitte la vie politique. Ménétrel Bernard (1906 – 1947) Médecin et conseiller privé antisémite et nationaliste de Philippe Pétain, fils de son précédent médecin et ami. Peu germanophile, il suit Philippe Pétain à Sigmaringen, est 295 arrêté en novembre 1944 et libéré en 1945 par l’armée alliée. Arrêté en France, il bénéficie d’un non-lieu en 1946 avant de mourir à la suite d’un accident en 1947. Mornet André (1870 – 1955) Magistrat français, il est nommé en 1940 président honoraire de la Cour de Cassation en 1940, directeur de la justice militaire et membre de la Cour de Riom. Antisémite, il est nommé la même année vice-président de la commission pour la révision des naturalisations et élabore le statut dit « des juifs » en 1940. En novembre 1944, il est nommé Procureur auprès de la Haute Cour de Justice. Naville René (1905 – 1978) Haut fonctionnaire suisse. Gérant du consulat de Suisse de 1941 à 1944. Il sera notamment nommé par la suite ambassadeur au Chili de 1954 à 1959, en Chine de 1959 à 1962 et au Portugal de 1963 à 1970. Neubronn von Eisenburg Alexander (1977 – 1949) Général allemand nommé dès 1943 auprès du régime de Vichy. Il devient intermédiaire entre le gouvernement de Vichy et le gouvernement du Reich. Oberg Carl (1897 – 1965) Haut fonctionnaire nazi, membre de la N.S.D.A.P. dès 1931. Il est nommé chef supérieur de la police de sûreté en Pologne en 1941 puis en France de 1942 à 1944. Arrêté par l’armée alliée en 1945, il est condamné à mort par les Alliés en 1946 et les Français en 1954. Gracié en 1958, libéré avec Helmut Knochen en 1962, il meurt en Allemagne. Oltramare Georges dit Charles Dieudonné (1896 – 1960) Journaliste et directeur de journaux suisse, fasciste et antisémite. Il fonde l’organisation fasciste Union nationale en 1932 à Genève. À Paris en 1940, il milite pour une propagande national-socialiste. Ayant fui à Sigmaringen, il y est arrêté en 1945 et extradé en Suisse. Condamné à une peine de prison en Suisse pour espionnage pro-allemand ainsi qu’à mort par contumace en France, il s’installe en 1952 en Espagne avant de s’installer en Égypte. Il meurt à Genève, en Suisse. Parmentier André (1896 – 1991) Haut fonctionnaire français. Préfet des Vosges en 1941 puis préfet de Rouen en 1942, il est nommé directeur de la police nationale en 1944 par Pierre Laval. Il utilise sa position pour contrecarrer l’influence de Joseph Darnand et de la Gestapo. Sa condamnation à 5 ans d’emprisonnement et à l’indignité nationale sera relevée pour faits de résistance. Pétain Philippe (1856 – 1951) Militaire français (Maréchal de France) connu pour ses faits d’armes pendant la Première guerre mondiale. Ministre de la guerre en 1934, ambassadeur en Espagne en 1939 et chef de l'État français dès 1940. Il dirige un Etat autoritaire aux accents traditionnalistes et antisémites pendant l’occupation allemande. A Belfort puis Sigmaringen, il se considère empêché et obtient son retour en France via la Suisse en 1945. Condamné à mort, sa sentence est commuée en prison à vie. Il meurt en détention. Petitpierre Max (1899 – 1994) Juriste et politicien suisse (radical). Il siège au Conseil des Etats de 1942 à 1944 et est élu au Conseil fédéral en 1944, dirigent le Département politique. Il sera nommé président de la Confédération en 1950, 1955 et 1960. Pilet-Golaz Marcel (1889 – 1958) Politicien radical suisse. Chef du Département de l’intérieur en 1929, puis du Département des postes et des chemins de fer de 1930 à 1940, il est nommé Président de la 296 Confédération en 1934 et 1940 puis Chef du Département politique fédéral de 1940 à 1944. Critiqué, il démissionne et se retire de la vie politique en novembre 1944. Platon Charles (1886 – 1944) Militaire (amiral) et politicien français, membre du régime de Vichy de 1940 à 1943. Il est condamné à mort et exécuté en 1944. Rebatet Lucien (1903 – 1972) Ecrivain et journaliste collaborationniste et antisémite. Ayant fui à Sigmaringen, il est arrêté en 1945 et condamné à mort en 1946. Gracié, il est libéré en 1952. Reinebeck Otto (1883 – 1946) Diplomate allemand. Chef du service Amérique latine au Ministère des affaires étrangères allemand de 1942 à 1944, il est nommé ministre au service de l’Ambassade allemande à Sigmaringen en remplacement de l’ambassadeur Otto Abetz de 1944 à 1945. Il est arrêté par les Alliés et collabore avec eux en 1946, date à laquelle il serait décédé. Renthe-Finck Cecil von (1885 – 1964) Diplomate nazi, membre du N.S.D.A.P. dès 1939. Après une mission au Danemark dès 1936, son mandat le mène en 1943 comme conseiller spécial diplomatique auprès de Philippe Pétain à Vichy, puis à Sigmaringen. Il n’a pas été condamné à la fin de la guerre. Reynaud Paul (1878 – 1966) Politicien et avocat français (parti conservateur de l’Alliance démocratique). Plusieurs fois ministre, il est Président du Conseil et Ministre de la Guerre en mai 1940. Interné de 1943 à 1945 à Itter, il poursuivra une carrière politique après la guerre. Ribbentrop Joachim von (1893 – 1946) Industriel et diplomate nazi, membre du N.S.D.A.P. dès 1932. Ambassadeur à Londres dès 1935, puis Ministre des affaires étrangères dès 1938, il est condamné à mort par le Tribunal de Nuremberg et exécuté en 1946. Rochat Charles (1892 – 1975) Diplomate et haut fonctionnaire français. Secrétaire général aux affaires étrangères de 1942 à 1944, il fuit à Sigmaringen avant de se réfugier en Suisse en 1945. Condamné à mort par contumace en 1946, il revient en France en 1955. Roosevelt Franklin Delano (1882 – 1945) Juriste et politicien (démocrate), il est élu 32ème Président des Etats-Unis de l'Amérique de 1933 à 1945. Rothmund Heinrich (1888 – 1961) Haut fonctionnaire suisse. Il est nommé chef de l'office central de la police des étrangers en 1919 et directeur de la division de la police du Département de justice et police de 1929 à 1954. De 1945 à 1947, il est temporairement nommé délégué au Comité intergouvernemental pour les réfugiés à Genève. Antisémite, son action en faveur d’un durcissement de la politique d’asile est soutenue par son chef, Eduard von Steiger. Sabiani Simon (1888 – 1956) Politicien proche de la pègre et homme d’affaires français collaborationniste. Exclu du parti d’unité prolétarienne en 1931, il rejoint le P.P.F. et devient secrétaire général du bureau marseillais de recrutement de la L.V.F. Il est nommé Président de la délégation du P.P.F. à Sigmaringen, avant de s’enfuir pour l’Italie, l’Argentine puis l’Espagne. 297 Sauckel Fritz (1894 – 1946) Gauleiter (chef territorial de Thuringe) nazi. Membre du N.S.D.A.P. dès 1923, il organise dès 1942 le recrutement de la main d'oeuvre en Allemagne provenant des régions occupées. Condamné à mort par le Tribunal de Nuremberg et exécuté en 1946. Scapini Georges (1893 – 1976) Avocat et politicien français indépendant, collaborationniste. Nommé représentant des prisonniers de guerre en Allemagne avec rang d’ambassadeur dès 1940, il est arrêté en 1945 et fuit en Suisse en 1946. Il est condamné par contumace en 1949, puis acquitté en 1952. Schellenberg Walter (1910 – 1952) Juriste et haut fonctionnaire allemand antisémite. Membre du S.D. en 1934, il entre au N.S.D.A.P. et dirige la Gestapo avant de prendre la tête responsable de la section espionnage du R.S.H.A. de 1942 à 1945. Collaborant avec les Alliés après guerre, il est condamné à quatre ans de détention à Nuremberg en 1949. Après deux ans en semiliberté à travailler pour les services secrets britanniques, il fuit en Suisse, soutenu par son ami Roger Masson, où il meurt de maladie. Speer Albert (1905 – 1981) Architecte nazi, il entre au N.S.D.A.P. et dans la S.A. en 1931. Ministre de l’armement et de la production de guerre dès 1943, il est condamné à vingt ans de prison par le Tribunal de Nuremberg après son aveu de culpabilité. Il sera libéré en 1966. Steiger Eduard von (1981 – 1962) Politicien suisse (Union démocratique du Centre). Il est membre du Conseil de la Banque nationale suisse de 1931 à 1940 et administrateur de la Banque populaire suisse de 1933 à 1940. Chef du Département de justice et police en 1941 à 1951, il est responsable de la politique d’asile. Il est nommé Président de la Confédération en 1945 et 1951. Strang William (1893 – 1978) Diplomate britannique, conseiller du gouvernement de 1930 à 1950. Il est nommé ambassadeur auprès de la Commission consultative européenne en 1944. Stucki Walter (1888 – 1963) Diplomate et politicien radical suisse. Il est nommé ambassadeur de Suisse en France de 1934 à 1944. Il assure le rôle de médiateur entre Allemands, Alliés et Vichy en 1944 avant de diriger en 1945 et 1946 la Division des affaires étrangères du Département politique fédéral de la Confédération helvétique. Stülpnagel Carl-Heinrich von (1886 – 1944) Général d'infanterie allemand. Président de la Commission d'armistice allemand-français à Wiesbaden en 1940, puis commandant en chef de la 17ème armée au front oriental en 1941. Il est affecté au commandement militaire de 1942 à 1944 en France. Convaincu de trahison après l'échec de l'attentat contre Adolf Hitler, il est exécuté après une tentative de suicide en 1944. Taittinger Pierre (1887 – 1965) Politicien conservateur (Fédération républicaine) et industriel français. Pétainiste, président du Conseil municipal de Paris de 1943 à 1944, il abandonne la vie politique en 1945, une fois condamné à l’inéligibilité. 298 Tannstein Kurt von (1907 – 1980) Juriste et fonctionnaire diplomatique allemand, membre du NSDAP dès 1933. De 1939 à 1942, il occupe divers postes dans le Ministère des affaires étrangères et dans les forces armées. C’est au titre de secrétaire d’ambassade qu’il entre en contact avec Philippe Pétain. Après la guerre, il retourne aux affaires juridiques et diplomatiques. Tracou Jean (1891 – 1988) Militaire (Capitaine de frégate) et haut fonctionnaire français. Pétainiste, il occupe le poste de préfet d'Indre-et-Loire de 1941 à 1944 avant d’être nommé Directeur du cabinet du maréchal Pétain en 1944. Valeri Valerio (1883 – 1963) Diplomate apostolique. Nonce apostolique en France dès 1936, restant en poste après l’armistice auprès du gouvernement de Vichy, il est remplacé au 31 décembre 1944, sur demande de Charles de Gaulle. Il est crée cardinal en 1953 par Pie XII. Vallat Xavier (1891 – 1972) Avocat, journaliste et homme politique français. Fervent catholique et antisémite, il est nommé à la tête du Commissariat général aux question juives en 1941 par le gouvernement de Vichy. Il est condamné à dix ans d'emprisonnement et à l’indignité nationale à vie en 1947 avant d’être amnistié en 1954. 299 SIGLES A.M.G.O.T. ou Allied Military Government of Occupied Territories (gouvernement militaire allié des territoires occupés) : administration transitoire des territoires libérés de l’occupation des puissances de l’Axe par des officiers des Etats-Unis et de la GrandeBretagne. C.I.C.R. ou Comité International de la Croix-Rouge : organisation internationale d’aide humanitaire créée en 1863. C.F.A. ou Comité France-Allemagne : association française prônant le rapprochement entre la France et l’Allemagne de 1935 à 1939, dont Georges Scapini est le président dès 1936. F.F.I. (Forces Françaises de l’Intérieur) : sous l’autorité du général Kœnig, structure née de la fusion, en février 1944, de divers groupements de la Résistance intérieure française : A.S. (Armée secrète) gaulliste, O.R.A. (organisation de résistance armée) giraudiste et les F.T.P. (francs-tireurs et partisans) communistes. G.C. ou Groupe(ment) Collaboration (« Collaboration, groupement des énergies françaises pour l'unité continentale ») : association français collaborationniste entre 1941 et 1945. N.S.D.A.P. ou Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (parti national-socialiste des travailleurs allemands) : parti fondé en 1920 par Adolf Hitler. L.V.F. ou Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme : intégrée à la division S.S. Charlemagne en 1944. O.S.S ou Office of Strategic Services : agence de renseignements des Etats-Unis fondée en 1942. Démantelée en 1945, elle est remplacée par la C.I.A. (ou Central Intelligence Agency) en 1947. P.P.F. ou Parti Populaire Français : parti collaborationniste d’inspiration fasciste fondé par Jacques Doriot en 1936. R.N.P. ou Rassemblement National Populaire : parti collaborationniste d’inspiration nazie fondé par Marcel Déat en 1941. R.S.H.A. ou Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sécurité du Reich) : organe de police du Reich, qui intègre notamment la police politique d’Etat : la Gestapo (Geheime Staatspolizei, « Police secrète d'État ») S.A. ou Sturmabteilung (section d’assaut) : organisation paramilitaire du parti nazi. S.D. ou Sicherheitsdienst (service de la sécurité) : service de renseignements de la S.S. S.F.I.O. ou Section Française de l’Internationale Ouvrière : parti socialiste français fondé en 1905. S.O.L. ou Service d’Ordre Légionnaire : organisation politique et paramilitaire collaborationniste, anitisémite et totalitaire fondée par Joseph Darnand, dissoute pour être absorbée par la Milice en 1943. S.S. ou Schutzstaffel (escadron de protection) : service de répression. Waffen-S.S. : branche militaire armée de la S.S. dirigée par Heinrich Himmler. 300 FRANCE LIBRE : DIFFERENTES APPELLATIONS ET STRUCTURES La France Libre est la structure de la Résistance extérieure. Pour des raisons tenant à faciliter la lisibilité du texte, il est fait référence dans le présent travail à la France Libre en ce qui concerne toutes les formes prises par la Résistance extérieure de 1940 à 1944. Pour rappel : Ø 18 juin 1940 : diffusion de l’appel radio de Charles de Gaulle. Les forces armées ralliées à la France Libre sont appelées "Forces françaises libres". Ø 24 septembre 1941 : création du "Comité national français" à Londres. Ø 13 juillet 1942 : création de la "France combattante" par le Comité national français pour marquer le lien entre la France Libre et la Résistance intérieure. Ø 30 mai 1943 : création du "Comité français de libération nationale" et d’une "Assemblée consultative provisoire". Ø 3 juin 1944 : création du "Gouvernement provisoire de la République française". Ø 23 octobre 1944 : reconnaissance du "Gouvernement provisoire de la République française" par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'U.R.S.S. 301 CHRONOLOGIE 1944 – 1945 Politique intérieure des Etats 1944 Le contexte : évènements militaires et diplomatiques 12.04 : ordonnance d’Alger portant organisation des pouvoirs en France après la Libération 03.06 : le CFLN (Comité Français de Libération Nationale) devient GPRF (Gouvernement 06.06 : débarquement allié en provisoire de la République française) dont Normandie Charles de Gaulle est le président 10.06 : massacre d’Oradour-sur14.06 : discours de Charles de Gaulle à Bayeux Glane 07 et 08-07 : entrevue De Gaulle – 12.07 : dernier Conseil des Ministres à Vichy Roosevelt 20.07 : attentat manqué contre Adolf Hitler 20.08 : arrestation de Philippe Pétain par les 15.08 : débarquement allié en Allemand qui le forcent à quitter Vichy pour Belfort Provence du 28.08 au 01.09 : entretiens de Rastenburg 25.08 : libération de Paris 31.08 : installation du GPRF à Paris 06.09 : création de la Délégation gouvernementale pour la défense des intérêts 03.09 : libération de Lyon nationaux dont Fernand de Brinon est le président 07.09 : les forces allemandes escortent Philippe Pétain à Sigmaringen 12.09 : jonction des troupes alliées du nord et du sud en France 18.09 : création d’une Haute Cour de justice en France pour juger « les actes des Ministres et hauts responsables de l’« Etat français » postérieurs au 17 juin 1940 » 19.11 : libération de Metz 20.11 : libération de Belfort 23.11 : libération de Strasbourg du 16 au 28.12 : offensive allemande dans les Ardennes 302 1945 01.01 : offensive allemande en 06.01 : création du Comité de libération française Lorraine dont Jacques Doriot est le président du 04.01 au 12.01 : Conférence de Yalta 09-02 : Libération de l’Alsace 22.02 : mort de Jacques Doriot 04.03 : les Alliés atteignent le Rhin 12.04 : mort de Franklin D. Roosevelt 24.04 : entrée de Philippe Pétain en Suisse 22.04 : les Russes devant Berlin 25.04 : jonction russo-américaine à Torgau du 25.04 au 26.06 : Conférence de 26.04 : entrée de Philippe Pétain en France San-Francisco 27.04 : détention de Philippe Pétain au fort de 25.04 : Charte des Nations-Unies Montrouge 28.04 : départ de Berlin du gouvernement allemand 30.04 : mort d’Adolf Hitler. Karl Dönitz lui succède jusqu'au 23.05 07.05 : capitulation allemande à Reims 09.05 : capitulation allemande à Berlin 23.06 : délimitation des zones d’occupation alliées en Allemagne du 27.07 au 14.08 : procès de Philippe Pétain du 17.07 au 02.08 : Conférence de Postdam 06.08 : Hiroshima 09.08 : Nagasaki 14.08 : capitulation japonaise du 4 au 9.10 : procès de Pierre Laval (exécuté le 13.10) 18.10 : ouverture du procès de Nuremberg 21.10 : élections générales en France 303 1946 20.01 : abandon de la présidence du gouvernement par Charles de Gaulle 22.02 : exécution de Jean Luchaire du 29.07 au 15.10 : Conférence de la Paix à Paris 01.10 : verdicts à Nuremberg 304 CARTES Territoires de l’Axe en 1942 Source : "L’Europe occupée par les puissances de l’Axe, novembre 1942", in Tony Judt, Après-guerre. Une histoire de l’Europe depuis 1945. Paris : A. Colin, 2007, p. 29 Zones en France occupée Source : John Keegan [Dir.], Grand Atlas de la Seconde Guerre mondiale. Paris : Larousse, 1990, p. XI 305 Zones libérées par les Alliées et contrôlées par la France Libre le 23 août 1944 Source : Keith Lowe, L’Europe barbare, 1945-1950. Paris : Le Grand Livre du Mois, 2013, p. 317 Opérations de la 1ère armée française « Rhin et Danube » du 31 mars au 26 avril 1945 Source : Rapport sur les opérations menées par la 2ème D.I.M. 31 mars – 8 mai 1945, Arch. féd., E 27/9965 Bd : 24-27 306 ILLUSTRATIONS Ordonnance du 9 août 1944 de la France Libre 307 Source : Extrait du Journal officiel de la République française, n°65, 15 août 1944 308 Déclarations de Philippe Pétain le 20 août 1944 à Adolf Hitler et aux Français Source : Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 309 Délégation de Philippe Pétain à Gabriel Auphan du 11 août 1944 Source : Arch. féd., E 2300 1000/716 Bd : 348 Célébration de la libération de Vichy le 26 août 1944 : Roger Dudenhoeffer alias Pontcarral, chef F.F.I., et Walter Stucki, Ministre de Suisse Source : Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 8 310 Extraterritorialité formelle du château de Sigmaringen Source : La France n°5 du 30 octobre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen Dessin de Jean Effel représentant Philippe Pétain et Pierre Laval à Sigmarigen Source : http://jacquotboileaualain.over-blog.com/article-petain-au-ban-dechampagney-81066165.html consulté le 3 mars 2014 311 Commission gouvernementale pour la défense des intérêts nationaux à Sigmaringen Source : La France n°1 du 26 septembre 1944, Staatsarchiv Sigmaringen Dessin du journal Vorwärts se moquant du "chagrin d’amour" de Walter Stucki Source : Arch. féd., J I.131 1000/1395 Bd : 9 312 ANNEXES Discours de Jacques Chirac prononcé le 16 juillet 1995 lors de la cérémonie commémorant la rafle du Vel d'hiv du 16 et 17 juillet 1942 : Monsieur le maire, Monsieur le président, Monsieur l'ambassadeur, Monsieur le Grand Rabbin, Mesdames, Messieurs, Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la Capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs, furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. On verra des scènes atroces: les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards - dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France - jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police. On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions. Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l'enfer. Combien d'entre-elles reverront jamais leur foyer ? Et combien, à cet instant, se sont senties trahies ? Quelle a été leur détresse ? La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Conduites au Vélodrome d'hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l'on sait, d'être dirigées sur l'un des camps de transit - Pithiviers ou Beaune-la-Rolande - ouverts par les autorités de Vichy. L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer. Suivront d'autres rafles, d'autres arrestations. A Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas. 313 Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible. La Thora fait à chaque Juif devoir de se souvenir. Une phrase revient toujours qui dit : « N'oublie jamais que tu as été un étranger et un esclave en terre de Pharaon ». Cinquante ans après, fidèle à sa loi, mais sans esprit de la haine ou de vengeance, la Communauté juive se souvient, et toute la France avec elle. Pour que vivent les six millions de martyrs de la Shoah. Pour que de telles atrocités ne se reproduisent jamais plus. Pour que le sang de l'Holocauste devienne, selon le mot de Samuel Pisar, le « Sang de l'espoir ». Quand souffle l'esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l'exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d'une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. En la matière, rien n'est insignifiant, rien n'est banal, rien n'est dissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses révisionnistes, les provocations en tous genres - les petites phrases, les bons mots - puisent aux mêmes sources. Transmettre la Mémoire du Peuple juif, des souffrances et des Camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'oeuvre. Cet incessant combat est le mien autant qu'il est le vôtre. Les plus jeunes d'entre nous, j'en suis heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé. La France, nous le savons tous, n'est nullement un pays antisémite. En cet instant de recueillement et de souvenir, je veux faire le choix de l'espoir. Je veux me souvenir que cet été 1942, qui révèle le vrai visage de la « collaboration », dont le caractère raciste, après les lois anti-juives de 1940, ne fait plus de doute, sera, pour beaucoup de nos compatriotes, celui du sursaut, le point de départ d'un vaste mouvement de résistance. Je veux me souvenir de toutes les familles juives traquées, soustraites aux recherches impitoyables de l'occupant et de la Milice, par l'action héroïque et fraternelle de nombreuses familles françaises. J'aime à penser qu'un mois plus tôt, à Bir Hakeim, les Français libres de Koenig avaient héroïquement tenu, deux semaines durant, face aux divisions allemandes et italiennes. Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy. Elle n'est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le Général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le coeur de ces Français, ces « Justes parmi les nations » qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l'écrit Serge Klarsfeld, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur. Les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l'identité française et nous obligent pour l'avenir. 314 Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties, sont aujourd'hui bafouées en Europe même, sous nos yeux, par les adeptes de la « purification ethnique ». Sachons tirer les leçons de l'Histoire. N'acceptons pas d'être les témoins passifs, ou les complices, de l'inacceptable. C'est le sens de l'appel que j'ai lancé à nos principaux partenaires, à Londres, à Washington, à Bonn. Si nous le voulons, ensemble nous pouvons donner un coup d'arrêt à une entreprise qui détruit nos valeurs et qui, de proche en proche risque de menacer l'Europe tout entière. Jacques Chirac Source : Discours de Vel d’Hiv / Chirac - 16/07/1995 - Archive Ina, CD Crime contre l’Humanité, Témoignages et archives, Fremeaux & associés et INA Discours de François Hollande prononcé le 22 juillet 2012 lors de la cérémonie commémorant la rafle du Vel d'hiv du 16 et 17 juillet 1942 : Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Messieurs les ambassadeurs, Monsieur le maire de Paris, Monsieur le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Monsieur le grand rabbin, Mesdames et Messieurs les représentants des cultes, Mesdames, Messieurs, Nous sommes rassemblés ce matin pour rappeler l’horreur d’un crime, exprimer le chagrin de ceux qui ont vécu la tragédie, évoquer les heures noires de la collaboration, notre histoire, et donc la responsabilité de la France. Nous sommes ici aussi pour transmettre la mémoire de la Shoah, dont les rafles étaient la première étape, pour mener le combat contre l’oubli, pour témoigner auprès des nouvelles générations de ce que la barbarie est capable de faire et de ce que l’humanité peut ellemême contenir de ressources pour la vaincre. Il y a 70 ans, le 16 juillet 1942, au petit matin, 13’152 hommes, femmes et enfants étaient arrêtés à leur domicile. Les couples sans enfants et les célibataires furent internés à Drancy, là où s’élèvera à l’automne le musée créé par le Mémorial de la Shoah. Les autres furent conduits au Vélodrome d’Hiver. Entassés pendant cinq jours, dans des conditions inhumaines, ils furent de là transférés vers les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. Une directive claire avait été donnée par l’administration de Vichy : « Les enfants ne doivent pas partir dans les mêmes convois que les parents ». C’est donc après des séparations déchirantes que les parents d’un côté, les enfants de l’autre, partirent vers Auschwitz-Birkenau où les déportés de Drancy les avaient précédés de quelques jours. Ils y furent assassinés. Pour la seule raison qu’ils étaient juifs. Ce crime s’est déroulé ici, dans notre capitale, dans nos rues, dans nos cours d’immeuble, dans nos cages d’escalier, sous nos préaux d’école. 315 Il allait ouvrir la voie à d’autres rafles, à Marseille et dans toute la France, c’est-à-dire des deux côtés de la ligne de démarcation. Il y eut aussi d’autres déportations, notamment celle de Tsiganes. L’infamie du Vel d’Hiv s’inscrivait dans une entreprise qui n’a pas eu de précédent et qui ne peut être comparée à rien : la Shoah, la tentative d’anéantissement de tous les Juifs du continent européen. 76’000 Juifs de France furent déportés vers les camps d’extermination. Seuls 2’500 en sont revenus. Ces femmes, ces hommes, ces enfants, ne pouvaient pas s’attendre au sort qui leur avait été réservé. Ils ne pouvaient pas même l’imaginer. Ils avaient confiance dans la France. Ils croyaient que le pays de la grande Révolution, que la Ville Lumière, leur serviraient de refuge. Ils aimaient la République avec une passion inspirée par la gratitude. C’est en effet à Paris, en 1791, sous la Constituante, que, pour la première fois en Europe, les Juifs étaient devenus des citoyens à part entière. Plus tard, d’autres avaient trouvé en France une terre d’accueil, une chance de vie, une promesse de protection. Ce sont cette promesse et cette confiance qui furent piétinées il y a soixante-dix ans. Je tiens à rappeler les mots que le grand rabbin de France Jacob Kaplan adressa au maréchal Pétain en octobre 1940, après la promulgation de l’odieux statut des Juifs : « Victimes, écrivait-il, de mesures qui nous atteignent dans notre dignité d’hommes et dans notre honneur de Français, nous exprimons notre foi profonde en l’esprit de justice de la France éternelle. Nous savons que les liens qui nous unissent à la grande famille française sont trop forts pour pouvoir être rompus. » Là se situe la trahison. Par-delà le temps, au-delà du deuil, ma présence ce matin témoigne de la volonté de la France de veiller sur le souvenir de ses enfants disparus et d’honorer ces morts sans sépulture, ces êtres dont le seul tombeau est notre mémoire. Tel est le sens de l’exigence posée par la République : que les noms de ces suppliciés ne tombent pas dans l’oubli. Nous devons aux martyrs juifs du Vélodrome d’Hiver la vérité sur ce qui s’est passé il y a soixante-dix ans. La vérité, c’est que la police française, sur la base des listes qu’elle avait elle-même établies, s’est chargée d’arrêter les milliers d’innocents pris au piège le 16 juillet 1942. C’est que la gendarmerie française les a escortés jusqu’aux camps d’internement. La vérité, c’est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l’ensemble de l’opération. La vérité, c’est que ce crime fut commis en France, par la France. Le grand mérite du Président Jacques Chirac est d’avoir reconnu ici-même, le 16 juillet 1995, cette vérité. « La France, dit-il, la France, patrie des Lumières et des droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Mais la vérité, c’est aussi que le crime du Vel d’Hiv fut commis contre la France, contre ses valeurs, contre ses principes, contre son idéal. L’honneur fut sauvé par les Justes, et au-delà par tous ceux qui surent s’élever contre la barbarie, par ces héros anonymes qui, ici, cachèrent un voisin ; qui, là, en aidèrent un autre ; qui risquèrent leurs vies pour que soient épargnées celles des innocents. Par tous ces Français qui ont permis que survivent les trois quarts des Juifs de France. 316 L’honneur de la France était incarné par le général de Gaulle qui s’était dressé le 18 juin 1940 pour continuer le combat. L’honneur de la France était défendu par la Résistance, cette armée des ombres qui ne se résigna pas à la honte et à la défaite. La France était représentée sur les champs de bataille, avec notre drapeau, par les soldats de la France libre. Elle était servie aussi par des institutions juives, comme l’œuvre de secours aux enfants, qui organisa clandestinement le sauvetage de plus de 5’000 enfants et qui accueillit les orphelins à la Libération. La vérité ne divise pas. Elle rassemble. C’est dans cet esprit que cette journée de commémoration avait été instituée par François Mitterrand, et que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, fut créée la Fondation pour la mémoire de la Shoah. C’est sous ce même gouvernement, avec Jacques Chirac, que fut installée la commission d’indemnisation des victimes des spoliations antisémites, dont le but était de réparer ce qui pouvait encore l’être. Il me revient désormais, dans la chaîne de notre histoire collective, de poursuivre ce travail commun de mémoire, de vérité et d’espoir. Elle commence par la transmission. Beaucoup de dérives trouvent leur source dans l’ignorance. Nous ne pouvons pas nous résigner à ce que deux jeunes Français sur trois ne sachent pas ce que fut la rafle du Vel d’Hiv. L’école républicaine, à laquelle j’exprime ici ma confiance, a une mission : instruire, éduquer, enseigner le passé, le faire connaître, le comprendre, dans toutes ses dimensions. La Shoah est inscrite au programme du CM2, de la 3ème et de la 1ère. Il ne doit pas y avoir en France une seule école, un seul collège, un seul lycée, où elle ne puisse être enseignée. Il ne doit pas y avoir un seul établissement où cette histoire-là ne soit pleinement entendue, respectée et méditée. Il ne peut y avoir, il n’y aura pas, pour la République, de mémoire perdue. J’y veillerai personnellement. L’enjeu est de lutter sans relâche contre toutes les formes de falsification de l’Histoire. Non seulement contre l’outrage du négationnisme, mais aussi contre la tentation du relativisme. Transmettre l’histoire de la Shoah, c’est en effet enseigner sa terrible singularité. Ce crime reste, par sa nature, par sa dimension, par ses méthodes, par l’effrayante précision de sa mise en œuvre, un abîme unique dans l’histoire des hommes. Cette singularité-là doit être constamment rappelée. Transmettre cette mémoire, c’est enfin en retenir toutes les leçons. C’est comprendre comment l’ignominie fut possible hier, pour qu’elle ne puisse plus jamais ressurgir demain. La Shoah n’est pas née de rien ni venue de nulle part. Certes, elle fut mise en œuvre par l’alliance inédite et terrifiante de l’obstination dans le délire raciste et de la rationalité industrielle dans l’exécution. Mais elle a aussi été rendue possible par des siècles d’aveuglement, de bêtise, de mensonges et de haine. Elle a été précédée de multiples signes avant-coureurs, qui n’ont pas alerté les consciences. Notre vigilance ne doit jamais être prise en défaut. Aucune Nation, aucune société, aucune personne n’est immunisée contre le Mal. N’oublions pas ce jugement de Primo Levi à propos de ses persécuteurs : « Sauf exceptions, ils n’étaient pas des monstres ; ils avaient notre visage ». Restons en alerte, afin de savoir déceler le retour de la monstruosité sous ses airs les plus anodins. Je sais les craintes exprimées par certains d’entre vous. Je veux y répondre. 317 Consciente de cette Histoire, la République pourchassera avec la plus grande détermination tous les actes antisémites ; mais encore tous les propos qui pourraient seulement amener les Juifs de France à se sentir inquiets dans leur propre pays. Rien, en la matière, n’est indifférent. Tout sera combattu avec la dernière énergie. Taire l’antisémitisme, le dissimuler, l’expliquer, c’est déjà l’accepter. La sécurité des Juifs de France n’est pas l’affaire des Juifs, c’est celle de tous les Français, et j’entends qu’elle soit garantie en toutes circonstances et en tous lieux. Il y a quatre mois, à Toulouse, des enfants mouraient pour la même raison que ceux du Vel d’Hiv : parce qu’ils étaient juifs. L’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est une abjection. Pour cela, il doit d’abord être regardé en face. Il doit être nommé et reconnu pour ce qu’il est. Partout où il se déploie, il sera démasqué et puni. Toutes les idéologies d’exclusion, toutes les formes d’intolérance, tous les fanatismes, toutes les xénophobies, qui tentent de développer la logique de la haine, trouveront la République sur leur chemin. Chaque samedi matin, dans toutes les synagogues françaises, à la fin de l’office, retentit la prière des Juifs de France, celle qu’ils adressent pour le salut de la patrie qu’ils aiment et qu’ils veulent servir : « Que la France vive heureuse et prospère. Qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde. Qu’elle jouisse d’une paix durable et conserve son esprit de noblesse parmi les Nations ». Cet esprit de noblesse, c’est la France tout entière qui doit en être digne. Enseigner sans relâche la vérité historique ; veiller scrupuleusement sur le respect des valeurs de la République ; rappeler sans cesse l’exigence de tolérance religieuse, dans le cadre de nos lois laïques ; ne jamais céder sur les principes de liberté et de dignité de la personne ; toujours promouvoir la promesse de l’égalité et de l’émancipation. Voilà les mesures que nous devons collectivement nous assigner. C’est en pensant aux vies qui n’ont pu s’accomplir, à ces enfants privés d’avenir, à ces destins fauchés prématurément que nous devons porter à un niveau plus élevé encore les exigences de nos propres existences. C’est en refusant les indifférences, les négligences, les complaisances, que nous nous rendrons plus forts ensemble. C’est en étant lucides sur notre propre histoire que la France, grâce à l’esprit de concorde et d’union, portera le mieux ses valeurs, ici et partout dans le monde. Vive la République ! Vive la France ! François Hollande Source : http://www.francetvinfo.fr/france/rafle-du-vel-d-hiv-en-accusant-la-france-hollande-s-attire-une-salve-decritiques_121721.html, consulté le 24 juillet 2012 318 BIBLIOGRAPHIE 1. 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