conférence pédagogique internationale de l - Aleph

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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
1ère conférence pédagogique internationale
de l’EACWP
8 et 9 novembre 2012
ACTES DE LA CONFÉRENCE
Avec le soutien de
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
REMERCIEMENTS
L’EACWP souhaite remercier tout particulièrement Aleph-Écriture et son équipe,
en particulier Alain André, Louise Muller et tous ceux qui se sont chargés de
l’organisation de cet événement pour leur accueil chaleureux, ainsi que Karine
Carfantan et Brigitte François dont l’aide précieuse a permis l’édition de ces
Actes.
Nous tenons aussi à exprimer toute notre gratitude à tous les membres de
l’EACWP qui ont su animer cette conférence au fil de riches débats et
contributions: la Escuela de Escritores de Madrid (Espagne), la Scuola Holden de
Turin (Italie), les Ateliers d’écriture Élisabeth Bing de Paris (France), la Literární
Akademie de Prague (République Tchèque), l’Université de Maastricht (PaysBas), l’Oriveden Opisto d’Orivesi (Finlande), la Schule für dichtung de Vienne
(Autriche), Linda Lappin de l’Université de Rome La Sapienza (Italie), Fred
Leebron du Cedar Crest College d’Allentown (États-Unis) and Kate Moorhead de
l’Université d’East Anglia (UK).
Bien entendu, toute notre reconnaissance va à l’Institut finlandais pour son accueil
généreux tout au long de ces deux journées.
Crédit : Harriet Nachtmann
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Introduction à la 1ère conférence internationale de l’EACWP
Javier Sagarna
Organisée par Aleph-Écriture et l’Association Européenne des programmes
d’ateliers d’écriture (European Association of Creative Writing Programme –
EACWP), cette 1ère conférence pédagogique s’est déroulée à Paris en Novembre
2012, sous l’intitulé : « Comment enseignons-nous l’écriture créative ? ». Ce
furent deux journées d’échanges et de partages méthodologiques, un débat
nécessaire qui a su prendre en compte les différences d’expériences de formation,
les méthodologies, les approches pédagogiques et même les conceptions de ce que
nous enseignons et de ce que notre engagement signifie.
Cet enseignement de l’écriture créative en Europe s’est développé différemment
d’un pays à l’autre, isolés que nous sommes les uns des autres par la difficulté que
représente le multilinguisme de ce continent (richesse inestimable par ailleurs),
une possible barrière à des échanges sur cette discipline commune qu’est
l’Écriture Créative, qui repose entièrement sur les mots et le langage. C’est
pourquoi, et bien que ce ne soit pas, dans la plupart des pays, une « discipline »
officielle sanctionnée par un diplôme, chaque école a mis en place sa propre
méthodologie, sa propre approche pédagogique, le plus souvent en mélangeant à
ce qu’elle savait de ce qui se passait ailleurs dans le monde (États-Unis, Amérique
Latine, etc) les particularités de la tradition littéraire et éducative de son pays et,
bien entendu, les idées et développements que l’expérience quotidienne amenait.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Il en est résulté une variété incroyable de manières d’enseigner qui, tout comme
les nombreuses langues d’Europe, constitue une richesse inestimable que nous
avons eu la possibilité de partager. En utilisant l’anglais comme outil de
communication, ce qui ne préjuge en rien du respect et de l’amour que nous
portons à nos langues respectives, cette 1ère Conférence a ouvert une voie
nouvelle. C’est la première étape d’une longue route, le premier mot d’un large
dialogue entre nos expériences, dialogue qui, à n’en pas douter, entraînera une
amélioration de notre enseignement et une expérience toujours plus riche pour nos
étudiants et nos jeunes « écrivants ».
Il existe de nombreuses manières de « faire l’Europe » et il ne fait aucun doute
qu’écrire ensemble, partager des idées sur l’enseignement, en est une. Notre
Europe multilingue et multiculturelle a besoin d’écrivains et d’enseignants qui
discutent, dialoguent, progressent ensemble. C’est ce que nous souhaitons, et c’est
ce qui s’est passé à Paris en novembre 2012.
En tant qu’enseignant, la conférence a été pour moi un lieu d’apprentissage et mes
cours sont désormais meilleurs grâce aux connaissances que j’ai acquises à ce
moment-là ; en tant que directeur d’une des écoles participantes, j’y ai découvert
des manières d’améliorer notre pratique, notre programme de formation, et aussi
de trouver des partenaires pour des projets de collaboration ; en tant que président
de l’EACWP, cette conférence a confirmé le fait que notre travail ne fait que
commencer, que nous avons besoin d’autres conférences, d’autres réunions et de
collaborations, et que l’EACWP est le bon outil pour mener ce processus à bien.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Cette première Conférence à Paris a été un réel succès et je veux ici remercier
tous ceux qui l’ont permis, en particulier Alain André, Louise Muller et toute
l’équipe d’Aleph-Écriture, qui se sont révélés des hôtes et organisateurs hors pair.
Mais ce n’était qu’un premier pas. Désormais, nous savons que nous avons besoin
d’une deuxième conférence et nous l’attendons déjà avec impatience.
Javier Sagarna
Président de l’EACWP
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
TABLE DES MATIÈRES
Résumés .............................................................................................................. 10
8 novembre 2012 ............................................................................................. 10
9 novembre 2012 ............................................................................................. 18
Actes de la Conférence ...................................................................................... 23
8 novembre 2012 ............................................................................................. 23
Introduction : Alain ANDRÉ ............................................................................................. 23
Séance plénière ................................................................................................................. 28
Reijo VIRTANEN : De l’ironie en écriture comme attitude envers la vie
Mini-conférences session 1 ............................................................................................... 37
Fiction et non-fiction .................................................................................................... 37
Elena VARVELLO : Sur la narration: la mise en forme de l’expérience ......... 37
Danièle PÉTRÈS : Comment aborder le non-dit .............................................. 45
Fred LEEBRON : Le champ temporel dans la fiction ...................................... 57
L’énonciation en question ............................................................................................ 59
Marina GELLONA : Le temps de l’ivresse : trouver sa propre voix dans
l’écriture ........................................................................................................... 59
Marie HALOUX : L’écriture du travail............................................................ 65
Dario HONNORAT : La maîtrise d’une langue: une histoire sans fin ............ 65
Enseigner aux enfants et adolescents ........................................................................... 68
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Enrica AJÓ : Pourquoi les filles sont meilleures que les garçons ................... 68
Harri ISTVÁN MÄKI : L’écriture créative et les enfants ................................. 72
Les conférences en français .......................................................................................... 77
Laurence FAURE : Enseigner l’écriture théâtrale .......................................... 77
Dane CUYPERS : Le travail du style dans les ateliers d’écriture : illusion ou
défi ? ................................................................................................................. 80
Mini-conférences session 2 ............................................................................................... 80
Poésie et émotions ........................................................................................................ 80
Luis LUNA : Enseigner la poésie : quelques clés et astuces ............................ 80
Simona GARBARINI : De l’idée dostoïevskienne de la puissance de
l’impression aux ateliers d’écriture................................................................. 86
Béatrice DUMONT : L’écriture poétique dans mes ateliers ............................ 91
L’enseignement à distance et l’écriture créative .......................................................... 98
Frédérique ANNE : Les ateliers par courriel : une innovation en question... 98
Mariana TORRES : Comment maintenir un cours en ligne vivant ............... 101
Fred LEEBRON : Analyse des modes d’enseignement à distance ................ 103
Le processus créatif .................................................................................................... 109
Catherine STAHLY-MOUGIN : Journal ? Carnet ? Quel outil pour
accompagner l’œuvre en cours ?.................................................................... 109
David Jan NOVOTNÝ : L’atelier d’écriture de scripts : un processus de
formation (de l’idée première à la réécriture) ............................................... 115
Table ronde et ateliers .................................................................................................... 125
Table ronde 1 .............................................................................................................. 125
Ana MENÉNDEZ (avec : Javier SAGARNA, Alain ANDRÉ) : L’atelier est-il
mort ? Et si on parlait d’un retour à la lecture comme fondement de
l’enseignement de l’écriture créative ? ......................................................... 125
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Atelier 1 ...................................................................................................................... 137
Cécile FAINSILBER : La perception .............................................................. 137
Atelier 2 ...................................................................................................................... 140
Kate MOORHEAD : Inventer des personnages ............................................. 140
9 Novembre 2012 .......................................................................................... 142
Conférence 2 ................................................................................................................... 142
Daniel SOUKUP : Enseigner l’écriture dans une langue étrangère :
présentation de situations d’enseignement ..................................................... 142
Mini-conférences session 3 ............................................................................................. 155
Multimédia et écriture ................................................................................................ 155
Françoise KHOURY : Photographier, écrire................................................. 155
Denis BOURGEOIS : Le son comme étape du processus d’écriture ............. 164
Orhan KIPCAK : L’éducation aux medias pour les ateliers d’écriture ......... 171
Le dispositif de l’atelier .............................................................................................. 172
Marianne JAEGLÉ : La proposition d’écriture, entre savoir-faire technique et
envie d’écrire .................................................................................................. 172
Laure NAIMSKI : L’atelier d’écriture comme orchestre de jazz ................... 181
Javier SAGARNA : Lecture et enseignement de l’écriture créative ............... 188
Enseigner ou écrire ? .................................................................................................. 193
Enrica AJÒ : L’impossibilité économique de l’écriture créative ................... 193
Thomas BOUVATIER : Techniques de narration .......................................... 198
Catherine LE GALLAIS : De la relation entre l’écriture et l’enseignement de
l’écriture. ........................................................................................................ 198
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Tables rondes et ateliers ................................................................................. 209
Table ronde 2 .............................................................................................................. 209
Denis BOURGEOIS (avec : Thomas BOUVATIER, Ana MENÉNDEZ) :
Sur la formation de l’écrivain......................................................................... 209
Table ronde 3 .............................................................................................................. 209
Alain ANDRÉ (avec : Reijo VIRTANEN, Mariana TORRES): Sur la formation
de l’enseignant ............................................................................................... 209
Atelier 3 ...................................................................................................................... 224
Linda LAPPIN : L’utilisation du mythe : La catabase comme outil ............. 224
Contribution additionnelle .......................................................................................... 233
Radek MALÝ : L’enseignement de l’écriture pour enfants et jeunes adultes
en République tchèque .................................................................................... 233
Biographies des auteurs .................................................................................. 241
Nous contacter ................................................................................................. 249
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
RÉSUMÉS
8 NOVEMBRE 2012
Séance plénière
Reijo VIRTANEN (Finlande) - De l’ironie en écriture comme attitude envers la
vie
Quand on enseigne l’ironie en matière d’écriture, c’est en tant que figure de
langage : « l’ironie, c’est dire quelque chose qui signifie autre chose ». Une
approche aussi formaliste peut amener à des expériences spirituelles et amusantes
qui peuvent avoir quelque valeur. Mais elles ne mènent jamais à un humour
approfondi. On peut donc enseigner l’écriture de l’ironie en la fondant sur une
approche philosophique carnavalesque. Dans cette conférence, je parlerai d’une
expérience conduite à Oriveden Opisto à l’automne 2012, et vous présenterai
quelques-uns des résultats de cette formation.
Mini-conférences session 1

Fiction et non-fiction
Elena VARVELLO (Italie) - Sur la narration : la mise en forme de l’expérience
« Qu’est-ce que l’art, si ce n’est un fervent effort de faire quelque chose avec le
peu que nous avons, le peu que nous voyons ? ». Si ceci définit l’art, selon André
Dubus, et si on considère que l’écriture est une forme d’art, en quoi consiste son
enseignement ? Comment doit-on s’y prendre ? En tant qu’écrivain et
enseignante, je travaille spécifiquement sur l’idée de la narration, une démarche
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
ancienne profondément ancrée dans l’expérience et la vie. Il n’y a pas de règles, et
il ne s’agit pas seulement d’apprendre à écrire bien, en faisant beaucoup
d’exercices et en apprenant des techniques, ou encore moins des « trucs » (Selon
Raymond Carver, « Les trucs sont vite ennuyeux »). Ce qui compte, c’est de
mettre en lumière NOS histoires et de trouver la bonne manière de les dire – la
voix authentique. Comment pouvons-nous donc aider nos étudiants à devenir de
bons conteurs, capables de donner forme à leur expérience la plus profonde –
leurs souvenirs, leurs peurs, leurs désirs, leurs obsessions ? Comment pouvonsnous les préparer à faire quelque chose de beau et surtout de signifiant - pas
seulement pour eux-mêmes mais aussi pour leurs lecteurs - avec le peu qu’ils ont,
le peu qu’ils voient ?
Danièle PÉTRÈS (France) - Comment aborder le non-dit
Comment faire comprendre aux gens que dans une nouvelle, bien souvent,
l’essentiel doit demeurer non-dit ? C’est le sujet de cet atelier sur le sous-texte que
j’ai conduit en me basant sur les nouvelles de Raymond Carver. En choisissant cet
angle d’approche, j’ai dû retourner aux sources mêmes du travail de Carver, qui a
lui-même suivi des ateliers d’écriture. Je me suis donc plongée dans des manuels
américains. Ils étaient tous très pratiques, formidablement encourageants, pleins
d’idées imaginées par des auteurs intéressants. Les exercices que j’ai choisis
aidaient vraiment les participants à construire en quelques jours une histoire
suffisamment dense pour laisser la place au sous-texte. Je vais vous expliquer
comment j’ai travaillé avec ces méthodes américaines pour créer des exercices et
comment la découverte de ces textes m’a conduite à remettre ma propre pratique
en question. En fait, l’atelier sur le sous-texte peut se résumer par : pourquoi
voudrait-on écrire, si ce n’est sur ce qui devrait demeurer non-dit ?
Fred LEEBRON (États-Unis) - Le champ temporel dans la fiction
Comment les fonctions du temps peuvent-elles être enseignées dans un atelier
d’écriture ? Cette présentation aborde des textes modèles et propose une méthode
pour faire en sorte que l’écriture créative intègre la vraie dimension du temps dans
les approches de la narration.

L’énonciation en question
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Marina GELLONA (Italie) - Le temps de l’ivresse : trouver sa propre voix
dans l’écriture
Dans L’insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera évoque le moment où le
personnage féminin, devant son miroir, cherche à reconnaître sa propre personne,
sa vraie personnalité, malgré sa ressemblance avec sa mère. Quand elle y parvient
enfin, se produit une sorte d’ivresse, un moment où l’identité réelle de sa propre
voix s’exprime pleinement. Cela suggère que, pour découvrir sa personnalité
vraie, il faut du temps, de l’endurance, de la volonté, de la solitude, une vision. Je
voudrais ici vous présenter la manière dont j’introduis cette image aux étudiants
d’écriture créative, pour insister sur la valeur de la recherche dans l’écriture
d’histoires, sur la force du flux créateur, pour faire advenir ce moment d’ivresse.
Marie HALOUX (France) - L’écriture du travail
Les écrits professionnels requièrent un certain nombre de compétences
techniques, une connaissance de l’information et des messages à faire passer, une
part de prise de décision, une compréhension des interlocuteurs, de leur logique et
de leurs stratégies, une anticipation des effets d’une communication au nom d’un
service, d’une institution,… et une spécificité, celle de la nécessité de faire passer
à un niveau social un message subjectif. Les processus d’écriture produisent donc
des textes dont la seule existence engage pleinement leur auteur. En m’appuyant
sur des exemples d’écrits professionnels (dans le domaine du travail social), je
poserai la question de l’implication de l’écriture individuelle dans des contextes
professionnels : qu’en est-il de la subjectivité dans ce type de textes ?
Dario HONNORAT (Italie) - La maîtrise d’une langue : une histoire sans fin
Je commencerai par vous raconter mes aventures en tant qu’étudiant d’écriture
créative, un résumé rapide de tout ce qu’on m’a demandé d’écrire depuis ma
naissance. Puis j’aborderai mes deux années à la Scuola Holden, les approches
pédagogiques et les méthodes en usage dans cette école. Je vous parlerai ensuite
de mon expérience récente en tant que professeur et comment je me suis approprié
certaines activités que j’y avais apprises, des activités expérimentales que j’ai
menées avec mes étudiants. J’établirai ensuite un bref parallèle entre
l’enseignement de l’italien en tant que seconde langue et celui de l’écriture
créative, en soulignant ce qu’ils ont en commun, à savoir essentiellement la
nécessité d’une pratique régulière et d’une interaction.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012

Enseigner aux enfants et adolescents
Enrica AJÓ (Italie) - Pourquoi les filles sont meilleures que les garçons
De toute façon, je ne suis pas vraiment intéressée, voire pas du tout intéressée, par
l’enseignement de l’écriture créative aux adultes. J’ai toujours préféré les enfants,
et les filles aux garçons, même si je ne suis pas censée le dire trop fort. C’est
pourtant une réalité : les filles sont meilleures que les garçons, pratiquement à
tous les âges, et dans l’écriture sans aucun doute. Elles ne vont peut-être pas
publier les best-sellers d’Amazon.com, mais c’est plutôt lié à la manière dont la
société perçoit la sensibilité féminine. Je n’ai enseigné l’écriture créative qu’à des
enfants, et je vous dirai ici pourquoi je préfère cela et pourquoi l’enseignement
aux enfants n’est pas seulement un gagne-pain pour moi.
Harri ISTVÁN MÄKI (Finlande) - L’écriture créative et les enfants
Les enfants adorent utiliser leur imagination pour créer au travers de l’écriture
fictionnelle. Lorsque le professeur prépare ses étudiants à une activité d’écriture,
il n’a plus ensuite qu’à laisser leur imagination faire le travail. Les exemples que
je donne ici sont de simples stratégies qui permettent aux professeurs d’aider les
étudiants à démarrer du bon pied. Écriture libre, journalisme, écriture
collaborative ou à partir de propositions sont des façons décontractées d’amener
les enfants à réfléchir et à écrire.
Radek MALÝ (République tchèque) - L’enseignement de l’écriture pour enfants
et jeunes adultes en République tchèque
En République tchèque, l’enseignement de l’écriture de littérature à destination
des enfants et des adolescents est encore peu développé. Néanmoins, il est évident
que ce domaine ouvre des possibilités immenses ; il permet aux étudiants
d’acquérir et de pratiquer les bases de l’écriture de poésie, de fiction ou de théâtre
tout en leur montrant comment se débarrasser d’un certain nombre de stéréotypes
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
tels que « écrire pour les enfants est bien plus facile que pour les adultes » ou bien
« les enfants ne lisent que des contes de fées ».

Les conférences en français
Dane CUYPERS (France) - Le travail du style dans les ateliers d’écriture :
illusion ou défi ?
Le style ? Une voix, un sens, une inspiration… « Le style, c’est la marque, dans
l’œuvre, de la présence de l’auteur. » (Jean-Claude Milner). « (…) Restaurer la
variété du monde au travers d’un regard que le style révèle » (Camille Laurens).
Le style est donc intimement lié à ce qui se dit, ce qui s’écrit. Sans aucun doute.
Mais nous disposons ici d’une large palette d’outils, de recettes, de techniques qui
permettent, si les fondements sont posés, de l’approfondir, le fixer, le souligner, le
développer. La matière même de l’écriture peut aussi mener à de nouvelles voies :
travailler sur le style ne peut que révéler le contenu. En tout cas, nous pouvons au
moins essayer…
Laurence FAURE (France) - Enseigner l’écriture théâtrale
Comédienne et formatrice avant même de commencer à animer des ateliers à
Aleph, j’ai vite eu envie de faire écrire mes étudiants à partir de leurs
improvisations. Dans mon travail à l’Aleph, j’utilise des propositions fondées sur
la littérature théâtrale contemporaine. Et j’accorde une grande importance à la
lecture à voix haute des premiers jets, plus que dans un simple atelier d’écriture
créative, car ce type d’écriture est fait pour la lecture à voix haute. Le défi, c’est
de faire comprendre aux participants (qui parfois n’ont jamais fait ou vu de
théâtre) qu’ils ont là une occasion de créer ceci : quelque part, quelque chose se
produit pour quelqu’un.
Mini-conférences session 2

Poésie et émotions
Luis LUNA (Espagne) - Enseigner la poésie : quelques clés et trucs
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
La poésie est une manière nouvelle d’aborder le monde, de s’y confronter et de le
reconstruire. Peut-être qu’enseigner cet art est difficile, parce qu’il est essentiel de
comprendre les clés qui peuvent rattacher cet univers poétique à celui des élèves.
Enseigner cette rare approche des choses est le premier élément qui permet de
ressentir le langage, de ressentir le Verbe comme organisme vivant. Mais
comment enseigner cela ? Il nous faut d’abord aborder le Verbe des Maîtres afin
de réussir à trouver notre propre Verbe.
Simona GARBARINI (Italie) - De l’idée dostoïevskienne de la force de
l’émotion aux ateliers d’écriture
Souvent, dans les ateliers d’écriture, les participants ne semblent pas capables de
se concentrer sur le type d’histoire qu’ils souhaitent raconter. Parfois, ils écrivent
une histoire pratiquement sans pathos parce que lorsqu’ils écrivent, ils ne
parviennent pas à se plonger dans leurs émotions les plus fortes. Je vais ici vous
présenter des exercices que je propose dans mes cours afin d’aider mes étudiants à
se concentrer sur ce qu’ils veulent vraiment dire, exercices que j’ai tirés du
concept dostoïevskien de la force de l’émotion.
Béatrice DUMONT (France) - La poésie dans mes ateliers.
Comment pouvons-nous faire écrire de la poésie aux participants des ateliers,
particulièrement de la poésie contemporaine ?
Depuis au moins le commencement du vingtième siècle, écrire de la poésie ne
signifie plus seulement exprimer sa souffrance, l'amère nostalgie de son premier
amour, ou son sentiment de la mort, de la nature, de la fuite du temps en usant de
belles images et de métaphores.
Depuis les années quatre-vingt, les poètes ne cessent d'explorer de nouvelles
formes et de nouveaux thèmes, en jouant avec la langue comme jamais
auparavant. Il peut être plaisant - et drôle - d'entraîner les stagiaires à suivre leurs
traces, contemplant le monde alentour avec distance et humour, transformant
l’évidence en une sorte de partition du ressenti sonore, les mots du poème sur la
page.

L’enseignement à distance et l’écriture créative
Frédérique ANNE (France) - Les ateliers par courriel : une innovation en question
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
L’utilisation du courriel pour mener des ateliers d’écriture nous permet de nous
adapter à une demande croissante et d’atteindre un public différent. Il nous faut
réfléchir à ce que nous pouvons faire pour améliorer cette nouvelle structure pour
garantir l’authenticité de l’atelier d’écriture. Quelles propositions, quels retours,
quel travail sur les textes ? Quelle dynamique faire émerger pour consolider le
groupe et optimiser la communication et les échanges entre ses membres ? Quels
exercices spécifiques inventer pour assurer la meilleure dynamique possible ?
Mariana TORRES (Espagne) - Comment maintenir un cours en ligne vivant
Je veux ici vous faire part de mon expérience de cours en ligne, mais du point de
vue de la méthodologie, non pas de la technique. Le secret du succès d’un tel
cours n’est en rien technique : les outils ne servent qu’à aider les enseignants et
les étudiants. Le point important, c’est la méthode qui permet de maintenir ce type
de cours vivant, malgré l’absence de réel contact entre enseignants et étudiants.
Nous verrons donc comment faire en sorte que le cours demeure chaleureux et
animé.
Fred LEEBRON (États-Unis) - Analyse des modes d’enseignement à distance
Je veux ici analyser les différences entre les ateliers en ligne et l’enseignement à
distance en comparant mes expériences à la tête du Pan European Masters of Fine
arts (MFA - Master en Beaux-arts) qui s’effectue en enseignement à distance et le
MFA de l’université Queens de Charlotte qui repose sur un atelier en ligne.

Le processus créatif
Catherine STAHLY-MOUGIN (France) - Le carnet, outil des travaux en cours
Journal, cahier, carnet, beaucoup de fils les relient mais la posture et l’usage
qu’on en fait les distinguent les uns des autres. Avoir un carnet sur soi, écrire en
toute occasion, exerce l’attention, aiguise le regard, développe notre présence au
monde. A travers cette expérience j’ai exploré, au cours de mes ateliers, les
différents usages de ce petit objet polymorphe, lieu de la création, du travail en
cours. Le carnet ne se laisse pas cerner, il s’invente.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
David Jan NOVOTNÝ (République tchèque) - L’atelier d’écriture de scripts :
un processus de formation (de l’idée première à la réécriture)
Consigne: le triangle – un des thèmes les plus anciens, cliché par excellence, nihil
nuovo sub sole ; conflit : intérêts divergents ; personnages : le dragueur, la femme
amoureuse 1, la femme amoureuse 2 ; émotions : amour, jalousie, haine,
revanche ; grand final : la mort ; analyse du premier jet ; inspiration, incorporation
de nouvelles idées ; réécriture (la consigne doit être respectée : le triangle,
l’infidélité, la haine, la revanche, la mort) ; le second jet est alors un résultat de la
créativité.
Table ronde 1
Ana MENÉNDEZ (États-Unis/Pays Bas) avec : Javier SAGARNA (Espagne),
Alain ANDRÉ (France) - L’atelier est-il mort ? Et si on parlait d’un retour à la
lecture comme fondement de l’enseignement de l’écriture créative?
En 1936, l’université de l’Iowa a ouvert le premier programme diplômant
d’écriture créative aux Etats Unis. Le modèle choisi – un atelier d’une douzaine
de participants conduit par un écrivain – est resté quasi le même pendant les 75
années qui ont suivi. Mais petit à petit, certaines universités s’éloignent du moule
de l’Iowa et reviennent à des pédagogies plus traditionnelles, à savoir l’étude des
classiques. A l’université de Maastricht, les ateliers prennent désormais une plus
petite part dans la formation. La plus grosse partie de ce que nous faisons, c’est
d’enseigner au travers d’un grand nombre de lectures, d’échanges et d’exercices
très ciblés. Après dix minutes de présentation de ce programme de Maastricht,
nous débattrons autour de la question : « L’atelier est-il mort ? ».
Atelier 1
Cécile FAINSILBER (France) - La perception
Cet atelier repose sur la perception des participants et la transcription de ce qui est
réel, ici et maintenant. Des échos se font entendre, engendrés par la partition de
John Cage 4’33 de silence. Quand le temps le permet, je mène une seconde
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
expérience à partir d’impressions de Kafka dans son Journal, un moment où
l’auteur se trouve au centre d’un bruyant orage chez lui. J’invite les participants à
créer leur propre environnement à partir de sons et de silences.
Atelier 2
Kate MOORHEAD (Royaume-Uni) - Inventer des personnages
L’atelier consiste en deux exercices d’écriture distincts qui servent de tremplin
pour fabriquer des personnages. L’un crée un personnage à partir de l’examen de
ses effets personnels et de son environnement, l’autre utilise des photos et un
questionnaire. Un troisième exercice place ces deux personnages dans un lieu
commun et les développe au travers de dialogues, d’un approfondissement des
paroles échangées, et de ce qui est passé sous silence. Le tout doit donner aux
participants un début « solide » pour un travail créatif à plus long cours. C’est un
atelier agréable qui implique de nombreuses lectures et encourage les échanges
entre participants.
9 NOVEMBRE 2012
Conférence 2
Daniel SOUKUP (République tchèque)- Enseigner l’écriture dans une langue
étrangère ; présentation de situations d’enseignement
En se fondant sur des exemples concrets, cette présentation aborde quelques-uns
des défis typiques qu’implique l’enseignement de l’écriture dans une langue
étrangère. J’exposerai brièvement les grandes lignes d’une possible approche
systématique de ce phénomène, dans le but de généraliser une expérience unique
d’enseignement, pour la mettre au service des futurs enseignants.
Mini-conférence session 3

Images et son - Multimédia et écriture
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Françoise KHOURY (France) - Photographier / écrire
A l’origine de mon intérêt pour l’assemblage du texte et de la photographie, il y
avait le désir de découvrir des formes narratives nouvelles en reliant deux médias
(le texte et la photographie), en décompartimentant les disciplines, en
transgressant les barrières que peut dresser le concept de « multimédia ». Je vais
donc vous présenter les tenants et aboutissants de cette exploration, puis vous
décrire la manière dont j’ai organisé les ateliers pour les participants, choisissant
chez des artistes écrivains, photographes et critiques littéraires des pistes
pédagogiques exploitables. Je conclurai par les effets bénéfiques de cette pratique,
en vous présentant quelques exemples.
Denis BOURGEOIS (France) - Le son comme étape du processus d’écriture
Depuis 7 ans, je conduis un programme de Master en Beaux-arts dont la première
année est intitulée « Écrire pour la radio ». J’ai construit la formation avec l’idée
que le son vient en premier, l’écriture vient ensuite. Nous avons expérimenté cette
transformation des sons en mots au cours de plusieurs ateliers. Je vous présenterai
les principes de cette méthode au travers d’exemples. C’est un processus qui
pourrait mener à de nouvelles approches de l’apprentissage de la narration.
Orhan KIPCAK (Autriche) - L’éducation aux médias par les ateliers d’écriture
Depuis une vingtaine d’années, ce qu’on nomme la révolution des nouveaux
médias a donné naissance a de nouveaux paradigmes, y compris dans le monde
littéraire. Ces phénomènes – en bref : hyper-textualisation, médiatisation,
développement de nouveaux scénarios de communication, écriture collaborative,
nouveaux canaux de distribution et de valorisation en lien avec des produits tels
que le texte, sont devenus importants pour l’enseignement de l’écriture créative.
Dans cet exposé, je vous présenterai des concepts pédagogiques qui s’en sont
emparés et vous montrerai quelques résultats.

Le dispositif de l’atelier
Marianne JAEGLÉ (France) - La proposition d’écriture, entre savoir-faire
technique et envie d’écrire
19
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Comment créons-nous nos propositions ? Avec quel objectif ? Que pouvons-nous
considérer comme une bonne proposition d’écriture ? Selon quels critères ? Dans
un atelier d’écriture, les propositions visent a priori à aider les écrivants à
démarrer leur travail et à découvrir leur propre écriture. Cette présentation
abordera les points suivants : la différence entre un motif et un thème, l’objectif
des propositions : donner les savoir-faire techniques et stimuler l’envie d’écrire –
exemples de propositions, « propositions toutes faites », etc.
Laure NAIMSKI (France) - L’atelier d’écriture comme orchestre de jazz
Il n’y a en fait guère de différence entre un atelier d’écriture et un orchestre de
jazz. Au travers de mon expérience, que ce soit comme saxophoniste de jazz ou
comme animatrice d’ateliers d’écriture, j’expliquerai les similarités entre ces deux
univers. Puis je vous montrerai la manière dont ces similitudes génèrent les outils
pédagogiques qui me permettent de construire mes propres ateliers. Une sorte de
boîte à outils que chaque enseignant peut utiliser. Nul besoin de connaître le jazz.
Il faut juste ouvrir grand ses oreilles.
Javier SAGARNA (Espagne) - Lecture et enseignement de l’écriture créative
La lecture est incorporée dans les programmes de la Escuela de Escritores comme
un des fondements de notre système. Du niveau d’initiation aux plus avancés, les
enseignants préparent une liste de livres (ou d’histoires) à lire et commenter, de
façon à faire de chaque étudiant un lecteur et, parallèlement, un écrivain. Ou bien,
un écrivain qui lit et utilise ses lectures pour grandir en tant qu’auteur. Ce contact
avec la littérature (et pas seulement au travers des livres), cet apprentissage de la
lecture critique et personnelle, et la découverte des techniques utilisées par bon
nombre d’auteurs donnent de grandes satisfactions. Je présenterai ici un bref
aperçu de notre méthodologie.

Enseigner ou écrire?
Enrica AJÓ (Italie) - L’impossibilité économique de l’écriture créative
Je suis sans aucun doute curieuse de ce que l’histoire mondiale nous a légué, mais
à cause de la crise mondiale, à cause de la crise européenne, à cause de la crise
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
italienne, à cause de la crise économique que je traverse personnellement, celle où
ma mère me harcèle parce que je ne parviens pas à me nourrir et me pousse à
envoyer des CV à des pizzerias, j’ai fini par comprendre qu’on ne peut pas avoir
ce qu’on veut (ou au moins 5 euros de l’heure) en faisant dignement son travail
d’enseignant.
Thomas BOUVATIER (France) - Techniques de narration
Les techniques de narration reposent sur un jeu de règles concernant la manière de
raconter une histoire. En tant qu’enseignant, auteur et éditeur, mes expériences
m’ont poussé à donner la priorité à la dimension humaine puis à les aborder de
manière littéraire. 1) travailler sur soi-même (identité d’auteur), sur le choix d’un
environnement, prise de notes, prise de conscience de sa propre ambition
littéraire. 2) Fiction et non-fiction : intrigue, fil rouge, besoin d’obstacles,
transformation et effet boule de neige.
Catherine LE GALLAIS (France) - De la relation entre écriture et
l’enseignement de l’écriture
A partir d’entretiens menés avec trois animatrices d’ateliers d’écriture,
j’interrogerai quelques aspects de la relation vivante entre écriture (c’est-à-dire :
le travail de sa propre œuvre littéraire) et enseignement de l’écriture. Qui a le
droit (ou se l’arroge) d’enseigner l’écriture ? Dans quelle mesure écrire et
enseigner peuvent-ils coexister ? Est-il nécessaire d’écrire pour enseigner ? Dans
cet article, je mettrai l’accent sur quelques aspects qui peuvent être ressentis
comme problématiques dans la relation entre ces deux activités.
Table ronde 2
Denis BOURGEOIS (France) avec : Thomas BOUVATIER (France), Ana
MENÉNDEZ (États-Unis/Pays-Bas) - Sur la formation de l’écrivain
Comment justifier le fait qu’un auteur a besoin d’une formation ? Nous ne
souhaitons pas ici revenir sur cette éternelle question des liens entre formation de
l’écrivain et ouvertures professionnelles. Comment mettre en forme des
formations qui aident dans les contacts avec des partenaires professionnels,
éditeurs, producteurs ? Quelle formation proposer pour aider les auteurs à
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
construire leur propre univers littéraire tout en étant capable d’honorer un contrat
ou de répondre à une commande ? On pourrait aussi poser la question du choix
des contenus des programmes d’écriture créative.
Table ronde 3
Alain ANDRÉ (France) avec: Reijo VIRTANEN (Finlande), Mariana TORRES
(Espagne) - Sur la formation de l’enseignant
Bon nombre de professeurs d’écriture créative sont d’abord écrivains ou bien
enseignants de lettres. Mais l’enseignement est bien un art en soi. Comment
pouvons-nous aider ces professeurs à faire face aux problèmes spécifiques qu’il
recouvre ? Ont-ils besoin d’une formation initiale ou bien d’une formation
continue ? Doivent-ils se rencontrer régulièrement pour partager leurs expériences
d’enseignement ? Ou bien doivent-ils tracer leur propre chemin, seuls, comme
bien des écrivains pensent l’avoir fait ?
Atelier 3
Linda LAPPIN (Italie) - L’utilisation du mythe: la Catabase comme outil
La descente du héros ou de l’héroïne dans le monde du dessous est une phase
cruciale dans le mythe d’initiation universel, et représente le fondement
archétypal de bien des travaux contemporains de fiction, de poésie ou de
mémoires. En utilisant des sources classiques et des œuvres contemporaines
inspirées de la Catabase, l’atelier guide les étudiants dans la rédaction de leur
propre catabase vers l’univers littéraire de leur choix. L’accent est mis sur la
recherche de nouvelles approches pédagogiques du mythe et de la mythologie
dans l’enseignement de l’écriture créative à de jeunes adultes.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
ACTES DE LA CONFÉRENCE
8 NOVEMBRE 2012
INTRODUCTION
Alain ANDRÉ
Je suis formateur en écriture créative, écrivain et directeur pédagogique du centre
de formation français Aleph-Écriture. Je souhaite vous dire un mot :
-
des raisons pour lesquelles je suis heureux de l’ouverture tant attendue de cette
conférence
-
de ce que nous pouvons en attendre
-
et aussi vous présenter ceux qui vont vous accompagner tout au long de ces deux
journées ; et plus particulièrement Louise Muller, que je tiens à féliciter pour le
formidable travail de préparation qu’elle a fourni.
1. La première conférence pédagogique de l’EACWP
Je remercie d’abord tous les membres de l’EACWP pour leur aide précieuse. Je
veux aussi vous remercier, tous, d’être venus jusqu’ici, à Paris, à l’Institut
finlandais, que je tiens à remercier aussi, car nous avions absolument besoin d’un
lieu plus spacieux que les petites salles d’Aleph-Écriture. Je suis ravi d’ouvrir
cette conférence pour deux raisons :
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
EACWP / Une histoire européenne
D’abord, en tant que membre du conseil d’administration de l’EACWP, je
participe à ces symposiums depuis quelques années – 4 ans, je crois. Dès le début,
j’ai été frappé par l’atmosphère chaleureuse et hautement productive de ces
réunions. Nous sommes sur le point de vivre la même chose ici, en France. J’ai eu
le plaisir l’année dernière de suggérer l’accueil d’un nouveau membre,
l’Association Élisabeth Bing (Paris) et, plus récemment, celui du « Coin bleu »,
une école d’écriture de Bruxelles.
Pendant ces symposiums, nous avons pu nous comprendre les uns les autres,
malgré la course d’obstacles que représente l’usage partagé de la langue anglaise.
Nous utilisons l’anglais comme une sorte de latin moderne, une langue de
communication, et c’est très positif, même si, surtout dans les pays latins, nous
regrettons de constater que trois de nos animateurs sur quatre ne se trouvent pas
vraiment en mesure de participer à nos travaux, faute de maîtriser suffisamment
l’anglais.
Incidemment, j’aimerais bien que nous tenions un autre symposium, un jour,
consacré à la manière dont nous utilisons la littérature anglo-américaine, ou les
manuels d’enseignement de l’écriture créative anglo-américains, et même la
langue anglaise, dans nos enseignements, en la comparant à celle dont nous
utilisons nos littératures contemporaines nationales. Après tout, dans la mesure où
nous vivons encore sous une certaine domination américaine, il n’est pas interdit
de nous interroger là-dessus !
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
La conférence: un temps de partage pédagogique
Ensuite, si je suis heureux d’ouvrir cette conférence, c’est parce qu’elle représente
un moment privilégié d’échanges de pratiques pédagogiques. L’accent y sera mis
sur la pédagogie de l’écriture créative, sur ses enseignants et ses chercheurs. Deux
conférences internationales ont déjà été organisées par l’EACWP, et j’ai pu
participer à la dernière en date, celle d’Orivesi, en Finlande. Mais leur sujet était
l’écriture créative en général, pas son approche pédagogique. Bien sûr, nous
avons eu des échanges à ce sujet pendant son déroulement, disons, un tiers du
temps, mais cela ne nous a pas permis d’approfondir.
Je me souviens d’avoir donné une mini-conférence sur le thème « Comment
commencer un roman » à Orivesi, une conférence sur mon « expérience d’auteurenseignant-manager » et un atelier sur « les narrations polyphoniques », toujours à
Orivesi, mais tout cela, ponctuel, n’avait rien à voir avec une expérience aussi
interactive que celle que, je l’espère, nous allons partager ici à Paris.
Ici, ceux qui le voulaient ont pu suivre une session en anglais avec Nora Ekström,
que je tiens à remercier encore pour son excellent travail. Et, à partir de
maintenant, nous allons bénéficier d’une suite de deux sessions plénières,
comprenant trois tables rondes, trois ateliers et vingt mini-conférences. Vous le
savez sans doute, nous avions espéré que cette conférence serait subventionnée
par le Fonds Grundtvig de l’Union européenne, comme cela s’est déjà produit par
le passé, mais cela n’a pas été le cas. Néanmoins, nous sommes tous là, et c’est
formidable.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
2. Comment enseignons-nous?
Questions
Que pouvons-nous attendre de cette conférence ? Au cours des symposiums
précédents, j’ai été passionné par nos échanges pédagogiques. Je me souviens
d’une conférence d’Ángel Zapata à Madrid, à propos d’une nouvelle de Sam
Shepard. Je me souviens d’une conférence de Daniel Soukup à Vienne sur la
poésie. Je me souviens de plusieurs autres, que je ne peux pas rappeler ici. Ce qui
m’a fasciné, chaque fois, c’est la manière dont l’Europe élargit le paysage national
de nos débats pédagogiques. J’ai aussi été frappé par le fait que certains des
questionnements sur lesquels nous travaillons ici en France, depuis longtemps, ne
semblent pas revêtir la même importance dans les autres pays. Par exemple :
-
Quelle est la posture idéale d’un animateur d’ateliers d’écriture ? Je veux dire, estil un enseignant ou bien quelque chose de totalement différent ?
-
L’art de l’enseignement de l’art d’écrire est-il spécifique ou bien dérive-t-il,
presque mécaniquement, de celui de l’écriture créative ? Pensons-nous que les
étudiants doivent se contenter d’imiter, et plus particulièrement d’imiter leur
merveilleux enseignants, ce qui serait assez behavioriste, ou bien croyons-nous
qu’ils doivent construire leur propre questionnement et leurs propres chemins
d’écriture, et de quelle manière, ce qui constitue une approche bien différente
(constructiviste ou socio-constructiviste, en fait) ? Quels sont les contenus
adéquats ?
-
Trois: les jeunes animateurs et enseignants ont-ils besoin d’une formation
spécifique ? Sont-ils enseignants simplement parce qu’ils sont auteurs ? Que se
passe-t-il alors, quand ils ne sont pas, ou pas encore, encore des auteurs publiés ?
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
De quels outils de formation disposons-nous, s’il s’avère que la formation est
nécessaire ou du moins utile ?
Je ne m’attends pas à trouver ici les réponses à toutes ces questions. Mais je suis
certain qu’elles nous conduiront à en poser encore bien d’autres. D’autant plus
que vous les avez déjà posées, comme l’a fait par exemple Ana Menéndez à
propos du statut de la lecture dans les ateliers d’écriture, ou bien Denis Bourgeois
dans le domaine de la formation des enseignants, ou encore Frédérique Anne
lorsqu’elle analyse les liens entre écriture créative personnelle et enseignement en
ateliers – je suis désolé pour tous ceux que j’oublie.
Un panorama?
En réalité, j’attends davantage encore de cette conférence : une sorte d’ « état des
lieux de l’enseignement de l’écriture créative à visée littéraire en Europe », ou
plutôt une description, un panorama de cet enseignement, ce qui inclut bien
entendu, je ne l’oublie pas, la Grande-Bretagne et les États-Unis. C’est pourquoi
les futurs actes de cette conférence sont importants. Dans quelques années, ils
seront sans doute considérés comme le point de départ de notre réflexion
pédagogique collective.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
SÉANCE PLÉNIÈRE
Reijo VIRTANEN (Finlande)
De l’ironie en écriture comme attitude envers la vie
Théorie de l’ironie
J’enseigne l’écriture ironique depuis presque vingt ans. Avant cela, j’ai moimême écrit bon nombre d’articles et de sketches « ironiques » pendant mes années
à l’université, et ai fait aussi quelques recherches sur le sujet.
Cet automne, mon cours sur le sujet de l’ironie s’adressait pour la première fois à
des étudiants de première année. Je me suis une fois de plus demandé s’il était
bien judicieux d’enseigner cette difficile figure rhétorique à des débutants. Puis je
me suis souvenu de quelques points.
Dans les écoles pour écrivains, il est fréquent d’enseigner la poétique
aristotélicienne aux débutants. Mais que dire des classiques favoris tels qu’Œdipe
par Sophocle ? Ne donnent-ils pas dans l’ironie ?
Je me suis aussi souvenu d’un de mes passe-temps des années 70. Vers l’âge de
12 ans, j’adorais écrire des pastiches des articles ironiques de Mark Twain. J’ai
donc pensé que la tâche ne serait pas si difficile.
En fait, l’ironie n’est pas une simple figure de langage. Ce n’est pas non plus
seulement une technique littéraire, une méthode. C’est bien plus que tout ça. Pour
l’aborder par la philosophie, disons que l’ironie est une attitude envers la vie. Pour
un écrivain, adopter l’ironie signifie être prêt, à chaque instant, à considérer les
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
choses de manière dialogique, à partir d’un point de vue extérieur. Ou même
simultanément à partir de points de vue variés, et même contradictoires.
A propos, n’est-ce pas quelque chose que chaque auteur doit apprendre pour
devenir professionnel, pénétrer les esprits de ses personnages et de son narrateur ?
Je considère donc que s’entraîner à l’ironie est un bon exercice pour jouer avec les
points de vue.
Mon dernier cours a encore renforcé mon sentiment que l’ironie doit absolument
faire partie des fondements de l’écriture créative, pas seulement dans les
domaines de l’humour et de la satire, même si, dans ce dernier atelier, nous
n’avons abordé l’ironie que dans ces deux champs d’écriture.
Il me faut ici remercier Wayne C. Booth, Douglas C. Muecke, et Linda Hutcheon
pour leur travail universitaire sur l’ironie. Mais pour moi le plus important des
théoriciens reste Mikhaïl Bakhtine, l’hérétique et anticonformiste russe qui s’est
éteint juste avant la Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev. Ses théories sur le
carnavalisme et le dialogisme m’ont été d’un grand secours dans mon travail de
rédacteur de sketches et de chroniques ironiques, ainsi que dans mon travail
universitaire et d’enseignant.
L’ironie est un des dispositifs littéraires qui prennent racine dans la tradition des
fêtes du Carnaval, dans laquelle, par exemple, la parodie, le grotesque, le macabre
et le burlesque trouvent aussi leur source. Le développement du rire en littérature
est en réalité issu des anciens rites de fertilité, bien avant la naissance de la
comédie classique.
Le carnaval est une mascarade. Au début de la fête, les gens apposent sur leur
visage un masque amusant ou effrayant. Ils se déguisent de manière étrange ou
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
grotesque. Ils commencent à se comporter de manière anormale, à parler de
manière inappropriée ou indécente. La période du Carnaval autorise toutes sortes
de parades de monstres, d’actes parodiques et joyeusement blasphématoires. Et
c’est une tendance qui se retrouve dans bien des spectacles. Tout ceci est
largement lié à l’ironie.
A l’origine, les racines du mot ”ironie” sont eironeia et eiron qui veulent dire
« faire semblant », « imposteur ». Par exemple, le philosophe grec Socrate, luimême un fameux imposteur, prétendait qu’il était simple d’esprit face aux
philosophes avec qui il dialoguait. Mais, selon Bakhtine, les gens au cours du
Carnaval ne font pas semblant, car ils vivent la vie du carnaval comme une réalité.
Par un étrange processus mental, ils se changent vraiment en quelqu’un d’autre.
Pendant un court laps de temps, ils ont une magnifique occasion de vivre la vie de
gens qui appartiennent à une autre classe sociale, un autre groupe, un autre sexe,
une autre génération, ou même une autre espèce. Un riche va devenir mendiant,
un citoyen ordinaire sera roi, une femme deviendra le Pape, un humain se
changera en arbre ou en buisson.
Et c’est exactement ce qui se passe dans l’acte littéraire fondé sur l’ironie, si vous
voulez écrire un texte puissant et efficace. On peut écrire un discours ironique
comme si on était soi-même le Président, ou le Pape, pas seulement en prétendant
l’être. Si on est une femme, on peut écrire une apologie du machisme comme si
on était un homme, et vice versa.
Le même procédé peut s’appliquer au dialogue, au conte. Dans un rituel étrange
de métamorphoses, l’auteur se transforme en son narrateur, puis en un des
personnages, puis un autre, passant constamment d’un déguisement à l’autre. Et le
jeu de l’eironeia continue tout au long du texte. Et dans ce processus de
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
basculement constant, l’auteur vit réellement la vie de son narrateur ou de ses
personnages.
Vous vous demandez peut-être à quoi sert cette mascarade littéraire…
Il est bien connu que l’ironie, comme bien d’autres outils de l’humour et de la
satire, peut vite devenir cruauté. Pourtant, dans notre atelier sur l’ironie
carnavalesque, c’est toujours d’humanité que nous parlons. L’idée fondamentale
du carnaval et du carnavalisme, c’est d’encourager les gens par le rire, de leur
donner confiance en eux et d’éradiquer toutes les craintes. La vie quotidienne est
pleine de menaces et de terreurs. Quand on ouvre le journal, on est submergé par
les cambriolages, les fusillades, les guerres, les ouragans, les inondations, les
changements climatiques et la prochaine arrivée du nouvel Âge de Glace ! On y
rencontre des politiciens corrompus, des médecins escrocs, des policiers
criminels, des soldats fous, des présidents mégalomanes, et des institutions et
sociétés à tendances fascistes.
Ces gens et ces institutions qui prétendent être au-dessus de la société sont les
cibles typiques de l’ironie carnavalesque. Eux dont la tâche consiste normalement
à gouverner d’une manière sage et bienveillante se mettent à agir contre leur
peuple et leur pays. Pourquoi un artiste américain a-t-il sculpté un pot de chambre
qui ressemble au visage souriant du président George W. Bush ? Pourquoi le prix
Nobel Dario Fo a-t-il écrit une farce dans laquelle Silvio Berlusconi est poursuivi
par un groupe de sorcières ? Pourquoi les dictateurs de Charlie Chaplin et de
Sacha Baron Cohen sont-ils si puérils ?
Pour faire court : le but de l’ironie est de distordre et d’exagérer de façon à ce que
la cible du rire apparaisse comme extrêmement stupide ou mauvaise. La cible, que
ce soit une personne ou une institution, révélera sa stupidité ou sa méchanceté au
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
travers de ses discours et de ses actes. Par le biais d’une ironie bien menée,
l’écrivain évite l’insulte ou la critique directe. Si on s’en tient à la terminologie de
Bakhtine, dans l’ironie, la cible se charge de sa propre dégradation et de sa propre
disgrâce.
Méthodes d’enseignement de l’ironie
Mon atelier sur l’ironie se déroule sur vingt heures, en quatre journées réparties
dans un mois. Entre chaque séance d’atelier, je donne des exercices.
On ne peut pas se mettre à écrire des textes ironiques de but en blanc. Il y faut un
peu de préparation. Il faut d’abord que l’écrivain puisse choisir un sujet qu’il
ressent comme particulièrement important et chargé émotionnellement. Il faut que
ce sujet soit factuel, non fictionnel. Un texte ironique doit parler de ce monde
partagé par tous. Si le sujet n’était pas réel, l’auteur ne pourrait pas être assez
sérieux dans son ironie. Car le rire de l’ironie est vraiment chose sérieuse, ou
plutôt, sério-comique, comme le dit Bakhtine. .
Pendant le cours, nous allons souvent à la bibliothèque ou dans la salle
d’informatique pour rechercher des sujets sérieux dans les médias. Cette fois-ci,
les étudiants ont pioché sur Internet les nouvelles qu’ils considéraient comme
particulièrement touchantes.
Le premier exercice consistait à écrire quinze lignes sur le sujet choisi, comme si
c’était un article sérieux. Les étudiants devaient adopter un point de vue critique
et clair. On pourrait appeler cela la phase monologique, ou point de vue unilatéral
(toujours selon la théorie de Bakhtine). Bien entendu, le but ultime dans un cours
sur l’ironie est d’apprendre le dialogisme. Mais comment les étudiants pourraient-
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
ils savoir ce qu’est l’écriture dialogique s’ils n’ont jamais abordé le
monologisme ?
La plupart des sujets choisis par les étudiants étaient vraiment très sérieux. Par
exemple, un des textes portait sur des étudiants SDF qui vivaient dans des
containers, un autre sur la dépression, un troisième sur la médicalisation de notre
société, et encore un autre sur l’accroissement du nombre de suicides. À partir de
ces sujets à portée universelle, il semblait assez simple de basculer vers le rire et
l’ironie.
Mais avant tout travail à la maison, les étudiants avaient besoin d’un choc qui les
éloigne de leur réaction humaine envers de tels sujets. J’ai considéré que le prêtre
anglo-irlandais Jonathan Swift serait le poison idéal. Après lecture de son
pamphlet Une modeste proposition, j’ai persuadé les étudiants d’adopter l’idée
sinistre du texte. Le narrateur y est un gourmand maléfique qui semble appartenir
à la noblesse anglaise. En fait, ce noble narrateur propose une solution radicale à
la faim et la misère des enfants irlandais : il suffirait d’utiliser les bébés comme
nourriture pour les repas des messieurs d’Angleterre. Cette approche nous
positionne bien dans le même grotesque que des personnages de carnaval. Elle
implique d’adopter une identité autre, et de penser comme si on était quelqu’un
d’autre. Cela implique aussi de regarder le monde au travers du point de vue d’un
autre.
Le premier exercice donné portait sur l’ironie verbale. Les étudiants devaient
écrire une ou deux pages sur le sujet choisi. Puis adopter l’attitude d’un ennemi ou
de quelqu’un dont les idées seraient totalement à l’opposé. Il leur fallait bien
entendu trouver ces ennemis dans l’actualité, ce qu’ils ont fait.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Pour parler de la médicalisation, peut-on vraiment s’identifier à un médecin
fasciste, qui parle sereinement d’individus trop faibles pour vivre dans notre
société ? Et peut-on alors se faire l’inventeur des meilleurs moyens pour se
débarrasser des malingres et des paralytiques ? Non ! Mais dans l’ironie, tout est
possible. N’oubliez pas que l’ironie signifie « dire quelque chose en sousentendant le contraire ». Donc, le narrateur fasciste dans un texte ironique n’est
qu’une marionnette vantarde manipulée par un écrivain humain et citoyen. Le
médecin doté de cette logique absurde est comme le matamore de la comédie
grecque antique : il est celui qui se révèle stupide et méchant, et devient la cible
de la satire.
Dans l’ironie verbale, nous sommes donc passés du monologisme au dialogisme,
ou discours à double voix, comme dirait Bakhtine. Ici, le but de l’auteur s’oppose
à celui de son narrateur.
L’étape suivante consiste à apprendre à théâtraliser l’ironie. Il faut donc que
l’écrivain invente plus d’un personnage qui devra s’insérer dans le dialogue
(discussion ou querelle) et ainsi créer une intrigue. L’ironie théâtralisée implique
une structure dans laquelle les attentes du personnage principal ou celles du
lecteur, ou les deux, sont contrariées. On s’attend à ce que quelque chose se passe,
et c’est autre chose qui arrive.
A la fin de mon atelier, je dois apporter une conclusion.
L’enseignant qui souhaite aborder l’ironie doit choisir très soigneusement son
texte de référence. Il faut que ce soit un texte court, comme les nouvelles de
Boccace. Mon dernier exemple était trop long et trop sarcastique, pas assez
ironique : c’était une nouvelle de Veikko Huovinen, un des maîtres finnois de
l’humour satirique, mais pas une des meilleures. Heureusement, mon erreur n’a
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
pas empêché les étudiants de faire leur travail et de produire des intrigues
ironiques et drôles.
Le sujet de leur nouvelle devait encore se référer à la nouvelle choisie au départ.
L’étudiante qui avait choisi le suicide a emmené ses personnages sur la lune,
comme l’avait fait le satiriste Lucien dans la Grèce antique. Là, sur la Lune, une
fillette et sa mère commençaient à régler les problèmes de leur famille. Le
dialogue était ironique et l’histoire particulièrement macabre.
Celle qui avait choisi le sujet de la dépression a écrit une parodie de sciencefiction proche de Jonathan Swift, inventant des situations et des dialogues
absurdes entre des chercheurs fous et leurs ordinateurs.
Et celle dont le choix s’était porté sur la médicalisation a écrit une histoire
d’horreur sur un docteur qui commence à toucher aux drogues lui-même et plonge
dans des cauchemars impliquant d’autres médecins dont les bureaux kafkaïens
apparaissent puis disparaissent.
Résultats
La plupart des étudiants ont su passer du discours direct d’un article monologique
à l’expression dialogique de chroniques ironiques. Puis ils ont abordé sans
problème l’expression dialogique de l’ironie théâtralisée. Certains sont passés à
côté et ont continué à écrire des textes à une voix pour appuyer leurs propres
opinions et attitudes simplistes.
Pendant un atelier sur l’ironie, il nous faut transformer un écrivain virtuose du
style en un personnage de carnaval. Dans cet acte qui consiste à écrire une
chronique ou une histoire carnavalesque, il ne s’agit plus seulement de manipuler
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
des mots ou des expressions, mais d’apprendre à vivre la vie des autres. Il faut se
confondre avec les personnages et adopter leurs attitudes, les inclure dans un
échange, au niveau du langage et à celui de l’intrigue.
Au départ, la description des idées principales du carnaval est très importante,
mais il est sans doute encore plus important de trouver des exemples appropriés
de ce type d’écriture. Il faut choisir des textes qui contiennent une grande variété
de dialogues et d’attitudes. Comme le dit Bakhtine, Dostoïevski et d’autres
auteurs ont su absorber l’ironie carnavalesque de la lecture de quelques-uns de
leurs glorieux prédécesseurs, Rabelais, Cervantès, Shakespeare, Voltaire, Swift, et
bien d’autres.
Conclusion
L’ironie n’est pas qu’une technique : c’est aussi et surtout une philosophie, une
attitude envers la vie.
Bibliographie:
Théorie du rire et de l’ironie:
Bakhtine, Mikhaïl : La poétique de Dostoïevski.
Bakhtine, Mikhaïl : François Rabelais et la culture populaire au Moyen-âge et à
la Renaissance.
Booth, Wayne C. : A Rhetoric of Irony (Rhétorique de l’ironie).
Hutcheon, Linda : Irony’s Edge. The Theory and Politics of Irony (Le point de vue
de l’ironie - Théorie et politique de l’Ironie).
Muecke, Douglas C. : The Compass of Irony (Le champ de l’ironie).
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
MINI-CONFÉRENCES SESSION 1
FICTION ET NON-FICTION
Elena VARVELLO (Italie)
Sur la narration : la mise en forme de l’expérience
Il y a quelques mois, j’ai lu un essai du grand auteur de nouvelles
américain, Andre Dubus. Conçu comme une lettre (et effectivement intitulé Lettre
à un atelier d’écrivains), c’est une merveilleuse méditation sur la manière
d’enseigner l’écriture au mieux, sur ce qui est bon pour les étudiants et ce qui peut
être dommageable. Dubus écrit : « Hemingway a dit jadis qu’il avait peu de talent
naturel et que ce que les gens appelaient son style était en réalité le résultat de ses
efforts pour vaincre son manque de talent. Il ne faut pas rire de cette remarque.
Car qu’est-ce que l’art si ce n’est un effort constant et passionné de faire quelque
chose avec le peu que nous possédons, le peu que nous voyons ? »
A ce moment-là, j’ai pensé qu’un jour ces mots me seraient utiles. Et puis, il y a
trois jours, en repensant à cette présentation, je feuilletais un magazine et j’y ai
trouvé un entretien avec Philip Roth dans lequel il disait, en parlant de Joe Luise
le boxeur : « Il a déclaré un jour qu’il avait fait ce qu’il pouvait avec ce qu’il
avait », ce qui m’a automatiquement ramenée à la pensée de Dubus.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Car ces mots, je les comprends complètement, intimement, peut-être de manière
irrationnelle. Je les comprends d’abord en tant qu’écrivain, et aussi en tant
qu’enseignante, puisque je suis les deux. J’enseigne à la Scuola Holden, à Turin,
depuis 1999. Cela fait donc pas mal de temps, et cela me rappelle que, pendant ce
temps-là, j’ai vieilli, mais ceci est une affaire privée, comme dirait notre auteur
Fenoglio. Dès le début en 1994, notre école s’est focalisée sur la narration, en
quoi cela consiste, comment on peut enseigner à quelqu’un à devenir un
raconteur, et non pas juste un auteur, ce que cela implique, ce qu’il faut faire pour
cela. Et aussi comment on peut préparer quelqu’un à faire quelque chose de beau
avec le peu qu’on a, le peu qu’on voit, comme le disait Dubus (car nous ne
sommes que des humains, dotés d’instruments humains).
A mon avis, le plus important c’est de comprendre que l’enseignement et
l’apprentissage de la narration sont des processus sans fin (comme l’écriture).
Après plus de douze années passées face à tant d’étudiants, je continue à réfléchir
à ce qu’est cet enseignement, et cela évolue comme ma vision de ce qu’est
l’écriture, livre après livre, histoire après histoire. Ce dont je suis certaine, c’est
que la narration a fortement à voir avec l’expérience (ce que nous avons, ce que
nous voyons) et que chacun a la sienne propre, son propre pays, son propre
territoire imaginaire. En réalité, l’expérience est un de nos mots clés, et c’est
toujours notre point de départ. Toute narration a aussi à voir avec ce que nous
pensons de la vie, car chacun vit la sienne propre et a son point de vue dessus. Et
pour finir, l’art de la narration est en lien direct avec la voix que nous utilisons
quand nous racontons, et là aussi, chacun a la sienne propre, son propre langage,
son propre rythme.
Il n’y a donc pas de règles générales : c’est la seule règle que j’ai découverte.
Aucune règle générale en matière de manière de raconter ni en matière d’en
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
enseigner les techniques. J’ai ma propre vision et ma propre méthode, et mes
collègues ont les leurs, ce qui est une grande richesse, je pense. Mais en même
temps, nous sommes tous impliqués dans la même recherche, et nous partageons
la même conviction : la narration est un geste ancien, primitif, qui précède à
l’écriture et recouvre moult implications et significations, reste partiellement
mystérieux et profondément lié à la vie et à l’expérience.
C’est la première chose sur laquelle un étudiant doit se pencher, en se souvenant
qu’a priori, chacun est un raconteur d’histoires. Car nous le sommes tous. Rien
n’est plus lié à la nature humaine que le fait de raconter des histoires sur nousmêmes, notre monde et tout ce que nous en apprenons, tout ce que nous
ressentons. Mais en quoi consiste l’enseignement de tout cela ?
Pour moi, cela commence par un effort pour libérer quelque chose de caché à
l’intérieur de mes étudiants. C’est par cela que je commence, en tant
qu’enseignante.
« Je n’ai pas d’idées, je ne sais pas quoi écrire »… j’entends cela tout le temps, de
chaque étudiant (certains ne le disent pas mais cela se lit sur leur visage !). C’est
un paradoxe car, comme je l’ai dit, je suis persuadée que nous sommes tous des
raconteurs d’histoires, tout le temps, même si nous ne nous en apercevons pas.
Alors la première chose que je fais, c’est d’essayer de libérer mes étudiants du
poids de l’idée préconçue de ce que doit être la narration, et de les conduire, si
possible, à un certain sens de la liberté qui est en eux.
Ne perdez pas de temps à tenter de capter une idée, revenez à votre expérience,
votre propre vision, vos obsessions, votre monde. Ne pensez pas à l’idée comme
une abstraction qui va un jour descendre du ciel si vous avez beaucoup, beaucoup
de chance. En fait, le mot idée vient du verbe grec idein qui veut dire « voir ». Et
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
c’est bien de cela que nous parlons ; nous parlons de ce que nous voyons, de nos
visions. Alors, fermez les yeux et écrivez ce que vous voyez, car je suis certaine
que vous voyez quelque chose. Écrivez une page sur cette femme qui parle à son
fils, si c’est ce que vous voyez, ou sur cet homme au volant de sa voiture le soir,
revenant chez lui. Votre mère, votre père, leur relation. Une robe que vous aviez
enfant. Quelque chose qui vous a blessé. Un enfant qui a volé de l’argent dans le
porte-monnaie de sa mère pour s’acheter quelque chose dont il a tellement envie.
Vous, vous-même.
Elizabeth Strout a dit un jour : « Avant de commencer à écrire mon premier
roman, Amy et Isabelle, j’ai eu cette vision : une mère qui coupe les cheveux de sa
fille avec colère. Je ne savais pas alors jusqu’où cette vision allait m’entraîner ».
Je dis donc à mes étudiants de creuser à l’intérieur d’eux-mêmes. Depuis quatre
ans, par exemple, je suis obsédée par le feu et les champs de maïs, et par la peur
de perdre quelqu’un que j’aime vraiment. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai écrit
un roman qui rassemble toutes ces obsessions.
Les souvenirs, les visions, les obsessions : notre expérience. Tout est déjà là, en
nous. C’est ce que je dis à mes étudiants. Je les encourage alors à travailler sur ces
souvenirs, ces obsessions, à partir de leurs désirs, de leurs craintes, de ce dont ils
se souviennent, de leurs besoins, de ce qu’ils cherchent à fuir. Je leur dis : Écrivez
à partir de tout cela, sans trop réfléchir, pas encore. Vous n’êtes pas là pour
montrer que vous avez un immense talent : vous êtes là pour amener vos histoires
au grand jour. Alors, écrivez par exemple sur quelque chose qui vous fait envie.
Décrivez la personne que vous aimez ou vos amis, écrivez un dialogue entre deux
personnes sur un sujet qui vous tient à cœur. Réfléchissez bien : qu’est ce qui est
réellement important pour vous ?
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Et généralement, il en sort quelque chose de bien, drôle ou triste, mais plein de
vie, et survient alors l’impression que nous sommes en train de partager nos
secrets avec notre meilleur ami (ce qui est l’essence de la narration, après tout :
Walter Benjamin appelait cela la capacité à partager les expériences). Je ne parle
pas d’autobiographie au sens strict. Je parle plutôt d’une exploration du peu que
nous avons, du peu que nous voyons. Je veux dire que, pour moi, la vieille
expression : « écrivez sur ce que vous savez » veut aussi dire : « écrivez sur ce
que vous pensez, craignez ou imaginez ». Écrivez aussi sur ce que vous ignorez
en partie, comme le dit Wislawa Szymborska à propos des poètes : « Les poètes,
s’ils ne sont pas authentiques, doivent se répéter encore et encore : « Je ne sais
pas ».
Dans un autre essai, Dubus a écrit : « J’ai appris, en m’écoutant parler moi-même,
la source de mon discours en mystérieuse harmonie avec les vérités que nous
connaissons, même si, bien souvent, cette connaissance reste cachée”. Remplacez
le mot parler par écrire : ça marche. Il existe une mystérieuse harmonie dans les
vérités que nous connaissons, même si, bien souvent, cette connaissance reste
cachée.
Bien sûr, tout ceci n’est que la première étape. Une manière de se délivrer des
préjugés sur ce qu’est censée être la narration (je parle ici des règles établies et
des soi-disant commandements). C’est comme rentrer à la maison. Ou plutôt,
comme creuser les fondations d’une nouvelle maison. Mais il faut ensuite la
construire (l’histoire doit être dite) et cela va prendre du temps et nécessiter
beaucoup de travail.
Vient alors le deuxième point : comment passer d’une vision personnelle,
de sa propre expérience, à une histoire (une nouvelle ou un roman, qui sait ?).
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
C’est là qu’on se doit d’introduire les notions de lien, de structures, de formes et
d’édition. Par édition, j’entends l’art d’assembler, couper et rassembler des
choses : c’est un autre de nos mots clés, un point sur lequel nous travaillons sans
cesse.
Revenons à une des visions dont j’ai parlé plus haut (ce qui est bizarre, c’est que
j’ignore pourquoi j’en ai parlé) : celle du garçon qui a volé de l’argent dans le
porte-monnaie de sa mère. Elle ressemble un peu à un tableau d’Edward Hopper,
à la fois statique et en mouvement. Qui est le garçon ? Qui est sa mère ? De quoi
a-t-il tant envie ? Pourquoi ? Que fera-t-il ensuite ?
Utilisez vos visions, vos obsessions, votre expérience ne peut que susciter
nombre de questions : c’est alors qu’il faut établir des liens. Les étudiants
comprennent qu’il leur faut établir ces liens, les mettre en lumière, s’ils veulent
déboucher sur une histoire. Après avoir creusé les fondations, il faut monter les
murs, poser les fenêtres et les portes de la nouvelle maison. Plus la vision
s’élargit, plus elle se complexifie, lien après lien.
En tant qu’enseignante, j’essaye de les aider tout au long de ce processus qui
implique profondément leur monde propre. Je leur pose des questions sur ces
visions personnelles, et cela les amène à voir plus de choses qu’ils ne pensaient.
Je leur demande : « Êtes-vous sûr ? Pensez-vous que cela peut marcher ? Croyezvous vraiment que la mère réagirait comme ça ? Où est la vérité ? Qu’avez-vous
vraiment envie de dire ? »
On arrive alors à un des moments les plus forts d’un atelier : les étudiants
touchent du doigt le sens de mots tels que résilience et détermination, car
construire une maison est chose complexe et lente. Pendant ce travail de
construction, l’enseignant est un guide, un aiguillon. Donnez-moi à voir ce que
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
vous avez vu, rendez-le aussi clair que possible. Ouvrez vos visions, articulez-les,
pierre après pierre. Comme le dit Walter Benjamin, l’écrivain est celui qui extrait
son matériau de sa propre expérience et en fait une expérience universelle.
Arrivés à ce point, et alors que notre préoccupation est de donner forme à nos
visions personnelles et parfois confuses, il faut aborder la question du langage, de
la manière la plus appropriée de structurer une histoire compréhensible par tous.
Car au final, il nous faut embarquer d’autres gens, nos lecteurs, vers notre propre
contrée, et le langage est la seule carte dont nous disposons. Dans sa nouvelle Guy
de Maupassant, Isaac Babel écrit: « Aucune épée ne peut pénétrer un cœur aussi
profondément qu’un point placé au bon endroit ».
Et nous voilà arrivés à la troisième et dernière étape : le travail sur la langue
(mots, phrases, paragraphes, la voix, le rythme) car le langage est notre manière
de transformer des expériences personnelles en quelque chose de partageable,
ouvert à tous. Les étudiants doivent apprendre à faire attention aux mots qu’ils
utilisent, à être précis et à assumer leurs choix de langage. Alors, ils testent leurs
histoires, les lisent à voix haute dans l’atelier et laissent le public – les autres
étudiants - réagir, comme des lecteurs vont, un jour, réagir à ce qu’ils ont écrit.
Puis, d’autres questions apparaissent. Je leur dis toujours : « Il ne s’agit pas de
savoir si vous aimez une histoire ou pas. Tâchez seulement de la comprendre : que
ressentez-vous ? Cette histoire vous apporte-t-elle quelque chose ? »
Ce que j’ai appris au cours de mon travail d’enseignante, c’est qu’il
n’existe qu’une manière d’aborder l’écriture, et c’est en partant de chaque
individu, en le conduisant dans sa recherche personnelle, en l’aidant à lui donner
une forme qui lui permettra de partager cette expérience grâce au langage. Mais
surtout, j’ai appris qu’il n’existe aucun exercice qui puisse être plus efficace que
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
le simple fait de les pousser à cette exploration de leur monde réel et imaginaire,
en partant du peu qu’ils ont, du peu qu’ils voient, et en leur répétant encore et
encore que c’est cela leur seule richesse.
Ce que je veux dire, c’est que les aspects techniques ne suffisent pas, comme
l’apprentissage de la rédaction d’un incipit parfait ou d’un bon dialogue. Bien sûr,
ces choses sont importantes si on veut écrire des beaux textes. Je le sais en tant
qu’écrivain. Mais je sais aussi qu’il n’y pas qu’une seule manière d’écrire un bel
incipit ou un bon dialogue, et que la manière parfaite n’existe sans doute pas. La
réflexion sur ces aspects techniques viendra de ce qu’ils ont lu, vu, écrit.
Chacun doit trouver sa propre route dans le pays mystérieux des histoires, chacun
doit trouver sa propre voix, en s’écoutant attentivement et en n’oubliant jamais la
valeur du langage. Et chacun, comme l’écrit si justement Szymborska, doit se
répéter : « Je ne sais pas ». C’est ce paradoxe qui nous pousse toujours plus loin.
Dans ce voyage, l’enseignant est un guide, mais aussi un compagnon loyal qui
s’est jadis posé ces mêmes questions et continue à chercher car, heureusement, la
réflexion ne finira jamais. Avec chaque histoire, nous revenons à notre nature
première, celle de conteurs.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Danièle PÉTRÈS (France)
Comment aborder le non-dit
Comment m’est venue l’étrange idée d’animer des ateliers d’écriture ?
En 2008, j’ai publié mon troisième livre. J’avais eu quelques difficultés pour
l’écrire et le précédent ne s’était pas bien vendu (euphémisme). C’était un recueil
de nouvelles. En fait, ce n’est pas si facile d’écrire ce genre de livre, dans la
mesure où cela implique de maintenir la même tonalité sur 25 ou 28 mélodies qui
vont se mélanger. Celui-ci m’avait pris plus de trois ans, même s’il est très court.
Et parce qu’il devait être publié en mai, je savais qu’il n’aurait guère de publicité
ou de lecteurs. Que faire ? Allais-je laisser mon livre passer du comptoir de la
librairie au carton des retours, trois mois plus tard ?
Etait-il possible de le défendre ? Comment pouvais-je m’y prendre ?
J’étais décidée à ne pas le laisser tomber. C’est ce qui a fait naître l’idée de me
porter candidate à une bourse. Il en existe quelques-unes en France. Vous faites
acte de candidature, et on vous propose une résidence d’auteur de trois mois,
pendant lesquels vous êtes censé vous mêler à la population d’un lieu, d’un
village de deux cent habitants, tous fermiers ou anciens fermiers. On vous
demande aussi de faire des conférences, des lectures et des ateliers d’écriture.
Alors, je me suis dit que ce serait une occasion d’offrir à mon livre ce public à
l’échelle d’un village, même si, au moment de descendre du bus qui m’y amenait,
j’ai soudain réalisé que je ne parlais dans mes livres que de femmes citadines
névrosées et de couples mal assortis, et qu’il y avait donc bien peu de chances
d’atteindre mon public dans ces lointaines contrées. Mais c’était trop tard pour
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
revenir à Paris, il n’y avait qu’un bus par jour et j’avais déjà dépensé mon argent
pour venir. C’est comme ça que je suis entrée dans la carrière des ateliers
d’écriture.
Pourquoi ai-je choisi Carver pour mon projet d’atelier ?
La lecture de Raymond Carver et Stephen Dixon est à l’origine de mon désir
d’écrire des nouvelles. De plus, dans la mesure où Carver a affronté toutes les
questions qui, en tant qu’écrivain, me semblent importantes, j’ai choisi au cours
de ma résidence de faire un atelier sur sa vie, ses écrits, ses relations à son éditeur.
En fait, j’avais commencé à penser au livre que j’allais écrire en voyant le film
Shortcuts de Robert Altman. Je connaissais bien cet univers car j’étais à l’époque
réalisatrice et j’avais des problèmes pour raconter une histoire linéaire, moi qui
avais tendance à plutôt assembler plusieurs histoires courtes.
Je n’ai pas choisi Dixon, car son écriture repose plus sur le style que sur l’idée de
narration.
J’ai donc commencé à réfléchir à ce premier atelier, à la manière de communiquer
aux participants les deux ou trois choses que je tenais à leur dire.
Pour commencer, ne songez à devenir écrivain que s’il s’avère impossible pour
vous de faire autre chose (parce que vous allez vous ennuyer dans une vie qui
vous laissera peu de loisir et ne sera guère gratifiante, vous allez devoir rester
assis à une table de travail au moins trois heures par jour sans compter le temps
qu’il vous faudra dédier à un travail sans doute de peu d’intérêt, car pas question
de sacrifier votre cerveau pour un travail qui risque de vous voler toute votre
énergie, votre substance et vos rêves).
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Deuxièmement, il vous faut travailler vos brouillons encore et encore, jusqu’à ce
que cela coule comme eau de source.
Troisièmement. Il n’y a pas de troisièmement.
En fait, la vie de Carver a été la synthèse de tous ces aspects que je ne vais pas
développer ici, car ce n’est pas mon sujet et la plupart d’entre vous connaissent
sans doute l’histoire de sa vie.
Mais une fois que j’ai eu dit tout cela à mon petit groupe dans ce village,
comment allais-je les faire écrire ?
Pédagogie américaine et manuels d’écriture créative.
Mon neveu était à l’époque à l’université en Californie : il venait de suivre un
atelier d’écriture et ses nouvelles fonctionnaient plutôt bien (même s’il n’en avait
jamais écrit une seule auparavant). Il m’a dit qu’il avait juste lu un manuel et fait
les exercices qu’il contenait ; alors, je lui ai demandé de m’envoyer le manuel. Et
c’est comme ça que j’ai commencé.
Le titre était : « What if ? » (Et si ?) Aux États-Unis, on n’a pas de problèmes, on
n’a que des solutions. Et là, j’avais sous les yeux 228 pages de solutions.
Il y avait un exercice au début de la méthode qui m’a particulièrement plu : il
s’agissait de cartes postales. Pour moi, quand on écrit, on s’adresse à quelqu’un :
c’est là qu’est toute la différence entre l’écriture d’un journal intime et celle d’une
nouvelle1.
1
Quand on écrit pour être lu, on s’adresse à quelqu’un, pas seulement à soi-même, on communique une
information.
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Maintenant, je choisis généralement au début du stage des photos et un début de
situation, différent pour chaque participant.
Par exemple : « Vous avez quitté votre mari. En vacances, vous regrettez et lui
écrivez une carte postale » ou : « Vous venez d’acheter une maison de campagne.
Vous écrivez une carte postale à un/e ami/e qui est jaloux/se et n’en a pas », ou
bien encore : « Vous n’avez plus revu votre premier amour depuis vingt ans ;
comme vous passez à l’endroit où vous vous êtes rencontrés, vous lui écrivez une
carte postale ».
Imposer ces points de départ différents empêche les étudiants de comparer leurs
histoires ou d’entrer en compétition.
Même si certains se montrent réticents devant l’exercice (trop simple, trop
enfantin, trop ennuyeux), je suis intraitable. Ils doivent le faire, parce qu’une carte
postale en dit long sur celui qui l’écrit. Pour moi, en tant qu’animatrice, c’est
l’occasion de saisir d’emblée leurs obsessions, leur registre, d’une manière qui se
révélera utile par la suite. Je propose ensuite un exercice individuel, pris dans leur
propre univers (cela ne marche pas toujours, mais c’est une première étape vers
l’individualisation du processus d’écriture).
La première phrase : et si on commençait par le milieu ?
Nous abordons ensuite la première phrase. Je donne à chacun un recueil de
nouvelles différent (Stephen Dixon, John Cheever, Edith Wharton, Dorothy
Parker, David Sedaris, etc.). Je leur demande d’ouvrir le livre au hasard et de lire
la première phrase, quelle qu’elle soit. Cet exercice permet de montrer qu’il n’y
pas de première phrase type, et d’échanger sur la question du moment où une
histoire commence réellement. Dans les nouvelles, le début se situe en fait au
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
milieu de l’action. Quelque chose s’est produit peu avant, et il faut en dire plus sur
la situation ou bien la résoudre : c’est cela l’enjeu d’une nouvelle.
Chacun tire au hasard une première phrase copiée sur un petit papier : c’est là que
commencera l’histoire, déjà en plein cœur de l’action… (leçon 2, page 7 du livre
d’Anne Bernay).
Quand les participants ont rédigé deux histoires courtes, nous nous intéressons
aux fins (je leur redonne les livres). Existe-t-il une phrase de fin type, une
« morale », que trouvons-nous comme dernière phrase ? En fait, nous parcourons
l’histoire entière pour comprendre comment cela fonctionne. Puis nous revenons à
la nouvelle de Carver que je leur ai demandé de lire à la maison : “Where I’m
calling from” (Là d’où je t’appelle).
Nous en arrivons alors à la notion de sous-texte.
« Là d’où je t’appelle » porte essentiellement sur le sous-texte, au point que c’est
devenu le titre du recueil des meilleures histoires de Carver.
En fait, le titre lui-même est un bel exemple de sous-texte. « Là d’où je t’appelle »
évoque le lieu d’où quelqu’un « parle », c’est-à-dire, pour un écrivain qui choisit
de donner ce titre à la collection complète de ses textes, le lieu d’où il « écrit ».
Car lorsqu’on trouve le lieu d’où on écrit, on trouve ce dont on va parler.
La nouvelle parle d’un alcoolique en cure de désintoxication dans un centre
spécialisé dans lequel l’instructeur est lui-même un ancien alcoolique. Elle
raconte les difficultés de la thérapie et la relation entre tous les patients (ce qui
constitue aussi la cure elle-même). Elle montre le chemin qu’ils vont prendre pour
arrêter de boire (ou non).
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La raison pour laquelle j’insiste sur le sous-texte dans mon atelier, c’est parce
qu’à mon sens, il est lié directement à ce à quoi doit ressembler une histoire,
qu’on le veuille ou non. Et cela se perçoit essentiellement à la fin. Une histoire
peut être intéressante et bien écrite, mais vaine. En fait, si vous n’avez rien de
surprenant à dire, quelque chose que vous ignoriez vous-même avant de vous
mettre à écrire, s’il n’y pas cet élément insidieux, vous n’écrirez pas des histoires
émouvantes.
Dans les histoires de Carver, cet élément insidieux apparaît dans le sous-texte
d’une manière très caractéristique ; en parlant d’autre chose, sans relation avec
l’histoire, il donne une information que le lecteur pourrait ne pas voir, mais qui
constitue le sous-texte, la métaphore de l’histoire2.
Selon les mots de Carver, « écrire des nouvelles permet de passer des
informations d’un monde à un autre3 ». Il s’agit de dire quelque chose. C’est une
manière originale de parler de littérature, très directe et qui peut apparaître sans
charme alors qu’elle n’est que réaliste.
La dernière phrase et le sous-texte.
J’ai remarqué que les gens ont des difficultés à finir leurs histoires, cherchent
comment tout dire dans la dernière phrase, et ils sont souvent assez têtus làdessus.
Ils veulent absolument que les lecteurs comprennent ce qu’ils veulent dire. Mais
ça ne marche pas comme ça. Dans les histoires de Carver par exemple, il y a
l’histoire des personnages, vue du point de vue du narrateur, et puis quelque chose
se produit qui n’est pas directement lié à l’histoire (événement connexe), un
2
3
Souvent, dans un roman, la métaphore est elle-même l’histoire.
Raymond Carver, Les feux.
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événement qui donne une lumière différente, un autre angle à l’histoire, et j’ai
pensé que cela valait la peine de l’expliquer aux futurs auteurs. Car c’est là que se
révèle le sous-texte. 4.
Parfois, c’est l’humour qui sert de sous-texte (Woodehouse, Sedaris), il est caché
dans les faits inconscients racontés à quelqu’un d’autre d’une manière étrange ou
déplacée. L’humour n’est jamais explicite, il est induit, connoté, lié à la vision de
la vie qu’a l’auteur.
Mais il n’y a guère d’humour chez Carver. Le charme de ses histoires est dans le
sous-texte, dans tout ce non-dit entre les gens, qui tend à cette émotion que
contiennent les dernières lignes de l’histoire sans en faire une conclusion
satisfaisante, et c’est ce qui reste en refermant le livre.
Extrait de « Là d’où je t’appelle » 5:
Premières phrases
« J.P. et moi, on est sur la véranda, devant la maison de désintoxication
de Frank Martin. Comme nous tous chez Frank Martin, J.P. est avant
tout un ivrogne. Mais il est aussi ramoneur. C’est la première fois qu’il
vient, et il a peur. Moi, c’est la deuxième fois. Qu’est-ce qu’il y a à en
dire ? Je suis revenu, c’est tout ».
Après que J.P ait fait une crise au moment du déjeuner, Frank leur raconte que
Jack London vivait de l’autre côté de la montagne, et comment la boisson l’avait
4
Il s’agit là du charme, du mystère, du non-dit de l’histoire. Le non-dit et le sous-texte (à mon avis) font le sel de
l’histoire. S’il n’y a pas de sous-texte, il n’y a pas d’histoire. Ce n’est plus qu’un texte (même si ce n’est pas
forcément vrai pour d’autres auteurs que Carver).
5
In Raymond Carver, Les vitamines du Bonheur trad. Simone Hilling – ed. Mazrine , 1985.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
mené à sa perte. Puis ils retournent tous dans leur chambre. Le protagoniste
regarde dehors par sa fenêtre.
Derniers paragraphes
« Peut-être cet après-midi, plus tard, j’appellerai ma femme. Et après,
j’appellerai
pour savoir comment va ma nana. Mais j’ai pas envie
d’avoir son môme à la redresse au bout du fil. Si j’appelle, j’espère qu’il
sera allé quelque part, faire ce qu’il fait quand il n’est pas à la maison.
J’essaye de me rappeler si j’ai déjà lu des livres de Jack London.
J’arrive pas à me souvenir. Mais j’ai lu une histoire de lui à l’école ;
« Pour faire un feu », ça s’appelait. C’est un type qui est en train de
geler dans le Yukon. Imaginez-ça – il va mourir de froid s’il arrive pas à
allumer un feu. Avec du feu, il peut faire sécher ses chaussettes et ses
affaires et se réchauffer. Il allume son feu, mais alors voilà autre chose.
Un paquet de neige tombe dessus. Il s’éteint. Pendant ce temps, la
température baisse de plus en plus. La nuit tombe.
Je sors un peu de monnaie de ma poche. Je vais d’abord essayer chez ma
femme. Si elle répond, je lui souhaiterai Bonne Année. C’est tout.
J’élèverai pas la voix. Même si elle me cherche des crosses. Elle me
demandera d’où je l’appelle, et je serai bien forcé de le lui dire. Je
parlerai pas de bonnes résolutions de Jour de l’An. C’est pas un sujet de
plaisanterie. Après, j’appellerai ma nana. Peut-être que je l’appellerai
d’abord. Mais j’espère que c’est pas son môme qui décrochera.
- Hello mon chou, je dirai quand elle répondra. C’est moi. »
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
L’émotion est tout entière dans les blancs, c’est au lecteur de les remplir avec ses
propres idées. Les blancs de l’histoire représentent les pensées indicibles du rêve,
ou les interstices qui précèdent les décisions. Et c’est là que Carver saisit ses
personnages.
Car la question est toujours : que faire, que dire à cette personne en particulier,
jusqu’où aller dans la confession de ce qui nous appartient, ce qui nous est
précieux ? Que pouvons-nous supporter ? Quelle est la limite ? Il s’agit aussi du
secret, de ce que nous pensons au fond de nous-mêmes, que nous ne voulons pas
révéler.
Comment faire parler du non-dit ?
Je mélange des techniques issues de différents manuels en plus des miennes
propres pour créer un exercice spécial qui est, d’une certaine manière, le moment
d’impulsion de l’atelier. Tout ce qui s’est déroulé auparavant tendait vers ce
moment, celui de l’expérience du non-dit.
Je prends plusieurs photos dans un livre sur Carver, des photos prises dans les
lieux où il a vécu, et :
1- J’en donne une à chacun des participants (toutes différentes)
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
2 – Je leur demande:
- de décrire la photo de manière aussi précise que possible, en prenant note de
tous les termes associés, le vocabulaire (table, pantalon sale, mains énormes, etc).
Juste décrire, sans penser à une histoire.
- de donner un titre à la photo.
- d’imaginer le point de départ d’une histoire.
- d’imaginer qu’ils ont un lien avec cette scène. Par exemple, une assistante
sociale qui vient rendre visite aux protagonistes, ou un membre de leur famille
(fils, fille) qui vient les voir.
Puis nous travaillons sur le nom des personnages : nous en choisissons plusieurs
(cela met en jeu l’imagination et contribue à la caractérisation)6.
Je leur demande enfin de résumer l’histoire en dix lignes. Où cela commence, où
cela va.
3 – Je distribue une seconde photo que j’estime pouvoir relier à la première, et je
leur demande de raconteur l’histoire qu’ils y voient en deux lignes. Noter le
vocabulaire et donner un titre. Ce sera le point de départ d’une nouvelle histoire...
6
Pour la caractérisation, si nous avons le temps, nous faisons des exercices tels que : « c’est le genre de
personne qui…. », ce qui génère une liste de caractéristiques physiques, des traits de personnalité, des habitudes,
une liste prénoms possibles.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
4 – Je leur demande d’écrire la première histoire et d’y incorporer la seconde dans
la troisième partie.
Vous avez compris que la seconde histoire sera le sous-texte de l’ensemble, ou du
moins l’instrument d’une histoire plus « habitée », plus profonde.
Puis nous vérifions si la dernière phrase revient bien au titre, si ce titre constitue
bien un sous-texte de l’histoire. Et c’est tout (même si d’autres écrivains ne
procèdent pas ainsi, ce que tout le monde me rappelle à ce stade).
Exemples d’associations:
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Pour approfondir : une conversation entre Carver et Don Swain à New York en
1983 sur CBS. http://www.wiredforbooks.org/index2.htm
NB: Les photographies sont extraites du livre « Le monde de Raymond Carver ».
Photographies de Bob Adelman. Éditions de la Martinière, 2006.
De quelle manière l’enseignement affecte-t-il la manière dont on écrit ?
En fait, l’analyse de la manière dont une nouvelle est faite n’est pas
quelque chose d’inspirant pour un auteur. Cela donne l’impression de connaître
tous les éléments de la construction d’une histoire, la recette de sa fabrication,
comme une tarte aux pommes. Et alors, pourquoi écrire des histoires si vous savez
déjà comment cela doit finir et comment tout cela s’articule ?
Cela réduit le pouvoir de l’émotion pure, même si je sais désormais pourquoi
j’aime Raymond Carver, et si j’aime toujours ses nouvelles, tout en en
connaissant mieux la construction (et même si lui-même n’y a jamais pensé de
manière analytique). Mais quand j’ai essayé de faire mon propre exercice, j’ai eu
l’impression que mes histoires étaient plus artificielles, alors j’ai arrêté d’utiliser
moi-même mon exercice. Il y en a un, cependant, que j’aimerais faire un jour ; il
est tiré de la leçon de Richard Russo : « Que faire d’un personnage difficile ».
Pour conclure, je m’aperçois que je n’ai pas dit de quelle façon l’animation
d’ateliers a changé ma manière d’écrire.
Je pense qu’il y a des choses qui doivent rester non dites, ou peut-être est-ce plutôt
que le non-dit est caché quelque part dans ce que j’ai dit, dans ce dont je n’ai pas
parlé tout en parlant d’autre chose.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Fred LEEBRON (États-Unis)
Le champ temporel dans la fiction
Que ce soit comme écrivain ou comme enseignant, j’ai toujours été obsédé par le
temps. J’avais envie de savoir combien de temps se déroulait dans une histoire, et
comment ce temps était abordé ; mais quand je réfléchissais à cette question, je
n’avais pas un nombre infini de réponses. Ce n’est pas un sujet très inspirant, c’est
du labeur, cela amenait une série de questions qui se posaient à la fois sur mon
propre travail et sur celui des autres dont je devais faire la critique ; cela revenait à
dénicher les éléments temporels sans jamais s’arrêter sur la temporalité même
d’une histoire.
Une de mes propositions favorites en atelier part de l’histoire de Denis Johnson,
« Dundun ». Je l’utilise d’abord pour étudier les diverses possibilités de fins, et
comment celle de « Dundun » met en œuvre un certain nombre de stratégies
(douze ou quatorze pour être exact) qui ouvrent alors l’histoire vers un nombre
infini de possibilités d’expansion. Même si je comprenais, en étudiant l’univers de
l’histoire et les lignes directrices des trois derniers paragraphes, le parti pris
d’ouverture de Johnson, je ne parvenais pas tout à fait à quel point cela constituait
ce que j’ai finalement nommé le champ temporel de la fiction.
Mais là, il faut regarder la fin et la manière dont chaque ligne se place dans le
déroulement du temps (copie 1). Et on comprend alors de quelle manière ce
déroulement crée le champ temporel de la fiction (copie 2).
En quoi est-ce si important ? Pour moi, cela illustre le fait que l’auteur a toutes les
temporalités à sa disposition, le passé en amont de l’histoire personnelle, le
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
présent dans une focale élargie, le futur en aval de ce que les personnages ou le
narrateur croient savoir. C’est-à-dire que, en tant qu’écrivains, nous ne devrions
jamais nous sentir bloqués (si on veut voir les choses de manière idéaliste), parce
que tout le contenu d’une histoire est là, à disposition de l’auteur, pourvu qu’il lui
vienne de ses personnages. Ce point de vue sur la temporalité signifie que le
temps fait tout dans une narration et conjure l’instinct premier qui nous
empêcherait de croire, avant de poser un mot sur le papier, que tous les univers
sont possibles. Une compréhension de ce champ de la temporalité dans la fiction
nous amène à penser que, même si nous sommes en plein travail sur la narration,
tout contenu et tout univers restent possibles.
Le plus vieux tremplin vers la fiction, ce sont ces quatre mots qui nous restent de
l’enfance : « Il était une fois ». Ils ouvrent sur la promesse que quelque chose
d’extraordinaire va se produire à un moment donné, et que c’est la raison d’être de
l’histoire. Et nous voyons bien que, quel que soit le point de la fiction où nous
nous trouvons, ces quatre mots restent notre tremplin de prédilection vers le
voyage que nous désirons entreprendre. La promesse des « Il était une fois »
n’existe pas seulement au début de l’histoire, elle existe, comme l’a démontré
Johnson, tout au long, jusqu’à la fin. Toute temporalité importe, et les possibilités
sont infinies, jusqu’au point final.
Et ce champ temporel de la fiction représente une source d’inspiration, une
libération. En tant qu’enseignants, si nous pouvons ouvrir ce champ des
possibilités dans nos cours d’écriture et nos ateliers, nous pouvons être sûrs que
nos étudiants sauront faire face au défi que représente l’écriture – mettre un mot
après un autre. Car cette notion de temporalité peut être l’élément déclencheur de
l’approche de l’écriture créative, et pas seulement un outil de la fiction.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
L’ÉNONCIATION EN QUESTION
Marina GELLONA (Italie)
Le temps de l’ivresse: trouver sa propre voix dans l’écriture
Pendant mon atelier sur les contes de fées (mais j’ai remarqué la même chose sur
d’autres genres), ma collègue Simona Garbarini et moi avons réalisé que les textes
de nos participants avaient deux types de problèmes. Soit ils étaient trop profonds
(en mesure de répondre à des préoccupations importantes, reflétant empathie et
expérience) mais absolument pas fluides. Soit ils étaient très fluides mais
totalement superficiels. J’en ai conclu qu’il me fallait trouver des métaphores
efficaces pour faire comprendre aux gens les notions de profondeur et de surface
en matière d’écriture.
Je vais vous présenter ici quelques réflexions sur la manière de faire comprendre
aux gens le « mouvement » sur lequel ils peuvent se fonder pour allier une
profondeur de vue et de sens à la structure et au style d’une histoire. Je ne cherche
pas à donner des règles, mais plutôt à suggérer des « étoiles », de celles qui
servent aux marins à se diriger. Des marins m’ont expliqué que lorsqu’on est en
mer loin des côtes, loin des terres, il faut réussir à savoir où on se trouve (être
conscient de ce qu’on fait) uniquement grâce aux étoiles. C’était d’une
importance capitale pour les découvreurs des XVe et XVIe siècles car ce n’était
qu’en s’éloignant des côtes qu’ils pouvaient arriver quelque part.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
C’est sans doute plus compliqué que cela ; mais je veux juste dire que j’aimerais
que les gens sortent de l’atelier en connaissant le Nord et le Sud de la fiction,
c’est-à-dire, à mon sens, la relation entre profondeur et surface. L’idée est de
s’assurer que l’exploration est réelle sans risque de (trop) se perdre soi-même en
route.
En fait, mes étudiants (à savoir des adultes ou des adolescents de 11-12 ans)
m’ont eux-mêmes amenée à cette métaphore marine. A la fin d’un atelier, je pose
généralement quelques questions pour savoir comment les participants ont vécu
l’expérience. Et je leur demande d’y répondre en un semblant de fiction, d’écrire
une histoire. Chacun, comme vous pouvez bien l’imaginer, s’est concentré sur
certains points précis de la progression. En voici quelques-uns : « Ça a été un
voyage formidable, j’ai découvert des choses que je ne connaissais pas et,
seulement par l’écriture, visité un nouveau lieu, exploré l’île inconnue » ; « C’est
comme de faire du vélo, ça m’inspire » ; « Comme jouer au football (beaucoup de
métaphores là-dessus !) » ; « Jouer comme lorsqu’on est enfant : pas de jugement,
rien n’est mal » ; « On peut devenir ce qu’on veut, on est le roi, on crée un monde
parallèle » ; « Des claquettes sur un champ de mines » ; « C’est comme inventer
une nouvelle mer, une mer de mots » ; « Rêve éveillé, réflexion nocturne (rêver
les yeux ouverts, réfléchir les yeux fermés) » ; « Être moi-même, laisser les
émotions inconnues et dormantes s’exprimer » ; « Je me suis senti libre, je
pouvais libérer certaines émotions et les communiquer à d’autres ». L’idée du
voyage, du rêve, de la création d’un monde parallèle, de la liberté, d’être le roi est
bien là, rassemblant les deux aspects de la création : liberté et découverte
associées à une structure compréhensible par le lecteur.
Comme le dit Ahdaf Soueif, un auteur égyptien : « Notre devoir est de raconteur
l’histoire qui nous vient de la manière la plus efficace possible. Mais nous ne
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
choisissons pas cette histoire : nous sommes poussés jusqu’au plus profond de nos
sentiments. Un travail de fiction fonctionne sur l’empathie – l’extension de soimême vers l’autre, la volonté de s’imaginer à la place de l’autre. C’est en soi un
acte politique : l’empathie est au cœur de bien des actions révolutionnaires.
Plus je réfléchis sur ce sujet, plus je me dis qu’il me faut trouver des exemples,
des métaphores, des scènes dans les arts (en littérature mais aussi dans les autres
langages artistiques) pour découvrir des points de vue sur la question.
- Comment faire jaillir les émotions, les histoires, les questions.
- Comment travailler dessus pour qu’elles ne perdent pas leur profondeur mais
que ce soit néanmoins possible de les communiquer au lecteur.
- Pourquoi est-ce si difficile d’être à la fois profond et superficiel ?
Un texte qui m’a alors semblé utile est l’Insoutenable légèreté de l’être, de Milan
Kundera, et plus particulièrement cette partie :
« Tereza essayait de se voir au travers de son corps. C’est pourquoi,
depuis son enfance, elle se mettait si souvent devant un miroir. Et parce
qu’elle craignait que sa mère la surprenne, chaque regard dans le miroir
avait une nuance de vice secret. Ce n’était pas la vanité qui la poussait
devant le miroir, c’était l’émerveillement de voir son propre « moi ». Elle
oubliait qu’elle regardait en réalité le tableau de bord des mécanismes
de son corps ; elle croyait y découvrir son âme, transparaissant dans les
traits de son visage. Elle oubliait que le nez n’était en fait que
l’embouchure d’un tuyau qui servait à amener l’oxygène aux poumons ;
elle le voyait comme l’expression de sa vraie nature. En se regardant,
elle était parfois irritée de reconnaître les traits de sa mère sur son
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
visage. Alors, elle s’obstinait, regardait son reflet en espérant les effacer
pour ne voir que ce qui lui appartenait en propre. A chaque fois qu’elle y
parvenait, elle ressentait comme une ivresse, son âme s’élevait à la
surface de son corps comme un équipage surgissant de la cale, se
répandant sur le pont et saluant le ciel en hurlant de joie. »
Si nous considérons Tereza comme la métaphore de l’écrivain, elle nous signifie
que l’habitude de garder son âme au secret peut être difficile à perdre. Mais cela
soulève une autre question : c’est une question de temps, de résistance (ici,
l’atelier peut aider) ; le miroir comme une page blanche, son conflit entre l’âme et
le corps au fil du roman est captivant. Elle tombe amoureuse d’un chirurgien qui a
tant d’autres relations avec des femmes qu’elle retombe dans son problème
d’enfance et d’adolescence : qu’est-ce qui fait d’elle un être différent des autres, si
tous les corps sont intéressants ? Si nous lisons la métaphore, nous comprenons
que le fait d’utiliser le corps (action, paysage, objets) pour dire l’âme de nos
personnages est un des thèmes principaux de nos ateliers. Il n’est qu’à lire ce
qu’un élève de douze ans a écrit : « avec des choses ordinaires comme nos cinq
sens, des choses auxquelles nous n’accordons pas d’importance dans la vie de
tous les jours, ou bien les choses que nous aimons ou détestons… je peux faire
une histoire. C’est ça que j’ai appris. »
Kundera dit: « Ce qui est unique dans le je se cache exactement dans ce qu’on
ne peut imaginer de l’autre. Nous ce que nous sommes capables d’imaginer est ce
qui rend chacun semblable à l’autre, ce que les gens ont en commun.
L’individu je est ce qui diffère du lot commun, c’est-à-dire, ce qui ne peut être
ni deviné ni calculé, ce qui doit être décelé, découvert, conquis ».
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
L’amant de Tereza est Tomas, le chirurgien. Tomas se pose lui aussi des questions
sur l’identité, il voit des identités variées chez les femmes. Qu’est-ce que cela
nous dit sur le processus créatif ? Son travail l’amène en contact avec les corps
mais il veut voir ce qu’il y a derrière. Il veut guérir. Le conflit est entre l’amour
pour une femme et la découverte sexuelle des corps des autres femmes. Ce que
cela nous raconte, c’est, entre autres choses, l’image par laquelle on s’incarne.
Kundera nous dit que Tomas est né comme un homme debout à la fenêtre et
regardant le mur en face de lui en se demandant s’il prend la bonne décision. Son
souhait le plus profond, c’est de voir ce qui se cache de l’autre côté des choses,
mais aussi de rendre Tereza heureuse. Et c’est cela qu’il décide finalement,
rendant un amour réciproque possible. Dans le processus créatif, il est possible de
s’acheminer dans une histoire en faisant le choix de l’empathie.
Autre chirurgien, autre scène : le fil de Pedro Almodóvar, La piel que habito, qui
nous montre une approche légèrement différente des « émotions ». L’obsession du
chirurgien d’Almodóvar est différente : il essaye de synthétiser une peau parfaite
capable de résister aux brûlures, coupures et autres blessures, mais une peau
parfaite a besoin d’un support humain ; il kidnappe donc son cobaye. Ici, il s’agit
d’un travail contre l’identité, qui semble dire à ceux qui tentent d’écrire des
histoires qu’il ne faut pas travailler sur la peau, mais de se concentrer sur l’identité
qui cherche à se libérer, à sortir.
Le cobaye écrit sans cesse sur le mur, ce mur qui appartient à un homme qui ne
sait pas entendre la réalité de ce qu’est sa victime.
En fait, les écritures sur les murs me fascinent. Ces graffitis se révèlent parfois de
parfaits sujets d’histoires, des reflets de conflits ou de sagesse. Ils soulèvent des
questions auxquelles ils ne répondent jamais. C’est un peu comme ce qui se passe
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
lorsqu’on écrit. Mais revenons à des exemples d’artistes qui se réfèrent à leur
propre vie, leur propre corps. Ce serait intéressant de s’appuyer sur l’exemple
d’une artiste qui utilise la photographie pour se regarder elle-même dans son
monde. Elle peut voir l’âme à la surface des corps de ceux qu’elle aime. C’est une
question de temps, de ne jamais lâcher son appareil photo (ce que je demande à
mes étudiants : faire), elle écrit des journaux intimes mais ne les publie jamais. Il
s’agit de Nan Goldin : voyez par exemple son « autoportrait à l’hôtel Baur au Lac,
Zurich 1998 », Matthew Marks Gallery. Elle dit: « La photographie n’est pas pour
moi distance, elle est contact, comme une caresse ». Une autre photographe,
Francesca Woodman semble nous dire qu’il faut trouver un moyen de sortir du
mur pour enfin se voir dans le miroir.
Kundera fait dire à Tomas que la terre et la vie sont la planète de l’expérience.
La page peut-elle être le miroir sur lequel refléter l’expérience ? Sur lequel
découvrir le poids, le sens, les significations de l’expérience ? Le monde parallèle
dont parlent mes étudiants à propos de l’écriture ?
Je ne sais toujours pas jusqu’à quel point ces considérations peuvent aider mes
étudiants dans leur recherche sur l’écriture. Mais en tant qu’animatrice, j’ai
ressenti le besoin de les élaborer. Je verrai bien si elles sont comprises et si elles
aident les gens. Pour finir, une anecdote. Au cimetière du Père Lachaise, ici à
Paris, il y a la tombe de Jim Morrison. Il y a beaucoup de chewing-gums collés
alentour. Pourquoi ? me suis-je demandé. Il doit y avoir une raison. L’histoire que
j’imagine est qu’un garçon est arrivé là ; il mâchait un chewing-gum. Il a eu une
brusque envie de chanter en voyant la photo de Jim Morrison. Alors il a collé son
chewing-gum sur un arbre et a commencé à chanter “People are strange, when
you’re stranger”(« les gens sont étranges quand on est un étranger »), de toute
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
son âme, rien qu’en regardant la pierre tombale et en se remémorant la chanson.
Puis d’autres en ont fait autant. Mais la voix qui chante s’efface, les mots écrits
restent. Qu’est ce que l’écriture? C’est tout l’objet de notre travail. Peut-être
écrivons-nous que les gens sont étranges ?
Marie HALOUX (France)
L’écriture du travail
Voir le résumé page 12.
Dario HONNORAT (Italie)
La maîtrise d’une langue : une histoire sans fin
Ayant enseigné les langues étrangères et l’écriture créative, j’ai pu remarquer des
similitudes entre les deux démarches ; c’est ce que je vais tenter de vous expliquer
ici. Pour ce faire, je me concentrerai sur la part « enseignable » de l’écriture
créative (car pour moi, dans l’écriture créative comme dans n’importe quelle
matière, il existe une part « enseignable » et une part « non-enseignable ».
Wittgenstein a déclaré : « A un certain point, l’explication trouve sa limite »).
Bien des gens doutent de la part enseignable de l’écriture créative. Mais personne
ne doute de celle qui existe dans l’enseignement d’une langue étrangère. On le
voit comme une sorte de continuum à partir de zéro, comme un bébé qui apprend
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
à parler, ou un étranger qui découvre une nouvelle langue et passe par tous les
stades de l’apprentissage.
En choisissant des exemples dans ma propre vie, du jour de ma naissance à
aujourd’hui, je tente de démontrer et de souligner ce continuum dans
l’apprentissage d’une langue, des premiers mots du bébé aux techniques
complexes de la narration et aux figures rhétoriques.
Par exemple, j’ai démontré que les niveaux de compétence en langue les plus
élevés (niveaux C1 and C2) incluent des compétences subtiles d’expression, telles
que la capacité à percevoir un sens implicite, un sous-texte, à différencier des
nuances fines de sens. Les exercices et activités que je proposais quand
j’enseignais l’italien au plus haut niveau à des étrangers ne sont guère différents
des activités que j’ai trouvé les plus profitables dans les ateliers d’écriture.
On retrouve l’importance de la pratique dans les deux matières, l’importance
d’avoir un lecteur pour les textes des étudiants, quelqu’un capable d’aller au fond
du texte, de souligner les détails, de relever des exemples. J’ai aussi toujours
trouvé plus profitable de travailler en groupe d’un maximum de 15 personnes, que
ce soit pour l’écriture créative ou une langue seconde.
En appliquant la théorie du « continuum naturel de l’apprentissage » qu’on trouve
dans la didactique des langues secondes, à l’écriture créative, j’ai fini par mettre
en lumière quelques aspects fondamentaux de l’écriture créative de fiction,
aspects que j’ai baptisés « éléments ». Dans mes premiers cours d’écriture
créative, je proposais des exercices sur ces éléments : descriptions, dialogues,
intrigue, personnages. Et puis nous commencions à assembler ces éléments.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
C’est ainsi que j’ai essayé de structurer mes cours, de constituer un chemin facile
à suivre pour les étudiants, pour les amener à créer leurs propres nouvelles. Plus
ils parcouraient ce chemin, plus ils progressaient, plus je leur demandais de
maîtriser de nouveaux éléments. Et plus les exercices se complexifiaient, plus les
textes devenaient des histoires élaborées.
Ce continuum de l’apprentissage démarre à un point précis, à savoir au jour de
notre naissance, ou bien au jour où on décide d’apprendre une nouvelle langue.
Mais le processus est sans fin : on peut continuer à s’exercer, à progresser, à
pratiquer seul ou avec d’autres.
Et puis, l’apprentissage d’une langue est un chemin où les carrefours se
multiplient au fil de l’apprentissage : plus on apprend, plus on a de choix
d’expression, plus on peut décider de se spécialiser dans un domaine ou un autre,
plus on peut opter pour un sous-langage ou un autre. Il existe un nombre
incalculable de manières de pratiquer une langue, qui sont plus ou moins
créatives. Le nombre de structures et de techniques à connaître est infini, de même
que les nuances de sens de chaque mot et le nombre de mots qui reste à inventer.
Donner aux étudiants des conseils sur la manière de démarrer un projet de
création, de se donner une voix, un univers, est quelque chose de très difficile.
Comme enseignant d’écriture créative, il m’arrive très souvent de dire « peutêtre » : « peut-être faut-il couper cette partie », « peut-être faut-il insister ici »,
« peut-être y a-t-il un mot plus adéquat »... car, en ce qui concerne la créativité, il
n’y pas de règles, et même s’il y en avait, il y aurait beaucoup d’exceptions pour
les accompagner.
Je pense que la partie non enseignable de la langue augmente au fur et à mesure
que les étudiants progressent, et la partie enseignable diminue en même temps.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Mais je reste convaincu que dans l’enseignement de l’écriture créative, il s’agit
avant tout d’aider les étudiants à trouver le chemin de leur propre progression.
ENSEIGNER AUX ENFANTS ET ADOLESCENTS
Enrica AJÓ (Italie)
Pourquoi les filles sont meilleures que les garçons
En fait, ce que je voulais dire, ce n’est pas « pourquoi les filles sont meilleures
que les garçons » mais plutôt « pourquoi je préfère les filles aux garçons ». Voilà,
c’est dit ; je vais donc pouvoir commencer ma présentation.
Quand j’ai commencé à enseigner aux enfants, ce n’était pas vraiment une
manière de gagner de l’argent. Gagner de l’argent, c’est une chose que je ne sais
pas faire : il y a des gens qui savent, et même si ma famille est pour partie
d’origine juive, la seule fois où j’ai gagné de l’argent, c’est à l’âge de 7 ans :
j’avais pris tout ce que contenait le réfrigérateur de ma mère, fait des sandwiches
et les avais vendus aux passants. Une autre fois, j’ai vendu les jouets de mes
copains, parce qu’ils étaient plus beaux que les miens. En fait, je ne sais gagner de
l’argent qu’en vendant ce qui appartient aux autres ! La partie juive de ma famille
n’est pas riche. C’est là que c’est drôle : on hérite des cheveux frisés mais pas du
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
sens de l’argent. J’ai toujours attristé ma famille par mon inaptitude à gagner de
l’argent, et ce n’est pas une plaisanterie. D’ailleurs, j’ai honte d’être ici
gratuitement et je n’ai pas parlé de mon voyage à Paris à mon père ! Passons... je
ne suis pas là pour vous parler de ma relation à l’argent. Ce sera le sujet de ma
seconde présentation demain. Et puis... pour ceux d’entre vous qui aiment les
blagues juives, vous savez ce qu’on dit : je peux en faire puisque je suis à moitié
juive !
Revenons-en à l’écriture : lorsque j’ai commencé l’enseignement avec les enfants,
ce n’était donc pas vraiment pour gagner de l’argent. C’était plutôt pour faire une
expérience nouvelle sur quelque chose de nouveau que j’étais censée aimer.
J’avais déjà travaillé pour des mini clubs et des centres aérés, et tout ce que j’en
avais appris, c’est que les choses étaient plus faciles avec les filles. Elles savaient
rester assises en lisant, elles aimaient les coloriages, elles adoraient fabriquer des
devinettes pour les chasses au trésor.
Je pouvais rester des après-midis entiers assise avec mes chouchoutes en train de
faire les ongles de leurs copines, de manger des glaces, de regarder la mer comme
si nous étions les meilleures des pirates au féminin.
Car tout était vraiment compliqué avec les garçons : ils criaient, se battaient, et
lorsqu’ils jouaient à être des tortues Ninja, leurs dialogues étaient parfaitement
ineptes. Alors quand j’ai commencé mes cours, j’ai tout fait pour ne m’adresser
qu’à des filles.
J’ai fait ce flyer promotionnel (PHOTO). Quand vous fabriquez ce genre de
publicité, vous savez parfaitement que vous allez perdre 50% de votre public cible
par défaut.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Et quand, en plus, vous proposez des ateliers d’écriture l’été, à un moment où tous
les enfants ne pensent qu’à monter à cheval, aller nager avec des crocodiles, et
prendre des bains de soleil, vous perdez les 50% restants.
Je ne suis sans doute pas une grande stratège, mais je viens de vous prouver ma
grande connaissance des règles du marketing et de ma cible : c’est la raison pour
laquelle, au début de notre stage, nous n’avions qu’un participant, et c’était une
fille.
Elle s’appelait Camilla et avait environ 7 ans, l’âge où j’avais vendu mes
sandwiches. Souvent dans mes histoires, mes personnages ont environ 7 ans : je
prolonge sans doute inconsciemment ma vente ! Elle était fille unique et SI
normale. C’est en y repensant pour cette présentation que j’ai réalisé à quel point
elle était normale. Et c’est sans doute à cause de cette « normalité » que je trouve
les filles généralement plus intéressantes et que je les préfère aux garçons.
Il y a peut-être aussi un lien avec une discussion sur La Guerre des Étoiles que j’ai
eue avec une amie récemment. Je lui ai avoué n’avoir jamais vu Top Gun et ne
pas être sensible à la numérologie de La Guerre des Étoiles, même si j’en apprécie
la mythologie. Nous en avons conclu que c’était sans doute parce c’étaient des
trucs de garçons, pas trop intéressants pour des filles.
Je vais avoir du mal à vous rapporter mes réflexions dans une langue que je ne
maitrise pas trop bien, mais je vais essayer. Pour moi, les enfants ont des
approches opposées du monde et du rôle qu’ils y jouent quand ils tentent de le
décrire. Les garçons prétendent être quelqu’un d’autre, des alter egos, des super
héros, des versions différentes d’eux-mêmes. C’est un peu comme s’ils pensaient
qu’ils se doivent d’être plus forts et meilleurs, alors ils racontent des histoires, des
fictions qui se déroulent dans des lieux de fiction où des choses incroyablement
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
dangereuses se passent. Les filles, elles, parlent souvent d’elles-mêmes et de ce
qui leur est proche. Parfois, elles utilisent un pseudonyme, la plupart du temps très
proche de leur vrai nom. Par exemple, lorsque j’étais petite, j’avais cette
magnifique poupée qui était exactement comme je voulais être plus tard : de longs
cheveux blonds (comme je les ai eu en fait jusqu’en mai dernier), de grands yeux
bleus et elle était PARFAITE. Je m’appelle Enrica, mais je n’ai jamais trouvé ça
trop féminin, alors je l’avais appelée Elisa. C’était mon alter ego, mais un jour,
quelqu’un l’a cassée. Je l’ai mise de côté définitivement.
Tout ceci pour vous parler du désir insatiable des femmes d’être parfaites et de
notre crainte du jugement des autres sur notre aspect physique. Les histoires des
filles ne parlent que de ça, et de leur famille et du garçon (ou de la fille) dont elles
sont amoureuses ou qui est leur meilleur/e ami/e. Elles cherchent à comprendre ce
qu’elles ressentent. Elles veulent que vous sachiez pourquoi elles aiment ou
détestent les gens. Elles veulent que vous sachiez pourquoi elles s’habillent de
certaines manières, pourquoi leurs cuisines sont si belles et rien ne les arrête
jusqu’à ce que vous ayez compris quelle est leur fleur favorite et pourquoi. Elles
décrivent pour que vous compreniez et les aimiez.
Alors que les garçons, eux, écrivent des histoires pour vous empêcher de
découvrir ce qu’ils sont réellement. Pour moi, les filles ne sont pas vraiment
« spéciales » en elles-mêmes, mais plutôt par leur manière de regarder le monde et
les autres. Je les trouve plus intéressantes parce que je crois que la fantaisie et
l’invention sont sans limites alors que la vie en a, et que je suis plus intéressée par
la vraie vie que par quelque chose qui n’existe peut-être pas et dont tout le monde
se moque.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Harri ISTVÁN MÄKI (Finlande)
L’écriture créative et les enfants
Les enfants adorent utiliser leur imagination et écrire des histoires. Pour
l’enseignant, c’est simple : il suffit de les préparer et de laisser ensuite leur
créativité suivre son cours. Je vais vous parler ici que quelques-unes des stratégies
qui permettent de faire démarrer les jeunes écrivants du bon pied.
Les élèves n’ont pas à se soucier de la grammaire lorsqu’ils font de l’écriture
libre. C’est une activité qui leur permet de faire émerger des idées d’histoires, ou
des points de départs pour des écritures plus élaborées. Ils peuvent utiliser la
phase d’écriture libre comme guide pour la suite.
Ils peuvent aussi travailler en groupes sur des travaux collectifs – c’est une aide
précieuse dans l’écriture de poésie et de satires. On peut même prolonger ce type
d’exercice en leur demandant de jouer leur production pour la classe. Le travail en
groupe aide les élèves à critiquer le travail des autres ou à écrire de manière
collaborative.
L’enseignant peut demander aux élèves d’écrire leur journal de manière
traditionnelle ou de se lancer dans la poésie, des idées de fictions ou du théâtre. Le
journal doit toujours être tenu de manière privée, afin que les élèves se sentent
libres d’écrire hors de tout contrôle.
Au stade du brouillon, il s’agit simplement de jeter des idées sur le papier. La
réécriture et la correction permettent aux élèves de prendre conscience du travail
d’édition nécessaire.
Il est capital que les textes soient lus à voix haute, car cela permet de mieux se
rendre compte des erreurs. Une fois toutes les corrections effectuées, la version
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
finale peut être établie. Il faut qu’en fin de travail, les élèves soient fiers de ce
qu’ils ont produit et prêts à le partager avec les autres.
Stratégies pour l’enseignement de l’écriture aux enfants
1. On enseigne à des « écrivains »
Ce qui se passe pendant vos « sessions d’écriture » a tout à voir avec ce que vous
êtes vous-même ; vos convictions apparaissent forcément dans chaque cours ou
chaque exercice que vous proposez. Si vous montrez votre propre passion pour
l’écriture, vos élèves vous suivront.
2. Les « écrivains » doivent restés reliés au « réel »
- les enfants veulent écrire sur ce qui leur importe ;
- Nous devons leur faire sentir que nous approuvons leurs idées, leurs pensées,
leurs rêves, leurs doutes ;
- l’expérience personnelle est à la source des meilleurs écrits ;
3. L’enseignement de l’écriture doit être un mélange d’idées et de techniques.
L’enseignant doit constamment modeler l’écriture : partagez vos idées et certaines
de vos pensées avec vos élèves.
- Beaucoup beaucoup d’exemples pris dans la littérature et lus à voix haute ;
- Plein d’exercices ;
- Des expériences de journaux intimes menées indépendamment ;
- De l’écriture guidée ;
- Des travaux individuels, par paires, en petits groupes et en classe entière.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
4. Les « écrivains » doivent se sentir rassurés
Vos élèves ont besoin de se sentir rassurés lorsqu’ils explorent leurs idées et de
savoir que vous traiterez leur production avec intégrité et respect. Si vous tenez à
ce qu’ils écrivent, c’est une des clés de cet enseignement.
- Les enfants doivent se sentir appréciés ;
- Fournissez-leur des tas de stimuli (montrez-leur que leurs expériences peuvent
donner naissance à des idées qui valent la peine d’être transcrites sur le papier) ;
- Donnez-leur du temps pour écrire, explorer l’univers des mots ;
- Ménagez toujours le temps du partage : cela montre aux élèves que vous trouvez
ce qu’ils ont écrit important.
5. Inspirez vos jeunes « écrivains »
Dans la mesure où vous souhaitez que vos élèves relient leurs lectures à euxmêmes et au monde, leur écriture doit aussi se rattacher à des expériences réelles.
- Provoquez la libération des mots dans leur conscience.
- Abreuvez-les de matériaux exploitables avant même qu’ils commencent à écrire.
- Nourrissez-les de lectures, d’œuvres d’art, de science, de sorties sur le terrain, de
tout ce qui peut constituer une expérience qui peut amener à des activités
d’écriture.
6. N’oubliez pas que l’écriture est un processus
- Ce n’est pas un processus qui se déroule selon un ordre prescrit ;
- Cela prend du temps : un seul cours sur la réécriture est insuffisant ;
- Ne vous attendez pas à ce que chaque texte soit finalisé ;
- Ne les laissez jamais tomber, soutenez leurs efforts : si vous ne le faites pas, ils
n’essaieront peut-être jamais plus ;
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
- N’oubliez pas que nous écrivons pour partager. Permettez-leur ce partage, car
souvent, l’opinion de leurs pairs leur importe plus que la vôtre.
Commencer
1) Écrire des histoires traditionnelles à partir d’un autre point de vue.
Lire « Les trois petits cochons » avec les élèves, une version qui raconte
l’histoire du point de vue du loup.
Demandez aux enfants de penser à une histoire qu’ils connaissent bien et d’en
écrire une version d’un autre point de vue.
2) Concevoir une salle spéciale pour la Fabrique de Chocolat.
D’après « Charlie et la chocolaterie » de Roald Dahl.
Rappelez l’histoire aux enfants et lisez une description de la Salle du Chocolat.
Puis demandez aux enfants d’en imaginer une différente, en vous assurant qu’ils
soient aussi expressifs que possible.
3) Commencez l’histoire par un coup de tonnerre !
Certaines de mes histoires favorites commencent en plein milieu d’une action.
Commencez avec quelque chose d’inhabituel. Soyez curieux. Amusez-vous !
Exemple 1.
Tante Belinda héberge des grosses et grasses chenilles dans sa baignoire et une
chouette près de son lit. Elle tombe malade et a besoin de vous….
Exemple 2.
Pamela monta l’escalier en courant pour aller cacher le cadeau de George. Il allait
être très surpris ! Car c’était un des trois œufs de dinosaure jamais élevés au
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
monde. Comment allait-elle s’y prendre pour que George ne découvre pas son
cadeau avant sa soirée d’anniversaire ?
Exemple 3.
Oh! Le papa de Timothy était très en colère! Il y avait des petits gâteaux au
chocolat et des araignées géantes partout…
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
LES CONFÉRENCES EN FRANÇAIS
Laurence FAURE (France)
Enseigner l’écriture théâtrale
Comédienne et formatrice,
j’ai commencé à animer des ateliers à Aleph en 2003 et
j’interviens aujourd’hui sur des ateliers réguliers, ainsi que sur l’écriture du conte et l’écriture
théâtrale, l’écriture pour la scène.
L’écriture théâtrale, comme l’écriture de scénario, a cette particularité de s’inscrire dans un
projet, elle est une étape dans un projet commun où interviendront également un metteur en
scène, des comédiens. Entre ce qui est écrit et ce qui se joue peuvent intervenir de multiples
interprétations, modifications, transformations.
Elle demande de faire parler et de faire agir des personnages dans une situation ou des
situations. Et que ces situations, de façon implicite ou explicite, demandent une résolution
dont nous allons suivre le trajet en tant que spectateurs.
Il va donc y avoir, présenté devant nous, un moment, un temps où il se passe quelque chose
pour au moins quelqu’un.
Parlé ou muet, mobile ou immobile
Quotidien, extraordinaire
Maîtrisé, emporté
Moral, amoral
Burlesque, tragique
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Réaliste, métaphorique...
Dans le cadre de mes activités théâtrales, dans le cadre d’ateliers ou de montages de créations,
dans le cadre des stages à Aleph maintenant, je fais écrire les participants. La toute première
fois, c’était la demande d’un premier employeur qu’il y ait « une petite participation des
enfants » (c’était, vous l’aurez compris, dans un cadre scolaire) pour laquelle il n'avait pas de
considération particulière. Son indifférence m'a interrogée. Je voyais là au contraire une
formidable opportunité. L'opportunité du théâtre dans sa conception, qui ne tient pas qu'au jeu
des acteurs. Rapidement c’est devenu un intérêt croissant pour l’écriture collective d’un projet
commun. Et depuis j'aime construire des parcours, avec des lignes de forces, des possibilités,
et des protocoles, dans lesquels trouvera matière à se développer la créativité des participants
et le montage d'un spectacle. NOUS explorons un thème, une question, une situation. Et je
propose des médiations théâtrales sur lesquelles s’appuyer. Et NOUS créons un moment de
théâtre.
Et parmi les médiations, il en est une, au démarrage, peu théâtrale, et très journalistique que
j’aime employer : QQQCOQP … ou Qui dit Quoi à Qui ? Comment lui dit-il et Où cela se
passe-t-il ? et Pourquoi ? mais aussi Pour Quoi ? (cause et finalité) qui peut être le démarrage
de l’écriture d’une scène passionnante. Elle permet de placer quelques repères, sur ou contre
lesquels s'appuyer.
Et pour chacun des textes produits, le cap important est d’être lu à haute voix, d’être dit, pour
ne pas tout d’abord lire à l'œil mais ENTENDRE et VOIR comment ça sonne, comment ça
fonctionne.
J’ai fait également référence à trois pièces qui me permettent d’avancer dans la
compréhension et la construction d’une écriture pour la scène :
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Travailler le monologue, le secret et son dévoilement
-
Il faut passer par les nuages, de François Billetdoux, pièce sous-titrée : épopée bourgeoise
et construite non en actes mais en mouvements, en énergies musicales, pour servir une
situation familiale. Après un enterrement, une femme prend une décision qui redessine non
seulement sa vie mais également celle de chacun des membres de sa famille bourgeoise. Le
temps de la révélation, qui augure le basculement m’y intéresse beaucoup, et je le propose.
Travailler la langue et la réinterprétation des mythes
-
Greek, de Stephen Berloff, pièce écrite en plein thatchérisme pour revisiter un mythe dans
un cadre contemporain où la dimension sociale et politique fait sens, et où le travail de langue
ouvre des voies (et des voix).
Travailler une construction d’ensemble
-
Les pas perdus, de Denise Bonnal, pièce dont le lieu est considéré comme personnage
principal. L’auteur nous y livre en prologue la clef de la construction du texte. C’est une belle
invite pour tester par soi-même un projet de construction cohérente pour la scène.
Pour conclure, il me semble important d’ajouter cette évidence : l’écriture théâtrale est aussi
un jeu d'allers et retours : parfois prenant naissance dans la reprise d’improvisations, parfois
suscitant de nouvelles pistes encore inexplorées, trouvant ses inspirations dans le quotidien,
l'actualité, autant que dans le vécu de chacun, elle est faite pour être dite, faite, et c’est sans
doute ce qui la rend difficile à lire pour un large public puisqu’en la lisant il faut tout
imaginer, dans une dynamique et une temporalité différentes de celles du roman.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Dane CUYPERS (France)
Le travail du style dans les ateliers d’écriture: illusion ou défi ?
Voir le résumé page 14.
MINI-CONFÉRENCES SESSION 2
POÉSIE ET ÉMOTIONS
Luis LUNA (Spain)
Enseigner la poésie : quelques clés et astuces
La plupart des enseignants qui abordent l’enseignement de la poésie aux adultes
sont confrontés à plusieurs problèmes, en particulier sur ce qui concerne les
différents niveaux de leurs étudiants au départ. Ces disparités nous obligent à
réajuster notre méthodologie chaque fois que nous rencontrons des difficultés,
comme cela peut être le cas, par exemple, dans une école rurale où la classe
comprend des élèves de plusieurs niveaux. Pour mieux comprendre ce problème,
j’ai décidé d’aller voir comment cela se passe dans une de ces écoles rurales, afin
d’y apprendre comment mettre en place une méthodologie aussi satisfaisante que
possible, à la fois pour l’enseignant et pour l’étudiant. J’y ai appris que la
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
première étape était d’instaurer un niveau référence de départ, puisque nous
n’avons aucun moyen d’individualiser l’enseignement. Ce niveau de départ doit
constituer un repère d’où les étudiants peuvent partir. En l’occurrence, la
connaissance de certaines lectures de référence et de quelques outils rhétoriques
leur permettant d’aborder le langage lui-même.
Une fois ce niveau de référence établi, l’enseignant peut mettre en place quelques
stratégies permettant un bon fonctionnement du groupe, tout en ménageant une
prise de conscience individuelle et de groupe. Ne pas oublier alors, comme Piaget,
Vygotsky ou Ausubel l’ont évoqué, que l’apprentissage doit être porteur de sens,
c’est à dire relié à des apprentissages antérieurs, établissant une zone claire de
développement comprenant des tâches liées à ces acquis.
Si on tient compte de ces idées, il nous faut donner la priorité à une découverte
autonome de leur propre voix poétique, en soulignant un certain nombre de faits :
a) L’écriture d’imitation. Pratiquer l’écriture d’imitation est un excellent moyen
d’activer la découverte de notre propre voix. Et tout au long de l’atelier, on
découvrira la manière dont la prise de distance avec le modèle permet
l’émergence de notre propre univers. C’est un processus de fractionnement qui
doit se dérouler tout à fait lentement et laisser parfois la place à l’écriture libre où
l’étudiant, sans s’en rendre compte développe ses propres astuces pour se
débrouiller, pour montrer ses émotions malgré un vocabulaire forcément limité.
Ces exercices doivent aussi reposer sur une explication des ressources rhétoriques,
centrées sur l’expression de la beauté dans son sens le plus large. L’enseignant
dispose pour cette tâche d’un certain nombre de techniques, évitant d’établir un
rythme d’apprentissage qui pourrait épuiser les étudiants et les pousser à quitter
l’atelier. Il s’agit surtout de doser les exercices, que ce soit d’écriture imitative,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
d’écriture libre, avec des consignes formelles ou thématiques, ou bien issus de ce
qui émerge des conversations libres au sein de l’atelier. Il est aussi capital de
corriger et même d’élaborer les exercices en groupe, ce qui favorise la
coéducation et la co-évaluation.
b) cette notion de coéducation s’applique d’ailleurs dans notre propre processus
d’apprentissage en tant qu’enseignants : car nous sommes conscients que notre
rôle dans le processus enseignement/apprentissage au sein de l’atelier est celui
d’un médiateur. Les échanges entre étudiants doivent être encouragés, la
discussion entraînant la progression. Nous devons choisir et montrer différents
textes qui ont déjà été vus dans le processus. Nous devons accepter toutes les
productions de nos étudiants, pour manifester une écoute. Et nous devons insister
sur les situations qui peuvent nous permettre d’utiliser du langage poétique. Le
but n’est pas de faire naître des disciples, mais d’encourager la critique et la
création personnelle.
c) Le concept de « langage privé ». Un des points intéressants dans le processus
de l’atelier d’écriture poétique est celui de la découverte de la poésie comme
langage privé, c’est-à-dire une sorte de code entre le lecteur et l’auteur, à l’origine
d’une éphémère micro-société. C’est un processus d’apprentissage qui crée des
liens entre le langage poétique et ses mécanismes et d’autres langages tels que la
publicité, la propagande… Il permet aussi l’enseignement et la découverte de la
construction des images poétiques par la pratique, tout en évitant de tomber dans
une obscurité exagérée. Les exercices proposés permettent de se concentrer sur les
différentes tendances de la poésie, en soulignant la dichotomie entre poésiecomme-moyen-de-communication et poésie-comme-apprentissage.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
C’est à ce moment-là que l’atelier devient un laboratoire prêt à s’ouvrir à
l’expérimentation sur le langage et la poésie et, si besoin, on peut utiliser toutes
les ressources qu’on veut, depuis les nouvelles technologies jusqu’à des analyses
détaillées du langage parlé, ce qui délimite les écarts entre ce qui est commun et
ce qui s’en éloigne, entre le langage correct et la langue poétique.
d) L’étude de la théorie du champ sémantique. Pour commencer, on pourrait
considérer que l’idée d’approfondir une idée aussi complexe que cette théorie
linguistique telle que l’a développée le structuralisme saussurien dans les années
30 s’avèrerait contreproductive dans le projet d’aider les étudiants à trouver leur
propre voix. Néanmoins, son étude permet d’acquérir une connaissance de la
manière dont le langage se structure et quels sont les mots qui génèrent les philias
(l’amour pour) et les phobias (peur de). Il est vraiment intéressant d’explorer le
processus que traversent nos étudiants pour trouver leur propre vocabulaire
fétiche qui leur sera utile pour trouver leur langage poétique et la manière dont ce
vocabulaire amplifie leur relation à autrui, si bien qu’à terme, c’est un réseau de
relations subtil qui se révèle entre objets, expériences, émotions. La création de ce
réseau est en grande partie à la source de la réussite dans leur recherche d’une
voix personnelle en poésie.
e) L’apprentissage du Verbe en tant que phénomène phonétique et rythmique. Il
est impératif que les étudiants saisissent la capacité des mots à déployer un sens
plus large, au-delà de leur sens sémantique, par leur sonorité. Si on leur montre la
relation entre le chant, la récitation et la poésie, nos étudiants feront plusieurs
découvertes, dont le phénomène de l’euphonie, la clé de certains modes poétiques.
Il faut à ce moment expliquer l’origine du mot rythme, qui vient du mot grec qui
signifie flux.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
On arrive à ce moment à une clé, celle du texte poétique considéré comme une
partition, dans laquelle la distinction essentielle est celle qui s’établit entre son et
silence, exprimés par des lettres et des blancs. Il est utile, pour renforcer cette
théorie, de connaître la poésie phonétique et d’encourager à la création de poèmes
sonores vides de sens à proprement parler, mais plein d’une signification
harmonique. On peut alors encourager les étudiants à prendre conscience de leurs
propres rythmes vitaux (car tout, autour de nous, suit un rythme) : ils
développeront alors leur créativité personnelle.
Un des outils les plus pratiques est l’enregistrement des textes créés par nos
étudiants, utile pour mettre en place une écoute intuitive où on encouragera
l’autocorrection et la correction en groupe. La mémoire auditive de nos étudiants
est grande, ils ont l’habitude d’écouter de la musique en langue étrangère, des
paroles qu’ils ne comprennent pas forcément, ce qui ne les empêche pas de
ressentir des émotions.
f) L’apprentissage de la poésie est un phénomène holistique, qui modifie la
manière dont chacun se perçoit. Savoir cela m’a grandement aidé dans mes
ateliers. Les étudiants sont conditionnés par leur environnement et par les
pédagogies classiques, ignorant l’usage d’un langage abstrait fondé sur les
priorités de la transmission d’information. Ce conditionnement inclut un principe
d’absorption automatique des réalités, niant toute réflexion sur une réalité en
constante mutation. Nos cours doivent donc éduquer nos étudiants à développer
leur vision, de telle manière qu’ils parviennent à établir un point de vue personnel
et critique, loin des stéréotypes, généralisations et lieux communs. Cette façon de
regarder avec des yeux neufs nous amène à inclure toute actualité dans la poésie,
en insistant non pas sur l’information elle-même mais sur le type de message qui
la transmet. Divers exercices permettent d’aborder cet apprentissage : se
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
concentrer sur un objet sur lequel on écrira, faire une promenade permettant
d’envisager l’environnement différemment…. On peut alors aborder le concept
d’héritage immatériel, pour montrer l’importance de l’éphémère, qu’on ne peut ni
mesurer ni utiliser.
Les idées énoncées ici sont essentiellement des orientations, et sont en réalité sans
cesse soumises à révision. Néanmoins, l’utilisation systématique de ces principes
permet une réflexion approfondie sur le langage, la réalité et la poésie, afin
d’apprendre et de consolider savoir et créativité personnels.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Simona GARBARINI (Italie)
De l’idée dostoïevkienne de la puissance de l’impression
aux ateliers d’écriture
Je vais ici tenter de vous décrire une méthode didactique que j’ai utilisée
conjointement à ma collègue Marina Gellona pendant notre stage intitulé « Tisser
la trame d’un conte de fées » qui s’est déroulé à la Scuola Holden l’hiver dernier :
nous l’avions organisé sur 6 journées complètes réparties sur une période de 6
mois.
Marina et moi nous sommes concentrées sur la définition de Dostoïevski de ce
qu’il appelle « la force de l’impression »7. Dans ses lettres à son frère Michael,
Dostoïevski décrit la manière selon laquelle il structure ses histoires et dit que,
pour pouvoir écrire, il se concentre sur une ou plusieurs impressions résultant
d’événements de sa vie réelle. « Lorsque j’écris, » dit-il, « je me concentre sur ces
impressions et, même si je décris des faits totalement différents, je tente de les
décrire comme s’ils étaient les événements qui ont produit ces impressions sur
moi ». Dostoïevski pense que, de cette manière, ce qu’il décrit revêtira la même
puissance que celle de l’événement qui a donné naissance à l’impression
première.
Je cite aussi une réflexion de Jonathan Safran Foer8 qui m’aide à expliquer ce que
j’entends par « donner forme à l’expérience personnelle ». Dans son
« Speechless » (Sans voix) publié dans le New Yorker lors du 10è anniversaire du
11 septembre, il explique que le principal devoir du discours littéraire après
7
8
Dostoievski, Fedor, “Lettere sulla creatività’’, Feltrinelli 1991, p. 115 (in Correspondances)
Foer, Jonathan Safran, “Speechless’’, New Yorker, Septembre 2011
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’attentat sur les tours jumelles est d’organiser les pensées autour de cet
évènement.
« Il y a eu une période il y a environ un an où certaines nuits, ma femme et moi
étions réveillés par le bruit de petits pas dans le noir. Puis le son de la respiration
rapide de notre fils, et enfin sa voix tremblante qui, depuis le pied du lit, disait :
« J’ai fait un cauchemar ».
« Sur quoi ? »
Et la réponse était invariablement : « Je ne peux pas le décrire. »
A l’époque, j’ai pensé qu’il ne voulait pas décrire son rêve ; mettre un cauchemar
en mots – le dire à voix haute et le partager – ne ferait que prolonger la terreur.
Mais en fait, j’en suis venu à me demander si, tout simplement, il ne disposait pas
du vocabulaire nécessaire. Et si ce manque de mots était une partie du problème.
Les mots ont cette capacité de rendre les expériences plus impressionnantes, tout
en les organisant. Ils peuvent nous effrayer, mais aussi nous réconforter. »
Nous avons donc pensé, Marina et moi, que nous allions tenter d’aider nos
étudiants à donner forme à leur expérience personnelle. Le conte de fées est un
genre par nature profondément lié aux conflits personnels, ce qui nous offrait un
contexte parfait.
Le premier problème consistait à les aider à saisir l’impression dont ils se
souvenaient, puis d’organiser une pensée structurée à son sujet. Nous leur
demandions de ne pas arriver avec une idée d’histoire à développer en tête, car, en
général, les participants des ateliers d’écriture croient qu’ils ont une idée claire de
ce qu’ils souhaitent écrire, mais il n’en est rien.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Au cours des années précédentes, nous avions demandé à nos participants
d’arriver en ayant réfléchi à des histoires ; mais ces histoires soulevaient bien des
problèmes, surtout en ce qui concernait l’intrigue, tantôt trop faible, tantôt trop
compliquée. Il y avait en outre des problèmes liés aux personnages qui étaient
parfois exagérés, et souvent inconsistants, dans la mesure où les étudiants ne les
percevaient pas vraiment en les écrivant et tiraient leur description de leurs contes
favoris.
Nous avons utilisé plusieurs techniques pour les aider à comprendre sur quels
types d’impressions ils pouvaient se reposer.
Nous leur avons montré différentes photos, tirées de magazines bien connus en
Italie pour leur qualité : toutes ces images avaient un contenu émotionnel fort,
étaient colorées et non légendées. Nous leur avons demandé d’en choisir une, et
de partir de là pour développer une courte histoire, en leur précisant que l’histoire
ne devait pas être en relation avec ce qui se passait dans l’image mais avec
l’émotion que cela soulevait en eux. Par exemple, si l’image représentait des taxis
couverts d’eau pendant une inondation, nous attendions d’eux qu’ils nous parlent
de ce que cela leur ferait d’être noyé par quelque chose, ou mieux, d’évoquer des
émotions fortes qui pouvaient s’insérer dans le contexte d’un jour ennuyeux.
Une fois qu’ils ont eu compris ce mécanisme, nous les avons invités à utiliser la
même technique pour mettre en valeur les éléments qui les frappaient le plus dans
leur vie quotidienne. Le texte devait bien entendu se référer à des éléments
hautement émotionnels et non à une routine. Nous leurs avons demandé d’écrire
une petite histoire à partir d’une impression frappante ressenti au cours du mois
précédent. Nous leur avions auparavant enseigné des fondements de la théorie
littéraire sur l’intrigue, les personnages, l’agoniste et l’antagoniste, le sens, etc.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Avec cette courte histoire, nous disposions d’un matériau sur lequel travailler
ensemble.
Ensuite, pour approfondir la perception de leur histoire, nous les avons emmenés
dans une pièce vidée de tous ses meubles et de tout ce qui aurait pu les empêcher
de se concentrer sur leur histoire. Nous leur avons fait écouter une série de chants
très différents (l’un était lent et instrumental, un autre très rythmé et énergique) et
les avons invité à danser ou à faire tout ce qu’ils voulaient en écoutant ; nous leur
avons demandé d’associer chaque mélodie à un moment précis de leur histoire en
réfléchissant à ce que leur personnage pourrait ressentir à l’écoute de cette
chanson. Puis, après chaque chanson, de réécrire une partie de leur histoire en
tenant compte de l’émotion ressentie.
Au début, cela n’a pas été simple, car, une fois qu’ils ont eu compris qu’ils
écrivaient sur des choses qui leur tenaient réellement à cœur, ils se sont senti nus
devant leur écriture ; alors certains ont fait montre d’attentes démesurées, d’autres
ont contourné le cœur de l’histoire parce que cela était trop douloureux… Mais
petit à petit, nous avons pu les aider à instituer une distance ironique avec leur
histoire et à la retravailler selon les principes théoriques que nous leur avions
enseignés.
Si on compare aux années antérieures, nous avons pu constater un plus grand
enthousiasme dans l’écriture et la réécriture, sans doute parce que nos étudiants
ont compris le lien entre leur histoire et une partie vitale de leur personnalité, et
ont été désireux d’améliorer leur texte pour donner toute sa valeur à leur
expérience.
Ils ont réalisé que tout ce qui comptait pour eux dans leur vie pouvait constituer le
point de départ d’un processus de narration.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Nous avons cependant eu des problèmes avec ceux qui avaient choisi des
impressions trop lourdes pour eux (liées à des conflits non encore réglés dans leur
esprit). Ce choix a résulté en une approche superficielle de l’histoire. Nous avons
même eu une étudiante qui avait eu des problèmes psychologiques antérieurement
(de l’anorexie) et qui a rejeté l’activité musicale.
Mais même ces cas problématiques ont pu suivre le travail du groupe et ont
exprimé leur satisfaction à la fin.
Dans la mesure où nous ne sommes pas psychologues, nous avons décidé de ne
pas essayer d’expliciter la relation entre les histoires de nos étudiants et leurs
personnalités, et de travailler plutôt sur les aspects techniques en se concentrant
sur l’intrigue et les personnages.
Il est certain que quelqu’un disposant de qualifications plus spécifiques aurait pu
tirer parti de ces moments de rejet, d’anxiété, de désir de ne pas s’impliquer, pour
aider les participants à comprendre des choses importantes sur leur propre vie ou
leur perception d’eux-mêmes. Dans ce sens, je crois que cette méthode pourrait se
révéler un intéressant outil thérapeutique pour qui serait formé à la psychologie.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Béatrice DUMONT (France)
L'écriture poétique dans mes ateliers
Comment pouvons-nous faire écrire de la poésie aux participants des ateliers, particulièrement
de la poésie contemporaine ?
Depuis au moins le commencement du vingtième siècle, écrire de la poésie ne signifie plus
seulement exprimer sa souffrance, l'amère nostalgie de son premier amour, ou son sentiment
de la mort, de la nature, de la fuite du temps en usant de belles images et de métaphores.
Depuis les années quatre-vingt, les poètes ne cessent d'explorer de nouvelles formes et de
nouveaux thèmes, en jouant avec la langue comme jamais auparavant. Il peut être plaisant –
et drôle – d'entraîner les stagiaires à suivre leurs traces.
Dans la première partie de cette intervention, je parlerai de la façon dont nous faisons écrire
de la poésie dans nos ateliers ; dans une seconde partie, je présenterai quelques propositions
de poésie contemporaine.
Les premières propositions d'écriture poétiques de l'atelier
Le cadre dont il est question ici est celui de ce que nous appelons à Aleph "l'atelier régulier"
qui s'étend sur cent quatre-vingt heures en deux ou trois ans.
Les vieux stéréotypes concernant la poésie sont encore vivaces : il y aurait des mots poétiques
en soi (âme, cœur, souffrance, ciel, nuages, lune, roses, larmes) des thèmes poétiques
(chagrins d'amour, fleurs qui fanent, eau qui coule sous les ponts…).
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Tout le monde sait pourtant, depuis longtemps, que l'on n'est plus obligé de compter les pieds
des vers ou de les faire rimer. Et cette possibilité de prendre de la liberté avec le langage
poétique peut engendrer des peurs.
Lorsque vous proposez d'écrire de la poésie dans votre atelier, vous sentez quelque chose de
particulier dans l'air, une sorte d'appréhension comme si les personnes présentes s'apprêtaient
à aborder une terre étrangère.
Une de nos toutes premières propositions est bien loin de la tentation lyrique : elle entraîne les
participants sur les traces de Francis Ponge qui, après la seconde guerre mondiale, écrit sur les
objets (le cageot, le savon, l'huître, le pain, la cigarette) dans un état d'esprit absolument
opposé à tout sentimentalisme. C'est dire que nous tirons l'écriture poétique vers le non
lyrique.
Une des séances suivantes s'appelle "entrer dans un élément" : on y expérimente l’anaphore
"entrer dans/entrer dans" (ou tout autre anaphore qui porte la même intention) : tout est
possible, on peut entrer dans un élément concret tel que l'eau, l'air, une pomme, une forêt, un
champ, l'océan etc. ou dans un élément abstrait tel que la douceur, l'humidité, le sauvage, la
tendresse etc. A chaque retour de ligne, on reprend l'anaphore pour aller de plus en plus loin
dans la sensation. Puis on propose plusieurs étapes de réécriture, où les stagiaires sont invités
à transformer leur premier jet, à chercher un rythme, par la répétition d'un verbe, par exemple,
qui sonne à chaque fois comme un coup de tambourin.
Nous faisons bien sûr écrire des haïkus. C'est indémodable. En même temps que la contrainte
formelle, chercher à saisir une simple pincée de réel et l'écrire de la façon la plus dépouillée
possible est une expérience passionnante avec le langage parce que cela incite à renoncer à
"faire joli". Le plus passionnant – et je suis toujours stupéfaite de le remarquer – est que si la
sensation explorée dans le haïku n'a pas réellement été vécue dans le corps, le haïku ne
marche pas. Cela se confirme à chaque fois.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Personnellement, après les haïkus, à un moment ou à un autre de l'atelier, j'aime beaucoup
faire expérimenter l'écriture automatique, selon les indications d'André Breton et Louis
Aragon : on demande aux stagiaires d'écrire sans lever le coude pendant dix minutes, puis de
nouveau dix minutes mais plus rapidement, puis dix minutes encore mais encore plus vite que
précédemment. Ensuite ils se relisent et extraient de leurs textes les perles délivrées
directement par leur inconscient. C'est aussi une belle séance.
La poésie contemporaine
C'est une autre paire de manches que de faire expérimenter la poésie contemporaine.
La question "qu'est-ce que la poésie contemporaine ?" se pose immédiatement. Restons
calme. Il n'y a pas de réponse absolue : la poésie contemporaine est la poésie que l'on écrit
dans le même temps que celui où l'on vit. Mais pas seulement. Ça sera tout pour l'instant.
A moins que vous ne souhaitiez entendre la définition qu'en donne Jean-Michel Espitallier :
"une irritation qui produit une invention qui produit une démangeaison".
Heureusement, depuis les années quatre-vingt, les poètes nous donnent la possibilité de
trouver des réponses en lisant leurs poèmes. Et quand on lit leurs poèmes, des tas de
propositions d'écriture vous viennent à l'esprit.
Le but est de lancer les participants à la recherche de leur "langue souterraine", d’« utiliser le
langage avec le maximum de subjectivité » comme dit Henri Meschonnic. Écrire de la poésie
est une expérience intime.
C'est toujours la même chose qui est en jeu : écrire notre monde. C'est la seule chose que nous
avons à faire. Alors, qu'en est-il de vos chaussures, de votre voiture, de la poussière sous votre
lit ? Y a t-il là un quelconque pouvoir d’évocation poétique ? Nous disons que oui. Parce que
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
vos chaussures, votre voiture, la poussière sous votre lit peuvent être interrogés et regardés
comme des merveilles. Il n'y a là rien de nouveau : nous avons mentionné Francis Ponge qui
écrivait des poèmes sur les objets de la vie quotidienne. Mais ce qui est nouveau dans la
poésie contemporaine, c'est l'humour. On écrit de la poésie et on sourit. On écoute de la
poésie et on rit. Il ne s'agit pas de dérision ni de cynisme ; il n'est question que d'étonnement :
on peut jouer avec les mots, on peut jouer avec le son des mots, on peut jouer avec le son de
la respiration entre les mots (Bernard Heidsick "Respirations") ; on peut s'amuser, sourire. La
poésie contemporaine s'est débarrassée du sérieux et du solennel. Elle est pleine d’humour.
Elle respire.
Une des formatrices d'Aleph, Estelle Lépine, propose de commencer ainsi : dans un premier
temps, les participants écoutent ces voix contemporaines et les observent. Comment sonnentelles à l'oreille ? À quoi est-ce que ça ressemble ? L'animateur lit un certain nombre d'incipits
de poèmes contemporains, puis en donne la liste aux participants qui observent la façon dont
ils sont écrits : les espaces entre les lignes, la place des blancs sur la page, l'épaisseur et la
forme des lettres ; tous ces éléments typographiques donnent la voix, le souffle du poète. La
consigne d'écriture qui suit est simplement de continuer à écrire à partir d’un incipit choisi, en
essayant de rester dans la voix du poète.
Pour aller plus loin : les évidences de Nathalie Quintane
Une des voix contemporaines que j’apprécie est celle d’une femme, Nathalie Quintane.
Nathalie Quintane questionne le monde autour d’elle, dans toute sa banalité. Elle écrit une
sorte de poésie sociologique. Une poésie sociologique, clinique, chirurgicale. Elle décortique
les gestes, les faits, les affirmations pour atteindre le cœur, le noyau des choses.
Ouvrir une porte, enfiler ses chaussures, être chez soi, tout est une opportunité d’explorer
notre façon d’être. Elle ose écrire de la poésie, innocemment, avec des chaussures, des
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
voitures et la poésie devient humour. C’est un exercice d’étonnement, une manière de mettre
le monde à distance.
Vous serez certainement surpris d’apprendre, selon les mots de Nathalie Quintane, que
« moins il y a de portes, moins il y a de pièces » ou que « Posé à terre, le pied dissimule
exactement la surface sur laquelle il s’inscrit » ou que « Dans un soulier pénètre peu la
lumière » ou que « la définition de la seconde est plus longue que la seconde ».
La poésie de Nathalie Quintane est faite d’évidences revisitées qui nous font considérer notre
monde avec un regard nouveau.
Pour les participants, les consignes sont les suivantes : Écrire une phrase exprimant une
évidence telle que « les carrés ne sont pas ronds » ou « les machines à laver ne lavent pas les
animaux ». De cette première évidence, en découlent beaucoup d’autres que les stagiaires sont
invités à écrire avec la contrainte de revenir à la ligne à chaque nouvelle occurrence : les
machines à laver ne se trouvent pas dans les salons, ou une machine à laver est plus petite que
la pièce qui la contient… L’affaire tourne rapidement à l’absurde.
Nathalie Quintane fait un clin d’œil à Gertrude Stein pour qui « a rose is a rose is a rose » et
déclare qu’« en tant que chose, une chaussure a la même signification qu’une rose même si,
en tant que chose, une chaussure est plus utile qu’une rose ».
Ce qui amène une deuxième proposition d’écriture : combiner deux éléments qui n’ont à
priori rien à voir l’un avec l’autre pour pousser l’absurdité à l’extrême. L’enjeu étant de
considérer notre vie quotidienne d’un autre point de vue avec distance et humour.
Christophe Tarkos – la poésie sonore
Comme Nathalie Quintane, Christophe Tarkos écrit à partir d’évidences. Mais il n’est pas
aussi « clinique » qu’elle. Il ne prend pas de distance avec le monde comme elle. Au
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
contraire, il plonge en même temps dans le monde et dans le langage d’une manière
obsessionnelle. Ses poèmes sont organisés comme des ritournelles autour d’un ou deux sons,
d’un ou deux mots.
Son travail est proche de la poésie sonore : le langage produit du son aussi bien que du sens.
Les poèmes sont faits pour être dits à voix haute et écoutés davantage que pour être lus en
silence. L’intention, elle, est toujours la même : démystifier le langage poétique et se
débarrasser de ses aspects cérémonieux. On peut aussi voir dans sa façon d’écrire de la poésie
une extrapolation des conventions de l’écriture poétique où le jeu avec les assonances et les
allitérations est poussé à l’extrême.
La consigne est d’abord de lire plusieurs des poèmes de Christophe Tarkos et aussi de les
montrer aux participants car la typographie fait qu’on peut les lire comme une partition.
Ensuite chacun fait une liste des ses obsessions, puis en choisit une et prélève un ou deux
mots qui collent le mieux à l’obsession choisie. Bien sûr, il peut s’agir d’une obsession
concrète ou abstraite : on peut être obsédé par la nourriture aussi bien que par l’amour. Ceci
peut être proposé dans n’importe quelle langue. Le poème va se tresser autour de ces deux ou
trois mots/sons choisis et répétés : ils sont utilisés comme les motifs dans la musique
répétitive. Le poème avance mot après mot, son après son. C’est de l’écriture lourde.
L’idéal est de travailler en même temps l’écriture et la lecture à voix haute ; la lecture à voix
haute est un outil de réécriture. L’objectif est de densifier le poème.
Pour conclure, je dirai que je regrette de ne pas avoir mentionné des poètes comme Gerasim
Lucas, Olivier Cadiot ou des poètes espagnols, allemands, italiens ou suédois.
Enfin je citerai, pour invitation à une « poésie en action », un extrait de la constitution
européenne en vers, écrite en 2009 par un collectif de poètes bruxellois : « Si Shakespeare
pouvait se permettre/ de souffler son nez dans le mouchoir de Desdémone/ moi aussi,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
j'aimerais jouer au toréador avec le taureau qui a enlevé Europe/ pour l'atterrer en lui
enfonçant mon Bic à l'encre invisible entre les cornes".
Bibliographie :
Jean-Michel Espitallier, Caisse à outils, un panorama de la poésie française
d'aujourd'hui, éditions Pocket, 2006
Jean-Michel Espitallier, Pièces détachées, une antohologie de la poésie française
aujourd'hui, éditions Pocket, 2006
Christophe Tarkos, Oui, éditions Al Dante/Niok, 1996
Nathalie Quintane, Remarques, Editions Cheyne, 1997
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
ENSEIGNEMENT À DISTANCE ET ÉCRITURE CRÉATIVE
Frédérique ANNE (France)
Les ateliers par courriel : une innovation en question
Un « atelier d’écriture » désigne le plus souvent un groupe de personnes en situation d’écrire
ensemble. Dans ce cadre, le temps de l’atelier se décompose en la présentation d’une
proposition, un temps alloué pour écrire, suivi par une lecture et des retours immédiats de
l’animateur et des membres du groupe.
A première vue, l’atelier par courriel apparaît ainsi entrer en contradiction avec ce qu’ont
imaginé les initiateurs des ateliers d’écriture : une proposition contenue dans un mail, pas de
table commune, pas de lecture à haute voix sitôt le texte terminé, et pas non plus la tension
créative liée à l’immédiateté, que les participants décrivent comme l’une des composantes
essentielles de leur expérience des ateliers.
La question se pose alors de l’intérêt et des risques de la création de tels ateliers : faut-il à tout
prix adapter nos ateliers aux nouveaux usages, aux outils, prendre en compte les contraintes
des participants, céder au désir de toucher de nouveaux publics ? Comment préserver, dans
l’atelier par courriel, les valeurs fondatrices des ateliers et leurs objectifs, qui ont forgé notre
pratique ?
Ces questions interrogent l’animateur sur sa pratique et le conduisent à trouver des solutions
nouvelles.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Quelles conditions faut-il mettre en place pour que l'atelier par courriel demeure un
authentique atelier d'écriture ? Quelles propositions, quels retours, quel travail sur les textes,
quelle dynamique pour poser le cadre et créer le groupe ?
Innovation en question, l’atelier par courriel devient alors une innovation structurante : il ne
peut pas être une simple réplique de l’atelier présentiel, une adaptation, dont le seul objectif
serait de fournir une réponse à ceux qui ne peuvent ou ne souhaitent pas se déplacer et
s’asseoir autour de la table commune.
La mise en place d’ateliers par courriel, s’intégrant dans le nouvel espace partagé offert par la
technologie, s’accompagne d’un travail pédagogique de réinvention des temps de l’atelier :
les propositions sont revues, les retours sont différents, la relation de l’animateur avec les
écrivants, mais aussi celle des écrivants entre eux, doit être réinventée.
Il s’agit de définir les règles et pratiques qui assureront le succès de ce nouveau type de
dispositif, tout en maintenant la richesse d’un atelier authentique.
Ce travail de relecture des ateliers à la lumière des modalités liées à l’utilisation du courriel
est fait depuis deux ans par les Ateliers d’écriture Élisabeth Bing.
L’expérience acquise démontre que l’atelier par courriel met bien en présence un groupe
d’auteurs, échangeant à propos de leurs textes, partageant une histoire commune, même s’ils
ne se rencontrent pas.
Cette expérience met en lumière la richesse spécifique des ateliers par courriel.
Richesse manifeste, liée tout d’abord au temps d’écriture : le travail sur les textes pendant une
semaine permet un approfondissement de la proposition, une relecture par les auteurs, un
questionnement de l’animateur sur la proposition.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Plus étonnant, richesse des retours, dont la qualité est liée à la fois au temps de lecture d’une
semaine et à la possibilité d’imprimer les textes. La différence est considérable et les
participants consacrent beaucoup de temps à cette partie de l’atelier.
Cet échange crée le groupe. Les participants dialoguent sur leur écriture, de texte en texte. La
centration sur ce dernier, parfois difficile en présentiel, est ici évidente.
Ainsi, animer un atelier par courriel, c’est retrouver l’essence même des ateliers, les textes.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Mariana TORRES (Espagne)
Comment maintenir un cours en ligne vivant
L’idée de cette proposition est de partager mon expérience des formations en
ligne mais à partir d’un point de vue méthodologique, et non technique. Car le
secret de la réussite d’un cours en ligne n’est pas technique : les outils sont là au
service des enseignants et des étudiants, mais ce qui est vraiment important c’est
de tout faire pour trouver une méthode qui permette de maintenir vivant ce type
de formation, malgré l’absence de réel contact entre enseignants et étudiants.
Nous verrons donc comment faire en sorte que le cours demeure chaleureux et
animé.
Nous pouvons considérer une formation en ligne comme si c’était un être vivant.
Avec trois états : la naissance (création et démarrage), la vie (le cours lui-même)
et l’après-vie (quels chemins nos étudiants peuvent-ils suivre après le cours).
Une excellente préparation de la naissance (création et démarrage) sera la clé de la
qualité de la vie de la formation. On peut évoquer quatre erreurs fréquentes à ce
stade (1) l’enseignement en ligne donne moins de travail, (2) la flexibilité est
synonyme d’improvisation et d’attention 24h sur 24, (3) l’enseignement en ligne
induit une grande indépendance de l’étudiant (4) créer des « paires » est la même
chose que du travail en groupe.
La bonne vie d’une telle formation dépend entièrement de son enseignant. La
différence entre le mélange Wikipédia + manuel + Google avec un cours en ligne,
c’est justement l’enseignant (comment être un professeur actif en se gardant de
devenir une machine, un robot). Sur la base des cinq principes de Dave Merril,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
nous allons évoquer le genre d’activités que nous pouvons encourager depuis
notre chaise de bureau. Les cours en ligne, et surtout ceux installés sur le long
terme, ont ceci de particulier qu’ils valent présence constante : ils existent
constamment dans la vie des étudiants, et c’est pour cela qu’il faut tout faire pour
que cette présence reste vivante. En périodes courtes et flexibles, avec des
activités nombreuses, faciles, amusantes (et pas toutes sur ordinateur).
L’arme secrète pour ce faire, c’est l’organisation. Utilisons ici la métaphore de
l’escalier : quelles sont les « marches » à franchir pour l’enseignant, et quelles
sont celles de l’étudiant ? Comment garantir une flexibilité et une liberté dans un
cours structuré ? La clé est de maintenir une présence active (ce qui ne veut pas
dire envahissante, ce qui serait pourtant plus facile) : envois réguliers, retours,
engagement, accessibilité.
Et pour finir, évoquons la vie après le cours, à savoir, ce qui se passe pour les
apprentis écrivains à ce moment-là. Car jusque-là, on pouvait appliquer ce que je
viens d’évoquer à tous les types de cours en ligne : mais n’oublions pas que c’est
d’écriture qu’il s’agit. Et donc, que se passe-t-il après le cours en ligne ? Pouvonsnous considérer que la formation s’est bien passée si les étudiants continuent
d’écrire ? Quand doivent-ils déployer leurs ailes ? Et que devient le groupe,
comment peut-il évoluer ?
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Fred LEEBRON (États-Unis)
Analyse des modes d’enseignement à distance
Je veux ici analyser les différences entre les ateliers en ligne et l’enseignement à
distance en comparant mes expériences à la tête du Pan European Masters of Fine
arts (MFA - Master en Beaux Arts) qui s’effectue en enseignement à distance et
le MFA de l’université Queens de Charlotte qui repose sur un atelier en ligne.
Quand on m’a embauché en 1999 pour mettre en place un programme de MFA à
distance avec regroupements périodiques (Master of Fine Arts – Master en Beaux
Arts) pour l’université Queens à Charlotte, il n’en existait que quatre ou cinq
autres aux États-Unis, qui tous préféraient le système de tutorat où les étudiants
correspondaient avec leur tuteur de manière individuelle pendant les périodes à
distance. Il m’est alors apparu clairement que la manière d’ouvrir une nouvelle
voie était de faire en sorte d’utiliser le format de l’atelier dans l’enseignement à
distance. Il existe depuis 55 programmes de ce type aux États-Unis qui utilisent à
la fois le schéma du tutorat et celui de l’atelier dans les périodes d’enseignement à
distance. Quelle technique est la meilleure et pourquoi ?
J’aimerais que ce soit aussi simple, mais honnêtement, les deux formats ont leurs
avantages et leurs inconvénients. J’en suis absolument certain maintenant car j’ai
créé un autre programme que je dirige : il se déroule en Europe sous les auspices
du Collège Cedar Crest et s’adresse à la fois à des étudiants américains et à des
étudiants européens. Et là, nous pratiquons par tutorat. En tant que directeur de
ces deux types de programmes, je recueille les commentaires de tous, que ce soit
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
compliments, inquiétudes ou plaintes. Je suis aussi enseignant au sein des deux
programmes, et j’ai donc une expérience pratique des deux modèles.
En tant que directeur du programme à Queens, j’ai longtemps pensé que le
modèle du tutorat crée l’illusion de l’instruction individualisée, puisque tous les
tuteurs ont bien entendu la charge de plus d’un étudiant chacun. De plus, je
considère que, alors que le tutorat exclut l’atelier, l’atelier n’exclut en rien le
tutorat. Ce que je veux dire par là, c’est qu’aucun tutorat ne peut avoir d’effet sur
un atelier à distance, car le principe dominant est celui de l’individualisation. Le
modèle de l’atelier permet cette individualisation en supplément dans la mesure
où les réactions de l’animateur s’adressent à chaque étudiant directement, et se
reproduit pour les autres étudiants; c’est, pour moi, la base de l’individualisation.
De plus, dans le modèle de l’atelier, les étudiants bénéficient d’échanges en face à
face avec leurs enseignants : ils développent ainsi une relation de type tutorat au
cours du semestre.
Ceci étant dit, et compte tenu du désir d’offrir aux étudiants plus d’une paire
d’yeux et d’une réaction critique au cours de tout échange de manuscrits, et, en
réalité, de tenter de décentrer un peu le rôle de l’enseignement dans le
développement de nos apprentis écrivains, pourquoi faudrait-il préférer le modèle
du tutorat à celui de l’atelier dans les programmes d’enseignement à distance ? Il
y a en fait un certain nombre d’excellentes raisons à cela. La première, et non la
plus évidente, est une question d’administration. Pour qu’un atelier marche, il faut
qu’il s’adresse à un effectif raisonnable. À Queens, nous avons décidé que
l’effectif serait d’au minimum 3 et au maximum 4 candidats à ce Master dans
chacun des ateliers, et nous garantissons cet effectif à tous nos enseignants. Cela
génère pas mal de tensions pour réussir à atteindre cette configuration et, bien
entendu, des problèmes de dernière minute avec des étudiants (ou des
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
enseignants) tentant de se retirer ou de s’ajouter à l’effectif enregistré pour le
semestre. Il est clair que le modèle du tutorat n’impose pas cet effectif minimal.
Et le système de l’atelier va probablement devoir dévier de sa route de temps en
temps, suite à une situation inattendue ou une autre (personnelle ou
professionnelle) qui peut affecter la participation d’un étudiant au cours d’un
semestre.
Les autres raisons pour donner l’avantage au modèle du tutorat sont plus
esthétiques et, en réalité, plus évidentes. Les candidats au MFA qui préfèrent ce
système ne veulent tout bonnement pas consacrer du temps à la lecture des
travaux des autres : ils préfèrent le consacrer à la lecture d’œuvres puisées dans
une liste individualisée dont ils décident avec leur professeur. Les enseignants
eux, préfèrent ne pas avoir à réagir aux commentaires de tous les étudiants sur
tous les travaux, activité très chronophage dans le modèle de l’atelier. Certains
d’entre eux, de plus, ne croient pas que le modèle de l’atelier puisse s’appliquer
avec succès dans l’enseignement à distance, car pour eux, un « véritable » atelier
implique une interaction en face à face, et non un échange de courriels.
En fait, le modèle en atelier requiert moins d’originalité de la part de l’enseignant
pour réussir. D’abord, les étudiants eux-mêmes, s’ils sont bien formés (et nous
faisons tout pour cela) apprennent à fournir des retours sérieux et objectifs. Si
bien que ce qu’un enseignant peut éventuellement ne pas voir, sera remarqué par
un des étudiants. De fait, ce jeu additionnel de retours met l’enseignant au défi de
réfléchir de manière plus approfondie et de s’emparer de perspectives nouvelles
sur les travaux en cours. Cet enseignement réactif devient une clé et une
composante essentielle dans l’enseignement à distance, de la même manière qu’il
est capital dans le face à face de l’atelier.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Il est vrai que le modèle du tutorat requiert plus d’originalité de la part de
l’enseignant. En passant à ce système en tant que directeur du programme de
Cedar Crest, je me suis trouvé en situation de devoir compenser l’absence
d’atelier. Il me fallait regarder les travaux des étudiants d’autant de points de vue
différents que possible, afin d’atteindre la variété et le niveau de retours qui
solliciteraient le plus l’étudiant. Personne d’autre n’allait regarder son travail,
donc tout devait venir de moi. En général, dans les retours que je donne, je me
méfie de ne pas submerger l’étudiant d’éléments qui pourront être retravaillés au
moment de la révision, en partie parce que je sais que l’atelier, dans la mesure où
il renferme des possibilités de regards critiques multiples, fournit de tout façon de
nombreux commentaires. En l’absence de ces commentaires, j’ai cessé de
m’inquiéter et j’ai pu au contraire offrir une réaction beaucoup plus critique que je
ne l’avais imaginé. Et puis je me suis mis à imaginer des contenus différents, pour
compenser encore plus l’absence d’atelier. La composante essentielle, comme je
l’ai dit plus haut, est la liste de lectures individualisée. Tout aussi important, et
pour tenter d’installer un peu plus de « communauté » dans ce travail très
personnel, est l’incorporation de « webinaires » réguliers qui rassemble l’effectif
complet pour discuter des éléments de techniques nécessaires quel que soit le
genre littéraire visé.
Pour finir, et d’après mon expérience, il semble que le système de l’atelier est
préférable pour former de futurs animateurs d’ateliers d’écriture, car ils y gagnent
plus d’expérience en matière de critique de manuscrits et aussi en regardant leurs
formateurs réagir à tous les travaux produits. C’est-à-dire qu’ils se trouvent
exposés à plus de méthodes et de techniques pédagogiques pour aborder
l’enseignement de l’écriture créative.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Quel modèle aide les écrivains à développer leur potentiel au mieux ? La chose
reste à établir. Le modèle de l’atelier les fait progresser en améliorant leurs
compétences critiques et en leur proposant un plus vaste éventail de réactions
critiques à leur travail. Le modèle du tutorat les aide en les obligeant à lire plus
largement et plus finement selon les canons de la littérature ; car on ne peut nier
qu’un des facteurs de progrès pour un écrivain est de lire un maximum de
littérature. Le tutorat exige sans doute plus de celui qui porte l’enseignement, le
professeur/mentor, et requiert plus d’expression de l’opinion de l’"expert". Mais
une des raisons pour laquelle j’ai préféré développer le système de l’atelier, c’est
que je remettais en cause l’enseignement centré sur le professeur que génère le
tutorat. Aucun professeur ne peut avoir raison à tous les coups, et certains peuvent
non seulement avoir tort mais aussi refuser de s’en rendre compte.
Quoi qu’il en soit, tout écrivain sérieux devra lire bien au-delà de sa réussite au
Master, et tout écrivain concerné par l’enseignement devra continuer à
approfondir son expérience par des lectures, par la pratique de ses compétences
critiques et pédagogiques. Quel que soit le système d’enseignement à distance
choisi par un étudiant, il lui restera encore beaucoup à apprendre après le passage
de son diplôme. Le choix de l’un ou l’autre système se résume peut-être tout
simplement au caractère de la personne. Si le futur écrivain a besoin de plus
d’échanges et d’un plus large éventail d’expériences, alors le système de l’atelier
devrait mieux lui convenir. Si au contraire il préfère plus d’intimité, s’il a
l’impression que la condition d’auteur correspond mieux à la relation
individualisée avec un mentor, alors le tutorat sera plus adapté.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Il va de soi qu’au final, cette analyse se place dans une situation idéale où tous les
autres éléments – enseignants, lieu, autres formations suivies… – n’entrent pas en
ligne de compte. Mais c’est rarement le cas. Si bien que le débat tutorat/atelier va
se réduire le plus souvent jusqu’à n’être qu’un élément plutôt mineur de la prise
de décision de la part d’un candidat pour s’inscrire dans un programme ou même
de la part d’un professeur pour y enseigner.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
LE PROCESSUS CRÉATIF
Catherine STAHLY-MOUGIN (France)
Journal ? Carnet ? Quel outil pour accompagner l’œuvre en cours ?
Journal ? Carnet ? Quel outil pour le travail en cours ?
Dire en si peu de temps comment « enseigner » l’usage du carnet est un exercice
périlleux ! Car le carnet est tout sauf un objet dont on puisse enseigner l’usage.
C’est le paradoxe auquel j’ai eu à faire face depuis une vingtaine d’années au
cours desquelles nous avons exploré le champ de ce curieux petit outil de la
création avec quelques centaines de participants : autant de personnes, autant de
manières singulières et inventives de concevoir le carnet.
Journal ? Carnet ? Quelle différence ?
Cette question revient souvent autour de la table lorsque, à la première séance, on
est à l’orée d’un atelier. « J’ai plein de carnets, mais je n’arrive pas à écrire
dedans. Le format est trop petit. Le cadeau trop beau. Qu’écrire ? Le journal ?
Mais alors je ne veux pas le partager avec d’autres. Et sinon, ce que j’écris dans
mon carnet est sans intérêt ! Je viens pour voir ce que le carnet peut changer dans
mes habitudes d’écriture. »
Pour entrer dans le vif du sujet, je m’empresse de plier une feuille en quatre et
décline rapidement l’origine du mot : carnet du mot latin caier > quaterni luimême dérivé de quatuor > quatre : une feuille pliée en quatre.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Un petit carnet relié ou une feuille de papier pliée en quatre, par son aspect
informel et peu encombrant, peut se mettre n’importe où : dans une poche, un sac
ou sur la table de chevet. Le seul fait de l’avoir disponible à tout moment permet
de capter l’inattendu, de formuler une pensée qui apparaît au cours d’une
promenade ou le matin à l’aube quand on est encore à moitié ensommeillé.
Mu par un élan, en réponse à une demande urgente, on se saisit du carnet
pour noter pêle-mêle l’éphémère et l’essentiel.
On ne peut pas dire « Je l’écrirai plus tard ». Prendre les notes sur le vif est une
tentative de capter l’instant dans les mailles du filet sans que rien ne s’interpose.
On épingle un mot, une bribe de phrase faisant son chemin dans la pensée encore
informulée, comme s’il fallait voir les mots pour qu’ils aient un sens.
Ecrire plus tard c’est déjà se souvenir de l’instant vécu, transformé par ce qui lui
a succédé, c’est raconter quelque chose qui est déjà du passé, une remémoration.
On se rapprocherait là du journal, écrit après coup.
A ceux qui lui demandaient conseil, Jack London répondait : « Ayez un carnet de
notes. Voyagez avec lui, dormez avec lui. Notez-y tout ce qui vous vient à
l’esprit. Le papier bon marché est moins périssable que la matière grise, et les
notes au crayon à mine de plomb durent plus longtemps que la mémoire. »
Le possesseur d’un carnet est un explorateur, un chercheur qui observe et
expérimente la façon de dire les choses. Son carnet est un laboratoire : habitué à
noter ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il sent, il s’essaye à trouver le mot juste.
Listes, inventaires, constellations sont quelques-uns de ses outils, pratiques et
suffisamment simples pour attraper une idée au vol, une pensée soudaine, une
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
épiphanie, qu’il griffonne à la va-vite. Cette exploration exerce son regard, son
attention, secoue les habitudes et défie les clichés embusqués dans le langage.
Un outil de liberté
On ne choisit pas ce qu’on va écrire, on écrit à l’aveugle, dans une forme
d’urgence, on n’a pas besoin que tout soit clair, on se comprend, on fera le tri plus
tard quand viendra le temps de l’écriture proprement dite. Il se peut qu’en
définitive il y ait peu de choses qui passent du carnet au manuscrit. Ce qui est
important c’est le chemin accompli au cours de ces tentatives successives.
C’est une écriture du suspens, dans l’inachevé. Ecrire au milieu de la rue, noter les
événements sans attendre, est sans doute inconfortable. Il se peut qu’on vous
regarde d’un drôle d’œil alors que vous marmonnez quelque chose que vous ne
voulez pas oublier jusqu’à ce que vous ayez trouvé l’endroit où vous poser pour
l’écrire.
Vous êtes en chemin quand quelque chose soudain vous apparaît : saisi par une
émotion, vous devez l’écrire sans délais avant qu’elle ne s’envole dans les brumes
du souvenir. Pour l’écrivain ou toute personne qui porte attention au sens des
choses, l’écriture dans le carnet est une respiration : prendre ce qui nous vient du
dehors et l’introduire dans le dedans de l’écriture, renouveler le regard qu’on a
sur les choses, chercher le mot juste et se délester des automatismes du langage.
Se libérer de ce qui se répète en nous, retrouver un regard neuf, naïf, nu…
Le format contraint au peu et ce que l’on épingle dans les plis du carnet est
l’essentiel.
Pas besoin de s’installer devant une table pour écrire dans le carnet. On le prend
quand on en a besoin. On s’exerce à formuler une pensée, on joue avec les mots,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’aspect de ce qui est écrit importe peu : c’est un outil, un atelier en soi. Picasso
disait de ses carnets qu’ils étaient son « atelier portatif », son « atelier de poche » !
Ecrire dans le carnet est moins intimidant que la page blanche, on y jette les mots
sans soucis de lisibilité, des phrases inachevées, on y laisse des fautes, on y écrit
en style télégraphique ou en sténographie : quelques signes griffonnés à la va-vite
sont suffisants pour se rappeler le contexte.
Marchant dans la campagne, le peintre Pierre Bonnard dessinait sur le vif dans
son minuscule agenda et au milieu de listes de courses à faire, il notait quelques
indications sur le temps qu’il fait : « Par temps beau mais frais, il y a du vermillon
dans les ombres orangées et du violet dans les gris. » De retour dans son atelier, il
regardait ses croquis annotés et disait à leur propos : « Cela me rappelle la lumière
et me suffit pour évoquer tout le déroulement de la journée. »
Le choix du format est lui-même une forme de jeu : plus petit et impersonnel estt-il, plus libre on se sent. Certains carnets sont si petits qu’ils tiennent dans le
creux de la main !
On se souvient sans doute du célèbre film de François Truffaut : « Jules et Jim ».
Deux amis aiment la même femme qui les aime tous les deux ! Par contre, ce
qu’on connaît moins est le nom de l’auteur du livre qui est à l’origine du film.
Henri-Pierre Roché était un amateur d’art, un ami des artistes, un mécène, un
collectionneur. Vers l’âge de 76 ans, il reprend ses petits agendas où, trente ans
plus tôt, il écrivait au jour le jour, le canevas de cette grande histoire d’amour. Il
se met alors à transcrire l’histoire dans de plus grands carnets et finalement, à
partir de ces phases successives, rédige son roman. Le style télégraphique du petit
carnet attire l’attention de Truffaut par sa similitude avec le script d’un film : des
phrases courtes organisées en séquences narratives - ce qui aujourd’hui serait très
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
prisé dans le domaine littéraire ! Le livre cependant n’eut pas beaucoup de succès
à sa sortie en 1956. Aujourd’hui, plus de cinquante ans se sont écoulés et le livre
est un best-seller !
Juste pour dire que l’écriture dans le carnet peut être le début d’une longue
histoire : on ne sait pas !
L’œuvre du temps
A ce que nous écrivons dans le carnet s’ajoute quelque chose que nous ne
pouvons encore mesurer : la juxtaposition des notes, la multiplication des signes,
leur insistance, leur similitude, leur variété, forment un tissage dont l’image ne se
révèle que progressivement. Ce qui se trame dans les plis du carnet, on ne peut en
juger sans le recul du temps.
On y glisse toutes sortes d’informations : un numéro de téléphone, le nom des
personnes rencontrées dans la journée, une liste des choses à faire, une réflexion
sur les propos entendus, toutes sortes de sujets prosaïques et de petits bouts de
papiers mais ô combien précieux pour l’auteur comme pour le lecteur qui butine
les carnets comme un papillon autour d’une fleur.
Quand une personne assise autour de la table demande : « Pourquoi écrire toutes
ces choses insignifiantes, pour qui ? C’est si difficile de rendre tout cela
intéressant… », je réponds : « Attendez ! Ecrivez et attendez. Si rien n’est écrit,
rien ne se montrera. C’est seulement en écrivant que quelque chose se dessine. »
C’est évident, me direz-vous ? Eh bien, cela doit devenir une expérience
personnelle pour montrer son efficacité.
Et petit à petit, au fil des séances, chacun trouve sa façon personnelle d’utiliser ce
drôle de petit objet !
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Les carnets ne sont pas destinés à être publiés. Ce sont les outils du créateur,
quelque chose comme un Vade me cum – Va avec moi. Et si certains d’entre eux
sont publiés, l’auteur en aura retravaillé les notes, ne serait-ce que pour les rendre
lisibles. Il semblerait que de revenir sur ce qui a été écrit dans le carnet procure un
certain plaisir à l’auteur. Il en parcourt les pages et réalise le chemin parcouru. En
relisant ses carnets Henri-Pierre Roché constate : «… je n’écrivais sur chaque
journée que cinq lignes dans mon minuscule agenda de poche. J’y trouve
néanmoins les faits et impressions essentielles. »
Malgré ce travail en vue de l’édition, les notes publiées montrent l’aspect
« chantier » du carnet, « lieu où l’on dépose des matériaux » : les différentes
approches autour d’un sujet, le style concis, l’attention portée aux mots et les
retours fréquents sur l’exploration d’un sujet donne cette impression du travail en
cours.
Vient finalement cette autre question : « J’ai toutes sortes de carnets » « Ces
carnets sont très beaux », « La personne qui m’a offert ce carnet est une amie »,
« Je rature beaucoup : quel dommage ! » « Comment écrire dans ces carnets ? ».
Les carnets en moleskine d’Hemingway ne font pas de nous des génies ! Une
petite feuille de papier pliée en quatre est moins précieuse mais sans doute plus
efficace !
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
David Jan NOVOTNÝ (République Tchèque)
L’atelier d’écriture de scripts : un processus de formation
(de l’idée première à la réécriture)
Le fondement d’un bon film, c’est une bonne histoire. Il est assez facile
d’apprendre les techniques du scénario en un semestre, mais si vous manquez
d’idées, si vous n’avez en tête ni personnages intéressants ni intrigue, la technique
ne sert à rien.
Depuis notre enfance, nous savons raconter des histoires, et reconnaître une
histoire bien racontée d’une histoire mal racontée. Nous pouvons apprendre à
écrire des scénarios, mais il nous faut d’abord un personnage et une situation clé.
J’enseigne l’écriture de scénario et la théorie dramatique depuis 22 ans en tirant la
matière de ma propre expérience en matière d’écriture de scripts et de narration,
ainsi que de l’expérience acquise grâce à mes professeurs. Je n’ai jamais lu de
manuels sur ce sujet. Mon manuel, c’est la pratique au quotidien.
A la base de mon atelier d’écriture de scénario, il y a le travail à la maison, les
« devoirs ». Les étudiants travaillent sur les principes fondamentaux de l’art de
l’écriture de scénario. Nous commençons par une pratique silencieuse, car, au tout
début, les films étaient muets. Les metteurs en scène et les scénaristes travaillaient
sur une action sans dialogues, ils se fondaient sur l’image et avaient besoin de
connaître ce que les peintres avaient utilisé avant eux, à savoir : capturer une
histoire. Et ils transféraient l’histoire dans le déroulement du film. Voyons par
exemple le début d’un film muet légendaire : Le Kid, de Charlie Chaplin, pas à
pas.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
1) Plan large : le bâtiment du Charity Hospital. Une jeune mère triste quitte le
bâtiment, un bébé dans les bras. Puis arrive le carton : La femme – dont le
péché est d’être mère. Les infirmières la regardent avec compassion.
2) Dans le parc – la mère est assise sur un banc avec son bébé – Elle est
manifestement aux abois.
3) L’atelier du peintre – un jeune peintre miséreux regarde, sous les yeux de son
client, la photo d’une jeune femme – la mère. Soudain, la photo tombe dans le
feu et brûle.
4) Un groupe d’invités à un mariage et la mariée quittent une maison. La jeune
mère passe par là et regarde tout ça avec tristesse…
5) On voit la grande maison luxueuse. Dans la rue, une voiture de luxe. La mère
avec son bébé passe, observe et dépose l’enfant sur le siège arrière de la
voiture, puis disparaît.
6) Deux voleurs observant la voiture, montent dedans et partent.
7) Nous sommes de retour dans le parc. La mère est assise sur le même banc,
mais sans son enfant.
8) Les voleurs arrêtent la voiture dans un lieu isolé et découvrent le nouveau-né
sur le siège arrière. Ils ne savent pas quoi faire, alors ils le déposent près d’une
poubelle et s’en vont.
9) Dans le parc, la mère est seule et désespérée…
10) Un lieu désolé : on rencontre le héros pour la première fois. Charlot le
clochard. Un carton : Sa promenade du matin. Charlot se balade, regardant de
ci de là, passé le coin de la rue et regarde dans les poubelles. Il allume un
mégot puis découvre le bébé, le prend dans ses bras ; il voit un landau avec un
enfant dedans, et y met le bébé. Mais la mère, qui est tout près, le lui rend
résolument. Charlot essaye ensuite de se débarrasser de l’enfant, mais soudain,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
il découvre dans les langes un petit mot qui dit : S’il vous plaît, aimez cet
orphelin et prenez soin de lui.
11) La mère, au bord du pont : on dirait qu’elle veut se jeter dans la rivière. Un
jeune enfant adorable lui tend un joli caillou, et la mère se souvient de son
bébé.
12) Charlot revient chez lui, l’enfant dans les bras. Il ne fait aucun doute qu’il a
décidé de prendre soin de l’orphelin.
Le film Le Kid commence donc par douze scènes sans dialogue. Les mots sont ici
inutiles, tout peut être montré par l’image, qui est le matériau de base d’un film.
C’est pourquoi je commence mes cours par ces exercices muets. Si le mot est
l’outil fondamental de la littérature, l’image est celle du cinéma. En un instant, on
peut montrer tout ce qu’on veut – dans une narration, il faudrait deux pages pour
décrire la même scène. Dans les douze premières scènes du film de Chaplin, ce
qui se passe, l’intrigue est parfaitement clair pour le spectateur qui n’a plus
qu’une envie, savoir comment ça va se terminer : comment Charlot va-t-il prendre
soin de l’enfant ? La jeune mère reverra-t-elle son enfant un jour ? Autant de
questions qui nous obligent à rester dans nos fauteuils de cinéma ou devant notre
télévision.
Je vais maintenant vous expliquer un exemple d’exercice pratique proposé dans
mon atelier. Semaine après semaine, je donne des devoirs aux étudiants qui en
lisent le résultat à voix haute dans notre séminaire. Nous en discutons et je montre
où les étudiants ont fait des erreurs, ce qui était écrit correctement ou non. Pour
respecter la loi sur les droits d’auteur, il ne m’est pas permis de vous présenter des
travaux d’étudiants ; j’ai donc rédigé un échantillon basé sur la consigne suivante.
Consigne: le triangle (une des sources d’intrigues les plus anciennes), un homme
et deux femmes
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Conflit : Conflit d’intérêts, infidélité, vengeance ;
Personnages : Le dragueur, femme amoureuse 1, femme amoureuse 2 ;
Émotions : Amour, jalousie, haine ;
Grand final : la mort
Volume: 1 ½ page
PROFESSEUR CASANOVA: Première version
Scène 1 –Salle de cours – intérieur jour
Plusieurs étudiants des deux sexes. Certains bavardent entre eux, d’autres lisent,
une fille est en train de se maquiller.
On entend des voix dans le couloir, le bruit de la rue est présent.
Par la porte de la salle entr’ouverte, on peut voir le couloir où d’autres étudiants
se déplacent.
Professeur (off):
…Désolé, je n’ai pas le temps. Mon cours commence dans une minute.
Étudiante (off):
Mais c’est important, professeur. Je crois que je porte votre enfant.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
On voit une main qui saisit la poignée de la porte. Quand la porte s’ouvre, le
professeur, la quarantaine distinguée, apparaît ; il regarde avec étonnement une
magnifique jeune femme rousse debout près de lui.
Professeur:
Cela change tout, effectivement…
Tous les étudiants sont tournés vers la porte, regardant le professeur et la jeune
fille. Le professeur enlace et embrasse la jeune femme.
Professeur:
…Dimanche, je te présente à ma mère.
Violons solennels.
Tous les étudiants se lèvent et applaudissent. Mais une jeune fille brune jette un
regard meurtrier.
Les applaudissements se joignent aux violons.
Le professeur fait un geste pour arrêter les applaudissements et salue comme une
pop star.
Professeur:
Merci, merci…
La petite brune tire un revolver de sons sac, vise et presse la détente.
La détonation résonne dans toute la salle.
Le professeur tombe à terre. Il lance un regard confus à la petite brune.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Professeur:
Maria, qu’est-ce que ça veut dire?
La petite brune :
C’est une solution pratique à un conflit dramatique, mon cher. Je n’ai rien trouvé
d’autre.
FIN
Passons maintenant à la deuxième version:
L’écriture de scénario repose sur la réécriture. On ne s’arrête pas à la première
version, ni à la deuxième, ni même à la troisième. J’ai rédigé une deuxième
version de Professeur Casanova pour démontrer comment on peut s’attaquer à un
thème, avec les mêmes personnages, et quels étaient les défauts de la première
version. J’y ai inclus l’analyse de la première version.
Les personnages n’avaient pas de noms. Dans un roman, point n’est besoin de
noms. Il arrive qu’on ne connaisse pas le nom du héros, surtout quand le texte est
à la première personne. Mais dans le scénario ou le théâtre, les personnages ont
besoin d’un nom, ne serait-ce que pour le costumier, le maquilleur, le producteur,
les assistants… Mais la raison principale, c’est que l’auteur connaît alors son
héros par son nom ; il en est le géniteur, il le connaît intimement.
La consigne suivante était la rédaction d’une deuxième version.
Garder le triangle, le conflit, les personnages, garder les émotions et le Grand
final, c’est à dire la mort.
Mais chercher de la nouveauté dans l’inspiration et incorporer de nouvelles idées.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
La deuxième version comme résultat de la créativité.
Avant d’écrire ma deuxième version, je suis allé faire une promenade en famille
le dimanche et nous nous sommes retrouvés dans un ancien cimetière d’une
banlieue de Prague. Nous avons regardé les pierres tombales et les sculptures
funéraires. L’éphémère est présent dans tous les cimetières, et cela fait réfléchir
sur la vie et l’éternité. Et puis j’ai remarqué une pierre, en marbre noir comme
les autres, mais l’inscription était étrange.
KAZIMIR ET SA MÈRE
Pas de nom de famille, pas de prénom de la mère. Pas de date. Une
information des plus laconiques. Derrière ces lettres gravées se cachait une
histoire inconnue. Nous avons regardé cette pierre plus de dix minutes, et nous
sommes interrogés sur les relations entre Kazimir et sa mère. Je réfléchissais à
l’histoire cachée dans cette pierre tombale et soudain m’est venu une idée pour
ma deuxième version. Et j’avais un nouveau titre de travail : Kazimir et sa
Mère (il est peut-être utile d’expliquer le sens du nom Kazimir. C’est un
prénom slave, dont la racine est un verbe kazit=anéantir et un nom mír=la paix.
C’était un prénom de guerrier slave.)
Et voici la version revisitée de mon histoire.
KAZIMIR ET SA MÈRE: deuxième version
Scène 1 – Salle de cours – intérieur jour
Plusieurs étudiants des deux sexes. Certains bavardent entre eux, d’autres lisent,
une fille est en train de se maquiller.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
On entend des voix dans le couloir, le bruit de la rue est présent.
Par la porte de la salle entr’ouverte, on peut voir le couloir où d’autres étudiants
se déplacent.
Professeur Kazimir (off)
Désolé, je n’ai pas le temps. Mon cours commence dans une minute.
Rose (off):
Mais c’est important, professeur. Je crois que je porte votre enfant.
On voit une main qui saisit la poignée de la porte. Quand la porte s’ouvre, le
professeur Kazimir, la quarantaine distinguée, apparaît ; il regarde avec
étonnement une magnifique jeune femme rousse, Rose, debout près de lui.
Professeur Kazimir:
Cela change tout, effectivement…
…Dimanche, je te présente à ma maman.
Tous les étudiants sont tournés vers la porte, regardant le professeur et la jeune
fille. Le professeur Kazimir enlace et embrasse Rose. Elle lui saute au cou, la
jambe gauche relevée. Son élégant escarpin rouge tombe sur le sol.
Violons solennels.
Tous les étudiants se lèvent et applaudissent.
Applaudissements.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Scene 2 – jardin – extérieur nuit
Les applaudissements deviennent un bruit de tonnerre.
Il fait nuit noire. Un éclair zèbre le ciel. Une pluie nourrie s’abat sur les arbres.
Dans un coin du jardin, un personnage en imperméable et en chapeau de pluie en
plastique remet de la terre avec une pelle sur une plate-bande. Une personne, de
petite taille, aussi en imperméable, se tient à ses côtés.
Bruit de tonnerre assourdissant.
A la lueur d’un éclair, on reconnait le visage du professeur Kazimir. Il finit
d’arranger la plate-bande et, avec un regard interrogatif, se tourne vers l’autre
personne. C’est sa Maman.
La mère tient une canne en ébène à poignée d’argent. Elle montre un point mal
aplani de la plate-bande.
Kazimir repasse la pelle dessus.
Sous son imperméable, la Maman sourit et fait un signe de tête approbateur.
Kazimir et sa maman traversent le jardin. Dans un autre éclair, ils voient un
escarpin rouge au talon cassé.
La mère, du bout de sa canne, soulève le soulier et le montre au professeur.
Maman:
J’ai toujours dit que les filles qui portent ce genre de choses cherchent la chute !
Kazimir découpe un morceau de gazon, sa mère met la chaussure rouge dans le
trou et le professeur la recouvre, en tassant avec sa botte en caoutchouc. Ils
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
repartent dans le noir, seulement éclairés de temps à autres par les éclairs. Ils vont
vers la silhouette d’une maison sombre, et se fondent dans le noir et le paysage.
FIN
Le titre de travail a donc été changé. Le nom Casanova évoquait bien sûr
n’importe quel dragueur, mais le personnage a été modifié. On a gardé le
thème : amour, infidélité, jalousie, haine et vengeance puis mort. On a gardé la
consigne de deux femmes et un homme. L’histoire finit par un crime mais la
victime a changé. Et j’avais ajouté une contrainte : l’escarpin rouge…
Dans la première version, c’était le professeur qui mourait. C’était un
dragueur, et il mourait sans savoir pourquoi. Il était le personnage principal et
il lui fallait mourir des mains de sa maîtresse éplorée, Maria. Dans la deuxième
version, Rose est une des filles en jeu, et point n’est besoin de montrer son
corps, ni de décrire la manière dont elle a été tuée. C’est parce qu’il reste des
questions en suspens que naît la tension.
Le personnage du professeur a donc été modifié, ainsi que sa manière de
parler. Dans la première version, il utilise le mot « mère », et dans la deuxième
« maman ». On a donné un nom à la maîtresse de Kazimir, et Maman est
devenu celui d’un personnage représentatif de toutes les mères de ce genre. On
a déplacé l’histoire dans le temps – quelques décennies en arrière. De nos
jours, les jeunes gens n’appellent plus leur mère maman, et si certains le font,
faites attention !
La chance sourit à ceux qui sont prêts à l’accueillir. Une rencontre accidentelle
peut vous aider à résoudre une scène ou une situation et peut vous inspirer une
suite pour votre histoire, cachée dans les ombres d’une pierre tombale…
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
TABLE RONDE ET ATELIERS
TABLE RONDE 1 – L’ATELIER EST-IL MORT ? ET SI ON PARLAIT
D’UN RETOUR A LA LECTURE COMME FONDEMENT DE
L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRITURE CRÉATIVE ?
Ana MENÉNDEZ avec: Javier SAGARNA, Alain ANDRÉ.
Ana MENÉNDEZ (États-Unis/Pays-Bas)
"Au-delà de l’atelier"
« L’écriture créative » est un drôle de vocable. Quand on y réfléchit, n’est-il pas
particulièrement redondant pour une discipline qui se soucie du « bien écrire ».
Toute écriture n’est-elle pas, par essence, « créative » ? Et qui diable a un jour
inventé de l’enseigner ? Homère a-t-il jugé utile de passer un Master en Beauxarts ?
On peut retrouver ce terme dans le vocabulaire des mouvements d’éducation
nouvelle de la fin des années 20, moment où la pratique de l’expression de soi est
devenue une mode aux États Unis. On encourageait les étudiants à trouver leur
propre voix, à explorer leur propre créativité. Le terme se posait donc en réaction
– pratiquement une réaction politique – aux écritures non créatives auxquelles les
étudiants avaient jusque-là été confrontés : traductions, rédactions, rapports.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Mais au début, l’enseignement de l’écriture créative s’adressait plus à des enfants.
Aux États-Unis, au début du siècle dernier, il y avait une forte résistance dans les
universités, un peu comme ce qu’on voit encore de nos jours en Europe. En 1906,
George Pierce Baker a ouvert un atelier d’écriture théâtrale à Harvard, qui a eu un
grand succès. Mais il n’a jamais réussi à convaincre les autorités de Harvard de
proposer un diplôme en écriture théâtrale ? Baker est finalement parti à Yale en
1925, et y a fondé une école d’art dramatique. Mais jusqu’où allait cette résistance
dans les universités d’élite ? Quand, après le succès de Lolita, Vladimir Nabokov
s’est porté candidat pour un poste de Professeur à Harvard, le linguiste Roman
Jakobson s’est fermement opposé à sa candidature. « Messieurs », a-t-il
écrit, « même si nous devons reconnaître qu’il est un grand écrivain, ce serait
comme offrir un poste de professeur de zoologie à un éléphant ! »
La première université à aborder le sujet de manière positive fut l’Université de
l’Iowa qui, en 1922, a annoncé qu’elle admettrait un travail d’écriture créative en
guise de thèse pour les diplômes d’études supérieures. Quelques années plus tard,
en 1936, ils sont allés plus loin, mettant en place le premier diplôme d’écriture
créative américain. Ce cursus est devenu un modèle dans l’enseignement de
l’écriture créative. Aujourd’hui, il existe quelques 700 programmes de ce type aux
États Unis.
Ils y sont devenus un pilier de l’éducation universitaire, souvent raillés, parfois
loués, mais sans aucun doute influents. Ils ont modifié le paysage éditorial :
l’Iowa compte à lui seul 17 prix Pulitzer parmi ses diplômés. Certains des plus
grands écrivains de notre temps sont issus de ces formations : Michael Chabon,
Kazuo Ishiguro, Ian McEwan, Rose Tremain, Annie Dillard, Henry Taylor, Jane
Smiley, Michael Cunningham, Paul Harding, Flannery O’Connor, Allan
Gurganus, Daniel Alarcon, T. Corraghessen Boyle, Denis Johnson, Nathan
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Englander, ZZ Packer, Joy Williams. Ainsi que mes poètes favoris Philip Levine,
Charles Wright et W.D. Snodgrass.
Une telle influence ne peut bien entendu pas échapper à de violentes critiques, et
elles n’ont pas manqué.
On connaît sans doute celle de Tom Wolfe, qui, dans un numéro du Harper’s
Magazine de 1989, se riait de ces « écrivains intervenant dans les programmes
d’écriture
des
universités »
et
qui,
« en
de
longues
discussions
phénoménologiques ont décidé que l’acte de poser des mots sur une page est la
chose à faire et que le soi-disant véritable univers de l’Amérique est la fiction ».
La plus triste de ces critiques est peut-être celle de Kay Boyle, directeur d’un
cursus d’écriture créative à l’Université d’État de San Francisco pendant seize ans
et qui a déclaré au New Yorker que « tous les programmes d’écriture créative
devraient être abolis par la loi ».
Une partie du problème est sans doute que le modèle mis en place par l’Université
de l’Iowa – un atelier de 10 à 15 étudiants sous la houlette d’un écrivain reconnu
discutant de ce qui « marche » ou pas dans le texte d’un participant - n’a
pratiquement pas évolué depuis 75 ans. Cela établit une sorte d’orthodoxie, une
« manière ».
L’atelier contemporain est désormais obsédé par des règles (écrivez sur ce que
vous connaissez, montrez ne dites pas, aspirez à des personnages bien campés).
Parfois, ça marche. Et d’autres fois, c’est un désastre, car la banalité des
commentaires émis par les participants à l’expérience aléatoire peut atteindre des
proportions risibles.
127
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Pendant un an, j’ai interviewé des écrivains, étudié des cursus variés et la culture
interne à mon université, avant de mettre au point le programme que nous avons
finalement engagé. La plupart des enseignants à qui je me suis adressée m’ont
pressée de m’éloigner du modèle de l’atelier. Cristina Garcia l’avait baptisé « Le
Modèle des Mauvais Apôtres ». En suivant leurs conseils et en me penchant sur
ma propre expérience d’écrivain, j’ai décidé d’imposer un fonds de lectures avant
que les étudiants commencent à écrire leur texte complet.
Notre option à l’université de Maastricht se préoccupe moins de « règles » ou
d’ « astuces » que du processus qui mène à la découverte de soi. Même si je
désapprouve le point de vue de Kay Boyle quand il déclare qu’il faut mettre les
ateliers d’écriture hors la loi, je suis profondément convaincue qu’ils doivent
évoluer. Le premier changement viendra d’un retour à la lecture comme
fondement de l’apprentissage.
À Maastricht, nous menons un cours de vingt semaines qui aborde l’écriture en
partant du point de vue qu’il s’agit à la fois d’une compétence qu’on peut
enseigner et d’un talent qui doit être nourri. Pendant les huit premières semaines,
nous étudions les classiques, en les abordant de manière descriptive et non
prescriptive. Nous lisons Flannery O’Connor pour l’intrigue, Ernest Hemingway
pour le dialogue, William Faulkner pour le point de vue, John Cheever pour le
décor, et ainsi de suite. Nous mettons l’accent dans ces lectures sur l’attention à la
technique, comme un designer de mode qui achèterait un vêtement juste pour le
démonter et voir comment il est fait. On demande aux étudiants de rédiger deux
textes qui analysent des fictions à partir de ce point de vue technique. À savoir :
pourquoi l’auteur a-t-il fait les choix qu’il a faits ? De plus, nous proposons des
exercices centrés sur chacune de ces techniques. Par exemple, pour le dialogue, je
leur demande d’écrire l’échange entre un homme et une femme dans une situation
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
difficile : l’amant est dans le placard et le mari est rentré plus tôt que prévu parce
qu’il a perdu son travail.
Nous parlons beaucoup de la manière dont un auteur aborde ces points, en nous
concentrant moins sur les règles (montrer, ne pas dire) que sur le résultat. Le
dernier cours des huit premières semaines est dédié à l’ineffable bonheur qui
consiste, selon Nabokov, à lire avec résolution, ce qui se rapproche de la
conception européenne de l’art.
En Europe, il existe une longue tradition de philosophie esthétique qui prétend
que le « génie » des artistes est impossible à enseigner. Kant définissait de génie
particulier comme appartenant à une « originalité exemplaire » pour laquelle « il
est impossible d’établir des règles ». Dans la mesure où l’exemple du génie
« donne naissance à une école, c’est-à-dire, une méthodologie reposant sur des
règles, la pratique des Beaux-arts devient sujette à un art de l’imitation sans
âme ».
Dans notre formation, nous sommes à la recherche des lignes directrices des
classiques. Ce sont les qualités qui apparaissent généralement dans les écrits de
qualité : la vivacité, une préférence pour la part concrète de ce qui ne l’est pas,
une attention particulière à la langue et un amour des mots. Tout en reconnaissant
le fait que l’art revêt une qualité unique, évanescente, que le grand poète espagnol
Federico García Lorca appelait Duende (le charme), un certain sens de l’humain
qui relève de l’observation et de l’empathie et trouve sa source dans une manière
de vivre et de ressentir.
En enseignant aux étudiants comment lire de près, comment analyser une
structure et les choix effectués par les auteurs, je ne les encourage pas seulement à
devenir de meilleurs écrivains, j’espère aussi faire d’eux de meilleurs lecteurs,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
plus engagés, plus avisés. Pour moi, les fondements de l’écriture reposent moins
sur les formes canoniques que sur les qualités spirituelles qui animent les
meilleurs artistes. La curiosité, le respect, l’empathie, la discipline, et par-dessus
tout, la joie, cette capacité à garder un point de vue léger et libre, même sur les
sujets les plus sombres. Lire et travailler de cette manière permet à chacun de
trouver du plaisir dans le processus lui-même, ce qui débouche forcément sur une
écriture qui ne peut que s’enrichir au fil du temps.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Alain ANDRÉ (France)
Si vous êtes prêts à entendre une dernière mini-conférence, j’aimerais vous
expliquer pourquoi j’ai cessé de croire à des ateliers d’écriture menés comme une
sorte de “Cène”, avec l’animateur dans la posture de Jésus-Christ.
Bien sûr, en ce qui concerne la relation entre lecture et écriture, les coutumes
nationales diffèrent. Je ne vais vous parler que de ce que je connais des pratiques
aux États-Unis, ainsi que de l’approche française, et vous expliquer comment j’ai
évolué à l’intérieur de la problématique de l’enseignement de l’écriture créative.
Trois points, donc…
La « story » américaine
Une discipline académique
L’intéressante présentation d’Ana Menéndez remet en question le modèle que
représente l’enseignement de l’écriture créative à l’Université de l’Iowa. Cette
critique se retrouve assez souvent dans les points de vue exprimés par les
enseignants d’écriture créative américains. En juillet 2011, j’ai participé à CerisyLa-Salle à un colloque consacré aux ateliers d’écriture français. J’y ai entendu une
conférence donnée par une poétesse américaine, qui vit entre Washington et Paris,
enseigne la poésie à l’Université de l’Iowa et la traduction à Paris. Elle s’appelle
Cole Swensen et a publié une douzaine de recueils de poésie, dont certains ont été
traduits en français chez Corti, ainsi que des textes critiques.
Elle nous a dit que, pour une Américaine, ce qui avait été inventé dans les ateliers
en France était fascinant. Aux États-Unis, comme vous le savez, l’écriture
créative est une discipline académique, sanctionnée par un Master en Beaux-Arts
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
(Masters of Fine Arts - MFA), ou des Masters en arts plus orientés vers la critique
littéraire. Les étudiants choisissent l’écriture comme future carrière. Ils sont
sélectionnés sur leurs qualités d’écrivains. L’idée est de développer leurs
compétences grâce à une atmosphère favorable, une vie au sein d’une
communauté d’écrivains et un ensemble d’activités appropriées. La formation
dure deux ou trois ans. Il existe environ trois cents programmes de ce type aux
États Unis, avec une structure similaire : ateliers d’écriture et cours de littérature.
La création et son apprentissage sont liés dès le départ. L’écriture est considérée
comme un art, au même titre que la sculpture ou la musique. Cela a commencé
dès 1898 avec un programme intitulé “Versification”. Le premier MFA de
l’Université de l’Iowa date de 1931. Les enseignants y sont surtout des écrivains.
Flannery O’Connor et Raymond Carver ont fait partie des premiers groupes
d’étudiants, comme vous le savez, et ont fait la réputation du programme. Tous
ces diplômes se sont beaucoup développés dans les années 70 et, maintenant, les
États-Unis disposent de nombreux écrivains capables d’enseigner dans des
ateliers, mais pas du nombre de postes équivalent. Le modèle pédagogique semble
inchangé : un groupe de huit à onze étudiants, des textes de quelques pages
partagés avant le cours et discutés pendant la session.
Le point de vue de Cole Swensen
Selon Cole Swensen, ce type d’enseignement se doit d’évoluer, afin de permettre
le travail sur des textes différents et surtout plus longs, et afin d’intégrer les
nouvelles technologies. Elle met l’accent sur les mots, non sur l’expression du soi,
ainsi que sur l’éthique de l’écriture, l’écriture collaborative, les pratiques inter-arts
et la traduction, mais je ne peux pas développer ce sujet. En ce qui concerne les
ateliers français, elle considère que nous avons inventé l’atelier « génératif » :
nous travaillons sur les procédés d’un écrivain et aidons les participants à les
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
expérimenter par eux-mêmes, pas à pas, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure
d’inventer leurs propres procédés de création. Je ne résiste pas à l’envie de
souligner que ces ateliers reposent la plupart du temps sur des lectures. Nous ne
suggérons pas simplement des « exercices », à la manière de John Gardner dans
son Art of fiction (Art de la fiction), tels que, par exemple : « Décrivez une grange
du point de vue d’un oiseau affamé, mais sans rien dire de l’oiseau ni de sa
faim ». Nous, nous lisons des extraits plus ou moins longs de Marcel Proust,
Malcolm Lowry ou Bob Dylan, et les propositions découlent de ces lectures.
L’histoire française
Université : le règne de la critique
En France, les ateliers sont issus d’une histoire bien différente. L’écriture créative
n’est pas une discipline académique. Le premier Master d’écriture créative est en
cours de création à Toulouse. On a même abandonné l’enseignement de l’écriture
créative dans le secondaire dès 1901, au moment où disparaissait ce qu’on
nommait les classes de Rhétorique. On a alors favorisé le commentaire,
l’explication de textes et les exercices d’admiration obligatoire, le règne de la
lecture critique : l’exégèse.
Premiers ateliers : le règne de la spontanéité
Ce modèle établi a commencé à s’étioler à la fin des années 60, après la période
du nouveau roman et de la nouvelle critique, avec Mai 68 et un refus global des
cours magistraux et autoritaires. De nouvelles approches ont vu le jour, dans les
mouvements pédagogiques, parmi les professeurs de littérature, en formation
continue ou professionnelle, et parfois même dans les universités. L’idée était
d’écrire ensemble sur le vif, parfois à partir de presque rien, quelque chose que
quelqu’un avait dit en entrant dans la salle, un fait minuscule. On partait de l’idée
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
que tout étudiant était un écrivain en devenir. Inutile d’étudier les classiques,
d’Homère à James Joyce, avant de tenter d’écrire votre premier vers ou votre
première phrase de fiction. Il suffisait, pour l’animateur, d’aider les gens à aimer
l’écriture au lieu de la détester en la considérant comme une stupide contrainte
scolaire. Il vous suffisait d’être un magicien et d’imaginer des propositions
d’écriture. Nous pensions qu’il fallait en outre déployer une pédagogie fondée sur
le projet individuel. On pouvait lire ce qu’on voulait, de la manière qu’on désirait,
comme l’écrivit l’auteur français Daniel Pennac. Sont alors apparus plusieurs
médiations nouvelles entre la littérature et son public : les associations d’ateliers
d’écriture, les clubs de lecture et les lectures publiques.
De la relation entre écriture et lecture dans un atelier d’écriture
La lecture en tant que problème d’écriture
C’est à partir de ce genre de pratiques que l’enjeu de la lecture des textes
littéraires est redevenu un enjeu important. Pour moi, la relégation de la lecture au
second plan posait problème, car je considérais que devenir un écrivain allait de
pair avec devenir un bon lecteur. Comme l’avait remarqué Marcel Proust, le plus
difficile, dans l’écriture, c’est de devenir un « bon lecteur de soi-même » En ce
qui concerne les premiers animateurs à Aleph-Écriture, bon nombre d’entre nous
étaient professeurs de lettres et jeunes écrivains. Nous admettions que trop
d’exigence littéraire pouvait entraîner des blocages, mais nous refusions le culte
de la spontanéité qui prévalait dans les années soixante-dix.
Détours
Nous avons donc inventé une stratégie fondée sur le « détour ». Nous
commencions par afficher des objectifs poétiques explicites dans nos ateliers. Les
étudiants étaient d’abord invités à faire quelque chose : écrire quelque chose et
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
non étudier un texte littéraire. Puis, comme ils avaient besoin d’aide pour avancer,
nous leur proposions :
-
De lire des extraits littéraires courts liés au thème technique de la proposition :
non pas de produire un commentaire scolaire sur le texte, mais d’extraire un des
outils littéraires dont ils avaient besoin pour avancer dans leur propre écriture.
-
Puis d’échanger avec l’animateur leur questionnement sur ces outils : comment
s’en servir ? Sont-ils nécessaires ? Jusqu’à quel point ?
On leur proposait ensuite :
-
De partager en petits groupes les textes qu’ils avaient produits, et de voir si l’outil
ainsi abordé s’était révélé utile ou non.
-
De réécrire seuls, ou bien de continuer sur leur lancée.
-
Et, sans obligation, de lire ou donner leur texte au groupe entier, les membres de
leur petit groupe étant les premier lecteurs à réagir.
Exemple
Par exemple, j’ai eu un atelier dont l’objectif était d’aider les étudiants à identifier
l’enjeu de la phrase. On pense a priori que la phrase est l’enjeu essentiel d’un
roman, n’est-ce pas ? Je leur ai lu l’incipit d’un roman de l’auteur français Marie
N’Diaye : Comédie classique (P.O.L.) C’est un roman assez court, composé d’une
seule et unique phrase qui court sur une centaine de pages. À ce propos, vous
voyez que nous utilisons des auteurs très contemporains, ce qui ne nous interdit
pas de revenir à Montaigne, Chaucer ou Tacite, si cela s’avère utile. J’ai suggéré
aux étudiants de commencer à écrire une histoire qui, comme le roman,
impliquerait un narrateur dans une certaine humeur (fatigué, exalté, désespéré,
etc., au choix), en incluant des considérations sur les événements de la journée
écoulée et sur celle qui s’annonçait. Ce début devait être rédigé sur deux ou trois
pages, mais en une seule phrase.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Après cette expérience, on peut distribuer aux étudiants tout un jeu de longues
phrases. J’en ai toute une collection, de Marcel Proust ou de Mathias Énard, bien
sûr, mais aussi de William Faulkner, etc. Ils en choisissent une. Deux questions :
comment la phrase est-elle construite ? Comment « tient-elle », au lieu de
s’abîmer dans le néant ?
Cela peut constituer une bonne introduction à la stylistique, même si j’évite de les
noyer sous un vocabulaire trop spécifique. Mais nous avons parlé de phrase
parataxique ou épitaxique, par exemple, il faut bien disposer de mots précis pour
partagé. Ils ont ensuite échangé à propos de leurs phrases en petits groupes, en se
posant ces mêmes deux questions. Est ensuite venue la phase de réécriture, leur
permettant d’affirmer leurs choix et de faire de leur phrase un navire apte à
prendre la mer. À la séance suivante, nous les avons invités à proposer leur phrase
réécrite au groupe afin d’en recevoir les réactions et commentaires.
Bien sûr, l’enjeu n’est plus le même lorsqu’il s’agit d’écrire un roman. Mais
j’utilise le même schéma pédagogique quand je fais travailler mes étudiants sur
une structure romanesque, sur les personnages ou sur la temporalité dans la
narration.
Pourquoi ai-je décidé de travailler de cette manière ? Je pense que, du moins en
France, il nous faut changer la perception que les étudiants et stagiaires ont des
textes littéraires. Ils ont été habitués à des exercices d’admiration obligatoire, à
des commentaires creux ou seulement habiles et érudits. Il leur faut devenir
chercheurs d’or, braconniers avisés, prédateurs littéraires, capables de chercher ce
dont ils ont besoin en tant qu’auteurs et de viser juste. Et comment pourraient-ils y
parvenir si nous, en tant que formateurs, ne leur apprenons pas à bien lire ?
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
ATELIER 1
Cécile FAINSILBER (France)
La perception
Cet atelier de 90 minutes a réuni 5 participants, un modérateur et un animateur. Il
y avait aussi des bruits venus du dedans et du dehors. La session a été divisée en
deux moments. Le premier reposait sur le morceau de John Cage « 4’33 de
silence ». Dans la vraie performance, c’est le public qui crée la partition à partir
des sons entendus pendant les trois mouvements « joués » par un pianiste muet
ouvrant puis fermant le couvercle de son instrument. Les trois mouvements sont :
I. 33’, II. 2’40, III. 1’20. Dans l’atelier d’écriture, les participants ont suivi la
partition de John Cage, prenant note de tous les sons entendus au cours des trois
mouvements définis par le chronomètre de l’animateur. Tout le monde s’est alors
retrouvé devant un triptyque de mots concernant les bruits, déjà organisés par la
limitation des temps impartis. Les productions reflétaient le fond sonore partagé
au cours des 4’33 : mais les restitutions variaient, allant d’une liste précise de
mots exacts sur les bruits dans leur ordre d’apparition, à un texte se déployant
comme une incantation avec des anaphores et des répétitions, des notes sur le
silence et une évocation de sons fantômes, l’invention d’onomatopées destinées à
fuir l’ennui provoqué par la banalité de la prise de notes.
Après lecture de tous les textes, les participants ont reconnu avoir constaté une
plus grande attention à ce qui se passait autour d’eux sur le plan acoustique. Ils se
sont sentis dotés d’une plus grande capacité auditive. Ils s’étaient approprié des
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
détails dont ils n’avaient pas eu conscience auparavant. Ils étaient passés dans une
autre dimension, entrant en eux-mêmes alors qu’ils se voulaient attentifs à ce qui
se passait au dehors. À ce moment, tous se rapprochaient de l’idée de Rilke : « Si
vous restez proches de la nature, de sa simplicité, des petites choses qui sont à
peine visibles, alors ces choses peuvent soudain devenir incommensurables ».
Le second moment de l’atelier était dédié à Kafka, à partir de son texte intitulé
« Grand bruit », écrit en Novembre 1911 et publié dans le Journal littéraire de
Prague Herderblätter en 1912. L’animateur a lu le texte à voix haute, puis chacun
a été invité à décrire un lieu avec les bruits qu’on y entend, la musique qui lui
appartient, afin de créer un paysage sonore, montrant le monde comme s’il n’était
perçu qu’au travers d’une oreille. Chacun des textes produits relevait d’un univers
bien spécifique, tous ancrés dans un lieu et un temps précis, grâce aux sonorités
évoquées : un monologue intérieur d’un personnage fiévreux, une femme chez
son coiffeur, une rue de Rome au matin, les entrées et sorties d’une salle de
classe, et ce que Kafka entend de son lit d’hôpital.
Les participants ont trouvé utile de se concentrer sur un seul sens pour restituer
une scène, mais ont exprimé le désir d’en faire une histoire mise en forme. Est
alors venue l’idée d’un texte dans lequel un personnage se réveille tôt dans un
appartement et se déplace dans les pièces en essayant de faire le moins de bruit
possible, mais néanmoins émet de nombreux sons, et les perçoit avec d’autant
plus d’acuité qu’il essaye de les éviter, jusqu’au moment où il doit sortir et fait
alors un bruit si énorme qu’il réveille toute la maisonnée.
À ce moment-là, le réfrigérateur d’Aleph a cessé de ronronner et d’envahir notre
premier plan sonore et nous nous sommes tous regardés, partageant avec bonheur
ce moment magique de silence.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
L’animateur avait fondé sa proposition sur les textes de Rilke et de Hesse cidessous.
« Si nous voulons être des initiés de la vie, nous devons considérer les choses sur
deux plans : d’abord la grande mélodie, à laquelle coopèrent choses et parfums,
sensations et passés, crépuscules et nostalgies, et puis : les voix singulières, qui
complètent et parachèvent la plénitude de ce chœur.
Et pour une œuvre d’art cela veut dire : pour créer une image de la vie profonde
de l’existence qui n’est pas seulement d’aujourd’hui, mais toujours possible en
tous temps, il sera nécessaire de mettre dans un rapport juste et d’équilibrer les
deux voix, celle d’une heure marquante et celle du groupe de personnes qui s’y
trouvent. »
Rainer Maria Rilke - Notes sur la mélodie des choses
« Siddartha écoutait. Il écoutait avidement, absorbé, presque vide, acceptant tout.
Bien souvent déjà il avait entendu toutes ces choses, bien souvent les voix du
fleuve avaient frappé ses oreilles, mais aujourd’hui ces sons lui semblaient
nouveaux. Il commençait à ne plus bien les distinguer ; celles qui avaient une note
joyeuse se confondaient avec celles qui se lamentaient, les voix mâles avec les
voix enfantines, elles ne formaient plus qu’un seul concert : la plainte du
mélancolique et le rire du sceptique, le cri de la colère et le gémissement de
l’agonie, tout cela ne faisait plus qu’un, tout s’entremêlait, s’unissait, se pénétrait
de mille façons. Et toutes les voix, toutes les aspirations, toutes les convoitises,
toutes les souffrances, tous les plaisirs, tout le bien, tout le mal, tout cela
ensemble, était le monde. »
Hermann Hesse – Siddhartha
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
ATELIER 2
Kate MOORHEAD (Grande Bretagne)
Inventer des personnages
Cet atelier a fait usage d’exercices multiples visant à aider les participants à créer
des personnages et, à travers eux, une histoire. Le premier exercice consistait à
penser à trois petits objets que leur personnage aurait sur lui. Ces objets devaient
être décrits en quelques phrases descriptives. Puis les participants devaient
imaginer la maison de leur personnage et décrire trois aspects de cette demeure, là
aussi en quelques phrases. Enfin, il leur était demandé d’associer chacun des
objets à un des aspects de la maison, décrivant la raison de cette association en
quelques phrases. À partir de ces éléments, les participants avaient déjà une bonne
idée de leur personnage, son histoire, sa personnalité, sa vie.
Pour la seconde partie, nous avons utilisé des photographies et un « questionnaire
sur le personnage » qui consiste en 20 questions concernant un second personnage
à créer. Les questions vont de « comment vous appelez-vous » et « quel âge avezvous » à « quelle est votre plus grande peur » et « quand avez-vous dit je t’aime
pour la dernière fois ? ». Les participants ont choisi des portraits photographiques
et, sur la base de cette représentation, ont répondu au questionnaire en un seul
paragraphe, en utilisant la voix de leur personnage, créant ainsi un monologue à la
première personne. Cet exercice aide les participants à connaître leur personnage
et à commencer à en développer la voix unique. Car l’auteur doit être capable de
répondre à des questions sur son personnage, même si l’information demandée
n’a pas de rapport immédiat avec l’histoire. C’est un exercice pratique qui aide à
créer des personnages cohérents, bien campés.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Les participants ont ensuite choisi des lieux sur des photos proposées (un parc, un
théâtre, une galerie d’art) et ont reçu pour consigne d’écrire une scène au cours de
laquelle leurs deux personnages se rencontrent. Il fallait décrire d’abord le
personnage 1 du point de vue du personnage 2, puis l’inverse, et enfin une scène
dans laquelle les deux personnages sont ensemble depuis une heure et arrivent
dans la conversation à un point où le secret d’un des deux se fait jour. Cela permet
aux participants de s’exprimer dans la voix de chacun de leurs personnages et de
faire l’expérience du sous-texte dans le dialogue.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
9 NOVEMBRE 2012
CONFÉRENCE 2
Daniel SOUKUP (République tchèque)
Enseigner l’écriture dans une langue étrangère :
présentation de situations d’enseignement
Le point le plus évident qui fait obstacle à une coopération fructueuse dans le
domaine des ateliers d’écriture en Europe est l’incroyable multitude de langues en
pratique. En théorie, nous ne pouvons qu’être heureux de cette richesse
linguistique, mais dans notre quotidien, nous sommes trop souvent confrontés
aux problèmes pratiques qu’elle pose. Dans la mesure où il semble souvent
difficile de se comprendre les uns les autres, même sur des sujets triviaux,
enseigner l’écriture dans une langue étrangère peut sembler une impossibilité
insurmontable. Néanmoins, l’expérience montre qu’il existe, en fait, un vaste
champ de possibilités entre l’idéal abstrait du plurilinguisme et cette exaspération
liée à l’incompréhension : car les étudiants et enseignants qui parlent des langues
différentes se rencontrent, interagissent et apprennent les uns des autres.
Je voudrais vous présenter ici les situations de classe les plus typiques impliquant
une seconde langue, et faire le point sur les défis que cela soulève. La plupart des
exemples concrets viendront de ma propre expérience, car je ne me sens pas
capable de parler de l’enseignement des autres. Mais je vise à proposer une
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
matrice simple qui puisse servir à systématiser l’expérience d’autres enseignants
et étudiants.
Dans le panorama qui suit, la langue utilisée par les étudiants dans leurs écrits sera
appelée X. En plus de celle-ci, il y a trois autres langues à prendre en compte :
celle dans laquelle se déroule la formation, celle de l’enseignant et celle des
étudiants. Bien sûr, deux ou trois d’entre elles peuvent se résumer à une seule
(c’est généralement le cas). Je laisserai de côté le cas d’enseignants bilingues ou
polyglottes, mais je prendrai en compte la possibilité d’un groupe plurilingue.
Je ne compte pas aborder toutes les combinaisons logiquement possibles, mais
seulement les plus typiques. En fait, il semble peu vraisemblable que les situations
qui ne seront pas listées ici puissent se produire, par exemple l’idée d’un
professeur tchèque expliquant en tchèque à des étudiants finnois comment écrire
en finnois (schéma XAAX) semble étrange. Mais on ne peut jamais savoir quels
cocktails linguistiques la vie nous réserve, surtout en Europe !
En dehors des langues utilisées, il me faudra bien sûr examiner l’objectif que
recouvre l’enseignement de l’écriture dans une langue étrangère, objectif qui peut
varier d’un pays à l’autre. Pour systématiser l’expérience pédagogique, j’utilise la
typologie des attitudes envers l’écriture créative telles que définie par Paul
Dawson dans son livre Creative Writing and the New Humanities (L’écriture
créative et les Lettres modernes). Selon Dawson : « L’écriture créative est le
produit de quatre trajectoires institutionnelles – chacune reposant sur une théorie
spécifique de la littérature, des auteurs et de la pédagogie – qui parfois entrent en
conflit et se superposent. Je vais nommer ces trajectoires : expression créative du
soi, compétences d’expression, technique et lecture de l’intérieur” (Dawson 2005:
49). Il résume ces approches comme suit.
143
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
L’expression créative du soi est une technique de la personnalité dans laquelle le
langage (essentiellement dans la poésie) est un outil de découverte et de
développement du potentiel expressif du caractère humain propre à l’auteur. Le
modèle compétence d’expression replace l’écriture créative au cœur d’un
enseignement général de l’écriture qui forme les étudiants à une variété de modes
d’expression destinés à une précision de la communication personnelle et
professionnelle. Le modèle technique implique la conjonction de la critique
formaliste et du concept de la formation artistique associée aux Beaux-arts. La
lecture de l’intérieur repose sur l’idée que l’expérience de l’écriture littéraire
mène à un plus grand savoir et à une meilleure appréciation du savoir ainsi acquis.
(ibid. : 49)
Bien entendu, l’application de la typologie de Dawson est moins objective et
moins généralisable que les listes de langues utilisées. Car au final, l’objectif
pédagogique général dépend toujours de la formation concernée.
Situation 1: Un tchèque enseigne à des tchèques l’écriture en anglais
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X et/ou A
Langue première de l’enseignant : A
Langue première des étudiants: A
De toutes les situations listées ici, celle-ci est la moins pertinente en ce qui
concerne la coopération internationale dans le domaine de l’écriture créative, dans
la mesure où l’enseignant et les étudiants parlent la même langue première. Le
seul élément international est la langue étrangère utilisée pour les écrits, et parfois
pour les consignes. Mais je ne crois pas en des frontières très définies, et il me
144
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
semble que toutes les approches de l’enseignement de l’écriture dans une langue
étrangère peuvent s’inspirer les unes des autres.
C’est une configuration qu’on retrouve d’ailleurs plus souvent dans les cours de
langue étrangère qui incluent l’écriture dans les quatre compétences de base (lire,
écrire, parler, écouter) que dans des ateliers d’écriture. L’enseignement de
l’écriture dans cette perspective peut inclure des exercices de créativité et le fait
souvent. Les plus courants semblent être les exercices de narration, car le fait de
raconter des histoires, une spécificité humaine universelle, permet de dépasser les
écarts culturels et linguistiques. Mais on peut aussi défendre des formes qui
pourraient être considérées comme plus difficiles comme, par exemple, la poésie.
Par exemple il existe un manuel centré sur « la lecture et l’écriture de poèmes
avec les étudiants d’anglais » ; il propose une liste de raisons selon lesquelles on
peut « utiliser la poésie pour apprendre l’anglais » : 1) la poésie relève d’un
anglais spécial, comme l’anglais scientifique ou l’anglais journalistique… qui
mérite donc d’être enseigné au même titre ; 2) la poésie nous aide à comprendre
les rythmes spécifiques d’une langue ; 3) les poèmes sont souvent faciles à
mémoriser ; 4) les sujets dont parlent les poèmes sont intéressants – et
importants ; 5) le processus d’écriture de poèmes, surtout en groupe, mène à des
discussions fructueuses, sur des sujets qui importent vraiment aux participants ; 6)
[l’écriture de poèmes] permet d’essayer diverses manières de dire la même chose ;
7) [l’écriture de poèmes] donne un but à l’exercice d’écriture et permet d’inclure
sentiments et idées personnels. (Maley and Moulding 1985: 1)
Un autre auteur affirme même que, parfois, il se peut que nous écrivions « mieux
dans une langue qui n’est pas notre langue première. Nous écrivons simplement,
allons droit au but, et sommes plus attentifs aux sonorités de cette langue parce
qu’elles sont nouvelles et merveilleuses. Nous évitons les clichés, sans doute
parce que nous ne les avons pas si bien intégrés. » (James 2007: 13)
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Certains genres littéraires sont particulièrement adaptés à l’enseignement des
langues. Par exemple, la « poésie concrète » expérimentale est souvent utilisée
dans l’enseignement de l’allemand, parce qu’elle ouvre le champ d’une
expérimentation ludique du langage, tout en familiarisant les étudiants avec les
structures types de l’allemand. De plus, il est assez facile de composer ce type de
poèmes dans une langue étrangère, même sans être d’un très bon niveau, et c’est
très motivant. Si on en revient à la typologie de Dawson, cette situation se range
dans la catégorie compétence d’expression, avec quelques éléments d’expression
créative du soi (inclure les sentiments et idées personnels). On peut même y
introduire la lecture de l’intérieur.
Situation 2: un américain enseigne à des tchèques (et autres) à écrire en
anglais
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X
Langue première de l’enseignant : X
Langue première des étudiants: A (B, C…)
Comme la précédente, c’est une situation qu’on rencontre souvent dans
l’enseignement des langues étrangères, mais qui n’est pas limitée à cela. Ici, je ne
peux pas parler d’expérience, car il ne semble pas qu’il y ait beaucoup d’étudiants
désireux d’apprendre à écrire dans ma langue première, le tchèque. Néanmoins, je
peux apporter quelques remarques. De toute évidence, l’enseignant dans la
situation 2 (qui enseigne dans sa langue première) a un avantage sur celui de la
situation 1 (qui enseigne dans une langue étrangère). En fait, si un des objectifs
principaux du cours est de faire progresser les étudiants à l’écrit, le choix d’un
enseignant natif est sans doute préférable. C’est pourquoi par exemple, à
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’Académie Josef Skvorecky, le séminaire optionnel « Écriture créative en
anglais » (pour les étudiants tchèques) a toujours été pris en charge par des
enseignants d’origine anglo-saxonne.
Avec un enseignant natif, l’objectif global de la formation peut, en plus de
l’approche compétence d’expression (enseignement de l’écriture), aborder l’aspect
technique et enseigner aux étudiants à produire, par exemple, des nouvelles « bien
écrites ». Cependant, si l’enseignant n’a expérimenté l’écriture créative qu’avec
des étudiants de la même langue première, il peut éprouver quelques difficultés à
ajuster ses exigences à des étudiants étrangers, et avoir tendance à sous-estimer ou
surestimer leurs travaux. Autre inconvénient envisageable de ce type de situation
d’enseignement : l’enseignant risque, dans ce cas, de détenir un trop grand
pouvoir symbolique dans la mesure où c’est lui qui dispose de l’autorité
pédagogique et sociale (en tant que professeur), l’autorité linguistique (en tant que
natif) et même l’autorité artistique (s’il est écrivain).
Situation 3: Un enseignant tchèque enseigne à des finnois (et autres) à écrire
en anglais.
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X
Langue première de l’enseignant : A
Langue première des étudiants: B (C,D…)
J’utiliserai ici comme exemple celui de l’atelier « Comprendre et écrire des
histoires (courtes) » que j’ai conduit en septembre 2012 à l’université de
Jyväskylä (Finlande). Avant le cours, j’ai demandé aux étudiants de lire Au cœur
des ténèbres de Joseph Conrad, une sélection de nouvelles de James Joyce (dans
Gens de Dublin), et d’autres de l’auteure canadienne Alice Munro (extrait du
147
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
recueil Progress of Love) – un choix hétérogène qui, de manière pragmatique,
utilisait une liste d’ouvrages que les étudiants devaient de toute façon lire pour un
autre cours. Nous avons fait trois cours, un par auteur. Le groupe d’étudiants était
assez varié, composé de finnois et d’étudiants d’autres pays. Il y avait même un
tchèque et un américain, ce qui fait que la liste des langues premières devrait
inclure, en plus de B,C,D… A et X. Avec une liste de lecture aussi diverse, j’ai
utilisé une approche simple, et ai demandé aux étudiants de se concentrer sur les
aspects suivants des histoires qu’ils lisaient : a) personnages, b) intrigue, c) décor,
d) atmosphère, e) émotions, f) style, g) références culturelles, et h) sens global.
Dans chaque cours, nous avons travaillé sur deux ou trois de ces éléments. Nous
avons par exemple parlé du sens global d’Au cœur des ténèbres (question de
l’allégorie), des ruptures de style dans l’histoire de Joyce Les morts, ou de la
description des personnages chez Alice Munro. Chaque thème abordé a donné
lieu à un court exercice d’écriture. Pour en revenir à la typologie de Dawson, on
peut dire que cet atelier a mis en œuvre des éléments de technique et de lecture de
l’intérieur.
Situation 4: Un tchèque enseigne à des Autrichiens à écrire en allemand
Langue de l’écrit: X
Langue de l’enseignement: X
Langue première de l’enseignant : A
Langue première des étudiants: X
C’est une situation pédagogiquement intéressante, car elle met indiscutablement
l’enseignant en porte à faux, dans la mesure où, non natif, il enseigne à des natifs
à écrire dans leur propre langue. Dans cette configuration, l’enseignant pourrait
bien se retrouver en situation d’apprendre quelque chose des étudiants mais, en
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
tant qu’enseignant, il lui faut découvrir quelque chose à leur apprendre. À moins
qu’il ne soit particulièrement à l’aise dans cette langue étrangère, c’est plutôt vers
l’aspect technique de la typologie de Dawson qu’il lui faudra se tourner.
Je prendrai ici comme exemple l’atelier Traductions tchèque-allemand (partie
« Royaume de Bohème ») que j’ai conduit à Vienne en mai-juin 2012 (organisé
conjointement par l’école de poésie de Vienne et l’Université d’Arts appliqués).
L’atelier se divisait en trois séances. La langue première des étudiants était
l’allemand, même si tous ne venaient pas d’Autriche : l’un était du Tyrol et un
autre avait même des ancêtres tchèques. Il était prévu 4 cours et une présentation
publique finale. En réfléchissant à ce que j’allais pouvoir proposer à des étudiants
dont je ne parle qu’imparfaitement la langue, j’ai décidé de me concentrer sur la
longue histoire des relations entre l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Dès 1526,
nous avons vécu sous l’empire des Habsbourg et même après sa dissolution en
1918, il restait une minorité germanophone en Tchécoslovaquie, jusqu’à ce que la
plupart soient expulsés après la seconde guerre mondiale. Je n’avais pas le temps
de faire une révision historique exhaustive, mais cela m’a permis d’introduire des
éléments linguistiques, historiques et culturels liés à cette coexistence passée, afin
de permettre aux étudiants de se les approprier de manière imaginative. Je me suis
inspiré du roman La fuite en Égypte (Die Flucht nach Ägypten) d’Otfried Preußler
(1923), un auteur germanophone né en Bohème et expulsé par les tchèques. J’ai
du mal à inclure cet atelier dans la typologie de Dawson. On peut sans doute dire
que c’était un mélange d’expression créative du soi, de technique et de lecture de
l’intérieur, mais avec une importante coloration culturelle qui reliait toutes ces
approches. Par ailleurs, certains exercices et échanges se sont éloignés des
problèmes Tchèques-Autrichiens-Allemands pour se recentrer sur des questions
plus générales telles que le rôle de la mémoire dans la construction de l’identité,
ou sur des points stylistiques spécifiques. Les trois textes lus en public à la fin
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
étaient bien représentatifs de ces divergences dans le groupe : le premier était issu
de l’exercice L’histoire et le narrateur se pourchassent l’un l’autre (inspiré de la
technique narrative du roman de Preußler) ; le deuxième étudiant a écrit une
réflexion de type essai inspirée par quelques lignes du poète irlandais Seamus
Heaney : « La mémoire comme un immeuble ou une ville, / Bien éclairée, bien
dessinée, pourvue de / Tableaux vivants et d’effigies en costume » (Heaney 1991 :
75) ; et le troisième étudiant a décrit la vie imaginaire de deux personnages dans
une photo, probablement une mère et son fils. C’est une photographie que j’ai
découverte dans une vieille maison d’une région frontalière en République
tchèque, jadis peuplée par une communauté germanophone. Réinventer leur
biographie oubliée est une manière de rétablir, au moins dans un moment
d’imagination, quelque chose qui fut écrasé par les forces brutales de l’Histoire.
Cet exemple montre que, s’il existe un fond culturel partagé, le travail avec des
objets « trouvés » ouvre pour les étudiants – et les enseignants – un potentiel riche
tant culturel que linguistique. Par exemple, le poète tchèque Radek Fridrich
collecte les inscriptions en allemand sur les pierres tombales dans des vieux
cimetières et les utilise dans ses écrits. En voici un exemple :
Fragment
Anna
geb.
Wirtschaftsb
gest. 6.
im 48. L
Gatt
nub
und
Josef
edin
150
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Septemb
68. Lebensj
(Fridrich 2002)
Ce poème, manifestement la transcription littérale d’une inscription funéraire à
demi détruite, est entièrement en allemand, mais il a été publié dans un recueil en
tchèque écrit par un poète tchèque. De manière discrète, il en dit long sur la
mémoire historique, l’identité nationale et la nostalgie, tout en donnant une idée
claire de ce que pourrait impliquer « d’écrire dans une langue étrangère ».
Pour son dernier projet, Christian Ide Hintze, poète autrichien et fondateur de
l’école de poésie de Vienne, a travaillé sur ce qu’il a appelé « Septuple poétique »,
intégrant la poésie traditionnelle à d’autres types de poésies (acoustique, visuelle,
performative, interactive, infrastructurelle, et instructive). Dans son idée, il
s’agissait de s’éloigner de l’intérêt exclusif pour un « langage national
standardisé » et de l’effort pour « trouver la vérité dans le noir et blanc des lettres
et espaces sur la page » (Hintze 2010 ; voir aussi le site du projet :
www.ide7fold.net).
L’enseignement de l’écriture dans une langue étrangère semble mieux fonctionner
quand, outre les aspects littéraires, il aborde des éléments de performance ou de
culture. Un bon exemple de cela est le succès des ateliers d’art dramatique
destinés à des étudiants finnois et tchèques qui se sont déroulés à l’Académie
Littéraire. La langue du cours et des écrits était l’anglais, et l’atelier était co-animé
par Harri István Mäki (de l’Université d’Orivesi) et un enseignant d’écriture
créative natif (Joanna Coleman et Brad Vice).
De plus, le concept visionnaire de Hintze « Septuple Poétique » correspond bien à
des idées telles que celle de l’hybridation qui gagnent du terrain dans notre monde
de plus en plus interculturel. Je vais vous donner deux exemples de l’impact que
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
cela pourrait avoir sur l’écriture. Dans son livre sur « la littérature entre les
cultures », Sabine Scholl cite le livre fondateur Borderlands/La Frontera :
The New Mestiza (1987) par l’auteure mexicano-texane Gloria Anzaldúa:
To live in the Borderlands means you
are neither hispana india negra española
ni gabacha, eres mestiza, mulata, half-breed
caught in the cross-fire between camps
while carrying all five races on your back [...];
To live in the Borderlands means to
put chile in the borscht,
eat whole wheat tortillas,
speak Tex-Mex with a Brooklyn accent [...]. (Scholl 1999 : 59–60)
(Vivre dans les zones frontalières, ça veut dire que
Tu n’es ni latino indienne nègre espagnole
Ni gringa, tu es métisse, mulâtre, sang-mêlé,
Prise entre deux feux
En portant sur ton dos toutes les cinq races […] ;
Vivre dans les zones frontalières, ça veut dire
Mettre du piment dans le bortsch,
Manger des tortillas de blé complet,
Parler tex mex avec un accent de Brooklyn […])
152
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Scholl note des parallèles entre les zones frontalières géographiques (la frontière
entre le Texas et le Mexique), le corps et la conscience de la « nouvelle métisse »,
et le style du livre d’Anzaldúa : tous reflètent la même hétérogénéité (ibid.: 61.)
Margaret Anne Clarke utilise la même métaphore dans son article « Écriture
créative à la frontière » qui analyse les textes d’étudiants écrits lors d’un concours
en langue étrangère à l’Université de Portsmouth. Clarke voit l’écriture en langue
étrangère comme un moyen de dépasser le concept traditionnel de « locuteur
natif », utilisé comme un « indicateur selon lequel l’apprentissage d’une langue se
doit d’atteindre l’idéal imparfait du locuteur presque natif ». Dans un monde de
plus en plus global, ce concept élitiste et monolithique de l’apprentissage des
langues semble dépassé, de même que l’idée d’une entité homogène et
monolithique représentant la langue « officielle » d’un pays. Dans l’enseignement
des langues, il ne s’agit plus « de faire en sorte que les étudiants apprennent tout
d’une langue différente et d’une culture situées quelque part au-delà de ses
frontières, mais du troisième espace d’une hétéroglossie qui émerge au cœur de la
conscience des apprenants. » Quand il écrit dans une langue étrangère,
« l’étudiant en langue…contribue activement à l’évolution de la langue au sein la
communauté linguistique qu’il a choisie ». (Clarke 2008)
L’aspect le plus significatif de ce « troisième espace » linguistique est peut-être le
fait que, comme le dit Clarke, il est fondé sur le choix : écrire dans une langue
étrangère n’est donc pas seulement ouvert à un nouveau métissage, ou à des
poètes tchèques vivant dans des régions pleines de vieux cimetières allemands.
Nous sommes tous libres d’apprendre n’importe quelle autre langue, et de faire
usage de ses mots dans notre enseignement et notre écriture.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Bibliographie
Anzaldúa, Gloria (1987) : Borderlands/La Frontera: The New Mestiza. San
Francisco : Aunt Lute Books.
Clarke, Margaret Anne (2008) : “Creative Writing in the Borderlands”.
http://www.academia.edu/412837/Creative_Writing_in_the_Borderlands Dawson,
Paul (2005) : Creative Writing and the New Humanities. London and New York :
Routledge.
Fridrich, Radek (2002) : Erzherz. Olomouc : Votobia.
Heaney, Seamus (1991) : Seeing Things. London : Faber and Faber.
Hintze, Christian Ide (2010) : “Poetry in times of transition. 7fold poetics”.
Présentation pour la 2ème conférence internationale sur la créativité et l’écriture,
Orivesi, Finland, 19–22 Nov 2010.
James, Gill (2007) : “Thinking outside the box: Creativity in language learning”.
In : Toungefreed 2006/07. Creative Writing in a Foreign Language. University of
Portsmouth.
Maley, Alan and Sandra Moulding (1985) : Poem into Poem. Reading and writing
poems with students of English. Cambridge : Cambridge University Press.
Preußler, Otfried (1991) : Die Flucht nach Ägypten. Königlich böhmischer Teil.
Stuttgart – Wien – Bern : Thienemann.
Scholl, Sabine (1999) : Die Welt als Ausland. Zur Literatur zwischen den
Kulturen. Wien : Sonderzahl.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
MINI-CONFÉRENCES SESSION 3
MULTIMÉDIA ET ÉCRITURE
Françoise KHOURY (France)
Photographier, écrire
Origine
J’ai commencé à écrire des nouvelles lors de mon premier atelier d’écriture. Au
bout d’un moment, j’ai trouvé que mes histoires étaient trop linéaires, mais, en
essayant de les rendre moins linéaires, j’ai découvert que je les rendais de plus en
plus énigmatiques, obscures, confuses (pas seulement pour le lecteur, pour moi
aussi).
S’est alors posée la question suivante : comment pouvais-je représenter le monde,
comment pouvais-je explorer des formes narratives nouvelles, avec une approche
innovante de la relation au temps, à la chronologie ?
A cette époque, je faisais de la photo, et je trouvais cela plus proche de la réalité,
alors que mon écriture m’entraînait vers des univers psychologiques, des images
fiévreuses, qui me semblaient moins réels. Et cela ne me plaisait pas.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Les travaux des écrivains et artistes qui avaient réussi à faire tomber les frontières
entre différents supports ou catégories m’intéressaient. La photographie m’a alors
semblé un bon médium à relier à l’écriture.
A la différence du langage (consensus) ou de la peinture (icône), la photographie
a été définie comme un signe (l’« indexicalité » de Peirce), une relation à la réalité
par la proximité physique, prouvant l’existence d’un sujet/objet. C’est une
empreinte, une trace, comme l’a dit Roland Barthes: « Ça a été ».
J’ai donc décidé de marier écriture et photographie.
Certains critiques ont décrit la photographie comme un miroir, une fenêtre. Je suis
d’accord avec cette idée : mon écriture était le miroir (introspection: accent sur
l’expression de soi) et j’avais envie que ma photo devienne la fenêtre, l’ouverture
sur l’extérieur (observation).
Ces idées semblent peut-être un peu obsolètes de nos jours. La frontière entre
documentaire, fiction et autobiographie est mouvante. Cependant, la question de
la relation entre représentation et réalité n’a pas été résolue, et ne le sera jamais.
Le monde réel demeure inaccessible.
Pour Hubert Damish, un critique d’art, si la photographie et l’écriture ont quelque
chose en commun, c’est la relation à une temporalité non linéaire, un temps
réversible. La photographie ébranle et déstabilise l’histoire, qu’elle soit
personnelle ou collective.
Elle n’a pas de durée, c’est une fraction de réalité, une rupture dans la continuité
du temps, un segment du flux temporel, qui suggère qu’il y a un avant et un après.
Mais il n’y a pas de narration sans développement. Dans cette articulation entre
texte et photographie, le texte rapproche l’image de la narration, en une relation
complémentaire. L’écriture joue le rôle d’un lien entre ces cadres ou peut
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
accentuer le sentiment de temps paradoxal qui se retrouve morcelé à son tour.
Comparons ce dispositif au montage de film où deux images hétérogènes
assemblées donnent un troisième objet. C’est l’essence même du montage.
L’écriture et la photographie seraient ces deux objets premiers, le verbal et le
visuel, qui, associés, en révèlent un troisième, l’assemblage.
On peut placer cet assemblage dans le champ de l’intermédialité, conjonction de
différents systèmes des représentations qui provoque des expériences sensorielles
et esthétiques. Il s’agit ici d’hétérogénéité, non la juxtaposition de systèmes
fermés, mais leur interaction. La photographie n’est pas l’illustration de l’écriture,
mais crée un choc entre les deux, qui amène le lecteur/spectateur à s’ouvrir à de
nouvelles formes de réception.
Les yeux ne se déplacent pas de la même manière lorsqu’on regarde une image
ou lorsqu’on lit. Dans le cas de la lecture, les yeux se déplacent dans une seule
direction (gauche à droite, droite à gauche ou haut en bas). Dans le cas où ils
regardent une image, les yeux se déplacent dans tous les sens, en commençant par
le centre de la zone la plus sombre.
Dans le cas d’un assemblage texte/photographie, l’intermédialité peut donner lieu
à une identité plus complexe. Cette complexité est une réaction moderne à
l’ambigüité du sujet.
L’intermédialité est aussi une émancipation.
Il existe un type de photographie qui est muette et s’ouvre sur un monde de
représentations. Un autre type nous réduit au silence, nous soumet à sa propre
représentation : c’est l’image iconique, celle dont l’intermédialité nous libère.
La photo iconique interdit le commentaire. Elle est si connue qu’une seule
interprétation est reconnue par tous. C’est la photo autoritaire telle que les médias
l’imposent souvent.
L’intermédialité se ressent alors comme une liberté envers les images. Elle les
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
découpe (comme dans le montage), les réorganise, elle écrit dessus, non pas des
mots de description mais des mots qui jouent avec les représentations et le temps
paradoxal.
Mes ateliers
Après lecture des livres de Denis Roche, Arnaud Claass, Hervé Guibert et Alix
Chloé Roubaud, et après la découverte des travaux de Sophie Calle, Duane
Michals et Christian Boltanski, j’ai décidé d’approfondir cette pratique du
mariage écriture/photographie.
J’ai abordé le sujet de manière très expérimentale. En lisant ces livres, j’ai relevé
des idées pour des ateliers d’écriture et les ai expérimentées avec les participants.
Denis Roche m’a inspiré une des séances de l’atelier. Poète et photographe, Denis
Roche évoque la « montée des circonstances » en ce qui concerne une série de six
photos qu’il a prises et les textes qu’il y a associés. Il déclare qu’il n’y a plus rien
après la photo. Pour lui, l’image est ce qui clôt, elle est la fin de l’histoire et le
texte décrit les circonstances au cours desquelles elle a été prise et ce qui s’est
produit avant la prise. Le texte s’interrompt à un moment et la photo arrive
comme un point final. Le texte y gagne en tension, car il est limité dans un laps de
temps très court.
J’ai demandé aux participants de faire la même chose, mais avec des photos
existantes. Ils devaient imaginer ce qui avait rendu l’image possible.
Un autre auteur m’a inspirée. Georges Perec, dont les parents sont morts durant la
seconde guerre mondiale, est allé à Ellis Island dans les années 60. Pendant des
décennies, cet endroit de la baie de New York a été l’endroit où la plupart des
immigrants se sont retrouvés enfermés, attendant leur droit d’entrer sur le
territoire américain. Perec, bien qu’il n’ait eu aucun lien avec ces immigrants,
158
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
s’est senti particulièrement concerné par cette page de l’Histoire. Il a pris des
photos d’Ellis Island et les a combinées avec des photos que Lewis Line avait
prises au début du 20ème siècle. Puis il a rédigé un texte sur son voyage et
interviewé des gens qui étaient passés par Ellis Island en leur temps. Tout ce
matériau assemblé donne un livre hybride : Récit d’Ellis Island. Dans son livre, il
parle d’« autobiographie probable ». Que ce serait-il passé si sa famille était partie
pour Ellis Island avant la guerre ? Son identité en aurait-elle été changée ?
Le livre de Perec a inspiré des consignes que j’ai données aux participants. Je leur
ai demandé d’assembler des photos représentant des portraits, des paysages, des
objets. De là, je leur ai demandé d’élaborer une autobiographie probable, pas une
vie rêvée, mais un « documontage », un mélange d’éléments factuels et
d’impression présenté comme un documentaire respectant le concept d’une
certaine idée de la vérité dans ce type de réalisation.
Cette consigne m’a fait avancer d’un pas. J’ai alors demandé aux participants de
travailler sur l’« autofiction » et d’utiliser les photos et le texte comme des
documents à détourner. C’est un assemblage qui permet le mélange de documents
réels et de documents fictifs.
J’ai étudié l’histoire et ai donc été influencée par le statut du document. Certains
artistes ont à juste titre remis en cause ce statut, en jouant avec l’idée du vrai et du
faux. Comme si la photographie, au lieu d’être l’archive de la réalité, était utilisée
comme une décision préétablie destinée à masquer cette réalité. Dans la mesure
où on peut discuter la capacité de la photographie à représenter la réalité, on peut
la détourner.
Sophie Calle et Christian Boltanski sont deux artistes français qui utilisent la
photographie et le texte pour mettre la réalité en questions. Leur travail est en fait
une performance, c’est-à-dire un acte préconçu destiné à fabriquer une image.
Ici, nous passons de la représentation d’un monde à un protocole expérimental. Il
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
s’agit d’agir sur la réalité, ce qui s’éloigne du documentaire habituel.
Dans une de ses expositions, Sophie Calle présentait cent photos d’une chambre
d’hôtel. Le texte placé sous chaque photo racontait une histoire d’amour
malheureuse. Le texte se réduisait de photo en photo, supprimant une phrase après
l’autre tout en conservant l’incipit. À la dernière photo, ne restait que cet incipit.
Ce genre de travail m’a inspiré une séance sur l’« autofiction », et plus
particulièrement sur la réécriture. Les participants ont été étonnés de leurs propres
choix lorsqu’il s’est agi de réduire le texte à une seule phrase.
Dans les années 70, ces artistes, mais aussi Jean Le Gac et Duane Michals, ont fait
partie d’un mouvement appelé « art narratif ». L’idée était de procéder à une
expansion du temps en utilisant la photographie de manière séquentielle. Les
fragments obtenus étaient ensuite réorganisés en une temporalité paradoxale qui,
assemblées à des textes, ouvrait sur la narrativité. C’était la réinvention du roman
-photo.
Si on voulait délimiter les pratiques entre écrivains et photographes, on peut peutêtre dire que pour les écrivains qui utilisent la photographie, l’image est une
« déclaration picturale » (quelque chose comme une image reconnue), et pour le
photographe qui utilise le langage, l’image est plutôt une performance, ils agissent
sur la réalité.
Ce que les participants retirent des ateliers.
L’image est un puissant déclencheur d’écriture. Au début de l’atelier, l’objet
(photo) crée une distance, une diversion, une atmosphère détendue. On s’amuse.
J’encourage tout le monde à manipuler les images. Mais un cliché n’est pas
seulement une image et, lorsque vient le moment de choisir, de regarder,
d’observer puis d’écrire, certains ressentent une forme d’identification qui soulève
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
des émotions.
J’apporte toujours une pile de cartes postales qui sont des reproductions de
photos, en noir et blanc et en couleurs, contemporaines ou anciennes, mais je
laisse les participants décider de travailler à partir des photos qu’ils ont apportées
ou à partir de celles que je fournis.
Le choix se fait sur la base des émotions que suscite une photo : d’abord une
distance, puis une « appropriation ».
La pratique de l’écriture et de la photographie est une manière de découvrir des
auteurs, bien sûr, mais aussi une façon d’aborder les choses différemment, de
« cadrer » la réalité et de la recomposer en une configuration où les mots font
naître une temporalité différente.
Dans mes ateliers, les participants bougent. Ils se lèvent pour regarder les photos
épinglées au mur comme dans une exposition, regardent celles que j’ai éparpillées
sur la table. Cela permet d’instaurer la discussion et les contacts entre eux.
Dans un de mes ateliers avec des adolescents migrants dont la langue maternelle
n’était pas le français, et qui avaient des difficultés avec la syntaxe, la
photographie s’est révélée libératrice. Ils ont été capables de raconter une histoire,
en oubliant leurs difficultés. Je me souviens de deux jeunes de 18 ans dont
l’écriture était si pleine de fautes que la lecture de leurs textes était quasi
impossible.
Je leur ai suggéré d’élaborer un roman-photo et ai observé comment ils s’y
prenaient pour imaginer une fiction.
Avec des adultes pour qui l’écriture est plus une activité de loisir ou un projet à
plus long terme, la photographie revisite les albums de famille, les carnets de
bord, l’autobiographie, l’autofiction.
Mais pour tous, apprendre à regarder autrement est une découverte partagée. Nous
vivons dans une société où l’image est invasive et nous sommes submergés
161
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
d’infirmation. Prendre le temps de trier ces images fait sens.
Ce type d’atelier aboutit généralement à la production d’une narration courte qui
peut être comparée à la brièveté et l’instantanéité du moment de la prise de photo.
La photographie est un segment d’espace et de temps, et les textes ont tendance à
reproduire ces caractéristiques.
L’écrivain Claude Simon qui pratiquait aussi la photographie, affirmait que le
cadrage était capital. Le cadrage, c’est la sélection dans un flux temporel, un
fragment. Il intensifie notre regard. Pour Simon, la littérature réduit son champ
visuel depuis le 19ème siècle.
Aujourd’hui, la représentation est éclatée en détails qui la rapprochent de la nature
même de la photographie. Claude Simon déclare que la cohérence en narration est
démodée : ce que nous visons, surtout dans les moments de crise où l’identité se
trouve menacée, est fait d’images mentales fragmentaires, contradictoires et
imprécises qui néanmoins ouvrent des portes sur une vérité nouvelle et inconnue.
Conclusion
Comme je l’ai dit plus tôt, mon travail photographique était le lien avec le réel, la
fenêtre, et je peux dire maintenant, après toutes ces années, que même ma
photographie est devenue un miroir.
Aujourd’hui, on remet en cause les différences entre documentaire, fiction, art. Il
existe une réalité psychique qui n’est pas moins réelle que celle du monde
matériel. Et la notion de « purement visuel » est une idée naïve, de même que la
photographie n’est pas une « fenêtre ouverte sur le monde ».
Le philosophe Walter Benjamin parlait de la photographie comme étant
« l’inconscient optique ». La photographie ne fait pas seulement partie de notre
mémoire collective, elle joue un rôle important dans la psyché des individus,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
parfois comme une « image latente ».
J’ai remarqué que certaines photos que j’ai prises il y a longtemps et qui, à
l’époque, n’avaient pas d’importance pour moi, ont lentement fait leur chemin
vers un sens nouveau qui induit l’écriture.
Comme chacun, je suis faite d’images. Notre regard est plein d’images mêlées à
celles des rêves, à des bribes de films, des photos, des souvenirs, des scènes
réelles. Et les mots sont là pour accompagner cette idée d’un univers réel
inaccessible, ce qui est devenu bien moins angoissant pour moi.
Photographier et écrire s’assimilent à une promenade.
C’est pourquoi, après toutes ces années d’exploration, ma sensibilité s’est
rapprochée de celle d’Arnaud Claass (un écrivain-photographe). Il pense que la
photographie voit le monde et que l’écriture raconte ce que nous voyons. Aucun
culte de la profondeur ici, ni de pensées tourmentées.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Denis BOURGEOIS (France)
Le son comme marche vers l’écriture
Dans un pensionnat du centre de la France, il y a bien longtemps, un jeune homme
écrivait de longues lettres d’amour qu’il faisait passer à sa petite amie. Un jour, un
surveillant intercepta une de ses lettres et trouva édifiant d’en faire la lecture
devant tous les garçons du dortoir. Honteux, le jeune homme se jura de ne plus
jamais écrire. Il devint réalisateur de documentaires. Il anima des ateliers vidéo et
ouvrit la première formation universitaire à la réalisation documentaire. Il décida
que les étudiants n’écriraient pas leur film avant de le réaliser. Au contraire, ils
tourneraient d’abord leur film et l’écriraient ensuite, au montage, ou ne
l’écriraient jamais. Quand je l’ai rencontré, il était proche de la retraite. Cet
homme (qui écrivait donc des lettres d’amour dans sa jeunesse) m’a légué la
responsabilité de cette formation. J’ai accepté de continuer à proposer cette
méthode aux étudiants : filmer d’abord, penser ensuite. Moi qui suis écrivain, je
l’ai acceptée parce que cela correspondait à ce que je pensais de l’écriture :
écrivez d’abord, puis relisez-vous et réfléchissez à ce que vous venez d’écrire et...
réécrivez.
Au même moment, la formation est devenue un master en 2 ans. Cet homme, juste
avant de partir, m’a conseillé de consacrer toute la première année au son, car le
son, et notamment les voix des personnages, sont très importants dans les
documentaires. J’ai donc suivi ce conseil et j’ai découvert que le son seul ne
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fonctionnait pas comme le son avec la caméra : un magnétophone et un
microphone, seuls, s’avèrent bien plus légers et mobiles, et modifient la nature des
tournages. Le microphone, beaucoup moins impressionnant que la caméra, permet
de récupérer très vite une parole qui aura moins tendance à se dérober. À la
frontière entre cinéma et littérature, le son capté, si on prend en compte le
processus de montage, est un matériau éminemment plastique. J’ai dû admettre
que le son seul, du point de vue de la narration, offrait des possibilités immenses
qui ne me paraissaient guère avoir été explorées en formation.
Parce que le passage à l’acte peut être beaucoup plus rapide en radio qu’en
cinéma, les étudiants parvenaient à produire des choses remarquables en un court
laps de temps et ce dès les premières semaines de leur cursus. A partir de ce
constat, j’ai revu la progression de la formation de fond en comble. J’ai décidé de
commencer l’année par une succession de travaux courts qui les plongerait
directement dans la technique de la réalisation (en suivant le mantra « tourne
d’abord, écris après »). La première année du Master s’est transformée en une
succession d’ateliers qui se finissent tous par une réalisation individuelle. Au
début de l’année, les ateliers durent une semaine, du lundi au vendredi. A partir du
deuxième trimestre, leur durée s’allonge et le dernier atelier de l’année dure sept
semaines.
Pour ce qui est de la méthode : chaque étudiant choisit, au début de l’année, un
sujet qui lui tient à cœur et le poursuit pendant toute l’année, au travers de tous ses
travaux. Le choix du sujet est donc fondamental, mais comme il n’est pas simple
pour quelqu’un qui n’a jamais rien réalisé de choisir le bon sujet, le fait de passer
par de nombreux travaux de réalisation courts pendant les premières semaines, lui
permet d’affiner son choix. Ce choix se cogne contre la réalité des réalisations. La
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
restitution de ses réalisations passe toujours par un moment d’écoute collective.
Ce moment collectif consiste le plus souvent en écoutes de montages sonores
mais peut aussi consister en lectures à haute voix de textes écrits par les étudiants.
Ensemble, toujours nous écoutons. Nous nous installons dans une pièce
recouverte au sol de tapis, nous faisons le noir et nous écoutons.
12 réalisations sont réparties sur les 8 mois de formation ; 1 voix nue mixée, 1
reportage écrit, 3 interviews, 2 documentaires sonores, 1 récit documentaire, 1
adaptation radiophonique, 1 scénario et la bande-son d’un film d’animation, 1
scénario de fiction radio, 1 création sonore. Ce grand nombre de réalisations
individuelles (12 par étudiant par an) s’explique par l’énorme potentiel narratif
qu’offre le matériau sonore. Par exemple, pendant la première semaine de la
formation, chaque étudiant écrit un texte personnel le premier jour, le lit à voix
haute avec un comédien le second jour, l’enregistre le troisième jour puis le mixe
avec une musique de son choix le quatrième jour ; le cinquième et dernier jour de
la semaine est consacré à l’écoute et aux retours collectifs.
La réalisation que j’ai choisi d’analyser ici est un récit documentaire d’un genre
particulier. À la fin du troisième mois de formation, chaque étudiant réalise un
documentaire sonore d’environ 15 minutes. Le documentaire sonore sert ensuite
de base à l’écriture d’un récit. Voici comment cela se passe : les étudiants
transcrivent le script de leur documentaire sonore en le réécoutant et ajoutent des
didascalies pour décrire les sons qui ne sont pas vocaux (et donc impossible à
transcrire directement). Ce script est une composition faite de dialogues et de
didascalies que les étudiants vont progressivement transformer en un récit
d’environ 30 pages (6000 mots). C’est une approche qui intervertit le processus
classique qui consiste à partir de l’écrit. Ici, au contraire, l’écriture est placée à la
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fin. Les étudiants utilisent le son pour aller vers l’écrit.
Quand j’ai imaginé cet atelier, je cherchais quelque chose qui permettrait aux
étudiants de comprendre le potentiel de création que recèle l’écriture pour ellemême. Dans leur esprit, l’écriture était souvent perçue comme un moyen
archaïque d’expression. Le plus souvent éculée par des années et des années
d’école, l’écriture en était réduite au souvenir de sa valeur d’usage : rédiger une
dissertation ou faire un mot d’excuse. Pour les étudiants en documentaire,
l’écriture était souvent synonyme de ce par quoi il fallait passer pour rédiger un
dossier de production, un exercice ingrat et un passage obligé pour trouver le
financement d’un film. Dans l’esprit des étudiants, l’écriture pouvait encore servir
à bricoler une voix de commentaire au dernier moment, signe que le réalisateur
n’avait pas réussi à se passer des mots, selon l’idée simpliste qu’une réalisation
audiovisuelle est faite d’images et de sons et que l’utilisation de la voix n’est pas
un indice de richesse additionnelle mais bien celui d’un manque de pertinence
sonore ou visuelle.
En fait, lorsque ce travail de recomposition d’un récit à partir d’un documentaire
sonore a été mis en place, j’ai réalisé que la réticence des étudiants venait surtout
d’un manque de pratique de l’écriture créative. Quand ont été mis en place des
ateliers d’écriture créative, cette réticence a fondu. L’écriture est devenue un
exercice agréable qui suscitait bien des curiosités.
En préparant la première fois ce nouvel atelier, il m’a semblé qu’un travail sur la
narration littéraire ne suffirait pas à pousser les étudiants à écrire. Il fallait que
cela ait l’air plus impressionnant, plus sacré. Sur la suggestion d’un intervenant,
j’ai proposé qu’ils en fassent un livre qu’ils composeraient et façonneraient eux-
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mêmes. Si bien que depuis, les étudiants écrivent chacun leur texte en moins d’un
mois et en composent un livre de plus de 300 pages, et ceci après seulement 4
mois de formation !
En commençant avec un script (en fait la transcription d’une matière sonore),
toute angoisse de la page blanche disparaît : le texte préexiste, et il est
immédiatement possible de le réécrire sans même avoir eu besoin de commencer
à l’écrire. C’est si pratique ! De plus, la spécificité du matériau (dialogues +
didascalies) entraîne les étudiants à se poser d’emblée des questions techniques.
Pourquoi un dialogue qui semblait vivant à l’écoute ne l’est plus une fois sur le
papier ? Comment lui redonner du tonus ? Tout ce matériau sonore transposé dans
des didascalies, comment le faire exister à l’écrit ? Comment décrire en mots des
espaces qui ne sont apparus que sous forme de sons ?
En ce qui concerne la construction du récit, le fait d’avoir déjà élaboré un
montage pour le documentaire sonore donne au étudiants la liberté de dire les
choses autrement dans l’écriture : non seulement le texte existe déjà sans avoir
même été écrit, mais l’histoire elle-même est déjà présente. Les possibilités
narratives peuvent être largement ré-ouvertes. Comment raconter l’histoire
différemment ? Ou bien, si on a l’impression que cette histoire est terminée,
comment en raconter une autre à partir de celle-là, ou à partir d’autre chose, ou à
partir de rien ?
Les étudiants ont vite compris que l’écriture permettait de rétablir des moments
qu’ils n’avaient pas pu enregistrer, surtout ces instants précieux des rencontres
avec les personnages de leur documentaire quand l’enregistreur numérique ne
tourne pas encore ou a fini de tourner. Ils ont compris que l’écriture est un outil
fascinant pour raviver des souvenirs ou des états de conscience. Et, pour finir, ils
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ont compris que l’écriture est aussi un outil pour capturer la réalité, au même titre
que le micro ou la caméra. L’écriture est en plus un instrument spécial qui permet
de restaurer des choses que la mémoire a emmagasinées, ce que d’autres systèmes
ne permettent pas toujours de faire, ou autrement.
Il est aussi apparu assez vite que l’écriture permettait de remettre au premier plan
une voix intérieure et rendait sensible le point de vue de l’auteur. Sous forme de
chroniques, tout ce que les étudiants avaient noté s’avérait alors utilisable et leur
permettait de donner naissance à un nouveau personnage souvent absent du travail
sonore : le personnage du narrateur, c’est-à-dire la voix de l’auteur lui-même.
Dans le processus de transformation du matériau sonore en écriture, il n’était pas
rare que ce nouveau personnage se retrouve au premier plan de la narration. Le
repérage de son sujet par l’étudiant (décor, rencontres et documentation) était
utilisé pour alimenter la narration d’une aventure, celle d’un personnage face à
divers événements, se posant des questions et traversant les difficultés d’une
investigation nécessairement déroutante.
Au fur et à mesure des années, cet atelier s’est affiné. Il avait fallu constater que,
en termes de construction, le script du documentaire sonore demeurait un
matériau désincarné, froid. Si certaines opérations se passaient sans douleur (voir
plus haut : rendre des dialogues vivants, ajouter des descriptions), le script, même
une fois transformé en récit, demeurait un objet raide. Cela s’expliquait sans
doute parce que les étudiants manquaient de pratique littéraire : écrire requiert de
l’entraînement. Il a donc fallu réintroduire des ateliers d’écriture en amont, dès le
début de l’année, et, au cours de ces ateliers, laisser les étudiants jouer librement
jusqu’à ce que l’écriture devienne un plaisir.
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Il y avait une autre difficulté à surmonter (mais qui est liée à la précédente) : le
documentaire sonore, dans la mesure où il s’agit de sons « réels » (c’est-à-dire
enregistré dans la réalité) se prêtait mal avec d’autres types d’opérations, par
exemple des transpositions voire des distorsions de ce dit réel. Les étudiants
attribuaient à leur matériau une origine sacrée, la réalité, et n’osaient pas la
manipuler, de peur (à juste titre) de la défigurer. Un travail de découpage a vite
fait comprendre aux étudiants la nature profondément malléable de tous les
matériaux, que ce soit du son, de l’image ou de l’écrit. Malléable n’est pas
forcément synonyme de mensonger. L’organisateur de l’atelier a demandé aux
étudiants d’apporter des photocopies de leur documentation sur leur sujet (extraits
de livres, articles, pages d’internet). Il en a fait un grand tas mélangeant les
sources de tous les étudiants, et a déchiré les pages en morceaux. Il a ensuite
redistribué ces morceaux de manière aléatoire et par petits paquets aux étudiants,
leur demandant de lire ces fragments et de prendre note des mots, des phrases ou
des passages qui les intéressaient. Il passait derrière chacun et jetait de temps en
temps un paquet de déchirures à qui en manquait. L’opération a duré plus de 40
minutes. Puis l’animateur leur a demandé de rédiger pendant une heure un texte à
partir de cette récolte. Ce cut-up d’un genre spécial leur a permis de comprendre
que le matériau documentaire peut être dé-structuré puis re-structuré sans pour
autant être dénaturé. A la lecture des textes, les étudiants ont été frappés par le fait
que ces bribes collectées en quelque sorte au hasard, réussissaient à générer des
textes particulièrement cohérents et personnels.
A la fin de cet atelier autour du récit documentaire, j’ai cherché un moyen pour
permettre aux étudiants de réécrire leur texte de manière fine avant publication.
J’ai mis en place un système simple de relectures croisées. Mais certains n’avaient
pas su adapter leur propre texte à la musicalité de leur langue. J’ai donc invité un
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
comédien qui les a amenés à lire à haute voix, ce qui leur a permis d’entendre leur
propre prose et à tenter de la rendre encore plus audible, donc à la réécrire au son
(de la voix). Si bien que l’atelier a bouclé la boucle : le son a mené au texte qui est
revenu au son juste avant impression du recueil.
J’ai conscience que cette expérience n’est pas forcément transposable. Il y a aussi
un problème de contagion entre les médias. Néanmoins, comme tout son ou image
enregistrés, ces captations documentaires peuvent devenir un moyen d’atteindre à
une écriture composite.
J’espère avoir respecté le désir de celui qui voulait que les étudiants tournent
d’abord (et réfléchissent ensuite). Dix années plus tard, si les étudiants écrivent
maintenant près de la moitié de leur temps en première année de Master, ils vivent
d’abord cette écriture comme une aventure de réalisation. Il est difficile de les
empêcher de prendre goût progressivement à l’écriture. L’important est qu’ils
comprennent que l’écriture est à la fois un geste, un outil de la captation et une
création à l’oeuvre.
Orhan KIPCAK (Autriche)
L’éducation aux médias pour les ateliers d’écriture
Voir le résumé page 19.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
LE DISPOSITIF DE L’ATELIER
Marianne JAEGLÉ (France)
La proposition d’écriture, entre savoir-faire technique et envie d’écrire
Tout d’abord, quelques mots au sujet de ma rencontre avec les Ateliers d’écriture
Élisabeth Bing. Élisabeth Bing a créé le premier atelier d’écriture en France en
1968. Et elle a mis au point une méthode de travail que nous utilisons toujours
aujourd’hui.
J’ai connu ces ateliers alors que j’avais 27 ans, à un moment difficile de ma vie.
Je désirais écrire et j’en étais incapable. Je ne savais pas écrire ni comment m’y
prendre. Je me suis inscrite à l’un de ces ateliers et deux ans plus tard, j’avais écrit
mon premier roman. J’étais devenue autonome dans le processus de l’écriture.
L’expérience de l’atelier avait construit ma capacité à écrire.
Aujourd’hui, je suis auteur et animatrice aux Ateliers Élisabeth Bing. Je suis aussi
responsable de la formation des animateurs. Quand j’ai pris conscience de la
différence entre nos façons de travailler, j’ai proposé cette intervention au sujet de
la proposition d’écriture. J’évoquerai donc la façon dont nous créons des
propositions d’écriture basées sur un motif et les principes qui sous-tendent cette
façon de travailler.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Que pouvons-nous considérer comme une bonne proposition
d’écriture ? Avec quels critères ?
La première qualité d’une proposition d’écriture est bien entendu qu’elle aide
l’écrivant à produire son texte. Elle lui donne une raison de l’écrire et une
stimulation pour le faire. Ceci est nécessaire, mais insuffisant à déterminer si la
proposition d’écriture est bonne ou non.
Pouvons-nous considérer le résultat comme un critère pour évaluer la
proposition ? Si quelqu’un écrit un bon texte à partir d’une proposition x, cela
signifie-t-il que cette proposition est efficace ? En fait, il semble que non ; les
animateurs d’ateliers savent que certaines personnes écriront de bons textes quelle
que soit la proposition qu’on leur fait tandis que d’autres écriront des textes
faibles avec les mêmes propositions. Il semble donc que la qualité du texte produit
ne puisse pas être utilisée pour définir la qualité de la proposition.
Quel critère nous permet donc de définir celle-ci ?
J’en ai trouvé deux :
Le premier serait que la proposition aide l’écrivant à produire un meilleur texte
que celui qu’il aurait écrit sans elle. Meilleur dans tous les sens possible du terme,
c'est-à-dire plus efficace, mieux structuré, plus original, plus personnel, etc.
Le second consiste dans le fait que la proposition aide l’écrivant lui-même à
devenir meilleur : c'est-à-dire plus confiant, plus audacieux, plus conscient de ce
qu’il fait, plus indépendant, etc.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Pour résumer, on peut donc considérer comme bonne une proposition d’écriture
qui participe à la construction du texte et/ou à l’expertise et à l’autonomie de son
auteur, une proposition qui contiendrait un enseignement réutilisable.
Comment créer des propositions qui permettent au texte / à l’auteur
de s’améliorer ?
Pour ce faire, nous créons des propositions à partir de textes qui
contiennent un motif, au sens esthétique du terme, c'est-à-dire un ensemble doté
d’une unité esthétique.
Nous lisons le texte en question, définissons le motif, et proposons aux
participants d’écrire à partir de ce motif.
Un exemple des propositions que nous créons : cette proposition peut être utilisée
avec des gens qui écrivent des textes autobiographiques ou un roman.
Pierre Loti et la rencontre avec la mer
Exemple de motif : Dans le Roman d'un enfant, Pierre Loti, marin et écrivain
français dont les récits de voyages sont bien connus, raconte la première fois où il
voit la mer. « Puis tout à coup, je m’arrêtai glacé, frissonnant de peur. Devant
moi, quelque chose apparaissait, quelque chose de sombre et de bruissant qui
avait surgi de tous les côtés en même temps et qui semblait ne pas finir, une
étendue en mouvement qui me donnait le vertige mortel. »
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
C’est un beau texte, assez simple, pas très long, une page et demi. Rien de
significatif ne se produit au cours de cette rencontre. L’enfant, âgé de 4 à 5 ans,
escalade une dune, voit la mer, éprouve une profonde terreur à l’idée qu’elle le
prenne et court se blottir contre sa mère. Fin du chapitre.
En dépit de son caractère anodin, cette première rencontre devait se révéler
décisive dans la vie de l’auteur. La plupart des livres de Pierre Loti traitent de la
mer et des voyages effectués à travers les océans.
Donc en atelier, je lis le texte et je propose d’écrire. Mais d’écrire quoi ?
Si nous étions dans un atelier d’écriture, je vous proposerais d’écrire non pas à
propos du thème, du sujet du texte, la première fois que vous avez vu la mer, mais
à propos du motif que le texte comprend : le motif de la première fois qui se
révèle après coup avoir été décisive. Vous pourriez écrire à propos de la première
fois que vous ou votre personnage êtes allés quelque part, avez fait quelque chose,
ou de la première fois où vous/votre personnage avez vu quelqu’un. Une première
fois qui pourrait être anodine en elle-même, mais se révéler très significative a
posteriori, à cause de toutes les autres fois qu’elle annoncerait.
Quel genre d’enseignement peut-on apporter avec un motif ?
J’ai choisi l’exemple de la première fois parce que dans ce cas, la différence entre
le thème du texte (la rencontre avec la mer) et le motif (la première fois) est bien
visible. Avec le motif, il s’agit de donner aux écrivants une forme narrative prête
à l’emploi, qui constitue un tout en elle-même et qui suscite également le désir
d’écrire.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Après avoir écrit la première fois de votre choix pour vous ou votre personnage, il
y a de fortes chances que vous soyez tenté d’écrire la seconde, puis la troisième
fois et ainsi de suite jusqu’à la dernière fois.
Il existe différents types de motifs : un motif peut être une forme narrative, une
technique d’écriture, une structure, une façon particulière d’écrire… Quelques
exemples.
•
Le motif inclut une technique particulière d’écriture, utilisée ou inventée par un
écrivain : le courant de conscience avec le monologue de Molly Bloom dans
Ulysse de Joyce, les interférences dans Madame Bovary, le soliloque dans la
Chute d’Albert Camus… Écrire à partir de ces motifs signifie pour les écrivants
apprendre ces techniques d’écriture.
•
Le motif comporte une structure : de nombreux textes écrits par Kafka dans son
Journal sont écrits avec une structure grammaticale forte et très visible, qui fait
attendre la fin de la phrase, ou la fin du texte. En utilisant ce genre de structure,
les écrivants apprennent comment créer un suspens dans leur texte.
•
Le motif peut comporter une façon spécifique d’écrire : par exemple en utilisant
exclusivement des verbes à l’infinitif, ou en utilisant le conditionnel passé,
comme l’a fait Georges Pérec dans W ou le Souvenir d’enfance. Écrire avec ce
motif revient pour les écrivants à s’approprier cette façon d’écrire.
•
Le motif peut être constitué d’une forme narrative : la première fois, le souvenir
involontaire de Marcel Proust, le trajet etc. Écrire avec ce motif signifie acquérir
une forme narrative réutilisable par la suite pour d’autres textes.
Qu’implique le fait d’employer une proposition fondée sur un motif ?
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Dans Préface à une vie d’écrivain, Alain Robbe-Grillet définit la littérature
comme un processus de constante réécriture.
« L’art en général et plus précisément la littérature, serait une chaîne
transmissible, toujours en train de reproduire les mêmes choses, mais
différemment. L’œuvre passée est parfaite, mais comme elle est tombée en ruines,
il faut la reprendre. »
Le célèbre roman Aurélien de Louis Aragon commence avec cette phrase : « La
première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » Puis
après cette première rencontre qui se révèle déterminante après coup, les deux
personnages s’éprennent et tout le roman retrace leurs rencontres jusqu’à la
dernière, jusqu’au moment où Bérénice meurt.
Je ne sais pas si Louis Aragon a eu l’occasion de lire le Roman d’un enfant de
Pierre Loti, mais ceci pourrait donner une idée de la « chaîne transmissible » de la
littérature.
Dans un atelier d’écriture, faire une proposition fondée sur un texte publié et
incluant un motif ne revient pas à suggérer aux écrivants d’imiter le texte publié.
Ceci n’aurait aucun intérêt. Cela revient à proposer de reconstruire ce qui est
« tombé en ruines ».
Le motif est offert aux écrivants comme un maillon déjà constitué et prêt à
l’emploi dans cette chaîne de la littérature. Qu’avez-vous à écrire à partir de ce
maillon ? Comment pouvez-vous le renouveler ? Comment pouvez-vous le faire
vôtre ?
Bien entendu, le motif est proposé avec la possibilité pour les écrivants d’écrire au
plus près de lui, loin de lui, ou même en le prenant à contre-pied. Je peux très bien
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
imaginer quelqu’un qui, en réponse à la proposition de la première fois écrirait un
texte commençant par ces mots « La dernière fois que… ».
Quels sont les avantages d’utiliser des propositions fondées sur un
texte incluant un motif ?
J’ai été très surprise lorsque j’ai réalisé que dans les Italiques jubilatoires comme
dans Du premier jet au chef-d’œuvre, Natalie Goldberg ne se réfère pour ainsi
dire jamais à des écrivains ni à des textes publiés. (Je tiens à préciser que j’adore
ses livres mais la façon dont elle travaille me surprend).
L’une des propositions qu’elle mentionne dans Les Italiques jubilatoires consiste
à faire écrire les participants d’un atelier à propos de leur propre nom. C’est une
proposition que nous utilisons également aux ateliers Élisabeth Bing mais avec
cette différence que nous lisons un texte (il s’agit généralement d’un extrait du
Forçat vertigineux de Michel Leiris) dans lequel l’auteur énumère les images que
lui évoquent son nom et son prénom, l’un haï, l’autre aimé.
Quelle différence induit le fait d’utiliser un texte publié dans le cadre de la
proposition ?
-
Premièrement : le texte fonctionne comme un garant de la faisabilité de la
proposition. Écrire à propos de son propre nom est possible. Un écrivain, Michel
Leiris, Pierre Loti ou James Joyce, n’a pas dédaigné de le faire, et le résultat de
cela est un texte littéraire. Une fois encore, il ne s’agit pas de donner le texte
comme un modèle à imiter mais comme un exemple de ce qui peut être fait. C’est
un socle à partir duquel l’écrivant peut construire son propre texte.
Autres avantages dans le fait de citer des textes publiés :
178
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
-
Deuxièmement, le texte en lui-même suscite le désir d’écrire, en raison de sa
beauté, ou de son apparente simplicité. Il peut susciter l’envie de rivaliser avec
l’auteur, et sa lecture place l’écrivant dans un « bain de mots » qui est en luimême une stimulation du désir d’écrire. En ce sens, le motif fonctionne comme un
starter pour les écrivants.
-
Troisième avantage : la lecture d’un texte peut élargir la culture littéraire des
écrivants. Elle est susceptible de leur donner une idée de ce que d’autres ont écrit
avant eux, au cours des siècles qui les ont précédés et des techniques que ces
écrivains ont utilisées. Ainsi, ils ne se retrouvent pas en situation de devoir
réinventer la roue et l’eau chaude. Ils bénéficient de tout ce qui a été découvert
avant eux.
-
Le motif inclut un enseignement qui les aidera à écrire de meilleurs textes. Nous
savons tous que la principale question n’est pas tant « qu’écrire ? » mais plutôt
« comment l’écrire ? ».
Tout a déjà été écrit mais nous pouvons trouver une nouvelle façon de l’écrire, ou
trouver notre façon de l’écrire. Le motif pourra être réutilisé plus tard, lorsque les
écrivants produiront d’autres textes. De la sorte, le motif les aide à devenir
indépendants dans leur création. Il participe à leur éducation en tant qu’auteur et à
la construction de leur autonomie.
-
Quatrième avantage : le désir d’écrire ne dépend pas de l’animateur et de ses
suggestions. C’est le texte publié qui en est à l’origine, en suscitant l’envie de
renouveler l’œuvre passée, d’égaler son auteur, et même si possible, de le
dépasser.
Les conséquences de cette façon de travailler sur la pratique de
l’animateur
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
La conséquence majeure de cette méthode est de réduire considérablement le rôle
de l’animateur. Nous avons l’habitude de considérer que dans un atelier d’écriture
il y a un animateur et des écrivants. En réalité, nous devrions plutôt considérer
qu’il y a des textes publiés et des textes en train d’être écrits.
Ainsi, le travail de l’animateur pourrait être défini comme celui d’un passeur. Son
rôle consisterait à faciliter la transition entre les textes publiés et les textes en
cours d’écriture (il devrait aussi faciliter la transition entre les textes en cours et
les futurs textes publiés). Il devrait utiliser les textes publiés de façon à aider les
écrivants à s’avancer dans leurs propres textes. Son travail consisterait
principalement à trouver dans les textes publiés des motifs qui aideront les
écrivants à se construire et à devenir des auteurs.
La difficulté pour un animateur réside dans le fait de trouver des textes qui soient
à la fois stimulants pour le désir d’écrire et utiles en termes de techniques
d’écriture ; elle réside dans le fait d’identifier un motif et de le proposer aux
écrivants.
Après avoir écrit à partir d’un certain nombre de motifs, un écrivant devrait
pouvoir devenir l’auteur qu’il peut être et devenir également indépendant de
l’animateur comme de l’atelier d’écriture.
Conclusion
« Un écrivain, c’est quelqu’un qui est capable de procéder à son propre
accouchement. » a défini Serge Filippini. On pourrait aussi considérer qu’un
écrivain, c’est quelqu’un qui est capable de créer ses propres motifs d’écriture.
Que pouvons-nous donc considérer comme une bonne proposition d’écriture ?
L’image qui me vient pour la définir est celle de la vertèbre. Quand j’ai
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
commencé à écrire, j’étais invertébrée comme le sont tous les écrivants débutants.
Je n’avais pas la force de soutenir mon désir d’écriture. Aux ateliers Élisabeth
Bing, une proposition d’écriture après l’autre, sans le savoir, sans en avoir
conscience, les propositions d’écriture ont fabriqué ma colonne vertébrale.
Après deux ans en atelier, je n’étais pas devenue un écrivain, mais je me sentais
suffisamment forte pour continuer à écrire par moi-même. L’atelier a fonctionné
pour moi comme un exosquelette, aussi longtemps que j’en ai eu besoin.
Laure NAIMSKI (France)
L’atelier d’écriture comme orchestre de jazz
Introduction
Je dois d’abord vous dire que je ne vis pas de la musique de Jazz. Je ne suis pas
assez bonne musicienne pour cela : 15 ans de pratique de la musique et plus
particulièrement du saxophone l’ont prouvé. Je gagne ma vie par mes travaux de
journalisme et de communication. Il y a deux ans, j’ai aussi commencé une
activité d’animation d’ateliers d’écriture pour adultes, activité qui reste plus ou
moins un hobby.
L’atelier d’écriture comme orchestre de jazz
Il y a peu, j’ai eu une idée. Elle était sans doute latente, mais elle est apparue en
pleine lumière et je ne saurais dire pourquoi à ce moment précis. L’idée, c’est que
les ateliers d’écriture ont quelques similarités avec les orchestres de Jazz. Et je
crois que c’est une des raisons qui me poussent à continuer plus avant dans
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’expérience de ces ateliers, tant comme participante que comme animatrice. J’y
vois une manière de mêler les deux univers, en ressentant et expérimentant
fortement ce qui les lie.
Je me suis demandée de plus en plus pourquoi je ressentais ces similitudes et me
suis soudain rendu compte qu’un atelier d’écriture fonctionne plus ou moins
comme un orchestre. Un orchestre qui ne jouerait pas n’importe quel type de
musique, mais du jazz, musique qui mêle partitions et improvisations, une
musique libre, sur la base d’accords et d’harmonies. C’est cette idée que je
voudrais développer ici.
Je vais vous expliquer quelques-unes de ces similitudes et vous parlerai des
quelques outils pédagogiques qui y sont reliés, outils qui peuvent aider tout un
chacun à construire son propre atelier.
Pour commencer, je dois avouer que je me suis toujours sentie nerveuse lorsqu’il
me fallait jouer dans un orchestre ou sur scène. Et je ressens la même chose
maintenant lorsque je suis dans un atelier d’écriture, comme participante ou
comme animatrice. Parce qu’il y a toujours un public… comme aujourd’hui, ici,
parmi vous.
Similarités et outils
Il faut d’abord donner le La, donner le ton :
Après que chaque participant ait fait son choix d’une place où il se sent bien pour
écrire, l’animateur, qui est plus ou moins le chef, donne le La de l’atelier. Je
divise cette étape en deux parties.
Un premier moment, classique, où chacun se présente : avez-vous déjà participé à
un atelier ? Qu’espérez-vous en venant à celui-ci ? Etc.
Et je crois que, en tant que musicienne, je perçois ce moment de manière plus
sensible ; je peux, par exemple, ressentir immédiatement les nuances entre les
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gens, qui « chantera » faux, qui sera dans le ton. C’est un moment privilégié pour
écouter les voix des participants et voir de quelle manière on va pouvoir mettre en
place une harmonie. C’est intéressant d’avoir quelques discordances dans un
groupe, mais en tant qu’animateur du groupe, il faut les percevoir rapidement
pour les prendre en compte.
Ma sensibilité musicale m’y aide. Et cela peut être un premier outil à utiliser dans
l’enseignement de l’écriture créative… Même si on n’est pas musicien. Il suffit
d’avoir une écoute véritable des voix des participants. C’est sans doute intéressant
de pouvoir conduire un atelier d’écriture un peu à la manière du leader d’un petit
orchestre de jazz qui est sans cesse à l’écoute des musiciens. Même s’il me faut
avouer que je ne connais guère la position du leader, moi qui n’ai jamais été autre
chose qu’un des musiciens.
Le second moment est celui où je donne le ton, en prenant en compte toutes les
voix que je viens d’entendre. C’est une étape essentielle pour moi.
Cette tonalité est un de mes outils : par tonalité, j’entends ce qui fera que tous les
participants de l’atelier « joueront » juste. C’est moi qui donne la clé.
Qu’est-ce que cette clé ? Ma clé, en tant qu’animatrice de l’atelier, c’est
d’annoncer à tous que nous allons écrire près de l’affect(if) de chacun, mais pas
trop près. C’est cela qui donne le ton, l’harmonie, mais aussi la gamme dans
laquelle chacun pourra trouver son propre ton s’il le souhaite.
Une telle introduction reste hautement subjective : chacun y prend ce qu’il peut.
Un air commun :
Un air de jazz commence souvent par un thème commun que chaque musicien
joue d’après la partition. Pour faire le lien avec les ateliers d’écriture, disons que
ce thème est la proposition d’écriture que l’animateur donne aux participants.
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De quel outil vais-je disposer ici ? Comment puis-je faire usage de mon
expérience du jazz pour construire mon atelier ? Je donne le Thème de manière à
accroître le désir d’écriture. En fait, je n’énonce pas vraiment le Thème, je le
travaille pour ensuite savoir le chanter (c’est une manière de parler) et de me
libérer de la partition, comme si j’étais celui qui s’autorise à lancer une variation,
à jouer une sorte de free jazz. Je ne prépare donc pas trop ce thème, mais je donne
à tous, moi y compris, une tonalité, une clé, une gamme, une harmonie que je vais
maintenir pendant tout l’atelier. J’aime laisser les propositions un peu ouvertes
pour que chacun se sente libre et à l’aise.
Tempo et rythme :
J’essaye de trouver dans le groupe une sorte de rythme commun afin de
m’appuyer dessus pour conduire mon atelier. C’est une sorte de pulsation interne.
Elle n’est pas facile à trouver, mais je crois qu’il est vraiment important de le
faire. Car, de plus, pour y parvenir, il vous faut avoir les yeux et les oreilles
grands ouverts.
Dans un orchestre de jazz, il est tout aussi important d’écouter les autres
musiciens que de les regarder, pour ne pas rater les signes qu’ils peuvent vous
envoyer. Une fois de plus, pas besoin d’être musicien pour y parvenir. Chacun
peut le faire. Ce n’est qu’une question de sensibilité.
Le temps :
Pour moi, donner le tempo c’est aussi donner une unité de temps. Les participants
écrivent pendant un temps déterminé. Comme le musicien qui se lance dans une
improvisation puis revient au thème commun avec l’ensemble de l’orchestre. Ce
temps limité fait partie de l’expérience. Le temps est d’ailleurs aussi une part
importante d’une partition de jazz. Je peux accélérer le rythme en donnant moins
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
de temps pour écrire, comme un bebop, ou l’allonger en donnant un tempo lent,
comme une balade. Cette conscience du tempo qui s’instaure et le pouvoir de le
faire varier sont aussi des outils à ma disposition.
Improvisations :
Chaque participant écrit sa partition comme une variation. Mais il n’est pas seul, à
la maison, face à un ordinateur ou une page. Il est dans un groupe, il fait partie de
son énergie ; car même si cette énergie est silencieuse, elle est perceptible par
tous. C’est ou ce n’est pas un appui, mais c’est un incontournable élément de
l’atelier. Et les participants écrivent selon l’harmonie de la proposition apportée
par l’animateur. Là aussi je vois des similitudes avec un orchestre de jazz, même
s’il ne me semble pas que ce puisse être un outil qui m’aide à construire l’atelier.
Il s’agit plus pour moi d’ouvrir mes oreilles à la musique des stylos sur le papier,
ou à celui des claviers d’ordinateurs.
Premier temps de lecture :
Puis vient le premier temps de lecture, celui où on partage sa « variation », son
travail d’écriture créative, avec les membres du groupe. Pour les participants,
c’est souvent un moment de grande tension. Pour l’animateur aussi, car il va lui
falloir donner des retours, c’est-à-dire jouer sa propre variation après celles des
participants.
Les retours :
Je me souviens des fois où j’ai joué du saxophone dans un orchestre de jazz, de la
manière dont j’abordais mes moments d’improvisation : j’entrais très lentement
dans les accords et le rythme, utilisant du silence, des moments de pause, brefs
mais efficaces. Je crois pouvoir dire que c’est ainsi que je pratique en tant
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
qu’animatrice d’ateliers d’écriture au moment des retours : c’est un jeu entre
questions et réponses.
Se nourrir les uns les autres :
Puis vient une deuxième proposition, une deuxième improvisation, un deuxième
temps d’écriture, une deuxième lecture. Mais l’écriture est ici nourrie de la
première phase de l’atelier. Nous empruntons aux autres, comme un musicien
emprunte à ses compagnons pour nourrir sa propre partie. Comme un orchestre de
jazz, un atelier d’écriture est vraiment une création collective, spontanée,
éphémère. On peut décider de continuer seul dans son coin, ou pas. Mais ce
moment reste gravé dans la mémoire, celui de ce groupe unique de gens.
Exemple: récemment, pendant un festival de littérature, j’ai assisté à un atelier
d’écriture mené par le romancier américain Ron Hansen. Nous avons travaillé sur
plusieurs propositions, et, pour la deuxième, une des participantes a écrit sur
quelque chose qu’elle avait entendu lors de la lecture des premiers textes. Elle a
utilisé un élément spécifique : l’état du Nébraska. Après la lecture, elle a expliqué
qu’elle s’était inspirée pour son propre texte d’un des textes entendus juste avant.
Je pense que c’est important de savoir qu’elle n’était pas une participante
ordinaire : elle était la traductrice de Ron Hansen et s’était jointe au groupe à la
dernière minute. On peut donc considérer qu’elle était en quelque sorte une voix
plus candide, plus sensible aux autres voix du groupe, dont elle avait su se nourrir.
L’espace comme outil :
Être musicienne de jazz me donne une attention particulière au corps et à la
manière dont il occupe l’espace. Cette connaissance me pousse à imaginer des
propositions d’écriture qui permettent au corps des participants de se libérer du
cadre de l’atelier et même, peut-être, de celui de la page.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Conclusion
Je crois que ce que je recherche, c’est le miracle de cette alchimie si particulière
que je ressens dans un orchestre de jazz dans les moments où l’énergie créatrice
se libère totalement. Maintenant que je sais cela, je suis mieux en mesure de
considérer mon expérience des ateliers d’écriture dans la perspective de ces
similitudes et d’en tirer les stratégies pédagogiques dont je viens de parler.
Je peux utiliser mon expérience de musicienne pour accentuer cette alchimie dans
le groupe autant que je le peux.
Car la forme globale de l’atelier repose sur l’interaction entre les participants et
moi. Ma sensibilité musicale, et plus spécialement celle liée au jazz en tant que
musique libre, est un biais efficace dans la construction de mes ateliers. Cela
s’apparente à ce moment où, lorsqu’on joue dans un orchestre, on est comme
submergé par la musique sans être en mesure d’en séparer les voix, et on les
accueille alors toutes d’un coup ; lorsqu’on mène un atelier, il faut aussi garder la
possibilité de les dissocier.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Javier SAGARNA (Espagne)
Lecture et enseignement de l’écriture créative
Pendant de nombreuses années, l’enseignement à la Escuela de Escritores, comme
dans les autres écoles d’écriture créative d’Espagne, s’est concentré sur des
exercices d’écriture qui étaient ensuite commentés et corrigés en classe. On
abordait une technique ou une stratégie littéraire différente à chaque cours, puis
on donnait aux étudiants une proposition d’écriture ; ils devaient s’acquitter de
leur tâche chez eux et, au cours suivant, on lisait et commentait les textes. Bien
entendu, les explications théoriques étaient généralement fournies en s’appuyant
sur des exemples littéraires, extraits le plus souvent de grands classiques, et on ne
cessait de recommander des lectures. Néanmoins, la lecture n’était pas considérée
comme faisant partie du processus d’apprentissage lui-même, mais comme un
complément, quelque chose d’indéniablement utile pour les étudiants, mais avec
lequel ils devaient se débrouiller seuls, avec un peu d’accompagnement et de
conseil de la part de l’école.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Il y a cinq ans, à la Escuela de Escritores, nous avons décidé d’un changement.
Nous en sommes arrivés à la conclusion que, d’un point de vue pédagogique, il
était essentiel de faire de la lecture un outil fondamental de notre enseignement.
Pas pour suivre cette affirmation classique qui dit qu’on ne peut pas être écrivain
si on n’a pas lu beaucoup ; mais plutôt pour définir un double objectif à nos
formations : former des écrivains oui, mais aussi des lecteurs, avec une capacité à
la lecture critique et l’analyse personnelle, capables de faire de la lecture une
expérience plaisante et porteuse de sens. Peut-être que dans d’autres pays, où les
cursus scolaires et universitaires se chargent de cet apprentissage, un projet de ce
genre n’aurait pas lieu d’être. Mais en Espagne, il nous a semblé capital de mettre
en place un processus d’apprentissage destiné à former non seulement des
écrivains qui lisent, mais aussi des écrivains qui savent comment mettre à profit la
lecture pour progresser en tant qu’écrivains.
Nous avons donc défini quelques idées de base :
- mettre les étudiants en contact avec la littérature, mais pas seulement avec des
livres ; leur montrer comment faire la différence entre littérature et produits en
forme de livres.
- Faire usage de la variété des goûts et intérêts de nos enseignants en matière de
littérature, en les encourageant à guider les étudiants vers les textes qu’ils
connaissent le mieux et aiment le plus, de façon à enrichir l’expérience de lecture
de leurs étudiants. Les discussions que cela pourrait soulever permettraient aux
étudiants de se positionner et de construire leurs propres opinions.
- Même si extraire de chaque livre les techniques et stratégies littéraires les plus
pertinentes est, sans aucun doute, un des objectifs, il est aussi important de
développer la sensibilité artistique des étudiants. Ne leur donnez pas une méthode
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
de lecture, mais guidez-les vers leur propre perception. Les textes doivent de toute
façon être analysés du point de vue de la pratique.
- La discussion sur les textes doit s’effectuer en groupe et en cours. Les
professeurs peuvent donner aux étudiants quelques éléments d’aide à la réflexion
tels que guides de lecture, listes de questions, ... s’ils en ressentent le besoin.
Une fois ces fondements établis, on a demandé aux professeurs de tous les
groupes et de tous les niveaux de modifier leur pédagogie. Leur rôle était :
- de définir une bibliographie appropriée pour le niveau et les contenus de chaque
formation. Les professeurs sont libres de sélectionner leurs livres favoris, mais les
étudiants doivent avoir au moins un livre à lire par mois et au plus un par
quinzaine (dans certains groups, on a admis que ne soient lues que des nouvelles,
qui étaient ensuite analyses en profondeur).
- de définir l’objectif pédagogique pour chaque livre. L’intention n’est pas faire
lire aux étudiants les dix plus grands livres de l’histoire de la littérature, mais d’en
lire dix bons, utiles pour voir les techniques et stratégies littéraires, et la manière
dont elles fonctionnent dans des textes existants, tout en les aidant à améliorer
leur écriture et leur sens artistique.
- de réserver du temps dans leurs cours pour le commentaire et la discussion sur
les textes. Pas moins d’une demi-heure par cours. Dans les formations en ligne, on
s’était mis d’accord pour un chat d’une heure pour chaque lecture.
- de définir et préparer, si nécessaire, les outils d’appui à la réflexion qu’ils
estimaient nécessaires pour chaque cas : guides de lecture, questionnaires, articles,
etc.
Par exemple, on pourrait préconiser la liste suivante :
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012

Octobre - Décembre
84 Charing Cross Road, Helene Hanff
La dame au petit chien et autres nouvelles, Anton Tchékov
El vacío y el centro, Ángel Zapata (Le vide au milieu – Inédit en français)
Le Roi Lear, William Shakespeare.
La ruche, Camilo José Cela

Janvier - Mars
Le grand cahier Agota Kristof
Chasseurs dans la neige, Tobias Wolff
1280 âmes, Jim Thompson
Un fragmento de vida, Arthur Machen (Un fragment de vie)
Bestiaire, Julio Cortázar
L’odyssée, Homère

Avril - Juin
Pas de lettre pour le colonel, Gabriel García Márquez.
Pájaros de América, Lorrie Moore (Birds of America – Oiseaux d’Amérique)
Le miroir de la mer, Joseph Conrad
Le pourquoi des choses, Quim Monzó.
Le baron perché, Italo Calvino
Musique pour caméléons, Truman Capote
Fahrenheit 451, Ray Bradbury.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
De la même manière, notre Master de Narration (un cursus sur deux ans et 576
heures de cours respectant les critères du processus de Bologne) a été conçu avec
une part importante de lectures et d’analyse littéraire.
Il est important de souligner que l’idée n’était pas de remplacer la dynamique
habituelle d’un atelier d’écriture (qui reste pour nous la meilleure manière de
former les gens à l’écriture), mais de les compléter et les enrichir de cette manière.
Cinq ans plus tard, nous sommes en mesure de dire que c’est un succès. Nous
avons pu constater les résultats suivants :
- La plupart des étudiants se plient au programme de lectures. Même ceux qui ont
un engagement moindre dans le projet d’écriture suivent les propositions de
lecture avec enthousiasme et contribuent aux échanges dans les groupes.
- les étudiants découvrent de nouveaux auteurs ainsi que le plaisir de lire de la
vraie littérature en lieu et place de produits commerciaux formatés.
- On atteint une meilleure compréhension du bien fondé d’un large éventail de
techniques et de stratégies littéraires.
- La perception et les compétences analytiques des étudiants s’améliorent et, petit
à petit, se reflètent dans leur capacité à analyser les objectifs et défauts de leurs
propres textes.
- L’écriture des étudiants progresse de manière notoire, de même que leur
sensibilité artistique.
- Cet assemblage d’influences variées sur un court laps de temps a un impact
visible sur l’originalité de leurs productions.
- On constate par ailleurs, au fil du projet, un perfectionnement des compétences
des professeurs.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
En conclusion, nous considérons donc que la part accrue de lecture dans notre
cursus et notre pédagogie a été une décision extrêmement positive qui, sans
remplacer le travail classique de l’atelier d’écriture, a apporté un complément très
utile. Combiner la lecture et l’écriture à des cours théoriques et à des exercices
destinés à stimuler la créativité des étudiants et à leur faire mettre en pratique des
techniques et stratégies littéraires, enrichit et complète notre expérience
pédagogique.
ENSEIGNER OU ÉCRIRE ?
Enrica AJÓ (Italie)
L’impossibilité économique de l’écriture créative
Je vais vous raconter une histoire triste : celle de celui qui n’est pas payé.
Je suis sûre que vous n’êtes pas payé pour une bonne part du travail que vous
effectuez.
On ne vous paye pas quand vous lavez le linge ou la vaisselle, quand vous
regardez des séries à la télé juste pour comprendre comment elles fonctionnent et
quels sont les secrets des scénaristes américains. D’ailleurs, il n’y pas de secret :
les américains ont de l’argent.
Quand vous faites l’amour, il se pourrait bien que vous ne soyez pas payé non
plus : c’est ce que j’appelle l’amour sans profit.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Donc, quand j’ai abandonné mon master en écriture créative, ça a été un moment
d’une grande tristesse : il m’a fallu chercher du travail. Et chercher du travail,
c’est aussi stressant que de travailler à la mine.
Je me suis alors demandé si je pourrais travailler avec des enfants.
Pas travailler en utilisant des enfants, ni dans un bureau avec eux, mais travailler
dans une sorte d’intermédiaire entre enseignement et jeux, des jeux où ils ne se
feraient pas mal. Enfin, pas trop.
J’ai pensé que je pourrais enseigner quelque chose à quelqu’un, à condition que ce
quelqu’un soit jeune et naïf, sinon, ça risquait d’être le contraire.
J’ai beaucoup lu dans mon enfance et, au lycée, j’ai fini par lire tellement que je
lisais même pendant les cours. Attitude que personne n’encourageait, cela va de
soi.
Je pourrais écrire tout un article sur le système éducatif italien et sur l’éducation
dans le monde, mais je n’en ai pas vraiment le temps.
Je pense seulement que, quel que soit l’âge, il est toujours douloureux d’adorer
quelque chose et qu’on vous apprenne que c’est bien, mais pas à ce point. C’est
douloureux d’aimer la lecture et la littérature, et qu’on vous dise que ce serait
mieux si vous aimiez autant les maths et la chimie, alors que vous ne vous en
souciez nullement et n’y comprendrez jamais rien. On vous enseigne qu’il vous
faut aimer toutes les matières de la même manière, mais c’est complètement fou.
C’est comme si on devait aimer tout le monde de la même manière, comme s’il
était interdit d’avoir un meilleur ami et de l’inviter, sans inviter tous les autres.
Quand ce ne sont ni le goût ni la passion qui vous animent pour quelque chose, je
crois que la discipline peut fonctionner. Mais pas besoin de discipline si on aime
ce qu’on fait.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Et si vous faites quelque chose que vous n’aimez pas, il vous faut vous demander
pourquoi vous le faites. Après tout, la vie est courte !
Toujours est-il que j’ai lu beaucoup étant enfant, au lycée et même après avoir
quitté l’université. J’ai étudié le cinéma, mais j’avais déjà vu tous ces films et ce
que je voulais vraiment faire, c’était vivre la vraie vie et rentrer dans les choses
concrètes.
Mais avant de quitter l’université, j’ai passé trois examens de littérature
américaine, parce que j’adore cette littérature. C’est ce qui m’a amenée à penser
que j’avais choisi la mauvaise université ; cela m’a déprimée et j’ai décidé de
chercher du boulot.
Quand les ateliers d’écriture ont commencé, nous étions deux : Chiara, avec qui
j’avais suivi le master d’écriture créative, et moi.
Laissez-moi vous dire qu’a priori, je déteste tous mes anciens camarades de cours.
Enfin, détester n’est peut-être pas le bon mot, mais tout de même je DÉTESTE
celui qui couchait avec moi et m’a quittée au milieu de la nuit en m’empruntant
mon vélo, qu’il s’est fait voler et ne m’a jamais remboursé. Alors voilà, ces genslà, je les déteste jusqu’à ce qu’ils me prouvent qu’il n’y a pas de raison de le faire,
ce qui n’arrive guère.
J’ai travaillé comme actrice pendant longtemps et je sais parfaitement qu’un
acteur n’est rien sans les autres. Un acteur sait qu’il lui faut au moins une
personne comme spectateur.
La différence essentielle entre un acteur et un écrivain, c’est que l’écrivain ne
croit pas qu’il a besoin du regard des autres. Même s’il meurt d’envie que tout le
monde lise ses histoires, il se moque bien des opinions de ses lecteurs.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Je vous raconte ça parce que la plus grande difficulté pour moi dans l’organisation
des ateliers d’écriture, ça a été de trouver quelqu’un que cela intéresse et qui
puisse faire partie de l’équipe.
Un écrivain n’est généralement pas un fou de travail, et ce n’est généralement pas
quelqu’un qui aime partager.
Cela me fait vraiment peur. Chaque fois que quelqu’un me dit qu’il est écrivain,
j’ai envie de hurler.
J’ai donc choisi la seule de mes anciens camarades qui avait besoin d’un travail.
Nous avions une idée de ce que nous voulions mais nous étions incapables de
l’expliquer. Quand on se présente comme enseignant pour des jeunes enfants, tout
le monde commence à imaginer des gâteaux et des rubans roses et bleus, des
petits robots, des petites voitures et des petits circuits et des petites robes de
poupées. Et oui ! Ça en fait partie !
Mais le travail repose surtout sur la relation que vous avez avec les enfants.
Travailler avec des enfants, c’est comme travailler avec des écrivains, mais ils
sont plus jeunes et ne prétendent pas devenir écrivains ou directeurs artistiques
chez Vogue ou chasseurs de chasseurs de têtes, tous ces métiers pour lesquels
vous ne serez jamais payés à moins d’être la nièce d’Anna Wintour ou bien
mexicain (je dis mexicain parce que le seul directeur artistique que je connais est
un garçon dont j’étais amoureuse ; il avait ouvert une librairie avec l’argent de
son père qui était soldat dans la marine. Puis la libraire a fait faillite, comme
toutes les activités humaines qui se consacrent à la culture, et il est devenu
directeur artistique).
Quand on déniche un enfant qui est en dehors de toute logique liée à l’égo de ses
parents, c’est magique. Cela m’émeut de penser à cela, car ce n’est pas lié au fait
qu’ils sont jeunes, purs et adorables. La plupart d’entre eux ne sont pas adorables
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
(surtout les garçons). Non ; ce qui importe, c’est que lorsque vous découvrez cet
enfant, il n’a pas peur de l’échec. Car pour moi, toutes ces balivernes sur le
blocage de l’écrivain, ce n’est que de la peur.
En écrivant cela, je me voyais comme quelque part entre la scientologie et les
Amish et j’avais peur d’avoir l’air idiote ou démagogique, alors qu’un enfant
aurait pensé : - Wow ! La scientologie ! Oh tous ces extraterrestres, ces fusées et
ces volcans ! Les Amish ! Tous ces oiseaux rares ! »
Et l’histoire de l’enfant sera forcément meilleure que la mienne, parce que la
mienne est née dans la peur et la honte, alors que la sienne se déploie au royaume
de l’enthousiasme et de la joie.
Je n’ai pas le temps ici de me demander pourquoi le monde fonctionne ainsi ;
pourquoi nous aimons les histoires sur l’amour, la justice, la bravoure et
l’enthousiasme alors que, dans nos vies, tout est si différent !
Je ne deviendrai jamais riche en enseignant à des enfants. Je ne veux pas
comparer avec les adultes, ceux qui font des stages pour rencontrer quelqu’un
avec qui coucher ou dîner. De toute façon, je ne comprends pas pourquoi il
faudrait dîner ou coucher avec un écrivain qui va vous voler votre vélo juste
après !
Je suis convaincue que, si on veut écrire, on écrit. Je suis convaincue qu’il faut
lire beaucoup, pas pour imiter mais pour découvrir ce qu’on aime ou non. Écouter
les histoires des autres et leurs idées ne peut pas nuire. (À moins d’être Hitler.)
Je ne vais pas m’attaquer à ceux qui enseignent l’écriture créative aux adultes,
mais ce n’est tout simplement pas pour moi.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
J’ai vraiment besoin d’argent et j’ai besoin d’un travail, mais je sais que si je fais
quelque chose que j’aime pour des raisons que je déteste, je finirai par me détester
moi-même.
Alors, je pourrais même écrire un truc comme le Journal de Bridget Jones, mais
je ne cherche pas à gagner tant d’argent.
En tout cas, pas tant que je n’ai pas de loyer à payer.
Thomas BOUVATIER (France)
Techniques de narration
Voir le résumé page 21.
Catherine LE GALLAIS (France)
De la relation entre l’écriture et l’enseignement de l’écriture
J’ai été amenée à réfléchir à la relation entre écriture et enseignement de
l’écriture, une fois finie ma formation d’animatrice auprès des « Ateliers
d’écriture Élisabeth Bing », lorsque j’ai commencé à enseigner. Au bout d’un an
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
d’enseignement, il m’est apparu que tant que je n’aurais pas achevé ce qui allait
devenir mon premier roman, je ne serais pas en mesure d’accorder aux textes des
participants l’attention et le soutien dont ils avaient besoin. Une intuition
suffisamment puissante pour me tenir à distance de l’enseignement pendant deux
ans.
Cette expérience personnelle m’a inspiré l’idée d’interviewer trois formatrices
d’écriture expérimentées, qui enseignent et écrivent de manière régulière et
intensive : Isabelle Mercat-Maheu, Marianne Jaeglé et Bénédicte Fayet9. Toutes
les trois ont accepté de répondre à des questions telles que : « Comment
appréhendez-vous la relation entre écrire et faire écrire ? Comme ces deux
activités coexistent-elles dans votre vie ? Pensez-vous qu’un animateur doive
forcément écrire ? Quels sont les éventuels dangers qui guettent un écrivain qui
décide d’enseigner ? … »
I. Tensions qui peuvent émerger entre écriture et enseignement
L’enseignement de l’écriture créative est un travail que les trois interviewées
apprécient et qu’elles ressentent comme gratifiant. Néanmoins, c’est aussi un
travail exigeant qui peut, par moments, entraîner frustration et souffrance. Des
facteurs externes tels qu’un éventuel manque de reconnaissance symbolique,
sociale et financière peuvent en être partiellement la cause, du moins en France.
Mais certaines tensions peuvent naître d’un conflit intrinsèque entre écriture et
enseignement ; dans la première partie de cet article, je tenterai de les expliciter.
9
Isabelle Mercat-Maheu et Marianne Jaeglé sont respectivement présidente et vice-présidente de « Les Ateliers
d’écriture Elisabeth Bing ». Bénédicte Fayet a d’abord enseigné à « Aleph écriture ». Après une pause, elle a
repris l’enseignement auprès des « Ateliers d’écriture Elisabeth Bing ».
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Dans la seconde partie, je présenterai les leviers qui peuvent contribuer à une
coexistence heureuse entre les deux activités.
I.1 Comment l’enseignement peut menacer l’écriture.
a) Des emplois du temps difficilement compatibles
En France, seul un petit nombre d’écrivains parvient à vivre de sa plume. Certains
peuvent ainsi être « poussés » vers l’enseignement par nécessité économique et
être amenés à y consacrer plus de temps qu’ils ne voudraient. Car, pour pouvoir
en vivre, il faut enseigner un nombre d’heures conséquent. De ce fait, le temps
passé à la préparation des ateliers (lectures, création de propositions), à la lecture
des textes longs des étudiants et, in fine, à l’écriture personnelle entre en
compétition avec la vie privée. Partant il peut arriver que l’écriture « passe à la
trappe ». « Quand on enseigne beaucoup, on n’écrit plus. »
b) L’enseignement draine la créativité littéraire
Enseigner demande d’être créatif. Il faut en effet beaucoup de créativité pour :
- créer des propositions d’écriture nouvelles
« Quand on crée un nouvel atelier, c’est comme si on faisait un livre, donc on ne
fait pas nos propres livres. Comment on vit ça ? En général pas très bien.»
« Une part de la créativité peut très bien se déployer et même s’épanouir dans le
fait d’inventer des propositions d’écriture. »
- donner des retours utiles sur le travail des étudiants
« Le plus dur, c’est d’arriver à avoir toujours quelque chose à dire sur les textes.
C’est de la création spontanée. D’où ça sort ce qu’on leur dit ? Comment on peut
200
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
chaque fois éprouver quelque choses sur des bribes, sur un premier jet […] savoir
chaque fois quoi dire, comment le dire ? »
- motiver un groupe sur une période longue (les ateliers peuvent durer d’une
semaine à trois ans)
« Conduire un groupe, en réalité, c’est une œuvre vivante »
« Je crée des propositions sur mesure pour certains, pour essayer de les pousser
plus loin. »
Il se peut alors qu’une part de la créativité destinée à l’écriture soit ainsi drainée
par l’enseignement.
c) L’enseignement requiert beaucoup d’énergie
L’enseignement épuise ; à la fin de la journée, il ne reste parfois guère d’énergie
pour se mettre à écrire.
« Quand les étudiants lisent leur texte, on mobilise toutes les forces qu’on a,
mentales, psychiques, physiques. Mais on est vidé après. »
« Ce qui épuise dans l’animation, c’est qu’on met son énergie au service du texte
des autres alors que l’on devrait être en train de garder chaque goute de son
énergie au service de sa propre écriture. Mon engagement dans le monde passe
par mon écriture. »
Si la tension entre écrire et enseigner devient trop forte et crée des antagonismes –
par exemple si on doit enseigner à plein temps pour gagner sa vie sans plus avoir
de temps pour écrire, ou si l’intensité de l’effort que requiert l’enseignement ne
connait pas de répit, ou si la créativité de l’écrivain n’a plus d’espace – , on risque
l’épuisement total, le dégoût, voire le burn-out.
201
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
I.2 Comment l’écriture (ou le fait de ne pas écrire suffisamment) peut menacer
l’enseignement.
Que l’enseignement de l’écriture puisse mettre en danger la pratique-même de
l’écriture apparaît d’autant plus ennuyeux que la seconde est souvent considérée
comme une condition sine qua non pour le premier. En effet, la légitimité d’un
enseignant dépend en partie de sa capacité à maintenir son engagement dans ses
activités d’écrivain.
Il est à noter qu’écrire n’est toutefois qu’une condition nécessaire et non suffisante
pour pouvoir enseigner. L’enseignement requiert des compétences pédagogiques
pour lesquelles on doit être formé.
Mais même lorsque ces deux conditions nécessaires sont réunies, la légitimité de
l’enseignant continue de reposer sur une alchimie que chacun doit trouver pour
lui-même.
« L’animateur doit toujours rester quelqu’un qui écrit. Mais on n’est jamais
légitimé à faire écrire, de même qu’on n’est jamais légitimé à écrire. L’écriture et
la place de l’enseignant sont des choses dont on doit s’emparer. »
Aux questions « Combien un enseignant est-il censé écrire ? » « Doit-il/elle avoir
beaucoup écrit avant d’enseigner ? », « Doit-il/elle avoir été publié? », il n’y a pas
de réponse univoque. L’activité d’écriture d’un enseignant peut revêtir différentes
formes.
Mais pourquoi, alors, est-elle considérée nécessaire ? Quels sont les risques
encourus si l’enseignant n’écrit pas assez ?
a) Transfert du désir d’écrire sur l’enseignement
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
« Le danger c’est vraiment, pour moi, que le désir de faire écrire se substitue au
désir d’écrire»
« Il est nécessaire d’écrire sinon on risque de faire écrire les autres à sa santé. Si
encore un animateur n’avait aucune tentation d’écrire, si sa propre écriture était
un terrain mort pour lui (ce qui serait bizarre pour un animateur), encore, cela
me semblerait moins embêtant. Ce qui est embêtant c’est si un animateur à un
truc qui pousse et qu’il n’a pas le courage ou la capacité de débloquer le temps
pour ça, alors je crains – je ne l’ai pas vérifié, c’est mon intuition – que le risque
est grand qu’il le fasse faire à son groupe et qu’il perde de vue le besoin du
groupe […] Que-ce qu’on fait de son désir : est-ce qu’on ne l’impose pas à
l’autre ?»
b) Manque de frontières entre territoires littéraires
Si, en tant qu’enseignant, vous n’écrivez pas, vous ignorez vos territoires
d’écriture. Par conséquent vous ne pouvez donc jamais être certain/e de ne pas
avoir volé les idées de vos étudiants.
«Si je n’écrivais pas depuis si longtemps et si, par conséquent, je n’étais pas
certaine de mes propres obsessions d’écrivain, si je n’avais pas déjà écrit des
livres, j’aurais peur de voler les idées de mes étudiants dès lors qu’elles
s’approcheraient de mes propres préoccupations. »
Mais voyons maintenant la situation la plus fréquente : celle de l’enseignant qui
écrit. Deux autres écueils le guettent également :
203
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
c) Transfert du sentiment d’échec
Que se passe-t-il lorsqu’un enseignant qui écrit traverse une phase difficile dans
son écriture ou lorsqu’il développe un sentiment d’échec en tant qu’écrivain ?
«Un autre aspect de la relation écrire/faire écrire c’est la relation très étrange qui
se noue entre le groupe et la personne qui le guide dans la découverte et
l’apprentissage de l’écriture […] tous les phénomènes de transfert et de contretransfert. C’est compliqué pour la personne qui fait écrire de se positionner par
rapport au groupe dans la mesure où ça met en cause sa légitimité (sa capacité à
faire évoluer le groupe est dépendante de sa propre capacité à écrire et à réussir
dans sa propre écriture). Il va y avoir un effet miroir entre le groupe et
l’animateur. J’ai le souvenir d’une année difficile. C’était un moment où je n’avais
publié que des livres alimentaires et où un groupe, qui avait de lui-même une image
d’échec, me renvoyait de moi-même une image négative et, d’une certaine façon,
refusait de voir ce que je pouvais lui apporter.
Mais d’autres cas de figure existent. Le cas de figure très positif : l’animateur croit
en lui, le groupe croit en lui, tout le monde se met à écrire et toue le monde est
heureux (c’est cercle vertueux) et puis tous les cas intermédiaires où les choses
sont moins tranchées. »
d) Rivalité
Une autre difficulté peut surgir quand on se trouve en position d’enseigner à des
étudiants que l’on considère comme meilleurs que soi - situation qui exige
humilité et philosophie.
204
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
« Il peut arriver qu’on trouve des gens qui écrivent extrêmement bien, même
mieux que nous. C’est compliqué de gérer ça pour un animateur – encore que pas
tellement. Je le résous en pensant à Saint Jean-Baptiste qui baptise dans le
Jourdain. Quand les gens lui disent : « Tu es le Messie », il répond : « Quelqu’un
viendra bientôt qui est plus grand que moi. » Et, à un moment donné, JeanBaptiste baptise le Christ. Etre en situation d’animer c’est apprendre à écrire à
des gens qui peut-être un jour vont nous dépasser. Ce passage de témoin à
quelqu’un qui peut-être un jour nous dépassera, c’est le propre de
l’enseignement. »
II. Leviers pour renforcer une coexistence heureuse entre écriture et
enseignement.
II.1 Différencier les deux postures
Apprendre à différencier clairement écriture et enseignement comme étant deux
métiers différents (voire opposés) peut aider à réduire l’antagonisme entre eux :
« Ecrire et faire écrire c’est des postures complètement opposées. Faire écrire
c’est s’oublier au maximum, effacer ses goûts, faire travailler des gens dont on
n’irait jamais acheter le livre en librairie parce qu’on n’aime pas la sciencefiction, les trucs de cul […], les aider à rendre au mieux ce texte. Alors qu’écrire
ce n’est que être dans mes goûts, patauger dans ma fange à moi, c’est mes
obsessions. C’est très personnel. C’est mon territoire. Je ne fais jamais de
propositions qui pourraient amener les participants dans mes contrées
d’écriture. »
« Je ne me sens plus frustrée. J’ai fini par comprendre qu’il y a trois dimensions
qui sont d’égale importance pour moi : ma vie, mon écriture, l’enseignement. »
205
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Cette différenciation peut aussi éviter de rechercher dans l’enseignement des
récompenses inhérentes à l’écriture et vice-versa. Si l’écriture répond à des
besoins tels que la créativité, l’expression, etc, l’enseignement répond au besoin
de transmettre, d’échanger, d’aider les autres à découvrir leur propre potentiel,
etc.
« Qu’est-ce qui me motive à animer ? La curiosité des textes, la satisfaction de
d’aider les gens à réaliser ce qu’ils ne pensaient pas possible […] et aussi
l’extrême plaisir à trouver dans la littérature ce qui fait levier d’écriture, ce qui
fait écrire. »
II.2 Trouver le dosage personnel idéal
Sachant que l’enseignement requiert du temps et de l’énergie, chacun doit
rechercher pour lui-même le dosage idéal entre enseignement et écriture. À la
question : « quelle serait votre mix idéal ? », mes trois interlocutrices ont donné
des réponses très différentes. Sans doute leurs réponses varieraient-elles aussi
dans le temps.
« Chacun a à se trouver le bon dosage parce que les ateliers remédient à
l’isolement de l’écriture, donne une petite socialisation et ce n’est pas
désagréable. Mais moi je suis allée au-delà de cette dose et j’en ai ras-le-bol
d’animer. »
II.3 Reconnaître la valeur respective de l’enseignement et de l’écriture
a) Dans l’esprit de l’enseignant
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
- Ne pas minimiser l’importance de l’enseignement.
« En réalité c’est quand même moins difficile d’animer et de faire des
propositions d’écriture que d’écrire. »
Il est possible que, pour certains, l’écriture revête plus de prestige que
l’enseignement. Comme si la création littéraire avait une valeur symbolique plus
forte que la créativité requise par l’enseignement. Est-ce vraiment le cas ? La
créativité qu’implique l’enseignement est-elle vraiment moindre ou plus
élémentaire que celle que l’on investit dans l’écriture ?
« Il y a une ambiguïté. Si je me dis : « Ils écrivent, ce sont eux qui créent et pas
moi », je souffre. Mais si je me dis « nous créons ensemble », cela va beaucoup
mieux. […] C’est magique. Parce qu’on parle pendant un petit quart d’heure
[pour faire une proposition d’écriture10], tout à coup le silence se fait et ils
écrivent. Tu as produit ça, c’est un cadeau. Il faut le prendre comme un cadeau.
Mais pour comprendre cela, il faut s’être renforcé. »
-
Ne pas minimiser l’importance de l’écriture
Pour autant, il ne faut pas mettre l’écriture de côté avec l’excuse « Je n’ai pas le
temps d’écrire parce que j’enseigne trop » ou bien « Il n’est pas indispensable
d’écrire pour bien enseigner ». Combien de temps une telle affirmation peut-elle
rester vraie ? Il est donc important que l’enseignant veille toujours à questionner
sa propre nécessité d’écrire.
10
Ndla
207
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
b) Dans le monde extérieur
« De tous les métiers que j’ai faits, l’enseignement de l’écriture créative est celui
que j’ai le plus aimé, le plus intéressant, le plus génial … et le moins bien
reconnu. Je crois qu’il y a un travail à faire sur la reconnaissance de la qualité
des animateurs, ceux qui sont vraiment investis. »
La reconnaissance que demandent les enseignants est, en partie, symbolique. Dans
ce contexte on pourrait d’ailleurs questionner la dénomination d’ « animateur »
qui a cours en France. Ne risque-t-elle pas d’occulter les connaissances littéraires,
l’expérience d’écriture, les compétences pédagogiques, la créativité, l’intelligence
du cœur qu’implique l’enseignement de l’écriture créative ?
Mais il y a aussi les aspects économiques. Il semblerait juste de recevoir une
compensation financière non seulement pour le temps passé à animer mais aussi
pour le temps et les compétences nécessaires à la création de propositions, à la
lecture des textes longs des étudiants, à la formation continue.
Il semblerait qu’il reste encore de la marge pour améliorer la reconnaissance
symbolique et financière des enseignants d’écriture créative en France.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
TABLES RONDES ET ATELIER
TABLE RONDE 2 – SUR LA FORMATION DE L’ÉCRIVAIN
Denis BOURGEOIS avec : Thomas BOUVATIER, Ana MENÉNDEZ.
Voir le résumé page 21.
TABLE RONDE 3 – SUR LA FORMATION DE L’ENSEIGNANT
Alain ANDRÉ avec : Reijo VIRTANEN, Mariana TORRES.
Alain ANDRÉ (France)
Bon nombre d’enseignants d’écriture créative sont au départ écrivains ou
professeurs de lettres. Mais l’art d’enseigner l’art n’est-il pas quelque chose de
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
très particulier ? Comment pouvons-nous aider les enseignants à faire face aux
problèmes récurrents de l’enseignement de l’art ? Ont-ils besoin d’une formation
initiale ? D’une formation continue ? Devraient-ils se réunir régulièrement pour
échanger et réfléchir sur leur manière d’enseigner ? Ou bien trouveront-ils seuls
leur propre chemin, comme nombre d’écrivains estiment l’avoir fait ?
J’ai proposé le thème de cette table ronde car, selon moi, il est nécessaire de
l’aborder dans le cadre d’un colloque sur la pédagogie de l’écriture créative. Bien
sûr, s’agissant de la formation des enseignants (comme hier à propos de la relation
entre écriture et lecture dans les formations à l’écriture créative), les réponses
nationales varient. Je n’ai pas l’intention de proposer un « modèle » de ce que la
formation des enseignants d’écriture créative devrait être. Je voudrais juste vous
raconter une histoire française, plus précisément celle d’Aleph-Écriture. Cela me
donnera l’occasion de poser quelques questions et, qui sait, d’entendre d’autres
histoires.
À la racine des ateliers d’écriture en France
Au tout début d’Aleph-Écriture, il y avait trois professeurs de lettres. Avant de
devenir un organisme de formation professionnelle, Aleph était une toute petite
association consacrée à l’écriture créative, comme il en existe des centaines en
France.
Nous étions des militants pédagogiques (nous avions milité politiquement
antérieurement, tous à l’extrême gauche) et de jeunes écrivains, qui n’avaient
encore publié que quelques textes, des articles pédagogiques ou des traductions,
des choses de ce genre. Nous aimions assez p eu la manière dont on nous
demandait d’enseigner, deux d’entre nous ont vite cessé d’enseigner dans le
système éducatif français secondaire. Nous avions fait l’expérience d’ateliers
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
littéraires parmi les premiers créés en France. La plupart s’inscrivaient à la marge
du système éducatif officiel, voire contre l’enseignement traditionnel. C’est sans
doute la raison pour laquelle en français, nous n’utilisons pas les mots de
« professeur » ou « d’enseignant », les mots de « cours » ou « d’étudiant », quand
nous parlons des ateliers d’écriture. Ce sont des ateliers, on y travaille et transpire,
on y produit quelque chose, ce ne sont pas des cours de littérature !
Je dois ajouter que la plupart de nos « animateurs » n’étaient pas ce qu’on appelle
des auteurs, ce qui recouvre en France non le fait d’écrire, mais celui d’avoir
publié un roman chez un éditeur ayant pignon sur rue. En France, vous savez,
l’idée dominante est que l’écriture ne s’apprend pas : si vous n’êtes pas un génie
dès le départ, mieux vaut vous résoudre à aller vendre des légumes. Il y eut des
exceptions, le surréalisme, l’Oulipo, mais même ces courants ouverts à l’écriture
collaborative ne suggéraient pas la création d’ateliers, plutôt des expérimentations
autour de l’écriture automatique ou, comme à l’Oulipo, des pratiques autour de
leur fameuses – et précieuses – contraintes formelles.
Parmi les premiers ateliers des années 70 en France, je n’ai pas vraiment trouvé ce
à quoi j’aspirais : un espace pour partager mes manuscrits avec d’autres jeunes
auteurs, et pour apprendre ce dont j’avais besoin pour progresser. La plupart du
temps, les formateurs improvisés étaient très behavioristes : le programme était
celui de l’animateur, la bonne littérature devait coïncider avec ses auteurs favoris ;
ou alors l’œuvre immortelle de l’animateur était au centre des contenus, non les
textes des apprenants ; et cet animateur ne semblait pas vraiment réfléchir à sa
manière d’enseigner, sauf sur un point : il cherchait à faire de ses apprenants des
adeptes dévoués et obéissants, des animaux domestiques dociles. D’une certaine
manière, l’animateur était le problème, et non la solution.
C’est la raison pour laquelle, dès que j’ai créé Aleph-Écriture avec l’aide de deux
amies, j’ai décidé d’insister sur trois points qui me semblaient incontournables :
211
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
-
Mettre en place une formation pour les enseignants d’écriture créative ;
-
Recruter une équipe d’intervenants ;
-
Et écrire un livre qui rende compte de cette formation de formateurs.
La formation de base
Points récurrents
En ce qui concerne la formation, j’ai commencé par conduire un seul « groupe de
formation à l’animation », comme nous disions. Cela a duré de 1987 à 1998,
moment où nous avons dû créer plusieurs groupes chaque année et donc avoir de
nouveaux formateurs d’animateurs (nous sommes une douzaine aujourd’hui à le
faire, dans Aleph). Le programme de la formation de base actuelle, sur 90 heures,
découle pour une large part des questions et des problèmes identifiés par le
groupe, patiemment reformulés afin de parvenir à un langage commun. En réalité,
émergent toujours un certain nombre de questions analogues, à partir de cette
phase initiale de négociation et de discussion :
-
Qu’est-ce que l’écriture littéraire (espace, dimensions, processus) ?
-
Comment inventer et tester une nouvelle proposition ?
-
Comment utiliser les divers outils de partage des textes dans l’atelier (voix,
« paper-board », vidéoprojecteur, photocopies, etc.) ? Comment utiliser et
articuler les différents moments travail individuel, de travail en petits groupes, de
partage avec le grand groupe et d’intervention « magistrale » ? Quelles sont les
différences entre un atelier en face à face et un atelier à distance ?
-
Quels outils poétiques et rhétoriques l’enseignement de l’écriture créative
requiert-il ?
-
En quoi consiste notre rapport à l’écriture ? En quoi nos comportements
rédactionnels et nos méthodes de gestion du processus créatif consistent-ils ?
-
Quels sont les « profils rédactionnels » les plus courants dans un groupe ?
212
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
-
Quel est le lien entre mon désir d’écrire et mon désir d’enseigner ? Où se situe
l’angle mort entre les deux ?
-
Comment utiliser les textes littéraires ? Pour illustrer nos propositions ou bien
comme détours littéraires, dans le but d’expliciter quelques points techniques ?
Comment ne pas prendre le risque de dégoûter les étudiants avec ces textes ?
-
Comment effectuer les retours, avec des débutants comme avec des stagiaires plus
avancés ? Sur des textes courts ou sur des manuscrits ? Que pensons-nous
vraiment de la valeur d’un texte précis ?
-
Comment concevoir, planifier et mettre en œuvre une série d’ateliers, selon leurs
objectifs particuliers ?
-
Quel est le cadre et quelles sont les règles humaines de cet étrange dispositif
qu’est un atelier d’écriture créative ?
-
Quels sont les rôles et postures professionnelles de base de l’animateur ?
Outils de formation
À cette liste de questions-problèmes s’ajoutent trois outils qui contribuent à
donner son cadre de travail à la formation :
- Un carnet de bord personnel : il inclut des notes sur les séances, des idées
personnelles, des textes écrits en lien avec la formation, etc.
- L’écriture réflexive, y compris les études de cas : bien sûr, le carnet de bord est
censé pousser les stagiaires à une écriture bien particulière, à savoir celle qui
réfléchit l’atelier et en élabore l’expérience. Par exemple, si on vous propose
d’écrire une nouvelle, on cherche aussi à ce que vous écriviez sur tel ou tel aspect
de cet atelier portant sur la nouvelle : sur l’utilisation d’un texte d’auteur, sur un
point technique soulevé par l’écriture, un point relationnel problématique. Ce
qu’on attend, c’est que le stagiaire écrive sur son expérience à la fois du point de
vue du stagiaire et de celui de l’animateur ; cela implique un usage régulier de
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’écriture narrative et de l’écriture réflexive, dans le but d’approfondir les
problèmes rencontrés lors de séances, afin d’en discuter avec les autres, de
développer un intérêt pour la littérature professionnelle sur le sujet – ce qui est
nouveau en France, où les textes de type « essai », réflexions personnelles, études
de cas, etc., ne sont guère prisés…
- Une bibliographie soigneusement commentée : elle aide les étudiants à faire le
lien entre leur propre réflexion et les textes professionnels publiés sur le thème.
Les projets professionnels
Cette formation de base est proposée à toutes sortes de gens qui démarrent dans
l’enseignement de l’écriture créative, dans une université ou une école
élémentaire, qu’ils soient écrivains ou non, professeurs ou non, psychanalystes,
journalistes, etc. Bien sûr, cette formation est petit à petit devenue plus complexe.
Nous proposons maintenant des sessions plus courtes, complémentaires,
auxquelles les gens peuvent participer s’ils les estiment pertinentes pour leur
projet professionnel : enseigner le français comme langue étrangère, enseigner la
réécriture pour les participants les plus avancés, enseigner à des publics
spécifiques, à des enfants ou dans des hôpitaux, des prisons, ou encore enseigner
l’écriture au travail, la dynamique de petits groupes, etc.
Un nouveau métier ?
Aujourd’hui, la plupart des animateurs d’Aleph ont suivi cette formation, d’abord
comme participants puis comme jeunes enseignants : au total, 180 heures dans
divers ateliers + 180 heures de formation initiale de l’animateur d’ateliers
d’écriture. Ils se retrouvent régulièrement dans des regroupements, sont invités à
des réunions de réflexion, rédigent des évaluations, etc.
214
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Nous avons aussi, bien sûr, des auteurs invités, qui interviennent sur la base de
leur expérience et de leurs œuvres. Ils sont généralement impliqués dans des
ateliers de courte durée, car enseigner dans un atelier régulier est un autre métier,
et qui plus est un métier difficile.
La formation et les critères
En fait, comme l’écriture qui repose sur tout un ensemble de qualités, animer un
atelier d’écriture implique tout un éventail de compétences. Nous avons un
problème en France, comme d’ailleurs en Belgique et en Suisse francophones,
avec tout un tas de gens qui se présentent comme animateurs et proposent toutes
sortes de choses sous l’intitulé d’ateliers. C’est pourquoi nous tenons à former les
animateurs sérieusement. Nous ne les acceptons dans cette formation que si nous
sommes certains qu’ils satisferont à 5 critères après une, deux ou trois années de
formation :
-
Une bonne santé mentale, puisqu’il s’agit de relations humaines (pas d’égos
surdimensionnés, de séducteurs pervers, de dépressifs profonds…)
-
Une bonne expérience des groupes (de 6 à 12 personnes), dont la dynamique est
capitale dans un atelier d’écriture.
-
Une vraie pratique de l’écriture : après tout, nous n’enseignons pas le macramé !
-
Une culture littéraire forte, car la littérature est la source à laquelle puisent
auteurs, genres, techniques et toutes sortes d’approches.
-
Un parcours de formation concerté : car si vous voulez animer des ateliers, il vaut
mieux en avoir suivi, et être prêt à partager votre réflexion et vos outils sur un
certain nombre de sujets.
Un nouveau professionnalisme ?
Mon idée dans les années 80 en ce qui concerne les enseignants à Aleph, idée sans
doute naïve, était qu’il allait nous falloir inventer un nouveau type de
215
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
professionnalisme. Nous n’étions plus professeurs, nous n’étions pas encore des
auteurs reconnus. J’ai remarqué que, lorsqu’on regroupe des enseignants, ils
jouent aux enseignants ; même chose si on regroupe des professionnels de la
réécriture, ou des psychanalystes, ou des journalistes…
J’ai donc tenté de réunir une équipe composite, de façon à obliger chacun d’entre
nous à rendre son langage explicite et à contribuer à l’invention d’un langage
collectif. Des hommes et des femmes, des gens venus d’horizons professionnels
variés, ce qui impliquait d’admettre des points de vue différents sur la manière
dont un atelier d’écriture devait fonctionner. Cela nous a obligés à ouvrir nos
esprits. Nous échangions beaucoup, aux débuts d’Aleph, et nous le faisons
toujours, même si ce n’est plus avec le même enthousiasme naïf et novateur. Je
crois que les nouveaux animateurs ont besoin de ces échanges, de ne pas se
trouver seuls face à la gestion de leurs groupes. Et je crois, même si cela s’avère
plus difficile, que les animateurs plus expérimentés en ont aussi besoin, au lieu
d’être certains que plus personne n’a quoi que ce soit à leur apprendre…
Les livres
Le livre que j’évoquais au début de mon intervention est intitulé Babel heureuse.
L’atelier d’écriture au service de la création littéraire (Syros-Alternatives, 1989).
Il a donc été publié il y a longtemps, et réédité en 2011 par Aleph. Sa rédaction
découle directement de cette pratique de l’écriture réflexive. À propos, je ne
prétends pas écrire lorsque j’anime un groupe ; je suis là pour le groupe, pas pour
écrire moi-même, mais comme c’est un peu frustrant, je me permets de prendre
occasionnellement des notes… sur l’atelier. C’est une petite astuce qui m’a
beaucoup aidé à supporter le fait que les apprenants, eux, étaient en train de
rédiger des textes littéraires, tandis que moi, non !
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
C’est un essai et la version formalisée de cette formation dont je vous ai parlé. Ce
n’est en rien une méthode canonique pour les ateliers d’écriture, mais plutôt un
ensemble construit d’hypothèses de travail. Par la suite, j’ai écrit deux autres
essais, issus de notre expérience collective. Il s’agit de Devenir écrivain (un peu,
beaucoup, passionnément), publié en 2007 par les Éditions Leduc.s et réédité en
2012 par Aleph ; et d’Écrire l’expérience. Vers la reconnaissance des pratiques
professionnelles, écrit en collaboration avec la psychanalyste et professeur
d’université suisse Mireille Cifali (Presses Universitaires de France, 2007), un
ouvrage qui est toujours disponible et pose les questions liées à l’écriture réflexive
dans le domaine général de l’expérience, notamment professionnelle.
Écrire ces ouvrages m’a permis d’arriver à une conclusion forte. L’écriture est une
chose, et j’ai publié des romans et des nouvelles, comme bon nombre d’entre nous
ici, et j’entends bien continuer, plus que jamais. Mais l’enseignement de l’écriture
créative en est une autre : c’est un métier qui requiert une formation
professionnelle et des échanges approfondis, même si vous êtes un poète de
renom ou le plus grand chaman littéraire de la Terre.
Qu’en pensez-vous ?
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Reijo VIRTANEN (Finlande)
Quand vous posez la question de la nécessité d’une formation initiale ou continue
pour les enseignants d’écriture créative, ma réponse est OUI. Ils ont besoin des
deux. Mais ce n’est pas si simple.
En théorie, tous les enseignants ont besoin d’une formation, mais si nous
commençons à exiger des qualifications pédagogiques, nous allons vite nous
trouver à court d’enseignants qui sachent de quoi ils parlent quand ils parlent
d’écriture.
Qui sont les enseignants d’écriture créative ?
Pour le moment, en Finlande, nous avons au moins trois sortes d’enseignants
d’écriture créative :
218
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012

Les artistes-enseignants : un professeur qui est un auteur professionnel dans un ou
plusieurs domaines tels que poésie, fiction en prose, écriture de théâtre ou de
scénarios, journalisme – leur compétence est purement pratique. Ils savent
comment faire, mais ils n’ont pas écrit d’ouvrage théorique sur le sujet.

Les enseignants-experts (y compris les critiques littéraires) : un professeur qui est
un spécialiste de la lecture et de l’analyse littéraire, mais qui, dans son propre
travail d’écriture n’a jamais pratiqué professionnellement le genre qu’il est censé
enseigner.

Les professeurs de langue et littérature finnoises.
Le seul groupe qui a une formation pédagogique à la base, c’est le troisième, celui
des professeurs de langue et littérature finnoises. Ils ont obtenu 40 crédits en
pédagogie générale et en formation de l’enseignant à l’université. Ils enseignent
au lycée, ou au niveau inférieur. Ce sont ceux que, dans nos formations à
l’écriture, nous ne souhaitons pas embaucher comme enseignants. La raison en est
que leur compétence la plus solide porte sur les capacités langagières et la
correction des fautes à l’écrit. Leurs compétences dans le domaine des « belleslettres » sont souvent restreintes. C’est une situation totalement paradoxale.
Il est par ailleurs connu que les artistes-enseignants ont tendance à mépriser
l’éducation. Ils ne souhaitent même pas être appelés professeurs, mais formateurs,
ou mentors. Ils pensent connaître tous les secrets de l’écriture et tous les procédés.
Ils croient que la pédagogie ne concerne que les écoles, pas les ateliers artistiques
dignes de ce nom.
Les enseignants-experts se considèrent comme des professionnels des « belleslettres ». Ce sont des lecteurs et relecteurs compétents. Ils méprisent tout ce qui
relève du conseil linguistique. Ils visent plus haut, vers l’Art. Ils ont l’habitude
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
d’accumuler des crédits universitaires, ce qui fait qu’ils ne sont pas opposés aux
études pédagogiques. Il se pourrait même qu’un jour, ils se lancent dans
l’acquisition des 40 crédits du diplôme universitaire en pédagogie… mais il y a
toujours quelque chose de plus intéressant à faire avant. Ils savent pourtant qu’ils
ne pourront pas garder leur poste d’enseignant toute leur vie s’ils ne passent pas
ce diplôme, et que leur salaire restera plus bas tant qu’ils ne l’auront pas… ce qui
peut être une motivation.
À l’inverse, un artiste-enseignant ne cherche pas à avoir un poste d’enseignant à
plein temps. Sa priorité reste l’écriture et la publication de son travail.
Ont-ils besoin d’une formation spécifique ?
Ceux qui enseignent régulièrement acquièrent des compétences sur le terrain. Il
est évident qu’ils se perfectionnent au fil du temps, rien qu’en planifiant des
nouveaux cours et en les mettant en œuvre.
Mais ne seraient-ils pas encore meilleurs s’ils recevaient une formation
pédagogique théorique ?
Je suis convaincu que nombre d’artistes et d’enseignants-experts gagneraient en
assurance s’ils suivaient la formation initiale universitaire en 40 crédits. Cela leur
permettrait de comprendre la nature de leur propre pratique. Ils apprendraient la
raison d’actes accomplis automatiquement dans leur pratique quotidienne. Ils
rencontreraient des gens avec qui partager leur approche des théories de
l’apprentissage et les bases des méthodes qu’ils ont déjà mises en pratiques. Ils
apprendraient les noms scientifiques des phénomènes qu’ils rencontrent. Et ils
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
commenceraient à mieux gagner leur vie car ils seraient considérés comme
qualifiés.
En Finlande nous avons un système pratique de validation : si vous avez travaillé
comme enseignant pendant trois ans et que vous êtes déjà détenteur du plus haut
diplôme possible dans votre discipline, vous avez le droit de passer les diplômes
de pédagogie sous forme d’un examen où on vous demande de prouver que vous
êtes un professeur expérimenté. Cela implique en général des études à temps
partiel pendant un an, un projet d’enseignement solide et la rédaction d’un article
de 20 pages (il va de soi que vous devez continuer à faire votre travail
d’enseignant pendant ce temps-là).
Et bien sûr, tout le monde peut aller à l’Université Populaire pour acquérir les
bases des sciences de l’éducation. C’est une possibilité qui est aussi ouverte aux
artistes-enseignants qui n’auraient aucun diplôme.
Mais les enseignants d’écriture créative ont-ils besoin de connaître les fondements
de la pédagogie générale pour devenir de meilleurs professeurs ?
Pour moi, il serait souhaitable que les enseignants-experts et les linguistes suivent
les formations de base en écriture créative et se spécialisent ensuite en pédagogie.
Laissez-moi vous donner un exemple d’études de l’écrit de l’université de
Jyväskylä. Elles comprennent 20 points d’études tous applicables aux fondements
de l’enseignement de l’écriture et aux techniques de la restitution.
Mais je ne forcerais pas un artiste enseignant ou qui que ce soit à suivre les cours
de théorie de la pédagogie. Ils pourraient peut-être se débrouiller avec des livres et
des revues ?
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Quoi qu’il en soit, je recommande aux artistes-enseignants d’assister à des
conférences et des séminaires sur l’enseignement de l’écriture créative. Cette
conférence à Paris en est un bon exemple.
À Oriveden Opisto (la faculté des arts d’Orivesi) nous organisons une conférence
pédagogique tous les ans pour les professeurs finnois d’écriture, pour laquelle
nous invitons un ou deux enseignants étrangers comme conférenciers.
Et pour les enseignants-experts et professeurs de lettres qui ne sont pas
professionnels de l’écriture de poésie, de fiction ou de théâtre, nous mettons en
place un long stage tous les ans. Ce stage vise d’abord à perfectionner les
compétences en écriture artistique de chacun dans chacun de ces genres
fondamentaux des « belles-lettres ».
Mariana TORRES (Espagne)
Trois types d’enseignants collaborent avec nous à l’EdE (Escuela de Escritores) :
(1) L’étudiant en écriture créative, doté d’un talent spécifique pour discuter et
analyser les exercices des autres, (2) le professeur de Lettres, issu de l’Université
et (3) l’écrivain, capable de communiquer avec les gens et de partager une
expérience pratique sur les processus de création. Existe-t-il une autre sorte
d’enseignant ?
Quand on réfléchit au temps nécessaire à l’acquisition des compétences
d’enseignement, on se doit de dire qu’il faut pratiquer beaucoup. Il faut enseigner
un grand nombre d’heures pour devenir un bon enseignant : avec des
environnements différents, des étudiants différents, des classes d’âges différentes,
avec des objectifs différents, des situations variées…. Quel meilleur moyen pour
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
apprendre à enseigner l’écriture créative ? Comment mettre en place cette
pratique ?
Parlons aussi de la difficulté qu’éprouvent certains écrivains à changer leur
habitudes d’enseignement : « Cela marche bien pour moi, pourquoi changeraisje ? ». Voyons leur inertie et leur manque de flexibilité dans la méthode :
« J’enseigne comme ça depuis des années… ; je ne peux pas changer, ça ne
marchera jamais pour moi. ». Mais qu’en est-il des étudiants, de leurs besoins ?
Car il ne faut perdre cela de vue. Comment pouvons-nous faire ? Suffit-il de se
remettre en position d’étudiant une fois par an ? Est-ce toujours nécessaire ?
Et quid de notre expérience des trois différents types d’enseignants à l’EdE ?
Parlons encore des étudiants que nous recevons dans nos cours : ont-ils changé au
cours des dix dernières années ? Que dire des plus jeunes, de la masse
d’informations qu’ils reçoivent et de leurs habitudes de geeks – applications
mobiles en classe, tweets sur ce qu’ils apprennent, etc ? Pourrions-nous utiliser
tout cela pour améliorer nos formations ?
Il faut aussi évoquer la différence entre les groupes de pairs discutant de leur
pratique et un enseignant parlant des travaux de ses élèves : « J’ai mon groupe de
copains, je n’ai plus besoin d’un prof ». Nous avons quelques groupes de ce type à
l’EdE ; la question qui se pose est : qu’est-ce qui se passe au bout de quelques
réunions ? Ont-ils besoin d’un leader… Quelqu’un dont le rôle se rapprocherait de
celui d’un professeur, en quelque sorte ?
Et puis, il y a la question de l’enseignement à des adultes. Avantage : on enseigne
à des gens qui sont là volontairement. Inconvénient : ce sont des gens qui ont
parfois du mal à faire évoluer leurs habitudes. Et comment garder nos enseignants
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
en forme et motivés ? Ont-ils besoins d’écrire de manière active avant de
prétendre enseigner l’écriture créative ? Est-il nécessaire d’être un bon écrivain ?
Mais encore, il arrive que l’atelier se transforme en thérapie de groupe :
« Pourquoi êtes-vous venu dans mon cours ? Mon psy me dit que ce sera bon pour
moi ». Comment aider nos enseignants à faire face à ce genre de situation ? Cela
relève-t-il de notre métier ? Quant à la nécessité d’imposer structure et
organisation contre chaos et improvisation, il nous faut bien entendu y réfléchir.
Car quelle attitude pouvons-nous avoir envers des enseignants chaotiques… mais
géniaux, avec un vrai don pour la communication ? Ont-ils besoin d’être
structurés ? Quelle méthode pouvons-nous leur imposer ? Et en ont-ils vraiment
besoin ?
ATELIER 3
Linda LAPPIN (Italie)
L’utilisation du mythe : la Catabase comme outil
Dans l’atelier centré sur le mythe de la Catabase que nous avons conduit à AlephÉcriture lors de la Conférence pédagogique de 2012, nous avons d’abord examiné
le concept de la Catabase telle que Joseph Campbell l’a étudiée dans ses
recherches sur le monomythe. Nous avons ensuite lu et discuté quatre textes
courts, deux poèmes et deux passages en prose qui traitaient de la Catabase de
manière très différente. Dans la phase finale, les participants ont pu écrire leur
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
propre histoire de Catabase, sur la base des propositions que je mentionne à la fin
de ce texte.
Phase 1 - Présentation du matériau : définition de la Catabase
Aux temps très lointains de l’histoire de l’Homme, il n’existait qu’un seul moyen
pour comprendre le sens de la vie et du monde, pour traduire les émotions et
l’expérience, pour transmettre un savoir : raconter une histoire pour conjurer les
archétypes ou créer des symboles. Les mythes, symboles et histoires qui
surgissaient de l’esprit de l’Homme à cette époque demeurent des créations
puissantes et durables de la culture universelle, et se reflètent encore dans nos
esprits contemporains, notre inconscient, nos rêves, et les histoires que nous
racontons encore et encore.
Le mythologue américain, Joseph Campbell, a consacré sa vie entière à l’étude du
mythe du héros dans les cultures du monde entier. À partir du corpus ainsi
assemblé, il a dégagé une formule unique qu’il a spécifiée dans son ouvrage
fondateur The Hero with a Thousand Faces (traduit en français : Les héros sont
éternels) : le monomythe, dessinant l’itinéraire d’une quête initiatique parcourant
les grandes mythologies, légendes, folklore, contes, textes religieux du monde
entier, d’Osiris et Prométhée à Bouddha et au Christ. Campbell a résumé sa notion
du monomythe de la manière suivante ; « Un héros quitte le monde pour une
région de merveilles surnaturelles : il doit affronter des forces prodigieuses et
remporter une victoire décisive ; le héros revient de cette aventure mystérieuse
avec le pouvoir d’accorder des bienfaits à autrui11. ». Il a aussi énuméré un
ensemble de phases dans le voyage du héros : l’Appel à l’Aventure, la Route des
Épreuves, le But ou Apothéose. On peut aussi nommer ces trois phases :
11
Joseph Campbell, The Hero with the Thousand Faces. Princeton: Princeton University Press, 1968, p. 30
225
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Séparation/départ, Initiation, Retour. Elles se divisent à leur tour en phases
mineures, qu’on peut assimiler à des retournements de l’intrigue. L’étude de la
formule de Campbell et son application lorsqu’on analyse ou construit les
intrigues de textes de fiction ou de non-fiction ouvrent des possibilités sans fin à
l’écrivain comme au critique littéraire12. Pour ce qui est de l’atelier de ce jour,
nous allons examiner une des phases premières de la formule : la Catabase, ou
descente du héros/de l’héroïne. Le motif archétypal de la quête et de l’initiation
fait partie des structures de base de la fiction – du conte de fées au roman
initiatique ou d’aventure – comme de la non-fiction, récits de voyages ou
mémoires par exemple. Dans ce schéma, la Catabase, ou descente dans le monde
souterrain, quelle que soit la représentation qu’en a l’écrivain, est un épisode-clé
de la quête.
Selon Campbell, la descente du héros ou de l’héroïne vers les mondes souterrains
est souvent précédée d’un « appel à l’initiation » et d’une séparation de la famille
et de l’environnement domestique. Cette « descente » implique un voyage au
cœur des profondeurs terrestres et au fond de soi-même, abandonnant à
l’obscurité la lumière solaire et les terres qu’elle éclaire. C’est un temps de
solitude et de doute, de deuil et de danger, d’angoisse, de peur, d’aliénation,
souvent un éloignement de ce à quoi nous tenons le plus : notre essence. C’est ce
à quoi sont soumis les figures mythiques : Ishtar, Cybèle, Gilgamesh, Énée et
Ulysse, tous passent la porte du monde souterrain, de même Dante se traînant au
travers des neuf cercles de l’enfer dans l’Enfer, de même Marlowe voyageant sur
la rivière Congo à la recherche du colonel Kurtz, cherchant à deviner où se
trouvent les rochers et hauts fonds qui pourraient briser la coque de son bateau.
Même si nous ne sommes pas totalement privés de notre sens de la vue alors que
12
Pour l’usage actuel de ce mythe dans la fiction et les scénarios, voir Christopher Vogler in Vogler, The
Writer’s Journey (Le guide du scénariste- Dixit éditions) Los Angeles: Michael Wiese Publications, 2010.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
nous pénétrons dans le lugubre monde souterrain, il va nous falloir, tout comme
Marlowe, nous fier à nos autres sens: l’ouïe, l’odorat, l’intuition. Souvent, nous
demandons à disposer d’un guide, d’une carte, d’instructions précises, d’un
objectif, pour nous aider à nous en sortir, tel le Rameau d’or qu’Énée soustrait à
l’arbre sacré pour aller jusqu’à Hadès.
Dans la pénombre du royaume souterrain, le protagoniste subit des épreuves, peut
être emprisonné ou réduit à l’esclavage. Il va rencontrer des amis, des ennemis,
perdre un de ses biens ou recevoir un présent, trouver un trésor, découvrir la vérité
sur ses origines, enrichir son savoir, se libérer ou bien libérer quelqu’un d’autre et
finalement remonter à la lumière, métamorphosé et prêt pour une autre étape de
son voyage vers lui-même. C’est un schéma qui apparaît de toute évidence dans
de nombreuses fictions, du western à la science-fiction. Mais il apparaît aussi,
souvent masqué, dans des mémoires, dans lesquelles la quête, le conflit, sa
résolution, puis la transformation du personnage représentent les phases clés de la
structure narrative.
Les psychologues nous disent que les voyages vers les mondes souterrains sont
des explorations de l’inconscient individuel ou collectif au cours desquelles nous
pouvons nous trouver face à des instincts réprimés ou enfouis, des désirs, des
émotions, des secrets et des besoins ignorés. C’est le royaume du chaos et de
l’irrationnel, mais aussi une source de puissance créative et vitale. C’est le lieu de
ce que le psychologue des profondeurs C.G. Jung nommait l’Ombre, le côté
obscur de la personnalité que nous ne pouvons pas reconnaître facilement car il
contient les aspects refoulés, négatifs et défavorables de nous-mêmes qui doivent
227
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
être intégrés dans notre personne toute entière pour parvenir à la réalisation de
notre moi intérieur13.
Pour les habitants de la Rome Antique et les Étrusques, on pénétrait dans le
monde souterrain par des grottes, des tunnels, des cavernes. Dans d’autres
traditions, cependant, le monde intérieur du chaos et des trésors n’a pas besoin
d’être « sous la terre » – il peut se situer sous la mer, dans un désert, une forêt,
enfermé dans une montagne ou placé en haut d’un pied de haricots. Il reste
néanmoins toujours extérieur au domaine de la perception immédiate, hostile à la
vie humaine, et souvent accessible uniquement par une entrée magique visible
depuis le monde réel. Dans Le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique de
C.S. Lewis, la porte vers cet autre monde est cachée derrière des vêtements dans
un placard. Comme l’écrit René Daumal dans son roman allégorique Le Mont
analogue, « la porte vers l’invisible doit être visible. »
Dans la littérature classique, le voyage vers les mondes souterrains requiert
parfois une certaine préparation : instructions sur ce qui est permis ou interdit, sur
les moments où on peut parler ou ceux où on doit rester silencieux, sur ce qu’il
faut emporter avec soi : de l’argent pour payer le passeur, des gâteaux à jeter au
chien féroce à trois têtes Cerbère pour qu’il ne mette pas en pièces le voyageur.
Parfois, il faut avoir recours à un objet ou une astuce pour retrouver son chemin
au retour, comme le fil donné par Ariane à Thésée pour le guider vers la sortie du
labyrinthe dans le mythe du Minotaure. Avant de pénétrer dans cet autre monde, il
y a souvent une frontière à traverser (une rivière, par exemple) et un gardien à
amadouer par la ruse, la négociation ou le combat. Une fois le gardien vaincu, le
voyage peut continuer sa progression étape par étape. Dans le mythe
13
Voir M.L. Von Franz Le processus d’individualisation in L’homme et ses symboles, Paris- Robert Laffont –
2002 (Man and His Symbols, New York: Doubleday, 1964, pp. 158 -229)
228
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
mésopotamien de la descente d’Inanna aux enfers, la déesse doit se défaire de ses
voiles, bijoux et vêtements à chacune des sept portes jusqu’à ce qu’elle parvienne
au fond totalement nue, symbole de l’accès à la vérité absolue. Une fois arrivés au
terme du voyage, on découvre un monde régi par ses propres lois. L’endroit peut
être magnifiquement beau mais étrange, ou horrible et menaçant, avec des
températures extrêmes et des paysages hostiles. Il peut abriter une profusion de
formes naturelles évoquant la mort, la maladie, ou la fertilité, comme dans les
tableaux de Jérôme Bosch, ou bien être parsemé de trésors. Il peut être désolé ou
grouillant de créatures humaines ou autres, plein de morts ou d’objets disparus
depuis des lustres. Ou bien il peut prendre la forme d’un désert absolu, vide de
tout.
Face à cet environnement terrifiant, il peut arriver que le voyageur rencontre une
aide qui le prépare à la confrontation avec le maître des lieux : l’Ombre. Dans la
littérature classique, l’ombre était le Minotaure, Pluton ou d’autres habitants du
monde souterrain. Il peut aussi s’agir d’une personne, un animal, une forme
d’addiction, une tendance à l’autodestruction, une crainte, une maladie, un trait de
caractère négatif, un jumeau maléfique. Qui ou quoi que soit l’Ombre, il faut la
neutraliser avant de pouvoir remonter. La confrontation avec l’Ombre est une
entreprise dangereuse qui marque l’initiation du héros ou de l’héroïne. Après
l’accomplissement de cette confrontation, le héros reçoit un don : un pouvoir, un
savoir, qui vont le ramener vers le monde qu’il a abandonné et dans lequel il
retournera métamorphosé.
Phase 2 - Les lectures
Les textes choisis pour la lecture et la discussion étaient deux poèmes de A.E.
Stallings qui parlent du mythe de Perséphone emmenée captive aux enfers “Hades
229
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Welcomes His Bride” (Hadès accueille sa jeune épousée) et “Persephone Writes
a Letter to Her Mother” (Perséphone écrit une lettre à sa mère), deux textes qui
sont des adaptations contemporaines du mythe classique. En ce qui concerne les
deux passages en prose, j’ai d’abord lu un extrait de mon propre roman The
Etruscan, (L’Etrusque) dans lequel le personnage principal, une photographe
féministe des années 1920, glisse, tombe et perd conscience dans une tombe
étrusque, puis se réveille et se retrouve partiellement déshabillée en présence d’un
homme étrange. Le second extrait était tiré de l’histoire extraordinaire de Paul
Bowles, Allal, influencée par les contes marocains, dans lequel un jeune homme
pénètre la conscience d’un serpent venimeux après avoir fumé du kif, et s’y
retrouve piégé, avec des conséquences terribles pour lui-même et le serpent.
Phase 3 - La phase d’écriture
En utilisant la proposition ci-dessous, nous avons rédigé des courts fragments sur
le thème de la descente aux enfers. Parmi les participants, il y avait Marina
Gellona de la Scuola Holden, auteure d’une de mes sources et experte en contes
de fées, issus de la même matrice que les mythes. Bien plus qu’un simple atelier,
ce fut un séminaire dans lequel nous avons tous appris quelque chose de nouveau.
Proposition d’écriture: rédigez votre propre mythe de Catabase.
En utilisant des éléments de votre environnement immédiat, écrivez un texte de
fiction sur une descente selon les schémas dont nous venons de parler. Il est
important de signaler qu’il nous faut nous sentir totalement libres lorsque nous
travaillons avec des mythes, comme d’ailleurs les anciens le faisaient. Si
230
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’exercice ci-dessous semble schématique, vous avez le droit d’introduire des
variantes, de transgresser, de réduire, à votre gré.
1. Créez un personnage et des circonstances dans lesquelles il va se retrouver seul,
loin de toute famille ou communauté. Donnez-lui un but à atteindre, une quête à
accomplir, un problème à résoudre.
2. Imaginez l’entrée de votre monde souterrain. Situez-le dans le monde ordinaire.
Dans la nouvelle d’E.M. Forsters, The Celestial Omnibus (L’Omnibus céleste) le
héros se trouve transporté vers un paradis littéraire par un bus qui quitte la place
tous les matins à l’aube.
3. L’entrée est gardée par quelqu’un ou quelque chose si bien qu’elle n’est pas
immédiatement visible ou peut-être difficilement accessible. Identifiez et
décrivez le gardien. Et donnez à votre voyageur un moyen de l’affronter. Le
« gardien » peut n’être qu’une « incapacité de voir », une obstruction due à une
barrière dans le monde physique, ou bien une barrière dans le subconscient du
protagoniste.
4. Racontez le voyage vers le bas (ou au travers de…), décrivant le passage du seuil
du monde souterrain. Mettez l’accent sur le moment de transition. Quels sens,
quelle perception, quels signaux marquent l’entrée dans l’autre royaume au
moment de cette transition ? Quels détails concrets peuvent servir de lien objectif
aux émotions du voyageur ?
5. Décrivez le paysage du monde souterrain
6. Inventez une rencontre avec un assistant ou un guide sous quelque forme que ce
soit.
7. Rencontre avec l’Ombre. Décrivez son apparence physique. Qu’est-ce qui le/la
rend terrifiant/e ?
231
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
8. Racontez le conflit et trouvez une résolution. Quel présent ou quel don est accordé
ou refusé ?
9. Ramenez votre personnage à la lumière. Comment considère-t-il/elle ce monde
avec son regard neuf ?
Note de l’auteur:
Ma recherche sur les mythes et les techniques d’écriture créative a été en partie
rendue possible par une bourse à revalorisation de carrière accordée par le
Consortium aux Études Universitaires à l’étranger de l’Université du Nevada,
grâce à laquelle j’ai pu assister à l’atelier de Poésie de Muses organisé en 2011
par le centre de Poésie d’Athènes, Grèce. Qu’ils soient ici remerciés de leur aide
généreuse.
Bibliographie
Bowles, Paul. The Short Stories, New York: The Library of America, 2002.
Campbell, Joseph. The Hero with A Thousand Faces. Princeton : Princeton
University Press, 1968. (Le Héros aux Mille et un visages - Ed. Oxus)
DeNicola, Deborah (ed). Orpheus and Company: Contemporary Poems on Greek
Mythology. Hanover: University of New England Press, 1999. (inédit en France)
Gellona, Marina. “Alone in the Wild Wood,” (Seul dans le vaste monde) Actes de 2ème
conférence internationale de l’EACWP, Université de Jyväskylä, 2010,
https://jyx.jyu.fi/dspace/handle/123456789/26835
232
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Kossman, Nina (ed). Gods and Mortals: Modern Poems on Classical Myths.
OUP, 2001. (inédit en France)
Lappin, Linda. The Etruscan.
Galway: Wynkin deWorde, 2004. Kindle:
http://www.amazon.com/dp/B008KM69YQ (inédit en France)
Lappin, Linda. Genius Loci: The Writer’s Guide to Conjuring the Soul of Place
(à paraître)
May, Adrian. Myth and Creative Writing. London: Longman, 2011 (inédit en
France)
Perera, Sylvia Brinton. Descent to the Goddess. Toronto: Inner City Books, 1981
(inédit en France)
Stallings, A.E. Archaic Smile. Evansville: The University of Evansville, 1999.
Vogler, Christopher. The Writer’s Journey.
Los Angeles: Michael Wiese
Publications, 2010. (Le Guide du scénariste – ed Dixit 2009)
CONTRIBUTION ADDITIONNELLE
Radek MALÝ
L’enseignement de l’écriture pour enfants et jeunes adultes
en République tchèque
Dans les universités tchèques, l’enseignement de l’écriture de littérature pour
enfants et jeunes adultes n’a pas encore trouvé sa place. La première à proposer ce
type de cursus a été, en 2005, Ivona Březinová, professeur d’université et auteure
233
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
de livres pour enfants et jeunes adultes à succès. Pendant six ans, elle a encadré
des ateliers d’écriture créative à l’Académie de Littérature Joseph Škvorecký,
seule université tchèque à proposer des modules d’écriture créative. En 2011, j’ai
repris en main cette formation à l’écriture de littérature à destination des jeunes
publics. Après cette expérience d’un an, j’aimerais vous faire part de ce que je
considère comme les particularités de cette discipline plutôt spécialisée, en me
concentrant d’une part sur ses caractéristiques et d’autre part sur le contexte
spécifique à la République Tchèque. Je crois en effet que bon nombre de ces
éléments peuvent se révéler utiles quand on enseigne la littérature pour enfants et
jeunes adultes dans les écoles secondaires et les universités, et même lorsqu’on
travaille avec des enfants à l’école primaire.
Il me faut rappeler que, en dehors de cette expérience somme toute très courte de
l’enseignement de la littérature pour jeunes publics, les ateliers d’écriture créative
n’existent en République Tchèque que depuis une vingtaine d’années. Zbyněk
Fišer (de l’université Masaryk, Brno), un des rares universitaires tchèques qui
encadre des ateliers d’écriture mais mène également une réflexion sur le sujet,
observe que « de nos jours, l’écriture créative peut être considérée comme une
branche interdisciplinaire des sciences humaines à part entière, qui répond à
toutes les exigences de la définition d’une discipline. L’écriture créative, en tant
que faisant partie des sciences humaines, a ouvert son propre champ
d’investigation, [...]. De plus, elle étudie et articule les lois de la production du
texte, permet d’expérimenter dans ce champ et conçoit des méthodologies de
travail sur le texte. » (Zbyněk Fišer, in Malý, à paraître) Nous ne pouvons qu’être
d’accord avec lui sur le fait que l’écriture créative a besoin d’une réflexion
constante pour demeurer une discipline vivante, stimulante et fructueuse. Dans un
contexte plus international, l’écriture créative a une longue tradition, qui inclut
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’enseignement de l’écriture pour les jeunes publics – je peux par exemple citer
l’auteur et professeur finnois Harri István Mäki de la Faculté des Arts d’Orivesi.
Parmi les ateliers d’écriture qui ont lieu à l’Académie de Littérature (poésie,
fiction, théâtre, et écriture de scénario), la littérature pour enfants et jeunes adultes
a un statut particulier parce qu’elle ne se concentre sur aucune forme spécifique.
La seule chose que les textes rédigés au cours de ces ateliers ont en commun, c’est
de chercher à plaire aux jeunes lecteurs. C’est pourquoi je suis persuadé que ce
domaine ouvre d’immenses possibilités en termes de pédagogie de l’écriture
créative : de manière naturelle, elle permet aux étudiants d’acquérir des bases en
poésie, fiction, théâtre, sans enfermer le texte dans les règles d’un genre prédéfini.
Ce qui compte, ce n’est pas la forme du texte, mais le lectorat ciblé. N’oublions
pas aussi quelques-unes des caractéristiques nationales des traditions dans ce
domaine qui, dans le cas de la littérature tchèque pour enfants, sont assez
inhabituelles.
Voyons quelques-unes des caractéristiques de l’enseignement de l’écriture pour
les enfants et les jeunes adultes. Les étudiants doivent d’abord se débarrasser d’un
certain nombre de stéréotypes sur l’écriture pour le jeune public. On entend
souvent (sous diverses formes) que « écrire pour les enfants est bien plus facile
que pour les adultes ». À l’origine de cette idée fausse, il y a l’impossibilité de
comprendre certaines des fonctions spécifiques de la littérature pour les jeunes
publics (voir plus loin) ainsi qu’une sous-évaluation des exigences des jeunes
lecteurs. La seconde idée fausse, c’est celle qui dit que « les enfants ne lisent que
des contes ». Ces deux idées sont aussi liées à l’âge des étudiants : ils ont en
général entre 18 et 23 ans, c’est-à-dire qu’ils ont dépassé l’enfance depuis
longtemps, mais ne sont pas encore à l’âge de parents qui voudraient lire des
histoires à leurs enfants.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Les cours ont donc pour but premier d’éradiquer ces deux idées préconçues. Ce
qui fonctionne bien, c’est de faire un retour en arrière, de voir avec les étudiants
ce qu’ils lisaient enfants, les livres qu’ils préféraient. Cet exercice de mémoire
prend du temps, et doit être préparé et accompagné de questions appropriées.
Les étudiants sont souvent surpris de se rappeler que, dans leur enfance, il lisaient
des classiques de la littérature enfantine ou des titres issus de listes de lecture,
mais aussi des livres parfaitement inconnus qui leur sont souvent restés en
mémoire. Car, de manière assez triviale, ce n’est pas seulement la valeur
intrinsèque du texte qui comptait alors : ce qui importait, c’était qui avait offert le
livre et dans quelle situation, dans quel état était le livre, ou bien encore comment
l’enfant avait été sensible aux illustrations. C’est ainsi que les étudiants réalisent
que l’enfant lecteur est un individu, imprévisible, et souvent incapable de
reconnaître la « qualité » sur la base de critères objectifs. En un mot, ils en
viennent à comprendre que la littérature pour les jeunes publics revêt des aspects
qui la font différer de la littérature générale. Quels sont-ils ?
Quand on écrit pour les enfants, mieux vaut être capable de se mettre, en quelque
sorte, à la place d’un lecteur enfant, de respecter sa perception et ainsi d’établir
une connivence avec lui (Jana Čeňková). De plus, nous devons admettre que
l’écriture pour les enfants se doit de répondre à certaines fonctions spécifiques ;
en plus de l’aspect esthétique, qui concerne tous les textes littéraires, on y ajoute
une fonction pédagogique, didactique, sans oublier l’aspect loisir. Ce sont des
points qu’il faut considérer à la fois un par un et dans leur ensemble, en lien avec
la fonction esthétique première. C’est pourquoi, si on écrit pour les enfants, il faut
avoir certains critères à l’esprit : le texte ne doit pas les ennuyer, il doit aussi avoir
une valeur artistique, toute en prenant en compte leur développement mental et
leurs capacités réceptrices. L’auteur doit aussi comprendre que son texte éduque
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
les lecteurs (même si cela ne fait en rien partie de ses ambitions) et leur donner
des informations sur le monde qui les entoure, ce qui implique que l’information
soit exacte. De plus, n’oublions pas qu’a priori les jeunes lecteurs ne
comprennent pas l’ironie.
Dans ce premier contact avec les étudiants désireux d’écrire pour la jeunesse, il
apparaît comme évident que leur expérience de lectures dans l’enfance est
l’élément clé qui a donné naissance à ce désir. Les étudiants qui n’aimaient pas
lire étant enfants ont du mal à se motiver pour écrire pour la jeunesse : ils ont
tendance à venir au cours seulement pour développer certaines compétences
d’écriture particulières. Et les étudiants qui étaient des dévoreurs de livres dans
leur enfance ont cette ambition d’écrire pour la jeunesse ancrée depuis longtemps
en eux, même si cette envie était reléguée derrière l’idée que la « vraie » et bonne
littérature est destinée exclusivement aux adultes. Néanmoins, tous les étudiants
tendent à sous-estimer les jeunes lecteurs et à infantiliser leurs textes,
particulièrement en faisant un usage abusif des raccourcis. L’enseignant doit donc
toujours avoir à l’esprit la nécessité de rappeler régulièrement aux étudiants que
ce qu’ils détestaient lire étant enfants, c’était souvent des textes didactiques au
message trop limpide.
Quand les étudiants sont ainsi préparés, ils peuvent commencer à travailler sur
leurs propres textes, en cours et chez eux. La littérature de jeunesse s’est enrichie
de genres auxquels elle n’appartenait pas jadis, mais qu’elle a intégrés à cause de
leur simplicité et de leur proximité avec l’état d’esprit des enfants. Un des
premiers qu’on aborde avec les étudiants, c’est la charade et ses règles. Bien peu
d’étudiants savent que les charades ont une longue histoire liée à la magie, aux
incantations, et au pouvoir des mots. On leur présente donc des charades en
langue germanique qui ont gardé ce caractère ancien. Les étudiants découvrent
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
alors que certaines n’ont pas de solution, ou bien en ont plusieurs, car le jeu
n’était pas de trouver la solution mais de s’amuser à la chercher.
En termes de forme, la charade est un genre simple qui peut s’exprimer en prose
ou en vers. Pour ne pas perdre de vue que le public visé est très jeune, il faut
pousser les étudiants à proposer des solutions faciles, ce qui ne veut pas dire que
la charade doit être simpliste. Le processus d’écriture d’une charade est aussi très
intéressant dans la mesure où, le plus souvent, on commence par la fin, par
l’invention de la solution. C’est une excellente stimulation pour l’écriture car, dès
le départ, on doit savoir ce qu’on cherche à atteindre, et quel effet on souhaite. En
écrivant des charades, les étudiants abordent aussi le travail sur les métaphores et
les métonymies, deux figures fondamentales du discours.
De la charade, on peut passer à la comptine, un genre associé plus précisément
aux enfants tout juste en âge d’aller à l’école. C’est un genre qui remonte lui aussi
aux sociétés archaïques où on leur attribuait des pouvoirs magiques, comme ce
qu’on retrouve encore dans les formules magiques et les sorts. Le travail sur les
comptines permet aux étudiants d’acquérir un sens du rythme poétique, qui en est
un des aspects fondamentaux. Dans le contexte de la versification tchèque qui
repose à la fois sur l’accent tonique et le nombre de syllabes, les comptines sont
un cas à part qui met plus en lumière l’aspect accentuation que l’aspect
syllabique, ce que ne fait pas normalement la poésie tchèque. C’est donc un outil
de choix pour aborder avec les étudiants, de manière interdisciplinaire, la théorie
de la versification. Bien que les comptines ne semblent pas respecter de règles, on
peut tout de même se référer à certaines données formelles. Par exemple, les
enfants adorent les comptines dans lesquelles on compte (même si les plus
connues encore aujourd’hui trouvent leur origine dans le folklore)
238
ou les
1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
limericks. On peut aussi faire usage de poésie du non-sens qui se retrouve souvent
dans, par exemple, la tradition anglo-saxonne.
Le chemin entre comptines et poésie enfantine est vite trouvé. Dans certains pays
européens, c’est une tradition assez peu vivace. Mais en République tchèque, la
poésie reste une partie très importante des lectures enfantines. Dans les premières
années d’école primaire, les enseignants travaillent beaucoup avec la poésie. En
ce qui concerne nos étudiants en écriture créative, c’est encore un domaine qui se
heurte à des préjugés ou des idées toutes faites sur ce qu’un poème écrit pour des
enfants se doit être ; ils pensent souvent qu’un poème pour enfant « doit être
joyeux et parler d’animaux ». Pour contrer ce stéréotype, on peut par exemple
demander aux étudiants de rédiger un poème dont le décor sera une ville moderne,
ou qui parlera d’un sujet sérieux. Ils découvrent alors que s’adresser à des enfants
ne veut pas dire s’abaisser à utiliser des calembours bon marché.
On ne peut bien entendu pas créer des contes populaires, mais ils se prêtent
facilement à l’adaptation. Une manière intéressante d’aborder autrement ces
histoires qui semblent si familières est de tenter de les raconter en adoptant le
point de vue d’un des personnages ; tout à coup, une histoire qui repose sur des
figures évidentes dont on ignore généralement les motivations psychologiques
s’ouvre sur une version dans laquelle les personnages ont gagné en complexité.
Les étudiants on généralement du mal à faire la différence entre contes
traditionnels et contes de fées modernes, un des genres les plus prolifiques de la
littérature de jeunesse, un genre qui, au 20è siècle, a trouvé une résonnance toute
particulière dans le contexte tchèque. De par sa nature protéiforme, un conte
moderne semble une forme facile, mais en réalité, comme pour d’autres histoires
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
dont les protagonistes sont des enfants, cela s’avère être un des genres les plus
difficiles de la littérature de jeunesse.
Pour finir, travailler avec l’illustration est un élément clé de l’enseignement de
l’écriture pour la jeunesse. Quand il écrit un livre pour enfants, l’auteur doit
toujours penser que le texte sera probablement illustré. Mais il lui faut aussi éviter
de se faire une idée trop précise de la chose, car, en tant qu’auteur, il lui est
difficile de garder la bonne distance et ses notions en illustration sont le plus
souvent parfaitement idéalistes. Un atelier d’écriture créative tirera grand profit
d’un débat avec un illustrateur. Dans la littérature enfantine, nous trouvons
souvent des textes écrits en réaction à des images. C’est une méthode qu’on peut
utiliser
dans
un
atelier
d’écriture,
comme
solution
à
la
recherche
d’ « inspiration ». Il faut cependant garder en tête que ce système d’écriture
« inversé » n’existe que dans la littérature enfantine où il représente une manière
productive d’écrire ces livres.
En conclusion, disons que, si l’enseignement de l’écriture pour la jeunesse n’est
pas encore très installé en République tchèque, il offre des situations que peuvent
mettre à profit les professeurs de littérature et d’écriture créative à n’importe quel
niveau. Il va de soi que tous les étudiants ne deviendront pas des auteurs de
romans pour la jeunesse à succès, mais l’expérience acquise au cours de cette
formation est si originale qu’elle leur servira dans bien d’autres domaines.
Traduit du tchèque vers l’anglais par Daniel Soukup
et de l’anglais vers le français par Brigitte François
Bibliographie
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
BÖTTCHER, Ingrid (ed.). Kreatives Schreiben: Grundlagen und Methoden;
Beispiele für Fächer und Projekte; Schreibecke und Dokumentation. 1. Aufl.
Berlin: Cornelsen Scriptor, 1999.
ČEŇKOVÁ, Jana et al. Vývoj literatury pro děti a mládež a její žánrové struktury
[Development of children’s and young adult literature and its formal structures]
[Le développement de la littérature pour enfants et jeunes adultes et ses structures
formelles]. Praha: Portál, 2006.
MALÝ, Radek. Poetický slovníček dětem v příkladech [A poetic dictionary for
children in examples]. [Dictionnaire poétique pour enfants parl’exemple] Praha:
Meander, 2012.
MALÝ, Radek (ed.). Metody výuky tvůrčího psaní aneb Jak se v Česku učí psát
[Methods of teaching writing, or How one teaches writing in the Czech Republic].
[Méthodes d’enseignement de l’écriture, ou Comment on enseigne l’écriture en
République tchèque] Praha: Literární akademie. (À paraître).
STEINER, Anne. Anders schreiben lernen. 1. Aufl. Baltmannsweiler: Schneider
Verlag Hohengehren, 2007.
BIOGRAPHIES DES AUTEURS
Par ordre alphabétique
Alain ANDRÉ
Alain André, auteur français, a publié une douzaine de livres (romans, traductions,
essais sur l’enseignement de l’écriture créative, nouvelles). Ce n’est pas un
photographe professionnel ou un spécialiste du multimédia, mais il utilise
beaucoup la photographie dans son travail. Il est le directeur pédagogique de
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
l’école française d’écriture créative, Aleph-Écriture, où il conduit des ateliers
(autobiographie, photographie, roman) et dirige les formations de formateurs en
écriture.
Frédérique ANNE
Professeur de Lettres, elle s’est ensuite convertie à une carrière en formation des
adultes et en communication, tout en continuant à écrire et à lire voracement. Elle
entretient une passion pour le mélange des genres : combinaison écriture et photo,
littérature populaire et Oulipo, thrillers humoristiques… Elle a mis au point et
continue d’animer l’atelier par e-mail pour les ateliers Élisabeth Bing.
Denis BOURGEOIS
Ecrivain, Denis Bourgeois est enseignant-chercheur à l’Université de Poitiers où il
dirige le Master Ecriture et Réalisation Documentaires.
Thomas BOUVATIER
Il a publié des romans : Régression (Flammarion, 2004), La Pigmentation du
Caméléon (2006) ; des nouvelles : Plumes et Dentelles (Ramsey, 2007), Le Déni
(Plon 2008) ; des essais : Les Mutations Corporate… (Verbe, 2009), Paris
Porteño (magazine 2010) ; et réalisé un one-man show : J'ai marché sur la scène
(Point Virgule, 2000). Il a dirigé le département de créativité chez Publicis
Consultant, et contribué à plusieurs séries télévisées (Scènes de ménage, M6,
2012). Il travaille désormais à l’Officiel Mode, anime des ateliers d’écriture et est
en train de rédiger son prochain roman.
Cécile FAINSILBER
Cécile Fainsilber a étudié la littérature comparée et l’anglais, et est professeur de
littérature française non conformiste. Pianiste et hôtesse d’un Bed and Breakfast à
Paris, elle anime des ateliers d’écriture dans des foyers pour les anciens, adore
recevoir du monde, faire sonner les mots au plus juste et les assembler sous forme
de prose.
Laurence FAURE
Comédienne et enseignante, elle est impliquée dans les ateliers à Aleph-Écriture
depuis 2003 ; elle fait désormais partie de l’équipe des animateurs de l’atelier
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
régulier, et encadre des sessions sur le conte, l’écriture théâtrale et l’écriture pour
la scène.
Simona GARBARINI
Simona Garbarini a travaillé comme traductrice et journaliste scientifique avant
de devenir auteur et pédiatre. Elle travaille comme enseignante et tutrice à la
Scuola Holden. Elle a publié des nouvelles dans la revue scientifique Doc’s
Letter, dans l’anthologie Italiane chez Lineadaria Editore et l’anthologie Natale in
Casa Cooper aux Éditions Cooper. Son roman Il posto giusto a été finaliste de
deux prix nationaux et est en cours de publication.
Marina GELLONA
Diplômée de philosophie et de la Scuola Holden à Turin, elle travaille à la Scuola
Holden comme enseignante pour des formations sur le conte et la nouvelle, et
comme éditeur et chercheur. Elle enseigne la narration à des enfants, des
adolescents et des adultes, et s’intéresse à l’écriture du travail au sein de plusieurs
institutions, musées, centres de recherche, fondations, compagnies théâtrales. Elle
a publié des nouvelles dans deux anthologies et contribue à une thèse sur
l’enseignement de l’italien par l’écriture créative au sein de la Scuola Holden. Elle
travaille avec un psychologue et écrit des contes pour les enfants et la famille dont
elle s’occupe.
Marie HALOUX
Formatrice dans le domaine du travail social et animatrice d’ateliers d’écriture,
elle s’oriente particulièrement vers les textes qui doivent refléter à la fois de la
subjectivité et de l’objectivité. Elle apprécie l’équilibre entre émotion et logique,
et considère de son devoir d’auteur d’articuler ces aspects contrastants d’un sujet.
En tant qu’écrivain, elle a appris à utiliser ses compétences dans le domaine du
travail social. Sa formation artistique lui permet de proposer aux autres un
environnement créatif.
Dario HONNORAT
Dario Honnorat est enseignant et écrivain. Il est né à Florence, en Italie, en 1980.
Une partie de sa thèse sur Thoreau a été publiée en anglais par les Presses
universitaires de Florence et en italien par Clinamen. Il est spécialiste de la
didactique de l’italien deuxième langue et diplômé de la Scuola Holden. Depuis
2007, il a enseigné l’italien dans différentes écoles et à l’IIC de Rio de Janeiro. Il
exerce désormais surtout comme enseignant d’écriture créative. Il a aussi publié
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
des nouvelles dans divers magazines, ou des recueils avec d’autres auteurs (pour
Feltrinelli, Terre di Mezzo, Mostro, Semicerchio...), ainsi qu’un roman graphique
(Memorie di mondi notturni, Éditions Lightbox).
Marianne JAEGLÉ
Marianne Jaeglé a écrit et publié plusieurs ouvrages dont Écrire, de la page
blanche à la publication (Scrineo éditions), Vous n’aurez qu’à fermer les yeux
(Jacques Marie Laffont éditeur), Une poupée qui dit non (Calmann-Lévy, en
collaboration avec Galina Valkova) et Histoire de Paris et des parisiens (Cie 12,
Prix Haussmann 2006). Elle est aussi l’auteure de films documentaires : Moravia,
l’homme qui regarde (France 3), Sant’Egidio, les artisans de la paix (Arte), Le
sang noir de Médée (KTO). Elle forme des étudiants à la conduite d’ateliers
d’écriture à l’université (Paris V et Paris XIII).
Françoise KHOURY
Françoise Khoury anime des ateliers d’écriture avec des adultes et des adolescents
depuis douze ans ; ces ateliers s’appuient sur la relation entre les mots et les
photographies, non pas dans un usage d’illustration d’un médium par l’autre mais
comme une exploration de l’impact entre ces deux types de représentations, le
verbal et le visuel, visant à créer des formes narratives nouvelles et à réexaminer
la relation au temps et à la chronologie. Françoise Khoury a publié des nouvelles
et un ouvrage de photographies associées à des fragments poétiques.
Orhan KIPCAK
Orhan Kipcak, est né en 1957 à Istanbul, Turquie, et vit actuellement à Graz,
Autriche. Il a étudié l’architecture à Graz et à Vienne. Il est concepteur, artiste et
producteur. Depuis 1982, il travaille avec les médias et systèmes numériques. Il a
pris part à de nombreux projets en art, design, expositions virtuelles et expositions
numériques pour des musées, des festivals, le secteur public et l’industrie
(Biennale de Venise, Ars Electronica, ZKM, Reuters, etc.). Depuis 1997, il
collabore avec la Schule für dichtung (Sfd), l’École de poésie de Vienne dont il a
créé le site internet (www.sfd.at). Chercheur au sein de projets européens dans le
domaine du télé-enseignement, de la conception de jeux et de l’héritage culturel,
il enseigne depuis les années 90 dans les universités de Graz, Vienne, Bâle et,
depuis 2001, il a une chaire en conception des médias, à la tête du diplôme de
conception de l’information, le MID major à l’université des sciences appliquées
FH-Joanneum à Graz.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Linda LAPPIN
Linda Lappin enseigne l’écriture et la dissertation à l’université de Rome La
Sapienza et l’écriture créative non fictionnelle pour le programme d’études à
l’étranger de l’USAC hébergé par l’Université de Tuscia à Viterbo. Elle est
l’auteure des romans The Etruscan [L’Etrusque] (Wynkin de Worde, 2004),
Katherine's Wish [Le vœux de Katherine] sur la vie de Katherine Mansfield
(Wordcraft, 2008) et Signatures in Stone, a Bomarzo mystery [Signatures de
pierre : un mystère à Bomarzo] à paraître chez Caravel Books en 2013. Elle est
titulaire d’un Master en Arts (MFA) décerné par le département d’écriture
créative de l’Université de l’Iowa.
Fred LEEBRON
Fred Leebron, directeur du MFA d’écriture créative de l’université de Charlotte
ainsi que du Pan European Masters of Fine arts (MFA - Master en Beaux-arts) du
Cedar Crest College, enseigne aussi l’anglais à l’université de Gettysburg. Il est
l’auteur des romans Six Figures [Six personnages], In the Middle of All This [Au
Coeur de tout ça], et Out West [À l’Ouest]. Il a été lauréat d’un Prix Pushcart
<http://www.hollins.edu/summerprograms/tmww/faculty.shtml#>, d’un prix
Michener, d’une bourse Stegner, et d’un prix O. Henry. Il est coéditeur de
Postmodern American Fiction: A Norton Anthology [Fiction américaine postmoderne : une anthologie Norton] et co-auteur de Creating Fiction: A Writer's
Companion [La création de la fiction : guide de l’écrivain]. Le film indépendant
tiré de Six Figures a été présenté au Festival International du film Toronto en
2005. Il travaille en ce moment au lancement d’une maison d’édition
indépendante, Unboxed Books (www.unboxedbooks.com).
Catherine LE GALLAIS
Après un diplôme en sciences sociales, elle a travaillé dans le domaine des études
et de la communication. Depuis dix ans, elle écrit, traduit et anime des ateliers
d’écriture auprès des Ateliers d’écriture Élisabeth Bing et l’École Française de
Yoga.
Luis LUNA
Né à Madrid en 1975, licencié de Philologie hispanique, il dirige désormais le
doctorat de cette spécialité. Il est titulaire d’un diplôme d’études approfondies
(DEA). Il enseigne à la Escuela de Escritores (Madrid) et à l’université UNED. Il
a publié Cuaderno del guarda bosque [Carnet d’un garde forestier] (Amargord,
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
2007), Al-Rihla- El viaje [Al Rihla – Le voyage] (Amargord, 2008), Territorio en
penumbra [Territoire de pénombre], (Gens Ediciones, 2008), Almendra
[L’amande] (Amargord, 2010) and Umbilical (El sastre de Apollinaire, 2012).
Harri ISTVÁN MÄKI
Auteur, directeur de théâtre et enseignant d’écriture créative, Harri István Mäki
est né en 1968 en Finlande et a passé son enfance en Hongrie. Il est l’auteur de 49
romans, surtout des livres pour enfants et adolescents, ainsi que de pièces de
théâtres, de scripts pour la télévision, de pièces radiophoniques et de scénarios de
films. Il aime les chiens nains, les cochons d’Inde, les poneys, le dessin et les
voyages.
Radek MALÝ
Né en 1977, Radek Malý est un poète tchèque auteur de livres pour enfants,
traducteur et maître de conférences à l’université. Il est diplômé de l’Université
en allemand et études tchèques Palacký (République tchèque). Il vit à
Olomouc (République Tchèque) où il travaille comme maître de conférences,
traducteur de/et vers l’allemand et éditeur. Il a été lauréat du prix de poésie
Magnesia Litera pour son recueil “Větrní”. Il travaille aussi sur des traductions de
chants d’amour médiévaux germaniques et a préparé une anthologie de poésie
allemande expressionniste. Depuis 2011, il dirige le département d’écriture
créative de la Faculté des Lettres Josef Škvorecký à Prague. Parallèlement, il
organise au sein de son université d’origine de Palacký à Olomouc des séminaires
dont les sujets vont de la littérature de jeunesse tchèque à la poésie tchèque
contemporaine.
Ana MENÉNDEZ
Ana Menéndez est l’auteure de quatre livres de fiction, In Cuba I Was a German
Shepherd [A Cuba j’étais un berger allemand], qui a fait partie de la liste des
livres remarquables du New York Times Notable en 2001, Loving Che [Par
amour pour le Che] (2004), The Last War [La dernière guerre] (2009), et Adios,
Happy Homeland! [Adieu, patrie heureuse] (2011). Ses nouvelles ont été publiées
dans diverses revues telles que Vogue, Bomb Magazine, Poets & Writers et
Gourmet Magazine et incluses dans plusieurs anthologies dont Cubanisimo! et
American Food Writing [Écrire sur la cuisine américaine]. Ancienne journaliste
primée, elle coordonne désormais l’option Écriture créative de l’université de
Maastricht University aux Pays Bas.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Laure NAIMSKI
Laure Naimski est une journaliste et auteure française qui vit à Paris. Elle
enseigne l’écriture créative après avoir été formée à Aleph-Écriture.
Kate MOORHEAD
Kate Moorhead est originaire de Philadelphie mais vit près de Norwich. Elle
enseigne l’écriture créative aux étudiants de premier cycle de l’Université de
l’East Anglia où elle a elle-même passé son Master en 2007. Son premier roman
The First Law of Motion [La première loi du mouvement] a été publié par St
Martin's Press, NY et est disponible sur Amazon. Elle travaille en ce moment à
son « difficile second roman » et tient un blog sur les hauts et les bas du
Syndrome du Deuxième Roman : www.krmoorhead.wordpress.com/secondnovel-syndrome
David Jan NOVOTNÝ
Le Professeur David Jan Novotný (1947) est écrivain, scénariste et publiciste.
Depuis le début des années 90 (plus de vingt-deux ans !), il travaille comme
pédagogue à l’université. Il a enseigné l’écriture de scénario et la dramaturgie à la
FAMU (Faculté de cinéma de l’Académie des arts du spectacle), a été le premier
recteur de la Faculté de cinéma Miroslav Ondříček à Písek, et travaille
actuellement au département de Littérature à la faculté des Lettres Josef
Škvorecký et au département de journalisme de l’Université des sciences sociales
Charles. Il collabore à l’enseignement de l’écriture de scénarios, de la théorie et
pratique de la création littéraire et dramatique. Il est l’auteur de manuels sur la
dramaturgie par la pratique, de romans, de recueils de nouvelles, de livres pour
enfants et de scénarios de films et de téléfilms.
Danièle PÉTRÈS
Auteure de nouvelles et de romans (publiés chez Denoël), elle a écrit: La Lecture
2005, Le Bonheur à dose homéopathique, 2002, Tu vas me manquer, 2008. En
tant qu’auteur dramatique elle a écrit: Deux partout (2002 – France Culture,
Théâtre de la Ville; et adapté La lecture, en 2008 pour le théâtre Verso de SaintÉtienne Verso. Elle anime des ateliers d’écriture (Aleph 2011 et 2012).
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Javier SAGARNA
Javier Sagarna (Madrid, 1964) est un auteur et enseignant d’écriture créative
espagnol. depuis 2006, il dirige la Escuela de Escritores (École des écrivains),
école d’écriture créative installée à Madrid (Espagne), et est l’actuel président de
European Association of Creative Writing Programmes (EACWP) [Association
européenne des programmes d’écriture créative]. Il a une longue expérience
d’enseignant et a collaboré avec plusieurs institutions et universités en Europe et
en Amérique latine. Il est l’auteur d’un roman Mudanzas [Transformations]
(Gens, 2006) et d’un recueil de nouvelles intitulé Ahora tan Lejos [Désormais si
loin] (Menoscuarto, 2012).
Daniel SOUKUP
Daniel Soukup (1976) est diplômé en anglais , allemand, littérature tchèque et
théorie littéraire de l’Université Charles (Prague, République Tchèque). Il
enseigne à la faculté des Lettres Josef Škvorecký (Prague) depuis 2002 et occupe
depuis 2010 le poste de vice-recteur de l’université affecté aux relations
internationales. Il a été en 2005 un des fondateurs du réseau européen des
programmes d’écriture créative dont il a été le premier coordinateur (2005–2010),
et est ensuite devenu vice-président de l’European Association of Creative
Writing Programmes (EACWP) [Association européenne des programmes
d’écriture créative] (depuis 2010). Il a publié des traductions, de la poésie et des
articles de recherche.
Catherine STAHLY-MOUGIN
Elle a fait ses études aux « Beaux-arts » de Paris et peu après à l’« École
Estienne », une école de graphisme. Elle a ensuite créé son entreprise de
muséographie, comprenant une branche édition.
Elle organise par ailleurs des événements autour d’écrivains pour, entre autres, la
« Salle d’actualité » du Centre Georges Pompidou et en 1990, une exposition
européenne itinérante sur la journaliste tchèque Milena Jesenska ; ainsi que
d’autres manifestations au cinéma l’Arlequin (créé par Jacques Tati), chez AlephÉcriture, et à l’occasion de « Lire en fête », organisé chaque année par le
ministère de la Culture.
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
Elle a commencé à travailler avec Aleph-Écriture en 1994 et y a créé l’atelier « Le
carnet » ainsi que d’autres ateliers ponctuels. Elle participe depuis dix ans aux
lectures publiques données par Aleph-Écriture.
Mariana TORRES
Née à Rio de Janeiro, Brésil, en 1981, elle vit à Madrid. Elle est diplômée en
écriture pour l’écran de l’École de Cinéma et d’audiovisuel de Madrid (ECAM),
et enseigne à la Escuela de Escritores depuis 2003.
De plus, elle intervient régulièrement dans des ateliers d’écriture en ligne ou en
face à face. Elle est en charge du département de contrôle de la qualité à la
Escuela de Escritores, département qui supervise le bon fonctionnement de tous
les aspects de l’enseignement en général et qui est aussi impliqué dans le
programme de formation interne qui permet à tous les enseignants de continuer à
se former dans tous les domaines que couvre l’école.
Elle a publié des nouvelles incluses dans des anthologies et réalisé un court
métrage Rascacielos [Gratte-ciels]. Elle écrit des articles sur la créativité et
l’écriture dans son blog Otras hierbas, site internet créé en 2005 et toujours
d’actualité. Ses nouvelles ont été appréciées dans des concours littéraires tels que
Gabriel Aresti ou Casar de Cáceres. Elle travaille actuellement sur un roman.
Reijo VIRTANEN
Reijo Virtanen (né en 1959 à Oulu, Finlande) est un universitaire, professeur
d’histoire et de théorie littéraires, journaliste, critique d’art et auteur de textes de
non-fiction. Il est titulaire d’un Master en arts et d’une licence de philosophie. Il
enseigne actuellement l’écriture créative et la critique d’art (Oriveden Opisto,
Finlande).
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1ère CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE INTERNATIONALE DE L’EACWP – 8 et 9 novembre 2012
NOUS CONTACTER
EACWP : http://www.eacwp.org / [email protected]
Membres de l’EACWP:
Aleph-Écriture : www.aleph-ecriture.fr
Les Ateliers d’écriture Élisabeth Bing : www.ateliersdecriture.net
Escuela de escritores : www.escueladeescritores.com
Literární Akademie : www.literarniakademie.cz
Maastricht University : www.maastrichtuniversity.nl
Scuola Holden : www.scuolaholden.it
Schule für dichtung (sfd): www.sfd.at
Oriveden Opisto: www.orivedenopisto.fi
© ALEPH-ÉCRITURE
7, rue Saint-Jacques
75005 Paris
e-mail : [email protected]
ISBN : 2-907013-47-5
EAN : 9782907013475
Dépôt légal : juillet 2013
250
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