CR Ecrire des vies - Presses Sorbonne Nouvelle

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Réforme humanisme renaissance n° 77
Comptes rendus p. 277- 285
Écrire des vies. Espagne, France, Italie XVIe-XVIIe siècle, éd. Danielle Boillet, MarieMadeleine Fragonard et Hélène Tropé, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2012,
198 p.
Le récit de vie, ce genre renouvelé de l’antique, est-il au seuil de la modernité accueilli de la
même façon dans les pays de l’Europe méditerranéenne ? C’est la question à laquelle tente de
répondre l’ouvrage collectif publié par le programme DEFI (Dialogues Espagne France
Italie). Ses treize contributions examinent des textes publiés entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
N. Dauvois constate ainsi l’intérêt croissant de la Renaissance pour les Vies de poètes (p. 145158). À l’exemple de la Vie d’Horace, elle analyse « le rapport aux grands et aux protecteurs,
la revendication d’une liberté et d’une vie privée, [et] le lien de la poésie non seulement à la
morale, mais à l’éthique » (p. 145- 146). Si la vie de l’auteur fait partie de la présentation de
l’œuvre dans la tradition antique, la Vie d’Horace s’émancipe pour « s’inscrire doublement en
série » (p. 152), dans des volumes consacrés à des Vies de poètes, ou dans une série
présentant les Vies d’Horace écrites par Suétone, Acron, Crinito ou Fabricius. L’auteur situe
la biographie comme « lieu de tension entre vie et œuvres, éthique personnelle et morale » (p.
153) et souligne la « singularité à la fois de l’œuvre et de l’auteur », ainsi que « la profonde
contingence de l’éthique qui s’y incarne » (p. 158).
Les biographies peuvent être regroupées en recueil, comme les fameuses Vite de’piu eccelenti
pittori, scutori, e architettori de Vasari (1550), qui n’auront toutefois d’équivalent en Espagne
qu’au début du XVIIe siècle, et un siècle plus tard encore en France. H. Gaudin étudie la figure
de Jules II dans les Vite de Georgio Vasari (p. 75-86). Prenant comme point de départ ces
mêmes Vite, A. Sconza constate l’infortune de la biographie de Léonard de Vinci dans la
littérature sur les arts, « en faveur non tant de Michel-Ange, que de Raphaël en Italie, et de
Poussin en France » (p. 182).
La place accordée à l’anecdote, « fait ou [...] récit, particulier et situé (ou situable) dans
l’espace et le temps, comportant une révélation ou au moins quelque chose d’amusant ou de
surpr nant. » (p. 62) diffère selon les biographies. F. Wild en mesure l’ampleur dans deux
biographies du XVIIe siècle français (p. 61-74). J.-P. Sermain pour sa part passe en revue les
poètes recensés par l’abbé Goujet dans sa Bibliotheque françoise – 18 volumes publiés entre
1741 et 1756. Constatant le recours à l’anecdote dans les pages consacrées à la famille de
Marot (p. 163-165), à Du Bellay (p. 166) ou Ronsard (p. 166-167), l’auteur montre que
Goujet « trouve dans les textes des poètes le récit d’anecdotes, les confidences, les récits de
soi » (p. 168). Texte encomiastique, la Vie souvent en dit plus long sur celui qui l’écrit que
sur celui qui est évoqué. Ainsi L. Torres analyse l’art de la litote et de l’hyperbole dans les
écrits relatant la vie d’Alonso de Contaras (p. 109-120). La Vie, cette « invention latérale de
soi » (p. 13) emprunte même parfois la forme autobiographique. F. Prot dégage ainsi la part
d’autofiction dans la Vie de Diego de Torres Villaroel, auquel Pablo Neruda emprunta le
fameux « J’avoue que j’ai vécu » (p. 121-134).
Enfin si deux modèles se distinguent, Plutarque et Diogène Laërce, l’écriture biographique
doit parfois être débusquée sous des genres connexes, comme l’oraison funèbre ou le recueil
d’apophtegme. A. Cayuela par exemple s’intéresse au paratexte d’ouvrages publiés au Siècle
d’Or pour y traquer les fragments de biographies, ces « vies trouées » qui trahissent l’auteur à
l’œuvre (p. 21-35). Les autres articles dégagent les spécificités nationales des Vies d’artiste :
C. Hue s’intéresse aux écrits espagnols (p. 87-96), Ph. Simon à la Storia della letteratura
italiana de Girolamo Tiraboschi (1772) (p. 97-108). S. Terzariol pour sa part rassemble les
sources d’information sur Frédéric de Montefeltre (p. 39-59), alors que M. Zerari Penin
s’intéresse à la première biographie de Cervantès, rédigée par G. Mayas y Siscar en 1737 (p.
169-179). A. Cantillon enfin examine les métamorphoses de la Vie de Pascal (p. 135-144).
Un riche avant-propos de M.-M. Fragonard (p. 7-19) et un utile Index nominum complètent
ce volume.
Véronique DUCHE
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