
L’économie
verte
Cahiers français
n° 355
Éditorial
2
é d i t o r i a l
Un peu plus de vingt ans après la popularisation
de la notion de « développement durable »,
c’est l’adjectif « vert » qui s’impose aujourd’hui
et se décline à son tour à l’infini – économie
verte, croissance verte, technologie et produits
verts… –. Est-ce juste un moyen d’attirer
à nouveau l’attention sur les problèmes
d’environnement, en tentant d’échapper à un
vocabulaire abondamment instrumentalisé par
les gouvernements et les entreprises ? Ou faut-il
y voir le signe d’un abandon des objectifs socio-
économiques du compromis issu du rapport
Brundtland ?
Quoi qu’il en soit, dans son usage, ce terme
renvoie comme le précédent à de multiples
réalités, signe de controverses toujours vives
sur ce que peut être, fondamentalement,
une économie verte ou durable et sur les
conséquences d’une telle transition.
Ainsi, ce numéro des Cahiers français commence
par une confrontation des visages potentiels
de l’économie verte, avec, au centre des
interrogations, la question de la croissance.
Suffit-il d’encourager l’innovation verte et les
comportements écologiques par des politiques
appropriées ? Ou l’économie verte appelle-t-
elle une rupture radicale avec notre modèle
de développement ? Nécessité de relancer la
croissance par l’essor de nouveaux secteurs
pour les uns, preuve qu’il faut changer de
système pour les autres, dans les deux cas, la
crise mondiale déclenchée en 2008 apparaît
comme un argument supplémentaire en faveur
d’une action rapide.
Les clivages précédents se retrouvent en partie
sur la question des moyens à mettre en œuvre ;
ils se traduisent par des combinaisons différentes
des leviers d’action. Alors que les tenants de
la rupture radicale défendent généralement un
engagement fort des pouvoirs publics, les autres
privilégient des interventions a minima dont le
but est de pallier les défaillances du marché.
La panoplie des outils destinés à infléchir les
comportements des agents économiques
Développement durable ou économie verte ?
est désormais connue du grand public : aux
côtés des normes, les permis d’émission et
les écotaxes s’imposent progressivement
comme les instruments-clefs des politiques
environnementales. En témoigne l’intérêt
renouvelé au sein de l’Union européenne pour
la « taxe carbone ». L’action des pouvoirs publics
ne se limite toutefois pas à la réglementation et à
la politique fiscale : les politiques publiques dans
leur ensemble, en particulier celles encourageant
la recherche et l’innovation, sont concernées
par le défi de l’économie verte. L’élaboration
de politiques appropriées suppose également
de revoir l’appareil de mesure de l’activité
économique, ce qui place la réflexion sur les
indicateurs de richesse au centre du débat.
Malgré les préoccupations collectives en faveur
de l’environnement, ces différents instruments
restent encore relativement peu utilisés. Ainsi,
si les principaux chantiers de l’économie verte
– réduction des gaz à effet de serre, réponse
au défi énergétique, agriculture durable, gestion
des mobilités urbaines… – sont désormais
clairement identifiés, ils demeurent pour l’instant
à l’état embryonnaire. Les réticences, en dépit
des discours, de la société civile face à l’adoption
de mesures coûteuses aux retombées lointaines
– en particulier lorsqu’il s’agit de créer de
nouveaux impôts – l’expliquent en partie. Mais
c’est surtout à cause du caractère mondial des
problèmes d’environnement que les avancées
restent modestes : lutter contre le changement
climatique ou l’érosion de la biodiversité implique
une coordination entre les nations dont l’issue
du sommet de Copenhague a une fois de plus
souligné les faiblesses. La réponse à ce défaut
de gouvernance – la création d’une organisation
mondiale de l’environnement est une piste de
plus en plus évoquée – apparaît plus que jamais
nécessaire.
Olivia Montel-Dumont