AGONE
Philosophie, Critique & Littérature
numéro 18-19, 1998
Neutralité & engagement du savoir
Illustrer le nécessaire engagement du savoir et les
illusions de la neutralité en refusant que la lutte
contre les différentes formes de travestissement de
notre connaissance et de notre histoire cest-à-
dire de notre mémoire oublie la remise en cause
des usages du savoir. Parce que les acquis de
lhumanité doivent demeurer aux bénéfices du
plus grand nombre.
11. Éditorial. Investissements de compétences intellectuelles.
Thierry Discepolo
17. Le travail intellectuel au risque de lengagement.
Daniel Bensaïd & Philippe Corcuff
On nest jamais complètement «dégagé», malgré notre volonté de
neutralité ou nos hésitations, on nest jamais seulement «engagé» de
manière consciente et volontaire. À chaque fois, on a plutôt à faire avec
une certaine façon de nouer du réfléchi et de lirréfléchi, du volontaire
et de linvolontaire, de la raison et du corps, de lintelligible et de
lexpérience sensible, de lengagement dans le monde et de lengagement
par le monde. Mais si, pour les sciences sociales comme pour la
philosophie, le non-engagement est impossible, cela signifie-t-il quil ny
a plus de place pour lautonomie des savoirs, dans une affirmation
fourre-tout commode où «tout est politique »?
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29. De la neutralité du savoir à lautonomie de sa production.
Thierry Discepolo
Il ne semble pas seulement que le terme de «neutralité» postérité
encombrante soit la source de quiproquos nuisibles ; et que celui
d’« axiologique » ne fasse quaggraver les choses en dissimulant que ce
sont aussi des valeurs qui fondent la connaissance scientifique.
Limpératif de neutralité axiologique nest trop souvent devenu
aujourdhui que loccasion dune posture aristocratique Jaborderai la
nécessaire possibilité de fonder en raison nos décisions : cest en tant
que producteur dun savoir scientifique que Max Weber jugeait neutre
et que Pierre Bourdieu définit comme autonome que le savant est
engagé dans la transformation du monde parce que ce savoir entre dans
notre compréhension et nos actions.
47. Le vrai visage de la critique post-moderne.
Noam Chomsky
Traduit de langlais par Jacques Vialle
Avant-propos de Jacques Vialle
Abandonner le projet des Lumières reviendrait à laisser libre cours à
une version de lhistoire directement mise au service des institutions
régnantes. Dans les moments dagitation sociale, beaucoup sont
capables de découvrir les vérités que leur cachent les leaders dopinion.
Mais quand lactivisme décline, la classe des «commissaires du
peuple » reprend les commandes. Puisque les intellectuels de gauche
abandonnent aujourdhui le terrain, les vérités quils avaient autrefois
défendues nont plus qu’à se réfugier dans les mémoires individuelles et
lhistoire à être récupérée comme un instrument de domination. Aussi
valable et méritante que puisse être la critique de la «rationalité» la
seule chose qui soit suggérée en est le rejet pur et simple ; une voie qui
risque de conduire directement au désastre ceux qui ont le plus besoin
de soutien en ce monde. Cest-à-dire la grande majorité des hommes, et
de façon urgente.
63. Sciences sociales & société contemporaine : l’éclipe des garanties
de la rationalité.Immanuel Wallerstein
Traduit de langlais par Frédéric Cotton & Jacques Vialle
Nous devons admettre que les sciences sociales ne sont pas
parfaitement désintéressées, puisque les scientifiques sont inscrits dans
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la réalité sociale et ne peuvent pas plus faire abstraction de leur esprit
que de leur corps Nous devons admettre que nos vérités ne sont pas
des vérités universelles, que sil existe des vérités universelles, elles sont
complexes, contradictoires et plurielles. Nous devons admettre que la
science nest pas la recherche du simple, mais la recherche de
linterprétation la plus plausible du complexe. Nous devons admettre
que les raisons pour lesquelles nous nous intéressons aux causes
efficientes est quelles nous servent dindicateurs sur la voie de la
compréhension des causes finales. Nous devons enfin admettre que la
rationalité implique le choix dune politique morale, et que le rôle des
intellectuels est de signaler les choix historiques qui sont collectivement
à notre disposition.
87. Le caractère évaluatif de la science sociale wébérienne.
Une provocation. Pietro Basso
Traduit de litalien par Giovanna Russo
Dans l’« imaginaire » collectif de la communauté des chercheurs Max
Weber est le grand théoricien du caractère «non-évaluatif » des
sciences sociales. Ce serait lui l’« analyste pur » qui, hors de toute
doctrine préconçue, a fondé la sociologie «rigoureusement
scientifique ». En est-il tout à fait ainsi ? Je ne le crois absolument pas.
Le moins quon puisse dire est que son œuvre contient deux façons de
lire le rapport entre science et société: lune «non-évaluative » et
lautre tout à fait «évaluative ». Mais on peut aller plus loin encore en
soutenant que la seconde, au fond, lemporte sur la première. Surtout
si, comme on le devrait, on met au premier plan sa manière
«concrète » de faire de la sociologie plutôt que sa théorisation de la
tâche du savant et des procédés des sciences sociales. Enfin, si lon
mesure celle-ci à celle-là et non le contraire.
97. «La question du maximum » : capitalisme et pensée unique.
Jack London (& Jacques Luzi)
La succession des siècles a été marquée non seulement par lascension
de lhomme, mais par celle de lhomme du peuple. Depuis lesclave, ou
le serf attaché à la glèbe, jusquaux postes supérieurs de la société
moderne, il sest élevé, échelon par échelon, dans leffritement du droit
divin des rois et la chute fracassante des sceptres. Quil nait fait tout
cela que pour devenir lesclave perpétuel de loligarchie industrielle,
cest une chose contre laquelle tout son passé proteste. Lhomme du
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