Louis Aragon, la théâtralité dans

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Louis Aragon, la théâtralité
dans l' œuvre dernière
« Ce théâtre que je fus que je fuis»
Critiques Littéraires
Collection dirigée par Maguy Albet
Déjà parus
LAROQUE-TEXIER
S., Lecture de Mandiargues, 2005.
HARDI F., Le roman algérien de langue française de l'entredeux-guerres,2005.
CORNILLE J.L., Bataille conservateur. Emprunts intimes d'un
bibliothécaire, 2004.
ROCCA A., Assia Djebar, le corps invisible. Voir sans être vue,
2004.
BERTOLINO N., Rimbaud ou la poésie objective, 2004.
RIGAL Florence, Butor: la pensée-musique, 2004.
CHERNI Amor, Le Moi assiégé, 2004.
EL-KHOURY
Barbara, L'image
de la femme
chez les
romancières francophones libanaises, 2004.
MARCAURELLE
Roger, René Daumal. Vers l'éveil définitif,
2004.
EMONT Bernard, Les muses de la Nouvelle-France
de Marc
LESCARBOT, 2004.
KADIV AR Pedro, Marcel Proust ou esthétique de l'entre-deux,
2004.
LAMBERT-CHARBONNIER
Martine, Walter Pater et les
« portraits imaginaires », 2004.
B. CASSIRAME, La représentation de l'espace par Marguerite
Duras dans le cycle romanesque asiatique:
les lieux du
ravissement, 2004.
MOUNIC Anne, Psyché et le secret de Perséphone. Prose en
métamorphose,
mémoire et création (Katherine Mansfield,
Catherine Pozzi, Anna Kavan, Djuna Barnes), 2004.
DULA-MANOURY
Manoury,
Queneau, Perec, Blanchot,
Eminences du rêve en fiction, 2004.
ANOUN Abdelhaq, Abdelfattah Kilito : les origines culturelles
d'un roman maghrébin, 2004.
GITENET Jean Antonin, Le no man's land de l'image dans
« Elle» de Jean Genet. L 'homme disloqué, 2004.
ANOUN Abdelhaq, Abdelfattah Kilito : les origines culturelles
d'un roman maghrébin, 2004.
Marjolaine VALLIN
Louis Aragon, la théâtralité
dans l' œuvre dernière
« Ce théâtre que je fus que je fuis»
L'Harmattan
En couverture: photographie d'Aragon masqué
@ Jean-Louis Robeux.
<9 L'Harmattan
2004
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris - France
L'Harmattan, Italia s.r.l.
Via Degli Artisti 15
10124 Torino
L'Harmattan Hongrie
Konyvesbolt
1053 Budapest, L. u. 14-16
ISBN: 2-7475-7819-4
EAN : 9782747578196
A Jérôme
Théâtre je t'appelle
Théâtre
de ton
narnde
théâtre
je t'inuxpœ cfun un renœrsé
Qti t'a donc inœnté seuil de rmi-rrÊm:
Beau dorrniœ cf erfer fit je n'en finis
darrrœr
plus
de rre
[u. }
Théâtre à toi Par qui je Œ5se cfêt:re
Et je deUens
Théât:re/RamlrJ,Gallimard, 1974; rééd. en
coll. «L'Imaginaire », 1998,p. 14-15.
AVERTISSEMENT
Cet ouvrage utilise les nonnes typographiques usuelles à trois
exceptions près. Le lieu d'édition lorsqu'il s'agit de Paris n'est pas
mentionné dans les références bibliographiques. Le titre des sections,
.
.
panIes ou Sous-pattIes que comporte un roman ou une œuvre
poétique est souligné quand il est donné, afin de le différencier du titre
du poème ou du chapitre (mis entre guillemets). Enfin, la presque
totalité des titres des œuvres du corpus est abrégée et mise en
caractère gras. Seule exception: les titres des cinq poèmes rassemblés
par Jean Ristat dans le tome XV de L 'Œtm'e pcitique à la suite des
A diEux ne sont pas abrégés. Ces abréviations ne sont utilisées que dans
les notes infrapaginales ou pour une citation dans le corps du texte.
Voici les abréviations du corpus d'étude ainsi que les éditions
utilisées:
MD : Le NeœudeM. Duu1l, EFR, 1953
YM: L5 Yew: et fa ninvire, Gallimard, 1954
RI : Le Romln ~
Gallimard,colI.« Poésie », 1966
55 : La Serruiœ sainte, Gallimard, 1958
El : Elsa, Gallimard, 1959
Po : L5 PŒtts, Gallimard, colI. «Poésie », 1976
FE :LeFatriElsa, Gallimard, 1963
PE : Il œ rrlf5tParis que riE lsa, Seghers, 1975
VH: Le Voy:l~deHdfandeetaut:rc5 jJWrB, Seghers, 1981
MM : La Mise à rrI»t, Gallimard, colI. «Folio », 1973
PN : EligjeàPalioNeruda, Gallimard, 1966
Ba : BfandJeat l'adi~ Gallimard, coll. « Folio », 1972
Ch : L5 O?arrbres,Stock, 1997
ln : Je n'ai appris à écrire at les incipi1; (Les Irripit), Genève, Skira, colI.
« Les sentiers de la création », 1969
HM : HenriMatisse,rorrurJ, Gallimard, colI. «Quano », 1998
TR : Théâtrr/RDm:lrJ,Gallimard, colI. « L'Imaginaire », 1998
AM : Call1ateà A ndréMasson, Ecrits sur l'art mxIerœ, Flammarion, 1981
MV : Le Mentir-7Ya~Gallimard, colI. « Folio», 1997
Ad : L!5 Aciet«, Stock, 1997.
Quatre autres abréviations sont également utilisées: L 'Œtm'e pcitique :
OP ; Œtm'eS rcJrnl11£5qtœs
croiséts: aRC; Œtm'eS romlrK5qut5mmplètesen
Pléiade: ORCP et RedJerrhescroisétsA rag;n- Elsa Tridet: RC.
INTRODUCTION
Les rapports entre l'écrivain français Louis Aragon
(1897-1982) et le théâtre sont complexes mais fondamentaux,
tant dans son œuvre que dans sa vie. S'il a toujours affinné
n'avoir jamais écrit
aragonienne que
, de théâtre, la,1\ chercheuse
I
I
nous sommes n a pu manquer d etre f rappee par la recurrence
du tenne théâtred'abord sous la plume d'Aragon, ensuite sous
celle des critiques. En effet, l'emploi d'un lexique théâtral est
une constante des œuvres, voire une obsession dans plusieurs
d'entre elles, et tout particulièrement dans le dernier roman,
Théât:relRormn,au titre éloquent. Dans les articles et ouvrages
consacrés à Aragon, l'utilisation tout aussi fréquente du tenne
théâtrepour qualifier le comportement de l'individu dans sa vie
privée et politique comme son origine familiale ou encore
l'esthétique de son œuvre ou de certaines de ses œuvres1ne peut
qu'être constatée. Le théâtre s'inscrit en effet dans l'œuvre
comme la biographie d'Aragon.
1) Aragon et le théâtre
L'origine du théâtre chez Aragon pourrait d'abord être
expliquée par trois éléments liés à son enfance: premièrement,
parce que ses « érmtians initiales » ont été des « énvtions théâtralr5 »
comme l'explique Dominique Arban2, c'est-à-dire que l'enfant
Aragon a rencontré la littérature par le biais de la représentation
et de l'écriture théâtrales. En effet, plusieurs textes d'Aragon
signalent son activité d'« auteur dramatique» dans son enfance:
dans Henri Matisse, rorrun, il signale dans une note de 1969
(p. 303) qu'il a écrit en 1908 une pièce en cinq actes et en vers,
intitulée L 'Ota~. Cette pièce se trouvait déjà nommée dans la
préface de 1964 du Likrtinaw : il y mentionne «deux tragfdiesen
1 Par exemple:
«
Tous k ronv:nsd'A ragonant pour cadrele théâtreet disentla
théâtralité du rrurrle.»,
Cécile Narjoux, Le Mythe ou la représentationde l'A uJ:redans
l'œwe rarrnœ;que d'A rag:m,L 'Hannattan, 2002, p. 245.
2 A rafPYlparle a1.P£Doninique A r/:;u,n,Seghers, 1968, p. 17.
3 Gallimard, 1924 ; rééd. en coll. « L'Imaginaire
», 1977, p. 13.
Il
cinq adf3 et en wrs, L'Otage (sans rappart a7£CClaudel, il s'agissait dE
o,arIRs d'OrIRans) et Tamerlan
(dont le hérŒ était Hafiz, et l'action se
situait LarsdE la prise dE Œraz)
»
écrites l'année de son entrée en
sixième à l'école Saint-Pierre-de-Neuilly, à l'âge de dix ans, soit
vers 1908. Il y évoque aussi une autre pièce de théâtre, L£5
E rfants dE Cléapât:œ, écrite entre 1900 et 1903 ou plus exactement
dictée à ses tantes comme il l'explique à Dominique Arban.
Aragon a également été un spectateur de spectacles dramatiques
dans son plus jeune âge : dans la préface de 1964 du Lilx:rtina~
comme dans A rawa park a7£CDaninique A rban, il cite les deux
pièces qu'il a vues à l'âge de quatre ans, Le BilletdElqprmt et Un
Onde d'A rrérique; il évoque aussi dans
«
Chproumpph
» «
16 deux
théât:Yr:5
d'A natde et œ Guigpdet»sur les Champs-Elysées où on le
menait «entre 1900 et 1904 »1; enfin il se souvient dans le
cinquième poème de Cantaœà A ndréMasson de la cantatrice
Félia Litvine, incarnant Dalila sur scène, qu'il a vue alors qu'il
n'avait «pas dix ans» et dont il se souvient avec émotion,
cantatrice que l'on retrouve nommée p. 118 dans La Mise à rrvrt
lors de l'évocation par le personnage d'Alfred de ses soirées à
l'Opéra comique quand il était enfant.
Le deuxième lien entre le théâtre et l'enfance concerne
la spécificité des premiers écrits d'Aragon, lequel ne sachant pas
encore écrire dictait ses pièces ou ses romans à ses tantes, ce qui
engendrait un dédoublement physique et sexuel - à l'origine du
dialogisme notamment dramatique - entre celui qui dictait,
l'enfant, et celle qui écrivait, une des tantes, mais aussi donnait à
son texte une dimension orale - une des caractéristiques de la
parole au théâtre. Enfin, l'enfant n'a pas pu, en raison de sa
situation familiale truquée désonnais bien connue2, ne pas être
influencé dans son écriture par les mensonges inventés pC?ur
cacher sa naissance honteuse comme la situation de fille-mère de
Marguerite Toucas et qui ne lui fure~t révélés selon lui que lors
de ~on départ au front. Car si la fiction racontée à l'enfant est un
1 MY,
2
p. 449.
Qui faisait de sa mère sa sœur, de sa grand-mère sa mère et de son père son
parram.
12
véritable «rorrun
farrilial
»1
à l'image de celui que tout enfant se
crée et imagine pour s'inventer des parents plus nobles ou plus
beaux, une origine plus haute ou plus mystérieuse, elle constitue
surtout un véritable « théâtre farrilia1» ou plus exactement un
«
théâtre/rorrun farrilial»
où « tous IRsprotagonistes d£ la farnilk rf£lk
sont présents, y mrnpris le père, rrnis jouent un rfle qui n'f5t pas le leur»
selon Roselyne Collinet-Wallei pour qui la théâtralisation de la
r~alité chez Aragon et son goût pour la fiction s'ancrent dans le
théâtre qu'on lui a joué dans son enfance et les mensonges
familiaux.
Par la suite, on retrouve cette écriture théâtrale chez
l'adulte: dans les «pièces» écrites en 1922 ou 1923 et publiées
en 1924dans Le Likrtinalff!, «L'annoire à glaceun beau soir» et
« Au pied du mur », mais aussi dans Le Traisièm:Faust - opéra
inachevé qui devait s'écrire avec Breton, dont seul Aragon a écrit
le début, en 1924 ou 1925 - et Le Trésardt5Jf5uites(1929), pièce
en trois tableaux écrite avec André Breton. L'entre-deux guelTes
voit aussi naître sous sa plume La Naissanœd£lapaix (ballet de
1937, qui mêle vers de Descartes de 1649 et prose d'Aragon) et
Plutus (pièce inachevée de 1938 en prose, en quatre scènes).
D'autres traces de cette activité théâtrale méconnue sont
qui évoque deux
données par exemple par la revue E ~
spectacles d'Aragon créés en avril 1936 au Palais de la Mutualité,
Le Pain, lapaix, la likrti et Mariaged'armur; par Elsa Triolet qui
écrit notamment, dans Le Mm illustrédu 12 décembre 1936, à
propos du prix Renaudot octroyé aux Beaux quartiers,
qu' «A raf?l Uent d£ teminer unE piÈœ d£ théâtre d£ t:Ji:sbonne hUJreUr,
»4 ou par Aragon luiqui cuntraste awe IRs jOtCfS que nous tra7EYSOYlS
même
qui,
dans
A raf?l
parle a1.£CDominique
A rban, évoque
le
désir qu'il eut d'écrire une pièce de théâtre en 1935, au moment
de la publication
'de son roman Les ClcxJ:Jes
d£ Bâle :
1 Expression de Marthe Robert dans Ramln dts arifj:ns et arigjrEsdu rurnt:n,
Grasset, 1972 puis Gallimard, 1977 ; rééd. en coll. «Tel », 1990.
2 A rafPYletlepère, rarruns,Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, p. 18-19.
3 E urape: «Aragon poète », n° 745, mai 1991, p. 136.
4 A lburnA ragan, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 228.
13
Cf5t k
seulrrIJrrEnt
dans ml
u£ àt j'ai eu l'emiedénire uœ pi£œde
théâtre, et je rrlétais dit: si Les Ooches [de Bâle] ant du suaÈs,
j'énirai uœ pi£œ de théâtre, j'f5saierai œla. Or Les aoches
n'ont pas
eu de suaÈs. J'ai dore dfridé de ne pas 1rE laisser mure et de
h:11ail1e
du
reprendre
la
rormn1.
De plus, sa biographie démontre qu'il a été en contact
avec le théâtre de son époque: par le biais de ses amis poètes et
dramaturges Yvan Gall et PietTe Albert-Birot à l'époque du
sUlTéalisme; de son emploi au théâtre des Champs Elysées du
1er novembre 1922 au 15 avril 1923où il dirigeaitle journal du
théâtre, ParisjOtit11t1!; de sa rencontre en 1958 puis de son amitié
avec Antoine Vitez, qui d'ailleurs monta Lf5 Clahes dEBâle en
1975 et dont il ne manquait aucun des spectacles au Théâtre des
Quartiers d'Ivry; de la présence à ses côtés d'Elsa Triolet puis
de Jean Ristat, critiques dramatiques aux Lettresfrançaisf5,avec
lesquels il se rendait au théâtre. Après la mort d'Elsa, son
rapport avec le théâtre est encore plus étroit. Il s'occupe à deux
reprises de théâtre selon Jean Ristar : en aidant à monter Le Fou
d'Elsaau Liban en juillet 1974 et Isrrène,pièce de Yannis Ritsos, à
Moscou, en 1977. Mais ce sont aussi les différents masques qu'il
porte à la fin de sa vie qui associent Aragon et le théâtre: le
masque lors de la mise en scène par Jean Gillibert d'un texte de
Ristat, L'E YIJ:Yf£
dans la baie, le masque rouge lors de la fête de
l'Humanité en 1977, le masque blanc lors de l'émission pour
Antenne 2 filmée par Raoul Sangla (diffusés en octobre et
novembre 1979).
Ses commentaires métaromanesques usent également
I
". mterpretes
I l a,
I"
souvent de 1a metap hore t heatra
le ou peuvent etre
la lumière du théâtre, en particulier en présence d'un
dédoublement, du dialogisme ou du rrmtir-uai sur lequel nous
reviendrons. Ainsi, les personnages se dédoublent dès les
1 P.
114. On retrouve cette idée en 1977 dans le tome VII de l'OP, p. 103.
2 Indication donnée par Jean Ristat dans son Hars d'amre du tome II de l'OP,
p. 331-332 ou dans ORCP, tome 1, p. XVL et que l'on r~trouve transposée
chez GoeffroyGaiffier, employé au théâtre Rapallo dans BO, p. 23.
3 AurA rag:m,Gallimard, 2003.
14
premiers écrits. C'est le cas de Robert Gaillard dans L£5
Communistes:
Il park
un, la"i'flge qu'il œ saUlit pas parler. Il park C(JJ111'Eun,
corrmu:niste. CfSt un,1iritaIie discaers. Rchrt se serait dédoulié, ça œ
se passerait pas
qui
Halk.
: il y a l'homrre qui park
autrerœnt
et, en
M. Rchrt Gaillard,~-bijoutier
lui, un, tirmin
du
quartier drs
Celui qui park, c'fSt le Lieutenant Gaillard, l'ifficier fran;ais1.
émut£,
Dans L£5 Beaux Q4artiersest aussi développée la théorie des
hommes doubles de Joseph QuesneF mais qui peut s'appliquer
aux deux frères Barbentane, Annand et Edmond, dont Aragon
dit qu'ils représentent chacun une partie de lui-même3- théorie
qu'Aragon reprend dans La Mise à rrurt,mais aussi, quoique de
manière différente, dans L£5 Comrrunistes4et La Sem::tinesaintEpar
le phénomène de «stéréŒmpi£
»5.Le dédoublement est aussi celui
qui a lieu entre l'auteur et son personnage ou plus exactement
comme le dit la postface de BlandJeou l'oubli entre l'acteur
(Aragon) et son rôle (Geoffroy Gaiffier) sur la scène
romanesque:
J'ai donri à
Gerffroy
Gaiffier
faire cadeau rl 霜rrmts
rru daœ de naissarœ; paur pauwir lui
qui appart:ienœnt,
c'fSt C(JJ111'E
on rrl!t un, acœur à jaœr
Œdipe
c'fSt U"a~ à rru Ue: rruis
ou Hernani,
il n'f5t pas
Œdipe, il n'fSt pas l'arrunt de Dofia S ci (p. 589).
L£5 Incipit pennettent
d'expliquer l'origine du
dédoublement chez Aragon. En effet, Aragon y raconte le
fonctionnement de son écriture romanesque et la manière dont
il travaille à partir de ses incipits, dont il dit ignorer l'origine et
qui ne sont pas sans rappeler la dictée de l'inconscient et
1 Hachette, coll. « Le Livre de Poche », 1967, tome 3, p. 368.
2 «N
DUS U7IJn)
à ure
éJxxlue
historique
qui
se caractérisera
peut-être un jacr par là: le
temps rks homrrr5-d0uJir5.
», Denoël, 1936; rééd. chez Gallimard en coll.
«Folio », 1972,p. 354.
3MM, p. 176, cité aussi dans la préface des BeauxQ4artiers,apecit.,p. 14-15.
Le dédoublement des personnages est exposé dans la postface de 1967.
5 Exposée dans J'ab11srrunjeu, EFR, 1959 ; rééd. chez Stock, 1997.
4
15
l'écriture automatique des surréalistes. Cette Ignorance met
l'écrivain en situation de lecteur de lui-même:
Mes ronuns, à partir de la première phras~ du [!5œ dédJa~
qu'e]k
a corrrn: par hasard,j'ai tœjarrs été bnt
eux dans l'état dinnaEnœ
dun leaeur. Tout s'est tœjours passé corrrn: si j'(UlJ"aissans en rien
sawir le liue dun autre, leparaNrant corrrn: tout let:teur, et n'aJ'lnt à
sa disfJŒitionpour le wnnaître qu£ sa lecture. Camprerez-rmi bien, œ
n'est pas mzrTière de di~ nitaphore ou camparaisan, je n'ai jarrais éoit
rœ; ronuns, je les ai lus. (p. 47).
Les Incipit mettent en lumière le processus qui théâtralise celui
qui écrit: si l'écrivain découvre après-coup ce que sa main a écrit
et doit alors justifier le premier jet en écrivant la suite pour lui
donner sens, c'est la preuve qu'il se dédouble - celui qui écrit et
celui qui lit ce qu'il a écrit, il écrit et je me relis :
A insi auss~ je le puis dire, dans IRs plus apparerrrœnt
étudû3 de rœ;
liues, là ~ serr/ie-t-iJ, la cla:urœntatinn l'emparœ sur l'inœntian, j~
l'aut£ur, ~ se t:rom£ dans la situatinn (qu£ j'ai) depuis longtemps Ki
dÉcrite: il n'éDit pas, il lit, il lit œ ronun qui s'éDit, et tats CEUXqu'il a
écrits, et sa Ue. (p. 115-116).
L'écrivain a donc son Moi dédoublé entre l'être de langage, le
scripteur, et l'être qui donne ensuite du sens et de la cohérence,
le lecteur, phénomène visible par exemple selon Bernard
Leuilliot dans les «ird:rUsions
d'auteur»1 lors de la réécriture des
Communistes.Etre le premier et le propre lecteur de ses écrits est
la preuve qu'Aragon a besoin d'un lecteur pour faire surgir le
sens et qu'il se dédouble en un scripteur et un lecteur qui sont
tous les deux lui mais différenciés dans leur rôle et le temps.
Aragon crée ainsi les deux premiers personnages de lui-même
sur sa scène littéraire, puisqu'il est l'un puis l'autre, l'un et l'autre,
tel « l'auteur-lecteur»
de Blaru:he ou l'oubli:
1 Notice des Communistesdans les ORCP, tome Ill, p. 1441.
16
Je, l'auteJq, peux awir la prétention que l'aa:umulatinn di3 répons£5
parœ1laires sUlII5si7£Sdanre au l:xJutdu rompt£ (du liue 0 uœ réponse
addi1inrrnl1e qui soit la réponse, mtis alors, k lz7re ferrré, je, k !ro:eur,
n'attends plus rien de rmi, l'auteur. Je n'ai éti pau lui, il n'a éti pau
rmi, que l'autEur duœ sarœ de ram:ln délH1iœ, a1heŒ quand an sait
qui £5t l'assassin,
et dont il n'yatUait
raisan de selIJJ1l!£krture que si je,
an, l'amit adiié. Man arrbitian, j'entends l'arrbition de l'autEur-!ro:eur,
se parte au-delà. (p. 494).
L£5
Incipit
révèlent aussi le besoin dans l'enfance d'un
correspondant imaginaire, alter-ego:
Je jouais aux Seor1:S,wiI4 œ que personœ œ fJOU7.11-it
sawir. Et c'était
un jeu qui rrlerfla111J7lllt, d al:xJrdparœ qu'il rYEforçait à awir d£5
socrets. Puis à leur danœr farJ11!"carrrne si j'amis un carrespanda:nt,
un
l£5 wrnprenire,
ami, qui seul fJOU7.11-it
m!S griffŒillis.
Qti seul aurait pu
rYE~
par œ rrÉrrE11V)f!fZE rfin, c'£5tpau œt ami-là que je rYE
pris à faire r15 pragr5 dans l'art de traœr r15 sigrK5, que je rruntrais
aux miroirs, cMun autre rrDÏ-rrÉrrE
faisait seniiant de IRs lire (p. 12-
13).
Surgit ensuite le besoin d'un vrai lecteur de ses romans, bien réel
celui-là1,d'un interlocuteur, destinataire des «bou1eilksà fa rœr»
que constituent tous ses écrits2, ou plus exactement d'un
« auditeur» ou «spectateur», tennes que l'on trouve notamment
dans BfandJeou l'oubli (p. 320) ou Henri Matisse, rarrun (p. 203). Ce
mécanisme qui théâtralise l'écrivain comme son œuvre - par le
biais du dédoublement ou du dialogisme - est la preuve de la
tendance «naturelle » d'Aragon à l'écriture théâtrale, puisque.
«
l'auteur £5t pour lui-rrÊrre san premier public »3. Le dédoublement
effectif chez le créateur comme chez ses personnages
romanesques se retrouve d'ailleurs chez l'homme, en particulier
à l'époque surréaliste: il avoue par exemple dans
« rrener alars Un£ existenœ double»
L£5 Incipit
(p. 53) puisqu'il écrivait en secret
1 Selon ln, ce fut non son ami Youn, qui ne s'intéressait pas aux romans,
mais l'auteur dramatique Michel ZamacoÏs.
2 L'expression est déclinée dans BO, par exemple p. 404.
3 Henri Mitterand, L 'IOusianréaliste,de Balzac à A rawn, PUP, 1994, p. 187.
17
des romans, notamment La Défenseck l~irfini,alors que le roman,
incarnation de la littérature bourgeoise et passéiste, était proscrit
du groupe.
2) L'inscription du théâtre dans l'œuvre
Le théâtre s'inscrit dans l'œuvre et y reçoit des
significations ou des emplois variés. Le théâtre est d'abord une
référence concrète1 qui pennet l'évocation d'un univers théâtral
au sens propre, par le biais de lieux ou de personnages liés au
théâtre, par le biais d'insertion de pièces ou d'une intettextualité
dramatique. Ainsi, sa fréquentation régulière des théâtres liée à
l'activité d'Elsa Triolet est directement évoquée dans Hemi
Matisse, ram:ln (p. 68) ou indirectementdans Le Rorrun inaŒeœ
(p. 161-162) ou Théâtre/Rorrun(p. 448).
De plus, certains de ses livres se déroulent dans un lieu à
proximité d'W1théâtre, comme Le Ptl)5anckParil ou Le Neœu ck
M. DtmJ! ; la nouvelle «Tuer n'est pas jouer» du Mentir-uai se
passe pendant le festival d'Avignon; les personnages de la
fiction se rendent aussi au théâtre, dans Les" Beaux Q4artiersou
Les V O)tt~ ckl'impériale
par exemple,ou évoquentle théâtre de
leur enfance comme Augustin Thierry dans La Serrninesain1£ou
Aurélien dans le roman éponyme. Parlais des pièces sont aussi
enchâssées à l'œuvre: c'est le cas notamment dans Les A W1tUres
ck Télém:Jque
au livre rrr4 (une troupe d'ondins amateurs donne
une représentation théâtrale intitulée « Les aventures de
Télémaque »), dans Le Ptl)5an ck Paris (une saynète représentant
le dialogue de l'homme avec ses facultés) et dans Elsa où est
incluse «La chambre d'Elsa », « pi£œ en un al1Eet en pme ».
Certains personnages des romans sont également liés au théâtre,
directement - comme Annand Barbentane qui rêve un temps de
1 Les mises en scène modernes sont évoquées dans MM, p. 372.
2 En particulier dans «Le passage de l'Opéra », localisé près du Théâtre
moderne de l'époque.
3 La conversation entre les personnages a lieu au Café de la Régence, situé
près du Théâtre Français.
4 Gallimard, 1922 puis 1966 ; rééd. en coll. «L'Imaginaire », 1997, p. 43-46.
18
devenir acteur dans Ll3 Beaux Qpiartiers,la tragédienne Rose
Melrose dans A trrélienou Romain Raphaël, comédien - ou
indirectement: par la présence dans Ll3 PŒtesde la poétesse
mais aussi cantatrice et actrice, Marceline Desbordes-Valmore,
mariée de plus à un acteur; par la lettre «h» dans son prénom
pour Anthoine Célèbre:
0:he1l0 ? Drfie
rrlawe
cfàt
de 7llriatian du nom cfA nthoirK?, et sœdain je
'li£nt qu'il ait, A nthoirK?, irr1:rrxIuit ce théâtre, œtt£
C1JYISGnœrr/U£I1£dans san rxm
(MM,
p. 36) ;
par son père acteur pour Geoffroy Gaiffier dans BlandJeou
l~oubli; enfin par ses proches pour Romain Raphaël
dans
,
'T1_L~~~
1 r.x:al:'~
/
,A.
R orn:ln: sa mere a reve' d'A.etre came' dienne et l une cie ses
J
maîtresses, Eurianthe, est comédienne. De plus, les dernières
œuvres d'Aragon
font une place de plus en plus large à
l'intertextualité dramatique, notamment les romans mais aussi
certains poèmes. En annexe 1 figurent la liste des textes
dramatiques cités ou évoqués dans l'œuvre aragonienne.
Mais la plupart des références théâtrales sont à lire au
sens figuré comme comparaison ou métaphore. Elles peuvent
prendre plusieurs sens et concerner plusieurs réalités théâtrales.
Sont utilisées comme images d'abord certaines spécificités du
mode dramatique et de la scène théâtrale. Le rideau que l'on
soulève est un topa aragonien : on le trouve notamment dans La
Défense œ l~irfim?, Le N ouœau Crf?œ-caul,
Ll3 Corrmunistf5
(tome
2,
p. 132), Le Fou d'Elsa (p. 17), Le VO)tl~ œ Hrllande (p. 94) ou
Henri Matisse, rorrnrt. La fosse de l'orchestre où préludent les
instruments en est un autre: on le trouve en particulier dans La
Défense œ l~irfini (p. 98), Ll3 Yet«
d~Elsa4, BlandJe ou l~adJli (p. 469)
et ThéâtrelRorn:ln(p. 38). Divers genres dramatiques ou théâtraux
sont également nommés:
la comédie (dans Ll3 V O)tlgeursœ
1 Gallimard, coll. «Les Cahiers de la NRF », 1997, p. 11.
2 Gallimard, 1948 ; rééd. en coll. «Poésie », 1980, p. 82.
3Par exemple: pp. 39, 327 ou 837.
4 «La Nuit d'exil», Neuchâtel, Les Cahiers du Rhône, 1942; rééd. chez
Seghers, 1995, p. 42.
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la tragédie (dans La Serru,inesain1£,p. 329), la tragi-
l'irrpéria!e),
comédie (dans La Serru,inesainte, p. 423), la farce (dans Les
VO)tl~ ck l'irrpériale,p. 396), la farce tragique (dans Les
Communistes,tome 2, p. 427), le vaudeville tragique (dans
A wilier!), le drame (dans La Serru,ine
sainte,p. 322), le mélodrame
(dans La Serru,inesainte,p. 233), l'opéra (dans Les Clahesck Bâlè)
ou le carnaval (dans Les Clahes de Bâle, p. 430). L'éclairage est
aussi évoqué, en particulier dans La Senuinesainte(p. 233, p. 323
ou p. 423), sans oublier le décor (dans Le Rorruninacheœ, p. 74
ou p. 127 ou Le Mentir-uai,p. 27) ou le jeu des acteurs (dans La
Sem:linesainte,p. 323). Enfin, le tenne même de personnage vient
du théâtre4 et est utilisé comme tel, au sens métaphorique du
tenne, notamment dans Les Communistesoù Mme Violette
devient «un persorrna~une chŒede théâtre»(tome 2, p. 116) et
dans «Un Personnage nommé la Douleur », chapitre d'Henri
Matisse, rorrun, où Aragon évoque le cancer de Matisse, la
souffrance qu'il a endurée pendant des années et qui le reprenait
par intermittences lorsque le Personnage «attendait dans la
mulisse»
(p. 229).
Ensuite, le théâtre est évoqué pour sa signification
comme univers conventionnel, excessif et surjoué : c'est la porte
qui s'ouvre «d'un£façun théâtrak» dans Les VO)tl~ de l'irrpériale
(p. 69); c'est Pierre Mercadier qui prend «un ton faux, de la
c:orrédiejouÉ£»(ïbid., p. 428); c'est le gondolier de Venise qui est
qualifié de «persorrnagede c:orrédie»(ïbid., p. 381) ; ce sont les
trompettes qui sonnent qui produisent
«
un effet de théâtre»dans
La Serru,ine sainte (p. 255); c'est la débâclefrançaisede 1940qui
est comparée à un « théâtre arrhulant » dans Les Comrrunistes(tome
3, p. 225) etc. Le monde extérieur socio-politique comparé à un
théâtre se définit comme un monde spectaculaires, tout
d'apparences et d'illusions trompeuses, que l'expression « c'estdu
1 Gallimard,
1942-1947-1965; rééd. en coll.« Folio », 1972, p. 116.
2 Gallimard, 1944-1946-1966 ; rééd. en coll. «Folio », 1972, p. 405.
3 Denoël, 1934 puis Gallimard, 1972 ; rééd. en call. «Folio », 1976, p. 429.
4 Comme le note Octave Mannoni dans a{s pour l'I'J11:lgJ,naire
ou l'A utre SŒœ
(Seuil, 1969 ; rééd. en coll. «Points », 1985, p. 172), personasignifie masque.
S Par exemple: « Q sproade ! - dit Jean », L£5 Carrrrrunist6,tome 4, p. 362.
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