Idées MIRSI - Corrigé - IFSI / IFAS

publicité
INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS
Groupement d’Intérêt Public
1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705
29107 QUIMPER CEDEX
SOINS PALLIATIFS ET POSTURE INFIRMIERE
Accompagnement du patient et gestion des émotions du soignant
UE validées par le MIRSI :
UE 3.4 : Initiation à la démarche de recherche
UE 5.6 : Analyse de la qualité des traitements des données scientifiques et professionnelles
UE 6.2 : Anglais
Cécile GOUGAY
Promotion 2013-2016
Formation en Soins Infirmiers
Formateur guidant : Madame I. BALLANGER
INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS
Groupement d’Intérêt Public
1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705
29107 QUIMPER CEDEX
SOINS PALLIATIFS ET POSTURE INFIRMIERE
Accompagnement du patient et gestion des émotions du soignant
UE validées par le MIRSI :
UE 3.4 : Initiation à la démarche de recherche
UE 5.6 : Analyse de la qualité des traitements des données scientifiques et professionnelles
UE 6.2 : Anglais
Cécile GOUGAY
Promotion 2013-2016
Formation en Soins Infirmiers
Formateur guidant : Madame I. BALLANGER
Note aux lecteurs
« Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie sans l’accord de
son auteur ».
SOMMAIRE
Introduction .................................................................................................................................................. 2
I.
Situation de départ.............................................................................................................................. 3
II.
Cadre théorique .................................................................................................................................. 5
A. Les soins palliatifs .......................................................................................................................... 5
A.1. Définition des soins palliatifs. ............................................................................................................ 5
A.2. Histoire des soins palliatifs. ............................................................................................................... 7
A.3. Législation des soins palliatifs. .......................................................................................................... 7
B. L’accompagnement...................................................................................................................... 11
B.1. Définition. ........................................................................................................................................ 11
B.2. Souffrances physiques et psychiques des personnes en fin de vie ................................................ 12
B.2.a. Souffrance globale. ................................................................................................. 12
B.2.b. Douleur. .................................................................................................................. 15
B.3. Principaux mécanismes de défense des patients ........................................................................... 17
B.4. Les spécificités de l’accompagnement des personnes en fin de vie. .............................................. 18
C. Les émotions des soignants ........................................................................................................ 19
C.1. Les sentiments des soignants face à des personnes en fin de vie ................................................. 19
C.1.a. Le sentiment d’impuissance ................................................................................... 20
C.1.b. L’excès d’engagement ............................................................................................ 20
C.1.c. L’excès de doute ..................................................................................................... 20
C.1.d. La surcharge de travail ........................................................................................... 20
C.2. Les répercussions de la prise en soins d’une personne en fin de vie chez le soignant .................. 21
C.3. Mécanismes de défense des soignants .......................................................................................... 22
C.4. Les moyens mis en œuvre pour remédier à la souffrance des soignants ....................................... 24
C.4.a. Formation ............................................................................................................... 24
C.4.b. Groupes de parole .................................................................................................. 24
D. Synthèse du cadre conceptuel..................................................................................................... 25
III.
A.
B.
Entretiens.......................................................................................................................................... 26
Analyse des entretiens................................................................................................................. 26
Synthèse des entretiens .............................................................................................................. 34
Conclusion ................................................................................................................................................. 35
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................... 36
SOMMAIRE DES ANNEXES ........................................................................................................................ I
Annexe I : Guide d’entretien .................................................................................................................... II
Annexe II : Restitution de l’entretien avec l’infirmière A.......................................................................... III
Annexe III : Restitution de l’entretien avec l’infirmière B...................................................................... VIII
Annexe IV : Restitution de l’entretien avec l’infirmier C ....................................................................... XIII
Annexe V : Grille d’analyse des entretiens ........................................................................................ XVIII
1
Introduction
A l’issue de ces trois années d’études à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers de Quimper, il nous est
demandé de réaliser un Mémoire d’Initiation à la Recherche en Soins Infirmiers (MIRSI), qui permettra de
valider les Unités d’Enseignement 3.4 : Initiation à la démarche de recherche, 5.6 : Analyse de la qualité
des traitements des données scientifiques et professionnelles et 6.2 : Anglais, afin d’obtenir notre diplôme
d’état d’infirmier. Ce travail se construit à partir d’une situation vécue en stage et qui nous a
particulièrement marquée, et à partir de laquelle un travail réflexif méthodique et rigoureux doit être
réalisé.
Compte tenu de mon parcours de stage et des différentes expériences que j’ai vécues, j’ai choisi de traiter
la question de l’impact de la prise en soins des patients en phase terminale des soins palliatifs sur les
soignants. En effet, lors de mon stage de semestre 3 en pneumologie, j’ai été confrontée à plusieurs
situations dans lesquelles j’ai pu accompagner des patients en fin de vie. L’une d’entre elles m’a
particulièrement marquée, et j’ai voulu approfondir ce sujet, pour évaluer si j’ai été touchée par cette
situation du fait de mon statut d’étudiante, de mon manque de recul et du peu d’expérience dans ce
domaine professionnel, ou si les infirmiers en poste depuis plusieurs années étaient également affectés
par certaines situations de fin de vie. Exploitant mes questionnements et ma réflexion, ce travail de
recherche me permettra d’acquérir des connaissances supplémentaires, d’avoir des références
bibliographiques et un cadre législatif qui me seront utiles lorsque je serai en poste dans un service.
Dans une première partie, je vais détailler la situation de départ, puis j’évoquerai le cheminement qui m’a
conduit à me poser une première question de départ et à formuler trois hypothèses. Ces dernières me
permettront, dans une deuxième partie, de développer le cadre conceptuel relatif à mon sujet et qui me
conduira à faire évoluer ma question de départ. Enfin, dans une troisième partie, je confronterai les
données théoriques avec la réalité des services par le biais de la réalisation de trois entretiens avec des
professionnels d’âge et d’horizons différents. Cela me permettra de réaliser une synthèse sur le travail
mené, en mettant l’accent sur les points forts et les limites de ce travail de recherche.
2
I.
Situation de départ
J’ai effectué mon premier stage de deuxième année dans un service de pneumologie : les pathologies
prévalentes y étaient l’asthme, la BPCO1 et les cancers pulmonaires.
Au cours de ma sixième semaine de stage, une situation m’a particulièrement marquée : elle s’est
déroulée le 18 décembre 2014 vers 21h00, lors des transmissions avec l’équipe de nuit. M. G., 46 ans,
hospitalisé depuis quelques jours pour une prise en charge palliative d’un adénocarcinome pulmonaire, a
sonné. Lorsque je suis allée répondre, il m’a précisé que ses difficultés respiratoires se majoraient.
L’angoisse pouvait réellement se lire dans ses yeux : je l’ai donc réinstallé en position demi assise, et lui ai
dit que j’allais revenir avec les infirmières qui étaient aux transmissions. Nous nous sommes rendues dans
sa chambre : nous l’avons mis sous scope pour avoir un relevé précis et régulier de ses constantes, et
augmenté l’oxygène pour améliorer sa saturation. Devant la dégradation de l’état de santé du patient, une
infirmière a appelé le médecin qui est arrivé rapidement. M. G. présentait des troubles respiratoires se
traduisant par une dyspnée et une utilisation des muscles secondaires ; il présentait également une
importante turgescence des veines jugulaires et à l’auscultation, le médecin a repéré des signes
d’insuffisance cardiaque globale. Suite à cela, le médecin est parti dans son bureau faire les prescriptions
médicales afin de traiter le problème d’insuffisance cardiaque, notamment de Lasilix®2 pour permettre une
diminution du volume sanguin circulant, afin de faciliter le travail cardiaque et d’améliorer son état
respiratoire.
Le patient était très angoissé, surtout depuis que la cancérologue lui avait indiqué que le deuxième
protocole de chimiothérapie ne donnait pas de résultats, et que son adénocarcinome évoluait rapidement.
Elle lui avait précisé que sa prise en charge était par conséquent palliative. Le patient, qui avait deux
enfants d’une vingtaine d’années (eux-mêmes mis au courant de la situation), disait souvent « je ne veux
pas mourir, c’est beaucoup trop tôt », et qu’il fallait encore essayer de mettre en place un traitement. Face
à cette situation, une des deux infirmières a tenté de le rassurer : elle lui a pris la main en lui disant que
tout serait mis en place pour ne pas qu’il souffre, et que le médecin allait lui prescrire un traitement pour
apaiser son angoisse. La seconde infirmière a mis le scope dans son champ de vision, et lui a expliqué
les valeurs minimales et maximales entre lesquelles ses constantes (TA, pouls, saturation) devaient se
situer.
Suite à cela, les deux infirmières sont retournées dans le poste de soin pour préparer les traitements :
elles m’ont demandé d’aller installer un pousse seringue électrique (PSE) dans la chambre. Je suis donc
retournée seule dans la chambre de M. G. pour mettre en place le PSE : il était toujours aussi angoissé,
on pouvait lire la peur dans ses yeux : je me suis alors sentie démunie, ne sachant pas quelle attitude
adopter, ni quoi dire au patient. En effet, connaissant le dossier, je ne pouvais pas décemment lui dire que
tout allait bien se passer, mais je ne me sentais pas non plus capable de lui prendre la main ou de faire un
geste qui lui aurait montré que j’étais consciente de ce qu’il pouvait ressentir. Je lui ai simplement dit que
nous allions mettre en place des traitements qui amélioreraient sa fonction respiratoire, et qui apaiseraient
ses angoisses. Les deux infirmières sont revenues dans la chambre à ce moment-là pour administrer les
1
2
Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive
Diurétique de l’anse de Henlé permettant de forcer la diurèse
3
traitements, notamment un diurétique et de l’Hypnovel®3 pour apaiser son angoisse. L’état de M. G. était
alors stable : nous sommes reparties terminer les transmissions.
Le lendemain, j’ai parlé de cette situation à ma tutrice qui n’était pas présente la veille, et je lui ai dit que je
m’étais réellement sentie en difficulté et totalement démunie : elle m’a dit que chacun avait sa manière de
réagir, qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise façon de faire face à ces situations, qu’il était difficile
de trouver les mots justes pour les patients, mais qu’il était essentiel d’apprendre à se préserver pour ne
pas être en difficulté au quotidien dans ce métier. Ce qui m’a profondément perturbée dans cette
situation, a été le fait que le patient vive ses derniers instants et qu’il en soit conscient. Etant donné que
c’était la première fois que j’étais confrontée à cela, que le patient était jeune et ne demandait qu’à vivre,
j’ai été frappée de plein fouet par sa détresse et son angoisse. Rétrospectivement, je pense que je n’ai
pas su lui apporter le soutien et l’écoute dont il aurait eu besoin car je n’ai pas pu mettre une distance
suffisante entre la situation qui se jouait et ce que je ressentais.
Cette expérience m’a amenée à me poser un certain nombre de questions :
- Sur la prise en charge palliative d’un patient.
- Sur le rôle du soignant dans la prise en charge palliative des patients, notamment du point de
vue de leur accompagnement et sur la notion de communication avec les personnes en fin de
vie.
- Sur la manière dont les soignants réagissent lorsqu’ils sont quotidiennement confrontés à ce
genre de situations, et sur ce qu’ils peuvent mettre en place pour se protéger afin d’éviter d’être
personnellement trop impliqués.
Cela m’a conduite à formuler la question suivante : La prise en soins de patients en fin de vie a-t-elle
un impact sur les soignants ?
Hypothèses :
- Hypothèse n°1 : La société évolue dans son approche de la mort en permettant aux personnes
en fin de vie de bénéficier des soins palliatifs.
- Hypothèse n°2 : Les patients en fin de vie ont besoin d’un accompagnement spécifique apporté
par les soins palliatifs.
- Hypothèse n°3 : La prise en soins de personnes en fin de vie a des répercussions
émotionnelles sur les soignants et génère chez eux des mécanismes d’adaptation.
Souhaitant vérifier ces hypothèses, je vais m’attacher à développer un cadre théorique pour chacune
d’entre elle : pour la première hypothèse, je vais développer le concept des soins palliatifs. Pour la
deuxième, je vais étudier le concept d’accompagnement dans sa généralité, puis dans le cadre des soins
palliatifs, en réponse aux besoins particuliers des personnes en fin de vie. Enfin, pour la troisième
hypothèse, j’aborderai en dernière partie les émotions ressenties par les soignants dans le cadre de leur
exercice professionnel et la manière dont ils les gèrent.
3
Benzodiazépine à action anxiolytique
4
II.
Cadre théorique
La situation que j’ai vécue concernait une personne en fin de vie bénéficiant de soins particuliers, dits
« soins palliatifs ». Cette première partie de mon cadre théorique va développer ce que recouvre cette
notion : la définition, l’histoire des soins palliatifs, ainsi que le cadre législatif qui les régissent.
A. Les soins palliatifs
A.1. Définition des soins palliatifs
En 1996, la SFAP4 donne une définition officielle des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins
actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif
est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance
psychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs et l’accompagnement dont interdisciplinaires. Ils s’adressent
au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le soutien
des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche. Les soins palliatifs et l’accompagnement considèrent
le malade comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les dispensent cherchent à éviter
les investigations et les traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort. Ils
s’efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès et proposent un soutien aux proches en
deuil. Ils s’emploient, par leur pratique clinique, leur enseignement et leurs travaux de recherche à ce que ces
principes puissent être appliqués ».5
Ce qui me semble important en tant que future infirmière dans cette définition est le fait de limiter les
investigations et les traitements déraisonnables, ainsi que la prise en charge globale de la personne. Les
soins prodigués au patient en fin de vie ne concernent pas uniquement le traitement de ses symptômes
physiques et la prise en charge de sa douleur. Cela va bien au-delà en intégrant sa souffrance
psychologique (induite par la pathologie et ses conséquences), sociale (perte de repères du patient :
n’exerce plus sa profession, n’a plus la même place au sein de sa propre famille du fait des
hospitalisations prolongées, …), spirituelle (les patients peuvent avoir des doutes sur ce en quoi ils
croyaient avant la maladie). Les soins palliatifs intègrent également la famille du patient et prennent en
compte ses difficultés et ses souffrances. Cette prise en charge considère le patient au centre du cercle
familial autour duquel gravite une équipe pluridisciplinaire formée et soutenue psychologiquement.
En 2002, l’OMS6 propose la définition suivante :
« Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences
d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement
et évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques
et spirituels qui lui sont liés. Les soins palliatifs procurent le soulagement de la douleur et des autres symptômes
Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs
JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 5.
6 Organisation Mondiale de la Santé
4
5
5
gênants, soutiennent la vie et considèrent la mort comme un processus normal, n’entendent ni accélérer ni
repousser la mort, intègrent les aspects psychologiques et spirituels des soins aux patients, proposent un système
de soutien pour aider les patients à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort, offrent un système de
soutien qui aide la famille à tenir pendant la maladie du patient et leur propre deuil, utilisent une approche d’équipe
pour répondre aux besoins des patients et de leurs familles en y incluant si nécessaire une assistance au deuil,
peuvent améliorer la qualité de vie et influencer peut-être aussi de manière positive l’évolution de la maladie, sont
applicables tôt dans le décours de la maladie, en association avec d’autres traitements pouvant prolonger la vie,
comme la chimiothérapie et la radiothérapie, et incluent les investigations qui sont requises afin de mieux
comprendre les complications cliniques gênantes et de manière à pouvoir les prendre en charge ».7
Cette deuxième définition met l’accent sur la qualité de vie du patient jusqu’à sa mort : elle précise que les
traitements mis en place ont pour but de soulager leur douleur, et que des investigations peuvent être
menées uniquement pour permettre d’adapter au mieux la prise en charge des symptômes de la maladie.
De plus, elle ne s’arrête pas au décès du patient, mais prévoit un accompagnement de sa famille dans le
processus de deuil. Les deux définitions ont des principes communs (soulagement de la douleur, prise en
charge globale du patient et de sa famille) ; néanmoins, celle de la SFAP est plus précise en ce qui
concerne l’équipe pluridisciplinaire qui intervient auprès du patient : elle précise en effet que les soignants
et les bénévoles sont formés et bénéficient d’un soutien.
Ces deux définitions me permettent de réajuster les représentations que je pouvais avoir des soins
palliatifs : en effet, je n’avais pas intégré le fait que cette prise en charge ne s’adressait pas uniquement à
des personnes mourantes, mais pouvait être mise en place assez tôt chez un patient atteint d’une
pathologie évolutive grave ou terminale. Cela me permet également de voir l’importance de la place
accordée à la famille et de celle de l’équipe pluridisciplinaire intervenant auprès du patient. Il s’agit
vraiment d’une prise en charge globale du patient et de son entourage. La figure ci-après, élaborée par
Ivan KRAKOWSKI8, présente le schéma idéal des soins palliatifs.
7 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 6.
8 Ivan KRAKOWSKI, spécialiste en oncologie médicale et en médecine de la douleur (Nancy)
6
Au vu des définitions citées ci-dessus et du schéma de KRAKOWSKI, nous pouvons affirmer que M. G.
bénéficiait bien de soins palliatifs. En effet, il était en phase terminale d’un cancer pulmonaire et les soins
qui lui étaient apportés avaient pour but de soulager les douleurs physiques induites par les métastases,
ainsi que sa souffrance psychologique. Ses enfants bénéficiaient également d’un accompagnement, et
étaient mis au courant de l’évolution de la pathologie de leur père. Si aujourd’hui les soins palliatifs se sont
démocratisés, leur mise en œuvre et leur reconnaissance a été un long parcours, dont les principales
dates clés sont évoquées dans la partie suivante.
A.2. Histoire des soins palliatifs9
1842 : Jeanne GARNIER fonde à Lyon l’œuvre des Dames du Calvaire, hospice destiné à
l’accueil des veuves atteintes de « plaies vives et cancéreuses ».
- 1967 : Dame Cicely SAUNDERS fonde le Saint Christopher Hospice : elle est reconnue
aujourd’hui comme fondatrice du mouvement des soins palliatifs.
- 1986 : la « circulaire Laroque » officialise les soins palliatifs en France.
- Entre 1987 et 1990, plusieurs unités s’ouvrent en France. Le docteur ABIVEN crée la première
unité de soins palliatifs à l’hôpital international de la Cité Universitaire, le docteur Jean-Michel
LASSAUNIERE dirige un centre de soins palliatifs à l’Hôtel-Dieu et le docteur Renée SEBAGLANOE ouvre une unité de soins palliatifs à l’hôpital Paul Brousse dirigée par le docteur Michèle
SALAMAGNE.
- 1991 : création de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP).
- 1992 : création de l’Union Nationale des Associations de Soins Palliatifs (UNASP).
Suite à la mise en place des premiers hospices par les pionnières Jeanne GARNIER et Dame Cicely
SAUNDERS, différents textes (lois, décrets, circulaires) ont été élaborés dans le but de définir, organiser
et règlementer les soins palliatifs. Les plus importants sont rappelés ci-après.
-
A.3. Législation des soins palliatifs
Circulaire DGS/3D dite « circulaire Laroque » du 26 août 1986, relative à
l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase
terminale.
Cette circulaire propose différentes idées fortes sur les besoins spécifiques des mourants, la mission
commune de l’équipe, l’importance de la lutte contre la douleur, de la prise en charge psychologique,
sociale et spirituelle, et du suivi du deuil. Elle précise également que les soins palliatifs sont des soins
9 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 3-4.
7
d’accompagnement et en présente les modalités d’organisation en tenant compte de leur diversité
(Maladie, vieillesse, accident, domicile ou hôpital).
Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins
palliatifs.
La loi du 9 juin 1999 est la première consacrée intégralement aux soins palliatifs. Elle les définit (soins
actifs et continus pratiqués par une équipe pluridisciplinaire en institution ou à domicile, visant à soulager
la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à
soutenir son entourage), désigne ses bénéficiaires et tend vers une organisation optimale des besoins. En
complément, elle accorde aux accompagnants naturels le droit à un congé d'accompagnement et
reconnaît les bénévoles.
Les grands axes de cette loi sont les suivants :
- Reconnaissance du droit de la personne malade de s’opposer à toute investigation.
- Obligation faite à tous les établissements publics et privés de développer une réponse en matière
de soins palliatifs et de lutte contre la douleur.
Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé.
Les grands axes de cette loi sont les suivants :
- Droit au soulagement de la douleur et à la dignité jusqu’au décès.
- Définition du statut de la personne de confiance.
- Secret médical partagé par l’équipe.
- Secret médical partagé avec la famille, la personne de confiance, sauf opposition du patient.
- Droit à l’information.
- Aucun acte réalisé sans le consentement éclairé du patient (ou de celui de la personne de
confiance si le patient est incapable de communiquer).
- Accès au dossier médical, soit directement, soit par l’intermédiaire du médecin traitant.
Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin
de vie, dite « loi Léonetti 10 ».
Cette loi fait suite à différentes affaires médiatiques, et particulièrement celle concernant Vincent Humbert
(jeune homme devenu tétraplégique des suites d’un grave accident de la route, et ayant entrepris de
10 Jean LEONETTI : Président-rapporteur de la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie,
rapporteur de la Commission spéciale sur l’accompagnement de la fin de vie.
8
nombreuses démarches pour obtenir le droit d’être euthanasié. Il a notamment écrit à Jacques CHIRAC,
alors Président de la République, pour lui demander un « droit de mourir »).
Cette loi vise à […] « offrir des éléments de réflexion pour faire reculer l’arbitraire des décisions thérapeutiques. En
quelque sorte, cette loi se veut pédagogique, tant dans son principe de concertation professionnelle et de la culture
du juste doute que dans la manière de considérer le consentement éclairé du citoyen et son libre droit à décider pour
lui-même »11.
Les grands axes de la loi votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale le 22 avril 2005 sont les suivants :
- L’obstination déraisonnable : selon l’article 1, elle est prohibée et remplace le terme
« d’acharnement thérapeutique ». Cela correspond à des actes maintenus ou entrepris alors
qu’ils sont considérés comme inutiles, disproportionnés, ou n’ayant d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie.
- L’expression de la volonté du patient dans le respect de sa dignité : cette loi renforce les droits
du malade : elle l’autorise à refuser tout traitement et l’encourage à écrire ses directives
anticipées et à nommer une personne de confiance.
- La procédure collégiale : selon l’article 5, elle devient une obligation pour toute décision de
limitation ou d’arrêt de traitement chez un patient en fin de vie dans l’incapacité d’exprimer sa
volonté.
Circulaire n°DHOS/O2/2008/99 du 25 mars 2008 relative à l’organisation
des soins palliatifs.
Cette circulaire présente, à partir d’un état des lieux de la situation actuelle, les orientations de la politique
des soins palliatifs (principes, gradation des prises en charge, formation des personnels, inscription
territoriale). Elle fournit de plus des référentiels d’organisation des soins pour chacun des dispositifs
hospitaliers de la prise en charge palliative (s’agissant des lits identifiés de soins palliatifs, des équipes
mobiles de soins palliatifs, des unités de soins palliatifs et des soins palliatifs en hospitalisation à
domicile). Elle précise également le rôle des bénévoles et de leur accompagnement.
17 juillet 2012 – 17 décembre 2012 : Mission SICARD12.
Une mission de réflexion sur la fin de vie a été confiée au Professeur SICARD et à son équipe composée
de 9 membres en vue de débattre sur les questions de la dépénalisation de l’euthanasie et/ou du suicide
assisté, de la législation autour d’une autre forme de sédation, ou encore du refus de dépénalisation et du
développement de la formation des soins palliatifs.
11
12
MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. Dossier Loi Léonetti, soins et fin de vie. Revue Soins, septembre 2006, n°708. p27.
Professeur de médecine à Paris et ancien Président du Comité National Consultatif d’Ethique
9
« Constats et conclusion du Rapport SICARD remis le 18 décembre 2012 :
Accès insuffisant aux soins palliatifs, méconnaissance de la loi, professionnels de santé aveuglés par le
« tout curatif ».
Séparation péjorative entre les soins palliatifs et les autres spécialités médicales.
Surdité du corps médical face à la détresse des patients.
Il préconise donc :
De revoir l’ensemble de la formation médicale.
D’intégrer une compétence dans les soins palliatifs dans toute pratique clinique.
De créer un fichier national de recueil des directives anticipées.
De rejeter toute dépénalisation de l’euthanasie.
D’autoriser une sédation profonde dans certaines situations vécues insupportables.
De mener une réflexion sur une assistance au suicide comme recours ultime au stade terminal d’une
maladie sur des demandes réitérées par le patient ».13
17 mars 2015 : Proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des
malades et des personnes en fin de vie (texte adopté n°486).
« Ce qui change par rapport à la loi Léonetti :
Une définition de l’obstination déraisonnable modifiée : « Lorsque les traitements n’ont d’autre effet que le
seul maintien artificiel de la vie alors et sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient, et
selon la procédure collégiale, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris ».
Une expression de la volonté des malades renforcée : concernant les directives anticipées :
o Plus de durée de validité.
o Un document unique par décret d’application.
o Elles s’imposent au médecin sauf urgence vitale, le temps de faire le diagnostic ou si elles sont
manifestement inappropriées.
Des dispositifs pour le développement des soins palliatifs :
o Article 1 : obligation de formation des professionnels de santé y compris à domicile.
o Article 4 bis: rapport annuel à la conférence Régionale de la santé et de l’autonomie avec
définition d’une politique régionale.
o Article 14 : rapport annuel au parlement sur les conditions d’application de la loi et de la
politique de développement des soins palliatifs.
o Perspective d’un nouveau plan de développement des soins palliatifs »14.
Ces différents textes ont pour but de définir et d’encadrer les soins palliatifs pour permettre une prise en
charge optimale des patients tout en évitant les dérives. Par ailleurs, les souffrances physiques et
psychiques des personnes en fin de vie nécessitent de la part de l’infirmière un accompagnement
spécifique : une écoute adaptée à ce type de situation et une capacité à rassurer les patients. Cette partie
THIEURMEL, Hubert. Dispositions réglementaires relatives aux droits des malades et à la fin de vie. Cours du
24/11/2015 dans le cadre de l’Unité d’Enseignement 4.7 : Soins Palliatifs et Fin de Vie. Disponible sur l’ENT de l’IFSI
de Quimper.
14 Ibid.
13
10
va s’attacher à définir le concept d’accompagnement, puis après avoir mis en lumière quelques difficultés
majeures rencontrées par les personnes en fin de vie ainsi que les mécanismes de défense qu’elles
mettent en jeu, nous développerons le concept d’accompagnement dans le cadre particulier des soins
palliatifs.
Loi n°2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des
malades et des personnes en fin de vie15
Cette loi clarifie les conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable.
Elle instaure le droit à la sédation profonde et continue pour les personnes dont le pronostic vital est
engagé à court terme. Les directives anticipées deviennent l’expression privilégiée de la volonté du patient
hors d’état de le faire et s’imposent désormais aux médecins.
B. L’accompagnement
B.1. Définition
Selon l’HAS16, « l’accompagnement est un processus dynamique qui engage différents partenaires dans un projet
cohérent au service de la personne, soucieux de son intimité et de ses valeurs propres. Il s’agit d’une approche
globale et pluridisciplinaire ; l’accompagnement en institution ou au domicile relève d’initiatives et de procédures
adaptées aux attentes et besoins de la personne ainsi que de ses proches »17.
Ce qui me semble important en tant que future infirmière dans cette définition est la notion de
pluridisciplinarité : cela implique l’intervention et la coordination de différents professionnels pour
permettre de prendre en soins la personne et son entourage dans le respect de ses volontés. Par ailleurs,
l’idée d’un processus dynamique implique que le projet de soins organisé autour du patient et de sa
famille soit constamment réévalué et réajusté pour permettre de répondre au mieux aux besoins du
patient en fonction de l’évolution de sa maladie.
Maëla PAUL18 qualifie quant à elle l’accompagnement comme un processus dynamisant trois logiques :
relationnelle, spatiale et temporelle. C’est d’ailleurs ce qu’accompagner veut dire : « se joindre à quelqu’un
pour aller où il va en même temps que lui ».
Cette définition reprend bien la notion d’un processus dynamique pour permettre une prise en soins du
patient adaptée à chaque étape de l’évolution de sa pathologie.
Centre National de ressources – Soin Palliatif [en ligne]. (Consulté le 05/04/2016). Disponible sur www.soinpalliatif.org
16 Haute Autorité de Santé
17 Conférence de consensus. L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches.
18 Maëla PAUL, chargée de mission et d’orientation au CNAM de Nantes, chargée d’enseignement à l’université de
Nantes.
15
11
Par ailleurs, afin de mesurer les spécificités de l’accompagnement des personnes en fin de vie, il est
nécessaire de mettre auparavant en lumière les souffrances physiques et psychiques qu’elles vivent
chaque jour.
B.2. Souffrances physiques et psychiques des personnes en fin de vie
B.2.a. Souffrance globale
« En soins palliatifs, la douleur coexiste fréquemment avec d’autres symptômes et avec des problématiques
psychologiques, sociales et spirituelles. Ces divers éléments modulent la perception douloureuse et peuvent la
potentialiser. On parle alors de souffrance globale pour illustrer les situations où une douleur physique n’est qu’un
élément parmi d’autres de la souffrance exprimée par le patient. Ce type de douleur est réfractaire à une prise en
charge purement pharmacologique. Les composantes de la souffrance globale sont les suivantes19 » :
-
Dimension physique20 :
o Douleur.
o Incapacité fonctionnelle.
o Handicap(s).
o Déficit(s) sensoriel(s).
o Autres symptômes (dyspnée, nausées, anorexie, asthénie, troubles du sommeil).
-
Dimension psychologique21 :
o Altération de l’image corporelle : « Dans ce que vit le patient lors d’une maladie grave,
nombreuses sont les situations où son image corporelle peut être sévèrement remaniée, pouvant
entraîner une altération de l’estime de soi et une perte d’espoir. L’amaigrissement, l’alopécie,
l’amputation, les oedèmes ou encore les stomies sont en effet à l’origine de bien des
souffrances. Ces modifications physiques (témoins de l’altération de l’état de santé et de
l’aggravation de la maladie) sont comme l’expression d’une plainte du corps, une plainte visible,
évidente, muette, mais tellement présente22 ».
o
o
o
o
o
o
Sentiment de vulnérabilité.
Souffrance ressentie de l’entourage.
Connaissance de sa maladie.
Diminution des ressources adaptatives.
Altération des capacités cognitives.
Baisse de la qualité de vie.
DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7.
Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. p. 21.
20 Ibid. p. 22.
21 Ibid. p. 22.
22 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 134-135.
19
12
o
o
o
Comportements passés ou présents d’addiction.
Peur (de mourir, de souffrir, de laisser les proches, …).
Troubles anxieux et dépressifs.
Chez les patients en fin de vie, l’anxiété et la peur sont indissociables. En effet, la personne malade peut
être lucide, ressentir un profond malaise et appréhender l’avenir. « L’anxiété se manifeste par des signes ou
désordres d’ordre physiologique (augmentation de la fréquence cardiaque, respiratoire, de la pression artérielle,
diarrhées, agitation, sécheresse buccale, sensation de chaud et de froid), émotionnel (sentiment d’inquiétude, de
tension, de nervosité, de peur, de colère, de tristesse ou d’irréalité, de repli sur soi) et cognitif (troubles de la
mémoire, incapacité de se concentrer, accroissement des idées noires, rumination, passivité, régression23) ». Même
si les manifestations physiques et les comportements observables ne sont pas toujours en lien avec
l’intensité de l’anxiété, on peut constater que les dimensions physiques et psychologiques de la souffrance
globale sont intimement liées.
-
Dimension sociale24 :
o Altération de la relation avec les proches.
o Changement du lieu de vie.
o Modification de l’environnement culturel.
o Eventuelles difficultés dans la communication avec les soignants.
o Dégradation de la situation financière.
o Problème de prise en charge par les assurances sociales ou privées.
Les personnes en phase terminale de leur pathologie ne peuvent plus, dans bien des cas, exercer leur
activité professionnelle : cela conduit à un effritement de leur statut social car elles ne bénéficient plus de
la même place au sein de la société. Les bouleversements affectent également la cellule familiale :
l’équilibre psychique est rompu du fait de la modification de la place et du rôle de la personne malade
dans sa famille. Les patients en fin de vie n’ont plus forcément la force nécessaire pour occuper la place
qu’ils tenaient auparavant auprès de leur conjoint ou de leurs enfants, ce qui conduit à une redistribution
des rôles pouvant les laisser de côté et occasionner des souffrances.
-
Dimension spirituelle25 :
o Doutes sur la foi religieuse.
o Doutes sur les ressources spirituelles.
o Sens ou non sens donné à la maladie.
o Signification de la douleur.
o Bilan de vie.
o Projets de vie pour le temps qui reste.
23 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 130.
24 DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7.
Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. p. 22.
25 Ibid. p. 22.
13
Pour parer à tous ces changements et à toutes ces pertes, les personnes en fin de vie peuvent adopter
différentes attitudes pour fuir l’angoisse :
- L’hypersomnie.
- L’hyperactivité.
- La somatisation, qui peut être la seule voie pour l’individu de laisser transparaître son mal-être.
- La mélancolie : l’individu déplore ses manquements passés ou présents, il se déprécie.
- L’agressivité comme protection contre la dépression causée par la maladie, le déracinement dû à
l’hospitalisation, le fait d’être coupé de ses proches et de ses repères. En effet, « jouissant d’une
santé que le malade a désormais perdue, les « biens portants » offrent au mourant l’image insolente d’une
vie supposée sans entraves »26.
Afin d’aider les soignants à estimer l’ampleur de la souffrance ressentie par le patient en fin de vie, des
échelles d’évaluation ont été mises en place.
La situation de M. G. illustre bien cette notion de souffrance globale : en effet, la douleur physique induite
par les métastases n’était qu’un élément de la souffrance qu’il exprimait.
Au niveau psychologique, le plus difficile pour lui était le fait de ressentir la détresse de ses enfants, tous
deux au courant de l’état de santé de leur père. Il a évoqué à plusieurs reprises au médecin, le fait qu’il
était trop tôt pour lui de mourir car il avait l’impression d’abandonner ses enfants.
De plus, étant conscient de la diminution progressive de son autonomie, cela devenait de plus en plus
difficile pour lui de faire face aux actes de la vie quotidienne car il se sentait diminué et avait du mal à
accepter l’aide du personnel soignant.
Par ailleurs, au niveau social, sa vie était également impactée : en effet, il trouvait difficile le fait d’être
hospitalisé, car cela lui ôtait tous ses repères. Il avait également de plus en plus de mal à trouver sa place
auprès de ses enfants car il n’avait plus la force d’occuper sa place de père et cela le faisait énormément
souffrir.
Il m’est difficile de faire un point précis sur la dimension spirituelle car ce n’est pas une question que nous
avons évoquée. Nous pouvons donc voir que la notion de souffrance globale est prévalente dans les
situations de fin de vie, et, même si la douleur physique ainsi que les dimensions psychologiques et
sociales sont relativement bien prise en compte, la dimension spirituelle reste quelque peu laissée de
côté.
Comme pour toute souffrance, il existe des échelles d’évaluation permettant de coter la souffrance
globale.
Echelles d’évaluation :
« Les patients en soins palliatifs présentent de nombreux symptômes autres que la douleur, à l’origine d’une
importante souffrance. Leur soulagement nécessite, au même titre que la douleur, une évaluation répétée afin de
26 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la
maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 74.
14
suivre l’évolution et leur réponse aux différents traitements. Il s’agit donc d’identifier les autres facteurs qui participent
à la souffrance du patient afin d’adapter la prise en charge à ses besoins spécifiques.
Par exemple, l’échelle d’évaluation des symptômes d’Edmonton (Edmonton Symptom Assessment System, ESAS) :
Echelle d’auto-évaluation des symptômes similaires à l’échelle visuelle analogique de la douleur mais
intégrant les neuf symptômes les plus courants en soins palliatifs : douleur, fatigue, nausée, tristesse,
anxiété, somnolence, inappétence, sensation de mal-être, dyspnée, et un autre symptôme éventuel.
Si le patient cote l’intensité de tous ces symptômes entre 8 et 10, il faut s’interroger sur la présence d’une
souffrance globale.27 »
Prise en charge :
Le schéma suivant, « Impact de l’évaluation multidimensionnelle de la souffrance globale » met en lien les
quatre composantes de la souffrance globale et les orientations de la prise en charge possible en fonction
de leur évaluation.
Dimension sociale
Dimension psychologique
Dimension physique
Dimension spirituelle
Evaluation
Souffrance globale
Intervention sociale
Traitement antalgique
Prise en charge
psychologique
Soutien spirituel
Impact de l’évaluation multidimensionnelle de la souffrance globale28.
Le rôle des équipes auprès des patients en fin de vie est d’être vigilant et attentif à toutes les
manifestations de la souffrance du patient. Cela exige une attention réelle et profonde à ce que vit la
personne. Cette attention permettra au patient de rester une personne jusqu’au bout, malgré l’altération
physique souvent importante.
B.2.b. Douleur
La douleur est définie par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur comme « une expérience
sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en
termes d’un tel dommage ». La douleur est constituée de quatre composantes à prendre en compte :
DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7.
Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. p. 22-23.
28 Ibid. p. 23.
27
15
La composante sensori-discriminative : elle correspond aux mécanismes neurophysiologiques
qui permettent le décodage de la qualité (brûlure, décharges électriques, torsion, …), de la durée
et de l’évolution (brève, continue, chronique, récidivante, …), de l’intensité ou de la localisation
des messages nociceptifs.
- La composante affectivo-émotionnelle : si la douleur occupe une place spéciale parmi les
perceptions, c’est du fait de sa composante affective particulière qui fait partie intégrante de
l’expérience douloureuse et lui confère sa tonalité désagréable, agressive, pénible, difficilement
supportable. Cette composante est déterminée par le stimulus nociceptif, mais aussi par le
contexte dans lequel le stimulus est appliqué (incertitude sur l’évolution de la maladie, …).
- La composante cognitive : le terme cognitif désigne l’ensemble des processus mentaux qui
accompagnent et donnent du sens à une perception en adaptant les réactions
comportementales : processus d’attention, d’anticipation et de diversion, interprétations et
valeurs attribuées à la douleur, langage et savoir de la douleur (sémantique) avec des
phénomènes de mémoire d’expériences douloureuses antérieures personnelles (mémoire
épisodique) décisifs sur le comportement à adopter.
- La composante comportementale : elle englobe l’ensemble des manifestations verbales et non
verbales observables chez la personne qui souffre (plaintes, mimiques, postures antalgiques,
impossibilité de maintenir un comportement normal, …) mais aussi les réponses végétatives et
réflexes nécessitant le recueil de données biologiques. Elle est déterminée par les
apprentissages antérieurs, l’environnement familial et ethnoculturel ou encore par les standards
sociaux (âge, sexe).
La douleur apparaît donc comme un phénomène multidimensionnel (multifactoriel) et non comme une
réaction simple, univoque.
-
Les manifestations douloureuses sont présentes chez la majorité des patients en fin de vie, et leur
soulagement constitue un objectif prioritaire des équipes pluridisciplinaires. En effet, « non satisfaite de sa
conquête, la douleur vient également briser les liens qui unissent le sujet à son entourage. L’individu est non
seulement atteint dans son corps, mais aussi dans sa relation aux autres. La douleur isole. […] Non soulagée, la
douleur peut altérer le sentiment de confiance accordé aux soignants et contribuer à l’installation du doute et de la
méfiance, voire même d’un sentiment de persécution »29. Pour remédier à cela, différentes méthodes
d’évaluation ont été mises en place pour permettre d’ajuster au mieux les traitements à la douleur du
patient :
- Des échelles quantitatives d’auto-évaluation permettant de quantifier globalement l’intensité du
symptôme douloureux, la plus connue étant l’échelle visuelle analogique (EVA), munie sur une
face d’un curseur et graduée de 0 à 10 de l’autre, permet au patient d’indiquer le niveau
d’intensité de son symptôme. Cette évaluation répétée représente un bon indicateur de
l’évaluation de la douleur, du niveau de soulagement atteint, et par conséquent de l’efficacité des
thérapeutiques. Pour les patients ne pouvant pas utiliser l’EVA, deux autres échelles sont
utilisables : l’échelle numérique (EN) et l’échelle verbale simple (EVS).
JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la
maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 42.
29
16
-
De nombreuses échelles d’hétéro-évaluation existent également, pour permettre d’évaluer la
douleur chez des patients qui ne sont plus en mesure de communiquer.
Ces différentes méthodes d’évaluation de la douleur sont importantes pour permettre un ajustement
permanent des traitements. Aussi, elles doivent être utilisées quotidiennement pour une prise en charge
optimale de la douleur.
Par ailleurs, comme j’ai pu le vivre, lorsque le patient apprend que les thérapeutiques ont échoué et qu’il
est en phase terminale de sa pathologie, il cherche à se protéger contre cette réalité douloureuse et
brutale : pour cela, il met en place inconsciemment des mécanismes de défense.
B.3. Principaux mécanismes de défense des patients
« Confrontée à un avenir incertain, la personne malade recourt à des mécanismes de défense qui sont autant de
façons de domestiquer l’angoisse et d’apprivoiser l’idée de séparation définitive à venir. Comme leur nom l’indique,
ces mécanismes de défense visent à protéger la personnalité du sujet. Ils assurent sa sécurité en la mettant à l’abri
de ce que la réalité lui impose »30. Les mécanismes de défense les plus couramment rencontrés chez les
patients en fin de vie sont les suivants :
o
o
o
o
o
o
o
o
L’annulation : les patients nient totalement la réalité : ils n’entendent ni ne perçoivent
l’essentiel.
La dénégation : le patient refuse que l’annonce faite par le médecin puisse avoir un
rapport avec lui-même.
L’isolation : le malade reconnaît la gravité de son état mais il s’attache à la décrire avec
détachement et précision, l’exposant sous forme d’un compte-rendu froid et insensible,
aussi distant et inexpressif que possible.
Le déplacement : certains patients déplacent leur souffrance sur une autre affliction liée
à leur propre maladie mais dont l’analogie paraît tantôt directe et transparente, tantôt
déguisée et « illisible ».
La maîtrise : le malade se sent moins vulnérable s’il pense comprendre l’événement et
en maîtriser le processus.
La rationalisation : le patient croit trouver une justification pour mieux appréhender sa
maladie en cherchant à en comprendre l’origine.
Les rites obsessionnels : grâce à cela, les personnes demeurent actrices à part
entière de leur propre devenir.
La régression : repli sur soi : certaines personnes ne peuvent faire face aux
nombreuses ruptures imposées par la maladie : rupture avec leur propre image, leur
30 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la
maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 56.
17
o
o
activité professionnelle, altération de leur statut de parent ou de conjoint, isolement dû à
l’hospitalisation, … Cette régression les conduit à adopter un comportement puéril et
infantile, engendrant une complète dépendance et une extrême passivité. Dans ce cas,
le médecin se retrouve investi du rôle de père omnipotent, l’infirmière assurant le rôle de
la bonne mère compréhensive, ce qui rassure le patient.
La projection agressive : certains patients se défendent sur un mode agressif et
revendicateur. Ils se protègent en déversant sur leur entourage bien portant du
ressentiment et de l’amertume.
La combativité / la sublimation : opération défensive plus positive mise en œuvre par
les malades pour générer une souffrance moindre sur l’entourage. Ce mécanisme de
défense permet au patient de donner un sens à sa maladie, et relègue l’angoisse au
second plan.
Dans la situation décrite, le mécanisme de défense mis en place par M. G. était la dénégation. En effet, à
plusieurs reprises, lorsque le médecin a évoqué avec lui l’évolution de sa pathologie malgré la mise en
place de quatre lignes31 de chimiothérapie, il lui a répondu qu’il ne voulait « pas mourir », que c’était
« beaucoup trop tôt ». L’énergie qu’il mettait dans le refus d’entendre ce que le médecin lui disait, à savoir
que sa pathologie échappait à tout traitement était une manière pour lui de se protéger quelque peu
contre l’angoisse qui l’habitait.
Par ailleurs, comme nous avons pu le voir dans les parties précédentes, les personnes en fin de vie sont
confrontées à des difficultés bien particulières. Pour cela, il est nécessaire pour elles de bénéficier d’une
prise en soins adaptée : le personnel soignant doit donc leur apporter un accompagnement spécifique.
B.4. Les spécificités de l’accompagnement des personnes en fin de vie
Selon l’HAS, « l’accompagnement en fin de vie ne se limite pas à l’approche spécifique de la phase terminale dès
lors qu’il concerne la continuité du cheminement de la personne dans sa maladie. Il relève donc également de la
démarche globale des soins de santé ainsi que de considérations collectives aux approches de la fin de la vie et de
la mort dans la société. C’est une démarche dynamique et participative qui justifie des dispositifs d’écoute, de
concertation, d’analyse, de négociation pour favoriser une évaluation constante et évolutive des options envisagées.
La qualité de l’accueil, de l’information, de la communication et des relations qui s’établissent contribue à
l’anticipation nécessaire des prises de décisions. La pertinence et l’efficacité d’un accompagnement relèvent de
l’élaboration d’un projet coordonné, explicite et transparent qui intègre la multiplicité des facteurs spécifiques à
chaque situation ».
En comparaison avec la définition générale de l’accompagnement qu’elle établit, l’HAS énonce un
accompagnement spécifique pour les personnes en fin de vie mettant en évidence la notion de
La chimiothérapie est dite de première ligne lorsqu’elle est administrée au patient en première intention : si elle ne
montre pas de signe d’efficacité, une seconde ligne de chimiothérapie lui est proposée. Il en est de même pour les
troisième et quatrième lignes, qui sont mises en place lorsqu’il y a eu échec respectivement de la deuxième et de la
troisième ligne.
31
18
cheminement du patient dans sa maladie. En effet, contrairement aux représentations que je pouvais en
avoir, l’accompagnement des personnes en fin de vie ne se limite pas à la prise en soins lors de la phase
terminale de la maladie, mais débute bien en amont, toujours dans la même approche pluridisciplinaire.
Cet accompagnement permet de mener des réflexions collectives pour éviter les situations dans
lesquelles l’équipe se retrouve démunie lorsque la pathologie évolue, que le patient n’est plus en mesure
de s’exprimer, et que la famille se retrouve bien souvent dans l’incapacité de prendre une décision
rapidement.
Marie DE HENNEZEL évoque quant à elle la notion d’accompagnement des personnes en fin de vie de la
manière suivante : « On a beau savoir que l’accompagnement des mourants est une affaire d’engagement et
d’amour, chaque engagement particulier nous porte au seuil d’une aventure, dans laquelle il faudra se risquer de tout
son être »32. Cette définition met en lumière la notion d’engagement de la part des soignants : par rapport à
la définition de l’HAS, elle les valorise en quelque sorte, en soulignant leur investissement physique et
psychique au quotidien pour permettre au patient de vivre ses derniers instants dans le respect de ses
volontés, de ses valeurs et de sa dignité.
Comme j’ai également pu le vivre dans cette situation et dans d’autres depuis, la prise en charge d’un
patient en fin de vie sur une longue période peut entraîner une souffrance importante chez les soignants :
assister à une lente altération chez un patient que l’on côtoie au quotidien peut les fragiliser. En effet, « La
fonction soignante ne peut s’exercer que dans la relation à l’autre, gravement malade et parfois mourant. La relation
entre le patient et le soignant détermine une relation de chacun face à l’autre que la psychanalyse désigne par le
terme de transfert. Le patient se trouve souvent dans un état de grande dépendance à l’égard du soignant, ce qui
influence la relation. Le soignant peut aussi trouver une valorisation dans sa relation avec le mourant. […] Le risque
d’usure professionnelle est d’autant plus grand que la relation soignant/soigné comporte cette part d’affectivité33 ». A
travers cette partie, nous allons étudier les répercussions émotionnelles chez le soignant de la prise en
soins de personnes en fin de vie.
C. Les émotions des soignants
C.1. Les sentiments des soignants face à des personnes en fin de vie34
Lorsque les soignants sont amenés au quotidien à prendre en soins des patients en fin de vie, ils peuvent
ressentir différents sentiments, dont les principaux seront développés ci-après.
32 DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François
MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. p 141.
33 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 52-53.
34 Ibid. p 66-67.
19
C.1.a. Le sentiment d’impuissance
Le fait que les soins palliatifs, même de qualité, n’aboutissent pas à la guérison, mais au contraire à
l’aggravation et à la mort expose tout particulièrement à un ressenti d’impuissance chez le soignant. En
effet, certains d’entre eux considèrent qu’ils ont échoué dans leur prise en soins lorsqu’ils sont confrontés
au quotidien à la dégradation physique extrême de certains patients. Même s’ils se sont investis
pleinement dans l’accompagnement des mourants, l’évolution de la pathologie est inéluctable et induit un
sentiment de culpabilité chez certains soignants. De plus, la complexité des histoires personnelles et
familiales renvoie souvent à l’incapacité de donner du sens aux situations et aux événements.
C.1.b. L’excès d’engagement
L’excès d’engagement peut être en lien avec la distance relationnelle mal ajustée avec perte des repères
(soi, les autres, le travail, la vie personnelle, …). On pourrait le définir comme un déséquilibre entre le
temps consacré au processus d’attachement et le temps consacré au processus de séparation. Certains
professionnels ont de ce fait le sentiment d’être en quelque sorte exclus de la relation soignant/soigné car
la famille du patient fait bloc autour de lui. Cela peut entraîner une frustration chez les soignants qui ont
alors le sentiment de ne plus avoir leur place auprès de la personne en fin de vie.
C.1.c. L’excès de doute
« Un idéal professionnel fort et une éthique rigoureuse peuvent se manifester par des exigences exposant le
soignant à l’insatisfaction par rapport à ses actions propres, mais aussi par rapport à celles de l’équipe. Le sentiment
de ne pas « réussir » les soins et l’accompagnement, la peur de « faire mal », de consacrer trop de temps à l’un au
détriment des autres, d’avoir trop sédaté ou pas assez calmé, d’avoir fait mourir ou d’avoir prolongé la vie, le souci
de maintenir la conscience jusqu’au bout et de respecter le désir du patient, sont liés à une nécessaire remise en
question mais peuvent se transformer en scrupules minant la confiance en soi »35.
C.1.d. La surcharge de travail
Dans les structures « non reconnues » qui n’ont pas de moyens propres (tels que prévus par les normes
de la SFAP) ni une capacité d’accueil déterminée, les soignants peuvent se retrouver en difficulté car ils
souhaitent accompagner au mieux leurs patients jusqu’au bout, mais ont le sentiment de ne pas avoir les
moyens de le faire. Cela peut également s’observer dans les services de gériatrie ou dans les structures
dans lesquelles des lits ont été identifiés « soins palliatifs » sans projet d’équipe bien défini au préalable.
35 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 67.
20
Tous ces sentiments éprouvés au quotidien par certains soignants peuvent avoir chez eux des
répercussions non négligeables.
C.2. Les répercussions de la prise en soins d’une personne en fin de
vie chez le soignant
Selon Marie DE HENNEZEL : « L’accompagnement est une affaire d’engagement et d’amour. Une affaire avant
tout humaine. On ne peut se retrancher derrière sa blouse de professionnel, qu’on soit médecin, infirmière ou
psychologue. Il n’en demeure pas moins que cela pose la question des limites. Et il importe que chacun ait
conscience des siennes. On s’épuise moins, je crois, à s’engager à fond, si l’on sait par ailleurs se ressourcer, qu’à
se protéger derrière une attitude défensive. Je l’ai souvent observé, les soignants qui se défendent le plus sont ceux
qui se plaignent le plus d’être épuisés. Ceux qui se donnent, au contraire, semblent en même temps se ressourcer.
Je me souviens d’une phrase de Lou Andreas Salomé, une des premières femmes à avoir pratiqué la psychanalyse
dans le sillage de Freud : « C’est en se donnant qu’on s’obtient complètement ». 36 Cette citation met en lumière
la notion d’engagement des soignants auprès des personnes en fin de vie. Par ailleurs, comme le précise
Marie DE HENNEZEL, la question des limites a toute son importance : il est en effet primordial que les
soignants trouvent un état d’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée, en préservant des
moments pour se ressourcer. Cela leur permet en effet de limiter les risques de se retrouver en situation
de grande souffrance au travail.
« La question de la souffrance des soignants a été abordée pour la première fois par H. J. FREUDENBERGER en
1974 : le psychanalyste américain choisit d’utiliser le terme « burn-out » qui signifie s’user, s’épuiser, brûler jusqu’au
bout pour parler de l’état de détresse particulier qu’il observe chez certains soignants. A la suite de cela, C.
MASLACH définit le « burn-out » comme « un syndrome d’épuisement physique et émotionnel qui conduit au
développement d’une image de soi inadéquate, d’attitudes négatives au travail avec perte d’intérêt et de sentiment
pour les patients » 37 . Cette problématique s’articule autour de trois éléments :
L’épuisement physique et/ou professionnel : il est généré essentiellement par une demande de soutien
psychologique excessive de la part des patients.
La dépersonnalisation : elle se traduit par une modification de l’attitude du professionnel à l’égard du
malade. Au fil du temps, ce dernier se trouve davantage perçu comme un objet, un numéro de chambre ou
encore un organe qu’on soigne. La relation tend à se déshumaniser.
-
Le manque d’accomplissement professionnel : le soignant a la sensation de ne plus savoir aider les autres.
Il doute de lui »38.
« Enfin, il apparaît que l’extrême détérioration physique des patients (engendrée par exemple par la progression d’un
cancer facial), la difficulté à faire face à la détresse émotionnelle des patients et de leur entourage, la fréquence des
DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François
MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. p 170.
37 C. MASLACH, S.E. JACKSON, “Burn-out in health professions. A social psychological analysis”, in Social
Psychology of Health and Illness, London, Laurence Erlbaum Associates, 1982.
38 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la
maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 149-151.
36
21
décès survenant dans un contexte où la mort est perçue comme un échec, le contrôle insuffisant des symptômes
des malades favorisent l’épuisement des soignants dont la formation initiale reste centrée sur la guérison de la
maladie et prépare peu aux aspects relationnels des soins »39. Cela montre bien que, même si l’investissement
professionnel est primordial pour travailler dans des services de soins palliatifs, il n’en demeure pas moins
que les soignants doivent être conscients de leurs limites afin de se préserver d’un éventuel burn-out.
Par ailleurs, comme j’ai pu le vivre, savoir qu’un patient est en fin de vie a des conséquences sur la
communication entre le patient et le soignant. En effet, le fait que les traitements aient échoué peut se
révéler difficile à vivre pour le soignant. Pour se protéger contre cette réalité brutale et douloureuse, les
professionnels mettent en place inconsciemment des mécanismes de défense.
C.3. Mécanismes de défense des soignants
Les mécanismes de défense les plus couramment rencontrés chez les soignants sont les suivants :
o
o
o
o
o
o
o
o
Le mensonge / Le pare-excitation : il consiste à donner sciemment de fausses
informations sur la nature ou la gravité de la maladie pour travestir la vérité. C’est le
mécanisme le plus radical et le plus dommageable à l’équilibre psychique du malade.
Mais le moment venu, l’impact trop violent de la vérité trouvera le patient démuni de tour
mécanisme de défense susceptible de le protéger.
La banalisation : cela revient à traiter la maladie avant de traiter un malade. Le
soignant n’est axé que sur les besoins vitaux du patient, pas sur le patient dans sa
globalité.
L’esquive : les soignants ne sont pas dans le registre du mensonge, mais seront en
permanence hors sujet, hors de la réalité environnante. Ils dévieront systématiquement
la conversation, et n’apporteront jamais au patient les réponses appropriées à leurs
questions.
La fausse réassurance : le soignant va optimiser les résultats et entretenir chez le
patient une sorte d’espoir, simulé et artificiel, alors même que le malade n’y croit plus.
La rationalisation : le soignant ne donne pas au malade de données compréhensibles
sur la nature de sa maladie, il s’exprime en termes techniques.
L’évitement : le soignant regarde le dossier du patient et non la personne qu’il a en face
de lui : il nie la présence effective du patient et le réduit à un dossier, à un cas à traiter.
La dérision : comportement de fuite et d’évitement.
La fuite en avant : le soignant révèle tout, tout de suite, sur l’état du patient, comme
pour s’alléger d’un fardeau, s’affranchir de ses angoisses et se délivrer de tout son
savoir.
39 P. GRAY-TOFT, J.G. ANDERSON, « Stress among hospital nursing staff : its causes and effects » Social Science
and Medecine, 15, 1981, pp. 639-647
22
o
L’identification projective : par ce mécanisme, le soignant se substitue au malade et
transfère sur lui certains aspects de sa personnalité.
« Prendre conscience de ses défenses induit parfois le soignant à vivre cette situation comme une menace
susceptible de l’affaiblir, de le déstabiliser et de le mettre à nu face à son patient. Or reconnaître et accepter de se
protéger engendre paradoxalement un assouplissement de l’intensité même de certains mécanismes : en avoir
conscience, c’est tenter de parvenir à une relation dépouillée de ce mur d’incompréhension qu’érige l’inconsciente
prédilection pour des subterfuges et pour la fuite face à toute réalité porteuse de souffrance et d’angoisse ; c’est
aussi admettre de cheminer avec ses forces et ses failles ; c’est accepter l’angoisse comme vecteur de cette
aventure d’une relation à deux, particulière, singulière et inégale aussi, dans laquelle le soignant, fort d’une
prééminence sur l’autre, ressent confusément que le malade ne peut ou ne veut parfois partager ce savoir ; c’est
néanmoins en s’ouvrant sur soi-même que l’on s’ouvre à l’autre et que l’on parvient à atteindre sa souffrance. Car
identifier ses défenses, c’est aussi se révéler plus apte à reconnaître celles du patient qui va, à son tour et à son
insu, instaurer des contre-tensions pour se prémunir contre sa propre angoisse »40. Cette citation montre bien
l’importance pour les soignants de connaître les mécanismes de défense qu’ils mettent en jeu, et ceci afin
de pouvoir être à l’écoute du patient et de déceler les mécanismes défensifs de ce dernier. Cela leur
permettra de maintenir une relation soignant-soigné de qualité.
Ce qui est particulièrement frappant et intéressant dans la situation décrite, est la différence de réaction
des deux infirmières. En effet, la première prend la main du patient et tente de le rassurer, tout en
n’occultant pas la gravité de son état de santé : elle semble arriver à prendre suffisamment de recul et à
mettre en place l’écoute active de M. G. La seconde, quant à elle met en place de manière inconsciente la
rationalisation en expliquant au patient les valeurs minimales et maximales entre lesquelles ses
constantes devaient se situer. Même si le patient n’était à ce moment-là pas en mesure d’intégrer ces
données, cela a permis à l’infirmière de lui parler, et d’apaiser un peu l’angoisse que la situation de M. G.
faisait naître chez elle. Cela montre bien que la prise en soins des patients en fin de vie ne laisse pas les
soignants indifférents ; il semble que dans cette situation, l’une des deux infirmières avait plus
d’expérience de ce type de situation et qu’elle a su prendre du recul, tout en essayant de répondre à
l’angoisse du patient.
En outre, comme j’ai pu le constater lors de mes différents stages, la prise en soins de personnes en fin
de vie peut avoir des répercussions non négligeables pour les soignants. Pour y remédier, différents
moyens peuvent être mis en place.
RUSZNIEWSKI, Martine. Face à la maladie grave - Patients, familles, soignants – Préface de Robert ZITTOUN.
Edition Dunod, octobre 1995. p 33.
40
23
C.4. Les moyens mis en œuvre pour remédier à la souffrance des
soignants
C.4.a. Formation
La formation est le moyen indispensable et même obligatoire pour permettre aux soignants de maintenir
et d’améliorer leurs compétences. En effet, selon l’article R 4311-10 du Code de la Santé Publique relatifs
aux règles professionnelles des infirmiers et des infirmières : « Pour garantir la qualité des soins qu’il dispense
et la sécurité du patient, l’infirmier ou l’infirmière a le devoir d’actualiser et de perfectionner ses connaissances
professionnelles ». En ce qui concerne la formation initiale dispensée dans les IFSI, le référentiel de 2009
accorde une place importante aux soins palliatifs, à travers l’Unité d’Enseignement 4.7 qui leur est
consacrée. Par ailleurs, plusieurs formations complémentaires existent sous forme de Diplômes Inter
Universitaires de Soins Palliatifs (DIUSP) : ils s’obtiennent au terme de deux années d’enseignement
alliant les cours théoriques et les stages. Ils sont proposés pour un large public, à savoir : les résidents et
internes de spécialités ayant validé quatre semestres, les docteurs en médecine et en pharmacie, les
professionnels des secteurs sanitaire, social et éducatif (infirmiers, psychologue, ergothérapeute,
psychomotricien, éducateur spécialisé, ...) ayant au moins deux ans d’exercice professionnel, ainsi qu’aux
aides soignantes. Le large panel de professionnels auquel est accessible ce type de diplôme montre bien
la démarche de développement des soins palliatifs et met une fois de plus l’accent sur la notion de prise
en charge pluridisciplinaire.
C.4.b. Groupes de parole
Les groupes de parole s’organisent suite à une demande émanant de l’institution, du médecin chef, du
cadre infirmier, mais ils doivent se mettre en place à partir d’un besoin énoncé par l’ensemble de l’équipe.
L’animateur possède un diplôme universitaire validant des compétences en psychologie lui permettant la
maîtrise d’outils facilitant la compréhension, l’écoute et l’observation indispensables pour décoder la
parole. Le but de ce temps d’échange - qui doit être au préalable bien défini dans son fonctionnement, à
savoir : un lieu fixe, des rencontres envisagées sur temps de travail, la fréquence et la durée des séances,
… - est de permettre aux différents membres de l’équipe d’exposer leurs difficultés vis-à-vis d’une
situation lourde à gérer. L’expression et la compréhension des émotions permettent de mieux cerner les
mécanismes de défense qui entrent en jeu dans la situation présentée. Le décodage des réactions et des
comportements qui en découlent atténue la souffrance et améliore la relation avec la personne soignée.
Du fait de sa définition comme un espace d’échanges, de réflexion, il peut également éviter l’isolement
des soignants qui accompagnent des patients en fin de vie. Il apporte enfin une amélioration de la qualité
de vie sur le lieu de travail, un nouvel éclairage sur les soins apportés au patient et facilite la
communication entre les participants.
Il existe donc des moyens personnels et institutionnels pour permettre aux soignants d’éviter de se
retrouver dans des situations de grande souffrance.
24
D. Synthèse du cadre conceptuel
Le cadre conceptuel m’a permis de développer un certain nombre de concepts qui apportent de manière
théorique des éléments illustrant ma situation de départ.
Il m’a paru essentiel de travailler sur les soins palliatifs en en donnant la définition, puis en précisant les
dates clés de leur mise en place et de leur évolution, et enfin de préciser les principaux textes qui les
régissent.
L’accompagnement des patients, et plus spécifiquement des patients en fin de vie au regard des
problématiques qu’ils rencontrent spécifiquement m’a permis de développer les sentiments des soignants
qui découlent de la prise en soins de ces patients en fin de vie.
Il était important d’étudier ce qu’ils peuvent ressentir, les mécanismes de défense qu’ils peuvent mettre en
œuvre, ainsi que les moyens qui peuvent être mis en place pour remédier à leur souffrance éventuelle.
L’ensemble de ces recherches m’a apporté de nombreuses connaissances qui me seront utiles quel que
soit le service dans lequel je travaillerai par la suite, car les situations de prise en soins de patients en fin
de vie sont fréquentes dans de nombreux services. Ce travail m’a également permis de préciser quelque
peu ma question de départ pour l’axer plus spécifiquement la prise en soins de patients en phase
terminale des soins palliatifs et l’impact sur les soignants.
En effet, à l’issue de mon analyse théorique, le terme de « fin de vie » me paraît moins approprié que
celui de « phase terminale des soins palliatifs », précisée par le schéma de KRAKOWSKI en page 6, c’est
pourquoi j’ai choisi de préciser ma question de départ de la sorte.
Dans la partie suivante, nous allons nous attacher à analyser ce qu’il en est réellement dans les services
par le biais du recueil de témoignages de soignants.
25
III.
Entretiens
Afin d’étayer mes hypothèses émises au début du mémoire, j’ai réalisé une enquête de terrain dans le but
de recueillir des données auprès de trois professionnels confrontés quotidiennement à la prise en soins de
patients en fin de vie. Pour cela, j’ai choisi de mener des entretiens semi-directifs basés sur un guide
d’entretien réalisé au préalable et joint en annexe : ce dernier se compose de 8 questions, les deux
premières ayant pour objectif de présenter les professionnels, et les autres permettant d’obtenir leur point
de vue sur les impacts de la prise en soins de patients en fin de vie sur les soignants. Pour finaliser la
mise au point de mon guide d’entretien, j’ai réalisé au préalable un entretien exploratoire auprès d’une
infirmière : ce dernier, que je n’ai pas retranscrit car il constituait un outil de travail, m’a permis d’améliorer
certaines questions, et de voir les moments où des relances étaient nécessaires.
Afin de faire un travail suffisamment représentatif, j’ai choisi de rencontrer un panel varié de
professionnels, composé d’une infirmière exerçant dans une unité spécialisée dans les soins palliatifs,
d’une seconde exerçant dans un service de médecine (pneumologie), dans lequel les situations de
patients en fin de vie sont courantes avec les LISP (Lits Identifiés Soins Palliatifs) et d’un troisième
travaillant dans un centre de soins.
A. Analyse des entretiens
Question 1 : Quel âge avez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous diplômé€ ?
L’objectif de ma question était de pouvoir évaluer si l’ancienneté et l’expérience facilitaient la prise en
soins des personnes en fin de vie.
Le panel de professionnels rencontrés était assez éclectique :
- L’infirmière A, 58 ans, est diplômée depuis 1979 et possède une riche expérience (urgences,
médecine, chirurgie, pédiatrie, pneumologie, oncologie, cardiologie, néphrologie) ; elle a
également obtenu un Diplôme Universitaire de Soins Palliatifs.
- L’infirmière B, 30 ans, est diplômée depuis 2008, et possède une expérience professionnelle
dans différents services (pool) ainsi qu’en long séjour. Elle a suivi une formation spécifique sur
les soins palliatifs, et envisage de passer un Diplôme Universitaire de Soins Palliatifs.
- L’infirmier C, 25 ans, est diplômé depuis 2014, et travaille en centre de soins depuis sa sortie
d’école : il n’a à ce jour, pas de formation spécifique sur les soins palliatifs.
J’ai volontairement choisi d’interroger des professionnels d’âge et d’horizon différents pour pouvoir mettre
en lumière des convergences ou des divergences éventuelles de leurs points de vue concernant la prise
en soins de patients en fin de vie, à laquelle ils ont chacun été confrontés. De plus, le fait d’avoir interrogé
deux femmes et un homme me permettra de voir s’il existe une différence dans leurs ressentis ou la
manière de gérer des situations difficiles. Les réponses apportées à cette question me seront utiles pour
analyser les dires des professionnels sur les questions suivantes.
26
Question 2 : Depuis combien de temps exercez-vous dans ce service ? Etait-ce un choix de votre part d’y
exercer ?
Cette question avait pour but d’évaluer si le fait d’être volontaire pour travailler dans un service avait un
effet « facilitateur » sur la prise en soins des patients en fin de vie.
- L’infirmière A a choisi de travailler en USP et étant donné qu’elle possède un DU de soins
palliatifs, elle était un atout pour l’hôpital car il est obligatoire d’avoir dans le personnel soignant
au moins une infirmière possédant ce diplôme.
- L’infirmière B a choisi de travailler en pneumologie.
- L’infirmier C a également choisi de travailler à domicile.
Au travers des réponses des différents professionnels, il s’avère que chacun d’entre eux a choisi le poste
dans lequel il est aujourd’hui. Bien qu’ils ne soient pas tous quotidiennement confrontés à des situations
de fin de vie, il est important de préciser que, en plus de ses valeurs propres, l’intérêt du soignant pour
son travail est primordial car cela constitue la base de la relation de confiance qui va le lier avec le patient.
Les réponses que les professionnels ont apportées aux questions suivantes nous indiqueront si cela est
facilitateur dans leur travail auprès de patients en fin de vie.
Question 3 : Que saviez-vous des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des
différences entre vos représentations initiales et celles que vous avez aujourd’hui ?
A travers cette question, je souhaitais avoir une idée des connaissances des soignants sur les soins
palliatifs avant qu’ils n’intègrent le service dans lequel ils sont aujourd’hui, et des évolutions que la réalité
du terrain a pu amener.
- L’infirmière A dit être passée par beaucoup d’étapes dans sa carrière : elle a exercé dans des
services de médecine dans lesquels elle a été amenée à poser des cocktails lytiques, ce qui l’a
beaucoup affectée. Elle est par la suite partie travailler en EHPAD car elle pensait que la fin de
vie y était plus « logique », mais a réalisé que ce n’était pas le cas. Elle a donc entrepris un DU
en soins palliatifs pour acquérir des outils, mettre des mots sur des sensations, de l’inconfort
qu’elle éprouvait lorsqu’elle faisait face à des situations de fin de vie. Elle précise également que
l’évolution en âge lui a permis de ne plus être uniquement dans l’action, mais de se poser des
questions sur les bienfaits de sa pratique professionnelle.
- L’infirmière B connaissait des soins palliatifs uniquement ce qu’elle avait appris à l’IFSI : elle avait
tendance à assimiler soins palliatifs et fin de vie. Elle a beaucoup évolué par rapport à cette
notion, et par rapport au fait que les accompagnements en soins palliatifs peuvent se faire sur du
long terme.
- L’infirmier C connaissait également uniquement les apports théoriques de l’IFSI, et ce qu’il avait
pu apprendre lors de ses stages. Ses représentations ont changé depuis qu’il a commencé à
travailler dans la mesure où, lorsqu’il était en stage, il avait tendance à « se cacher » derrière les
infirmières car il ne se sentait pas prêt à affronter ces situations à 22 ans. Lorsqu’il est devenu
27
professionnel et qu’il a été confronté à des personnes en fin de vie, il dit s’être beaucoup plus
centré sur le patient, et avoir fait abstraction de la maladie pour effectuer les soins, ce qui a été
difficile pour lui.
A travers cette question, je me suis aperçue des grandes disparités existant dans les représentations
initiales des soins palliatifs évoquées par les différents professionnels. En effet, les infirmiers B et C, plus
récemment diplômés que l’infirmière A, n’avaient que des connaissances très théoriques des soins
palliatifs avant de débuter dans les services dans lesquels ils travaillent actuellement. Ils m’ont précisé
qu’ils avaient tendance à assimiler soins palliatifs et fin de vie. Ils se sont rapidement rendu compte, que
ces deux notions étaient différentes, et l’infirmier C précise même qu’il a ressenti un choc lorsqu’il s’est
rendu compte que ses représentations initiales étaient erronées. Par ailleurs, il soulève un point important,
celui de son jeune âge : en effet, selon lui, lorsqu’il a commencé à travailler à 23 ans, il ne se sentait pas
forcément prêt à affronter des situations de fin de vie : il parle d’un manque de maturité qui a rendu
difficiles ses premières prises en soins de patients en fin de vie en tant que professionnel. De son côté,
l’infirmière A avait, du fait de ses nombreuses expériences dans différents services, une vision plus
précise des soins palliatifs, terme qu’elle trouve réducteur de n’associer qu’à une seule unité car elle
estime qu’ils sont faits dans tous les services. Par ailleurs, elle indique avoir beaucoup évolué au fil de sa
carrière : son avancée en âge l’a conduite à se poser les questions du bienfait de ses pratiques,
notamment suite aux difficultés qu’elle a éprouvées lorsqu’elle a posé des cocktails lytiques. Les réponses
obtenues à cette question montrent bien que l’expérience professionnelle est un atout majeur pour
l’infirmière A, car cela lui permet d’avoir beaucoup de recul sur les différentes pratiques, et on peut
constater qu’elle est dans un perpétuel questionnement, auquel son cursus universitaire qui lui a permis
d’obtenir son DU a pu lui apporter quelques pistes de réflexion.
Ces réponses ont pu me permettre de valider ma première hypothèse concernant le fait que la société
évolue dans son approche de la mort en permettant aux personnes en fin de vie de bénéficier de soins
palliatifs, que ce soit en institution ou à domicile.
Question 4 : Avant d’entrer dans ce service, comment auriez-vous défini la prise en soins et
l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que
vous aviez initialement et la réalité des services ? Si oui, cela vous affecte-t-il ?
L’objectif de cette question était d’évaluer s’il existait une différence entre les représentations initiales des
soignants sur l’accompagnement des personnes en fin de vie et ce qu’ils vivent au quotidien, et s’ils
étaient affectés lorsque leurs représentations n’étaient pas en adéquation avec leurs pratiques.
- L’infirmière A trouve qu’en soins palliatifs, le patient est au cœur de la prise en charge, et non la
pathologie comme c’est le cas dans certains services. Elle estime également qu’on ne vient pas
travailler en soins palliatifs par hasard, et pour elle, son évolution en âge et sa vie personnelle
ont joué sur son parcours professionnel. Elle précise par ailleurs que les patients sont plus
informés des nouvelles lois (loi Léonetti par exemple, avec notamment les notions de personne
de confiance et de directives anticipées).
28
-
-
L’infirmière B revient sur le fait qu’avant d’entrer dans le service, elle pensait que les soins
palliatifs correspondaient à une prise en charge courte et à un arrêt des traitements chez des
patients en fin de vie.
L’infirmier C revient également sur le fait qu’avant de commencer à travailler, il assimilait soins
palliatifs et fin de vie. Il précise qu’il a eu du mal à reconnaître que ses représentations initiales
étaient différentes de la réalité du terrain, et a ressenti une sorte de choc à ce moment-là.
Lorsque j’ai formulé cette question, je m’attendais à avoir des réponses concernant les spécificités de
l’accompagnement des patients en fin de vie, à savoir, comme le précise l’HAS, la notion de cheminement
de la personne dans sa maladie, la notion de prise de décision en équipe pluridisciplinaire, ou encore de
réévaluation et de réadaptation constantes des choix envisagés. Les infirmiers B et C sont revenus sur
leurs représentations initiales des soins palliatifs. L’infirmière A a, quant à elle, soulevé des points
importants en précisant que les patients étaient aujourd’hui mieux informés en ce qui concerne les lois
relatives à la fin de vie (loi Léonetti par exemple). Ces réponses montrent bien à nouveau que l’expérience
professionnelle joue un rôle important car elle permet à l’infirmière A d’avoir une vision d’ensemble de la
fin de vie.
Question 5 : Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des
symptômes de souffrance globale ?
A travers cette question, je souhaitais évaluer si l’accompagnement des personnes en fin de vie était
spécifique.
- L’infirmière A estime que la souffrance physique et la souffrance psychique sont souvent bien
traitées. Pour la souffrance globale, tout est fait pour trouver un juste équilibre entre les
morphiniques et le Midazolam® pour que le patient soit au mieux soulagé. En USP, ils utilisent
également d’autres thérapies telles que les huiles essentielles, le toucher bien-être ou la
musicothérapie pour apaiser le patient. Elle explique également que l’écoute du patient est au
cœur de la prise en charge, et qu’elle se sent sereine de ce point de vue-là.
- L’infirmière B explique que les patients qui le nécessitent sont « étiquetés » soins palliatifs et
bénéficient de chambres seules ; des facilités sont également proposées aux familles (horaires
de visites élargis, lits accompagnants, …). L’équipe est beaucoup dans l’écoute, dans la
présence, et intègre la famille dans la prise en charge en l’encourageant par exemple à apporter
au patient de la nourriture plaisir. Par ailleurs, l’équipe travaille en réseau avec la psychologue du
service et lorsqu’elle est en difficulté par rapport à une situation, elle peut faire appel à l’équipe
mobile de soins palliatifs.
- L’infirmier C précise que les patients en fin de vie sont accompagnés au niveau de la douleur
physique : plusieurs passages infirmiers peuvent être mis en place pour l’administration des
traitements et l’évaluation de leur efficacité. Par ailleurs, l’équipe peut orienter les patients vers
des psychologues s’ils en font la demande. Il souligne également l’importance de l’écoute, de la
présence du personnel infirmier qui peut être amené à faire des astreintes pour être joignable par
les patients en dehors des heures d’ouverture du centre.
29
A cette question, chacun des trois professionnels a répondu que leur prise en charge consistait au
soulagement de la douleur par des traitements, de type morphiniques, et qu’en général, ils arrivaient à
traiter ce symptôme. En ce qui concerne la souffrance psychique, l’infirmière A a évoqué l’administration
de Midazolam®, et indiqué que l’écoute du patient était au cœur de la prise en charge. Les infirmiers B et
C ont quant à eux précisé que l’écoute et la présence étaient primordiales, et ont spécifié qu’ils orientaient
facilement les patients demandeurs vers des psychologues. En ce qui concerne la souffrance globale,
l’infirmière A a précisé qu’elle pouvait être traitée par l’administration de médicaments, mais que leur
service accordait également une grande place à d’autres thérapies telles que l’utilisation d’huiles
essentielles ou encore la musicothérapie. L’infirmière B a évoqué que dans son service, les patients en fin
de vie bénéficiaient de chambres seules, que leur famille était intégrée au projet de soins, et qu’ils
proposaient aux patients des soins de confort, des massages, et qu’ils favorisaient au maximum le bienêtre du patient. Elle précise également que, lorsque l’équipe a des difficultés concernant la prise en soins
d’un patient présentant des symptômes de souffrance globale, elle peut demander l’appui de l’équipe
mobile de soins palliatifs. A travers ces réponses, nous pouvons voir que l’ensemble des professionnels
accorde une grande importance aux symptômes physiques et psychiques de la souffrance globale. De
plus, il semble que la prise en soins en structure hospitalière permette aux soignants de bénéficier de plus
de ressources (telles que l’équipe mobile de soins palliatifs, un psychologue dans le service ou encore la
musicothérapeute) qu’à domicile, bien que les soins apportés y soient parfaitement adaptés aux patients.
Par ailleurs, aucun de mes interlocuteurs n’a évoqué les dimensions sociales et spirituelles de la
souffrance globale. Même si je suis persuadée que l’aspect social est pris en compte quelles que soient
les structures d’accueil ou à domicile par le biais des assistantes sociales par exemple, l’aspect spirituel
semble quelque peu mis de côté. Bien qu’aucun des soignants ne l’ait évoqué, au vu de ce que j’ai pu
percevoir au cours de mes stages, il me semble que, mis à part le fait que certains patients fassent des
demandes particulières en fonction de leurs croyances, ce thème n’est que peu abordé par les soignants.
Les réponses apportées par les différents professionnels me permettent de vérifier ma deuxième
hypothèse, qui portait sur le fait que les patients en fin de vie ont besoin d’un accompagnement
spécifique apporté par les soins palliatifs.
Question 6 : Quels sentiments éprouvez-vous le plus souvent lorsque vous prenez en soins des
personnes en fin de vie ? Est-ce différent de ce que vous pouvez ressentir face à des patients pour
lesquels des soins curatifs sont encore possibles ?
L’objectif de cette question était d’identifier les émotions ou sentiments prédominants des soignants dans
l’accompagnement des personnes en fin de vie.
- L’infirmière A dit ne pas penser au fait que les patients sont en fin de vie : pour elle, si ce sont
des patients comme les autres, elle n’occulte cependant pas le fait qu’ils ont une pathologie
incurable. Elle sait que leur quantité de vie est limitée, mais essaie de faire en sorte que la
qualité soit la meilleure possible.
- L’infirmière B pense ne pas faire de différence entre les patients hospitalisés en LISP et ceux en
hospitalisation classique. Néanmoins, elle explique que selon les cas, la relation avec les
30
-
patients en soins palliatifs est différente car ils sont suivis sur une longue période, et que leur
famille est beaucoup plus intégrée dans le projet de soins. Par ailleurs, elle éprouve souvent un
sentiment de frustration lorsque la charge en soins est importante dans le service, et qu’elle n’a
pas pu apporter aux patients le temps qu’elle aurait souhaité. Elle a également parfois le
sentiment de ne pas avoir pu aller au bout de ce c’elle aurait aimé faire pour les patients.
L’infirmier C, quant à lui, ressent plus d’empathie pour les patients qui sont en fin de vie. Il lui est
également arrivé d’éprouver de la tristesse, ou d’avoir eu une boule au ventre avant d’aller chez
une patiente en fin de vie.
Lors de la rédaction de mon cadre théorique, je me suis attachée à définir les sentiments que je pensais
prédominants chez les soignants travaillant au contact de patients en fin de vie, à savoir : le sentiment
d’impuissance, l’excès d’engagement, l’excès de doute, ou encore la surcharge de travail. Les entretiens
que j’ai réalisés m’ont donné une vision toute autre : en effet, l’infirmière A dit ne pas penser au fait que
les patients soient en fin de vie, donc ne pas ressentir plus d’émotions que lorsqu’elle soignait des
patients pour lesquels des traitements curatifs étaient encore possibles. L’infirmière B et l’infirmier C
précisent qu’ils ont tout de même une relation différente avec les patients en fin de vie, du fait du temps
passé à leurs côtés. Cela se traduit par des sentiments peut-être plus marqués d’empathie ou de tristesse
pour l’infirmier C et de frustration pour l’infirmière B lorsqu’elle estime qu’elle n’a pas eu les moyens
d’apporter au patient toute l’attention qu’elle aurait souhaité. Outre la notion de surcharge de travail
évoquée par l’infirmière B, les sentiments éprouvés par les professionnels sont assez différents de ceux
que je m’étais imaginés au départ. On peut également supposer que l’âge et l’expérience peuvent
permettre aux professionnels de prendre un peu plus de recul face à la prise en soins de patients en fin de
vie, et que les émotions et sentiments éprouvés sont moins forts que chez les infirmiers plus récemment
diplômés. En effet, l’infirmier C précise qu’il a été obligé de se centrer beaucoup plus sur les personnes et
de faire en quelque sorte abstraction de la maladie de ses patients en fin de vie, pour parvenir à les
prendre en soins en tant que jeune professionnel.
Question 7 : Vous arrive-t-il de vous retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela
vous affecte-t-il au quotidien ?
A travers cette question, je souhaitais identifier les mécanismes de défense mis en place par les
soignants, et les éléments facilitateurs à la prise en soins des patients en fin de vie (moyens matériels,
humains, personnels ou institutionnels).
- L’infirmière A explique qu’elle a quitté un service de médecine car elle n’était plus en phase avec
elle-même. En effet, elle n’était pas satisfaite des accompagnements qu’elle a pu y faire car
selon elle, ces situations correspondaient à de l’acharnement thérapeutique par le biais de la
mise en place de perfusions ou d’alimentation. Elle explique également qu’au départ, elle pensait
que le plus difficile pour elle serait de prendre en soins des patients jeunes ; au final, elle s’est
rendue compte que ce qui la mettait en difficulté était la prise en charge de femmes du même
31
-
-
âge qu’elle. Elle a effectivement été marquée par une situation car elle a eu un effet miroir avec
une patiente qui avait son âge.
L’infirmière B précise qu’elle a vécu des situations difficiles dans la mesure où elle a suivi
certains patients sur plusieurs mois, voire plusieurs années, et qu’elle avait noué une relation
plus forte avec eux. Elle évoque également des difficultés dans la prise en charge de patients
jeunes car elle a tendance à s’identifier à eux.
L’infirmier C quant à lui exprime des difficultés face à des situations dans lesquelles il avait noué
avec les patients une relation forte. Il précise également que son jeune âge a été un handicap
dans la gestion de certaines situations car il estime « ne rien connaître de la vie ». Par ailleurs, il
lui est arrivé de faire une projection ou de s’identifier avec les enfants ou les petits-enfants de
patients.
Les soignants m’ont tous indiqué qu’ils s’étaient, à un moment donné, retrouvés en difficulté par rapport à
une situation particulière : de ce point de vue, ni l’âge, ni l’ancienneté dans le service ne constituent un
élément facilitateur. Pour faire face à ces situations particulièrement éprouvantes, le mécanisme de
défense qu’ils semblent tous avoir mis en place est l’identification projective. Lors de la rédaction de mon
guide d’entretien, je m’attendais à des réponses plus éclectiques au vu de ce que j’ai pu vivre dans les
services lors de mes différents stages et des différentes recherches effectuées pour élaborer mon cadre
conceptuel, dans lequel j’avais répertorié les neuf mécanismes de défenses qui me semblaient les plus
représentatifs. Néanmoins, ce qui me semble important dans les réponses apportées, est que chacun
d’entre eux a identifié son principal mécanisme de défense, ce qui est primordial chez le soignant car cela
va lui permettre de reconnaître ceux du patient, et ainsi, l’aider à apaiser ses angoisses. C’est en effet ce
que précise Martine RUSZNIEWSKI : « C’est leur permettre aussi – en les aidant à reconnaître et à décoder les
opérations défensives du malade – d’identifier leurs propres mécanismes de défense pour les admettre en tant que
réponses légitimes à leurs appréhensions et à leurs blessures, tout en acceptant de se défendre de l’angoisse sans
l’alourdir de l’angoisse à devoir se défendre41 ». L’unanimité des réponses apportées en faveur de
l’identification projective montre bien que, homme ou femme, quels que soient leur âge et leur expérience,
les soignants peuvent se retrouver en difficulté par rapport à certaines situations, et de ce fait, ils mettent
tous inconsciemment en place des moyens pour apaiser leurs angoisses.
Par ailleurs, les réponses des professionnels à cette question valident ma troisième hypothèse, à savoir
que la prise en soins de personnes en fin de vie a des répercussions émotionnelles sur les soignants et
génère chez eux des mécanismes de défense.
Question 8 : Que faites-vous pour vous ressourcer lorsque vous vous sentez en difficulté ? Est-ce une
initiative personnelle ou des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon vous ?
Le but de cette question était d’évaluer les moyens mis en œuvre par les soignants pour remédier à des
situations de souffrance.
RUSZNIEWSKI, Martine. Face à la maladie grave - Patients, familles, soignants – Préface de Robert ZITTOUN.
Edition Dunod, octobre 1995. p 127.
41
32
-
-
-
Pour l’infirmière A, l’équipe soignante est importante dans ces situations : en effet, il existe une
grande cohésion qui permet à chaque professionnel d’avoir un interlocuteur privilégié pour se
confier et discuter quand il en ressent le besoin. Elle souligne également le fait que les médecins
sont à l’écoute de l’équipe. Des groupes de paroles sont également organisés pour soulager
l’équipe ; enfin, selon elle, il est primordial d’avoir des activités à l’extérieur.
L’infirmière B souligne l’importance de l’équipe soignante : ils échangent beaucoup entre eux,
ainsi qu’avec les médecins. Lorsqu’ils sont en grande difficulté, ils peuvent également faire appel
à l’équipe mobile de soins palliatifs ou à la psychologue du service. Par ailleurs, des ateliers
d’échanges animés par une psychologue et réalisés à partir de situations vécues, leur permettent
également d’échanger ensemble sur les difficultés rencontrées. Enfin, pour elle, la famille, les
enfants et les amis sont primordiaux.
Pour l’infirmier C, l’équipe joue un rôle essentiel : c’est pour lui une ressource importante car cela
lui permet d’exprimer ses difficultés. Il souhaiterait qu’un accompagnement de l’équipe soit fait
par un psychologue car il pense que le fait d’échanger avec ses collègues est certes primordial,
mais a des limites dans la mesure où il estime ne pas forcément savoir trouver les mots justes
pour réconforter les autres infirmiers. Enfin, lorsqu’il en ressent le besoin, il prend quelques
minutes entre chaque patient pour aller sur internet : c’est son échappatoire.
Les trois professionnels interrogés ont chacun trouvé leur propre moyen de se ressourcer, que ce soit à
travers le sport, la famille, les amis, ou encore internet. Ce qu’ils soulignent à l’unanimité, c’est
l’importance de l’équipe au sein de laquelle ils travaillent : ils estiment que les échanges qu’il peut y avoir
sont primordiaux pour pouvoir se libérer, et évacuer le stress et les tensions lorsque les situations qu’ils
vivent sont difficiles. Les infirmières A et B mentionnent également que les groupes de parole mis en
place par leurs établissements respectifs leur sont d’un grand soutien : ils peuvent y analyser des cas
concrets, et l’aide d’un psychologue extérieur à l’équipe leur permet de cheminer à partir de ce qui les a
particulièrement mis en difficulté pour leur proposer des pistes de réflexion. L’infirmier C en déplore
l’absence dans son établissement, car il estime que ce serait bénéfique pour lui dans la mesure où
chaque membre de l’équipe pourrait échanger avec un tiers qui serait peut-être plus à même de trouver
les mots justes pour apaiser la souffrance des uns et des autres. Sur ce point, les trois professionnels sont
en accord avec Marie de HENNEZEL : « Il y a des jours où la réunion d’équipe joue vraiment son rôle de
soupape. Quand les émotions vécues par les uns ou les autres sont trop fortes. On a beau chercher une distance
juste, il arrive qu’on soit submergé. C’est sans doute aussi le prix à payer pour ne pas devenir insensible et rester
tout simplement humain 42».
Lorsque j’ai réalisé mes recherches pour élaborer mon cadre théorique, les groupes de parole me
paraissaient être un moyen essentiel pour remédier à la souffrance des soignants. Néanmoins, je
m’attendais à avoir des réponses concernant la formation : en effet, dans mes représentations, je pensais
qu’avoir obtenu un DU de soins palliatifs ou avoir suivi une formation spécifique faisait partie des éléments
facilitateurs dans la prise en soins des patients en fin de vie. L’infirmière A a évoqué un peu ce sujet
lorsqu’elle parle de ses évolutions de carrière, et qu’elle précise que son DU avait pour but d’avoir des
42 DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François
MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. p 106.
33
outils, de pouvoir mettre des mots sur des sensations, de l’inconfort qu’elle a pu éprouver dans certaines
situations de fin de vie. L’infirmière B a également suivi une formation sur les soins palliatifs et envisage
de passer le DU. A travers ces réponses, je peux en déduire que, même si les professionnels ne l’ont pas
clairement exprimé, la formation est également un moyen d’apporter des réponses aux situations difficiles
dans lesquelles ils peuvent se retrouver. Néanmoins, cela ne constitue que des outils utiles pour gérer des
cas difficiles, mais cela ne les prémunit pas contre la souffrance qu’ils peuvent éprouver. La citation
suivante permet d’illustrer et de clore cette question « Prendre soin de soi » paraît être la condition sine qua
non pour « prendre soin » et soigner efficacement sans s’épuiser 43 ».
B. Synthèse des entretiens
Les entretiens que j’ai réalisés m’ont permis de rencontrer des professionnels évoluant dans des services
totalement différents, ce qui a été particulièrement constructif pour éclairer les différents points de mon
cadre théorique. L’un des points positifs que j’ai retiré de ces entretiens a été le choix du panel : en effet, il
me semble que, bien que leur nombre soit limité, les professionnels que j’ai rencontrés avaient tous des
profils différents, ce qui constitue un atout pour la réalisation d’une étude. Cela m’a permis de voir que
chacun vit différemment l’accompagnement des patients en fin de vie, mais au fond, ils se rejoignent tous
concernant les points importants. J’ai aussi pu voir que l’expérience professionnelle apporte aux soignants
un recul important et une vision d’ensemble peut-être plus développée des situations. De plus, j’ai pu
apporter des éléments de réponse à ma question de départ : en effet, chacun à sa manière m’a précisé
quels impacts avait chez eux la prise en soins de patients en fin de vie. Bien évidemment, il n’existe pas
de réponse précise à cette question, étant donné que chacun a son vécu personnel, ses différentes
expériences professionnelles et sa curiosité propre. De plus, l’entretien de seulement trois professionnels
ne me permet pas de tirer des conclusions générales, mais cela m’aura au moins permis de voir que les
hypothèses énoncées étaient vérifiables.
Un des axes d’amélioration de ces entretiens réside peut-être dans la formulation de certaines questions,
notamment la quatrième, qui n’était peut-être pas assez claire, étant donné que j’ai obtenu des réponses
relativement similaires à la troisième question. Il aurait peut-être fallu que je pose des questions de
relance au cours de l’entretien, pour réorienter les professionnels sur les spécificités de
l’accompagnement des personnes en fin de vie, mais je n’ai réalisé cet aspect des choses que lors de la
retranscription des mes entretiens, a posteriori.
43 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 61.
34
Conclusion
« Etre soignant en soins palliatifs, c’est affronter au quotidien la souffrance. C’est construire et perdre sans cesse.
C’est souvent ne pas savoir la justesse de son action. […] C’est échouer à calmer, à soulager pleinement. […] C’est
rester dans l’inachevé, la frustration d’une mort jugée trop précoce. C’est aussi être témoin de la souffrance des
collègues et des familles et amalgamer tout cela avec notre vie intime, c'est-à-dire l’état intérieur personnel qui nous
anime même au travail44 ». Cette citation reflète bien la complexité du travail des soignants quotidiennement
au contact de patients en phase terminale des soins palliatifs sur lequel j’ai axé mon étude.
Ce travail de recherche m’a permis de construire mon mémoire en me basant sur une situation de départ
qui m’avait marquée lors de mon premier stage de deuxième année. A partir de cette dernière, j’ai pu
cheminer pour élaborer une première question de départ relative à l’impact sur la prise en soins de
patients en fin de vie sur les soignants. L’élaboration de mon cadre conceptuel m’a ensuite permis de
préciser cette question en remplaçant le terme « fin de vie » par celui, plus approprié à mon sens, de
« phase terminale des soins palliatifs ». Suite à cela, les entretiens que j’ai pu mener avec des
professionnels m’ont fait prendre conscience que chacun d’entre eux avait été marqué par ce type de
situations, et qu’ils ont dû travailler sur eux-mêmes pour se protéger de leurs angoisses.
Par ailleurs, ce travail m’a permis d’évoluer et de prendre du recul par rapport à ces situations de prise en
soins de patients en phase terminale de soins palliatifs. En effet, j’ai eu l’occasion au cours de ma
dernière année à l’IFSI, de faire un stage dans un service dans lequel il y avait des Lits Identifiés Soins
Palliatifs. Les recherches que j’ai menées et les rencontres que j’ai faites avec les professionnels m’ont
donné des pistes pour me permettre de m’impliquer dans les soins tout en ne me laissant pas submerger
par mes émotions. J’ai ainsi pu prendre peu à peu conscience des mécanismes de défense que j’ai
tendance à mettre en place lorsque je me sens en difficulté : il me reste encore un travail à faire sur moimême pour me permettre de les maîtriser un peu plus. En effet, ce que m’auront fait comprendre ces
recherches, c’est l’importance de se préserver à bon escient en tant que soignant, dans une optique de
prévention de l’épuisement professionnel.
44 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin :
éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. 256 p.
35
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages :
DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de
François MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. 232 p.
DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE
4.7. Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. 148 p.
JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face
à la maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. 197 p.
JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre
soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. 256 p.
RUSZNIEWSKI, Martine. Face à la maladie grave - Patients, familles, soignants – Préface de Robert
ZITTOUN. Edition Dunod, octobre 1995. 206 p.
Articles :
CAHIZA, Hélène ; PATERNOSTRE, Bernard. Mise en place de « lits identifiés de soins palliatifs » en
services de médecine : motivations et résistances de l’équipe soignante. Enquête auprès des infirmières
et des aides-soignantes. Revue Médecine Palliative, juin 2011, n°3, volume 10. p120-124.
CARICLET, Noëlle. Accompagner le soignant face au patient en fin de vie. Revue Soins cadres de santé,
supplément au n°61, 2007. p17-18
DE BONNIERES, Alix ; ESTRYN-BEHAR, Madeleine ; LASSAUNIERE, Jean-Michel. Déterminants de la
satisfaction des médecins et infirmières de soins palliatifs. Revue Médecine Palliative, août 2010, n°4,
volume 9. p167-176.
MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. Dossier Loi Léonetti, soins et fin de vie. Revue Soins, septembre 2006,
n°708. p27-53.
MOCQUET, Rodolphe. Le grignotage alimentaire des soignants confrontés à la fin de vie et à la mort.
Revue Soins Cadres, novembre 2014, n°92. p. 57-59.
RETAILLEAU, Brigitte. Dossier Accompagner la fin de vie. Revue Soins Aides Soignantes, mai-juin 2013,
n°52. p9-18
ZIMMERMAN, Jean-François. Les soignants face à la fin de vie du patient. Revue Gestions Hospitalières,
octobre 2014, n°539. p479-482.
36
Sites internet :
CBSP : Coordination Bretonne des Soins Palliatifs [en ligne]. (Consulté le 07/03/2016). Disponible sur
www.bretagnesoinspalliatifs.com
SFAP : Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs [en ligne]. (Consulté le 22/03/2016).
Disponible sur www.sfap.org
Centre National de ressources – Soin Palliatif [en ligne]. (Consulté le 05/04/2016). Disponible sur
www.soin-palliatif.org
Documents non publiés :
THIEURMEL, Hubert. Dispositions réglementaires relatives aux droits des malades et à la fin de vie.
Cours du 24/11/2015 dans le cadre de l’Unité d’Enseignement 4.7 : Soins Palliatifs et Fin de Vie.
Disponible sur l’ENT de l’IFSI de Quimper.
37
SOMMAIRE DES ANNEXES
SOMMAIRE DES ANNEXES ......................................................................................................... I
Annexe I : Guide d’entretien ..................................................................................................... II
Annexe II : Restitution de l’entretien avec l’infirmière A........................................................... III
Annexe III : Restitution de l’entretien avec l’infirmière B........................................................ VIII
Annexe IV : Restitution de l’entretien avec l’infirmier C ......................................................... XIII
Annexe V : Grille d’analyse des entretiens ......................................................................... XVIII
I
Annexe I : Guide d’entretien
Question 1 : Quel âge avez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous diplômé(e) ?
Question 2 : Depuis combien de temps exercez-vous dans ce service ? Etait-ce un choix de votre part
d’y exercer ?
Question 3 : Que saviez-vous des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des
différences entre vos représentations initiales et celles que vous avez aujourd’hui ?
Question 4 : Avant d’entrer dans ce service, comment auriez-vous défini la prise en soins et
l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que
vous aviez initialement et la réalité des services ? Si oui, cela vous affecte-t-il ?
Question 5 : Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des
symptômes de souffrance globale ?
Question 6 : Quels sentiments éprouvez-vous le plus souvent lorsque vous prenez en soins des
personnes en fin de vie ? Est-ce différent de ce que vous pouvez ressentir face à des patients pour
lesquels des soins curatifs sont encore possibles ?
Question 7 : Vous arrive-t-il de vous retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela
vous affecte-t-il au quotidien ?
Question 8 : Que faites-vous pour vous ressourcer lorsque vous vous sentez en difficulté ? Est-ce une
initiative personnelle ou des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon vous ?
II
Annexe II : Restitution de l’entretien avec l’infirmière A
ESI :
Quel âge avez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous diplômée ? Depuis combien de
temps exercez-vous dans ce service ?
IDE A : Alors, moi je suis une ancienne infirmière parce que j’ai eu mon diplôme en 1979, donc je pars
en retraite cette année. J’ai une formation… j’ai mon diplôme interuniversitaire de soins
palliatifs ; donc je suis dans l’unité depuis 2008, la création, après avoir eu un parcours assez, peut-être atypique ? – non, je ne pense pas. J’ai eu énormément d’expériences : j’ai fait - en
faisant de façon assez succincte - les urgences, la médecine, la chirurgie, la pédiatrie, la
pneumologie, l’oncologie, la cardiologie. Voilà, je dis souvent que, sauf le bloc opératoire, j’ai à
peu près été dans tous les services… la néphrologie, voilà…
ESI :
Etait-ce un choix de votre part d’y exercer ?
IDE A : Au départ, j’ai commencé par la médecine où on avait pas mal de patients qui étaient en fin de
vie ou qu’on accompagnait. Je n’avais pas de formation, et j’allais souvent [silence] j’étais
souvent confrontée à des fins de vie qui pour moi étaient très difficiles. Donc à un moment, j’ai
changé de service, je suis allée en EHPAD en me disant « C’est plus logique une fin de vie en
EHPAD ». Et ça n’a rien de logique, parce que pour les familles, la séparation est toujours aussi
dure, donc j’ai voulu avoir des outils en formation universitaire de soins palliatifs, et quand l’unité
s’est ouverte : à la fois, c’était mettre en pratique ce que j’avais appris, mais il fallait aussi une
infirmière ayant son diplôme universitaire pour ouvrir l’unité. Donc, voilà, il y avait les deux
choses : il y avait une contrainte administrative, mais il y avait une envie de ma part de venir ici.
Voilà.
ESI :
Que saviez-vous des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des différences
entre vos représentations initiales et celles que vous avez aujourd’hui ?
IDE A : [Silence] Alors moi je suis passée par beaucoup d’étapes parce qu’au début de ma carrière, c’est
vrai qu’on faisait des cocktails lytiques, moi j’en ai posé, et c’est pas évident, c’est très très
difficile. A la fois, c’est vrai qu’on soulage le patient, mais bon, pour nous c’est difficile et j’avais
l’impression - enfin moi au regard de ma carrière - j’ai l’impression que plus on est jeune dans le
métier, on est plus dans les pratiques, moins on est dans « Pourquoi je le fais ? ». Voilà, et à
partir du moment où on se pose des questions de savoir, du bienfait des différents pratiques,
c’est là où on est en perpétuel questionnement. Et où on est obligé de chercher des réponses ;
et les soins palliatifs, on les fait partout. Et je trouve que c’est assez réducteur de le laisser rien
qu’à une unité : on le fait au quotidien dans tous les services, que ce soit en EHPAD, tout ça.
Les accompagnements, c’est du palliatif, on est tous en palliatif. Donc voilà, mais c’était surtout
pour mettre des mots : ma formation ça a été surtout pour mettre des mots sur des [silence] des
sensations, de l’inconfort que j’avais quand je travaillais, par rapport à des situations qui se
présentaient à moi. Voilà.
ESI :
Avant d’entrer dans ce service, comment auriez-vous défini la prise en soins et
l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les
représentations que vous aviez initialement et la réalité des services ? Si oui, cela vous affecte-til ?
III
IDE A : Sur la prise en charge, je pense que oui, et encore, je trouvais qu’on était dans l’humain au
départ quand j’ai commencé à travailler, plus que maintenant où on est vraiment plus, dans
certains services… On parlait toujours dans les services de chirurgie ou de médecine, de la
pathologie avant de parler du patient. Ça, c’est vrai qu’en palliatif, on parle du patient avec sa
pathologie et sa famille et tout ça, mais on parle de l’humain et on recentre plus là-dessus. Euh,
mais moi j’ai évolué aussi en âge, donc dans ma vie personnelle, … c’est pour ça que c’est, tout
est imbriqué dans nos formations, et on ne vient pas aux soins palliatifs [silence] par hasard
[silence]. Et je pense que notre vie personnelle est aussi, euh voilà… c’est aussi un peu
imbriqué tout dedans. Ça nous aide à évoluer de tous les bords. Voilà.
ESI :
Et du coup, avant de commencer ici, comment auriez-vous défini l’accompagnement des
personnes en fin de vie ?
IDE A : Les accompagnements que j’ai faits en médecine – parce qu’on avait des accompagnements de
fin de vie de personnes qui avaient des cancers – euh, moi je n’étais pas satisfaite du tout, parce
qu’on était souvent, presque dans [silence] l’acharnement thérapeutique avec des perfusions, on
continuait l’alimentation, on était, voilà, on allait jusqu’au bout [silence] sans voir le reste. Et
[silence] c’est sûr que si j’ai quitté ce service-là, c’est que je n’arrivais plus à faire ça et à être,
voilà, en phase avec moi-même. Donc je trouvais que les accompagnements qu’on faisait,
même s’ils étaient ressentis par les personnes euh des bons accompagnements, pour moi, ça
ne me satisfaisait pas. Parce que je pense qu’on passait à côté de quelque chose en répondant
par des médicaments, des perfusions, de l’alimentation artificielle, euh à des symptômes, avant
d’écouter le patient, sa famille.
ESI :
Donc ici, la prise en charge est plus centrée sur le patient ?
IDE A : Mais même partout, je pense qu’on écoute plus, avec les nouvelles lois, que ce soit avec la loi
Léonetti, surtout la dernière, où il y a les personnes de confiance, où il y a les directives
anticipées. Et les personnes sont plus informées maintenant, il y a de ça aussi. Donc, je pense
qu’on écoute plus les demandes des patients. Après, il y a des médecins… je pense à certains
oncologues qui n’admettent pas ça, ou des cardiologues, qui vont toujours, qui vont aller dans la
technique, mais ça, c’est leur façon de se défendre aussi contre la fin de vie.
ESI :
Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des symptômes
de souffrance globale ?
IDE A : Alors, la souffrance globale, c’est la souffrance physique, donc ça généralement, on arrive, on a
des traitements que ce soit morphiniques, Kétamine®. Pour la souffrance psychique, on a du
Midazolam®. Après, quand on arrive à la souffrance globale, c’est vrai qu’on est souvent en train
de - ce n’est pas jongler - mais on essaie de trouver la juste dose des deux médicaments pour
pouvoir, pour que le patient soit au mieux soulagé. Parfois, on n’arrivera pas, mais ce n’est pas
un échec pour nous, parce qu’il y a des patients qui, sans douleur, ne vivent pas. Ils ont besoin
de la douleur, d’un fond douloureux pour se sentir en vie. Et je trouve qu’ici, on est pour un
accompagnement de vie, [silence] de personnes qui sont en vie jusqu’à leurs derniers jours, et
non le mourant n’existe pas. De toute façon, ce terme-là n’existe pas, cette phase n’existe pas,
ou on est vivant, ou on est mort. Et je trouve qu’on est plus dans la prise en charge de
personnes qui sont vivantes, avec des symptômes qu’on va essayer de soulager, et qu’on arrive,
la plupart du temps on arrive, que ce soit avec des moyens médicamenteux, ou non
médicamenteux : on utilise des fois les huiles essentielles, on a la musicothérapeute, on a le
IV
toucher bien-être. Voilà, on a des alternatives aussi pour les prendre en charge qui sont
différentes. [Silence] Mais je pense que si on en est arrivé là, c’est parce que nous aussi en tant
que soignants, on a une plus grande ouverture d’esprit que quand j’étais dans d’autres services.
Voilà, on est plus attentifs à certaines thérapies, parce que oui, on peut appeler ça des thérapies
qui sont aussi efficaces dans la prise en charge que tout le temps répondre par tel ou tel
médicament et assommer les gens. Mais écouter le patient qui dit « Non, moi je n’ai pas envie
d’être endormi, je suis d’accord de garder quand même ce petit fond douloureux, mais de rester
éveillé », ça on écoute. Le patient est vraiment écouté, et nous, je trouve que dans cette prise en
charge-là, on est voilà, c’est pas qu’on est sereines, mais on est quand même mieux.
ESI :
Quels sentiments éprouvez-vous le plus souvent lorsque vous prenez en soins des personnes
en fin de vie ? Est-ce différent de ce que vous pouvez ressentir face à des patients pour lesquels
des soins curatifs sont encore possibles ?
IDE A : [Silence] Je n’y pense pas, je ne pense pas qu’ils sont en fin de vie. Pour moi, c’est des patients
comme les autres, avec, on a une approche qui est différente, on travaille d’une autre manière,
mais je sais qu’ils ont une pathologie, mais je ne vais pas me dire « Ils sont en fin de vie ». Voilà,
non, je n’y pense pas. J’essaie de leur [silence] de mettre ça de côté, pas d’occulter, parce
qu’elle est là, voilà c’est là ; mais notre médecin dit souvent aux patients quand on fait les
rendez-vous famille, qu’ils ont une maladie chronique, et qu’il va falloir vivre avec. Et moi c’est
ça : voilà, ils ont une maladie chronique, comme les autres, comme d’autres maladies, et ils
vivent avec. Bien sûr, leur quantité de temps de vie n’est pas la même, mais on essaie que la
qualité soit la même. Voilà, on est plus sur une qualité de vie que sur une quantité de vie.
ESI :
Du coup, vous ne faites pas de différence avec les autres patients ?
IDE A : Non. Mais on est tous en fin de vie. Après, voilà, il y a des fins de vie terminales, la fin de vie
terminale qui est différente, mais non, non, moi je mets un peu ça de côté.
ESI :
Vous arrive-t-il de vous retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela vous
affecte-t-il au quotidien ?
IDE A : Oui, je me rappelle quand j’ai passé l’entretien, parce qu’on a toutes passé un entretien - même
si j’avais mon DU - pour venir dans l’unité, j’avais toujours dit que la difficulté aurait été de
m’occuper de personnes jeunes. Et bien non. [Silence] Non, pour moi, ce n’était pas ça, c’est les
personnes du même âge que moi. Où on a une interface, où on peut trouver des similitudes, en
se disant : « Et bien tu vois, elle a le même âge que toi, euh voilà ». Mais mes jeunes collègues,
par contre, oui, quand elles ont des patients du même âge qu’elles… et le fait qu’on soit
complémentaires avec différents âges, c’est bien. Moi j’ai eu plus de difficultés avec des femmes
entre 55 et 60 ans que des jeunes, où c’est très difficile, voilà, je ne vais pas dire le contraire,
des jeunes mamans, euh oui, c’est... Mais voilà, et je suis allée dernièrement à une conférence à
Paris et une cinéaste disait de son fils qui est décédé à l’âge de 5 ans, « Il est allé jusqu’au bout
de sa vie », voilà, et c’est vrai que ces jeunes mamans sont allées jusqu’au bout de leur vie.
Mais moi, c’est souvent se dire : « Tiens, tu vois, elle a le même âge que toi ». Ça m’est arrivé
une fois où ça a été très dur, où, je ne sais pas, j’étais peut-être plus fragile, plus fatiguée, où j’ai
eu un peu l’effet miroir, et il a fallu que je prenne énormément de recul avec d’autres moyens
pour moi, parce qu’on a chacune nos moyens pour s’évader d’ici. Moi, c’est plus ce souci-là.
Mais les femmes, pas les hommes, voilà. Plus en me disant : « Et bien oui, elles ont ton âge,
V
elles n’ont pas profité du reste, mais elles sont allées au bout de leur vie comme disait la
dame ». Voilà.
ESI :
Du coup, vous pouvez être vraiment affectées par des situations ?
IDE A : Oui, et généralement, sur les patients qui nous ont le plus touchées, ce sont ceux dont on se
rappelle le plus. Et moi, il y a des noms de patients dont je me rappelle, et pourtant ça fait un
moment. Mais des patients dont la situation m’a le plus marquée, m’a le plus touchée, j’étais
plus émue que d’autres. [Silence] Il y a d’autres pour qui on va être professionnelles, on va être
dans l’empathie, mais ça ne va pas nous marquer de la même manière, et on est toutes
marquées différemment.
ESI :
Que faites-vous pour vous ressourcer lorsque vous vous sentez en difficulté ? Est-ce une
initiative personnelle ou est-ce des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il
efficace, selon vous ?
IDE A : Alors moi j’ai [silence] c’est vrai qu’à un moment, j’étais le nez dans le guidon dans le service et
du coup, ça n’allait pas, donc je fais de la gym. Donc je fais 2 heures de gym par semaine, mais
de la gym intensive un peu pour, voilà… et je fais du shiatsu en plus et de la méditation. Mais j’ai
besoin de ça. Le shiatsu me permet de lever toutes mes tensions, tout ça, la méditation m’aide,
la marche… mais il faut avoir des activités à l’extérieur. Alors là depuis un moment, on n’a plus
de groupes de paroles. Ça revient, parce que c’est nécessaire. Mais c’est vrai qu’on a cette
chance dans l’unité de pouvoir discuter entre nous quand ça ne va pas, et d’avoir un
interlocuteur privilégié dans l’équipe, avec qui on peut discuter plus qu’avec d’autres, et on sait
qu’avec elle on va pouvoir se confier : elles sont à l’écoute et vice-versa. Mais on a cette
chance-là dans l’équipe de pouvoir faire ça.
ESI :
Il y a une bonne cohésion ?
IDE A : Oui, et aussi avec les médecins. Quand ça ne va pas, ils sont à notre écoute.
ESI :
Au niveau des de l’établissement, il y a des groupes de paroles ?
IDE A : Les groupes de parole se sont terminés en juin 2014. Je pense que le psychologue était arrivé
au bout de l’accompagnement de l’équipe. Donc là en 2015, on n’en a pas eu, et ça s’est senti.
Et donc là ça reprend, ce moi-ci. Donc en 2016, ça recommence. C’est une obligation, c’est
dans le cahier des charges des USP où on doit avoir des groupes de parole. Mais c’est vrai que,
c’est parfois nécessaire pour soulager un peu l’équipe. On a réussi à mettre quand même en
place d’autres stratagèmes sans que ça soit institutionnel pour pouvoir se libérer, toutes.
ESI :
Chacun a sa méthode ?
IDE A : Oui, déjà de discuter en équipe ou de pouvoir se lâcher, et puis d’avoir d’autres activités à
l’extérieur, on a toutes ça. On est obligées.
ESI :
C’est nécessaire pour évacuer ? Plus que dans les autres services ?
VI
IDE A : Oui, je pense. Quand je fais mon heure de piloxing, le lundi soir, où je fais mes gestes de boxe,
j’ai vraiment, … je sens que je sors de l’énergie. Ça se voit et ça se sent.
ESI :
Voilà, j’ai fait le tour de mon questionnaire.
IDE A : Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas.
ESI :
Merci.
VII
Annexe III : Restitution de l’entretien avec l’infirmière B
ESI :
Quel âge as-tu ? Depuis combien de temps es-tu diplômée ?
IDE B : Alors, j’ai 30 ans et je suis diplômée depuis, enfin, j’entame ma huitième année, là, après mon
diplôme.
ESI :
Depuis combien de temps exerces-tu dans ce service ?
IDE B : Ça va faire… enfin après mon diplôme, je suis venue travailler un petit peu en pneumo, après,
euh du coup, j’ai été travailler - enfin j’étais dans le pool - donc en pneumo et puis d’autres
services, après j’ai eu mes enfants, donc je n’ai pas travaillé pendant un an, après, j’ai fait deux
ans de long séjour, et je suis depuis trois-quatre ans là en pneumo.
ESI :
Et du coup, c’était un chois de ta part de revenir en pneumo ?
IDE B : Oui, alors, j’étais revenue au départ, c’était, enfin… si, j’avais très envie de revenir mais au
départ on m’a positionné là une fois que… enfin après le long séjour, et puis j’ai postulé sur le
poste que j’occupais, que j’ai eu, donc je suis en poste que j’ai choisi.
ESI :
Et du coup, il y a combien de lits de soins palliatifs en pneumo ?
IDE B : Alors, on a trois lits de soins palliatifs entre les deux services, donc il y a la pneumologie 1 et
pneumologie 2, donc on a 36 lits. On a 3 lits de palliatifs pour 36 lits de patients, enfin ce sont
des lits étiquetés, après, dans la prise en charge au quotidien, on a souvent plus que 3 lits.
ESI :
Que savais-tu des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des différences entre
tes représentations initiales et celles que tu as aujourd’hui ?
IDE B : Je connaissais ce que j’avais appris à l’école, donc voilà, la base, quoi, après, c’était plus de la
théorie et ce que j’avais vu en stage, après là c’est devenu plus concret en fait. Je pense plus
différent déjà aussi plus de soins palliatifs de fin de vie, c’est deux choses différentes, euh, voilà,
donc différencier ça, et puis prise en charge : comme nous en pneumo c’est souvent des
patients, euh, chroniques, qu’on suit sur le long terme, plus d’accompagnements, voilà, des
patients en soins palliatifs.
ESI :
Donc du coup, il y a des différences entre ce que tu connaissais avant et puis ce que tu as
découvert ici?
IDE B : Et bien, je pense qu’il y a des représentations, enfin voilà, soins palliatifs, on a tendance à même pour les gens qui ne sont pas dans le milieu - de se représenter : les soins palliatifs, c’est
la fin de vie, alors qu’en fait, soins palliatifs, ce n’est pas du tout la fin de vie, on peut rester en
soins palliatifs pendant un long moment avant d’être en fin de vie.
VIII
ESI :
Avant d’entrer dans ce service, comment aurais-tu défini la prise en soins et l’accompagnement
des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que tu avais
initialement et la réalité des services ? Si oui, cela t’affecte-t-il ?
IDE B : [Silence] Je n’ai pas tellement réfléchi à ça, euh [silence] ; je pense que c’est ça, je pense que
pour moi aussi, enfin voilà, c’était plus fin de vie, là maintenant, je me suis rendue compte que
les soins palliatifs, c’était plutôt un terme plus vaste que ce que je pensais en fait, que euh, voilà,
on pouvait être en soins palliatifs pendant des mois, ou certains patients des années, euh, que
en soins palliatifs on pouvait quand même faire des traitements justement à visée palliative,
donc même si des patients peuvent être en cours de chimiothérapie, on peut être en soins
palliatifs, ce que, pour moi, en fait, les soins palliatifs correspondaient un petit peu à l’arrêt des
traitements et à un accompagnement en fin de vie, mais en fait je me suis rendue compte que,
euh, ce n’est pas ce qu’on fait au quotidien. En fait, on peut être amenés à faire des chimio
palliatives, de la radiothérapie palliative, qu’on peut amener un traitement dans le but palliatif, et
non curatif, donc ça, je n’avais pas trop cette vision-là. Euh, voilà, ça, plus que, voilà, ce n’était
pas forcément la fin de vie, et puis ben de difficultés, [silence] enfin que ça peut parfois
provoquer un petit peu de difficultés parce que à l’école, on nous dit, voilà, qu’il faut travailler
avec empathie, des choses comme ça, mais en fait après dans la réalité du terrain, comme c’est
des patients qu’on voit assez régulièrement, qu’on suit depuis certains des mois, des années, il y
a des fins de vie ou des situations de soins palliatifs qui sont plus difficiles que d’autres.
ESI :
Et du coup, tu as fait des formations plus spécifiques sur les soins palliatifs ?
IDE B : Alors là, je vais dans 15 jours, j’ai enfin eu la formation soins palliatifs, que j’ai demandée depuis
plusieurs années, et qui est assez difficile parce qu’il y a une grande demande, donc je vais y
aller. J’ai fait récemment la formation toucher, soins de confort par le massage, voilà, et j’ai dans
le projet de faire un DU en soins palliatifs. Voilà, après, j’ai fait des formations sur les
chimiothérapies, enfin voilà, des choses comme ça, mais pas spécialement palliatif.
ESI :
Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des symptômes
de souffrance globale ?
IDE B : Alors, les patients en soins palliatifs, euh, [silence] donc ce qui est un peu compliqué dans le
service, c’est qu’à un moment donné on avait des staffs de soins palliatifs avec la psychologue,
l’équipe, mais qu’on n’a pas réussi à maintenir faute de remaniements de services et de, voilà,
ça a été compliqué, donc on n’a plus de staffs. Ça c’est un petit peu dommage, après, euh, au
niveau prise en charge, on a quand même un pneumologue qui est spécialisé au niveau
oncologie, donc c’est quand même, elle le plus souvent qui s’occupe des patients en soins
palliatifs, même s’ils ne sont pas dans son secteur, en fait elle vient, voilà. Après, euh, donc ici
on essaie de gérer, euh, les patients en soins palliatifs, donc déjà ils sont étiquetés souvent,
mais pas tout le temps, isolés en chambre seule, euh, au niveau prise en charge, il y a la prise
en charge du patient, mais de sa famille aussi, on a des lits accompagnants, donc les personnes
peuvent rester dormir sur place. On travaille beaucoup en réseau avec la psychologue du
service, on propose au patient si on sent qu’il… on propose au patient, après c’est lui qui voit s’il
a le souhait ou pas, après, donc dans les situations de soins palliatifs, où on sent que le patient
est quand même relativement apaisé point de vue douleur, point de vue anxiété, enfin, où ça suit
son court et que le patient est bien, voilà, on va faire les soins comme… Mais quand on est en
difficulté, on fait intervenir l’équipe mobile de soins palliatifs, qui vient pour plusieurs raisons, qui
vient pour, déjà nous aider, déjà quand on est en difficulté avec une prise en charge, quand on a
fait ce qu’on pensait être le mieux au niveau médical, paramédical, mais qu’on voit que la
IX
personne est toujours en souffrance et que, et que la personne n’est pas mieux. Après, c’est tout
ce qui est aussi, ils interviennent pour voir si, au niveau éthique, des fois on a des situations où
au niveau éthique, on ne sait pas trop, est-ce qu’on met des alimentations, est-ce que, voilà…
Ils nous guident un petit peu sur le plan éthique, et après, sur la faisabilité du retour à la maison
en HAD ou autre suivant le souhait des patients. Voilà, le travail en réseau, la psychologue.
Voilà, je pense que c’est des patients avec qui on essaie de prendre un peu plus de temps.
ESI :
Il y a aussi plus de personnel ?
IDE B : Non, il n’y a pas plus de personnel. On essaie de prendre plus de temps, c’est des patients à qui
on va plus facilement, je pense, proposer des soins de confort au niveau massage, la toilette, on
va l’adapter en fonction du patient : s’il y a des jours où ils n’ont pas envie, et qu’ils veulent faire
une petite toilette, on fait une petite toilette. Enfin voilà, beaucoup de présence, d’écoute et
incorporer la famille autant que possible aussi dans la prise en charge. Il y a des fins de vie, ou
des patients en soins palliatifs où il y a des enfants, enfin, on va les aider autant que possible,
leur permettre de venir, même s’il y a des horaires de visites, on n’est pas fixes sur les horaires
de visite, enfin on permet à la famille de faire un accompagnement… Voilà.
ESI :
Et du coup, tout ce qui relève du toucher, bien-être, vous avez le temps de le faire ?
IDE B : Ça dépend des moments, on essaie de prendre le temps, après il y a des patients que ça
intéresse et des patients que ça n’intéresse pas. Après, ce n’est pas des massages comme on
l’entend avec le terme massage, ça peut durer juste 5 ou 6 minutes, en fait, c’est juste, les
aides-soignantes au moment de la toilette, enfin voilà masser un petit peu le dos ou masser un
petit peu les pieds le soir au moment du coucher, quand on les réinstalle, enfin voilà, c’est à la
limite des soins de confort, enfin voilà, c’est pour favoriser le bien-être du patient. Nous on
encourage les familles à aussi à amener des petites choses à manger qu’il n’y a pas forcément à
l’hôpital parce que la nourriture n’est pas très, enfin voilà, les patients souvent ont envie de
chocolat ou de choses comme ça, donc on les encourage à amener de la nourriture plaisir, voilà
qu’ils prennent plaisir à manger le peu qu’ils mangent, certains, qu’ils prennent plaisir à manger
ce qu’ils ont envie.
ESI :
Quels sentiments éprouves-tu le plus souvent lorsque tu prends en soins des personnes en fin
de vie ? Est-ce différent de ce que tu peux ressentir face à des patients pour lesquels des soins
curatifs sont encore possibles ?
IDE B : Je ne pense pas que le ressenti… je ne pense pas qu’on fasse de différence entre les patients
en hospitalisation classique et les patients en hospitalisation sur les lits de soins palliatifs.
Vraiment, enfin au niveau des soins, c’est plutôt je pense un sentiment, une frustration quand il y
a une charge en soins et qu’on n’a pas pu apporter le temps qu’on avait envie pour les patients
qui sont en soins palliatifs parce qu’on sait qu’ils ont besoin d’un peu plus de présence et
souvent, plus quand le service est trop lourd et qu’on n’a pas le temps, c’est plus cette
frustration-là de se dire qu’on n’a pas pu aller jusqu’au bout de ce qu’on aimerait bien faire pour
les patients qui sont en soins palliatifs. Après au niveau prise en charge, je ne pense pas
vraiment qu’il y ait de grosse différence, c’est plus, je pense qu’on prend peut-être plus
facilement le temps de présence, tout simplement, et c’est vrai qu’on les suit surtout sur plus
longtemps. Parce que sinon, les autres patients en classique, la durée de séjour est assez
courte ; les patients sur les lits de soins palliatifs peuvent rester des semaines, des mois, donc il
y a cette prise en charge plus sur du, enfin, du moyen cours, voire long cours, et je pense que
X
du coup, il y a une relation autre qui se crée des fois, enfin ça dépend des patients après, mais,
des fois il y a une relation autre qu’avec des patients qui sont là pour une pneumopathie et qui
vont rester 6 jours, et voilà, la relation se passe bien aussi, mais, voilà, on ne rencontre pas
forcément les enfants, les petits-enfants, toute la famille. La famille est moins incorporée dans la
prise en charge ; je pense que c’est ça qui doit être un petit peu différent.
ESI :
T’arrive-t-il de te retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela t’affecte-t-il
au quotidien ?
IDE B : Oui, il y a déjà le sentiment de frustration quand on n’a pas l’impression d’avoir fait notre travail
comme on l’aurait voulu, et comme on aurait envie de le faire. Après, on a de plus en plus de
patients jeunes, avec de jeunes enfants, ça je pense que, enfin moi personnellement, plus en
discutant avec mes collègues, je pense que ça c’est le plus difficile pour nous, parce que je
pense que c’est parce qu’on est des personnes jeunes, qu’on a des enfants aussi, je pense que
même sans le vouloir, on s’identifie un petit peu, et du coup ça c’est plus difficile, après il y a des
fois, je me rappelle d’un Monsieur qu’on avait pris en charge, très jeune, qui, c’était un petit peu
compliqué parce qu’il avait rencontré une femme avec qui il s’était marié, une femme qui ne
parlait pas du tout français, qui était d’origine, qui était des Philippines, et on ne savait pas trop
du coup ce que Madame savait de la situation de Monsieur, et Monsieur s’est très vite dégradé.
Et du coup, on la sentait perdue, et on n’arrivait pas à lui expliquer vraiment ce qui se passait, on
ne savait pas en plus ce qu’elle savait, euh, voilà, elle était isolée, elle était toute seule, ils
n’étaient que tous les deux, enfin ça a été difficile parce que du coup, on était un petit peu
embêtés par rapport à la famille. Ça ça a été difficile, les jeunes, le manque de temps, et puis
après il y a des situations, voilà qui nous interpellent toujours plus que d’autres parce que, mine
de rien, c’est des patients qu’on suit depuis un moment certains, et quelqu’un qu’on suit depuis
des années qui se dégrade et qui décède, même si on sait que ça va arriver, c’est plus difficile
que quelqu’un qu’on connaît depuis quelques jours et avec qui on n’a pas eu de relation, enfin
de relation soignant-soigné sur le plus long terme.
ESI :
Que fais-tu pour te ressourcer lorsque tu te sens en difficulté ? Est-ce une initiative personnelle
ou est-ce des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon toi ?
IDE B : Ben là en fait, ce qui est important, c’est l’équipe je pense. Déjà, l’équipe, ici c’est quand même
une équipe assez à l’écoute, on échange beaucoup, même s’il n’y a plus de staffs, on échange
beaucoup avec, enfin il y a les visites le matin et les transmissions le matin, mais on n’a plus de
staffs comme on avait avant de soins palliatifs, de choses comme ça. Mais du coup, on échange
beaucoup, enfin voilà, quand on a une situation ; les médecins sont [silence] sur le même niveau
que nous quand on échange avec eux, donc on arrive à, voilà, quand on a une situation qui nous
interpelle, on arrive à questionner et à dire : « Voilà, ça ça m’embête », voilà. Après, il y a
l’équipe mobile de soins palliatifs qui peut venir et nous aider à prendre des décisions, à voir la
situation, la psychologue du service qu’on peut rencontrer aussi. Et puis là depuis quelques
temps, il y a une autre psychologue du pôle médecine-oncologie qui fait des ateliers d’échanges
assez régulièrement sur différents sujets. Là il y en a un bientôt sur justement la prise en charge
d’un patient jeune en fin de vie, et l’accompagnement de la famille. C’est un atelier d’échange
avec des professionnels où chacun peut amener, on part souvent d’une situation vécue pour en
fait échanger un peu pour comprendre pourquoi là ça a été difficile. Donc je pense que l’équipe
est importante, et puis surtout la satisfaction de se dire qu’on a été jusqu’au bout de la prise en
charge, et que… Parce qu’il y a des fins de vie qui se passent, enfin on est content, pas que le
patient soit décédé, mais que la fin de vie se soit passée calmement, qu’on ait pu respecter les
souhaits du patient, que tout le monde, le patient, la famille, tout le monde est prêt, enfin voilà,
XI
que ça se soit passé dans les meilleures conditions possibles, il y a le sentiment d’avoir réussi à
aller jusqu’au bout, selon les souhaits du patient et que, voilà.
ESI :
Du coup, tous ces moyens, ça vous permet d’évacuer et d’équilibrer vie personnelle et vie
professionnelle ?
IDE B : Oui.
ESI :
J’imagine qu’il faut aussi une petite soupape à l’extérieur aussi pour évacuer ?
IDE B : J’arrive quand je pars d’ici, bon ça peut arriver qu’il y ait des situations qui tracassent, mais c’est
très rare. En général, voilà, en ayant échangé avec mes collègues, on en reparle après de ce
qu’on a ressenti, ce qui a été dur, en général, voilà, moi j’arrive à faire la part des choses. Voilà,
après, il y a la famille, les enfants, les cafés avec les copines…
ESI :
Voilà, j’ai fait le tour de mon questionnaire. Merci beaucoup pour tes réponses.
XII
Annexe IV : Restitution de l’entretien avec l’infirmier C
ESI :
Quel âge as-tu ? Depuis combien de temps es-tu diplômé ?
IDE C : Alors, j’ai 25 ans, je suis diplômé depuis un an et demi. Donc j’ai eu mon diplôme en juillet 2014.
ESI :
Du coup, tu exerces au centre de soins depuis ton diplôme ?
IDE C : C’est ça. Donc j’ai eu, donc début juillet, j’ai eu mon diplôme, et fin juillet, on m’a embauché ici :
au début pour un contrat longue durée, et puis après ça s’est transformé en CDI.
ESI :
D’accord, c’était un choix de ta part d’exercer en centre de soins, à domicile ?
IDE C : Oui, en fait, j’ai déjà fait des stages avant ma formation infirmière, et pendant l’IFSI, j’ai fait des
stages à domicile, et en fait ça m’a vraiment plu. Euh l’univers entre guillemets du domicile me
plaît beaucoup plus que l’hôpital, parce que, euh, comment [silence], on sent moins la
hiérarchie, et euh, puis on est dehors, donc c’est vrai que c’est… moi j’apprécie beaucoup ce fait
d’être dehors, et de pouvoir respirer, voilà, entre deux patients, de voir autre chose, ouais, voilà.
Donc c’était un choix de ma part. Voilà.
ESI :
Du coup, avant de débuter, quelles étaient tes connaissances au niveau soins palliatifs ?
IDE C : Alors, euh [silence] avant l’IFSI, j’avais côtoyé un petit peu les soins palliatifs parce que j’ai des
diplômes avant, j’ai un BEP et un BAC PRO envers la personne, les services à la personne. Du
coup, j’ai fait des stages à Ty Yann à Brest, et là ils ont un service d’oncologie, et puis euh, et
puis après, déjà ces avec ces stages-là, j’avais une petite approche, et puis après avec l’IFSI de
toute façon, ben on voit forcément des personnes en soins palliatifs et en fin de vie. Donc du
coup, avec mes stages, j’avais déjà eu une approche des soins palliatifs, euh… comment, mais
j’ai trouvé que quand tu es étudiant, tu peux, tu peux te cacher entre guillemets derrière
l’infirmière, et euh… et en fait, je sais pas… est-ce que je ne me sentais peut-être pas prêt et
peut-être que ça m’arrangeait d’être derrière l’infirmière ? Parce que c’est vrai que quant on
côtoie ces situations quand on a 22-23 ans, c’est pas forcément évident, quand on ne connaît
rien de la vie. Voilà… Du coup, ben j’avais eu quelques apports, mais c’était vraiment très vite
fait, et voilà.
ESI :
Donc du coup, entre les représentations que tu avais au départ et celles que tu as maintenant,
est-ce qu’il y a eu des évolutions ?
IDE C : Oui, il y a eu des évolutions, parce que, [silence] parce que comme je te dis, je me cachais,
entre guillemets, et puis ben après, quand tu arrives tout seul chez un patient qui est en fin de
vie, ben tu es obligé, de… voilà, tu prends sur toi, et puis tu n’as pas le choix de toute façon.
Donc euh, du coup, oui, mes représentations ont changé parce que [silence] parce que j’ai été
obligé de [silence], oui, de me centrer beaucoup plus sur la personne, et euh, et puis…
comment… [silence], peut-être obligé de faire abstraction de la maladie pour pouvoir faire les
soins parce que, c’est vrai que c’est pas facile… C’est un sacré, enfin c’est un sacré travail
quand même.
XIII
ESI :
Dans le centre, vous avez régulièrement des patients en fin de vie ?
IDE C : Oui, alors moi, depuis que je travaille, on a eu deux ou trois grosses, entre guillemets, situations.
Euh, on a eu une dame que j’ai connue pendant 6 mois, donc avec un cancer généralisé…
Voilà, on savait qu’elle allait bientôt décéder, mais euh, elle avait quand même, enfin elle avait
une alimentation en intra-veineux, elle avait un pousse seringue en intra-veineux aussi, enfin il y
avait beaucoup de matériel autour d’elle. Euh, voilà, on a eu un autre Monsieur qui avait un
cancer de l’œsophage, et je suis la dernière personne qui l’ai vu parce que c’est moi qui l’ai
hospitalisé, et du coup, il n’est pas revenu après. Voilà quelques situations comme ça qui
marquent quand même plus que d’autres, euh, parce que le ressenti est différent peut-être, ou
parce que, euh, … oui, enfin… comment on se sent avec la personne, je pense qu’on peut se
sentir plus touché quand on discute bien avec la personne, quand on connaît sa vie. La
personne que j’ai vue pendant 6 mois, ben c’est vrai qu’elle connaissait ma vie, enfin, une partie,
je connaissais la sienne aussi , et c’est vrai que c’est difficile, quoi.
ESI :
Et du coup, le fait que ce soit à domicile, et que les relations entre soignant et soigné sont quand
même assez différentes par rapport aux structures, tu penses que ça joue aussi ? Vous vous
attachez plus peut-être, et du coup c’est plus compliqué ?
IDE C : Oui, je pense que c’est différent, après, je n’ai pas travaillé à l’hôpital, donc je ne pourrai pas trop
m’aventurer là-dessus, mais je pense qu’à domicile, comme je te disais, on est chez les gens,
donc euh, c’est normal entre guillemets, que les gens connaissent notre vie, parce qu’on vient
chez eux, on rentre dans leur intimité, donc euh, voilà… qu’ils connaissent un peu où tu habites,
si tu as des enfants, si… euh… Alors qu’à l’hôpital, je pense que les patients ne se permettraient
pas de savoir si l’infirmière a des enfants ou pas, quoi. Après je trouve que, oui, le fait d’être
chez les patients, [silence] c’est comme tout à l’heure, je disais qu’on peut se cacher derrière
l’infirmière, quand j’étais étudiant ; je pense que quand on est à l’hôpital, on peut se retrancher
en tant que… on est dans le service, euh… voilà, on est dans le service, on a les locaux du
bâtiment, alors qu’à domicile, ben on n’a pas… on n’a aucun repère comme quoi on est dans un
établissement, quoi : on est au domicile des gens. Voilà. Donc je trouve que oui, il y a une
différence quand même, euh, enfin j’ai ressenti une différence entre mes stages et le travail. J’ai
quand même ressenti ça.
ESI :
Et du coup, au départ, comment aurais-tu défini l’accompagnement des personnes en fin de vie
avant de commencer à travailler ?
IDE C : Comment j’aurai défini ça ? [Silence] peut-être euh… [silence] euh par… Pour moi, enfin après il
y a eu des apports c’est sûr à l’IFSI, mais c’est vrai que quand on dit « soins palliatifs », c’est
forcément une personne qui va décéder. Et euh, et j’avais un peu cette image-là, même si j’avais
eu des cours à l’IFSI, qu’on nous avait dit ça plusieurs fois que non, non : ce n’est pas parce
qu’on est en soins palliatifs qu’on va forcément décéder. Mais, je ne voulais pas… peut être que
je n’étais pas assez mûr, peut-être que j’étais pas, je n’avais pas assez de recul, ou … Parce
que quand quelque chose est ancré, c’est vrai, quand on a des représentations, on a du mal à –
je pense au début – à reconnaître que nos représentations sont différentes de celles du terrain,
et que ben, quand on confronte les deux, ben c’est vrai que ça fait un espèce de choc parce
que… J’ai ressenti ça comme ça : de me dire, ben finalement, les représentations que j’ai ne
sont pas tout à fait les mêmes parce que… oui, parce que ce n’est pas évident, parce que c’est
des choses… enfin voilà, comment… ça dure longtemps les prises en charge, donc euh, c’est
vrai que, les représentations de l’infirmière qui vient juste, euh, sur le moment s’occuper d’une
XIV
personne c’est différent de nous qui voyons la personne sur 6 mois, sur un an, donc oui, mes
représentations ont changé, de l’accompagnement en fin de vie.
ESI :
Et du coup, sur les situations que tu m’as décrites tout à l’heure, sur les patients que vous avez
accompagnés en fin de vie, quand ils présentent des symptômes de souffrance globale
(souffrance physique, psychologique, sociale, spirituelle), comment vous faites à domicile au
quotidien pour gérer tout ça ?
IDE C : Alors, déjà pour, euh, pour… comment, pour tout ce qui est douleur, euh, nous on a, on a eu un
patient il y a 6 mois de ça peut-être, qui pareil, qui avait un cancer généralisé, et lui, on venait
tous les jours, matin et soir pour lui administrer des ampoules d’Acupan®, euh… donc, on avait
un rôle de surveillance de la douleur, et en cas de douleur… Il ne pouvait plus s’exprimer, donc
on faisait avec le faciès, on faisait avec les gémissements, donc on appelait le médecin si ça
n’allait vraiment pas… on a quand même, même si on se retrouve tout seul devant le patient, on
a quand même le médecin derrière qui sait que son patient est en fin de vie, donc voilà, on peut
toujours l’appeler, il n’y a aucun problème, même si le médecin nous appelle à 8 heures du
soir… c’est… on a quand même… comment, une aide avec le médecin, je trouve, le médecin de
famille. Ensuite, tu m’as dit, psychologique ? Au niveau psychologique, c’est beaucoup d’écoute,
quitte à passer une heure de temps chez la personne : la prise en charge est différente, euh,
parce qu’entre la personne chez qui on vient juste faire un soin et la personne qui est en fin de
vie, on a quand même une écoute très attentive, parce que la personne a peut-être des choses
à dire avant de décéder, ou des doutes, ou, voilà, il y a plein de choses… Voilà, il n’y a pas que
lui, il y a aussi toute la famille autour, et euh… Et du coup, on fait une écoute très attentive, s’il y
a besoin, on peut conseiller d’aller voir un psychologue, voilà, on peut quand même orienter vers
d’autres professionnels, euh. Mais c’est vrai que quand on a une personne qui est en fin de vie,
on sait très bien qu’on passera beaucoup plus de temps que chez… même si on ne fait pas
d’actes techniques, si on ne fait rien, on sait très bien que la parole, la présence est importante,
pour montrer qu’on n’est pas là que de passage, pour montrer qu’on a quand même un rôle
d’écoute très important, même si c’est pour parler de la pluie ou du beau temps, si la personne a
besoin d’évacuer, de s’exprimer… Voilà.
ESI :
Et du coup, comment ça se passe la nuit, pour les patients qui sont vraiment en grande difficulté
ou en fin de vie ?
IDE C : Alors, on a une astreinte, pour les personnes qui en ont besoin. Donc, on les met aussi bien
pour les perfusions et pour les personnes qui sont en fin de vie. Donc ils ont… on a un portable
ici au centre qui nous renvoie sur le portable personnel la nuit. Donc on peut être joint à
n’importe quelle heure. Donc on sait très bien que le soir, en quittant le travail à 8 heures, on
peut être appelés jusqu’à 7 heures le lendemain matin. Moi ça m’est arrivé plusieurs fois : la
personne qui me dit, ben voilà, l’appareil sonne, sauf que la personne ne connaît pas, elle n’a
pas eu de formation sur l’appareil, donc on se déplace à minuit, une heure du matin, on va aller
chez elle, et essayer de se débrouiller comme on peut. Voilà, mais c’est rassurant pour les
patients, c’est une présence. Et même si on va chez les patients et qu’on ne fait rien, on appelle
que le 15, au moins, ils sentent au moins qu’ils ont une assurance. Parce que nous, on a quand
même plus l’habitude qu’eux d’appeler le 15 pour exprimer les choses, enfin voilà, pour exprimer
la pathologie, pour montrer un petit peu les médicaments qu’on passe. Parce qu’une personne
qui est en fin de vie, qui a un appareil qui sonne, paniquera, donc je pense que… et puis c’est
plus rassurant de savoir qu’on peut avoir un professionnel chez soi, un visage connu dans ces
moments là. Voilà.
XV
ESI :
Et du coup, quand vous avez à prendre en charge des patients en fin de vie, quels sentiments tu
éprouves ? Est-ce différent de ce que tu peux éprouver pour des patients pour lesquels les
traitements sont encore possibles ?
IDE C : Euh, [silence] je trouve, enfin je pense… j’ai beaucoup d’empathie pour tout le monde, mais je
pense que le fait d’avoir une personne en fin de vie, c’est… avoir encore plus d’empathie pour la
personne, mais c’est vraiment de… de la comprendre, et essayer de… c’est comment…essayer
de… de la réconforter, mais en restant quand même [silence] peut être ne pas trop lui montrer
qu’on est juste professionnels, se mettre à sa portée, et discuter avec elle, euh… j’ai déjà vu des
infirmières pleurer avec des personnes en fin de vie parce que voilà, elles en ont besoin, euh…
quand [silence] quand on sait que la personne va partir, c’est vrai que nous on peut avoir une
boule au ventre, parce que nous on se dit : peut-être que son mari va appeler cette nuit ?... on
peut s’imaginer plein de choses. Donc je pense que oui, c’est beaucoup d’empathie, et parfois
de la tristesse, et… puis… oui, je pense que c’est quelque chose, c’est important. Parce qu’on
travaille quand même avec de l’humain, donc voilà.
ESI :
Et du coup, est-ce qu’il t’est déjà arrivé de te retrouver en difficulté face à des patients en fin de
vie, et cela t’as-t-il affecté ?
IDE C : Euh, alors oui, j’ai été en difficulté pour la première personne qui était en fin de vie. Euh, quand
j’ai commencé, comme je t’ai dit tout à l’heure, on s’est occupé d’une dame pendant plus de 6
mois, et oui, moi elle m’a particulièrement marqué cette dame-là, parce que je pense que c’est
la première personne que je prenais personnellement en tant qu’infirmier en charge. Et puis,
voilà, elle avait une alimentation, elle avait un pousse-seringue, elle avait des injections
plusieurs fois par semaine, on passait beaucoup de temps… c’est une personne qui avait
beaucoup de douleurs, euh, donc voilà, j’ai été en difficulté, parce que j’ai 24 ans, enfin
maintenant 25, mais j’avais 24 ans, j’arrive chez la personne, je ne connais rien de sa vie, et
elle, elle avait plus de 65 ans, elle me demandait d’être… d’avoir le même rapport professionnel
qu’avec une personne qui a 30 ans d’expérience, donc je pense que l’âge ça m’a quand même
mis en difficulté, parce que je ne connais rien entre guillemets de la vie. Euh, c’est pas facile de
savoir trouver les mots pour essayer de réconforter une personne quand on n’a eu que des
apports théoriques à l’école d’infirmier et que, voilà, on tombe de haut : moi c’est vraiment
l’impression que j’ai eue, et oui, c’est vraiment la personne qui m’a vraiment mis le plus en
difficulté. Mais après, j’ai repensé à cette situation : cette personne-là a marqué l’esprit
d’infirmières ici : donc on en a discuté entre nous…
ESI :
[Coupure de parole] Vous avez pu échanger sur la situation ?
IDE C : C’est ça, parce que, euh, garder pour soi, ce n’est pas bon. Parce qu’il y a de quoi se rendre
malade si on garde tout pour nous… Euh, quitte à rester une demi heure entre nous à
exprimer…
ESI :
Vous arrivez à trouver des moments et des méthodes pour évacuer un peu les situations
difficiles ?
IDE C : C’est ça. Après, moi ce que je trouve juste dommage, c’est qu’ici, on n’aie pas
d’accompagnement psychologique, qu’on n’ait pas de psychologue qui vienne, parce que quand
même, il y a quand même des situations traumatisantes, euh, des situations de fin de vie, et il
suffit d’avoir soi-même quelqu’un de malade dans sa famille pour faire une projection, pour
XVI
s’identifier entre guillemets, quand on voit les enfants ou les petits enfants, donc c’est vrai que
c’est pas… c’est pas évident. C’est vrai que c’est dommage, il manque quelqu’un.
ESI :
Il n’y a pas de groupes de paroles, de choses organisées par la structure?
IDE C : Non, nous on fait entre nous, on a demandé à la directrice de pouvoir voir quelqu’un, voilà…
Parce que c’est pas, on n’est pas psychologues, on ne sait pas comment aborder les choses,
trouver les mots, réconforter les uns et les autres.
ESI :
Et du coup, vous arrivez à vous ressourcer tous personnellement, trouver des astuces : du sport,
ce genre de choses ?
IDE C : C’est ça, alors c’est, euh, moi personnellement, j’aime beaucoup tout ce qui est sciences, donc
c’est vrai que quand… Comment dire ? Pour m’évader, entre guillemets, c’est vrai que, quitte à,
mettons, entre les patients, pour me vider la tête, je vais sur internet regarder des trucs de
science, ça me fait vraiment du bien, ça me permet de me vider la tête, parce que c’est mon
échappatoire. Après comme sport, j’en fait pas vraiment ; j’en ai fait mais j’en fait plus beaucoup,
mais c’est vrai que c’est… un bon moyen de se défouler parce que, quand on sort du sport,
après deux heures de sport on est fatigué, et on est bien content… voilà, ça permet de nous
calmer, de nous canaliser. Mais c’est vrai qu’il faudrait que je refasse du sport parce que ça fait
quand même du bien. Et puis après, les ressources, il y a l’équipe : ça c’est quand même une
sacrée ressource : entre nous, de pouvoir exprimer nos difficultés. Et ce que j’apprécie
beaucoup dans cette équipe, c’est qu’on n’est pas dans le jugement : je pense qu’il y a des
équipes où, certains collègues pourraient ne pas comprendre les difficultés de l’autre. Mais ici,
on arrive à tous s’exprimer, on a tous notre place ici, et si on voit une collègue qui se met à
pleurer, on viendra vers elle, et puis on l’écoutera : c’est vrai que c’est bien. Donc c’est vrai que
c’est une bonne ressource, l’équipe
ESI :
Voilà, j’ai fait le tour de mon questionnaire. Merci beaucoup pour tes réponses.
XVII
Annexe V : Grille d’analyse des entretiens
Réponses IDE C
(Centre de soins)
Questions
Réponses IDE A
(Unité de Soins Palliatifs)
Objectif de la question
Réponses IDE B
(Service avec Lits Identifiés Soins
Palliatifs)
3 lits identifiés soins palliatifs sur les 36 lits de
l’unité, mais au quotidien, prise en charge de
plus de 3 patients en soins palliatifs
- Suivent régulièrement quelques patients
en soins palliatifs
- N’a jamais travaillé à l’hôpital donc ne peut
comparer les deux pratiques, mais à
domicile, trouve normal que les patients
connaissent une partie de la vie des
soignants (où ils habitent, s’ils ont des
enfants, …) parce que les soignants
rentrent dans l’intimité des patients..
Quel âge avez-vous ?
Depuis combien de
temps
êtes-vous
diplômé(e) ?
Evaluer si l’ancienneté et
l’expérience facilitent la prise
en soins des personnes en
fin de vie.
o
o
o
o
Femme.
58 ans.
Diplômée en 1979.
Expériences professionnelles : urgences,
médecine,
chirurgie,
pédiatrie,
pneumologie, oncologie, cardiologie,
néphrologie.
o Formation complémentaire : DU de soins
palliatifs en 2008.
o
o
o
o
Femme.
30 ans.
Diplômée depuis 2008.
Expériences professionnelles : différents
services (pool) et long séjour.
o Formation complémentaire : formation
soins palliatifs, et projet de faire un DU
de soins palliatifs.
o
o
o
o
Homme.
25 ans.
Diplômé depuis 2014.
Première expérience professionnelle.
Depuis combien de
temps exercez-vous
dans ce service ?
Etait-ce un choix de
votre
part
d’y
exercer ?
Evaluer si le fait d’être
volontaire pour travailler
dans ce type de service a un
effet « facilitateur » sur la
prise en soins des personnes
en fin de vie ; avoir une idée
o Exerce dans le service depuis 2008 (choix
de sa part, et comme elle avait un DU de
soins palliatifs, elle était un atout pour
l’hôpital car nécessité d’avoir une IDE ayant
un DU pour ouvrir l’unité).
o A exercé en médecine où elle a été
confrontée à des fins de vie difficiles.
o Est alors partie en EHPAD car elle pensait
o Avait exercé en pneumo quelques temps
lorsqu’elle était dans le pool, puis est
revenue il y a 3-4 ans (choix de sa part).
o Exerce au centre de soins depuis juillet
2014, date de son diplôme (choix de sa
part).
o Préfère l’univers du domicile par rapport à
l’hôpital car il trouve qu’on y sent moins la
hiérarchie, et apprécie être dehors,
respirer, voir autre chose.
XVIII
Que saviez-vous des
soins palliatifs avant
d’entrer
dans
le
service ?
Existe-t-il
des
différences entre vos
représentations
initiales et celles que
vous
avez
aujourd’hui ?
Avant d’entrer dans ce
service,
comment
auriez-vous défini la
prise en soins et
sur les connaissances des
que la fin de vie y est plus « logique » :
mais a réalisé que ce n’était pas le cas.
soignants liées aux soins
o N’avait pas de formation spécifique sur les
palliatifs avant leur entrée
soins palliatifs avant 2008, et souhaitait
dans le service et l’évolution
avoir des outils en soins palliatifs pour faire
qu’ils ont pu avoir depuis.
face aux fins de vie.
(Questions concernant la
o Est passée par beaucoup d’étapes dans sa
partie A).
carrière : a posé des cocktails lytiques, ce
qu’elle a trouvé très difficile.
o A évolué au cours de sa carrière : quand
elle était jeune, ne se posait pas forcément
la question : pourquoi je le fais ? Par la
suite, s’est posée les questions du savoir,
du bienfait des différentes pratiques, a été
en perpétuel questionnement, et a été
obligée de trouver des réponses.
o Trouve réducteur de laisser le terme soins
palliatifs à une seule unité car estime qu’ils
sont faits dans tous les services.
o Sa formation a été surtout utile pour elle
pour mettre des mots sur des sensations,
de l’inconfort qu’elle avait quand elle
travaillait, suivant les situations.
Evaluer s’il existe une
différence
entre
les
représentations initiales des
soignants et ce qu’ils vivent
- Trouve qu’aujourd’hui, on est moins centré
sur l’humain : dans certains services, on
parle d’abord de la pathologie avant de
parler du patient, ce qui n’est pas le cas en
soins palliatifs où la personne est au
o Connaissait ce qu’elle avait appris à
l’école.
o Avait tendance à assimiler les soins
palliatifs et la fin de vie.
o S’est
rendue
compte
que
les
accompagnements de personnes en soins
palliatifs peut se faire sur du long terme.
o Avait eu une petite approche des soins
palliatifs avant l’IFSI car a un BEP et un
BAC PRO aide à la personne, et a pris en
charge des patients en fin de vie lors de
ses stages à l’IFSI.
o Ne connaissait des soins palliatifs que les
apports théoriques des cours de l’IFSI : en
stage, avait tendance à « se cacher »
derrière l’infirmière parce que ça
l’arrangeait et qu’il ne se sentait pas
forcément prêt à affronter ces situations à
22-23 ans.
o Changement des représentations lorsqu’il
a commencé à travailler car a dû prendre
sur lui pour prendre en charge seul des
patients en fin de vie : n’a pas eu le choix.
o S’est centré beaucoup plus sur la
personne, et a fait en quelque sorte
abstraction de la maladie pour pouvoir
faire les soins. A trouvé cela difficile.
- Avant de débuter, pensait que les soins
palliatifs, c’était forcément la fin de vie,
mais s’est rendue compte que c’était
beaucoup plus vaste.
- S’est rendue compte que les patients
- Assimilait soins palliatifs et fin de vie avant
de commencer à travailler, même s’il avait
eu des apports théoriques à l’IFSI qui lui
démontraient le contraire.
- Pense qu’il n’était pas assez mûr ou qu’il
XIX
l’accompagnement
des personnes en fin
de vie ?
Existe-t-il
une
différence entre les
représentations que
vous
aviez
initialement et la
réalité des services ?
Si oui, cela vous
affecte-t-il ?
au quotidien, et si cela les
affecte
si
leurs
représentations ne sont pas
en adéquation avec leurs
pratiques.
(Questions
concernant les parties B1,
B3 et B4)
Comment
accompagnez-vous au
quotidien les patients
en
fin
de
vie
présentant
des
symptômes
de
souffrance globale ?
Evaluer la spécificité
l’accompagnement
personnes en fin de
(Questions concernant
parties B2, B3 et B4)
centre de la prise en charge, en tenant
compte bien sûr de sa pathologie, de sa
famille, …
Pense qu’on ne vient pas travailler en
soins palliatifs par hasard : elle a évolué
en âge, et sa vie personnelle a joué sur
son parcours professionnel.
Evolution au niveau législatif (loi Léonetti :
personnes de confiance, directives
anticipées, …).
Pense que les personnes sont aussi plus
informées et sensibilisées.
Pense qu’en général, les médecins sont
plus à l’écoute des patients, sauf certains
qui vont aller dans la technique, mais c’est
une manière pour eux de se défendre
contre la fin de vie.
peuvent être en soins palliatifs pendant
des années, et qu’ils pouvaient bénéficier
de traitements à visée palliative (chimio
palliative, …).
- Pensait que les soins palliatifs
correspondaient à l’arrêt des traitements et
à un accompagnement de la fin de vie.
n’avait pas assez de recul : a eu du mal à
reconnaître que ses représentations
initiales sur ce sujet étaient différentes de
celles du terrain. A ressenti une sorte de
choc lorsqu’il a confronté les deux.
- Changement
des
représentations
également par le fait que les
accompagnements se font sur de longues
durées, et qu’ils voient les patients au
quotidien.
- Souffrance physique : généralement,
arrivent à la traiter (morphiniques,
Kétamine®).
- Souffrance psychique : Midazolam®.
- Souffrance globale : essaient de trouver la
juste dose entre les médicaments pour
que le patient soit au mieux soulagé.
Parfois, n’y arrivent pas, mais ne le vivent
pas comme un échec car certains patients
ne se sentent pas en vie s’ils n’ont pas un
fond douloureux.
- Sont dans un accompagnement de vie,
accompagnement de la personne jusqu’à
ses derniers jours.
- Le terme mourant n’existe pas pour elle :
- Suite à des remaniements de services,
n’ont plus de staffs de soins palliatifs, donc
difficulté pour elle.
- Dans le service, un pneumologue est
spécialisé au niveau oncologie, donc c’est
un interlocuteur privilégié pour l’équipe.
- Les patients sont « étiquetés » soins
palliatifs, sont isolés en chambre seule.
- Il existe aussi, outre la prise en charge du
patient, celle de sa famille (lits
accompagnants, horaires de visites plus
souples).
- Travaillent en réseau avec la psychologue
du service qui intervient auprès des
patients s’ils le souhaitent.
- Pour la gestion de la douleur physique,
peuvent être amenés à faire 2 passages
par jour chez la personne pour
administration de traitements et évaluation
de la douleur (faciès, EVA, …).
- Même s’ils sont seuls devant le patient,
savent que le médecin traitant est là, donc
peuvent l’appeler.
- Au niveau psychologique, ça passe par
beaucoup d’écoute : la prise en charge est
différente entre les patients chez qui ils
vont faire un soin et ceux en fin de vie.
- Ils passent plus de temps chez les
personnes en fin de vie, ont une écoute
très attentive parce que la personne a
-
-
-
de
des
vie.
les
XX
cette phase n’existe pas : soit on est
vivant, soit on est mort.
Utilisent des huiles essentielles, la
musicothérapie, le toucher bien-être.
Pense que ces moyens sont utilisés car
ont une plus grande ouverture d’esprit que
quand elle était dans d’autres services.
Sont plus attentifs à certaines thérapies
qui sont efficaces, plutôt que d’apporter
systématiquement
des
réponses
médicamenteuses.
L’écoute du patient est au cœur de la prise
en charge, et elle se sent sereine de ce
point de vue-là.
- Quand l’équipe est en difficulté, ils font
intervenir l’équipe mobile de soins palliatifs
(par exemple, quand ils ont fait tout ce
qu’ils pensaient être le mieux au niveau
médical, paramédical, et que la personne
est toujours en souffrance ; lorsqu’ils ont
des questions éthiques : mise en place
d’une alimentation ? ; pour évaluer la
faisabilité du retour à domicile avec l’HAD).
- N’ont pas plus de personnel, mais essaient
de prendre plus de temps avec les
patients : proposent des soins de confort,
des massages, adaptent la toilette en
fonction de l’état et des souhaits du
patient.
- Sont beaucoup dans l’écoute, la présence,
et intègrent la famille dans la prise en
charge.
- Favorisent au maximum le bien-être du
patient, encouragent les familles à
apporter de la nourriture plaisir au patient.
peut-être besoin de s’exprimer, a des
choses à dire, des doutes, …
- Peuvent orienter vers des psychologues
s’ils sentent que le patient est en difficulté.
- Importance de l’écoute, de la présence, de
montrer aux patients qu’ils ne sont pas que
de passage, mais qu’ils ont également un
rôle d’écoute très important lorsque la
personne a besoin de s’exprimer,
d’évacuer.
- La nuit, ont des astreintes pour les
personnes qui en ont besoin (personnes
en fin de vie, surveillance de perfusion).
Peuvent être appelés directement par les
patients : se déplacent au domicile pour
évaluer la situation et appeler le 15 si
besoin. Rassurant pour les patients d’avoir
un professionnel joignable, et un visage
connu dans les moments où ça ne va pas.
- Elle ne pense pas au fait que les patients
sont en fin de vie.
- Pour elle, ce sont des patients comme les
autres avec une approche qui est
différente, ils travaillent d’une autre
manière : elle sait qu’ils ont une
pathologie, mais ne se dit pas « ils sont en
fin de vie ».
- Essaie de mettre le fait qu’ils sont en fin de
vie de côté : non pas de l’occulter, mais
pour elle, ils ont une maladie chronique,
- Pense ne pas faire de différence entre les
patients en hospitalisation classique et les
patients hospitalisés en LISP.
- Le sentiment qui prédomine, c’est la
frustration quand la charge en soins est
importante, et qu’elle n’a pas pu apporter
le temps qu’elle avait envie aux patients
car ils ont souvent besoin de plus de
présence.
- A parfois le sentiment de ne pas avoir pu
aller jusqu’au bout de ce qu’elle aurait
- A de l’empathie pour tout le monde, mais
en a encore plus lorsque la personne est
en fin de vie, essaie de la comprendre, de
la réconforter.
- Pour lui, c’est ne pas trop montrer aux
patients en fin de vie qu’ils sont juste des
professionnels, c’est se mettre à leur
portée, discuter avec eux. A déjà vu
certaines de ses collègues pleurer avec
des personnes en fin de vie.
- A souvent eu une boule au ventre en se
-
-
-
Quels
sentiments
éprouvez-vous le plus
souvent lorsque vous
prenez en soins des
personnes en fin de
vie ?
Est-ce différent de ce
que vous pouvez
ressentir face à des
Identifier les émotions ou
sentiments
prédominants
des
soignants
dans
l’accompagnement
des
personnes en fin de vie.
(Questions concernant la
partie C1)
XXI
patients pour lesquels
des soins curatifs
sont
encore
possibles ?
Vous arrive-t-il de
vous retrouver en
difficulté face à des
patients en fin de vie ?
Si oui, cela vous
affecte-t-il
au
quotidien ?
Identifier les mécanismes de
défense mis en place par les
soignants, et les éléments
facilitateurs à la prise en
soins des patients en fin de
vie (moyens matériels,
humains, personnels ou
institutionnels). (Questions
concernant les parties C2 et
C3).
comme d’autres maladies, et ils vivent
avec.
- Sait que la quantité de vie est limitée, mais
essaie de faire en sorte que la qualité soit
la même.
aimé faire pour les patients.
- Au niveau prise en charge, à part le temps
de présence et le fait que les patients en
soins palliatifs peuvent être suivis sur de
longues période (moyen cours voire long
cours), pas de grosse différence par
rapport aux patients en hospitalisation
classique.
- La relation est, suivant les patients,
différente car ils ont le temps de rencontrer
la famille (enfants, petits-enfants le cas
échéant) : la famille est plus intégrée dans
la prise en charge des patients en LISP.
demandant si le mari d’une patiente en fin
de vie allait l’appeler la nuit lorsqu’il était
d’astreinte.
- Ressent de l’empathie, et parfois de la
tristesse, étant donné qu’il travaille avec
de l’humain.
pas
satisfaite
des
- N’était
accompagnements qu’elle a pu faire en
service de médecine car pour elle, ils
étaient
souvent
presque
dans
l’acharnement thérapeutique avec des
perfusion, des alimentations, … Elle
considère qu’ils allaient au bout sans voir
le reste. A quitté ce service car elle n’était
plus en phase avec elle-même. Pensait
qu’ils passaient à côté de quelque chose
en répondant par des médicaments, des
perfusions, de l’alimentation artificielle, et
n’étaient pas assez à l’écoute du patient,
de sa famille.
- Quand a passé son entretien pour entrer
dans l’unité, pensait que la prise en charge
de patient jeunes serait la plus difficile : au
final, c’est la prise en charge de patientes
du même âge qu’elle qui est le plus difficile
- A été confrontée à des situations difficiles
car a suivi des patients pendant des mois,
voire des années, donc avait noué une
relation plus forte avec eux.
- Sentiment de frustration de n’avoir pas pu
faire son travail comme elle l’aurait voulu
par manque de temps.
- Pour elle, difficulté de prendre en charge
des patients jeunes, avec des enfants
jeunes (idem pour ses collègues car
équipe jeune).
- Identification aux patients jeunes.
- Difficultés rencontrées avec le cas d’un
Monsieur, jeune, marié à une Philippine :
difficultés de communication en plus de
son jeune âge.
- S’est senti touché dans des situations où il
avait beaucoup d’échanges avec les
patients, quand il connaissait une partie de
la vie de ses patients et vice-versa.
- S’est senti en difficulté face à une patiente
en fin de vie car c’était la première patiente
qu’il prenait personnellement en charge en
tant qu’infirmier.
- Passait beaucoup de temps auprès de
cette personne (alimentation, PSE,
injections, …) qui était également très
douloureuse.
- Difficulté par rapport à son âge : avait 24
ans et s’occupait de cette personne de
plus de 65 ans qui lui demandait d’être le
même professionnel qu’une personne qui
a 30 ans d’expérience.
- Mis en difficulté par rapport à son âge car
estime « ne rien connaître de la vie ».
XXII
pour elle (interface, similitudes).
- Trouve également dur de s’occuper de
jeunes mamans.
- A été marquée par une phrase d’une
cinéaste qu’elle a entendue à une
conférence à Paris, et qui disait de son fils,
décédé à l’âge de 5 ans : « Il a été
jusqu’au bout de sa vie ».
- Une situation l’a particulièrement
marquée : elle était peut-être plus fatiguée,
plus fragile, et s’occupait d’une femme de
son âge : elle a eu l’effet miroir, et a du
prendre énormément de recul par rapport
à cette situation.
- Se rappelle de noms de certains patients
qui l’ont particulièrement marquée, émue,
touchée, même plusieurs années après.
Que faites-vous pour
vous
ressourcer
lorsque vous vous
sentez en difficulté ?
Est-ce une initiative
personnelle ou des
moyens mis en place
par l’établissement ?
Cela est-il efficace,
selon vous ?
Evaluer les moyens mis en
œuvre par les soignants pour
remédier à des situations de
souffrance.
(Questions
concernant la partie C4).
- A un moment, était le nez dans le guidon
dans le service, et ça n’allait pas : du coup,
elle fait de la gym intensive, 2 heures par
semaine, de la méditation et du shiatsu
(qui l’aide à lever toutes ses tensions).
- Pour elle, nécessité d’avoir des activités à
l’extérieur.
- Les groupes de paroles se sont terminés
en juin 2014 car le psychologue était arrivé
au bout de l’accompagnement de l’équipe :
il n’y en n’a pas eu en 2015, et ça s’est
ressenti. Ca va reprendre en 2016
(obligation pour les USP), et cela permet
de soulager l’équipe.
- Importance de l’équipe car ont toutes un
- Difficulté de trouver les mots pour
réconforter les personnes car n’avait eu
que des apports théoriques à l’IFSI : est
tombé de haut.
- Dit qu’il suffit d’avoir soi-même quelqu’un
de malade dans sa famille pour faire une
projection, pour s’identifier aux enfants
ou petits-enfants de la personne.
- Importance de l’équipe : échangent
beaucoup, même s’il n’y a plus de staffs,
échangent au moment des visites, des
transmissions.
- Sentent que les médecins sont aussi à leur
écoute.
- Peuvent faire appel à l’équipe mobile de
soins palliatifs, à la psychologue.
- Peuvent participer à des ateliers
d’échanges organisés par la psychologue
du
pôle
médecine-oncologie
(les
professionnels partent d’une situation
vécue pour échanger ensemble sur les
difficultés rencontrées).
- Importance pour elle de la satisfaction de
- Discussions dans l’équipe : il y a de quoi
se rendre malade si on garde tout pour soi.
- L’équipe est pour lui une ressource
importante car cela lui permet d’exprimer
ses difficultés. Apprécie le fait que ses
collègues ne soient pas dans le jugement :
arrivent tous à s’exprimer, ont tous leur
place dans la structure.
- Regrette
qu’il
n’y
ait
pas
d’accompagnement psychologique des
soignants du centre, car vivent des
situations traumatisantes.
- Ont fait des demandes pour pouvoir voir
un psychologues : ne sont pas
psychologues, ne savent pas forcément
XXIII
interlocuteur privilégié avec lequel elles
peuvent discuter quand a ne va pas ;
peuvent se confier et sont à l’écoute les
unes des autres. Les médecins sont aussi
à leur écoute.
se dire qu’elle a été au bout de la prise en
charge, satisfaction lorsque la fin de vie se
passe calmement, dans les meilleures
conditions possibles, lorsque tout le
monde a pu s’y préparer.
- Est rarement tracassée par des situations
professionnelles lorsqu’elle rentre chez
elle, arrive à faire la part des choses en
échangeant avec ses collègues.
- Pour elle, importance également de la
famille, des enfants, des copines, …
comment aborder les choses, trouver les
mots, se réconforter les uns les autres.
- Entre deux patients, quand a besoin de se
vider la tête, va sur internet regarder des
sites sur les sciences : c’est son
échappatoire.
XXIV
GOUGAY Cécile
Title: Palliative Care and Nursing Posture – Support of the Patient and Management of the Health Care
Providers’ Feelings.
Supporting patients at end of life takes a more and more important place in the nursing role. This is due to the
progress of medicine, to the evolution of palliative care legislation and to better information acquired by the
general public. This research initiation work is focused on the support of patients at end of life in palliative
care units and on the way health care providers can manage their feelings. It aims to determine whether
nurses who are often confronted with the support of patients at end of life were moved by these situations and
in that case to highlight the methods they established to face them. This work was made from a particularly
significant situation lived through during a training period. This starting point permitted the establishment of a
conceptual framework developing palliative care, support of the patients and the way health care providers
can be affected when they take care of patients at end of their life. Then, interviews were held with three
professional nurses, and analysed to compare the theory and the reality of the wards. This work shows that,
whatever experience and complementary learning of nurses, they all faced difficulties in their career when
they took care of a patient at end of life. They also had to work on themselves to identify their defence
mechanisms, step back with situations, and finally find some methods – personal or institutional – to avoid
being overwhelmed by their own feelings. This study emphasizes the fact that supporting a patient at end of
life affects health care providers. Consequently, they need to know their own limits to avoid an important
implication which could lead to a burn-out.
Key words : Defence Mechanisms, Feelings, Palliative Care, Support.
Titre: Soins palliatifs et posture infirmière - Accompagnement du patient et gestion des émotions du
soignant.
Les situations d’accompagnement de patients en fin de vie prennent une place de plus en plus importante
dans le rôle infirmier du fait des progrès réalisés dans le domaine médical, de l’évolution de la législation
relative aux soins palliatifs et d’une meilleure information du grand public. Ce travail d’initiation à la recherche
est axé sur l’accompagnement du patient en phase terminale des soins palliatifs et la gestion des émotions
du soignant. Son objectif est de déterminer si les infirmiers confrontés régulièrement à des
accompagnements de fin de vie sont touchés par ces situations et si tel est le cas, de mettre en lumière les
moyens qu’ils mettent en oeuvre pour y faire face. Ce mémoire a été mené à partir d’une situation
particulièrement marquante vécue lors d’un stage. Ce point de départ a permis l’élaboration d’un cadre
conceptuel développant la notion de soins palliatifs, d’accompagnement et des émotions éprouvées par les
soignants dans le cadre de la prise en soins de patients en phase terminale des soins palliatifs. Des
entretiens ont ensuite été menés auprès de trois professionnels, puis analysés de manière à confronter le
cadre théorique à la réalité des services. Il découle de ce travail de recherche que, quelles que soient
l’expérience ou la formation complémentaire des soignants, ils se sont tous retrouvés en difficultés à un
moment donné de leur carrière face à la prise en soins d’un patient en fin de vie. Il leur a alors été nécessaire
de faire un travail sur eux-mêmes pour identifier leurs mécanismes de défense, prendre du recul par rapport à
la situation, et enfin, trouver des moyens – personnels ou institutionnels – pour éviter de se laisser submerger
par leurs émotions. Cette étude montre bien à quel point l’accompagnement des patients en phase terminale
des soins palliatifs a une incidence sur les soignants : il leur faut par conséquent connaître leurs limites pour
éviter une implication trop forte pouvant conduire à un burn-out.
Mots clés : Accompagnement, Emotions, Mécanismes de défense, Soins Palliatifs.
INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS QUIMPER-CORNOUAILLE
1 rue Etienne Gourmelen – BP 170
29107 QUIMPER CEDEX
TRAVAIL ECRIT DE FIN D’ETUDES – Année 2015-2016
Téléchargement