ROLAND, LA VÉRITÉ DU VAINQUEUR THÉÂTRE DE LA PIRE ESPÈCE TEXTE ET MISE EN SCÈNE OLIVIER DUCAS 2014/15 PHOTO © YANICK MACDONALD EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE 02 51 88 25 25 / LeGrandT.fr ROLAND, LA VÉRITÉ DU VAINQUEUR LE GRAND T - LA CHAPELLE MARS LU0220:30 MA0320:00 ME0420:00 JE0520:00 VE0620:30 POUR LES ÉCOLES DE LOIRE-ATLANTIQUE LE GRAND LIEU - LA CHEVROLIÈRE MARS MA1710:00 & 14:30 LE PRÉAMBULE - LIGNÉ MARS MA2410:30 & 14:30 THÉÂTRE DE VERRE - CHÂTEAUBRIANT MARS JE2610:30 & 14:30 VE2710:00 ATHANOR - GUÉRANDE MARS LU3010:00 & 14:30 DURÉE : 55 min SOMMAIRE PUBLIC : à partir de 9 ans Présentation 3 La pièce 4 Note d’intention 5 La Chanson de Roland 6 Olivier Ducas, auteur, metteur en scène, acteur 9 Le Théâtre de la Pire Espèce CONTACTS PÔLE PUBLIC ET MÉDIATION Manon Albert [email protected] 02 28 24 28 08 Florence Danveau [email protected] 02 28 24 28 16 10 Regard sur Le Théâtre de la Pire Espèce 12 13 Histoire du genre Le théâtre d’objets 15 La presse en parle... 19 Caroline Urvoy [email protected] 02 28 24 28 17 © PHILIPPE BERTHEAU L’équipe du projet LE GRAND T 84, rue du Général Buat BP 30 111 44 001 NANTES CEDEX 1 2 PRÉSENTATION Roland, la vérité du vainqueur Texte et mis en scène Olivier Ducas Théâtre de le Pire Espèce Avec Daniel Desparois en alternance avec Alexandre Leroux-Gendron et Étienne Blanchette Assistance à la mise en scène Claudia Couture Scénographie Julie Vallée- Léger et Déline Pétrone Régie son Amélie-Claude Riopel Conception sonore Benoît Durand-Jodoin Régie lumière Julie Brosseau-Doré Conception lumière Thomas Godefroid Direction de production et régie lumières Clémence Doray Production Théâtre de la Pire Espèce Avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts de Montréal. 3 YANICK MACDONALD LA PIÈCE ROLAND : UN DUO DUEL DE CONTEURS Sur la scène, un conteur vient livrer au public l’histoire de son héros d’enfance, Roland. Un vrai chevalier. « Pas le genre de chevalier qui tue des dragons et qui sauve des princesses, non, le genre qui fait son travail : la guerre ». Et pas un héros de légende, un vrai héros, historique ! Heureusement, son ami reste en dehors de tout ça. Le duo de conteurs se transforme alors en duel, chacun défendant sa lecture de La Chanson de Roland, chacun cherchant à imposer sa vérité au public. Avec une bonne dose d’humour, mais sans complaisance, le spectacle questionne notre perception ethnocentriste du monde et notre foi aveugle en « l’Histoire officielle », celle des gagnants. Avec son ami « engagé pour jouer les personnages secondaires », il relate les meilleurs épisodes de La Chanson de Roland, en proclamant leur véracité puisque « c’est écrit dans le livre ». Dans la pièce, Roland et les douze pairs de France sont des petites marionnettes d’ombre en papier, manipulées à vue par les deux acteurs. Mais peu à peu, captivé par son histoire, notre conteur se substitue à sa figurine de chevalier, il se transforme en Roland, lui donne corps. Il entre dans l’histoire, il passe derrière l’écran, devient une ombre parmi les ombres et perd définitivement toute distance critique. Il s’est pris au jeu, pris au piège. 4 NOTE D’INTENTION UN THÈME DOULOUREUSEMENT ACTUEL DE L’OBJET À L’OMBRE À sa création (au Canada, un pays en guerre en Afghanistan, faut-il le rappeler), le spectacle a suscité bien des débats chez les élèves qui y ont assisté. Le théâtre de la Pire Espèce est reconnu pour ses spectacles de théâtre d’objets (Ubu sur la table, Persée). Mais la compagnie aime se plonger dans de nouvelles pratiques en amont de ses créations : le clown de théâtre (La Vie est un match, Traces de clounes), le cabaret, le théâtre de rue. Avec Roland, l’usage du théâtre d’ombre s’est imposé dès les premiers jets d’écriture du texte. Qui sont les bons et les méchants dans cette histoire ? Pourquoi avoir écrit cette histoire, il y a mille ans ? Pourquoi nous fait-elle encore vibrer aujourd’hui ? Comment ne pas croire aux images qui nous sont présentées comme vraies ? Nous, citoyens d’une société libre, sommes-nous vraiment affranchis de la propagande lorsque les bulletins d’informations s’entêtent à parler de MISSION en Afghanistan pour décrire la guerre ? Quand le président d’un pays allié en appelle à la « Croisade contre les terroristes » ? Quand les imagiers de chevaliers de nos enfants racontent encore avec ferveur les « succès » des Croisés en Terre Sainte ? L’ombre possède un aspect mystérieux et immatériel qui convient parfaitement au caractère fantastique et légendaire de l’épopée. Elle peut dilater l’espace scénique, et transformer un nain de papier en géant des ténèbres ! Elle recrée physiquement les hyperboles des conteurs. En outre, la nature même de l’ombre épouse le propos de la pièce. Envahi, subjugué par la légende qu’il relate, perdu dans l’image de son héros tout-puissant, le conteur est illusionné par des mirages. Son ignorance de l’Histoire l’empêche de percevoir davantage que les images en noir et blanc, vérités partielles, bidimensionnelles de son épopée haineuse… mais si bien écrite! LE JEUNE PUBLIC CIBLE J’ai longtemps travaillé auprès des jeunes de 10 à 14 ans. Assez vieux pour exprimer leur révolte contre le monde, « la société », mais encore trop jeunes pour proposer mieux. Prêts à faire n’importe quoi pour être différents… comme tout le monde. J’aime cet âge trouble, plein de maladresse mais plein de promesses. Le spectacle est adressé aux jeunes de 9 à 14 ans. Assez vieux pour exprimer leur révolte contre le monde, « la société », mais encore trop jeunes pour proposer mieux. Prêts à faire n’importe quoi pour être différents… comme tout le monde. Un âge trouble, plein de maladresses, et de promesses.. Roland est dédié à ces vieux enfants (ou ces jeunes ados), un objet théâtral spécialement conçu pour les dents de lait de leur esprit critique naissant. Théâtre de la Pire Espèce LIENS INTERNET Extrait du spectacle sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=Hcts_05JqBE Entrevue sur la nouvelle création Ville, avec Olivier Ducas et Julie Vallé-Léger : http://www.youtube.com/watch?v=n1rukyy-8JM 5 © YANICK MACDONALD LA CHANSON DE ROLAND UN PEU D’HISTOIRE LA COMPOSITION ET L’ÉCRITURE La plus ancienne chanson de geste française, en 4002 décasyllabes assonancés. L’équilibre de la composition atteint d’emblée une perfection surprenante, avec la trahison de Ganelon, la bataille et la mort de Roland, puis, dans une seconde partie, l’affrontement de Charlemagne avec l’émir Baligant, et le châtiment du traître : deux parties, donc, le martyre de Roland et la vengeance, qui en soulignent l’ordonnance déjà classique. On la date de la fin du XIe siècle, et nul texte de ce genre ni de cette importance en langue vernaculaire ne lui est antérieur. L’auteur est inconnu, mais on a voulu le voir dans le Turoldus, qui signe le dernier vers du poème. LE RÉCIT De retour d’Espagne, l’armée de Charlemagne voit son arrière-garde, confiée par l’empereur à son neveu Roland, attaquée par des sarrasins très supérieurs en nombre, à la suite d’une trahison de Ganelon. Malgré leur bravoure, les preux (Roland, son ami Olivier, l’archevêque Turpin) sont massacrés à Roncevaux. Prévenu trop tard parce que Roland n’a voulu sonner du cor qu’à la dernière extrémité, l’empereur venge ses pairs et fait mettre à mort le félon. Le découpage en laisses, en tirades d’inégale longueur, dont l’apparente improvisation renvoie à la technique orale des jongleurs, introduit dans cette architecture toutes les nuances de l’émotion. Nous n’avons pas affaire à un pur récit, mais à une narration mêlée de stances lyriques. Et, comme il convient au genre épique, dont le type d’énonciation est mixte, d’importants dialogues traduisent l’affrontement des personnages et des idées. Le substrat rhétorique et philosophique est très solide. Dans le détail même, l’emploi de formules stéréotypées pour décrire les actions (notamment les batailles) et les réactions (particulièrement la colère et la douleur), tout en 6 nous donnant l’image du style oral et comme l’écho de l’intonation du décasyllabe fortement articulé avec sa césure, ses assonances et ses clausules, confère au langage une gravité hiératique. L’écriture a su tirer parti des procédés de la parole à des fins littéraires. SIGNIFICATION Elle ressort de cette composition même, plus particulièrement mise en valeur par le manuscrit découvert en 1832 à la bibliothèque Bodléienne d’Oxford. De l’événement historique du 15 août 778, la défaite infligée par les Basques ou les Gascons à l’armée de Charlemagne dans les parages de Roncevaux, au mythe héroïque reconstruit autour de Roland, la transformation est considérable. On peut interpréter l’affaire du point de vue de la propagande : une cuisante défaite ruinant les « châteaux en Espagne » de Charlemagne est ainsi masquée. Mais c’est faire de l’œuvre le résultat d’un lent processus politique, peu vraisemblable. En substituant à la défaite de Roncevaux la passion d’un saint laïque, c’est vers la réflexion sur l’homme, son destin, son orgueil, son drame familial, son attachement au roi, son dévouement à Dieu, que se tourne la lumière du texte. Sous la gloire épique, ce n’est pas la vengeance politique, mais la souffrance humaine qui fait sens. (Source : dictionnaire Larousse en ligne) LES QUATRE PARTIES DE LA CHANSON La chanson peut être divisée en quatre parties : 1. La trahison de Ganelon : Ganelon, beau-frère de Charlemagne et beau-père de Roland, jaloux de la préférence de Charlemagne envers son neveu auquel l’empereur a confié l’arrière-garde de ses armées, trahit Roland. Il intrigue avec le calife Marsile, roi des Sarrasins pour s’assurer de la mort de Roland. Cette partie va des laisses 1 à 79 dans la chanson. 2. La bataille de Roncevaux : Roland et son compagnon le chevalier Olivier meurent dans la bataille ainsi qu’un grand nombre de Sarrasins et de Francs. Cette partie va des laisses 80 à 176. 3. La vengeance de Charlemagne sur les Sarrasins : Roland avait sonné du cor pour alerter Charlemagne mais quand ses armées arrivent pour secourir l’arrière-garde, le comte est déjà mort. Charlemagne venge alors son neveu en battant les Sarrasins avec l’aide de Dieu. Cette partie va des laisses 177 à 266. 4. Le jugement de Ganelon : Après la bataille, Charlemagne fait juger Ganelon qui est condamné à mourir écartelé. Cette partie va des laisses 267 à 291. 7 PORTÉE HISTORIQUE Taillefer, combattant aux côtés de Guillaume le Conquérant à Hastings aurait entonné la Chanson de Roland pour galvaniser les troupes normandes. D’après de nombreux historiens, tout au long du XIe siècle et du XIIe siècle, les troupes françaises auraient régulièrement déclamé ce chant carolingien avant de livrer bataille. On raconte aussi que le roi Jean demanda un jour à ses soldats : « pourquoi chanter Roland s’il n’y a plus de Roland ? » Ce à quoi un homme répondit : « il y aurait encore des Roland s’il y avait des Charlemagne. » POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE La Chanson de Roland inspira très tôt plusieurs poèmes en Europe. Elle fut traduite dès 1170 en haut-allemand par le père Conrad (« Rolandslieds »). Le poète Matteo Maria Boiardo composa un Roland amoureux au XVe siècle ; L’Arioste en fit une suite, sous le titre de Roland furieux (« Orlando furioso »), publié en 1516, qui à son tour inspira divers opéras, dont celui de Jean-Baptiste Lully, Roland (1685). Plus près de nous, Luigi Dallapiccola composa en 1946 une œuvre pour chant et piano, « Rencesvals » (Roncevaux), d’après trois fragments du texte original. ADAPTATION AU CINÉMA Le cinéaste français Frank Cassenti réalise en 1978 La Chanson de Roland, librement inspiré de l’épopée, dans lequel des pèlerins et des comédiens récitent l’épopée devant divers publics au cours de leur trajet de pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. 8 © YANICK MACDONALD OLIVIER DUCAS, AUTEUR, METTEUR EN SCÈNE, ACTEUR Olivier Ducas a étudié l’interprétation à l’École nationale de théâtre du Canada. À la fin de ses études, il fonde avec Francis Monty le Théâtre de La Pire Espèce, dont il assure toujours la codirection artistique. MISE EN SCÈNE ET INTERPRÉTATION 1998 Ubu sur la table (auteur en collectif, interprète) 2005 Persée (auteur et metteur en scène en collectif) Auteur, acteur, metteur en scène et manipulateur au sein de la compagnie, il est cocréateur des pièces du Théâtre de la Pire Espèce dont Persée (2005) et Ubu sur la table (1998), un spectacle dont la feuille de route compte plus de sept cents représentations au Canada, en Europe au Mexique et au Brésil. Il a aussi écrit et mis en scène en 2008 Roland (la vérité du vainqueur), un spectacle jeune public pour deux acteurs-manipulateurs et théâtre d’ombre, inspiré de La Chanson de Roland. En 2001, il a participé en tant que manipulateur au Chauffeeau, la dernière production du maître marionnettiste Felix Mirbt. En 2003, il signait son premier texte dramatique écrit en solo, Le Passage, présenté au Festival du Jamais Lu, à Montréal. 2009 Die Reise ou les visages variables de Felix Mirbt (auteur en collectif et interprète) 2014 (en création) Futur Intérieur (auteur et metteur en scène en collectif) TEXTES DRAMATIQUES 2008 Roland, la vérité du vainqueur (auteur, metteur en scène) 2014 Villes, collection particulière (auteur, metteur en scène, interprète) En plus de ses activités créatrices, il est aussi formateur en théâtre d’objets auprès des professionnels, d’enseignants en théâtre et d’étudiants. 9 LE THÉÂTRE DE LA PIRE ESPÈCE « Ils sont de la Pire espèce... des séducteurs malgré eux, des manipulateurs d’émotions franches, des mixeurs de cuisine qui vous éclaircissent le beurre des sentiments avant de le monter en flocons d’étoile et de le brouiller en omelette ronde comme la Lune. Ils sont exactement comme on les a adorés à Verdun cet été pour une redite d’Ubu sur la table. Irrésistibles à tout âge. Parce qu’ils ne jouent pas un seul registre mais plusieurs la fois : tendent la cuillère du fantastique aux nourrissons, le bricolage légo aux jeunots, un attirail branché de caïds aux ados, et du 48e degré de références sexuelles aux adultes, de toute façon reconvertis l’instant d’un show en bambins s’esclaffant. Sans doute qu’ils serviraient aux aïeuls une marchette qui les ferait déambuler ivres de rire. » Brigitte Manolo DFDanse.com, novembre 2012 La Pire Espèce, c’est une confrérie de joyeux démiurges, artisans de l’insolite et partisans de l’hybride. Inspiré par l’art des bateleurs-bonimenteurs-montreurs de marionnettes, son théâtre allie matériaux bruts et imagination débridée, foisonnement baroque et précision chirurgicale. La compagnie s’applique à explorer les conventions scéniques et les lois de la narration dramatique, et cherche à établir une relation complice avec le spectateur. sur la table a reçu le prix RIDEAU-OFQJ en 2002, puis le Prix de la critique au Festivalul International de Teatru Atelier de Roumanie en 2007 ainsi que tout récemment, en 2010, le Prix du meilleur spectacle à l’International Puppet Theatre, Festival de Plovdiv en Bulgarie. En 2010 également, Gestes impies et rites sacrés a remporté le Néo-Cochon (innovation théâtrale) et le Cochon de chiffon (costumes) lors du Gala des Cochons d’or, soirée récompensant les productions théâtrales de l’abonnement Carte Premières. La Pire espèce, c’est aussi une troupe engagée dans son milieu, dirigée par un triumvirat hyperactif, à l’origine du plus volumineux abonnement de théâtre de création au Canada – Carte Premières – et membre fondatrice d’un nouveau lieu de création et de diffusion, incubateur de compagnies émergentes – Aux Écuries. Depuis 1999, la Pire Espèce emprunte ses techniques à différentes disciplines telles que la marionnette, le clown, le cabaret, le théâtre d’objets et le théâtre de rue. Elle veut développer, en explorant le processus de création, un art vivant, novateur et accessible. Elle vise un rapport direct avec le public, au profit d’une plus grande complicité avec le spectateur. La Pire Espèce, c’est treize créations originales, deux spectacles de théâtre de rue, une vingtaine de résidences de création et de laboratoires, deux spectacles en chantier ; plus de 1300 représentations, la moitié à l’étranger ; des tournées récurrentes en France, en Belgique, en Espagne, au Mexique et au Brésil ; deux traductions espagnoles et une adaptation audacieuse pour sourds et entendants ; quatre coproductions, deux au Québec, deux autres avec la France ; sept stages de perfectionnement ouverts aux artistes du milieu. La qualité de ses productions a été reconnue au travers de plusieurs nominations et prix que la compagnie s’est vu décerner au Québec et en Europe. L’équipe a été sélectionnée par l’Association québécoise des critiques de théâtre dans la catégorie du meilleur spectacle jeune public pour Roland en 2008 et mise en nomination à la Soirée des Masques pour la conception sonore de M. Ratichon dans... La Vie est un match en 2006. Son désormais célèbre Ubu 10 HISTORIQUE DES CRÉATIONS 1998 Ubu sur la table d’Olivier Ducas et Francis Monty d’après Ubu roi d’Alfred Jarry, création à La Brasserie Laurier, Montréal 2012 Petit bonhomme en papier carbone de Francis Monty, en coproduction avec le Festival Méli’Môme (France) et le Festival Petits et Grands (France), création au Festival Les Coups de Théâtre, Montréal 1999 Le Système Ribadier de Georges Feydeau, SaintJean-sur-Richelieu Par les temps qui rouillent de Francis Monty, codiffusion avec le Théâtre de la Manufacture, au Théâtre La Licorne, Montréal 2001 Le Cabaret de la Pire Espèce, à la Place d’à côté, Montréal 2003 Traces de cloune de Francis Monty, à la salle JeanClaude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, Montréal Ubu sobre la mesa, au Festival international de Titerias, Guanajuato, Mexico Ubu sourd la table / Ubu persiste et signe, coproduction France-Québec, avec Marionnettissimo et C’est bon signe, au Festival international des théâtres de marionnettes, Charleville-Mézières, France 2005 Persée d’Olivier Ducas, Mathieu Gosselin et Francis Monty, création à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, Montréal Léon le nul de Francis Monty, coproduction avec le Théâtre Bouches décousues et le Théâtre d’Aujourd’hui, à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, Montréal M. Ratichon dans… La vie est un match de Marc Mauduit et Francis Monty, à La Petite Licorne, Montréal 2008 Roland, la vérité du vainqueur d’Olivier Ducas 2009 Gestes impies et rites sacrés, cérémonie baroque en plusieurs tableaux de Mathieu Gosselin, Marc Mauduit et Francis Monty, création au Festival TransAmériques, Montréal 2011 Die Reise ou les visages variables de Felix Mirbt d’Olivier Ducas, Marcelle Hudon et Francis Monty, création au Théâtre Aux Écuries, Montréal 11 REGARD SUR LE THÉÂTRE DE LA PIRE ESPÈCE (QUÉBEC) Son nom fait sourire, ses spectacles aussi. Le Théâtre de la Pire Espèce pratique sérieusement le théâtre sans jamais avoir l’air de se prendre au sérieux depuis maintenant huit ans. Formés à l’École nationale de Théâtre - le premier en interprétation et le second en écriture - , Olivier Ducas et Francis Monty ont d’abord uni leurs talents pour présenter Ubu sur la table à la brasserie Laurier en 1998. Le spectacle a, depuis, fait bien du chemin, au propre comme au figuré : plus de 400 représentations, ici, mais aussi en France et en Belgique ; une version en espagnol trimballée au Mexique, en Espagne et au Brésil ; une adaptation pour jeunes publics, de même qu’une variation intitulée Ubu sourd la table (ou Ubu persiste et signe) à laquelle s’intègre un comédien sourd qui traduit en langage signé les dialogues et péripéties, tout en prenant une part active au jeu. Les spectacles qui ont suivi, en 1999, se sont un peu éloignés de la facture de cette première création : un Feydeau, d’abord, le Système Ribadier, puis une coproduction avec la Belgique d’un texte de Francis Monty, Par les temps qui rouillent1. Mais peu à peu, la Pire Espèce s’est creusé une niche bien particulière sur les scènes montréalaises : un théâtre où sont explorés le masque, le jeu clownesque, le rapport plus direct avec le public, et une apparente nonchalance dans le jeu et le rendu, pourtant parfois orchestrés jusque dans leurs menus détails. Cette minutie camouflée se révèle nécessaire dans la pratique qui lui a valu la reconnaissance, soit le théâtre d’objets. une lecture publique plus claire2, les fondateurs de la compagnie et ses fidèles collaborateurs ont développé une véritable expertise en la matière. Prolongement de l’art de la marionnette, le théâtre d’objets opère une distance avec le réalisme tout en prêtant, de façon souvent loufoque et ingénieuse, une sorte de personnalité aux choses du quotidien les plus banales. Celles-ci gardent leur aspect propre et restent associées à leurs fonctions habituelles dans l’esprit du spectateur, mais elles prennent aussi valeur de personnages très rapidement. Conjuguer la finesse et la grossièreté, les formes traditionnellement populaires et un esprit résolument d’aujourd’hui, permet aux créateurs d’offrir des spectacles qui allient franche rigolade et intelligence. La saison dernière, étonnamment riche en productions pour une compagnie aux moyens modestes vouée à la création, a permis de jauger la cohérence et la qualité du travail qui s’accomplit chez Monty et Ducas. Marie-Andrée Brault 1. Voir l’article de Christian Saint-Pierre intitulé « Les engrenages de l’existence », Jeu 93, 1999.4, p. 24-26. 2. Hervé Guay, « Le pouvoir des objets », Le Devoir, 26 novembre 2005. Si Francis Monty raconte que le recours aux objets est venu d’abord un peu par hasard, dans un souci de rendre POUR ALLER PLUS LOIN Dossier de presse du Théâtre de la pire espèce en pdf sur le site : http://www.pire-espece.com/dl/TPE_presse.pdf Entrevue d’Olivier Ducas et de Francis Monty pour l’association Théâtre Education du Québec : http://www.pire-espece.com/dl/ TPE_entrevue_ateq.pdf (téléchargé dans le dossier artistique nommée « entretien avec Olivier Ducas »). 12 L’ÉQUIPE DU PROJET © YANICK MACDONALD GEOFFREY GAQUÈRE © YANICK MACDONALD DANIEL DESPAROIS Interprétation Interprétation Daniel Desparois a terminé ses études en interprétation théâtrale au Collège Lionel-Groulx en 2000. Il a incarné plusieurs personnages dans des pièces telles que Les Justes d’Albert Camus (Théâtre EVNO, 2004), Scaramouche (Théâtre Denise-Pelletier, 2006), L’Éveil du printemps (Fred Barry, 2004) et Le Tour du monde en 4 jours (Fred Barry, 2006). De plus, il a travaillé trois ans sur la production MUR-MUR et un an sur le spectacle MOI MOI MOI lors des tournées internationales de la compagnie Dynamo Théâtre. Ces tournées l’ont amené à faire divers stages, dont un axé sur le jeu masqué avec le Théâtre du Soleil en France. Il participe, depuis quelques années, à la création d’un nouveau spectacle de Dynamo Théâtre. En 2005, Daniel s’est joint aux équipes de tournées d’Ubu sur la table et de Persée du Théâtre de la Pire Espèce. (mise à jour: 2010-05-06) Geoffrey Gaquère est diplômé en interprétation de l’École nationale de théâtre du Canada. Depuis sa sortie de l’École en 2000, il a participé à titre de comédien à plus d’une quinzaine de productions théâtrales dont : Edmond Dantès et Le Comte de Monte-Cristo, au Théâtre Denise-Pelletier, La Dame aux camélias au Théâtre du Nouveau Monde, L’Énéide à Espace Libre, Elizabeth, Roi d’Angleterre au TNM, Les Lettres Arabes, spectacle écrit, mis en scène et joué par lui et Olivier Kemeid à l’Espace Libre ainsi que Moi, dans les ruines rouges du siècle au Théâtre d’Aujourd’hui en 2012. Parallèlement à ses activités de comédien, il développe une carrière de metteur en scène. Ainsi, depuis 2006, il a dirigé plus d’une quinzaine de productions dont Les Éxilés de la lumière de Lise Vaillancourt et Silence radio du collectif La Banquette Arrière, deux spectacles présentés à Espace Libre. Il a fait une incursion dans le monde lyrique en mettant en scène deux opéras-bouffe : La Veuve joyeuse et La Vie parisienne, présentés à la Maison des arts de Laval. Enfin, notons sa collaboration fructueuse avec l’auteure Fanny Britt, dont il a monté : Couche avec moi (c’est l’hiver), pour le compte du PàP et de La Bordée ainsi que Hôtel Pacifique et Enquête sur le pire produits par leur compagnie, le Théâtre Debout et présentés à la salle JeanClaude-Germain. Au mois de mars 2011, il montaitToxique ou L’Incident dans l’autobus de Greg MacArthur dans la salle principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. 13 THOMAS GODEFROID Éclairages Suite à 12 années d’expérience en France en tant que régisseur et concepteur lumière tant pour le théâtre que la danse, Thomas Godefroid s’installe définitivement au Québec. Rapidement débute pour lui une riche collaboration auprès de Jean-Pierre Ronfard et Alexis Martin. Ainsi, on lui propose de concevoir les éclairages de plusieurs productions du NTE dont : Nitch retour, Mademoiselle de Daniel Brière et Evelyne de la Chenelière et d’Amour, cul et violence de Didier Lucien et Guillermina Kerwin. Il signe également les éclairages pour la production La glaneuse de geste de Francine Alepin, et de L’Intimité d’Emma Haché, deux productions Omnibus. Parallèlement, il entreprend une série de conception lumière pour la chorégraphe Estelle Clareton avec Messieurs, dame et furies alpha 1/24. En théâtre jeune public, c’est sur les planches du Petit Théâtre de Sherbrooke qu’on a pu voir ses lumières dans La tempête de William Shakespeare, traduit et adapté par Michel Garneau. Dernièrement, il continue son travail exploratoire en théâtre d’ombres et d’objets avec Marcelle Hudon dans Poursuite et avec Olivier Ducas du Théâtre de la Pire Espèce dans Roland, la vérité du vainqueur. © YANICK MACDONALD Pour la saison 2012-2013, il a mis en scène La Corneille de Lise Vaillancourt au Rideau Vert,Grand-peur et misère du IIIème Reich de Bertolt Brecht avec les finissants du Conservatoire de Montréal, ainsi que Amour/Argent de Dennis Kelly à La Petite Licorne, dans une traduction de Fanny Britt, troisième production du Théâtre Debout. Geoffrey Gaquère est le nouveau directeur artistique d’Espace Libre. (mise à jour: 2014-05-07) 14 HISTOIRE DU GENRE : LE THÉÂTRE D’OBJETS DÉFINITION Roland, la vérité du vainqueur appartient au Théâtre d’objets. Un théâtre d’objets est un type de théâtre d’effigie où les objets ne sont plus accessoires de théâtre servant au comédien, mais effigie. Ils ont leur vie propre. Ils peuvent être manipulés directement ou à l’aide de contrôle (comme une marionnette). Ce sont en général des objets à l’état brut, non transformés pour le spectacle et utilisés comme des personnages (comme un tube de dentifrice, un crayon, une boule à thé, un coton tiges, des oignons, un essuie-tout). Le manipulateur doit trouver la respiration, le déplacement et la voix (s’il parle) de l’objet, en tenant compte de sa forme et de sa matière. Ce décalage avec l’utilisation quotidienne des objets crée des situations poétiques et humoristiques. Pour tout remettre à plat, Isabelle Bertola, directrice du Théâtre de la Marionnette à Paris, propose de se tourner vers ceux qui sont à l’origine du Théâtre d’objets – à la fois à l’origine du terme et de la pratique : le Théâtre de cuisine de Christian Carrignon et Katy Deville, mais aussi le Théâtre Manarf de Jacques Templeraud et le Vélo Théâtre de Charlot Lemoine et Tania Castaing. Ces trois compagnies ont inventé, ensemble, le Théâtre d’objets : à la fin des années 1970 pour ce qui est de l’esthétique, le 2 mars 1980, très précisément, pour l’appellation. Pour Jean-Luc Matteoli, chercheur qui a travaillé sur l’objet au théâtre, cette naissance s’est faite dans et contre l’invasion des objets de la société de consommation. Elle a eu lieu, pour Christian Carrignon, dans le contexte d’une Europe envahie par les objets made in China. Il s’agissait pour les artistes de lutter contre la tyrannie de cette vague montante d’objets, selon l’expression de Roland Schön autre artiste français de Théâtre d’objets. Cela passe par un art « pauvre » : face à la profusion à outrance, choisir d’enchanter le monde avec « rien » ou du moins pas grandchose, comme l’explique Christian Carrignon. En parallèle de l’excès, le Théâtre d’objets combat l’obsolescence de plus en plus rapide des marchandises, très vite mises au rebut. Il entreprend donc de donner une seconde vie à ces objets manufacturés produits en masse et délaissés par les consommateurs. Il les fait sortir de leur logique utilitaire pour les faire entrer dans une logique poétique où leur pouvoir d’évocation se déploie. Par exemple, si on ne prête plus attention à sa fonction, un capuchon de stylo rouge récupéré par terre peut devenir, par association d’idées, un Petit Chaperon Rouge. C’est autant la couleur que la proximité consonantique et sémantique entre capuchon et chaperon qui déploie ici tout un champ d’évocations. Le Théâtre d’objets s’empare ainsi des objets quotidiens, « trop usés par le regard », selon les mots de Christian Carrignon : des objets que l’on ne « voit » plus à force de les voir. En les détournant de leur rôle habituel, en les rendant à l’inutile, il cherche à les faire « voir » à nouveau et autrement. QUOTIDIEN À l’origine, le choix de l’objet manufacturé ou quotidien est donc politique – à rebours de la société de consommation – mais il va bien au-delà. Tout droit extrait du réel, ce type d’objet est porteur d’une mémoire collective et personnelle très forte. Il en est chargé d’emblée. Il va ainsi évoquer des souvenirs personnels (un Ken rappellera les séances interminable où l’on jouait à la Barbie, le moulin à café à l’ancienne, l’odeur du café fraichement moulu chez la grand-mère, etc.) ou convoquer des éléments partagés par tous : une publicité connue, une période historique déterminée ou encore une connotation ancrée dans l’inconscient collectif. Parce qu’il est reconnaissable par tout le monde, l’objet parle de nous. Christian Carrignon évoque quelque chose d’intime, un sentiment de familiarité attendrissant. Même si l’objet a été reproduit à des millions d’exemplaires, il parle « à nous » et de nous. Même s’il est central, qui dit objet ne signifie pas nécessairement Théâtre d’objets, comme le souligne Isabelle Bertola. De même qu’aujourd’hui l’on peut, paradoxalement, faire du Théâtre d’objets sans objet, par exemple en manipulant de la matière. C’est ce que propose Simon Moers, jeune artiste belge issu de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette à Charleville, avec Sous la neige qui tombe (2010). Dans ce spectacle court où il met en scène un conte chinois, il manipule des bocaux, certes, mais surtout des grains : du sable et de la semoule. Après avoir déversé sur la table un monticule de grains de semoule, Simon Moers s’empare de l’un d’entre eux, qui représente l’empereur Qin Shi Huangdi - ce moment 15 BRUT Tout d’abord, la matière manipulée est utilisée sous un aspect brut, fidèle au principe du Théâtre d’objets où, la plupart du temps, l’objet n’est pas retravaillé. Il est en quelque sorte un ready made, n’étant pas spécifiquement élaboré pour le spectacle. Il lui préexiste et y est réemployé sous sa forme originelle. Une petite voiture, un cachet d’aspirine, une tasse en porcelaine ou même un chalet suisse miniature : quel qu’il soit, il est reconnaissable en tant qu’objet du réel. Toutes les formes de théâtre qui utilisent des objets mais les assemblent pour former des figures autres sont plus proches de la marionnette. Didier Plassard, un chercheur qui a notamment travaillé sur les Arts de la Marionnette, l’explique dans une interview accordée à la revue en ligne Agôn : « Ce qui caractérise le Théâtre d’objets c’est le refus de la figure sculptée […] de l’effigie préparée en vue du spectacle. » On peut aller plus loin et dire que le Théâtre d’objets se refuse à l’anthropomorphisme. « Moins de personnification et plus d’abstraction », proclame Christian Carrignon, principe que le Théâtre d’objets employant de la matière pousse au plus loin. Quoi de moins humain qu’un grain de semoule ? C’est cette même matière brut que l’artiste italo-hongrois Gyula Molnàr utilise dans Petits suicides (1984), plus exactement dans la première partie « Alka-seltzer ». Dans cette tragédie effervescente, l’artiste met en scène plusieurs bonbons et un médicament - un cachet d’AlkaSeltzer, évidemment. Très vite, grâce au jeu, on visualise un groupe d’enfants. L’un d’entre eux, différent et rejeté par le groupe, finit par se suicider – le comprimé « escalade » un verre d’eau, se jette dedans et s’y dissout. SUGGÉRER Dans le Théâtre d’objets, il s’agit bien de suggestion ou d’évocation : l’objet ou la matière y adoptent un fonctionnement métaphorique - ou métonymique, selon les cas. Une large place est laissée à l’imagination du © YANICK MACDONALD du spectacle est visible en captation sur le site du Portail des Arts de la Marionnette. Il fera ensuite exister, grâce au travail de la matière et à son interprétation, la muraille de Chine - une trainée sinueuse de sable -, les hommes que l’empereur y fait emmurer - une trainée de semoule sur la trainée de sable, rapidement ensevelie - ainsi que Meng, l’épouse de l’un de ces hommes - deux des doigts du manipulateur couverts de poudre rouge. Pas ou peu d’objets. Et pourtant... 16 spectateur, sollicitée a priori plus fortement que devant un acteur ou une marionnette. La plupart du temps, l’objet ne représente pas, il signifie : Christian Carrignon, dans un article de la même revue Agôn, parle de l’objet comme d’un signe qui fait langage poétique. Isabelle Bertola ne dit pas autre chose : tout le théâtre de marionnette s’appuie sur des signes, mais le Théâtre d’objets particulièrement. Pour faire fonctionner ce système de signes et d’évocation, il faut avant tout instaurer des codes. Isabelle Bertola, toujours, évoque à ce propos Catalogue de voyage (1981), un spectacle de Christian Carrignon qui contient notamment une scène d’escalade. Carrignon porte dans le spectacle originel un sac à dos de randonnée et des chaussures de marche. Ceux-ci indiquent d’emblée au spectateur le contexte « randonnée » qui va donner un sens et un rôle aux objets manipulés : « [Christian Carrignon] donne des codes et avec ces codes on se construit une histoire, même si on ne la voit pas vraiment, elle est suggérée […] il lui donne un contexte, positionne un certain nombre de signes qui vont nous permettre de nous repérer, de savoir où on est. » Simon Moers procède de façon identique dans Sous la neige qui tombe : lorsque la lumière éclaire un homme portant une veste chinoise noire et ayant devant lui, sur la table, une série de bocaux à l’aspect sinisant, la dimension asiatique de l’histoire est tout de suite donnée. L’artiste explique d’ailleurs que la majeure partie de ce spectacle consiste à installer des codes afin que les matières fassent sens pour le spectateur. Ainsi, lorsqu’il déverse du sable en ligne sinueuse devant lui, on se retrouve « au pied d’une muraille alors qu’on est autour d’une table » (Isabelle Bertola). Du théâtre sans illusion. Mais le Théâtre d’objets n’est pas pour autant un théâtre d’illusion. On ne demande pas au spectateur de croire, il lui suffit de saisir les codes et d’être complice, de faire semblant d’y croire. Quand il y a illusion, celle-ci est intermittente et cohabite avec une parfaite lucidité du spectateur - c’est l’hypothèse de Jean-Luc Matteoli. On se laisse parfois prendre, il y a dans le spectacle de brefs moments où le spectateur « voit » uniquement la situation imaginaire, mais cela s’intègre toujours dans un va-etvient avec le réel. Ce dont témoigne le travail de Simon Moers : à la fin de son spectacle, le spectateur doit visualiser, presque littéralement, le suicide de Meng sous les yeux de l’empereur, quand les doigts du manipulateur « tombent » dans le vide qui entoure la table sur laquelle se déroule le spectacle. Mais il est ensuite ramené à la réalité de la représentation, au sable, à la semoule et aux bocaux. En revenir sans cesse à l’objet réel est une donnée essentielle du Théâtre d’objet. L’interprète de Petits suicides va, par exemple, manger certains des bonbons-enfants, nous renvoyant à leur réalité concrète de bonbons-friandises. Dans tous les cas, l’objet garde toujours ce que Christian Carrignon appelle « son poids de réel ». Quel qu’il soit, il « résiste », ne disparaît pas : selon Jean-Luc Matteoli, les objets demeurent obstinément ce qu’ils sont. Même quand ils sont anthropomorphiques au départ (une figurine, une poupée, une Barbie), ils restent objets car ils ne sont pas manipulés pour donner une illusion de vie, comme c’est le cas dans le théâtre de marionnettes. Ils sont déplacés, manipulés mais ne sont pas animés à proprement parler. Le spectateur du Théâtre d’objets voit donc toujours deux choses en même temps : l’objet tel qu’il est en dehors du spectacle, qu’il reconnait, et ce qu’il prend en charge dans la fiction proposée. Il voit à la fois l’enfant qui se suicide et le cachet effervescent qui se dissout. ESPACE(S) Pour que l’objet réel ait aussi une place dans la fiction, il faut le charger, comme l’explique Christian Carrignon. Sinon, il n’est que lui-même ou un accessoire. Charger l’objet signifie que l’objet prend en charge une partie du discours par l’intention que projette sur lui le comédien. C’est pour cela que le comédien est lui aussi un élément central du Théâtre d’objet. Contrairement à certains spectacles de marionnettes où le manipulateur peut « disparaître », le Théâtre d’objets affirme fortement la présence de l’interprète. Plus exactement, il joue d’allers-retours entre présence et effacement de celui-ci : tantôt il va déléguer à l’objet et s’effacer, tantôt il va s’imposer comme conteur ou comédien. Il est manipulateur, comme l’est un marionnettiste, mais sans effectuer de prouesses. Christian Carrignon raconte : « L’objecteur [terme employé à l’origine par Roland Schön] est un comédien qui a un rapport particulier aux objets mais qui n’accomplit aucun exploit technique. » L’interprète se rapproche donc souvent d’un machiniste qui va déplacer ou agencer les objets et dont on voit ouvertement les gestes de manipulation. Dans ce cas là, l’objet est toujours perçu comme dépendant de l’interprète. Mais la manipulation peut aussi être moins visible : l’interprète s’efface alors derrière l’objet, dans un processus de délégation proche de la marionnette. Dans tous les cas, dans la mesure où il y a un travail du geste, le Théâtre d’objets est un art de manipulation. Mais il ne se limite pas à cela. L’interprète 17 est aussi conteur. Même dans le Théâtre d’objets dépourvu de texte, il y a généralement un récit. Selon Christian Carrignon, « [L’objet] est toujours prêt à reprendre sa puissance d’évocation quand on le met en connexion avec [un] récit, verbal ou muet ». Didier Plassard note néanmoins que c’est le plus souvent la parole qui entre en jeu : par son seul pouvoir l’objet peut devenir autre chose. Parce que cela est dit, les grains de sable deviennent muraille de Chine et les grains de semoule êtres humains, tout simplement. Enfin, dernière caractéristique de l’interprète du Théâtre d’objets : sans renoncer à déléguer ou raconter, il participe aussi à la représentation en tant que comédien. Il peut notamment incarner un personnage, qu’il va souvent « partager » avec l’objet : le personnage sera à la fois représenté par l’objet et incarné par le comédien (alternativement ou simultanément). Par exemple, Simon Moers, dans Sous la neige qui tombe, va incarner Meng par son jeu et sa voix alors qu’elle est en même temps prise en charge par ses doigts couverts de poudre rouge. Au-delà des personnages, le comédien peut incarner un/ des espace(s). Le corps de Christian Carrignon, dans la scène d’escalade de Carnet de voyage, se transforme par exemple en montagne gravie par une figurine Big Jim. À la manière de l’objet, celui qui l’accompagne peut en fait tout incarner. L’objet et lui peuvent, par ailleurs, échanger leurs rôles en cours de spectacle ou en jouer plusieurs. Dans cette même scène, Christian Carrignon sera à la fois la montagne, le personnage escaladant celle-ci (représenté par ailleurs par le Big Jim) et le compagnon de cordée qui le précède. MONTAGE L’interprète, impliqué en tant qu’acteur incarnant un/ des personnage(s) ou un/des espace(s), au même titre que l’objet, permet de faire exploser la notion d’échelle. Parce que le spectacle ne se situe pas qu’au niveau des objets, il devient possible de multiplier les dimensions et de juxtaposer ou alterner différents plans et points de vue. On peut, sans rien modifier, changer d’échelle, de lieu, de moment. En ce sens, le Théâtre d’objets pousse le procédé du montage cinématographique à son paroxysme, dans la mesure où les différents plans et temporalités peuvent cohabiter en une seule et même image. Christian Carrignon aime à le raconter : « Quand au théâtre, j’ai voulu être en haut et en bas de la montagne, c’était facile, le cinéma m’avait tout raconté du montage, du champ, contre-champ, du passé après le présent, du plan large, du plan serré. Du collage ! Et des changements d’échelle instantanés qu’il produit. Sans me rendre compte qu’au cinéma, le comédien joue et ensuite le monteur monte. Dans notre théâtre à quat’sous, […] nous faisions tout en même temps, jeu, cadre, montage. Et c’était ça, ce régal de réinventer le cinéma au théâtre. » J.D. à Paris, le 31 octobre 2012 Source http://www.lintermede.com/theatre-objet-marionnettesisabelle-bertola-paris-cuisine-manarf-analyse-critique-interviewpiece.php 18 LA PRESSE EN PARLE… Extraits de presse « La bouleversante histoire de Roland nous est racontée de façon irrésistible avec des objets, bien sûr —des silhouettes découpées dans le papier, une corde à linge, un seau en métal, des casques en carton très réussis, des rouleaux d’images qui défilent— mais aussi grâce à des projecteurs et des jeux d’ombres grostesquement saisissants. » — Le Devoir / mai 2008 «Le voyage est d’un magnétisme et d’un humour irrésistibles. La musique est épique à souhait. Une captivante relecture de l’œuvre.» — Voir Montréal / mai 2008 «Au cours des dernières années, les fondateurs du Théâtre de la Pire Espèce ont jeté les bases d’une véritable méthode de création. Procédant à une édification simultanée de tous les aspects d’un spectacle, refusant ainsi d’accorder préséance au texte, ils amalgament les disciplines et assemblent les registres les plus divers avec un sens indéniable de l’équilibre.» Revue Esse No 54 / 2005 19 par David Lefebvre Des chrétiens et des maures La Chanson de Roland est tout d'abord un poème épique, classique, rédigé en vieux français, du combat fatal mené par Roland (ou Hroudland) et sa pieuse armée, sous la gouverne du roi Charlemagne, contre de nombreux soldats musulmans (ou maures), à la frontière de la France et de l'Espagne. Le récit célèbre les vertus de la chevalerie, de l'honneur dit féodal et de la foi (surtout chrétienne). Selon certains historiens, de grands généraux de l'armée française du XIe et du XIIe siècle auraient entonné la chanson pour galvaniser le moral des troupes. Pour sa toute première création solo, Olivier Ducas adapte très librement et résume La Chanson de Roland, en créant un spectacle d'ombres inspiré, ou du moins inspirant. Il met en scène deux hommes qui nous racontent, à leur manière, cette histoire qui a traversé le temps et qui continue de susciter l'intérêt de bon nombre de lecteurs. Là est la force du spectacle : les interprètes-conteurs Geoffrey Gaquère et Daniel Desparois sont si passionnés qu'ils captivent l'auditoire et piquent cruellement notre curiosité. Roman en main, ils n'hésitent pas à confronter leurs idées et leurs perceptions des personnages et à analyser les faits et gestes des protagonistes. Alors que l'un est proRoland, l'autre défend avec justesse les Olivier, Turpin et Charlemagne de l'histoire. Tout y passe : la religion, les décisions politiques et militaires (bonnes ou mauvaises, c'est selon), la guerre, l'héroïsme... Le décor est paradoxalement tout aussi vide que plein : deux grands rideaux blancs servent aux ombres projetées par devant ou par derrière ceux-ci, et de nombreux fils et cordages avec contrepoids sont utilisés à de multiples desseins. Même si quelques effets paraissent simplistes, d'autres sont plutôt inventifs et font certainement rigoler. Présenté pour la première fois devant public et toujours en période de création (dans la plus pure tradition du Théâtre de la Pire Espèce), Roland sera un spectacle à suivre. Ne reste qu'à corriger quelques resserrements dans le jeu et le rythme, retirer les répétitions superflues du texte et à peaufiner quelques effets, puis nous pourrons tous crier : Montjoie! 26-05-2008 20 21