N° 197
Octobre 2008 ScienceS HumaineS 7
Actualité
non pas à la maladie, mais au « trouble
grave de la personnalité », notion floue
laissant place à une marge importante
d’interprétation. Délivrer un pronostic sur
le comportement d’un sujet présentant un
trouble grave, mais pas une psychopatho-
logie diagnostiquée de façon consensuelle,
est qualifié d’« utopie » par B. Cordier : « Per-
sonne n’osera faire un certificat de sortie. »
Cette mission ne relèverait pas de psychia-
tres mais de criminologues, dont la France
manque justement. En outre, si l’on
demande aux psychiatres de « soigner le
mal » et non la maladie, « on va vers l’impos-
ture ». La cause transcende donc le clivage
gauche/droite, a-t-il encore plaidé, malgré
des pointes d’ironie sur la dangerosité du
président de la République lui-même : « Le
même gouvernement qui se mobilise pour
des otages, crée des lieux où les gens seront
otages d’un artifice sécuritaire. »
Anne Andronikoff, présidente de la Com-
mission nationale consultative de déonto-
logie des psychologues, a enfoncé le clou
en rappelant que la notion de dangerosité
n’a selon elle aucune dimension scientifi-
que, n’étant définie que par la loi. Le trou-
ble grave de la personnalité lui semble un
concept « aberrant » à dimension norma-
tive, ouvrant la voie au jugement des per-
sonnes, et non des faits. Et les experts ris-
quent de se transformer en régulateurs
sociaux comme le furent les psychiatres
staliniens, prompts à interner des dissi-
dents, pas malades, mais dangereux sur le
plan politique. Pour A. Andronikoff, les
psychologues doivent « refuser de faire par-
tie de ce dispositif. »
La table ronde fut donc le lieu d’une belle
unanimité entre les intervenants. Trop
belle, d’ailleurs : il est regrettable qu’aucun
partisan de la rétention de sûreté n’ait été
convié à s’exprimer. Car la loi a aussi ses
défenseurs, si discrets soient-ils pour l’ins-
tant : ce qui explique sans doute ces mois
d’atermoiements et ces difficultés à adop-
ter une position majoritaire. On nous a
d’ailleurs promis un « clivage sérieux, de
fond, dans la profession », bien plus profond
que les habituelles guerres des psys. Le
combat ne se réduira donc pas à un duel
psys/gouvernement : nous verrons si, dans
le débat futur, les psychologues parvien-
nent à incarner une force de proposition au
milieu de leurs déchirements. n
Jean-François MarMion
(1) Consultable à l’adresse suivante :
http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=
JORFTEXT000018162705
(2) www.contrelaretentiondesurete.fr
(3) « La prolongation de peine et le
psychologue », table ronde du vendredi 4 juillet
2008, lors des Entretiens francophones de la
psychologie, Paris, à l’initiative de la FFPP
(Fédération française de la psychologie et des
psychologues).
Un mois après la rencontre
avec Robert Badinter, la
FFPP a ouvert les hostilités
avec un communiqué s’op-
posant à la participation
des psychologues dans une
procédure judiciaire quali-
fiée d’« inhumaine ». Parmi
les arguments avancés fi-
gure un rappel de l’article 19
du code de déontologie de
la profession. Celui-ci sou-
ligne le « caractère relatif »
des évaluations et interpré-
tations du psychologue, et
le met en garde contre les
« conclusions r éd uctrices
ou d é f i nitive s » pouvant
avoir « une influence direc-
te » sur l’existence d’autrui.
D’autres actions, par voie
de presse, sont prévues
pour la rentrée, au-delà de
la seule FFPP.
Dernière minute…
Sandrine Roudeix/JDD/Gamma
ments : « N’ai-je donc tant vécu que pour
cette infamie ? L’époque est difficile… »
De son côté, Bernard Cordier, psychiatre à
l’hôpital Foch et expert près la Cour d’Ap-
pel de Versailles, a déploré que ses confrè-
res, dans leur immense majorité, n’aient
pas encore pris position. En tant que prési-
dent de l’association fédérative La Voix de
l’enfant, dont l’objectif est « l’écoute et la
défense de tout enfant en détresse quel qu’il
soit, où qu’il soit », il s’est évidemment
défendu de manifester la moindre indul-
gence pour les pédophiles, mais a abondé
dans le sens de R. Badinter. Une expertise
judiciaire consiste en effet à vérifier l’exis-
tence, chez un délinquant, d’un lien direct
entre maladie mentale et dangerosité. Or la
loi sur la rétention de sûreté fait référence
“ Verrait-on
se profiler une justice
de sûreté, voire
d’« élimination » ? ”