
4eme trimestre 2012 • 53
Pour un libéralisme rénové
Un aveuglement embarrassant
Les établissements de crédit parapublics eurent une responsabilité dans le krach de
2008. Les argumentations qui minimisent ce rôle sont entachées non seulement
d’omissions et d’inexactitudes factuelles, mais aussi de bizarreries et de contradic-
tions internes révélatrices d’un embarras. Certains auteurs réagissent brutalement,
regardant ces questions comme « parfaitement absurdes » ou « complètement erro-
nées » ou de « pure fantaisie » 10, comme pour couper court au débat. En 2002,
Stiglitz n’avait-il pas remis un rapport sur ces agences, ironisant sur une probabilité
de défaut qu’il jugeait infinitésimale ?
Le raisonnement de Krugman laisse pensif lorsqu’il affirme que ces agences n’ont
joué qu’un « rôle mineur » dans l’épidémie de crédits douteux, car elles n’en avaient
pas accordé autant que le privé, même si elles « en avaient quand même accordé
quelques-uns [sic] », ce qui accuserait unilatéralement « l’inconscience du risque qui
animait le secteur privé » 11. Pour Jean Tirole, au contraire, ces agences qui étaient
des « anomalies » n’ont pas peu « contribué » à la crise. Leur régulateur spécifique
était incompétent et intéressé ; leurs gains étaient privatisés et les pertes nationali-
sées (leurs profits ne bénéficiaient pas à la puissance publique alors qu’elles étaient
garanties par l’État sous forme de lignes de crédit auprès du Trésor et jouissaient de
la perspective d’être renflouées) 12.
Quant à Élie Cohen, il laisse filtrer quelques contradictions. N’évoque-t-il pas la
« créativité comptable » de ces agences, sans expliciter cet euphémisme qui signifie des
maquillages ? Il rejette la faute, en théorie, sur une privatisation de ces agences inter-
venue dans les années 1980, tout en exposant, en pratique, comment la Chine achetait
les titres presque adossés aux bons du Trésor de ces agencies au « statut quasi fédéral ».
Sous la corne d’abondance du financement grâce aux marchés financiers internatio-
naux, ces agences ont « monopolisé » le marché du crédit immobilier, ce qui a « attiré
les banques privées, qui pouvaient difficilement concurrencer les agences fédérales sur
la titrisation classique » 13 et qui utilisèrent une titrisation plus tarabiscotée 14.
10. Joseph E. Stiglitz, Le Triomphe de la cupidité, Les liens qui libèrent, 2010, p. 48 ; Paul Krugman, Pourquoi les crises
reviennent toujours, Seuil, 2009, p. 170 ; Jacques Mistral, in Pierre Dockès et Jean-Hervé Lorenzi (dir.), Fin de monde
ou sortie de crise ? Perrin, 2009, p. 97-99.
11. Paul Krugman, op. cit., p. 171, 182, 187.
12. Jean Tirole, Leçons d’une crise, Toulouse School of Economics, décembre 2008, p. 12, 23.
13. Élie Cohen, op. cit., p. 56, 55, 113.
14. Béchir Bouzid, « Titrisation des emprunts hypothécaires et bulle immobilière aux États-Unis : les origines d’une
débâcle », Revue d’économie financière, mars 2010, n° 97, p. 114.
1-Societal 78_interieur.indd 53 04/10/12 16:50