14/06/2016 15:37Louis-Pascal Jacquemond : « Le Front populaire et les femmes, un rendez-vous manqué »
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Louis-Pascal Jacquemond : « Le Front populaire et
les femmes, un rendez-vous manqué »
LE MONDE DES LIVRES | 09.06.2016 à 11h31 | Propos recueillis par Julie Clarini
L’historien Louis-Pascal Jacquemond se donne une double tâche dans L’Espoir brisé : raconter à la
fois ce que fut la vie des femmes au temps du Front populaire et en quoi l’action du gouvernement a
changé leur vie. Première synthèse de ce genre, qui n’oublie pas les « femmes invisibles » que sont
les paysannes, les colonisées et les immigrées, qui prend soin d’incarner les situations à travers des
parcours et des portraits, l’ouvrage souligne à quel point le bilan s’avère délicat tant s’accumulent
les avancées, les désillusions et les paradoxes.
Lire aussi : Lointain printemps 1936 (/livres/article/2016/06/08/lointain-printemps-1936_4943356_3260.html)
Peut-on dire que, pour les femmes, les acquis du Front populaire sont minces ?
C’est plus nuancé. Le terrain de déception fondamental, c’est le droit de vote. On ne peut que faire
le procès au président du Conseil, Léon Blum, de ne pas avoir poussé ce sujet alors qu’il était au
programme de la SFIO. Dans la foulée des premières décisions, il obtient l’accord unanime de la
Chambre des députés pour le droit de vote des femmes, mais ne pousse pas plus loin son avantage
auprès du Sénat. Il semble avoir tenu à préserver l’accord avec les radicaux, en grande majorité des
notables hostiles à l’élargissement des droits civiques aux femmes. Cela dit, à ce même moment –
L’Espoir brisé. 1936, les femmes et le Front populaire, de Louis-Pascal Jacquemond,
Belin, 480 p., 23 .
Suffragettes françaises en 1935. DR
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et Blum probablement sent le danger – sortaient les premiers papiers disant qu’Hitler était arrivé au
pouvoir grâce au vote des femmes… ce qui est faux historiquement.
Toutefois, Blum nomme pour la première fois trois femmes sous-secrétaire d’Etat, dont Irène Joliot-
Curie, et facilite le travail de réflexion sur le statut juridique. Il pousse la commission sénatoriale à
travailler à une modification du code civil. Cela aboutira à la loi de février 1938, qui reconnaît à la
femme un certain nombre de capacités juridiques, comme s’inscrire seule à la faculté, posséder un
passeport, etc. Néanmoins l’optique nataliste est partout sous-jacente, y compris dans la réforme du
code civil.
Quant aux accords Matignon [6-7 juin 1936], c’est bien sûr une avancée. Dans les conventions
collectives, on estime légitime que les femmes qui travaillent soient électrices de délégués ou même
élues déléguées. Mais, à l’intérieur des entreprises, on assiste en revanche à une alliance objective
entre les syndicats et les patrons pour les laisser de côté. On entérine l’inégalité salariale : à
qualification égale, l’écart entre les salaires masculins et féminins est maintenu, voire aggravé. Il
faut dire que les revendications des femmes heurtent de plein fouet la conception syndicale, fondée
sur la lutte des classes, qui veut que si l’on résout cette question, on résout l’inégalité entre les
sexes.
Ainsi, on voit un double mouvement : d’une part, une forte syndicalisation des femmes en 1936 ;
d’autre part, des syndicats qui tendent à brider cet investissement, notamment en occupant les
postes de hiérarchie et en contrôlant les revendications qui montent de la base.
Peut-on parler d’un rendez-vous manqué ?
La cassure est réelle, mais ce n’est qu’une interruption momentanée. Les femmes ont acquis une
expérience, conquis des citadelles, vu qu’elles pouvaient avoir une place dans l’espace public. Le
Front populaire leur a rendu service, indirectement : d’abord, en négociant les conventions
collectives et les délégations, il a permis à des femmes d’être des représentantes ; ensuite, avec la
mixité se fabrique une génération qui ne peut plus avoir le même regard sur les femmes – je pense
là au sport, aux auberges de jeunesse, etc., mais aussi à la scolarité prolongée (qui passe de 12 à
14 ans) et à l’ouverture de certaines carrières professionnelles.
Le troisième volet est « culturel » : les femmes gagnent alors la bataille de l’opinion. L’absence de
droit de vote paraît de plus en plus choquante. Il ne faut pas oublier que ces femmes vont former la
génération de la Résistance. Comme disait Henriette Nizan [1907-1993], elles ont acquis une
expérience de solidarité dans les manifestations et la syndicalisation – comme les hommes l’avaient
eue dans les tranchées –, qu’elle appelle « une nouvelle richesse ». Il faut faire crédit de cela au
Front populaire. C’est un rendez-vous manqué, mais, dans les faits, elles ont gagné quelque chose.
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