Page 1 Page 2 HitotsubashiJournal ofArts and Sciences41(2000

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Issue Date
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Rimband et le Mythe du Peuple dans les Poemes 18701871
Sato, Chiaki
Hitotsubashi journal of arts and sciences, 41(1):
41-54
2000-12
Departmental Bulletin Paper
Text Version publisher
URL
http://doi.org/10.15057/11470
Right
Hitotsubashi University Repository
Hitotsubashi Joumal of Arts and Sciences41(2000),pp,41−54. ◎The Hitotsubashi Academy
RIMBAND ET LE MYTHE DU PEUPLE
DANS LES I》OEMES1870−1871
CHIAKI SATO
Poεte r6volt60u maudit.C’est sous une telle rubrique qu’on classe souvent Arthur
Rimbaud dans les manuels de l’histoire litt6raire frangaise.La vie tr色s mouvement6e de
Rimbaud y tient une part aussi importante que son ceuvre;les6pisodes ne man(luent pas chez
lui,de loin,pour que les biographes,en s’y r6f6rant,tentent d’61aborer une image globale de
notre po6te.Ainsi est propos6e,et largement r6pandue,une image amalgam6e en quelque sorte,
constitu6e a la fois(les incidents de sa vie et des616ments de son㏄uvre。L’accent y est mis alors
sur sa particularit6persomelle。Mais loin de se d61imiter a un tel niveau de recherche,1’image
du po色te r6volt6est aussi culturelle,prise en tant que telle[;dans son essence,elle proc色de d7un
type exemplaire.Elle peut se ramener dans cette optique a un mythe culturel de l’6poqueシcelui
(1u《Po色te》magnifi61elle en constitue une des《ultimes variations》,suivant la d6finition
pr6sent6e par Claude Abastado.z Ce chercheur caract6rise Rimbaud,pour sa part,avec
l’indice du《Po6te r6volt6》dans son essai sur la configuration g6n6rale du mythe du《Poらte》
au XIXe si色cle3;le portrait rimbaldien qu7il pr6sente de la sorte recoupe ces images populaires,
mais puise dans un terrain autrement profond que celui du purement persomeL Nous
a(10ptons une pareille perspective mythiquel le《mythe》est entendu dans un sens modeme o“
il d6signe un systさme de structuration de rimaginaire dont la port6e large,et aussi souple,
conceme a la fois les domaines de l’id6010gique,du socialヲet meme celui portant sur le secret
du d6sir,impliquant le collectif comme l’in(lividuel sans distinction stricte.4
D’aprεs rexplication donn6e par Abastado que nous r6sumons ici,51e mythe du《Po色te》
est61abor6a1’6po(lue romanti(lue en vue d’une glorification imaginaire de1’6crivain,et il se
d6fait ensuite apr色s l860.Ceci constitue une《d6rive》,pour reprendre rexpression du critique:
le mythe,sans disparaitre totalement,sublt des m6tamorphoses,des renversements,des
ruptures dans Ie ton,(lans le message,meme dans1’armature,Le《Po色te r6volt6》se place au
sein de cet6tat de transition;il tend cependant a s’en d6gager en une figure distincte,pour
arriver a exprimer une d6rision comp1色te。L,6tat de transition est en e『et confus,charg6de
forces contraires;de cette transition qui est aussi cr6atrice,il r6sulte dシailleurs de nouvelles
pratiques d’6criture.Chez Rimbaud aussi,cet6tat s’av6rera crucial comme nous le verrons,et
pourtant on voit dεs maintemnt qu’il n’est pas facile a saisir,De fait,entre la ngure du
《Po色te−Mage》,一une forme typique du《Po色te》dont il s’agit principaiement dans le cas de
Rimbaud,et celle du《Po6te r6volt6》,1’6cart est extremel ces deux丘gures paraissent sシopposer
隆Cf.Thierry Galibert,LθPo♂fθα’αη10ゴθ川’f6,L’Harmattan,1998,p.68−8210n y trouve un essai r6cent du
portrait,disons g6n6rique,du poεte r6bel畳e,a partir d’un point de vue concernant Ia g6n6ration des auteurs,
2qaude Abastado,め酌ε5α7吻θ’s4θ”6cη’∫μ7e,E〔1itions Complexe1979,p.222.
3ibid.,P.232−235.
4ibid.,P。11・27.
5ibid.,P.222ssq.
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HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
[December
diametralement de prime abord. D'un cot6, Ie <<Poete>> se pretendant guide du peuple, de
l'autre celui qui se retourne <<contre la soci6tc, contre les hommes et contre Dieu>>. C'est vers
un tel aspect rigide du <<r volt6>>, ainsi r6sum6 par Abastado, que l'attention des chercheurs est
souvent attir6e de fapon quelque peu exclusive.
Plut6t que se fixer sur une pareille figure typique du <<Poete>>, se tenir au seuil de la
transition, telle est la position que nous allons essayer de prendre. Dans cette direction, il reste
encore des probl mes
r6soudre, nous semble-t-il, concernant d'ailleurs l'essentiel de la p06sie
de Rimbaud. Celle dite du <<voyant>>, projet poetique d6finitivement important pour lui, ne
peut-elle pas etre situ6e justement au point de rencontre des deux figures mythiques en
question? Le terme seul de <<voyant>>, sorte de prophete social et culturel, renvoie directement
au domaine du <<Po te-Mage>>, et lorsqu'il envisage d'assumer ce titre
son compte, Rimbaud
se d6cide
s'imposer le fameux <<d6r glement de tous les sens>>.6 Evidemment, il n'est pas rare
qu'un guide, qu'il s'orne ou non de quelque aur60le prophetique, tente un renversement de
valeurs en quete d'un nouvel ordre, surtout dans une situation de bouleversements: ce qui
s'applique certes au cas de Rimbaud, qui con90it cette p06sie sous l'impact direct de la
Commune en 1871. Cela admis, des questions ne cessent pourtant de se poser: quelle valeur
positive Rimbaud chercherait-il
installer de cette mani re?; qu'est-ce qu'il envisagerait,
lorsqu'il d finit le <<voyant>> comme <<un multiplicateur de progr s>>?; ou bien, s'agirait-il d'un
d6fit provocant, ou d'un gout du paradoxe?; devrait-on douter du reste de la pleine sinc6rit6 du
jeune poete t6m6raire, en se demandant par exemple si cela ne serait qu'une simple velleit6, ou
un jeu parodique de la transformation? Or, de telles questions qui sont de fait rebarbatives et
6pineuses pour les rimbaldiens, n'indiquent-elles pas, meme par leur persistance, un
tat
particuli rement complexe de la transition entre les deux figures du <<P0 te>>? Afin d'6claircir
cet etat transitoire, et pour mesurer la transformation affectant le domaine du <<Poete-Mage>>,
nous allons essayer, dans cette etude, d'examiner principalement les po mes produits pendant
la p6riode 1870-1871, en prenant la perspective determin6e par un autre mythe culturel de
l'6poque qui recouvre parfaitement le domaine du <<Mage>>: mythe du <<peuple>>. Dans la limite
de l'espace accord6 ici, nous nous bornons aux textes poetiques oti ce mythe est trait6 de fapon
directe.
Le mythe du <<peuple>>, un des grands th mes du si cle, est beaucoup plus g6n6ral et neutre
que celui du <<Mage>>, qui est deduit pas Abastado par souci de classification a partir de la
c6lebre image hugolienne. Du reste, il faut noter des maintenant que par rapport au <<Mage>>
tel qu'il est d6velopp6 par Hugo, Ie <<voyant>> de Rimbaud se caract rise, nous semble-t-il, plus
au moyen de diff rences que de ressemblances. S'il s'en rapproche, par exemple, par le statut
prophetique de l'6crivain autant que par la primaut6 donn6e la vision, ces points-ia sont
largement partag6s, grosso modo, par de nombreux auteurs de l' poque. Par contre, il ne
semble pas bien adh6rer au grand projet id6010gique du poete exile consistant dans l'ascension
id6aliste, spirituelle ou sociale, que celui-ci envisage comme une r demption
l'6gard de la
chute primordiale. Dans le <<voyant>> rimbaldien, on ne trouve gu re non plus l'idee
franchement optimiste que le futur poete national se fait du progr s parfois platement positif.
Enfin, que le <<voyant>> n'exige, pour sa r6alisation, que les eiforts conscients d'un poete
apprenti, s'oppose nettement la notion hugolienne du <<Mage>>, dont la valeur m6taphysique
est fondee sur le destin predetermin6 comme sur la nature providentielle de cette sorte de
6 Pour le texte de Rimbaud, nous nous ref rons
l' dition suivante: G uvre, Garnier, 1987, p.345.
2000】
R【MBAND ET LE MYTHE Du PEuPLE DANs LEs Po直MEs1870−1871
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proph色te。L’un s’610igne donc de l’autre sur des points qui sont6galement essentiels pour eux.7
Pour ce qui est du mythe du《peuple》,nous invoquerons1’6tude foumie par Alain Pessin
dans le domaine sociologique de l’imaginaire。8Le mythe est entendu6galement par lui comme
une structuration profon(le(le l,imaginaire qui,oP6rant avec sa logi(lue propre et ses tensions
propres,conditionne les toumures de l’esprit particuli色res.Lシ㏄uvre de chaque auteur
constitue, sous cet angle, une version de la r6ponse propos6e face aux contradictions
irr6ductiblesdel’Histoire,detellesortequechacun,rapProch6parlacroyanceidentiquede
pouvoir surmonter ces diHicuk6s historiques,se voit s’6clairer l’un par1’autre dans ses nuances
sp6cinques,meme par dela les discordances id6010giques.11s’agit,de fait,suivant le sociologue,
moins d’un prob豆6me stdctement id6010gique,que de celui de la vision fondamentale sur la
possibilit6d’une naissance inaugurale du monde.D色s lors,du point de vue de l’6tude
monographique d’un auteur,un champ vaste d’investigation est o6ert,fructueux de divers
recoupements possibles,et qui permettrait de d6passer non seulement la Iimite des recherches
traditionnelles de sources,mais aussi celle des6tudes th6matiques accus6es souvent d’une
abstraction avec laquelle celles−ci s’autorisent de survoler la r6alit6sociale historique.Pour le
pr6sent,nous nous contenterons d’essayer de voir apparaitre le r6volt6proph6tique rimbaldien
danssasp6ci6cit6pendantlap6riodequenouschoisissons,Notonsen昼nqueparletrajet
historique qu’il parcourt,le mythe du《peuple》convient a notre perspective de recherche:
ayant atteint l’apog6e a1’6poque romantique humanitalre(1830−1848),il commence a d6cliner
a la suite du coup d’Etat de l851,pour subir une d6sagr6gation d6cisive aprεs la Commune qui,
elle,constitue n6anmoins sa《demiさre expression vivante》selon Pessin.9
Le mythe du《peuple》,motifessentiel des reves r6volutionnaires au cours du XIXe si色cle,
trouve son expression la plus orthodoxe chez Rimbaud,dans les po色mes qu7il6crit en l870avec
le pressentiment dシun bouleversement sociaL《Le Forgeron》10en constitue un cas exemplaire,
avec la r6f6rence explicitement donn6e a la Grande R.6volution,Ainsi,allons−nous nous y
consacrer assez longuement。Ce poさme permet de voir la position fondamentale de Rimbaud
a「6gard du mythe en question,et il pourrait servir aussi de jalon pour mesurer l’6volution
ult6rieure de notre po色te.
En prenant pour point de d6part un6pisode c61色bre de la R.6volution,Rimbaud l’adapte
assez librement。A la place du boucher Legendre,il y met en scεne un《forgeron》一
repr6sentant du《Peuple qui6tait la(=au Palais des Tuileries)》一,1angant un discours
quelque peu trop610quent en face de Louis XVI,pour lui《jet(er)》ensuite《le bonnet rouge
aufront》・Ladi任6renceainsiproduiteparrapPortalaversiontypiquedel’6pisodedevraitetre
7Voir par exemple la mise au point faite par Marc Eigeldinger,《La voyance avant Rimbaud》,in Lef惚3ぬ
voッαη∫,Minard,1975,p。78−79.
8Aiain Pessin,Le1吻∫he伽Peμp1θ,PUF,1992、En6tudiant6galement le mythe comme une structuratLon
fondamentale de rimaginaire a la suite de L6vi−Strauss,Pessin se distingue de Abastado en ceci:ceiui−ci,prenant
pour objet de r6tude un mythe plus6tendu,adopte une interpr6tation inspir6e du marxisme et du freudisme:le
mythe est consid6r6comme une repr6sentation form6e a partir des infrastructures,donc comme un produit
secondaire servant de masque face aux contradichons socio−historiques,C’est un tel statut secondaire du mythe
que refuse Pessin qui,afin de sauver ia dynamique propre de celui du《peuple》en tant qu’unique source de sens,
n’h6site pas a le situer au nivcau des infrastructures.La question de ia pertinence de ce choix mαhodologique ne
nous mt6resse pas dircctement,autant que Ia diff6rence ainsi produite par rapport a Ia perspective prise par
Abastado.
91bid、,P.16.
loαrμり7e,OP.cit.,P.51−57,
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H【TOTSUBASHl JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
[Dccember
significative.Steve Murphy pr6sente,de ce point de vue,un examen fort d6tai116du po色mel
pour en ampli五er davantage la port6e,il recourt a une autre comparaison intertextuelle avec un
po色me de Copp6e,《La Grεve des forgerons》,quoiqu’il la pousse,a nos sens,un peu trop loin、u
En tout cas,nous suivons le chercheur dans les remarques suivantes:pour le《forgeron》,
rennemi ne r6side pas seulement dans1’aristocratie,mais aussi dans la bourgeoisie,comme il
la d6nomme nettement:《Ah!ce sont la les plats/Que tu(ニLouis xvI)nous sers,bourgeois,
quand nous sommes f6roces》;il s’agit de《nos doux repr6sentants》,dit−il,《qui nous trouvent
crasseux》.Par cet emploi(1u mot《bourgeois》,qui peut se rapPorter au roi meme,est sug96r6e
la complicit6,meme1’expansion consid6rable de cette classe sociale a l’int6rieur du mon(ie
dirigeant.Et avec cette d6formation,ou plut6t ce d6placement des faits historiques,il est facile
de voir que1’int6ret de ce po色me r6publicain n’est jamais nostalgique,mais bien actuel dans ses
reves6galitaires et libertaires。A ces ennemis《richards》,le《forgeron》oppose d’un ton ner et
ferme le《Peuple》,qu’il d6nnit aussi comme《Crapule》ou《canaille》:il n’y a pas de
distinction,d’aprεs la remarque de Murphy,旦2entre les ouvriers et les basses couches
populaires,et ce parti pris social peut etre confirm6au niveau de rexpresslon,dans les
toumures brutales comme cette injure:《Merde a ces chiens−la》,Le con縄it politique et social
ainsi nettement trac6paraitrait encore lourd de sens,en6tant mis sous1’6clairage que peut jeter
le probl色me contemporain de la gr色ve,Le texte trouverait alors davantage un6cho actue1。
Mais pourrait−on dire pour autant,comme le pense Murphy,13que le discours po6tique
pr6sente une vislon parodique a r6gard de la R6volution,dont le r6sultat aurait6t6uniquement
usurp6par la bourgeoisie?Le doute nous prend,dans la mesure o心la parodie suppose en
principe une intention railleuse envers le mod色1e.Ne faudrait−il pas penserシpar contre,qu’il
s’agit d’un prolongement du pass6h6roique,et cela selon la d6marche typique d6cid6e par le
mythe du《peuple》14?Si le《Peuple》,(lui est mis avec une majuscule a toutes les occurences
dans le po色me,est oppos6aux bourgeois《richards》,cela ne semble nullement incompatible
avec ce mythe.Pour prendre un des exemples,1a notion du《peuple》chez Jules Val16s vers la
meme6poque est61abor6e sur la base dシune opposition identique,et compos6e a partir de
cat6gories sociales non moins h6t6roclites que chez le Rimbaud du po色me;si elle veut
constituer toutefois une entit6sociale,elle porte aussi une nuance mythique indubitableラayant
pour objet la tentative de la replacer a rorigine de l’Histoire dont le mod61e r6si(le dans la
R.6volution.[5
D’ailleurs,le(1iscours du poさme rimbaldien qui est6mis par la bouche(1u《forgeron》,ne
montre pas de hiatus,quant au contenu des exigences,entre ropprim6collectif et le po色te。Pas
d’amertume ironique,de ces deux c6t6s,dans le ton global d’une exaltation.Ainsi,ce po6me
qui est rempli,a la v6rit6,de clich6s et d’emprunts litt6raires,semble contenir aussi des
616ments qui annoncent(16ja la po6sie du 《voyant》,comme l’indi(luent plusieurs
ll Stcve Murphy,Rfηめ側4α’α’η6παge7’ε’2η〆7如’θ,Edition du CNRS,1991,p.209・230.Il va sans dire de
I’importance politique et sociale des gr6ves qui ont lieu fr6quemment vers la nn du Second Empire,
021bid.,P.220−221.
131bid.,voir par exemple p、214.
04 Pessin,op.cit。,p,197−202.
15Par exemple,voir la mise au pomt pr6sent6e par Roger Bellet dans1’article:《Le Mythe du peuple chez Jules
Vallεs》,in Peμρ’e,η3アεheε功ご3∼o舵,Presse universitaire du Mirail,1997,p.145−157.D’ameurs,de tels aspects
m61ang6s et compliqu6s du《peuple》semblent pouvoir correspondre a la r6aht6du mouvement r6volutionnaire de
r6poque.Voir par exemple Jacques Rougerie,Po7∫s1め7e,1871,Seui1,197L
2000]
R【MBAND ET LE MYTHE Du PEuPLE DANs LEs Po直MEs l870・1871
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commentateurs.16Maintenant,retenons seulement ce point−ci:la r6volte est assimil6e au
《travai1》de《savoir》qui amさne a a『ronter des limites。07Ce《travai1》,pr6sent6ensuite comme
une《chasse》des《grandse伍ets》etdes《grandescauses》,6voquecerteslatonalit6hugolienne
de l’id6e du progr色sl81mais plut6t que ce contenu(iu《savoir》,qui est donn6du reste pour un
futur ind6termin6,la liaison meme faite entre《savoir》一《travail》nous rapPelle cet autre
《travai1》non moins paradoxal de r《encrapule(ment)》que Rimbaud tente d’assumer en mai
l871,en se mettant pour cela dans un6tat de《gr合ve》[9:《Travailler maintenant,jamais,
jamais;je suis en gr6ve。Maintenant,je m’encrapule le plus possible.Pourquol?Je veux etre
po6te,et je travaille a me ren(lre voyant》。Ici,le sens subversif de la gr色ve s’impose clairement.
Et la po6sie du《voyant》ainsi congue ne laisse pas de doute pour un attachement,une
participation qu’il s}imagine a sa maniεre,envers les communards en train de se battre
d6sesp6r6ment.
《Le Forgeron》,oU1’on peut constater ainsi une version assez conventionnelle et typique
du mythe du《peuple》,est en fait un cas unique dans l’oeuvre rimbaldiemel c’est seulement la
que le po色te prete sa voix au personnage pour lui faire d6velopper enti6rement le discours
po6tique contenant une r6f6rence explicite a la R6volution.A dire vrai,le mot《peuple》,mot
clef(1u mythe,ne se trouve plus en son sens usuel de la valorisation,ni dans Lε3P陀履θ毘3
Po2’ηes en vers de Rimbaud(1869−1872),ni(1ans les deux lettres constituant une sorte de
manifeste(1e la po6sie du《voyant》:(1ans ces lettres,1e mot《travailleurs》est uniquement
employ6,comme faisant6cho a ce《travail》de l’《encrapule一(ment)》.ReHet(iラune conscience
de classe encore aiguis6e?En tout cas,ce fait terminologique devrait etre suggestif.Le mot
《peuple》peut6voquer et diriger,par sa pr6sence seule,selon Pessin,les id6es dans un certain
sens,et ce meme jusqu’a maintenant:ce qui prouverait la puissance des contraintes mythiques
oP6rant par ce mot.20
La demi色re occurence du mot est compl色tement n6gative dans Lε3Prε’n’α3Po2’ηθ3:lors
d’un texte sans titre consacr6a un rappel furieux de la(16faite de la Commune,211e mot est
utilis6avec une minuscule et un signe de plurarit6.Quoique ce po色me d6passe quelque peu la
p6riode que nous choisissons dans cette6tude,nous voulons1’examiner au passage.La valeur
du mot《peuple》y6tant ainsi diminu6e,il d6signe,non plus cet ensemble mythique d’une
unincation ardenteシmais quelque unit6ethnologique qui fait d’ailleurs l’oblet d’un refus total:
《Des r6giments,des colons,des peuples,assez》.Et comme si cela6tait d盒a1’absence du
《peuple》,le reve r6volutionnaire de la vengeance n’y trouve pas d’autre apPui que chez les
《Romanesques amis》。Ces demiers sont en e伍et comparables au《peuple》,en ce qu’ils
sollicitent la croyance et la participation fratemelle de s’y projeter.22Et ils ne peuvent
16Voir a titre d’exemplc la note donn6e par Brunel dans sa demiεre6dition de roeuvre de Rimbaud:R”幼α配4,
0『μり7e3coηψ’2’θ36dit6es et not6es par Pierre Brune1,La Pochoth6que,1999,P,776.
17V・irparexempieleverssuivant:《(1esMalheureux)danscetravai1−lasententcreverleurfr・nt》.Op.cit.,P.
56.
181bid.,P.372,n.15.
191bid,,p345.Notons que pour le《forgeron》,1’assimilation de la r6volte au th色me du《travail》peut etre
justi66e,outreparsanaturediligenteetlacause6videntedelad61ivranceεtderind6pendance,parlefaitqu’elle
lui constitue un ukime moyen d’assurer Ia vie,sous la fQrme du pain a gagner d’abord,et aussi en se faisant un
enJeu supreme du sacrince・Ce double aspect ne se trouve−t−il pas dans cet《encrapule(ment)》,identi66au《travail》
en vue d’assurer le statut social du《po6te》au moyen du《d6rεglement》?
200P.cit.,P.11層12,P.185.
21伽v7e,oP、cit,,P.171・172.
22De cette condition du mythe,voir Pessin,op.cit.,p.4344.
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HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
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qu'accompagner, qu'entrainer dans leur r6gion chim6rique, Ie d6roulement du reve destructeur
qui se fait de plus en plus chaotique et fantasmatique:
<<0h! mes amis! - Mon c ur, c'est sfir, ils sont des fr res:
Noirs inconnus, si nous allions! allons! allons!>>.
A l'6gard du mythe du <<peuple>>, on pourrait supposer d s lors qu'il y reste un besoin
profond, meme acharn6 de l'unification, dont la pr6carit6 est aper9ue cependant, comme
l'indique la nature purement imaginaire des liaisons.
Or, d'apr s Pessin, Ie <<peuple>>, entit6 mythique, d6signe en principe, non pas telle ou telle
cat gorie sociale pr cise, mais une force unique ind6finissable, et qui pourtant est cens6e etre
efficace en vue de la r6alisation des espoirs: Ie <<peuple>> apparait comme un <<intrus>> dans la
trame de la r6alit6 sociale pour y apporter des changements, car il n'y appartient pas.23 Ne
pourrait-on pas deviner dans le rapport avec les <<Romanesques amis>> du po me une intuition,
fut-elle vague, de ce statut essentiel d'<<intrus>> du <<peuple>>, voire plus fondamentalement de
celui de projete subjectif2* ? L'armature du mythe, qui doit demeurer plutot inconsciente pour
sa pleine efficacite, serait alors touch6e au vif en ce point. Le devoilement complet en serait la
fin du mythe. Pour ce qui t moigne de la complexite des concepts que revet le mot <<peuple>>
chez Rimbaud, notons qu'il fait l'objet de r6actions tr s enchevetr6es, oscillant sans cesse entre
le d6sir d'appartenance et le refus amer dans Une Saison en Enfer.
Evidemment, quoique le mot <<peuple>> renferme une puissance remarquable, Ie probl me
du mythe ne se reduit jamais celui de sa pr6sence. Ainsi, revenons-en aux po mes 6crits en
1870. Si <<Le Forgeron>>, qui est contemporain du tournant politique de l'histoire fran aise, est
vou6
la foi r6publicaine, Ia notion de <<peuple>> y reste assez abstraite, et l'on peut se demander
si cela permet aux deux voix, celle du poete et celle du personnage, de se confondre
enti rement. Une pareille disposition 6nonciative ne se remarque pas dans les p0 mes qui se
i dans ceux 6voquant la
rapportent plus ou moins directement au mythe du <<peuple>>,
guerre franco-prussienne, ni dans ceux qui d6crivent les pauvres gens. Et dans tous ces cas, Ie
-
theme du po me est beaucoup plus d6limit6 compar6 au <<Forgeron>>.
Dans le premier groupe, on peut compter <<Le Mal>>, <<Le Dormeur du val>>, et le texte sans
titre commen9ant par le vers: <<Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize>>. Ces
po mes d6veloppent de fa90n concr te le th me commun de la mort du soldat, theme
traditionnel du mythe du <<peuple>> qui se trouve galement dans <<Le Forgeron>>. Nous
examinerons bri vement la mani re dont ce theme y est trait6, afin d'en deduire l'attitude
essentielle de Rimbaud par rapport au mythe en question.
Du <<Forgeron>>, se rapproche le plus le dernier po me par la r6ference directe qu'il donne
a la Revolution, tout en contenant une allusion assez claire La Marseillaise: <<0 Soldats que
la Mort a sem s, noble Amante,/ Pour les r6g6n rer, dans tous les vieux sillons>>.25 Le pass6 est
6voqu6 ici dans l'intention d'une id6alisation et d'une succession, et on peut y constater donc
une id6e politique identique i celle que nous avons vue dans <<Le Forgeron>>. L'ironie, suscitce
en r alite
partir de cette ref rence historique, ne concerne que son exploitation d6magogique
23
bid., p.19-20.
24
bid., p.247-248.
25 (Euvre, op.cit., p.58. De cette allusion, voir par exemple L.van Licorne et R.Reboudin (pseudonyme de
Benoit de Cornulier),
Morts de Quatre-vingt-douze et la Marseillaise , Parade sauvage, n.5, 1988, p.109-1 10.
2000]
RIMBAND ET LE MYTHE Du PEuPLE DANs LEs Po直MEs1870−1871
47
par Ies bonapartistes。Sacrifice pour la cause de《1a libert6》,la mort est ici glorin6e,alors que
dans les deux autres po6mes,elle est d6nonc6e dans sa r6alit6cmelle.Ainsi dans《Le Mal》26:
《Tandis qu’une folie6pouvantable,broie
Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant;》
L’indignation provoqu6e par la vanit6シ1’insigninance de la vie gaspill6e en masse,am色ne
un grave reproche du Dieu chr6tien qui est satisfait,somnolent,de radoration toute formelle,
en d6pit de cette r6alit6.Et pour s’opposer a la nullit6de ce Dieu face a l’horreur du massacre,
la Nature est invoqu6e dans le r61e(lu consolateur:《一Pauvres morts!dans l’6t6,dans l’herbe,
dans ta joie,/Nature!6toi qui nt ces hommes saintement!》。La且gure consolatrice est pret6e
6galement,dans le po色me pr6c6dentシa la《Mort》elle−meme qui est assimi16e a une《noble
Amante》,et qui se rapporte,la aussi,a la f6condit6naturelle,Si les soldats morts y sont
identin6s aux《Christs aux yeux sombres et doux》,cette identification,banale en elle−meme,
laisse deviner n6anmoins,pami les motifs probables,une exigence s6rieuse(1e la saintet6
envers cette consolatrice qui supplante le christianisme,La saintet6envisag6e pour masquer le
n6ant de la mort?N’est−ce pas sur ce point phmordial que ropposition est6tablie entre le
christianisme et ce qu’on peut appeler le naturalisme rimbaldien?La question sur la cause de
la guerre,一il s’agit(1e la guerre d6fensive de Ia R6publique dans ce po色me−ci,et de la guerre
impos6e uniquement au pro丘t de l’Empire dans《Le Mal》,一nous semble secondaire par
rapport a la coh6rence th6matique ainsi constat6e。Elle peut etre renforc6e,comme nous le
verrons,a partir de l’examen du《Dormeur du val》。Et quant a cet antagonisme des i(16es
m6taphysiques,il peut sシenrichir d’une autre nuance dans《Le Mal》:la《Nature》consolatrice
y revet un aspect de matemit6,de telle sorte qu,elle s,oppose,comme pour les remplacer,aux
《mさres》impuissantes qui,implorant dans leur d6tresse la piti6a ce Dieu indi騰rent,sont
elles−memes impliqu6es dans un faux syst色me religieux:le《gros sous》qu’elle lui olfre ne sert
qu’a consolider1’institution existante,religieuse et sociale。Une pareille ali6nation est d6nonc6e
d’un ton beaucoup plus brutal dans《Les Pauvres a r691ise》,po6me6crit en l87127:《Heureux,
humili6s comme des chiens battus,/Les Pauvres au bon Dieu,1e patron et le sire,/Ten(1ent
leurs oremus risibles et tetus》.
L’ironie contre le christianisme est sugg6r6e dans《Les E『ar6s》,2810rsque les enfants en
haillons trouvent,en6tant《e丘ar6s》,《1a lumiさre du ciel rouvert》,non pas en haut,mais en
《bas》,dans le spectacle du pain sorti du four situ6au sous−so1.Paradisiaque est donc le
bonheur de la vie mat6rielle pour les pauvres a任am6s,La,nous voyons un autre616ment(lu
naturalisme rimbaldien,qui sシaHirme dans ce po色me encore,a l’encontre du christianisme qu’il
r6fute au moyen de la paro(iie.Et pour ce qui renforce cet essai du rapprochement a propos du
naturalisme,la vie mat6rielle y est nettement caract6ris6e par la chaleur matemelle:les enfants
transis de froid se r6unissent,par exemple,《blottis》《(au)soume du soupirail rouge,/Chaud
comme m sein》.Le naturalismefoumit d色slors des revescompensatoires en face de la cruaut6
du r6el,la mort ou le d6nuement mat6rieL《Le Dormeur du va1》pr6sente un exemple
d6veloPP6de cette association d’id6es.29
261bid.,P.72.
271bid.,P.98−99.
281bid.,p。69・70:dans une autre version,les petits face au《ciel rouvert》sont compar6s aux《J6sus》,ce qui
renβorce l,aspect parodique du po色me a r6gard du chhstianisme,aussi bien que notre optique portant sur
rassociation thematique。
291bid.,P,76.
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HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
[December
Dans ce po色me,qui montre d’une habilet6remarquable dans la description,un jeune
soldat mort est plac6au se孟n d’《un trou de ver(lure》qui d6borde de vitalit6v696tale
printani色re。La mort,ainsi en contraste avec la vie jaillissante ambiante,suscite naturellement
le reproche,et en meme temps elle semble en recevoir,comme le pensent certains chercheurs,
un e伍et d’euphorisation de fagon subtile.Jean−Frangois Laurent le fait remarquer,犯 en
examinant Ies allusions possibles a rimage du Christ en croix,qu’il re1色ve a partir des d6tails
du d6cor,(1es6chos intertextuels du po色me,et surtout de r6tat curieusement calme du mort:
ce demier est6tendu comme en repos,avec un sourire a la bouche,bien qu’il porte des《trous
rouges au c6t6droit》,(lonc au meme en(iroit que le crucifi6selon les conventions notamment
iconographiques,L,image christique serait parsem6e en filigrane dans la texture du po色me,
Avec la《Nature》matemelle consolatrice,nous avons alors1’assemblage th6matique identi吼ue
que nous venons d’6tablir:《Nature,berce−le chaudement:il a froid》。Et le sens que ce
chercheur d6duit des allusions au Christ,nous con五me dans notre interpr6tation:il sラagit
(rme maniらre de se confronter vis−a−vis de la mort,de ses sou仔rances supremes,ann de les
d6passer,d’en triompher en po6te。
S’il en est ainsi,ne pourrait−on pas y deviner un regard profond6ment sympathique qui,
loin de se tenir a quelque hauteur distante,se place au meme niveau(le la douleur terrestre
pour s’y attacher de pr色s?:regard fratemel d色s lors,qu’on serait tent6de situer pami la
disposition triangulaire(㏄dipienne ou non)de la stmcture familiale−faite du p61e patemel
de la puissance dominatrice(politique aussi bien que religieuse)シ(lu p61e matemel consolateur
et de celui(1e renfant victime.Ce regar(l n’exclut pas la possibilit6d’une ironie envers les
pauvres,soldats ou populaces;ou plut6t,il sラagit d,une ironie envers les6gaux,et qui reveterait
pour cela des nuances diverses variant de l,atten(1rissement a1’indignation ou a la rage・
D’ailleurs,nous nous demanderons si c’est ce regard fratemel qui sous−ten(11e recours a
l,inspiration caricaturale{le r6poque,dont les chercheurs rel色vent les traces ga et la dans les
po色mes contemporains de Rimbau(1,tels que《Rages des C6sars》,31charge satihque contre
Napo160n III en captivit6,《Chant de guerre parisien》」2se r6f6rant directement a la guerre
civile de la Commune,poume prendre que les exemples les plus6vi(1ents,Cette inspiration qui
est essentiellement populaire,voire vulgaire a roccasion,est railleuse dans ces deux cas,一
avec des allusions ironiques sur les d6tails,一ceil teme,cigarette,一de rEmpereur d6tr6n6
dans le premier texte,et avec la d6formation burlesque des gouvemants versaillais en
《culs−nus》《d61irants》(lans le second.Elle semble puiser de fagon plus ou moins directe dans
1’arsenal politique autant que culturel(les po16miques de cette6po(lue troubl6e。33C’est dans ce
contexte que nous semble situ6e6galement《L’Eclatante victoire de Sarrebmck》,34texte
pr6sent6comme1’6quivalent d’une《gravure》《brillament color6e》,et(iont1’ironie est
manifeste dさs le titre qui d6nonce le mensonge de la propagan(le imp6hale、Et lorsque
《Boquillon》,persomage emprunt6a mjoumal burlesque contemporain,y est montr6en train
de《pr6sent(er)ses derri色res》,pour recevoir la visite de1’Empereur qui est《f6roce comme
30Jean−Frangois Laurent,《Le Dormeur du Val ou la chair meurtrie qui se fait verbc po6tique》,Pロ704e3αμvαgε,
R伽わαμゴ《4’α’oμρ》,1987,P,21−26.
31(E蹴θ,op.cit.,p.74.Pour l’6tude des sources caricaturales du poεme,voir Steve Murphy,op、cit。,p,105・125,
32伽vrε,ibid.,P.88−89.
33Voir Steve Murphy,op.cit.De r6tat g6n6ral des caricatures iconographiques de r6poque,on trowe un essal
de r6sum6〔lans les pages suivantes:p23−34。
鱈伽v7θ,OP.cit.,P.79.
2000]
RIMBAND ET LE’MYTHE Du PEuPLE DANs LEs Po直MEs l870−1871
49
Zeus et doux comme un papa》,6tant《sur son dada》,cette pointe行nale du po色me satihque
n’est pas d6pourvue d’insolence humoristique,ni de gaiet6camavalesque(1ans la subversion.
Or,nous avons d6ja relev6une expression tout aussi populaire dans《Le Forgeron》:
《Merde a ces chiens−la》.Mais pour ce qui est de ce po色me oU le《forgeron》revendique les
droits de r《Homme》en face(1u roi en le tutoyaut,il faudrait dire qu,il s’agit la plut6t(1’une
lutte entre p6re et pさre pour ainsi dire,d’une lutte classique,en bref,dans la mesure o血le
pouvoir est incam6dans une personne servant de symbole,(1e m色me que l’a(1versaire.35Par
cette perspectiveシce po色me nous rapPelle moins ceux que nous venons d’examiner,que la
po6sie hugolienne,surtout celle(1es Chδ’加εn‘3(iont1’influence sur ce texte de Rimbau(1est en
e∬et visible.Notons que si Hugo6met la des invectives au moyen des th色mes des cloaques ou
des fさces,ceux−ci symbolisent principalement les vices du Secon(l Empire,et am色nent souvent
(les accusations r6formistes ou haineuses,Il n’est pas tant question de la pure subversion en vue
d’une d61ivrance totale,comme cela serait envisag6,a notre avis,a travers rinspiration
camavalesque de Rimbaud qui nシh6site pas a recouhr aux motifs scatologiques.Si la vision
historique de Hugo est critiqu6e par Marx,a propos de la naissance du Second Empire,pour
n’
admettre qu’une 《force d’initiative persomelle》,au point de la surestimer
paradoxalement,36une telle remarque ne s’appliquerait guεre aux i(16es r6volutionnaires de
Rimbau(1,dont la repr6sentation de1’histoire nous semble s’610igner de celle de Hugo。
De la perspective quラon pourrait qualiner de paternelle de l’Histoire,du sujet de rHistoire
plus pr6cis6ment,a celle du r色gne fratemeL Dans ce changement,se dessinera la最gure
rimbaldieme du r6volt6qui serait a rapprocher(1e celle(le Vermersch,par exemple,qui en se
d6clarant comme《anarchiste》シamrme comme suit dans Leααnd Te5εαη1θηrJ《en moi je sens
un instinct/D’opposition6temelle,/(_)Tol6rer,d6fendre,ou permettre/Sont des violations
du(1roit:/Je m’insurge contre elles,moi,/Qui ne recomais pas de maitre!》.37Notons que
parmi les courants d’id6es divers,ou plut6t divergents des gauches de r6poque,celui−la n’est
jamais isol6(1e succさs,quoiqu’un peu limit6,de Vermersch le prouve d6ja),mais(lu’il dome
une nuance particuli色re au mouvement(16mocratique contemporain,avec ses tendances
d’autonomisme,d’anti−autoritarimeラd’attachement a la libert6individuelle.Examinons(1ans
cette optique les po色mes contemporains de la Commune.
A propos des textes qui ont la Commune pour sujet,commengons par relever les aspects
caract6ristiques qui sont autant de facteurs de leur obscurit6:premi色rement,10in de s’enfermer
duns un contour net,de se centrer autour de quelque point pr6cis,la puissance de1’ennemi
politique est di『useラcomme emport6e par un acc色s furieux de co1色re.Evidemment,de ces
po色mes de circonstance,il faut faire la part des allusions,des sous−entendus.Et quant au
《Chant de guerre parisien》et aux《Mains de Jeanne−Marie》,381’accent y est mis plut6t sur le
c6t6rh6torique,sans{loute a la faveur de1’6vidence(1es r6f6rents.Mais dans《L’Orgie
parisieme》,39qui est consacr6e selon toute probabilit6a la vie parisieme apr6s la Commune,
35Notons que le《forgeron》,p色re de fami皿e r6ellement,est bien caract6ris6par les signes traditionnels〔1e la
paternit6,一fiert6,assurance de soi,virilit6.
36Marx,Lε18β川η2α舵4e Loμ∫3βon¢pαπe,Editions sociales,1976,p.10.M皿phy pense qu’une telle cntique
de Marx peut atteindre aussi la position rimbaldienne,dans son essai de rexplication de cette demiさre a partir des
comparaisons avec les caricatures iconographiques de r6poque visant rempire6crou16、Mais ces comparaisons nous
semblent quelquefois trop forc6es.Voir op、cit.,p.232.
37Eugεne VenmerschナLe G辺η4Te舘α濯e配,Chez rauteur,1868,p,22.
38価vre,・P.cit,,P.105−107.
391bid.,P.102−104.
50
HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
[December
il s'agit uniquement des <<laches>> se vautrant dans leur debauche habituelle, si bien que les
commentateurs ne sont pas d'accord propos du moment oti doit etre situ6 Ieur retour la
capitale, apr s la Commune ou bien apr s la guerre franco-prussienne. A Ia v6rit6, Ia situation
decrite de 1'<<0rgie>>, de la d6ch6ance de <<la putain Paris>>, est tr s conforme au th me typique
du mythe du <<peuple>>,40 et on pourrait se demander si ce mythe, justifiant le dechainement
d'une indignation violente, permet d'autre part d'omettre des id6es pr6cises sur le ref rent
politico-historique. Or, cette lacune, qui est souvent remarqu6e par les chercheurs pour les
po mes communards de Rimbaud,41 s'accompagne, dans le cas pr6sent, d'une autre lacune
constat6e au sujet des victimes: cela nous am ne au deuxi me point caractcristique de ces
po mes, plus important que le pr c6dent.
Pour annoncer la r6surrection de <<la putain Paris>> par une vengeance future, <<Le Po te>>,
personnage prophetique, prend le relais du locuteur qui s'est occup6 d'abord de l'6vocation de
l'<<0rgie>>. Ce <<Po te>> comme celui-ia sont charg6s de sanctifier sa douleur pr6sente, sans
s'imposer eux-memes comme intermediaires d'une transcendance externe: de son <<corps
remagn6tis6 pour les 6normes peines>>, Ie <<fauve renouveau>> qu'elle retient, en gisant, dans ses
<<prunelles claires>>, semble en effet dti
une force immanente, et ce double sacerdoce s'en tient,
de leur cot6, la reprise du <<sanglot des Infa^mes>>, de <<la haine des For9ats>>, de <<1a clameur
des Maudits>>, donc des revendications des exclus, et ce suivant leur vision proph tique d'un
<<immense remuement des forces>> qui devra <<secoue(r)>> Ia femme dechue symbolique. Mais,
par quelle voie pr6cise vient ce <<remuement>>? Le ressort de cette r6surrection reste myst6rieux.
Le rble principal de ce sacerdoce p0 tique, tout en paraissant ainsi discret, consiste saisir
par intuition la perspective du /.'<progr s>>, qui y est d6velopp6e en termes portant sur l'art, et
qui semble pouvoir se rapporter la p06sie du <<voyant>>, selon certains chercheurs.42 Avant de
nous y reporter, signalons qu'a ce <<fauve renouveau>>, peut etre rapproch6 <<le sang noir des
belladonnes>> qui <<6clate et dort>> dans les mains de <<Jeanne-Marie>>, symbole des
communardes: son r6veil au combat est un effet produit par ce <<sang>> destructeur, mais aussi
dynamique et dot6 d'une intensit6 vitale. A propos du poison qu'elle assimile, Yves Reboul
propose de la comparer avec la sorci re, arch6type du progr s moderne 6labor6 par Michelet43.
il s'agit d'un progr s, non pas purement technologique au sens restreint, mais puis6 par la
sorci re dans la source vitale de la nature qu'elle r6habilite de la sorte contre le christianisme.
A ce dernier, s'oppose effectivement <<Jeanne-Marie>>: <<1'6clat de ses mains amoureuses>>, - qui
sont aussi chanteuses <<des Marseillaises>> et <<jamais (des) Eleisons>>, - <<tourne le crane des
brebis>> chr6tiens.
En effet, ce <<sang>> qui <<6clate et dort>> Iaisse penser, par son indication d'un dynamisme
latent,
la recherche rimbaldienne de 1'<<inconnu>>,44 et nous voulons nous demander ici,
40 pessin, op.cit., p.202-210: il va sans dire qu'
ce th me populiste consistant dans la r6habilitation de la
prostitute symbolisant la cause du <<peuple , se rejoignent les clich s sur la puret6 de la fille d chue.
41 Par exemple, voir Ross Chambers,
R6flexions sur l'inspiration communarde de Rimbaud , in A. Rimbaud 2,
la revue des lettres modernes, 1973, p.63-80.
42 Par exemple, voir Ross Chambers, ibid., p.73-74.
43 Yves Reboul, Jeanne-Marie La sorci re , in Rimbaud 1891-1991, Champion, 1994, p.39-51.
44 Ross Chambers, op.cit., p.74. Pour ce rapprochement entre le voyant de Rimbaud et la sorci re micheletiste, voir aussi Yves Bonnefoy, Rimbaud. Seuil, 1961, p.181-182. Notons aussi que cet aspect d'un 6veil soudain
des communards semble pouvoir relever de l'impression gtn rale produite par ces derniers qui paraissaient, quoiqu'in-
fluenc6s p]us ou moins par des id6es avanc es du mouvement ouvrier d'alors, pouss s au combat d6sesp6r6ment et
sans beaucoup de pr m ditation, pour la plupart, par l'impulsion du sans-culottisme traditionnel aussi bien que par
la force des choses. Sur le plan de l'id e, ils sont caract ris s, selon Rougerie, par un etat m lang6 de vieux
6lements du peup]e et de nouveaux rempla9ant ceux-l qui vont d cliner apr s la Commune: op.cit.
2000]
RIMBAND ET LE MYTHE Du PEuPLE DANs LEs Po直MEs l870−1871
51
quoique bri6ve血ent,si,et dans quelle mesure,cette recherche−1a autant que la vision du
progr色s rimbaldienne,616ments de base de sa nouvelle po6sie,peuvent etre rapproch6es du
cadre th60rlque6tabli par Michelet,un des penseurs les plus typiques et fondamentaux du
mythe du《peuple》selon Pessin.45La position de Rimbaud sera bien6clair6e par ce d6tour.
De la th60rie du progr6s de1’historien,Rimbaud semble m6diter surtout l’essentiel a un
niveau assez abstrait.On ne trouve pas chez lui cette sorte de culte micheletiste du patriotisme,
du nationalisme,ni,encore signincatlvement,rid6alisation r6aliste,mais vraiment mythique
des classes populaires,一paysan,ouvrier de m6tier,Et il s’agirait moins du progr色s du premier
Michelet,optimiste lib6ral,qui le consid6rait,par exemple dans son lnぴo伽α’onδ”E醜oかe
μn’vε汽8e〃θ,comme une conquete triomphale de1’esprit sur la mati色re,que du progr色s qu’il en
arrive a chercher a formuler,en61argissant le champ d’investigation,a travers renquete d’une
meilleure hamほonie du rapport entre homme et nature,ou entre《r6flexion》et《instinct》:
harmonie non seulement sociale et historique,mais aussi intellectuelle et spirituelle,qui serait
a6tablir d’une part,par re『ort(1e d6passer,d6noncer les limites st6riles que nxent les syst色mes
ali6nants d’exclusion(dont le christianisme au premier plan),et aussi d’autre part avec la
connance pret6e positivement a1’《instinct》du peuple,autant qu’a celui de la pens6e int6rieure.
Pour Michelet,un pas d6cisifdu devenir historique doit naitre de soi−meme,《jaillir du cceur》
spontanement.
De pair avec cette id6e populiste et ce respect profond de l’《instinct》,Rimbaud semble
certainement sympathiser avec la th色se micheletiste de la r6habilitation des exclus:cela peut
etre ressenti a partir de《L’Orgie parisienne》,dont la perspective progressiste semble ainsi
6clair6e sous la lumi6re foumie par l’historien。De plus,comme pour r6pondre a ce demier qui
ne cesse de d6noncer,en tant qu’616ment du d6saccord social,la d6tresse spirituelle de renfant,
de la femme,de rignorant qui n’ont pas dラautre soutient que r6glise qui les aliさne,la meme
critique est d6velopp6e par Rimbaud,d’un ton fort accusateur,dans《Les Pauvres a1’6glise》
et dans《Les Premi6res communions》,46po色mes qui sont6crits6galement peu apr色s la
Commune.《Les Po色tes de sept ans》47s’y ajoute avec la mise en sc色ne d’un enfant6tou脱sous
la f6rule de r6cole et surtout de la famille.A travers l,abetissement d6plorable et la pression de
la sexualit6r6prim6e,1es victimes sociales rep6sentent en leur personne la revendication dラune
nature condamn6e dans ces trois po6mes.
Or,quant a la question de la recherche d’une harmonie id6ale des rapports avec
r《instinct》,elle semble laiss6e ouverte par Michelet qui consacre une de ses demi色res oeuvres,
quasi testamentaire,1Vos且013(1869),au projet d’une r6fomne du syst6me6ducatif,de la
cr6ati・n,d’unereligi・nren・uve16e,d’unelitt6rat皿en・uvelle,48a6ndefairec・nc・urirt・utcela
au reve utopique dシ《un changement subit de1’ame humaine》.49Pour Michelet,qui pr6ne
souvent la science et l’esprit scientinque comme moteurs importants de la lib6ration a partir des
id6es pr66tablies,le problεme ne consiste pas tant a d6molir,refaire de fagon ra(iicale les
450P.cit.,P.99.
46伍脚ε,op.cit.,p.121−126:1’innuence de Michelet sur ce texte est constat6e par Verlaine dans ses Po2fe3
’η側ゴ’f3:α伽7e3εnρハ038coηψ’♂∫ε3,Gallimard(Pl6iade),1972,p,654。Pour l’白tude en d6tail,voir Steve Murphy,
Le P7ε’η’θ7R枷加μ4,Edition du CNRS,1991,p.87−124、
471bid.,P.95・97.
48Michelet,No3Eビ’3,Flammarion,1987,t.XX.,p.504−509=de cette nouvelle litt6rature,le plan du contenu est
d61imit6toutefois au domaine imm6diatement utilitaire.
491bid。,P.514.
52
[December
HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
valeurs moraies ou sociales - situation critique contemporaine pour un Paul Janet par
exemple,50 et dans un tel sens Rimbaud nous semble s'avancer,
u' assurer la voie
mediatrice de ses pens6es id6ales r6publicaines: m6diation dont il cherche le modele dans
-
l'image d'un jeune p re 6clair6 par exemple. Fort de son id6al, son moi ne connait pas, de fait,
de grave faille dans ses rapports d'identification avec les <<instinctifs>>, faibles sociaux ou
historiques, de meme qu'a l'6gard de <<nouveaux germes de pens6es>> venant de la source de
l'<<instinct>>.5' Dans ces deux domaines, sa disposition, et sa compr6hension, si grandes et
sinc res qu'elles soient, ne vont pas jusqu' ebranler s rieusement son attitude essentiellement
protectrice et paternelle. D s lors, Ia question s'impose de savoir si Rimbaud ne devrait pas
suivre ce subjectivisme paternel, Iui qui met en cause l'identit6 du moi pour explorer
<<1'inconnu>>. Le <<changement de l'ame>>, et la recherche d'un rapport harmonique avec
l'<<instinct>> interne comme externe, seraient envisag6s par le jeune poete dans un sens
autrement approfondi que celui de l'historien rtpublicain, et cela de mani re
depasser le
terrain strictement politique.
Sur ce point, <<Les Mains de Jeanne-Marie>>, p0 me consacr6 aux communardes
condamn6es apr s la defaite, peuvent fournir des indications pr6cieuses. Relevons d'abord le
fait que les mains de ce symbole des combattantes sont d6finies avec une s rie de n6gations: ce
ne sont pas celles d'une courtisane, ni d'une cousine, ni meme d'une ouvricre. Le moment, et
l'6nergie de la bataille, ne s'expliquent jamais dans leur sp6cificit6, a partir de l'identit
sociale
des femmes; elles se metamorphosent en <<autres>> dans l'instant du combat qu'elles vivent
comme le temps du d gagement de l'ancienne r6alit6 et comme le temps de l'6veil, en etant
remplies de d'autant plus de possibilit6s: Ies mains guerri res, ce sont avant tout <<des ployeuses
d'6chines>>, <<plus fatales que des machines,/ plus fortes que tout un cheval>>. De cette image de
so paul Janet, Les Probl mes du XIXe si cle, Levy, 1872: au scandale de Janet, l'esprit positif du temps va
jusqu' jeter un regard sceptique scrutateur sur l'unit6 morale de l'ame humaine, comme le fait Littr dans un
article fameux. Ce courant est constat6, par exemple, dans Llrntelligence de Taine, qui y assimile la sensation,
6lement constitutif du savoir,
une sorte d'hallucination. Y compte galement Vermersch pour qui l'ame humaine
est une r6sultante de 1'ensemble des propriet s pensantes des molecules , et qui r ve aux :libert6s par la
Scrence>> s'aventurant dans
l'Inconnu/ Oti germe en secret l'avenir : Le Grand Testament, op.cit., p.8, p.58, p.61.
ichelet, Peuple, Flammarion, 1974, p.189: l' instinct , sans doute assimilable
la notion d'inspiration, est
consid6r6 par Michelet comme d terminant le don divinatoire et la seconde vue des simples, et caract6nstique de la
facult cr6atrice du peuple, de l'enfant, de la sorci re, de la femme; facteur indispensable du g6nie , il est mis
sous son
il paternel , pour lui apporter l'organisation d'id6es dans une tendre incubation . En g6ntral, pour
s]
Michelet, Ia Nature ou l' instinct est une sorte d'abime, productrice mais aussi dangereuse et demande
I'assistance de la r6fiexion . Ainsi, si Michelet souligne, et revet lui-m me la f minit6 au moyen du r seau
m taphorique, ce serait essentiellement pour la m6diatiser, voire l'exorciser
l'aide de l'id6alisation due au
deplacement s6mantique. Volr sur ce point, Laudyce Retat. Michelet et le Royaume des M res>, in Romantisme,
1985, n.50, p.83-96. M rite comparaison l'attitude respectueuse miche]etiste envers les 6lements venant de
l' instinct avec la posltion de Rimbaud. D'abord, Michelet: Je ne sais combien de choses qui n'avaient pas forme
encore, qul fiottarent seules et d laiss es, elles viennent a lui(=1e gtnie), sans crainte. Et lui, l'homme au regard
per9ant, il ne veut pas examiner si elles sont informes, grossicres, ils les accueille et leur sourit, il leur sait gr s
d'etre vivantes, Ies absout et les releve>(p.189). Et Rimbaud, sauf la nuance caract6ristique de Michelet de
I'arbitre protecteur:
si ce qu'il(=1e voyapt) rapporte de ia-bas a forme, il donne forme: si c'est informe, il donne
l'informe. Trouver une langue . (Euvre, op.cit., p.349. Dernier point du rapprochement: si la perspective du
progr s est pret6e a la putain Paris et
Jeanne-Marie qui sont 6galement proches de la mort, il est signaler,
outre la n6cessite mythique de la r surrection, que le mourant occupe une place privilegi e chez le Michelet du
Peuple; c'est un t6moln pr6cieux de la noblesse innte de l'etre, en etant ouvert sur l'infini, seuil d'origine de la
nature humaine(p. 1 68- 1 70) .
2000】
R【MBAND ET LE MYTHE Du PEuPLE DANs LEs Po直MEs1870−1871
53
la m6tamorphose,nous soulignons l’aspect m6canique et son air scientinque.Le moment de la
bataille est renferm6ainsi en lui−meme,avec son dynamisme a luil l’intention est du moins
claire de le couper du temps lin6aire(le l’histoire irr6vocable,qui nラest cependant pas aboli dans
ce poeme・
Le proc6d6rh6torique m6rite aussi d’etre signal6,avec lequel est r6alis6e cette glorification
du combat pour lui−meme、A propos de ce symbolique《Jeame−Marie》,on serait tent6de
penser a Ia personni且cation d’une valeur abstraite,mais cette demi6re,restant enfouie pour
ainsi dire dans la chair des communardes,n’arrive pas a sヲen d6tacher autonome.L’al16gorie
ne s’6tablit pas ainsi par manque d’une id6e m6diatrice,alors que le symbole et le symbolis6se
rejoignent dans une continuit6imm6diate,pour s’enrichir chacun d’un prolongement de l’autre
dimension,52Ce proc6d6de rexpression de l’《inconnu》s’applique6galement,sans doute au cas
de《1a putain Paris》(iestin6e au《renouveau》myst6rieux,et il serait tentant d7y voir,quoiqu’a
une6chelle tr色s modeste et limit6e,un germe lointain de la personni丘cation probl6matique d’
《Une Raison》,et surtout du《G6nie》dans les po色me des1〃μ’n加副on8,qui sont consid6r6s en
96n6ral comme inspir6s des illuminismes progressistes。Sous cet angle,1’6cart et la contlnuit6
entre les deux p6riodes(le la po6sie rimbaldienne pourront etre bien mesur6s.
Quand il a rencontr61a commune,Rimbaud envisageait une nouvelle po6sie(iu《voyant》。
Et ar㎡v6au point pr6sent de notre6tu(1e,on voit le sens et la port6e de cette rencontre,
s’av6rant d6cisive pour cette po6sie.Celle−ci constitue me version particuliさre du mythe du
《peuple》qui en foumit,avec un int6ret populiste et frateme1,1a base essentielle,du moins sous
sa forme prise au moment de la Commune。Mais cette version,certainement originelle,est
marqu6e d6ja a sa naissance par le sceau implacable de1’histoire.Et maintenant,ce d6sir
d’uni且cation avec les r6volt6s《romanesques》semble6clair6aussi dans son ton d6sesp6r6ment
pressantシ(lui pourrait bien indiquer une crise pour ce mythe r6volutionnaire。C’est en e∬et〔1ans
la nature de r《intrus》(les communar(is(lue Rimbau(l s’avise de trouver l’6cho objectif(le sa
po6sie.Apr色s la Commune,Rimbaud sシest avanc6r6solument dans sa tentative de
renouvellement esth6tique,ainsi que le montre《Ce qu’on dit au po色te a propos de fleurs》,53
v6ritable manifeste de guerre po6tique,et oαles Heurs sont d6nnies comme《travailleuses》,
qualincation subversive a1’6gard des normes pamassiemes de la beaut6,aussi bien que〔1e
rordre bourgeois(1es valeurs.L’analyse d6taill6e(1e ce d6veloppement esth6tique d6bor{1ant de
beaucoup le cadre de cette 6tude,nous nous bornons a proposer,a titre d’hypothさse,la
remarque SUivante SUr reSSentiel,qUitte a faire une digreSSiOn.
De Michelet,1,apologie de r《instinct》est d6plac6e,ou plut6t d61imit6e par Renan,au
domaine psychologique du d6veloppement de la connaissance,Et il est int6ressant de signaler
que la th6se pr6sent6e par exemple dans DεL夕07ig∫nε4㍑1αngαgθ,54semble pouvoir6clairer
rid6e rimbaklienne du progr色s intellectueL Renan pense qu’en principeシ1e langage sert a
52De tels aspects du symbole semblent pouvoir etre con6rm6s a partir de retude r6cente sur Ies caricatures
iconographiques de la Communel Marie−Claude Schapira fait remarquer,par exemple,une tendance de remplace−
ment des images de combattantes r6elles a celle de rail色gorie traditionnelle de Marianne.Cela ne correspond−il pas,
dans ce domaine,a r6tat transitoire du mouvement r6volutionnaire de Ia Commune qui est remarqu6par
Rouge酒e?Marie一αaude Schapira,《La femme porte−drapeau dans riconographie de la Commune》,m LαCα71cα一
飽7ε,θ剛7θア6Pμわ1’9μeαceπ5賀r2,Presses universitaires de Lyon,1991,P.423−434,
53伍uwe,ibld.,P.115・120.
54Emest Renan,De L’07fg加θ4μ1αηgαgθ(1さre色d.en1848,2e6d.en l858),α弛vアθ3coηψ12fθ3t.14,Calmann−
L6vy,
54
HITOTSUBASHI JOURNAL OF ARTS AND SCIENCES
produire des id6es qu’il exprime;1e langage et1’esprit humain sont n6s,et se d6veloppent
simultan6ment,selon runique cr6ativit6(1e la nature humaine qui,tributaire d’une puissance
6volutive de l’organisme,agit notamment chez1’enfant comme chez le primitif,en ieur
apportant une forme de la pens6e particuliさrement riche et compliqu6e.L’initiative est ainsi
admise a raction spontan6e de la force inteme,qui travaille du reste《en l’absence ou durant
le sommeil》de la conscience,55et outre cette demi色re pr6cision,la vue renanieme nous
int6resse en raison du refus qu’elle implique(1e1’intervention de r《auteur》conscient et
personneL Quand Rimbaud met en cause la notion(1e1’《auteur》et de son moi,c’est en faveur
(le《rintelhgence universelle》(lui《jet(te)ses id6es naturellement》.56 Et cet essai de
rapprochement avec Renan est d’autant plus tentant que ce penseur songe a une nouvelle
《synth色se savante》de l’《instinct》inventif et de la《r6flexion》:cette derni色re,phase secondaire
de l’analyse et de la nxit6apPauvrissante,sera un jour comp16t6e(1e fagon a r6aliser un age
encore cr6ateur,non plus selon la fatalit6aveugle,mais avec la pleine conscience et la libert6。57
Ne serait−ce pas dans un tel sens que Rimbaud cherche a d6passer les limites provenant(le
l’6volution ordinaire de《1’intelligence universeUe》,qu’il veut tenter d’acc616rer,d’exploiter
pour61argir son moi?D’ailleurs,la forme primitive de la pens6e d6crite par Renan comme celle
(lu langage nous semble r6v61atrice a r6gard du renouvellement esth6tique de Rimbaud,
surtout a cause de la pr6dominance recomue a la sensation qui y travaille,mise en6tat d’une
in(i6terminatlon riche et confuse o心elle n’arrive pas a bien se s6parer du sens mora1,ni meme
de l’objet exteme.Ce point m6ritera aussi d’etre apProfondi,
Tels nous semblent le choix et1’enjeu subversifs avec lesquels Rimbaud envisage de
poursuivre sa nouvelle po6sie.Pourrait−on en parler encore comme populiste?La r6ponse
devrait etre(161icate。Et cela,(1’autant plus qu’apr色s la p6rio(le6tudi6e ici,1’616ment positif du
mythe(lu《peuple》n’est pas fαcilement remarqu6comme teL Il demeurera6videmment le reve
d’un nouveau mon(1e comme d’une mise en chaos totale,qui parait meme soulign6avec un
relief particulier,au point de former un&spect caract6ristique(le la po6sie rimbaldienne
ult6rieure.Maispourformulerce reve,1’expressionest emprunt6e volontiersauxmythesnctifs
disparates,bibliques ou litt6raires,et sur ce point,le critさre foumi par Pessin nous semble
significatif:(1u mythe du《peuple》,re1εve me pens6e qui cherche a《int6grer1’histoire》r6elle
《(1ans la v6rit6》qu’elle r6v色le a propos du《peuple》.58
HIToTsuBAsHI UNlvERsITY
551bid,,P.99。
56G三uvrc,oP,cit.,P.348.
57Renan,oP.citp.246−247.
580P.cit.,P,269.
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