2
PRÉSENTATION
Les procès en sorcellerie sont encore nombreux à travers le monde : les Pussy Riot condamnées aux travaux
forcés pour blasphème, une femme brûlée vive en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour avoir jeté un sort à un
enfant malade, la cinéaste tunisienne Nadia El Fani sous le coup d’un procès en sorcellerie pour son
engagement en matière de laïcité… On a toujours cherché à anéantir ceux et celles qui s’élevaient contre un
certain ordre du monde. C’est ce qui a déclenché la chasse aux sorcières à la fin du moyen âge et allumé des
bûchers dans toute l’Europe : il fallait éliminer ou asservir les femmes, soit qu’elles prenaient la tête des révoltes
paysannes, soit qu’elles avaient une maîtrise du corps et une connaissance de la Nature (la médecine des
plantes, les techniques de contraception ou d’avortement, les filtres d’amour ou d’impuissance) qui effrayaient
le capitalisme naissant. Comme l’écrit Silvia Federici dans Caliban et la Sorcière*, l’accumulation primitive du
capital s’est faite sur le corps des esclaves et des femmes. Il fallait désenchanter le corps et le monde pour que la
masse laborieuse se plie aux exigences du capitalisme. Il fallait que les femmes soient réduites au petit monde
domestique, isolées, dépendantes, asservies à la seule fonction de reproduction de la force de travail, pour que
triomphe la grande machine.
C’est cette histoire d’asservissement et de résistance que conte la langue vivace de Michelet, l’historien des
petits, des sans-grades, de ceux qui n’ont pas eu d’Histoire. La jeune paysanne qui se marie un certain jour de
l’An Mille subit le viol du seigneur et de tout le château, la lâcheté de son mari, l’isolement dans le village, les
coups de fouet de l’Inquisition, la traque impitoyable, pour finalement se réfugier dans la forêt, nue et meurtrie,
et pactiser avec Satan. Mais ce qu’elle découvre alors, au moment où elle croit sceller son noir destin de haine et
de vengeance, c’est que Satan n’est pas le Diable dont l’Eglise se sert pour terrifier le peuple, mais un dieu
d’amour qui règne sur la Nature. Les arbres ont une langue, les herbes des champs s’offrent, l’ours vient en
ami… Satan ramasse tout ce que l’Eglise jette : Prince de la Nature, du rire, de la fête, de la médecine, des
plaisirs sensuels, de la libre raison, il invite au grand Sabbat universel.
C’est à ce sabbat que je convie les spectateurs, celui d’une punkette qui vient faire le ménage dans des bureaux,
où semble avoir eu lieu une orgie, et qui, au son de Patti Smith et de Nina Hagen, convoque la figure de cette
paysanne du moyen âge. Le sabbat de la sorcière, c’est aussi celui de la comédienne qui, comme l’historien,
rend visible ce qui n’est plus, et fait revivre les morts.
La Sorcière (Photo Bernard Poulain)
résonne diaboliquement en ces temps de
néo-libéralisme tout-puissant qui voient
l’exacerbation des clivages sociaux, de la misogynie
et des fondamentalismes religieux. Ce spectacle se
veut une protestation enflammée contre
l’oppression, la barbarie, la sauvagerie du monde des
prédateurs, un réquisitoire contre la misère, un appel
à la résistance, un hymne à la Liberté.
Julie Timmerman, avril 2015.
* Caliban et la Sorcière, de Silvia Federici, publié chez Entremonde, a fait
l’objet d’un article de trois pages dans le Télérama du 12 avril 2015,
intitulé « Tous sorcières » et signé Weronika Zarachowicz.