Agriculture productiviste et identités dans la chimie doublement verte de la knowedlge based bioeconomy Martino Nieddu, Franck-Dominique Vivien, (avec Nicolas Befort) REGARDS (EA 6292), Université de Reims Champagne-Ardenne Résumé Le papier pose l’hypothèse qu’il faut discuter de l’existence d’une première Grande Transformation et d’une deuxième Grande Transformation de l’agriculture au sens de Polanyi, La première Grande Transformation est l’intégration du monde de la civilisation paysanne de polyculture-élevage européenne, qui avait atteint son apogée à la fin du XIXe s dans les marchés internationaux et sa transformation en agriculture professionnelle tournée vers ces marchés. A ceci près que pour rendre soutenable cette Grande Transformation, une ensemble d’institutions dédiées au productivisme se sont construites. La deuxième Grande Transformation est celle de la fin du XXe s. dans laquelle les régulationnistes de l’ouvrage de 1995 espéraient voir se développer une agriculture multifonctionnelle portée par la production de biens communs et une agriculture de qualité. Mais de fait, émerge sous la pression des acteurs portant le mythe de la révolution biotech la volonté d’ouvrir de nouvelles frontière à la marchandisation du vivant, à travers une bioéconomie qui s’habille des atours de l’innovation schumpeterienne (la knowledge based bioeconomy). La première section s’est donc proposé de tirer les enseignements de la première Grande Transformation dans un cadre régulationniste qui permette de discuter la théorie aujourd’hui dominante dans le champ de la transition environnementale (sustainability transition management) (première section). On est alors amené à dégager dans la deuxième section trois conceptions de la bioéconomie porteuses de régimes de production de connaissances et d’activités économiques différents : celle issue des travaux autour des questions environnementales, celle issue de la révolution biotech, et celle issue de la volonté des acteurs de l’agriculture productiviste d’organiser à leur avantage la transition vers l’usage des ressources renouvelables dans un système « food, fiber, chemicals & energy ». La troisième section se propose d’étudier les régimes de production de connaissances et d’activités économiques, ainsi que les formations de compromis institutionnalisés entre ces trois bioéconomies au sein d’un secteur émergent que nous qualifions de « chimie doublement verte ». La variété des trajectoires technologiques et des business models observables dans cette chimie doublement verte sont les points de repères de tels compromis. Mots clés : bioéconomie, chimie doublement verte, régimes de production de connaissances et d’activités économiques, régulation sectorielle et territoriale, compromis institutionnalisés, chimie verte, business models 1 Table des matières INTRODUCTION De la première « Grande Transformation »… A une seconde «Grande Transformation » à l’orée du XXIème siècle… L’émergence de la problématique de la bioraffinerie Plan de l’article 3 3 3 4 5 I – UNE DISCUSSION DU SUSTAINABILITY TRANSITION MANAGEMENT AU REGARD DE LA « PREMIERE GRANDE TRANSFORMATION » 6 1.1. Les questions issues du modèle canonique de Sustainability Transition Management 6 Parentés avec l’approche régulationniste 7 …Et différences liées à la volonté de l’approche régulationniste de s’intéresser à la profondeur historique, aux conflits d’acteurs et aux compromis institutionnalisant une domination 8 Intérêts pour l’approche régulationniste du cadre multilevel perspective du STRN 9 1.2. Comment approfondir les caractéristiques de la transition dans la « Première Grande Transformation » ? 10 II - LA « BIOECONOMIE » FONDEMENT DE LA « SECONDE GRANDE TRANSFORMATION », OU BUZZWORD POUR DESIGNER UNE NEBULEUSE DE PRESSIONS ISSUES DU LANDSCAPE ? 13 L’explosion du terme bioéconomie 13 Trois usages différents du terme 13 2.1. De la bioéconomie comme nécessité de l’intégration des questions environnementales 14 L'économie des ressources renouvelables 14 La bioéconomie au sens de Georgescu-Roegen 14 La bioéconomie chez Passet 16 Sans aller jusqu’à Gary Becker, mais… ! 17 2.2. La bioéconomie de la révolution bio-tech : la promesse technico-économiques d’une « nouvelle frontière » de la marchandisation du vivant ? 17 2.3. Glissements sémantiques vers une troisième bioéconomie : De la raffinerie végétale à la bio-based economy, et par contraction à la bio-économie 19 Dualité de la troisième bioéconomie 19 Régimes de production de connaissances et d’activités : de la bioraffinerie à sa bioéconomie 20 L’entrecroisement des trois bioéconomies 23 III- LA CHIMIE DOUBLEMENT VERTE : COMPROMIS INSTITUTIONNALISES ET REGIMES DE PRODUCTION DE CONNAISSANCES ET D’ACTIVITES ECONOMIQUES 25 Vers une chimie ou des chimies « doublement verte » 25 III.1 Quelle variétés de compromis institutionnalisés dans les régimes de production de connaissances ? 26 La bioraffinerie comme modèle économique sectoriel 26 Variété des régimes de production de connaissances …articulés à des patrimoines 27 III.2. Des régimes de production de connaissances aux activités économiques 29 Des Business Models des macroacteurs à la création d’entreprises d’exploration 29 Des Business Models « génériques » de mimétisme avec les biotechnologies rouges 30 Le plus souvent, une exploration par joint-ventures et stratégies de portefeuilles d’options 31 III.3. Le cas Novamont : un illustration de la recherche de compromis stables entre les différentes bioéconomies 33 Un précurseur, mais une adhésion tardive au concept de bioraffinerie 33 Une proposition de valeur en décalage par rapport aux voies dominantes du secteur 34 Proposition de valeur et construction collective de standards environnementaux 36 DISCUSSION DES DIFFERENTES BIOECONOMIES ET CONCLUSION 37 La persistance de patrimoines productifs 37 Patrimoines, dispositifs institutionnels de régulation et régimes de production de connaissance et d’activités économiques 38 2 Introduction De la première « Grande Transformation »… Les travaux dont est issu l’ouvrage de 1995 dirigé par Allaire & Boyer, pointaient, non pas une dynamique unique de l’insertion de l’agriculture dans les marchés contemporains, mais pour la France au moins, l’existence de compromis territorialisés à l’échelle de bassins de production agricoles ou agro-industriels. Dans les recherches liés à la thèse d’un des auteurs du présent papier, M. Nieddu (1998), ces travaux jouent un rôle important, car ils nous avaient permis de repérer le fait suivant : plutôt qu’une domination de l’agriculture par le capitalisme industriel, comme l’ont défendu nombre d’auteurs de la décennie 1970, il fallait voir dans le régime économique de ces bassins de production, des compromis de régulation sur les caractéristiques des produits et sur deux dynamiques de concurrence. La concurrence horizontale entre agriculteurs, (essentiellement autour de l’accès à la terre), et la concurrence verticale sur la filière agro-industrielle (autour de la division de la chaine de valeur entre produits agro-industriels de première transformation et produits alimentaires finaux) vont être le moteur des constructions institutionnelles de la « Grande Transformation » du monde paysan en agriculture professionnelle durant les Trente Glorieuses (Gaignette & Nieddu, 1994, Gaignette & Nieddu, 1996a et b, Nieddu & Gaignette, 2000). Cette grille d’analyse conduit alors à s’intéresser aux tensions liées à l’accumulation du capital en agriculture, et à la capacité de régulation du changement, contenue dans l’existence ou la constitution de patrimoines productifs collectifs ; en effet les patrimoines individuels trouvent leur compétitivité (au sens économie de la concurrence industrielle) ou leur capacité de reproduction au sein d’ensembles formés pat l’assemblage d’actifs marchands et non marchands, actifs matériels, mais aussi immatériels partagés, ainsi que d’institutions sectorielles [Barrère & alii, 2005]). De ce point de vue, il apparaissait que l’agriculture moyenne avait construit dans plusieurs régions une « relation inversée » au regard des analyses en terme de domination par le capitalisme industriel, en développant des outils collectifs de transformation dédiés à l’écoulement de ses productions (Nieddu & Gaignette, 2000, 2001) ; elle est ainsi durant toute une période, moteur de cette « agriculture sans qualité » des produits indifférenciés du productivisme agricole, dont la première partie de l’ouvrage la « Grande transformation de l’agriculture » (Allaire & Boyer, dir, 1995) décrit l’entrée en obsolescence partielle. A une seconde «Grande Transformation » à l’orée du XXIème siècle… Vingt ans après cet ouvrage, l’émergence du « buzzword » bioéconomie et de ses variantes (knowledge based bioeconomy, bio-based economy…) conduit en effet à poser cette question : s’agit-il d’une économie « bio » qui rompe avec les avatars du productivisme pour se rapprocher des cycles naturels ? Ou d’un élargissement très polanyien, pour le coup, de la marchandisation du vivant à travers la poussée de la « révolution biotech », et des développements de la brevetabilité de ce vivant ? Pour mesurer l’ampleur du changement, il suffit de remarquer que l’index de l’ouvrage de 1995 ne dispose pas d’entrée « agro-industries » ni « biocarburants » -même si ceux-ci sont présents dans l’ouvrage, notamment dans sa conclusion (p.408). Or la « bioéconomie » a à voir avec ces développements agro-industriels, qui connaissent après le premier choc pétrolier, mais surtout avec les excédents agricoles liés à la réussite de PAC des années 1960, une accélération et un infléchissement significatif. L’engagement d’une réflexion sur l’exploration de nouvelles valorisations non alimentaires dites VANA, et sur la volonté de faire de l’agriculteur un producteur de molécules – molecular farmer (Bascourret et alii, 1999)1 est repérable dès les années 1980, comme en témoigne un rapport sénatorial 1 Bascourret J.M., Delaplace M., Gaignette A. (1999) l’émergence des structures industrielles in Face au droit rural et à ses pratiques, l’Harmattan, pp.143-152 3 de 1987, préparé avec beaucoup de compétence par la profession, et en particulier ses organisations professionnelles des céréales, des oléagineux et sucrières du Nord de la France. S’il a été beaucoup été écrit sur l’émergence d’une multifonctionnalité agricole, (cf. nos review de cette littérature in Nieddu, 2001, Barthélemy & Nieddu, 2007), le nouveau rapport à une « agriculture de qualité » destiné à résoudre le problème des excédents structurels a peut-être aussi été en partie fantasmé2. En revanche, l’agriculture productiviste retrouve des arguments sur lesquels asseoir de nouveaux relais de croissance industrielle et de veaux soutiens publics : il s’agit de tendances sociales lourdes et plus récentes (interrogations sur l’épuisement des ressources fossiles, problématiques de pollution par la prolifération des molécules chimiques, et d’émissions de CO2). La recherche sur les nouvelles régulations en agriculture ne peut donc s’abstraire de ce contexte. En Europe du nord, émerge une configuration dans laquelle l’élevage industriel renforce sa compétitivité en captant des soutiens publics pour devenir fournisseur d’énergie solaire ou thermique. En France, depuis la fin des années 80, les grandes coopératives agricoles françaises (Cristal Union, Sofiprotéol, ChampagneCéréales devenue Vivescia, Limagrain) ou les groupes de l’agroalimentaire (Roquette, Soufflet) travaillent à assembler les ressources matérielles et immatérielles collectives publiques ou privées qui permettraient de créer de nouveaux débouchés non seulement vers les « bio »carburants, mais aussi vers la chimie et les matériaux. L’émergence de la problématique de la bioraffinerie On se propose alors d’interpréter le défi de cette transition de deux points de vue : d’une part, la régulation du changement n’opère pas vers une société « décarbonée » selon l’expression habituelle, mais vers une substitution du carbone fossile par du carbone « bio » (Nieddu & Vivien, 2012). D’autre part, elle n’opère pas vers une baisse de l’intensification, mais au contraire vers la recherche de son renforcement (Dumeignil, 2014) du fait des nouvelles demandes adressées à l’agriculture. Les acteurs travaillent ainsi à l’émergence d’une nouvelle action publique qui contribue à la préservation/transformation des patrimoines productifs collectifs de l’agriculture productiviste et des agro-industries. Cette nouvelle action publique se décline à partir du début des années 2000, à travers une mobilisation sans précédents de la recherche scientifique. Celle-ci est au service de « roadmaps » construits dans des exercices de « visions pour le futur », que ce soit au niveau européen (dans le soutien à une « knowledge based bioeconomy », des plate-formes telles que Suschem et plus récemment à des partenariats public-privé tels que Bridge), national (en contribuant au retour de politiques industrielles dédiées dans les pôles de compétitivité) ou régional (constitution de clusters autour des agro-industries, alimentés par des initiatives d’excellence scientifique, telles que Pivert). Ces constructions institutionnelles se cristallisent autour d’un « objet intermédiaire » au sens que donnent les sociologues à ce terme (Vink, 1989), à savoir à la fois un objet matériel et dispositif immatériel de coordination des acteurs en univers incertain, constitué en patrimoine commun : il s’agit de la bioraffinerie, terme exprimant à la fois l’ambition de fonder une nouvelle chimie en substituant les produits pétroliers par des produits renouvelables, et une orientation destinée à maintenir Voir aussi : les controverses de Marciac, en 2012 le débat sur les nouvelles figures de l’agriculteur : http://www6.inra.fr/psdr-midi-pyrenees/Veille-thematique/Innovations/Table-ronde-agriculteur-moderneEurope 2 Les travaux récents de Catherine Laurent (2013) décrivent les ambiguïtés du marketing sur la qualité de l’agriculture méditerranéenne, malgré ses pratiques réelles d’industrialisation du produit, et un rapport au salariat précaire marqué. Citation:Catherine Laurent (2013), Chapter 7 The Ambiguities of French Mediterranean Agriculture: Images of the Multifunctional Agriculture to Mask Social Dumping?, in Dionisio Ortiz-Miranda, Ana Moragues-Faus, Eladio Arnalte-Alegre (ed.) Agriculture in Mediterranean Europe: Between Old and New Paradigms (Research in Rural Sociology and Development, Volume 19), Emerald Group Publishing Limited, pp.149-171 4 l’existence des grands produits chimiques hier d’origine fossile, –tels que l’éthylène biosourcé, ou à tout le moins d’équivalents très proches. Plan de l’article L’objectif de cette communication est de documenter la façon dont ces constructions institutionnelles de patrimoines productifs collectifs contribuent à l’émergence de nouvelles régulations à la fois dans le champ des savoirs scientifiques et dans les dynamiques organisationnelles (joint venture et autres) ou industrielles (division du travail le long des filières, rapport alimentaire/non alimentaire). On s’appuie pour ce faire sur une démarche narrative d’études de cas (Dumez & Jeunemaître, 2005 ; Piore, 2006, appliquée dans Nieddu & alii, 2014 à paraitre). Dans cette démarche, on cherche à mettre en évidence la façon dont les acteurs problématisent politiquement (au sens de Jullien & Smith, 2010) ce nouveau secteur que nous avons qualifié de « chimie doublement verte », -notamment lorsqu’ils essaient d’en définir les frontières qui vont conditionner les conditions d’éligibilités auprès de différents programmes, et inversement lorsqu’ils vont se mobiliser pour faire émerger ces programmes publics européens, nationaux ou régionaux. Dès lors que ceux-ci travaillent à la définition d’une identité collective à la fois du secteur et des produits, il est nécessaire d’intégrer ce travail politique dans les problématiques économiques de reproduction de leurs patrimoines (Béfort & Nieddu, 2013) et donc de cartographier la diversité de ces patrimoines, afin d’éviter les explications monocausales qui ont parfois été reprochées à l’approche régulationniste. Dans une première partie, on reviendra sur le cas de la « première Grande Transformation » décrite dans l’ouvrage de 1995 à travers les enseignements que l’on peut tirer de cette « première Grande Transformation » dans l’analyse des transitions. On présentera dans une première sous-partie (1.1), les différentes acceptions du courant dominant en matière de transition vers des régimes socio-techniques et technico-économiques soutenables (le sustainability transition management –appelé aussi MultiLevel Perspective, pour montrer dans la seconde sous-partie (1.2.) comment dans le cas de la première grande transformation, ces trois acceptions fournissent en fait des pistes d’interprétation complémentaires. Notre intérêt pour ce courant récent qui relie innovations dans des niches, changements du paysage macrosocial et institutionnel, et transformation de sous-systèmes, tient au fait que beaucoup de ses éléments de méthode sont contenus dans la conclusion de l’ouvrage de 1995. L’hypothèse de cette conclusion de l’ouvrage de 1995 était « de l’émergence d’innovations radicales, au sens où elles sont à même de définir un nouveau paradigme technologique » (Allaire, p.409). Gilles Allaire la voyait dans le fait que « les services fermiers, les produits touristiques, et la production de paysages ne relèvent plus d’opportunités périphériques ou(…) de productions n’intervenant pas dans le calcul des producteurs » (idem). Mais dans la deuxième partie, nous défendrons l’idée que l’histoire du buzzword ‘bioéconomie’ renvoie en fait à trois problématiques différentes qui viennent aujourd’hui s’entrecroiser pour renvoyer à des régimes de production des savoirs (au sens de Bonneuil & Joly, 20133) mais aussi des activités économiques, en partie discordants (Gaudellière et Joly, 2006 in soc du travail 4). La première renvoie à Georgescu–Roegen et à René Passet, lorsque ceux-ci ont posé la question du caractère (in)supportable de l’Economie contemporaine pour les milieux naturels –dont la montée en puissance peut être associée à la décennie 1970. Une deuxième bioéconomie tient à la « révolution biotech » et à ses promesses technico-économiques, en termes de capacité à manipuler la nature ; ses premiers « terrains de jeu » ont été dans la médecine et la pharmacie, avant d’aborder le génotypage ou les OGM, si l’on suit les recensions réalisées par l’OCDE (ref ?). Enfin la troisième bioéconomie est plutôt une « bio-based economy » qui a pour point d’entrée l’usage des ressources renouvelables, et 33 Christophe Bonneuil, Pierre-Benoît Joly, Sciences, techniques et société, Paris, La Découverte, 2013. J-P Gaudillière et P-B Joly “Appropriation et régulation des innovations biotechnologiques : pour une comparaison transatlantique”, Sociologie du travail, 2006, 48 : 330-349. 444 5 en particulier au carbone bio. Il est frappant de constater que la délimitation institutionnelle que la Commission Européenne a proposé de la « knowledge based bioeconomy » réside dans l’unité du food et du no-food, en reprenant la définition traditionnelle d’un secteur de « l’agriculture, la forêt et la pêche ». 5 Dans la troisième partie, on développera une description de ce secteur particulier de l’usage des ressources renouvelables à des fin non alimentaires qu’est la bioraffinerie dédiée aux produits chimiques et aux matériaux, mais aussi à l’alimentaire –ce qui est moins souvent dit-. Nous l’avons qualifié de « chimie doublement verte » (Nieddu et al. 2010), ce qui renvoie à la nécessité d’une analyse de la façon dont ces trois régimes de production de connaissances et d’activités économiques s’entrecroisent, sont en tension et sujets à des compromis institutionnalisés « localisés ».6 I – Une discussion du Sustainability Transition Management au regard de la « première Grande Transformation » La discussion sur les dynamiques de l’agriculture productive est reprise ici de la façon suivante : On souhaite mettre en regard la démarche du Sustainability Transition Management 7 qui a été mise en forme au début des années 2000 avec notre propre analyse des dynamiques de l’agriculture productiviste conduite à partir du cas français (Gaignette & Nieddu, 1994, Gaignette et Nieddu 1996a et b, Nieddu, 1998, Nieddu & Gaignette, 2000, Barthélemy & Nieddu, 2003, 2007). L’objectif est d’en tirer des enseignements sur ce qui doit, selon nous, être observé dans la « deuxième Grande Transformation ». 1.1. Les questions issues du modèle canonique de Sustainability Transition Management Le Sustainability Transition Management, dont la communauté s’est regroupée dans le Sustainability Transitions Research Network est essentiellement présent en Europe du Nord et, dans une moindre mesure, au Royaume Uni.8 Il a reçu le soutien du gouvernement néerlandais qui s’en inspire pour l’élaboration de politiques publiques et a influencé la démarche en termes de « visions pour le futur » de la Commission Européenne. Son noyau dur théorique est formé par les publications de l’approche 5 Lors de sa conférence d’ouverture de la conférence « The Knowledge Based Bio-Economy towards 2020, Turning challenges into opportunities » (14 September, 2010) Ingrid Lieten, Vice minister president and Flemish Minister for Innovation, la définit ainsi : « Rather than on fossil resources, the bioeconomy is based on biomass resources for food and non-food products including new medicines for better health, fuel, new materials and polymers. The bio-economy based on biomass and sugar chemistry realizes the third industrial revolution after the introduction of steam and coal and the development of the ICT society ». (Letein 2010, p.3, http://www.kbbe2010.be/en/kbbe2010/presentations) 6 « Localisés » doit être compris ici à la fois comme localisés dans l’espace (des bassins de production localisés ou des flux de commodities internationaux tels que ceux de l’huile de palme ou du soja sud-américain), localisés dans une trajectoire scientifique et technologique spécifique, ou localisés dans un modèle économique de développement. Voir par exemple : http://www.fuelsamerica.org/facts/entry/how-farmers-are-feeding-fuelingthe-country. 7 On remobilise ici avec l’accord de la revue une note rédigée pour Natures Sciences Sociétés sur le « 3rd International Conference on Sustainability Transitions (IST 2012): Navigating Theories and Challenging Realities », (Conférence, Copenhague, Danemark, 29-31 août 2012) publiée dans Natures Sciences Sociétés 21, 238-246 (2013), ainsi que la revue de littérature de ce courant présente dans Nieddu et alii, (2014, à paraitre in Revue Economique). 8 A titre d’exemple, le 3ème STRN rassemblait des participants d’Europe du Nord (Néerlandais très fortement représentés, ainsi que les Danois et Norvégiens, et dans une moindre mesure, Belges néerlandophones, Britanniques, Allemands et Suisses, avec seulement 2 intervenants français sur plus de 250 communications). Les chercheurs français ne semblent s’approprier les travaux de ce courant et dialoguer avec lui qu’au début de la décennie 2010. (Voir par exemple Barbier M. and Elzen B. (eds), 2012. System Innovations, Knowledge Regimes, and Design Practices towards Transitions for Sustainable Agriculture. Inra [online], posted online November 20, 2012. URL: http://www4.inra.fr/sad_eng/Publications2/Free-e- books/System-Innovations-for-SustainableAgriculture). 6 dite multiniveaux (multi-level perspective [=MLP]), qui cherche à articuler trois niveaux : des grandes pressions macrosociales telles que celles liées à l’environnement, des régimes sociotechniques spécifiques (comme celui du transport automobile individuel, par exemple), et des niches d’où émergent les innovations environnementales, utilisant les pressions macrosociales comme des opportunités pour bousculer un régime socio-technique en place. On peut considérer que l’approche est arrivée aujourd’hui à maturité, avec une série d’ouvrages de synthèse et de numéros spéciaux de revues (dont Research Policy9). Parentés avec l’approche régulationniste Cette communauté est l’héritière de travaux des années 1980 portant sur les paradigmes technicoéconomiques, dont l’esprit systémique a de fortes parentés avec l’approche régulationniste française. Celle-ci y a cherché des compléments dans le rapport aux technologies, sur lesquels elle avait été à l’origine critiquée pour ses lacunes 10. Carlota Perez11 préface d’ailleurs l’ouvrage de Grin et al. (2010) synthétisant les trois fondements théoriques du MLP : (1) Les science studies, qui, contrairement à l’épistémologie traditionnelle visant à discuter de règles universelles de la rationalité scientifique, se refusent à concevoir les sciences comme un domaine autonome (par rapport aux intérêts particuliers notamment), mais les appréhendent comme des constructions humaines au même titre que d’autres pratiques sociales12. (2) L’économie évolutionniste, qui, à la suite de l’ouvrage de Nelson et Winter13, pose comme hypothèse que les innovations doivent être étudiées dans des logiques de « dépendance au sentier », de routines et d’apprentissages collectifs. (3) Une sociologie s’inspirant de la théorie de la structuration de Giddens (dans laquelle les structures contraignent les acteurs, mais sont aussi sources de compétences et de capacité d’action pour ceux-ci). Le MLP cherche à unifier ces trois approches dans une théorie générale de la transition d’un régime sociotechnique à un autre14. Cette synthèse se propose de fournir un outil théorique pour fonder des démarches normatives15 ; elle revendiquer d’être force de proposition en matière de sustainable innovation policies16. Sa perspective 9 Pour une synthèse sur ce courant, voir : Grin, J., Rotmans, J., Schot, J. (Eds), 2010. Transitions to Sustainable Development. New Directions in the Study of Long Term Transformative Change, New York, Routledge ; les numéros spéciaux de Research Policy dédiés à ce courant depuis 2007, notamment le volume 39/4 de 2010 (Special Section on Innovation and Sustainability Transition) et son introduction (Smith, A., Voß, J.-P., Grin, J., 2010. Innovation studies and sustainability transitions: The allure of the multi-level perspective and its challenges, Research Policy 39, 4, 435-448), ainsi que le volume 41/6 de 2012 (Special Section on Sustainability Transitions). 10 Voir notamment Barrère Christian, Kebabdjian Gérard, Weinstein Olivier. L'accumulation intensive, norme de lecture du capitalisme ?. In Revue économique. Volume 35, n°3, 1984. pp. 479-506., et Christian Barrère, Gérard Kebdjian et Olivier Weinstein (1983) Lire la crise, PUF, Paris, 376 p. 11 Celle-ci avait, avec Christopher Freeman, proposé au début des années 1980 la notion (empruntée à Giovanni Dosi) de paradigmes technicoéconomiques pour expliquer les cycles longs et leur succession (Freeman, C., Perez, C., 1986. The Diffusion of Technical Innovations and Changes of Techno-Economic Paradigm, University of Sussex). 12 Voir Pestre, D., 2006. Introduction aux sciences studies, Paris, La Découverte. 13 Nelson, R.R., Winter, S.G., 1982. An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge (MA), Harvard University Press. 14 Grin et al., 2010, op. cit. 15 Ten Pierick, E., Van Mil, E.M., Meeusen, M.J.G., 2010. Transition towards a biobased economy, in Langeveld, H. et al., The biobased economy, biofuels, material and chemicals in the post-oil era, London, Earthscan, 18-33. 16 Nill, J., Kemp, R., 2009. Evolutionary approaches for sustainable innovation policies: From niche to paradigm?, Research Policy, 38, 4, 668-680 (p. 677). Les communications du 3ème colloque STRN comprenaient beaucoup d’approches de niveau local, tournées vers la planification urbaine (usage de l’eau ou problématique de villes neutres en CO2) ou vers le développement de productions locales d’énergie en milieu rural. Il faut probablement rechercher ce repli sur les niveaux locaux d’action dans le fait que les gouvernements nationaux apparaissaient comme enfermés dans les secteurs et les politiques d’innovation traditionnels, alors que les villes ou régions étaient considérées dans beaucoup d’interventions comme les lieux d’excellence d’expérimentations pour les transitions. D’où une notion de relevant policy arenas qui a traversé tout le colloque. On notera aussi la quasiabsence de débat sur le niveau international et sur Rio + 20. 7 en trois niveaux a été formalisée par Geels dans une courbe en S, reproduite de façon continue depuis la publication de son article de 2002 (plus de 900 citations à ce jour, et plus de 200 reproductions de la courbe). Elle repose sur une séquence dans laquelle les firmes, poussées par les opportunités qu’offriraient des pressions liées à des tendances lourdes d’évolution du « landscape », paysage macrosocial (fait de tendances lourdes telles que l’urbanisation ou la prise de conscience des crises environnementales) traverseraient d’abord une phase d’exploration de la variété technologique (à l’intérieur de niches d’innovations). Au cours de celle-ci se formerait progressivement un dominant design, conduisant à l’exploitation de la technologie devenue la plus efficiente. La séquence [exploration de la variété/exploitation d’un dominant design] déterminerait la forme du nouveau régime sociotechnique, attendu dans le cadre de la réflexion sur le développement durable. …Et différences liées à la volonté de l’approche régulationniste de s’intéresser à la profondeur historique, aux conflits d’acteurs et aux compromis institutionnalisant une domination Son intérêt tient à la fois au fait que cette séquence organise les « récits de la transition » à partir d’un critère qui semble réaliste du point de vue du changement technologique, et au fait qu’elle permet de désigner une «fin de l’histoire» : l’identification au cours du processus exploratoire du dominant design qui finira par s’imposer. Des travaux récents suggèrent néanmoins que « ce modèle est attractif du fait de sa simplicité mais pourrait bien être trop simple pour décrire réellement les processus de changement » (Sanden et Hillman [2011], p. 403 ; trad. par nous). En effet, il introduit un a priori dans la narration analytique des dynamiques de transition à venir. Il n’est pas seulement nécessaire de considérer que l’émergence d’une « technologie victorieuse » n’est pas l’unique configuration possible17. Mais les Sciences Studies enseignent aussi qu’il est nécessaire de suivre un principe de symétrie dans le traitement analytique. Ce principe impose de considérer également les réussites et les échecs, les gagnants comme les perdants (Pestre [2007]). On se doit donc de prêter une attention particulière aux visions scientifiques minoritaires, comme révélateur de l’existence de stratégies dominantes ; ceci va nous conduire à considérer la variété de ces visions scientifiques et techniques comme autant de bases de connaissance alimentant une variété de patrimoines productifs collectifs. En effet, l’exploration de la nouveauté n’est pas une opération qui relève de décisions de firme individuelle, sur un terrain vierge de tout passé et de tout espace technicoéconomique. La relecture de Marshall invite à considérer que le changement technique «prend forme dans une organisation sociale, économique et technique de la production » (Lecoq [1993], p. 201), et que les problèmes sont résolus au sein de communautés dépassant les frontières des firmes. Il n’est donc pas étonnant que, comme le montrait le 3ème colloque STRN, plusieurs représentations des transitions structurent, de fait, les débats de ce courant : – La première l’accent sur le rôle des niches. Elle est dite strategic niche management car elle part de la gestion « stratégique » d’innovations émergeant dans les « niches » locales. Elle repose donc d’un certain point de vue sur une « économie des promesses technologiques » au sens de P.B. Joly (2010). Les problèmes de management de la transition sont alors réduits à des difficultés de learning (d’apprentissages locaux ou globaux), et de construction des réseaux pertinents pour la diffusion épidémiologique de la niche prometteuse vers le nouveau régime socioéconomique. Le cœur du problème des politiques est alors la reconnaissance de cette niche prometteuse confrontée à la cohérence et à la résistance du système sociotechnique antérieur, afin de la soutenir institutionnellement. Les évolutions dépendent donc de la façon dont les pressions d’environnement 17 Dans leur réévaluation du modèle de Sustainability Transition, Genus et Coles ([2008], p.1444) écrivent : « Il y a eu une tendance à se concentrer sur les technologies victorieuses et, du coup, les questions méthodologiques concernant le fonctionnalisme de la MLP et la pauvreté des études de cas semblent avoir été sous-évaluées. En outre, il est à craindre que certaines des idées implicites dans ce traitement de la MLP peuvent s’infiltrer dans le domaine de l’élaboration des politiques de sorte que la “réalité” d’un modèle mécaniste de la transition pourrait devenir l’interprétation dominante de la MLP. » 8 (macrosociales) peuvent contribuer à déstabiliser ce régime, pour ouvrir la voie à l’expression des potentialités de la niche. – La deuxième est une approche plus politique (dite transition management), visant à résoudre ces contradictions entre les ambitions de long terme et les incertitudes liées à l’innovation. Elle mobilise alors dans une démarche en termes de backcasting18, les portefeuilles de technologies disponibles le long de la courbe en S, mais, en partant du point d’arrivée espéré (le nouveau régime socio-technique soutenable. La « vision du futur » retenue, des roadmaps technologiques définissent les programmes scientifiques qu’il faut financer pour lever les verrous technologiques sur le sentier. – La troisième approche, plus récente, porte l’attention sur la façon dont les stratégies de transition sont manipulées et encadrées par des acteurs bien établis, lorsqu’elles ne sont pas directement élaborées par eux (d’où l’appellation endogeneous navigation by entrenched actors). Son ambition est donc de révéler des représentations et des politiques dominantes, afin de montrer l’existence de solutions alternatives. En clarifiant les enjeux, elle doit favoriser la compréhension des d’ « arènes de développement »19, où se confrontent, sinon s’affrontent, les acteurs et où se forment des coalitions d’intérêt. Il s’agit donc d’une approche dite « navigationnelle » (endogenous navigation of entrenched actors), qui conteste la tendance naturelle des tenants du transition management à imaginer le changement via un pilotage du backcasting dans des steering committees ou via la construction dans des comités d’experts scientifiques de consensus sur ce que serait le dominant design. Elle insiste sur la façon dont les frontières des systèmes et les enjeux du développement durable sont travaillés par les acteurs installés. Ceux-ci cherchent à défendre des intérêts situés et des identités bien établies qu’ils visent également à reproduire (par exemple, en agriculture, l’identité productiviste de certains). La formule que nous utilisons est la suivante : la question pour ces acteurs n’est pas : comment trouver un sentier de développement soutenable, mais comment rendre soutenable pour euxmêmes la pression macrosociale à la reconnaissance de principes de développement durable. L’expression de navigational approach tient au fait qu’il est nécessaire de reconnaître que les systèmes de représentations et de valeurs en jeu sont incommensurables, et que la formation de consensus est illusoire. D’où des implications en termes de reconnaissance de stratégies conflictuelles (et le régulationniste dirait en termes de compromis institutionnalisés qui en seraient issus) plutôt qu’en termes de construction de consensus. Intérêts pour l’approche régulationniste du cadre multilevel perspective du STRN Comment le cadre analytique du MLP peut être remobilisé pour retraiter les analyses de la « première Grande Transformation » ? Celle-ci peut être vue comme la mise en place d’un nouveau régime sociotechnique dynamiquement stable sur la période d’apogée de l’agriculture productiviste. Ceci se serait fait, à la fois sous la pression de grandes tendances structurelles (au niveau supérieur du Landscape que nous traduisons par environnement macrosocial), et d’innovations organisationnelles ou technologiques issues des niches, à ceci près que les innovations organisationnelles sont le plus souvent 18 Le backcasting est en littérature de prospective l’enchaînement de causalités du futur vers le présent. Les analyses de type backcasting se préoccupent, non pas du futur susceptible d’advenir, mais de la façon dont les futurs souhaitables peuvent être atteints. Elles sont donc explicitement normatives et supposent de travailler « à l’envers », d’une situation particulière future souhaitable vers le présent, afin de déterminer la faisabilité physique ou technique de ce futur, ainsi que les décisions politiques ou de pilotage de la recherche qui seraient exigées pour atteindre ce point (cf. Vergragt et Quist [2011]). Cette méthode est notamment utilisée par la Commission européenne pour l’élaboration des visions consensuelles pour le futur de ses plateformes technologiques. On peut trouver un bon exemple de cet exercice sur le site de la plateforme technologique Suschem (SUStainable CHEMistry), http://www.suschem.org/about-suschem/vision-and-mission.aspx, notamment dans le document Vision for the future, http://www.suschem.org/documents/document/20120125123456-vision.pdf. 19 Voir sur ce courant : Jørgensen, U., 2012. Mapping and navigating transitions. The multi-level perspective compared with arenas of development, Research Policy, 41, 996-1010. 9 internes au secteur, mais que le changement technologique fait de l’agriculture un secteur dominé technologiquement au sens de Pavitt (1984, 1989). Ce nouveau régime socio-technique serait le produit de la reconfiguration de l’ensemble de ses soussystèmes constitutifs : transformation des comportements de marché et de préférence des consommateurs avec la montée en puissance des modes de consommation contemporains fondés sur l’alimentation carnée et des produits agroalimentaires transformés, transformation des activités de production avec l’industrialisation de l’agriculture et des IAA, transformation des politiques agricoles pour soutenir les transformations technologiques et l’insertion sur les marchés agro-alimentaires internationaux, transformation de la culture des acteurs avec l’émergence d’une agriculture professionnelle tournée vers le productivisme. 1.2. Comment approfondir les caractéristiques de la transition dans la « Première Grande Transformation » ? Notre point de vue est que si tous ces faits stylisés sont exacts, il faut les resituer dans des trajectoires dynamiques originales, en réintroduisant la capacité des acteurs à interpréter et à orienter les tendances lourdes des transformations des spécialisations agricoles et agro-alimentaires. Un rapide retour sur les débats des années 1980 permet d’identifier deux grands types de pressions issues du Landscape (Gaignette & Nieddu, 1996a). Il y avait bien, depuis l’émergence de la mécanisation et les progrès de la chimie, une forte pression « de Landscape » à la destructuration du régime socio-technique de l’agriculture paysanne fondée sur la polyculture-élevage, qui avait atteint à la fin du XIXe s. un haut degré de sophistication (Gervais, Jollivet & Tavernier, 1992). Ceci doit être relié aux mouvements de fonds des facteurs de production tels que la poussée du capital fixe et la substitution capital-travail, qui amènent par exemple Ruttan (1978) à interpréter, comme beaucoup d’autres, la situation française des années 1950 comme celle d’un « retard structurel » lié à des blocages endogènes : insuffisance de la demande alimentaire nationale, insuffisance de la demande en main d’œuvre d’autres secteurs, absence d’institutions pour soutenir la diffusion du changement. Il y avait bien aussi une forte pression du Lanscape liée à l’urbanisation se traduisant par la transformation des modes de consommation alimentaire vers un MCA agro-industriel (Malassis, 1979, 1990). Néanmoins deux éléments ont conduit (Nieddu, 1998) à chercher à aller plus loin dans les interprétations de la transition. D’une part, les modèles économiques dominants conduisaient durant les années 1950 et 1960 à pronostiquer la disparition, à l’instar d’autres secteurs économiques, de l’agriculture familiale, et son remplacement par une agriculture salariale (illustrée par les modèles du monde soviétique des sovkhozes ou des firmes du capitalisme agricole américain). Ce pronostic a largement été invalidé pour des raisons que Servolin (1972, 1989) considère comme intrinsèques au process de production agricole, mais que les lois de modernisation agricole et la mise en place du marché commun ont formalisé dans une double régulation : celle de la préservation d’une agriculture moyenne capable de nourrir deux UTH et celle du passage à une agriculture professionnelle (Barthélemy & Nieddu, 2003). D’autre part, la convergence des modes de consommation alimentaires et des techniques de production auraient dû conduire à des convergences des formes économiques concrètes alors que ce sont plutôt de nouvelles hétérogénéités qui apparaissent20. Notamment l’agriculture moyenne avait 20 Par exemple, nous remarquions, à partir de la revue de littérature et de l’analyse de données macrosectorielles d’Eurostat que « des croissances de la production et de la productivité somme toute très proches pour les grands pays développés, ont laissé place à des types d’organisation productive très différents (comment le montrent Hayami & Ruttan (1978), Ruttan (1989) dans leur comparaison Etats-Unis-Japon). Une évolution des MCA … identique, s’est résolue en choix productifs divers. Par exemple l’Italie est devenue un pays globalement importateur de matières premières agricoles et transformateur dans ses IAA (Magni, 1992). A l’inverse la France est devenue un exportateur de matières premières agricoles à partir d’une position agro-importatrice avant- 10 besoin pour absorber ses gains de productivité de développer un outil industriel qui assure l’écoulement de sa production. Ses coopératives vont donc chercher la constitution de grands bassins de production agro-industrielle qui assurent la collecte et la première transformation des produits agricoles (Nieddu & Gaignette, 2000), là où une agriculture de plus grande taille souhaitait plutôt un renforcement de la concurrence horizontale entre agriculteurs sur les coûts de production, pour accélérer les restructurations foncières. La variété des articulations entre agriculture et IAA dans des bassins de production spécialisés et des compromis entre couches sociales agricoles cristallisés dans les commissions départementales d’orientation agricoles vont conduire à la variété des compromis institutionnalisés localisés, observé par G. Allaire (1995) dans la Grande Transformation. La transition de la « Première Grande Transformation » s’est en fait appuyée sur un modèle de backcasting cherchant à adapter le monde agricole aux pressions du Landscape. Ceci se traduit dans la formation d’un modèle de développement agricole qui va servir de guide pour le pilotage de l’action publique, de la recherche scientifique, des structures agricoles et du financement. Ce modèle s’appuie sur un réseau très dense de dispositifs institutionnels (éviction du financement des actifs pluriactifs au bénéfice d’une agriculture professionnelle au motif qu’elle serait la seule à être à même « d’une utilisation rationnelle des capitaux et des techniques » (Loi d’orientation agricole n°60-808 du 5/08/1960, art.7), règles de mise sur le marché et normes sur les produits imposant l’organisation collective de la collecte, organisation des régimes de production de connaissance sur la sélection variétale des plantes et des animaux 21, soutiens par la PAC au processus d’intégration des agriculteurs sur les marchés internationaux, etc.). Ce modèle de développement agricole, particulièrement abouti dans le cas de la France, conduit d’autant plus à sous-estimer les facteurs permissifs d’hétérogénéité que les acteurs de l’agriculture moyenne l’ont investi et orienté en permanence dans le cadre de la co-gestion agricole. Par exemple, sur la première grande tendance issue du landscape, rien n’obligeait en réalité à ce que le passage à la tractorisation, grande affaire des années 1950-60, se fasse telle façon que chaque producteur dispose en propriété pleine, de son matériel, contrairement à ce qui a été soutenu par de bons auteurs.22 De la même façon, sur la deuxième grande tendance, les MCA agro-industriels dégageaient des degrés de liberté pour trois types d’agriculture : les producteurs capables de se doter d’AOC ont bénéficié des contre-tendances à l’industrialisation de l’alimentation ; les céréaliers, sucriers et producteurs d’oléagineux ont vu se démultiplier leurs débouchés de par le glissement de leur position vers une position de « secteur intermédiaire » ( au sens de fournisseurs, non pas d’un produit final, mais de produits intermédiaires pour les industries de l’alimentation animale, les additifs alimentaires, et, à partir des années 1990, pour ce qui va nous intéresser dans la suite du texte, l’énergie les produits chimiques et les matériaux) ; la production animale intensive s’affranchit de la contrainte locale d’approvisionnement en devenant une production manufacturière au sens où elle s’organise autour de l’achat de consommations intermédiaires, livrées par les agro-industries qu’elle transforme dans son cycle de production. guerre (Toutain, 1992), ce qui ne correspond pas aux évolutions que suggère la dynamique des MCA » (Gaignette & Nieddu, 1996a, p.81) 21 Voir sur la sélection animale : Selmi A., Joly P.-B., Les régimes de production des connaissances de la sélection animale. Ontologies, mesures, formes de régulation, in Sociologie du Travail (2014, in press) 22 Pour la démonstration, voir Nieddu (1998) : Les études sur l’ampleur du contoterzismo (littéralement, travail pour le compte d’un tiers) qui touche y compris des exploitations de grande taille montrent que la tractorisation n’était pas condamnée à prendre la forme qu’elle a prise dans le cas français (Fanfani & Peci, 1991) et qui relève au sens littéral d’une lutte des classes à la campagne. Il existe d’ailleurs dans la littérature des exemples de « pratiques à l’italienne » au début des années 1960. Des agriculteurs pluriactifs, « presque tous issus de la petite paysannerie rouge » selon Bruguière (1977, p.205) cherchent à développer des solutions de marché de location de ce matériel, de travail en sous-traitance avec ce matériel. Mais cette solution sera institutionnellement interdite par le pouvoir qu’exercera l’agriculture moyenne à travers sa gestion du Crédit agricole et le contrôle des structures. 11 Un exemple de représentation des configurations contemporaines (début XXIè s) de la variété (sur un critère analytique régional) de compromis institutionnalisés, tiré de Aurélie Trouvé, « Les régions, porteuses de nouveaux compromis pour l’agriculture ? », Revue de la régulation [En ligne], 5 | 1er semestre / Spring 2009, mis en ligne le 11 mars 2009, consulté le 11 mai 2014. URL : http://regulation.revues.org/7550 Il est donc possible de tirer de comme enseignement de cette « Première Grande Transformation » trois points : 1) Le dominant design, lorsqu’il apparait, ne peut être réduit au résultat d’un modèle essai-erreur aboutissant à sélectionner au sein des niches d’innovations radicales, les innovations les plus pertinentes, lesquelles produiraient le nouveau régime socio-technique : ces niches s’inscrivent dans les régimes de production de connaissances et d’activités économiques mis en place par les acteurs. 2) Ces régimes sont des patrimoines productifs pour les acteurs, au même titre que les dispositifs institutionnels qui les encadrent ou que leurs patrimoines privés, au sens où ils contribuent à la formation de leur compétitivité, même s’il s’agit de patrimoines collectifs (car non divisibles). 3) Les pressions issues du Landscape sont des tendances lourdes multiformes. Elles doivent être analysées non pas comme des déterminants susceptibles de produire des résultats univoques, mais comme des contraintes/opportunités soumises au travail des acteurs. C’est à l’aune de ces observations que l’on va revisiter l’émergence du concept de bioéconomie. La bioéconomie pourrait être considérée comme la nouvelle tendance lourde, à laquelle le monde agricole doit s’adapter. Mais s’agit-il d’une nouveauté qui vient comme l’espéraient les chercheurs des années 1990 apporter des pratiques plus soutenables au service d’une agriculture de qualité ? S’agit-il de changements venant s’insérer dans les modèles productifs de l’agriculture productiviste et des agroindustries, et renforcer leur régime socioéconomique en respectant la division du travail par eux installée entre première et seconde transformation ? Le modèle théorique du STRN laisse place à 4 « régimes de changement »- transition pathways (Geels & Schot, 2007 ; ten Pierick & alii, transition towards a biobased economy, in Langeveld et al, The biobased economy, 2010, Edgard Elgar, 19-32) : la transformation sous la pression de mouvements sociaux ; la substitution technologique, due à l’entrée de nouvelles firmes et à la concurrence sur les marchés, la reconfiguration par les acteurs du régimes qui adoptent des composants d’innovation venant de nouveaux offreurs, le désalignement-réalignement dans un nouveau régime créé par les nouveaux acteurs : ces nouveaux entrants sont en compétition sur les ressources, pour capter l’attention et construire leur légitimité jusqu’à ce qu’une nouveauté remporte la victoire et produise la restabilisation d’un régime. Ces grilles analytiques permettent de dresser des taxonomies utiles. Néanmoins, on plaidera en cohérence avec les principes de l’approche régulationniste, et nos observations précédentes pour les resituer dans une historicité et pour en faire le support de la recherche de compromis institutionnalisés localisés (dans des espaces géographiques ou des segments de filières ou supply chains, entre visions du monde ou du futur, etc.). 12 II - La « bioéconomie » fondement de la « seconde Grande Transformation », ou buzzword pour désigner une nébuleuse de pressions issues du Landscape ? Une interrogation grossière de Google et de Science Direct sur le terme « bioeconomy » permet de mesurer l’explosion récente du succès de l’appellation. A l’instar du terme « développement durable », elle est donc le témoin sinon d’un changement de grande ampleur, au moins d’une réflexion intense sur la nature des changements à mener. Ceci nécessite néanmoins que l’on en explore la signification et la traduction dans des termes institutionnels, structurants de l’allocation de ressources. L’exploration des publications montre que trois acceptations du terme vont se superposer et s’entrecroiser au cours du temps et entrer en résonance sans s’éliminer les unes les autres. Notre objectif n’est pas de porter un jugement sur chacune de ces acceptions, mais de dégager quels régimes de production de connaissances et d’activités économiques elles supportent. L’explosion du terme bioéconomie Google Bioeconomy 1900-1960 0 1961-1970 15 1971-1980 76700 1981-1990 76700 1991-2000 76900 2001-2005 378000 2006-2010 2260000 2011-2014 46900000 Total 49768315 Nombre de résultats à la recherche : "Bio economy"sur Google ScienceDirect Bioeconomy 1900-1960 416 1961-1970 400 1971-1980 1226 1981-1990 2193 1991-2000 3633 2001-2005 2715 2006-2010 5964 2011-2014 9358 Total 25905 Nombre de résultats de la recherche sous Science direct Trois usages différents du terme Liu CHANG-QIU (2012) date – probablement à tort, car il a du n’utiliser que des moteurs de recherche et pas une recherche bibliographique papier, voir plus bas- l’émergence de la notion de bioéconomie en 1956 avec l’article de Cadet Hand « Are Corals Really Herbivores ? » publié dans Ecology (vol 37, 1956/2). Il propose un second jalon en 1972 lorsque le professeur Judah Folkman, qui avait vu sa stratégie de traitement du cancer rejeté par les cercles académiques, reçoit le soutien de la société Monsanto, particulièrement intéressé par ses travaux. Le texte le plus ancien contenant le mot-clé 13 bioraffinerie et qui renvoie à la troisième acception, que nous ayons retrouvés et un texte de Levy et al., datant de 1981, et l’usage du terme bioéconomie au sens d’usage de ressources renouvelables n’est réellement significative qu’après 2000, avec un décollage significatif en 2008-2009 (croisement des mots clés « bioeconomie* ou bio-economie* et agriculture ou biomass* sous Science Direct). 1969 référence citation KAI CURRY-LINDAHL, REPORT TO THE GOVERNMENT OF LIBERIA It is also necessary that the whole administration concerned with renewable ON CONSERVATION, MANAGEMENT AND UTILIZATION OF natural resources understands the ecology and bioeconomy of the living landscape WILDLIFE and the relationships between water, soil, vegetation and fauna RESOURCES, IUCN publications new series, supplementary papers n°24 1985 2013 A. Vlavianos-Arvanitis - "Biopolitics - Dimensions of Biology", The ramifications of the biological sciences have an immediate impact on the paper presented at the European Philosophy Conference on "Man economy and may be named "bioeconomy". This should not be considered as a in the Age of Technology", Athens, Greece, June 24-28, 1985. theoretical idea but a need for competitiveness and progress Kes McCormick and Niina Kautt., The Bioeconomy in Europe: An A bioeconomy can be defined as an economy where the basic building blocks for Overview materials, chemicals and energy are derived from renewable biological resources In Sustainability 2013, 5, 2589-2608; doi:10.3390/su5062589 2.1. De la bioéconomie comme nécessité de l’intégration des questions environnementales Si le terme « biéconomie » est polysémique – nous notions déjà dans un texte publié, il y a longtemps [Vivien, 1998], dans le cadre d'une réflexion au sujet de ce que pourrait être le développement soutenable - le débat soulevé par l'émergence des questions environnementales au début des années 1970 – notamment à travers la publication du premier rapport au Club de Rome – va susciter une cristallisation sur le sens donné au terme de « bioéconomie » depuis la fin des années 1950. C’est aussi une époque de « grandes manœuvres » épistémologiques pour les économistes, à l’image de la tentative d’annexion de l’ensemble du champ des sciences sociales mais aussi des sciences de la nature par G. Becker. L'économie des ressources renouvelables En son premier sens, la bioéconomie – mais, on parle aussi parfois de « Bionomie » (« bionomics ») – désigne l’économie des ressources naturelles renouvelables. C'est celui que l'on trouve sous la plume de l'économiste H. Scott Gordon (1954) – dans un texte très connu en économie des pêches où l'on trouve, avant l'heure, l'exposé de la thèse « The Tragedy of the Commons ». Scott Gordon dit avoir été inspiré par un terme proposé par le biologiste russe T.I. Baranoff dans les années 1920. C'est à partir de cette deuxième moitié des années 1950 que va se constituer le domaine de l'économie des pêches ; le grand ouvrage de référence en la matière, intitulé Bioeconomics, est celui écrit par Colin W. Clark [1976]. L'idéal de ce champ de recherche – que l'on peut faire remonter, dans le domaine forestier, au moins au XVIIIe siècle [Vatin, 1998] – où se rencontrent disciplines économique et écologique (ou agronomiques, quand il s'agit des forêts) est celui de l'établissement du « rendement maximum soutenable » (« maximum sustained yield »), à savoir la quantité de ressources que l'on va pouvoir consommer tous les ans, sans remettre en cause la capacité de la ressource à se reproduire. C'est, plus largement, si l'on raisonne sur le « capital naturel » dans son ensemble, une des définitions possibles de la soutenabilité (voir les écrits de Pearce ou de Daly). La bioéconomie est aussi, par la même occasion, une des sources d’inspiration de l’Ecological Economics [Costanza et al., 1993:546]. La bioéconomie au sens de Georgescu-Roegen 14 Le terme « bioéconomie » apparaît sous la plume23 de Nicholas Georgescu-Roegen au milieu des années 1970, alors qu'il s'engage dans la controverse soulevée par la publication du premier rapport au Club de Rome24. Il désigne tout d’abord la problématique de la survie à laquelle est confrontée l’espèce humaine. Comme tout être vivant, l’homme doit lutter contre la loi de l’entropie. Mais, à la suite de Schumpeter, Georgescu-Roegen souligne que l’évolution biologique de l’espèce humaine (endosomatisme) s’est poursuivie sur le plan « exosomatique », pour reprendre l’expression d’Alfred Lotka, C’est la technique, qui prolonge le corps biologique de l’homme, qui lui permet d’étendre le champ de ses actions – il est capable de voler comme un oiseau, de plonger comme certains animaux marins à de très grandes profondeurs… Dès lors, l’homme ne doit pas uniquement chercher de la basse entropie biologique à travers sa nourriture, il doit aussi en quérir – d’origine minérale – pour maintenir la base matérielle et énergétique des objets techniques qui l’entourent. « C’est en raison de cette dépendance » exosomatique, écrit Georgescu-Roegen [1975:130], « que la survie de l’humanité présente un problème totalement différent de celui de toute autre espèce car il n’est pas seulement biologique ni seulement économique. Il est bioéconomique. » Cette perspective bioéconomique permet de poser la question du long terme en économie : « [L]’un des principaux problèmes écologiques posés à l’humanité, écrit Georgescu-Roegen [1975:140], est celui des rapports entre la qualité de la vie d’une génération à l’autre et plus particulièrement celui de la répartition de la dot de l’humanité entre toutes les générations », alors même, poursuit-il, en faisant allusion à la célèbre définition de Lionel Robbins, que l’objet de la science économique est l’administration des ressources rares pour une seule génération. C’est dans cette perspective que s’est inscrite la réflexion de Georgescu à partir des années 1970 et qu’elle s’est poursuivie pendant les années 1980. Symptomatiquement, le grand livre de Georgescu-Roegen qui a été longtemps annoncé comme à paraître prochainement s’intitulait Bioeconomics… Dans cette perspective bioéconomique, le problème crucial qu’il convient de noter, selon GeorgescuRoegen, c’est que, depuis la Révolution industrielle, on observe un phénomène de substitution des sources de basse entropie biologiques par des sources de basse entropie minérales. L’agriculture occupe une place importante dans cette réflexion de Georgescu-Roegen. On connait ses travaux sur l’économie paysanne – c’est dans leur cadre qu’il a commencé à introduire des considérations sur l’entropie [Vivien, 1999]. Dans une section intitulée « L’agriculture moderne : un gaspillage d’énergie », Georgescu-Roegen relève [1975:137] que « [c]’est même dans l’agriculture que ce processus de substitution des sources de basse entropie biologiques par des sources de basse entropie minérales est le plus frappant : « Les tracteurs et autres machines agricoles ont supplanté l’homme et les animaux de trait, les fertilisants chimiques ont supplanté fumures et jachères. » C’est l’époque où l’on voit se multiplier les études qui montrent l’augmentation des consommations et la baisse de la productivité énergétiques dans les secteurs de l’agriculture et de l’agro-alimentaire (Odum ; Pimentel et al.). Le jugement de Georgescu-Roegen [1975:136] va aussi dans le sens d’une agriculture insoutenable – d’un point de vue énergétique, mais aussi de la perte de biodiversité 25 23 S’agissant de bioéconomie, Georgescu-Roegen [1975:157] écrit dans une note de bas de page : « J’ai vu ce terme pour la première fois dans une lettre de Jiri Zeman. » 24 Le texte « L’énergie et les mythes économiques » provient initialement d’une conférence de Georgescu-Roegen dispensée en 1972 à l’Université de Yale dans le cadre d’un débat relatif au premier rapport au Club de Rome. Dans un premier temps, Georgescu-Roegen va défendre les positions exprimées par Meadows et ses collègues. Il entrera même en contact avec ce dernier pour l’aider à contrer les arguments des économistes orthodoxes. Il s’en éloignera ensuite, critiquant la perspective de l’état stationnaire qui est au cœur du rapport Meadows et défendant une perspective de décroissance. 25 « Si la production de nourriture dans des « complexes agro-industriels » devient une règle générale, écrit Georgescu-Roegen [1975:138], plusieurs espèces associées à l’agriculture organique traditionnelle pourraient disparaître peu à peu, ce qui risquerait de conduire l’humanité dans un cul-de-sac écologique, sans retour possible. » 15 qu’elle provoque. Il évoque même l’idée de l’effet-rebond : l’économie des techniques agricoles modernes, écrit-il, « offre en outre une réfutation fort instructive à la croyance commune en l’orientation positive de toute innovation technologique pour l’économie des ressources »26. L’évolution souhaitable, selon Georgescu-Roegen, est d’inverser cette dynamique. C’est vers le flux énergétique solaire que se tourne à l’évidence Georgescu-Roegen au début des années 1970 : « Ce qui compte du point de vue bioéconomique, écrit-il dans « L’énergie et les mythes économiques » [1975:134], c’est que – et cela est établi – la mise en œuvre de l’utilisation directe de l’énergie solaire ne comporte pas de risques ou de points d’interrogation majeurs »27. C’est à cette occasion qu’il en vient à évoquer ce que l’on désignera bientôt comme de la « bioéconomie » - mais en un sens différent de celui qu’il entends : « A ceux qui font valoir que nous pouvons enfin extraire des protéines des combustibles fossiles », Georgescu-Roegen [1975:134] réponds : « La saine raison nous commande de faire l’inverse, c’est-à-dire de transformer la matière végétale en hydrocarbures combustibles – orientation manifeste naturelle déjà explorée par plusieurs chercheurs ». Et, pour appuyer son propos, Georgescu-Roegen [1975:158] d’évoquer dans une note en bas de page le fait que « durant la Deuxième Guerre mondiale, en Suède notamment, on conduisait des automobiles roulant avec le gaz pauvre obtenu par la combustion du charbon de bois avec du petit bois d’allumage dans un container servant de réservoir ! ». Dans un texte publié dix ans plus tard, Georgescu-Roegen [1986:213] parlera d’un possible « nouvel âge du bois, différent quand même de celui du passé, parce que nos connaissances techniques sont plus étendues aujourd’hui. » La bioéconomie chez Passet Cette conception est, à la fois, proche et lointaine de celle développée par Georgescu-Roegen, comme en témoignent quelques pages des Grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire dans lesquelles Passet [2010:479 et suiv.] lui rend hommage, tout en soulignant ce qu’il juge être des limites28. On y retrouve l’inspiration de la thermodynamique – dans les années 1970, Passet rencontrait Georgescu quand celui-ci rendait visite à l’ISMEA. Pour Passet, la bioéconomie est un nouveau paradigme, une nouvelle représentation des rapports entre l’économie et le vivant. C’est le célèbre schéma des trois sphères dessiné dans l’introduction de L’économique et le vivant [Passet, 1979:11] – qui est évoqué à nouveau dans Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire [Passet, 2010:896] – d’un système économique qui est un sous-système de la sphère sociale, elle-même sous-système insérée au sein d’un système englobant qui est la Biosphère. C’est ce à quoi se réfère Markku Lehtonen [2004:201] dans son article d’Ecological Economics. 26 Dans un autre texte publié quelques années plus tard, Georgescu-Roegen [1977:184] revient sur cette question : « Les progrès technologiques trop vantés et vendus à notre époque ne devraient pas nous aveugler. Du point de vue de l’économie des ressources terrestres – base du mode de vie industriel de l’humanité – la plupart des innovations représentent un gaspillage de basse entropie […] Des automobiles, des voitures de golf, des tondeuses à gazon, etc., « big and better » signifient forcément une pollution et un épuisement des ressources « big and better ». » 27 Dans les années 1980, Georgescu-Roegen [1986:212-213] sera beaucoup plus sceptique vis-à-vis des perspectives offertes par l’énergie solaire : « Une technologie solaire viable n’est pas encore là. Aucune recette pour collecter correctement l’énergie solaire ne conduit à un processus en chaîne. Aucune ne peut au moins se soutenir elle-même, car aucune ne peut concentrer suffisamment d’énergie pour reproduire les collecteurs employés dans l’opération. » 28 « En un mot, écrit Passet [2010:479], Georgescu ne franchit pas toujours complètement le seuil des portes qu’il a ouvertes. » Il lui reproche une thermodynamique qui se limite à l’entropie (une thermodynamique carnotienne), alors que Passet se réfère à la thermodynamique des structures dissipatives de Prigogine. Il lui reproche aussi d’avoir une vue étroite du vivant, se limitant à sa dimension thermodynamique, tandis que Passet intègre la dimension informationnelle du vivant. 16 Sans aller jusqu’à Gary Becker, mais… ! Le terme « bioéconomie » est aussi utilisé par des économistes, proches de Gary Becker [1976], qui revendiquent un « impérialisme méthodologique » [Hirshleifer, 1985], à l'époque où celui-ci discute des thèses de la sociobiologie récemment promue par Edward Wilson [1975]. Il décrit un projet d'« économie générale », synthèse de la « natural economics » de la sociobiologie et de la « political economics » de Becker, qui sera désignée sous le terme de « bio-economics » par Michael Ghiselin [1992]. Et l'on verra alors des articles publiés dans les grandes revues académiques sur la rationalité des rats et des pigeons (… ce qui incitera Georgescu-Roegen à rendre sa carte de l'American Economic Association !). Il est vrai que la « bioéconomie » est, en écologie, la manière dont les espèces vivantes allouent leurs ressources. 2.2. La bioéconomie de la révolution bio-tech : la promesse technico-économiques d’une « nouvelle frontière » de la marchandisation du vivant ? Aguilar et alii (2013) dans un papier de bilan de la politique européenne en la matière, dont le titre résume la thèse (Aguilar, Magnien, Thomas (2013) Thirty years of european biotehnology programmes : from biomolecular enginneering to the bioeconomy, in New Biotechnology, vol.30, 5, 2013 :410-430) rappellent que la deuxième conception de la bioéconomie est issue des pressions sur le « science monitoring and political design » exercées par des découvertes majeures « qui n’ont mis qu’un couple de décades à convaincre l’observateur informé qu’elles avaient le potentiel de révolutionner la compréhension du vivant [et les activités économiques qui lui étaient liées] » (p.411) : La découverte de la triple helice de l’ADN en 1953 par Watson et Crick, l’élucidation de la régulation de la synthèse des protéines en 1961, de la capacité des enzymes à disséquer la molécule d’ADN dans un sentier entièrement prédictible par Arber en 1962, et l’isolement du gène par Shapiro en 1969 vont ainsi générer non seulement une révolution paradigmatique dans la science du vivant, mais aussi l’espérance ou l’inquiétude d’un changement de paradigme technico-économique brutal : cette bioéconomie se décline donc sous les auspices de ce qui est perçu comme une « révolution biotech » qu’il ne faut absolument pas manquer. L’effort scientifique (dont les auteurs rappellent qu’il avait quelques liens avec la compétition entre blocs du fait de la Guerre Froide) va donc être très tôt doublé d’un investissent du politique dans des programmes capables de briser les frontières disciplinaires et les « dépendances au sentier », au service du développement économique (« technology-driven initiatives »). Ces programmes ont d’ailleurs été le prototype des Framework Programmes chargés de dynamiser la « knowledge economy » de l’union européenne et contribué à ce que celle-ci s’empare de la politique de recherche comme de l’une de ses attributions fondamentales. A partir de 1982, le Biomolecular Engineering programme commence à relier les biotech aux agro-industries, à travers l’ingénierie génétique pour l’agriculture. Et à la moitié des années 1980, les Framework programmes quittent explicitement le domaine de la recherche précompétitive pour assumer le fait que la science devient un facteur de production clé, au même titre que le travail et le capital : « EC research became invited with the specific purpose ‘to strenghen the scientific and technological basis of european industry and to encourage it to become more competitive at international level’ » rappellent ces auteurs en citant l’acte unique européen de 1987 (L169). On serait tenté de dire que, comme à l’habitude, le régime de production de connaissances et d’activités économiques qui en découle est rendu visible par les controverses qu’il soulève. La « révolution biotech » est en effet, un des domaines où l’économie des promesses technoscientifiques (Joly, 2010) s’exprime de la façon la plus pure : les espérances technologiques y ont conduit les décideurs publics à promouvoir un modèle linéaire de développement (allant de l’avancée scientifique à la start-up) par ailleurs âprement discuté : « L’émergence de l’industrie des biotechnologies a reposé fortement sur la création d’espérances élevées, et de nombreux acteurs du secteur ont joué un rôle actif dans la promotion de l’idée d’une révolution biotech. Les consultants en management, les analystes 17 financiers et les investisseurs en capital-risque ont tous clairement intérêt à créer un effet d’annonce autour des nouvelles technologies. De même, la promesse d’une révolution biotechnologique fournit aux responsables politiques une façon simple – mais, comme le suggère notre analyse, probablement inefficace – de promouvoir […] le développement, une amélioration des soins de santé et la croissance économique. […] Les décideurs politiques doivent […] s’éloigner d’un modèle linéaire de l’innovation de plus en plus discrédité, qui consiste à ne voir dans les nouveaux médicaments et produits de diagnostic guère plus que des applications de recherches fondamentales. » (Nightingale, & Martin, 2004: 568, la traduction est de nous). De même, les acteurs clés ont produit une modification des institutions gérant le droit de propriété intellectuelle très contestée, non seulement sur ses aspects éthiques (faut-il breveter le vivant ? à qui appartiennent nos gènes ?), mais aussi sur ses aspects d’efficience économique. La guerre des brevets qui va caractériser ce domaine n’apparait pas avoir généré de réels gains de productivité scientifique si l’on suit Nightingale & al. (2007) sur le domaine de la santé, mais des effets de renforcement de positions dominantes.29 Notre propos n’est pas ici de discuter ou de prendre position sur ces polémiques ; mais elles sont des bornes témoins suffisantes pour donner les indications dessinant le régime de production de connaissances et d’activités économiques que produit cette bioéconomie. Le « cœur du réacteur » est le soutien à la recherche, mais surtout son équipement par des plateformes technologiques 30 telles que les plates formes génomiques (Mangematin & Peerbaye, 2004). La problématisation (au sens de Jullien et Smith, 2011) du secteur emprunte la métaphore de la triple hélice d’ADN, pour décrire une articulation forte entre industries, universités et acteurs publics (Nieddu, 2002)31. Le cadre institutionnel des droits de propriété remodelé par le lobbying des acteurs du secteur génère une structure économique dans laquelle les start-ups prennent en charge le risque technologique et l’exploration de la frontière de production dans l’espoir de générer un blockbuster, et les grandes firmes cherchent à acquérir et gérer un portefeuille d’acquisitions de droits de propriétés et d’entreprises. Le risque possède un caractère ambivalent car s’il est au cœur de polémiques, celles-ci peuvent être utilisées comme un bon signal d’innovations de rupture, lesquelles, en étant médiatisées, 29 Fabienne Orsi le décrit ainsi en 2007 dans l’introduction du numéro spécial Recherche et innovation dans les sciences du vivant, de la revue d’économie industrielle : « Il s’agit là d’un sujet porteur d’enjeux particulièrement importants dans le domaine des sciences de la vie où – rappelons-le – l’évolution récente du droit des brevets tant aux États-Unis qu’en Europe, a établi le principe de brevetabilité du matériel biologique autorisant la délivrance de brevets sur des résultats très en amont de la recherche et dont les « revendications » peuvent bénéficier d’une très large étendue. Tel est le cas de brevets couvrant des gènes isolés et des séquences partielles d’ADN ainsi que toutes leurs applications potentielles. L’attribution croissante de ce type de brevets est à l’origine du débat désormais fameux relatif au risque de « tragédie des anti-communs » et au risque voisin de blocage de la recherche et de l’innovation lié à la multiplication de monopoles privés sur des résultats très en amont de la recherche. Parallèlement au déploiement avéré de ces stratégies de monopoles, d’autres usages du droit des brevets sont observables qui, pour certains, s’inscrivent délibérément dans une démarche visant à s’opposer au principe de propriété exclusive et à organiser un accès large au matériel biologique. » (Fabienne Orsi, « Recherche et innovation dans les sciences du vivant », Revue d'économie industrielle, 120 | 2007, 15-19.) 30 L’article de Beaume & Susplugas (2010) retient d’ailleurs dans les trois cas illustrant la stratégie de plate-forme, BRI, (Biotechnologies, Recherche, Industrie) plate forme d’open innovation dédiée à l’exploration des biotech blanches et à la bioraffinerie. (Beaume Romain et Susplugas Vincent, « Les plate-formes d'innovation : des facteurs de compétitivité des territoires », Annales des Mines - Réalités industrielles, 2010/3 Août 2010, p. 6569. Voir aussi Mangematin Vincent et Peerbaye Ashveen, « Les grands équipements en sciences de la vie : quelle politique publique ? », Revue française d'administration publique, 2004/4 no112, p. 705-718. DOI : 10.3917/rfap.112.0705 et Corine Genet, Vincent Mangematin, Franck Aggeri et Caroline Lanciano-Morandat, « Modèle d’activité dans l’instrumentation en biotechnologies », Revue d'économie industrielle, 120 | 2007, 41-60. 31 Nieddu, M., (2002), « Modèle de la triple hélice et changement régional : une étude de cas », in Géographie, Economies, Sociétés, ed. Elsevier, vol.4-n°2/2002, p.205-225. 18 permettent d’attirer l’attention des investisseurs, à l’instar de la médiatisation des nanotechnologies (Bensaude-Vincent, 2009)32. Le régime peut donc être caractérisé par ses aspects de développement d’une techno-science, par la médiatisation des questions scientifiques, et par l’économie des promesses qui en découle, laquelle nécessite la construction de dispositifs de légitimations variés, et hétérogènes. 2.3. Glissements sémantiques vers une troisième bioéconomie : De la raffinerie végétale à la bio-based economy, et par contraction à la bio-économie La troisième bioéconomie est plus difficile à appréhender car ce à quoi elle renvoie subit parfois dans le même texte des glissements fréquents : par exemple, une inversion entre knowledge bio-based economy et knoweldge based bioeconomy à la la bioéconomy tout court. La Commission Européenne avait apparemment retenu l’ensemble des activités liées à gestion soutenable des ressources renouvelables (agriculture, forêt et pêche) en mobilisant de façon transversale dans le 6ème PCRD, 7 plate-formes technologiques et différentes division Dualité de la troisième bioéconomie Elle déploie une vision dans laquelle une ensemble de divisions de la Commission et de problématiques sont mobilisées : « directly relevant: Research & Innovation; Common Agricultural Policy, Common Fisheries Policy, Forestry Strategy, agriculture and trade issues, food safety regulations, Community Animal Health Policy, Environment and Health Strategy, Competitiveness, Consumer Policy, Regional Policy; others: energy (biomass), transport, environment and biodiversity (climate change, waste, biodiversity,) education and training, employment, internal market (data protection, IPR), European neighbourhood policy; » 32 Voir par exemple : PHILIPPE MARLIÈRE, L'effrayant pouvoir de la génétique, Propos recueillis par Bernard Poulet, publié le 01/12/2002 à 10:43, Ce biologiste l'affirme : l'homme peut désormais façonner la nature. Créant des espoirs et des marchés sans limites., En savoir plus sur http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/leffrayant-pouvoir-de-la-genetique_1346677.html#QMi6kjUFCK6rmgh5.99 Bernadette Bensaude-Vincent, Les vertiges de la technoscience. Façonner le monde atome par atome, Editions La Découverte, 2009 19 Dans le schéma canonique régulièrement présenté par les experts de la Commission (que nous avons repris ci-dessous), la dualité de cette KBBE est soulignée avec d’un coté, ce qui relève de l’alimentaire de qualité et du développement rural (le paradigme dont G. Allaire pointe l’émergence et que nous avons cité en début de ce texte), et l’autre dédié aux développements non alimentaires. Néanmoins l’unité du dispositif est située dans le « processing » des industries agro-alimentaires. Notre point de vue, qui nécessiterait notamment d’être étayé par l’étude des volumes financiers attribué à la recherche et au développement dans chacun des deux axes, -de la même façon que d’autres auteurs ont étudié les proportions entre les deux piliers de la PAC-, est que les développements dans le nonalimentaire ont un caractère structurant, mais que les acteurs des agro-industries ne détachent pas le modèle de développement de leur base alimentaire. En effet, le développement de nombre de bioraffineries (dont nous avons étudié un ensemble de cas) se fait à partir de cette base, et le plus souvent à partir d’extension ou de reconversion de sites de l’agro-industrie (le plus bel exemple européen étant le site de Pomacle-Bazancourt qui accueille la plate-forme Biotechnologies Recherche Industries –BRI) ou l’usage du bois dans la papeterie (dans les pays scandinaves et Chemtex en Aquitaine). Ce modèle de développement sur bassins agro-industriels sera opposé dans la troisième partie de ce texte à un modèle de bioraffinerie portuaire, installé ou à installer sur des sites pétrochimiques en reconversion. Nous allons donc dans ce qui suit, suivre un ordre d’exposition contre-intuitif : nous partirons de la littérature de la décennie 2000 sur la bioraffinerie, pour reculer vers l’une de ses origines que nous situons, non pas dans le fractionnement pétrolier (les connaissances liées à la RAFFINERIE), mais dans les savoir-faire du génie industriel alimentaire tels que le fractionnement alimentaire (Nefussi,1984), afin de repositionner cette bioéconomie par rapport à la bioéconomie du 2ème type. Régimes de production de connaissances et d’activités : de la bioraffinerie à sa bioéconomie33 La littérature des revues scientifiques de ces dix dernières années fait naître la nouveauté « bioraffinerie » au début des années 1980, se référant à un article de Levy et al. [1981]. Elle présente une histoire en trois phases (Kamm et al. [2006], Clark et Deswarte [2008]) qui est en réalité une fiction à portée pédagogique plus qu’une vérité historique : 3333 Ce passage est repris à Nieddu et alii, 2014 20 (1) La première bioraffinerie dont les unités de production datent des années 1990 aurait été dédiée au biodiesel et à l’éthanol, selon une logique « une seule matière première, un seul produit ». Or, il y a formation dans les processus de production, des déchets indésirables, et donc des interrogations sur la gestion de ces coproduits. (2) La deuxième génération va donc s’attacher à valoriser tous les coproduits de l’opération de bioraffinerie, et donc à chercher à extraire toute une gamme des produits pour l’énergie, la chimie et les matériaux. Cette génération, selon les experts, sort du stade pilote aujourd’hui. (3) La troisième génération serait en phase d’émergence, avec une arrivée à maturation des procédés prévue vers 2020, par les plus optimistes des experts. D’une part, elle serait capable d’utiliser sur le même site différents types de matières premières et de technologies de transformation. D’autre part, elle serait capable, en fonction des évolutions des prix, de modifier les itinéraires techniques pour inverser les hiérarchies entre produits clés et sous-produits.34 Issue de la littérature des chimistes, cette représentation est centrée sur les carburants liquides, et organisée autour d’un point d’inflexion, celui des chocs pétroliers des années 1970. Durant les années 1990, et surtout dans la période 1999-2005, les acteurs des agro-industries vont, en collaboration avec les scientifiques, mettre en forme une vision globale de la transition vers le renouvelable à travers de grands exercices de « feuilles de route technologiques35 ». Ces exercices vont donner lieu à un groupe de travail commun entre l’Europe et les États-Unis en 2004, et être prolongés par deux projets européens (Biorefinery Euroview et Biopol [2007-2009]) portés par le 6e pcrd et explicitement dédiés à la construction de cette vision à long terme de la bioraffinerie. Un projet Starcolibri va leur succéder et produire un document de référence intitulé Joint European Biorefinery Vision for 2030, Strategic Targets for 2020 – Collaboration Initiative on Biorefineries. Enfin trois grands projets (Suprabio, Biocore et Eurobioref) inscrits dans viennent de se terminer en 2014 ; ils vont être relayés par le programme Bridge, organisé sous forme de PPP. Néanmoins, il est difficile d’adhérer à cette représentation de courte période. En effet, si l’on replace les trajectoires technologiques dans une plus longue période que celle racontée par le point d’inflexion dû au choc pétrolier de 1974, l’agriculture a toujours été envisagée comme une source de matière première pour l’énergie et la chimie. Aux États-Unis, le mouvement dit de la chemurgy va se traduire par la création, en 1935, du National Farm Chemurgic Council actif jusqu’en 1971 (Finlay [2003]).36 La prospective technologique de la fin des années 1970, qui suit le premier choc pétrolier, ne fait que renouer avec les idées et les espérances technologiques de cette chemurgy. Il est d’ailleurs frappant de constater la similitude visuelle des schémas des années 1999-2005, dessinés pour illustrer les voies de valorisation de la biomasse avec ceux des documents qu’on peut extraire des exercices de prospective de la fin des années 1970 suite au premier choc pétrolier (voir les références données par Chesnais [1981] et son schéma p. 226) : une bonne partie des voies d’« avenir » exposées aujourd’hui l’étaient déjà il y a trente ans.37 34 Cette possibilité de sélectionner la combinaison la plus rentable des matières premières et des procédés de façon quasi instantanée repose sur la vision (fiction ?) d’un outil de production idéal, car parfaitement adaptable aux fluctuations de marché. Elle nous a été décrite dans des entretiens, notamment par Hervé Bichat. 35 On peut citer ici trois grands documents de référence : USADA, « Vision » document Plant/ Crop-Based Renewable Resources 2020: A Vision to Enhance u.s. Economic Security Through Renewable Plant/Crop-Based Resource Use », http://www.oit.doe.gov/agriculture/, doe/ go-10099-706, 1999 ; le document déterminant les grands intermédiaires d’origine agricole (Werpy et Petersen (eds) [2004]) ; la synthèse des opportunités élaborée pour la Commission européenne par Wolf et al. [2005]. 36 C’est l’époque où Henry Ford lui-même fait construire un prototype de Soybean Car en plastique issu de fibres de chanvre et de soja, présenté au public en 1941. 37 Pour remonter plus loin, c’est aussi le cas de Dupont de Nemours, qui produisait le nylon 6-6 à partir de substrats agricoles jusqu’à la fin des années 1950… et qui renoue aujourd’hui avec ces usages et ses derniers 21 Cette remise en perspective historique nous a amenés à réinterroger les savoir-faire de l’industrie alimentaire en matière de cracking. En effet, le retrait relatif du monde agricole de la chimie ne peut seulement être lu comme le produit d’une ère de pétrole peu coûteux (cheap-oil era) qui aurait vu certaines entreprises abandonner leur approvisionnement agricole ; mais il tient aussi à la bonne valorisation sur les marchés, des produits agro-alimentaires intermédiaires, issus du cracking de ressources agricoles. Et ceci avait rendu, en partie seulement bien sûr, inutile pendant un temps, l’effort de valorisation non alimentaire. L’émergence d’un génie industriel dû à l’industrialisation de l’alimentation aboutit en effet, durant les années 1960-1970, à une culture industrielle du fractionnement alimentaire : « Le phénomène des PAI [produits alimentaires intermédiaires] est surtout important par le développement du fractionnement des matières premières (cracking), qui consiste à extraire et à purifier des protéines, des lipides et des hydrates de carbone, ayant des compositions étudiées à la demande des clients : les protéines de soja, caséines, glutens, et les diverses formules de glucose obtenues à partir du lait ou des plantes, se sont multipliées pour entrer dans la composition [de produits industriels]. » (Nicolas et Hy [2000], p. 35.) Les patrimoines collectifs contribuant à une « raffinerie du végétal » pour reprendre l’expression utilisée dans la seconde partie des années 1980 par la profession agricole, ne sont donc pas, loin s’en faut, historiquement organisés autour des carburants, mais autour de produits agro-industriels tels que l’amidon, ayant des débouchés à la fois alimentaires et non alimentaires. Si les carburants liquides prennent cette importance, ceux-ci redeviennent une thématique importante surtout à cause des succès de la PAC, qui conduisent à l’installation dans un univers d’excédents agro-alimentaires structurels, pointée en Europe dès la fin des années 1960 par le plan Mansholt. L’idée de contraintes réglementaires visant à incorporer un minima de « biocarburant » dans l’essence revient d’autant plus naturellement que la profession agricole avait fait jouer ce mécanisme stabilisateur plusieurs durant le XXe s. (Scargell, 2007)38 Les acteurs de l’agriculture industrielle et des agro-industries (par exemple, en France, la coopérative Champagne Céréales –aujourd’hui Vivescia, l’industriel Roquette, ou la multinationale des grains Cargill, etc.) sont donc loin de découvrir les technologies du fractionnement. Ils connaissent bien la variété des débouchés non alimentaires possibles hors des agro-carburants. Ils se sont, au cours du temps, positionnés comme des fournisseurs de l’industrie : leur métier est d’être des producteurs de produits agro-industriels intermédiaires (= PAII) tout autant qu’alimentaires. Ils savent fonctionnaliser ces produits pour des clients de l’agroalimentaire humain (additifs) ou animal (valorisation de sousproduits) ou d’autres secteurs (papeterie, cosmétiques, par exemple). Durant les années 1970, la recherche sur le fractionnement de grands substrats agricoles (céréales, lait et sucres) ambitionnait de recomposer n’importe quel aliment à partir de n’importe quelle matière première. Hudson écrit en 1976 que les substrats agricoles « peuvent être tissés comme des nylons et donner une texture identique à celle de la viande maigre. Les texturized vegetable protein ont été promus avec succès et semblent susceptibles d’avoir un impact croissant sur les marchés alimentaires » (Hudson [1976] ; trad. par nous, p. 579). Il s’agit donc d’une autre type de « biotechnologies » que dans la sous-section précédente, porté par un autre mythe rationnel, celui de la capacité à réduire la matière première d’origine renouvelable « en molécules à façon », et à faire de l’agriculteur un moléculteur (non pas au sens de producteur de molécules à haute valeur pharmaceutique dans l’usage retenu par les québécois, mais de ‘commodities’ à la fois destinés à l’alimentaire et au non alimentaire) : Au cours des années 1980, alors brevets pris sur le renouvelables jusqu’en 1964. Chesnais François. Biotechnologie et modifications des structures de l'industrie chimique : quelques points de repère . In: Revue d'économie industrielle. Vol. 18. 4e trimestre 1981. pp. 218-230. 38 Voir également pour un point sur la polémique biocarburants : Helga-Jane Scarwell « Biocarburant : chronique d’un éternel retour annoncé », Pollution atmosphérique [En ligne], N° 217, mis à jour le : 10/04/2013, URL : http://lodel.irevues.inist.fr/pollution-atmospherique/index.php?id=860. 22 même que le prix relatif du pétrole baisse, la généralisation des excédents alimentaires conduit les acteurs du monde agricole et les chercheurs à théoriser une stratégie de valorisation totale de la biomasse pour pallier à la faiblesse de la valeur ajoutée dans l’agro-alimentaire, par une extension aux « vana » (= valorisations agricoles non alimentaires). Si les rapides avancées de la « révolution biotech » dans les années 1980 vont bien contribuer à démultiplier les espérances technologiques des agro-industries (notre entretien en 2009 avec Hervé Bichat, directeur général de 1990 à 1992 de l’inra), il ne nous semble donc pas possible d’assimiler analytiquement les deux régimes de production de connaissances et d’activités économiques, mais bien d’en analyser les jeux de composition. Les biotechnologies en jeu ne sont d’ailleurs pas toujours les mêmes, entre celles mobilisant des savoirs physico-chimiques pour le fractionnement, plus que des savoirs issus de la révolution biotech, et ceux travaillant au niveau de la cellule « considérée comme manufacture ». Les jeux sémantiques autour du terme « bio » doivent donc à cet endroit être éclaircis : par exemple lorsque nous avons travaillé à la fin des années 1990 sur le champ des brevets liés à ces VANA dans une étude sur ce que les professionnels agricoles qualifiaient de « biopolymères » pour la direction des productions végétales de l’INRA (Nieddu, De Looze, Bliard, Colonna, 1999), nous avons dû constater que le champ était encombré par trois acceptions du terme : la première désignait des polymères naturels (l’amidon par ex.) ; la seconde des polymères obtenus par voie de synthèse chimique, appelés biopolymères car ils étaient compatibles avec le corps humain, utilisés par le corps médical ; ils relèvaient très rarement de voies biotech ; (c’est à cet endroit que le PLA dont la première étape devient biotech, va trouver ses premières applications) ; et enfin nos polymères obtenus par fractionnement de matière première agricole, et recombinaison chimique, dont on attendait des débouchés industriels non alimentaires divers. Les apports de la révolution biotech y étaient très peu perceptibles, et une part non négligeable des brevets avaient été pris par des acteurs de la chimie traditionnelle, au point que nous nous étions demandé s’il ne s’agissait pas tout simplement de « brevets pièges », recyclant des brevets pris à partir des savoir-faire sur le carbone d’origine fossile, et destinés à miner le champ pour ralentir les nouveaux entrants agricoles… L’entrecroisement des trois bioéconomies Le régime de production de connaissances et d’activités économiques de cette troisième bioéconomie fonctionne donc de façon différente. Son backcasting ne part pas de l’hypothèse d’une révolution biotech à laquelle il s’agit de s’adapter, mais de l’hypothèse d’une « Grande Transition » vers l’usage des ressources renouvelables pour l’énergie, la chimie et les matériaux, avec au cœur de cette transition un objet technologique transitionnel jusque dans son étymologie : la bioraffinerie ; malgré la puissance du développement du mythe rationnel de la révolution biotech, celle-ci n’unifie pas les espaces de la médecine/pharmacie et des transformations des ressources renouvelables, même si à chaque fois c’est la transformation du vivant qui est jeu. Le backcasting de la bioraffinerie puise bien sûr dans le registre de la seconde bioéconomie, mais pas seulement. En effet, les grands colloques de bioraffinerie se déroulent le plus souvent avec une partition en sessions parallèles entre les voies thermochimiques et biochimiques. Ce qui montre bien que les acteurs de cette troisième bioéconomie cherchent à constituer le portefeuille de connaissances de leur espace en gardant les options ouvertes, au moins sur les deux voies thermochimique et biochimique. Par ailleurs, la bioraffinerie a été interpellée sur un ensemble de questions relevant de la première bioéconomie.39 La réthorique des carburants de 2ème génération, justement issus de fractions non 39 BANSE «Impact M., VAN MEIJL of EU biofuel H., TABEAU A., WOLTJER G., HELLMANN F. policies on world agricultural production 23 et VERBURG P.H. and land use». alimentaires ou de cultures non alimentaires constitue par exemple une réponse aux interrogations en provenance de cette première bioéconomie, alors qu’on peut se demander légitimement s’il ne s’agit pas d’une façon de rendre soutenable l’effort de recherche inabouti sur la première génération – dans des entretiens avec des biochimistes, ceux-ci répondent que c’est une 1 ½ génération…. Il faut donc imaginer un powerpoint canonique de présentation conclusive d’un projet ayant reçu le soutien de l’Europe, tels que ceux présenté au colloque de Bruxelles de février 2014 comme un exercice de synthèse de grande ampleur (tout à fait remarquable) qui englobe : la présentation de stratégie « multibiomass », une variété de fractionnements, du multiprocess de transformation, une adaptation aux conditions locales, combinée à l’évaluation des débouchés (mise en scène du passage du Lab scale au Demo scale), avec une présence des biotech, même si le projet est à dominante thermochimique, intégrant le cadre légal de l’Union, piloté par les ACV réalisé aux différentes étapes. A la différence de la bioéconomie du second type, dont certaines trajectoires technologiques de la bioraffinerie peuvent se passer, la variable « développement durable » est donc devenue indissociable du développement de la troisième bioéconomie, au moins au niveau des discours (voir tableau ci-dessous). En effet, contrairement à la bioéconomie du second type (révolution biotech), qui se présente comme une « technologie victorieuse » au sens où, après le soutien public à la phase d’amorçage dans les programmes de recherche fondamentale, les blockbusters devraient apporter des sources de revenus miraculeuses, deux questions sont posées à cette bioéconomie du troisième type : d’une part la transition génère des coûts de production en capital fixe aussi importants que dans la chimie, qui reste de ce point de vue une industrie lourde. D’autre part, les produits obtenus subissent la compétition des produits traditionnels d’origine fossile. Il est donc particulièrement important d’isoler ces variables, pour chercher à identifier qui, dans la société, devra porter les coûts de transition (la puissance publique ?, le producteur ? le consommateur ?) ; et qui devra porter ce que les économistes appellent de plus en plus le « green premium price » ?40 Régime de production de connaissances et d’activités économiques : une lecture des résultats de recherche des programmes européens Items relevant d’un trois types de bioéconomie Bioéconomie du troisième Bioéconomie du second type Bioéconomie du 1er type type Partir de la ressource agricole - variété de fractionnements, - présence des biotech vertes ou blanches, même si le - adaptation aux conditions multiprocess de projet est à dominante thermochimique, locales, transformation, une - intégrant le cadre légal de évaluation des débouchés l’Union, (mise en scène du passage du - piloté par des ACV réalisé Lab scale au Demo scale). aux différentes étapes. Exemple de conclusion (repris dans la conclusion de la présentation du projet Suprabio, février 2014) • It is environmentally very beneficial to produce biofuels • The cost of production of biofuel swith current technology renders them uncompetitive •We have been able to identify unit operations that can be further improved to considerably reduce the disparity of production cost with respect to fossil fuels • Despite this, however, a cost parity cannot be achieved unless some policies such as including environmental costs in production costs etc. are introduced Biomass and Bioenergy, vol. 35, n° 6, p 2385-2390. COMMISSION EUROPÉENNE. 2012. « Impact Assessment accompanying the document Proposal or a directive of the European Parliament and of the Council amending Directive 98/70/EC relati ng to the quality of petrol and diesel fuels and amending Directive 2009/28/EC on the promotion of the use of energy from renewable source». HUANG J., YANG J., MSANGI S., ROZELLE S. et WEERSINK A. 2012. «biofuels and the poor: Global impact pathways of biofuels on agricultural markets». Food Policy, vol.37(4) :439-451. 40 Marangon F., Troiano S., New challenges for EU agricultural sector and rural areas. Which role for public policy? Paper prepared for the 126th EAAE Seminar : Capri (Italy), June 27-29, 2012 24 III- La chimie doublement verte : compromis institutionnalisés et régimes de production de connaissances et d’activités économiques Nous allons consacrer notre troisième partie, non pas à une étude de cette troisième bioéconomie, qui supposerait une analyse fine de l’articulation entre l’agriculture de qualité et les développements agroindustriels, mais en isolant ces derniers. Nous sommes d’autant plus conscients de cette simplification que les développements en agro-industries impliquent une réflexion sur la production agricole et la pression qu’elle exerce sur les milieux : par ex. la présentation de Marion Guillou d.G de l’INRA au colloque KBBE de 2010 introduit l’agroécologie à côté des travaux plus liés à la révolution biotech sur le génotypage ou le phénotypage, et des développements industriels. Mais nous souhaitons nous concentrer sur la démonstration de l’existence d’une variété de modèles de développements au sein même des agro-industries.41 En effet, nos résultats sur la « Première Grande Transformation » nous ont rendus prudents quant à la réalité, voire au caractère performatif d’un « dominant design ». D’une part, l’agriculture de qualité aurait pu être emportée par la vague productiviste –dont l’esprit avait contaminé jusque des régions comme le Champagne, où le CIVC devra beaucoup investir pour faire revenir les viticulteurs vers une « agriculture raisonnée » (Menival, 200842). Et ce alors qu’elle va démontrer sa compétitivité lorsque que les excédents agricoles vont déstabiliser l’agriculture productiviste. D’autre part, au sein même de l’agriculture productiviste des agro-industries, différentes configurations se sont maintenues. C’est armés de cette prudence que nous avons abordé l’analyse des dynamiques contemporaines, persuadés qu’il fallait aller au-delà des exercices de roadmaps technologiques – qui sont in fine de bons supports « d’imposition douce » d’un dominant design. Vers une chimie ou des chimies « doublement verte » Lorsque nous nous intéressons à la chimie doublement verte, nous nous intéressons à la fois aux programmes scientifiques et à des entreprises qui cherchent à exploiter les opportunités offertes par l’enjeu de la transition vers l’usage de ressources renouvelables dans la Chimie, en guise de substitut aux ressources pétrolières. Certaines d’entre elles sont des entreprises bien installées, porteuses de patrimoines technologiques et économiques qu’elles souhaitent faire évoluer vers une chimie du végétal, qualifiée parfois un peu rapidement de chimie verte (Colonna, 2006) : il s’agit des grands réseaux des agro-industries contrôlées par les coopératives agricoles, qui créent des filiales dédiées à l’exploration43, ou de grands de la Chimie traditionnelle (tels qu’Arkema) qui se proposent de modifier leurs positionnements dans les chaînes de valeur existantes et d’en faire émerger de nouvelles. D’autres firmes sont des produits de la recherche, et se voient comme les futurs leaders du secteur en émergence. Mais le plus souvent, elles cherchent à tirer avantage de leurs droits de propriété intellectuelle en répondant à la demande et aux besoins des premières, en leur offrant de lever des verrous sur leurs sentiers technologiques. D’autres enfin cherchent à construire leur proposition de 41 Nous réutilisons pour ce faire les résultats de l’ANR AEPRC2V qui a associé économistes et chimistes. L’essentiel de ses résultats ont été présenté pour partie dans Nieddu & Vivien, 2012, et dans l’article à paraitre dans la revue économique disponible actuellement sous Cairn (Nieddu & alii, 2014). Les résultats proprement chimiques ont été présentés au IIème congrès ISGC2 de Green Chemistry en mai 2013 (Nieddu & al. 2013). La méthode transdisciplinaire (démarche narrative & focus group) pour y parvenir est décrite dans l’article à paraitre dans Natures, Sciences, Sociétés (Nieddu, Vivien & alii, 2014). L’analyse des business models a été faite dans Nieddu, Hernandez, Van Niel (Working paper no publié, 2014). 42 Menival, D., (2008), Les conditions efficientes nécessaires à la mise en place de la viticulture raisonnée en champagne viticole, Thèse en sciences économiques, URCA, UFR de Sciences Economique et de Gestion. 43 Nous évoquerons plus loin le cas emblématique d’ARD. Cette Société par actions créée par le réseau des grandes coopératives céréalières (Siclae) et sucrières (Cristal Union) du Nord-Est de la France conduit une recherche mutualisée, et porte des démonstrateurs industriels, afin d’ouvrir de nouvelles voies de valorisation aux productions de ses actionnaires (céréales, betteraves à sucre, luzerne, oléagineux...). Ceci l’amène à être reconnue, en décembre 2009, en tant que plateforme d'innovation ouverte contractualisée par le Ministère de l'Industrie. 25 valeur en mettant tout particulièrement l’accent sur les défis environnementaux, cet argument étant alors placé au cœur de la cohérence de la narration de leur BM. C’est par exemple le cas de Novamont, entreprise italienne qui a reçu le prix European Inventor of the Year de l’office européen des brevets en 2007, sur laquelle avons fait un focus particulier dans un article pour Biofutur (Nieddu et al. 2013), car il nous a semblé que Novamont cherchait précisément à promouvoir une « bioraffinerie sans biocarburants. » Les opportunités offertes par la crise de légitimité de la Chimie traditionnelle vont alors constituer un élément stratégique pour les démarches narratives des firmes qui réintroduisent ici des dimensions empruntées à la première bioéconomie : en effet, considérée comme le secteur polluant par excellence, et dotée d’une image particulièrement dégradée auprès du public, la Chimie cherche désormais à faire figure de pionnier en matière de prise en compte des préoccupations environnementales. Ceci s’est traduit par l’élaboration par l’Agence US de l’environnement (EPA), au cours de la décennie 1990 de douze principes de chimie verte. Ce terme de chimie verte (green chemistry) – « verte » étant à comprendre ici au sens de « à visée environnementale » – s’est imposé au point que les douze principes sont aujourd’hui connus de l’ensemble des chimistes (Maxim, 2012; Llored, 2013). La mobilisation des ressources végétales renouvelables répond au septième des douze principes de chimie verte, mais ne suffit pas à elle seule à garantir le coté « vert » de ses process et de ses produits. D’où l’émergence de la problématique sectorielle que nous avons qualifié de Chimie « doublement verte » (C2V) (Nieddu, Garnier, & Bliard, 2010; Nieddu, Garnier, & Brulé-Gapihan, 2012) : c'est-à-dire une industrie de la chimie dont la proposition de valeur repose sur le fait de chercher à rendre les usages des ressources végétales renouvelables soutenables (pour la filière industrielle selon les uns et du point de vue environnemental selon les autres. Ce que nous appelons chimie « doublement verte » comprend donc des activités d’entreprises, mais aussi l'ensemble des dispositifs scientifiques ou socio-économiques mobilisés par celles-ci que nous avons qualifiés de patrimoines productifs collectifs (Nieddu, et al., 2010). En effet, ces dispositifs, dédiés à l’émergence des technologies de substitution des produits fossiles par des matières premières renouvelables issues de l'agriculture et de la foresterie, sont parties prenantes de l’émergence organisationnelle des firmes et de la mise en forme de chaînes de valeur. La recomposition du secteur, dont le pourtour n'est pas encore stabilisé, met en relation à travers la bioraffinerie des cultures agricoles dédiées et une partie des secteurs de l'énergie, de la chimie et des industries agroalimentaires (additifs et alimentation animale) ou papetières. III.1 Quelle variétés de compromis institutionnalisés dans les régimes de production de connaissances ? Dans un schéma devenu aujourd'hui canonique, Octave & Thomas (2009) présentent la bioraffinerie comme le segment formé par les deux étapes allant de la biomasse à sa première transformation (par extraction / séparation ou fractionnement / cracking), puis de cette étape à une deuxième transformation. Ce segment aboutit à la livraison de « produits agro-industriels intermédiaires » (que les acteurs souhaitent aussi variés que des acides gras, des amidons modifiés, des élastomères, des fibres, des résines, des sucres, des antibiotiques, des vitamines, des polymères ou monomères, des surfactant, des acides organiques, des alcools, etc.). La bioraffinerie comme modèle économique sectoriel Il s'agit donc de "demi-produits" au sens de Le Masson, Weil, & Hatchuel (2006) : des produits dont certains paramètres sont validés tandis que d’autres restent ouverts à l’exploration et à la variété. Ceuxci vont devoir réussir leur combinaison avec d'autres technologies ou savoir-faire dans des industries aussi diverses que l'énergie, la cosmétique, la métallurgie, l'industrie du papier, la construction, la 26 pharmacie, l'industrie du bois, le traitement des pollutions ou la plasturgie. Comme indiqué plus haut, c’est la nécessité de fonder les nouvelles relations économiques sur des connaissances partagées, des outils communs, et la mobilisation de communautés d'acteurs d'origines différentes dans des régimes de production de connaissance et d’activités spécifiques qui nous a conduits à proposer d'observer les dynamiques en cours en termes de reproduction et de formation de patrimoines productifs collectifs (Bliard et al., 2011; Nieddu & Vivien, 2012; Nieddu, Garnier, & Bliard, 2014). Nous avons vu que les leaders du traitement des agroressources et des institutions telles que le département de l’agriculture américain (USDA), son département de l’énergie (US DOE) et la Commission européenne ont cherché à réduire l’incertitude radicale sur les technologies futures en travaillant de concert à la structuration d’une « vision du futur » de l’usage des ressources renouvelables. Cela ne signifie pas pour autant que ce dominant design sectoriel va produire un seul type de modèle économique, au moins pour deux raisons : D’une part, les acteurs vont se positionner de façon différente en fonction du type de proposition de valeur qu’ils apportent dans l’architecture de valeur globale du dominant design. D’autre part, certains acteurs ne se reconnaissent pas dans ce dominant design ; de la diversité de business models reposant sur des compromis de gouvernement d’entreprise différents, mais s’intégrant dans le même régime, il faut donc passer à une diversité entre régimes. En particulier, des propositions de valeur autres que la production de biocarburants et de produits chimiques identiques à ceux existant en pétrochimie, destinés à être échangés sur les marchés de commodities de la chimie de base vont s’appuyer sur d’autres régimes de production de connaissances.44 Cette section a donc pour objectif d’identifier ces différences. En effet, le travail collectif de construction de la « vision du futur » de la bioraffinerie a consisté à introduire dans le récit de proposition de valeur qui va constituer le modèle de développement, l’idée que les ressources renouvelables peuvent et doivent remplacer les ressources fossiles utilisées par la pétrochimie pour fournir les mêmes carburants liquides et grands intermédiaires que cette pétrochimie propose à la chimie de spécialité. Dans cette organisation productive structurée par les carburants liquides, il s’agit, par mimétisme avec la pétrochimie, de chercher à tirer des « coupes » de cracking la gamme la plus complète possible de co-produits des biocarburants. Les exercices dits de roadmaps technologiques ont donc cherché à identifier les grands intermédiaires connus de la pétrochimie, qui pouvaient être rapidement substitués par des structures moléculaires identiques d’origine biosourcée. Un de ces exercices sert aujourd’hui de référence, car il a conduit à l’identification d’un « top 10 » de produits considérés comme atteignables à relativement court terme dans des conditions économiques acceptables : Ce document déterminant les grands intermédiaires d'origine agricole prioritaires (Werpy & Petersen, 2004) est régulièrement revisité et la liste soumise à des variations tenant à celle des espérances et des déceptions rencontrées (Bozell & Petersen, 2010). C’est autour de ce « top 10 » que la course aux brevets s’est concentrée. Et certains auteurs plaident pour une « chimie de réduction » de la biomasse à des structures chimiques allant du C1 au C6 pour obtenir ce « top 10 » et de refaire l’ensemble des fonctionnalités atteintes par la chimie du pétrole (De Jong, 2014, et pour une présentation pédagogique voir le cours de P. Colonna à la chaire de développement durable de l’EHESS, 2011-2012). Variété des régimes de production de connaissances …articulés à des patrimoines Or cette chimie renvoie à l’idée qu’il est nécessaire de fractionner en éléments simples (que ce soit par voie enzymatique ou thermochimique), puis purifier et reformer –ce qui est un des fondements de la chimie moderne, là où l’alimentaire a plutôt eu tendance, après avoir renoncé au grand mythe du 4444 Parfois d’ailleurs moins prestigieux dans les affrontements du champ académique et ses subtiles hiérarchies – qui ne sont pas toujours celles du monde économique, loin s’en faut. Les biotechnologies de la révolution biotech, et la catalyse y occupent le haut du pavé, devant la métathèse, et la nouveauté scientifique conduit à des cycles parfois excessifs comme on a pu le voir dans le cas des promesses exagérées sur les liquides ioniques « vendus » par leur communauté comme les solvants verts par excellence. Voir dans notre ANR, Epiccoco et alii, 2012)… 27 fractionnement total évoqué plus haut, à limiter son fractionnement et sa purification aux objectifs fonctionnels –d’autant que ces impuretés que sont les oligoéléments conservés dans les processus d’extraction présentent quelque intérêt organoleptique. Par analogie, l’on a cherché dans la chimie, la même stratégie « d’extraction douce » de structures macromoléculaires complexes, que le chimiste n’a pas intérêt à destructurer, mais plutôt à accompagner sa fonctionnalisation –suivant là une piste ouverte par Bensaude-Vincent (2005). On obtient alors un tableau différent du dominant design dont nous avons testé en focus group et congrès ISGC2 la pertinence pour les chimistes : On s’aperçoit que chaque patrimoine productif cherche à composer avec les principes de chimie verte qui jouent ici le rôle d’institutions non contraignantes, car il s’agit de normes incitatives. La conception de nouveaux produits se fait, non pas en appliquant les 12 principes, mais en sélectionnant les principes par lui atteignables : dans le schéma ci-dessous, on a indiqué les principes mobilisés prioritairement dans les régimes de production de connaissances de chaque patrimoine. Ainsi l’usage de la catalyse (principe 9 de chimie verte pour économiser l’énergie consommée dans les réactions) est nécessaire pour rendre soutenable économiquement la thermochimie, l’argument environnemental venant alors s’adapter au considérant économique. 28 III.2. Des régimes de production de connaissances aux activités économiques 45 Si la logique de proposition de valeur dominante en C2V est l’exploitation des avancées scientifiques dans le raffinage de la biomasse pour atteindre « la complète dégradation de la biomasse en petites molécules [dits building blocks, ou molécules plate-formes, de façon à] réutiliser les chaînes de valeurs existantes – le scénario le plus économique à première vue » (Marquardt, Harwardt, Hechinger, Kraemer, Viell, & Voll, 2010: 2228, la traduction est de nous), les BM des entreprises à l’intérieur de tels régimes vont se différencier, tandis que les autres patrimoines productifs vont susciter d’autres BM. C’est à cet endroit que l’on peut voir que les régimes de la 3ème bioéconomie ne sont pas assimilables à ceux issus de la révolution biotech. Des Business Models des macroacteurs à la création d’entreprises d’exploration En effet, la première figure que nous avons rencontrée peut être qualifiée de macroacteurs car ils combinent exploration de leur BM et investissement dans la problématisation du secteur et dans la construction institutionnelle du modèle économique pour ce secteur. Il s’agit, dans le cas français, de grandes entreprises des agro-industries (Roquette Frères, un des leaders mondiaux de l’amidonnerie, de grands réseaux de coopératives (en France : Sofiprotéol, l’acteur financier et industriel de la filière française des oléagineux ; Siclaé, regroupement des grandes coopératives à dominante céréalière ; Cristal-Union, groupe coopératif spécialisé dans la transformation de la betterave), en Europe du Nord ou du Canada ou de papetiers historiques. Celles-ci cherchent à tisser des liens avec les acteurs industriels historiques de la chimie, pour les attirer dans l’exploration commune de la substitution des molécules issues de matières premières fossiles par des molécules identiques obtenues à partir de produits d’origine renouvelables46. Ces acteurs sont 45 On réutilise ici la seconde partie d’un article actuellement soumis à une revue de management cf. Nieddu, M. Hernandez, Van Niel, working paper REGARDS, 2014) 46 On retrouve cette stratégie dans la constitution de l’Association de la chimie du végétal, dans une problématique d’entrepreneuriat institutionnel, « qui réunit les acteurs économiques des agro-industries, de la chimie et de leurs industries clientes en aval, pour accélérer le développement d’une chimie fondée sur l’utilisation de ressources végétales en France et en Europe. » (http://www.chimieduvegetal.com/) 29 issus de la pétrochimie (Braskem au Brésil, pour l’éthanol destiné à produire de l’éthylène biosourcé) ou de la chimie, tels que Dupont de Nemours (avec le 1,3 PDO, pour produire des polyesters et de l’acrylique) et Arkema (avec un acide acrylique produit de longue date à partir d’huile de ricin, mais cette caractéristique « verte » était autrefois passée sous silence dans l’identité du produit). Pour certains de ces acteurs, les développements économiques se traduisent par des réaménagements profonds, sans qu’il y ait pour autant émergence d’une nouvelle forme organisationnelle – si ce n’est à travers les joint-ventures que l’on va étudier plus loin.47 Par exemple, Roquette Frères, entreprise française à capitaux familiaux, avait une proposition de valeur fondée à l’origine sur ses liens avec des clients spécifiques, dont elle connaît intimement les besoins, et qu’elle fournit en gré à gré, à partir d’un portefeuille de plus de 1000 produits fonctionnalisés. Nous disposons de témoignages 48 sur la profondeur de la révision de l’identité de la firme, lorsqu’elle décide de s’orienter vers la production pour un marché anonyme des commodities de produits chimiques (acide succinique, méthionine…). Les grands réseaux de coopératives se caractérisent pour leur part par l’émergence organisationnelle de business unit la business unit « chimie du renouvelable » dédiées à l’exploration de la nouveauté. Par exemple, Sofiprotéol a créé Novance en 1996, de façon à disposer d’une filiale dédiée à la recherche, adossée à une filiale de production acquise par croissance externe (Oleon). Elle est adossée aujourd’hui à un institut d’excellence dans la chimie du végétal (Pivert), retenu parmi les « Investissements d’avenir », avec un budget de 220 millions d’euros sur 10 ans. Dans le même esprit, le réseau des coopératives céréalières et sucrières du nord-est a créé ARD dès 1989, essentiellement comme structure de recherche privée mutualisée dont les avancées scientifiques doivent se traduire en essaimage de filiales de production49. Suite à la création de B.R.I. (Bioraffinerie Recherche et Innovation), ARD a été reconnue en décembre 2009 plateforme d'innovation ouverte contractualisée par le Ministère de l'Industrie. Cette plateforme dispose d'équipements de laboratoires, d'installations pilotes et d'une unité de démonstration industrielle (BioDémo). On peut donc considérer que les coopératives ont théorisé un Business Model d’exploration à différents niveaux, y compris celui de la formation de patrimoines productifs collectifs. Mais, dans ce que Marc Roquette (2010) qualifie de « métier de turfiste », les incertitudes sont telles que les macroacteurs sont conduits à laisser une partie du risque d’exploration à des entreprises de connaissance, et c’est en cela qu’on rejoint le modèle de la 2ème bioéconomie. Ils cherchent alors, à travers les joint-ventures, à assembler les compétences complémentaires permettant de donner du sens aux demi-produits qu’elles cherchent à promouvoir. Des Business Models « génériques » de mimétisme avec les biotechnologies rouges La dynamique de la « révolution biotech » a conduit ces acteurs à chercher à transférer des avancées visant des marchés à très haute valeur ajoutée dans le domaine médical ou pharmaceutique vers d’autres domaines de transformation non alimentaires des ressources issues du vivant (végétaux mais aussi graisses et protéines animales). Les travaux réalisés par Mangematin (2003) et Catherine & Corolleur (2001) sur les PME de biotechnologie dans le domaine de la génomique et du développement de médicaments fournissent donc les éléments d’une grille d’analyse qu’il est possible de transposer en « biotechnologies blanches ». En effet, à coté d’entreprises leaders, historiquement installées sur ce segment, telles que Novozymes, la C2V va être, elle aussi, traversée par des dynamiques de création de nouvelles entreprises fondées sur la « révolution biotech ». Les innovations de ces firmes peuvent 47 C’est le cas de DuPont, qui se fixa en 2005 comme objectif de réaliser 25% de ses revenus à partir de produits issus de ressources renouvelables, et d’Arkema, qui revendiquait en 2007 d’avoir fait de la chimie verte le fer de lance de sa stratégie de recherche et d’innovation. 48 Nos entretiens et les interventions de Marc Roquette (2010) à l’académie d’agriculture et à l’école de management de Paris. 49 Wheatoleo, pour les marchés de la détergence, et de la phytopharmacie, et Soliance, dans laquelle sont logés des outils de développement industriel pour des ingrédients actifs pour la cosmétique et la pharmacie. 30 porter sur des technologies d’extraction de la biomasse (catalyseurs, enzymes, levures…), sur de nouvelles formulations de composés chimiques (polymères, réactifs, plastifiants…), sur le développement de nouveaux procédés (microréacteurs, réactions « Batch » ou en continu, extrusion réactive, irradiation…), etc. Comme l’indique Mangematin (2003: 190), « l’hétérogénéité [des BM] des firmes du secteur des biotechnologies s’apprécie […] par rapport à […] l’ambition de leur projet d’innovation et aux ressources mobilisées pour le mener à bien ». A l’image des biotechnologies rouges, les firmes de la C2V peuvent être alors catégorisées sous la forme de grands types de BM génériques. Le premier grand type est celui de « la start-up victorieuse » : une entreprise de connaissances qui revendique d’ouvrir la voie à une substitution majeure d’une ou de molécules d’origine pétrolière ou l’innovation de rupture permettant de rendre économiquement viable le couteux cracking de la biomasse. Ces entreprises, de par les espérances technologiques qu’elles soulèvent, sont capables de lever des fonds importants de capital-risque et d’attirer des aides publiques en faisant miroiter le fait que la mise sur le marché d’un « blockbuster » est à portée de main 50. A coté de ces modèles d’entreprises de connaissance fondées sur de fortes promesses technoscientifiques, se développent des entreprises qu’on peut apparenter aux modèles pure player du secteur de l’Internet. Elles ne revendiquent pas un modèle de blockbuster pouvant trouver une variété d’applications, mais cherchent à porter jusqu’à son terme une activité centrée sur un produit spécifique ou sur une prestation de service spécialisée (à partir d’un catalyseur, ou d’un produit intermédiaire spécifique…). Le marché visé est ainsi typiquement une niche inexploitée.51 Le plus souvent, une exploration par joint-ventures et stratégies de portefeuilles d’options Les deux caractéristiques du secteur (proposition de valeur sur des semi-produits et « économie de turfistes ») conduisent les entreprises à chercher à composer les assemblages de ressources par un jeu intense d’alliances qu’il faut considérer comme partie prenante de la dimension exploratoire des régimes de production de connaissance et d’activités. Ces alliances prennent la forme d’accords de partenariat ou de joint-ventures (au sens strict de co-entreprises) mariant de grandes familles de compétences. Un premier type correspond à des joint-venture entre grands chimistes et leaders des agro-industries et peut être qualifié de « mariage entre géants ».52 Un deuxième type relève des accords de partenariat ou des joint-ventures tissés par des entreprises de connaissance qui revendiquent une propriété intellectuelle sur des blockbusters avec les macroacteurs. Les entreprises de connaissances essaient de diviser leur portefeuille d’activités et les technologies qu’elles portent en une diversité d’accords spécifiques sur des produits particuliers répondant aux besoins des macro-acteurs, et sur lesquels ces macroacteurs peuvent faire des essais en démonstrateurs industriels ; des couples se forment alors, chaque macroacteur cherchant une 50 La presse s’empare successivement, en se focalisant sur l’une d’entre elles, des espérances liées aux promesses de ces entreprises. En France, Metabolic Explorer a t été l’entreprise phare du début des années 2000. Deinove revient cycliquement sur le devant de la scène ; en 2012-2013, c’est Global BioEnergies qui prend le pas médiatique, avec des promesses notamment sur le blockbuster isobutène. Avec un chiffre d’affaires semestriel annoncé par l’entreprise à 576 000 euros, l’entreprise a levé 23 millions d’euros sur le NYSE Alternext Paris, en juin 2013 et recueilli 5,2 Millions d’aides directes d’Etat. 51 Végéplast, fabricant de composites biosourcés, biodégradables et compostables à partir de maïs plante entière, est un exemple représentatif de ce type de firmes érigées autour d’un produit. L’agro-matériau composite VEGEMAT® lui permet d’explorer un ensemble de marchés pour ses composites thermomoulés ; l’entreprise s’étant notamment rendue célèbre en emportant le marché de la mise au point de point de capsules de café, visant à s’attaquer à la rente de monopole technologique de Nestlé. 52 : Cargill le fait avec Dow Chemicals pour valoriser à travers Cargill Dow LLC le semi-produit phare des années 1990, le PLA, mis au point par la filiale de Cargill, Natureworks (cf. Gruber, 2003); DuPont le fait avec Tate & Lyle à travers DuPont and Tate & Lyle BBioProducts LLC pour une ligne de produits appelée Susterra®, qui propose des précurseurs de polyesters et de polyuréthane à base de 1,3-propanediol. 31 entreprise de connaissances qui lui apporte une capacité à explorer l’un des blockbusters attendus du top 10. Par exemple, sur l’acide succinique, alors que l’américain Myriant développe une technologie propriétaire, BioAmber S.A.S va être (provisoirement) une joint-venture entre ARD et l’américain DNP Green Technology sur une technologie DNP Green Tech dont les droits de propriétés proviennent d’une licence sur des brevets de l’US DOE. Tandis que sur le même produit, Roquette va s’allier avec l’université Rice pour disposer de ses brevets et les mobiliser dans Reverdia, une joint-venture avec l’entreprise néerlandaise Royal DSM, spécialisée en sciences de la vie et sciences des matériaux. L’histoire de Bioamber éclaire donc cette dynamique autour des droits de propriété. Après avoir racheté les parts d’ARD, les anciens de GNP dans Bioamber tissent un ensemble de liens qui passent (1) soit par des joint-venture : avec Mitsui & Co, pour la commercialisation et le développement industriel en Asie ; avec Lanxess Deutschland GmbH, pour du développement de lignes de produits ; avec le groupe sucrier Tereos ; avec NatureWorks (on a ici un exemple de co-entreprise avec une coentreprise) (2) soit par des accords de fourniture exclusive : avec PTT-MCC Biochem, une coentreprise formée par PTT PLC et Mitsubishi Chemical ; avec le couple Mitsubishi Chemical / Faurecia. Alors que, dans le même temps, ARD poursuit ses opérations d’exploration des blockbusters possibles du top 10, en s’alliant avec le chimiste Arkema et GlobalBioenergies, la « start-up victorieuse » montante. Parallèlement, il est apparu que si les macroacteurs s’inscrivent bien dans la vision du futur dessinée par la substitution terme à terme de molécule d’origine pétrolière, en espérant se positionner sur les produits intermédiaires dessinés dans l’exercice de prospective ayant abouti à la liste du « top 10 » des blockbusters attendus, ils n’en viennent pas pour autant à négliger les patrimoines productifs issus de l’alimentaire : Soliance et Oleon explorent pour Sofiprotéol ceux de l’oléochimie ; Roquette va compléter sa gamme de produits, en développant le programme GaïaHUB en interne en vue de recréer de la recherche sur la fonctionnalisation de l’amidon ; DuPont rachète Plantic Technologies, une société australienne « pure player » aux savoir-faire proches de ceux de Vegeplast. Aux tâtonnements des entreprises de connaissances répondent donc ceux des macroacteurs. Figure 1 : Synthèse sur la diversité des dynamiques exploratoire des firmes de la chimie « doublement verte » (réalisation Estelle Garnier & Martino Nieddu repris dans Nieddu, Hernandez, Van Niel, working paper 2014) 32 DYNAMIQUES EXPLORATOIRES Acteur historique « Macro-acteur » Nouveaux entrants « Entreprises de la connaissance » Type d’acteurs Agro-industrie et papeterie Création de business unit Portefeuille de stratégies mobilisées dans une dynamique exploratoire Cas le plus abouti : plateforme d’innovation ouverte avec 3 propositions de valeur construction collective du secteur ; exploration de nouveaux produits ; prestation de service Equation de revenu : rémunération de la création de patrimoine collectif ; mutualisation du financement ; aides publiques Ex : Grands réseaux coop. pour Novance et Oléon, ARd(qui crée elle- même ses filiales de production Wheatoleo, Soliance) Entreprises fondées sur une promesse (technologique, de procédés, etc.) explorant différentes hypothèses scientifiques, technologiques et/ou commerciales Chimie et pétrochimie Joint-venture, collaboration, licencing Joint venture de macroacteurs exemples -Cargill + Dow Cargill Dow LLC (valorise le PLA de la filiale de Cargill : Natureworks) - Dupont + Tate and Lyle : Dupont and Tate and Lyle Bioproducts LLC - Reverdia = DSM+Michelin - Futerro =Galactic+Total JV avec firme de connaissance Partage de la gestion des risques exploratoires sur un produit. Pas de remise en cause des identités orga. respectives. Matrìca, Beta Renewables, Bioamber (au début), Novvi JV Novamont/ genomatica ou accords partenariat Roquette/Meta bolic Explorer BM Start-up « victorieuse » BM Start-up « pure player » Revendique des innovations de rupture rendant économiquement viable la transformation des process ou qui ouvrent la voie à des substitutions majeures. Revendiquent de multiples usages Elles lèvent des fonds Pas de modèle de blockbuster avec de nombreux débouchés mais exploite jusqu’à son terme une activité centrée sur un produit importants. Ex : Genomatica, Metabolic Explorer Verdezyne, Deinove Global BioEnergie Carbios, Fermentalg Oligose, Amyris,, Myriant, Gevo, Algenol Ex : Vegemat, Plantic (racheté par DuPont) BM d’entreprises de connaissance s’organisant en Entreprises de Service Exemples : Fournisseurs de tests et mesures Ou de Produits spécifiques nouveaux tels que : - liquides ioniques, - catalyseurs - produits chimiques à façon (ex : Innov’orga) Ou de - matériels spécifiques tels que circuits microfluidiques entrant dans l’intensification des process chimiques Mobilisation possible par un même acteur de différentes stratégies exploratoires dans un logique de portefeuille, dans divers projets III.3. Le cas Novamont : un illustration de la recherche de compromis stables entre les différentes bioéconomies « Nous étions pionniers dans la création d’un marché des bioplastiques à partir de zéro, et avons transformé un centre de recherches en une activité lucrative prospère, désormais reconnue comme un leader mondial dans le domaine des matériaux biodégradables » (Catia Bastioli, DG de Novamont, , entretien dans le Il Bioeconomista (Bonaccorso, 2013, notre traduction). Notre intérêt pour Novamont tient d’abord au fait qu’il aurait été possible de l’assimiler aux macroacteurs du secteur en émergence de la chimie « doublement verte ». Elle en présente en effet certaines des caractéristiques : l’entreprise a l’oreille de Bruxelles – elle vient de contribuer activement au montage du Partenariat européen Public Privé Bridge 2020, d’un montant de 3,8 milliards d’euros où elle se retrouve avec les autres entreprises historiques du secteur – et elle a compté parmi ses PDG, en la personne d’Umberto Colombo, un ministre italien des Universités et de la recherche, qui avait reçu le Honda Foundation's award for ecotechnology en 1984, reconnaissant le caractère visionnaire de ce membre du Club de Rome,. Mais il aurait également été possible de la classer parmi ces entreprises de connaissances si caractérisitiques des biotechs – elle a reçu en 2007 le prix de l’inventeur européen de l’Office Européen des brevets – ou parmi les « pure players » du secteur du fait de son choix délibéré d’autolimitation de ses marchés-cibles : dès la deuxième partie des années 1980, les chercheurs qui en constituent le noyau dur développent des produits de chimie du végétal, puis obtiennent la création d’une business unit de recherche qui explore la fabrication de résines plastiques biodégradables à partir d’amidon modifié. Un précurseur, mais une adhésion tardive au concept de bioraffinerie 33 Alors qu’un rapprochement entre l’agroalimentaire et la chimie industrielle n’était guère considéré comme un modèle convaincant au début 1980, le dirigeant de Feruzzi, R. Gardini eut l’intuition qu’il pouvait construire un conglomérat explorant la synergie entre les deux secteurs en rachetant un pan de la chimie italienne. Il créa à partir des laboratoires de la holding en 1989, une première business unit (Fertec), dans laquelle furent mis en commun des brevets touchant aux lubrifiants, détergents, et aux matériaux à faible impact environnemental. Novamont créée en 1990, sera chargée du développement des produits Fertec. La chute de Gardini et son suicide auraient pu emporter la business unit. Afin de ne pas voir disparaître le résultat de plusieurs années de travail, une équipe de chercheurs menée par Catia Bastioli partit à la recherche « d’investisseurs n’ayant pas peur de parier sur un projet que beaucoup considéraient alors comme voué à l’échec » (Novamont, 2001). Ils convainquirent un grand fonds d’investissement italien (Investitori Associati) de devenir la tête d’un consortium financier qui reprend la business unit. Novamont reçut ainsi les moyens de développer une stratégie de long terme autour de son produit phare, le Mater-bi. L’entreprise commença à enregistrer ses premiers résultats d’exploitation bénéficiaires en 2001, qui permis l’ouverture d’une ligne de fabrication à Terni, d’une qualité de MaterBi adaptée à des films de paillage agricoles biodégradables. Malgré une stagnation de son chiffre d’affaires en 2008 et 2009, Novamont continua d’augmenter sa capacité de production. En 2012, la capacité de production de Novamont fut portée à 120 000 tonnes par an, pour le Mater-Bi, et à 70 000 tonnes par an, pour un composant clé de ce mater-bi : l’Origo-Bi (Bastioli, 2012:3). La même année, l’entreprise annonçait le lancement de Matrìca, une vaste bioraffinerie de 3ème génération, construite dans le cadre d’une joint-venture 50/50 avec Polimeri Europa (filiale du grand chimiste italien ENI, rebaptisée depuis Versalis) sur l’ancien site pétrolier de Porto Torrès (Sardaigne), « destinée à la production de bio-monomères, biolubrifiants, bio-fillers (pour pneus à faible résistance au roulement), bio-additifs pour élastomères, et biopolymères à partir d’huiles végétales et de biomasse lignocellulosique » (Eni & Novamont, 2011a; 2011b). On peut donc voir que si l’entreprise compte parmi les précurseurs du secteur, elle ne revendique pas la production de biocarburants et n’adhère à la bioraffinerie dans son discours, qu’en 2007 -moment où ele prend la mesure des dangers de son absence dans deux grands programmes stratégiques de la Commission Européenne de mise en forme du concept de bioraffinerie, Biopol and Biorefinery Euroview (2007-2009). Cette adhésion tardive renvoie à deux caractéristiques particulières : elle se refuse à tenir le discours de course aux économies d’échelle typique de la raffinerie (Thomas & Octave, 2013) ; et elle n’adhère pas au modèle destiné à mimer la chimie du pétrole, et au couple [carburants liquides/coproduits], ce qui nous a amenés à qualifier son modèle de « bioraffinerie sans biocarburants » (Nieddu, et al., 2013). Une proposition de valeur en décalage par rapport aux voies dominantes du secteur Si Novamont n’adhère que partiellement au vocabulaire de la bioraffinerie, c’est probablement parce que l’essentiel de ses procédés technologiques relèvent d’un des patrimoines productifs collectifs minoritaires de la C2V (notre PH4 dans le schéma plus haut – en l’occurrence le traitement de l’amidon par déconstruction limitée et fonctionnalisation, pour activer des fonctionnalités spécifiques (hydrophobie, et biodégradabilité en particulier). Mais elle va théoriser cette spécificité et en faire un argument d’identité et de marketing énergique de la firme. Sa PDG Catia Bastioli déclarait en 2013 dans un entretien : « Novamont a mis fortement l’accent sur le rôle clé des bioraffineries intégrées au territoire. L’objectif est d’agir en synergie avec la biodiversité locale et l’écosystème à travers une coopération … avec tous les acteurs de la chaîne de valeur, tels que les agriculteurs, les autorités locales, les centre de R&D et la société » (Bonaccorso, 2013, la traduction est de nous). De même, lorsque lui fut conféré le titre de Laurea Honoris Causa en Chimie Industrielle par l’Université de Gênes, le 4 juillet 2008, elle énonce clairement ce qui pour elle relève de différences paradigmatiques : « En substance, on a le choix entre deux alternatives. On peut choisir de décider de se concentrer sur un petit nombre de cultures industrielles et un petit nombre de substances chimiques en mimant la chimie du pétrole. Dans un tel cas, l’espace pour la croissance de nouvelles petites et moyennes entreprises nées de la 34 recherche serait très improbable et les multinationales prendraient un rôle encore plus important. [La seconde solution consiste à] pousser la biodiversité des territoires, en multipliant les opportunités qui émergent de l’étude de diverses matières premières végétales et de déchets locaux dans des logiques de filières intégrées, en minimisant les transports et en maximisant la création de circuits de la connaissance et de projets intégrés avec les divers interlocuteurs locaux : universités, instituts de recherche, volontariat, monde agricole, institutions et petites et moyennes entreprises. La seconde alternative n’exclut pas la première, mais concentre les ressources et les lignes stratégiques sur des systèmes vertueux dans lesquels l’épargne des ressources devient le point essentiel du développement des territoires » (Bastioli, 2008: 11, la traduction est de nous). Ce positionnement va en effet conduire l’entreprise à construire un discours rigoureux d’exploration de la cohérence de sa proposition de valeur, non seulement d’un point de vue économique, mais aussi environnemental. Il ressort de nos entretiens (avec plusieurs membres de l’entreprise, dont son DG France et son responsable de la recherche et avec des concurrents) ainsi que de la communication de l’entreprise, la formation d’un corps de doctrine très élaboré en la matière : L’usage d’une matière première d’origine agricole renouvelable n’est pas considéré par l’entreprise comme désirable en soi. Il ne l’est que lorsque les stratégies de recyclage sont en échec, par exemple quand, du fait de la présence de résidus alimentaires, le recyclage du produit final est rendu difficile ou non-économique, ou quand les risques de dispersion dans l’environnement sont élevés (Bastioli, 2008). Il n’est ainsi guère cohérent selon le responsable de la recherche de Novamont, de « verdir » le contenu des bouteilles en plastique (PET) en les réalisant à partir d’éthanol biosourcé (à plus forte raison s’il s’avère, pour des raisons techniques, qu’elles ne puissent l’être qu’à hauteur de 70 ou 80%), puisque la question de leur recyclage en fin de vie est désormais traitée de façon efficace, suite aux efforts qui ont été déployés pour mettre en place des dispositifs de collecte et de recyclage. 53 Novamont s’impose donc de développer une politique produit cohérente, quitte à se couper du marché potentiellement très important des bouteilles de soda en PET biosourcé, sur lequel s’est par exemple récemment engagée l’entreprise néerlandaise Avantium, en partenariat avec des multinationales telles que Danone et CocaCola. On peut considérer que l’annonce par Avantium, le 14 novembre 2013, d’essais réussis de fabrication de T-shirts à partir de matériaux issus intégralement du recyclage de sa bouteille en PEF (polyéthylène biosourcé + plastifiant d’origine végétale substituant les téréphtalates) comme une réponse quasi-directe à la communication de Novamont. En effet, l’argument d’Avantium est que son PEF réussit à apporter exactement toutes les qualités structurelles et fonctionnelles du PET pétrosourcé. En fait, la spécialisation à laquelle conduit le choix de proposition de valeur de Novamont (l’offre de résines bioplastiques biodégradables et compostables) ne va pas de soi, si l’on se réfère à « l’économie des promesses » du secteur. Dans une étude réalisée par l’association European Bioplastics (2012), le marché des bioplastiques (attendu dans le cadre de ces promesses) devrait exploser et être multiplié par 5 entre 2011 et 2016. Mais cette progression devrait être essentiellement portée par les substituts du Polyéthylène et du PET fossiles. Ceux-ci sont en effet très attendus, car ils permettraient d’améliorer rapidement le bilan carbone des produits, sans avoir pour cela à ne modifier leurs caractéristiques fonctionnelles. Face à cette explosion des propositions de substituts du PET, la croissance des bioplastiques biodégradables devrait être beaucoup plus lente – les amidons modifiés, qui correspondent à la spécialisation de Novamont, ne devraient connaître qu’une progression modérée, même si elle n’est pas négligeable (+10%). Novamont fait donc le choix délibéré d’aller à l’encontre des prévisions intégrées dans la plupart des modèles d’affaires, en restreignant les domaines d’applications de ses avancées scientifiques et technologiques à des catégories bien spécifiques de produits. 53 La biodégradabilité des lubrifiants est par contre souhaitable, puisque leur toxicité fait d’eux un réel danger en cas de largage dans l’environnement (« accident » dont le risque d’occurrence est d’autant plus élevé que le coût associé à leur recyclage est élevé). 35 Proposition de valeur et construction collective de standards environnementaux L’entreprise replace donc systématiquement la cohérence de ses choix environnementaux au coeur de son projet d’entreprise, d’ailleurs baptisé « Chimie Vivante pour la Qualité de la Vie » : « Ce modèle [de système intégré entre l’industrie, l’agriculture, l’environnement et l’économie locale] est devenu une réalité grâce au choix courageux fait par Novamont et ses partenaires il y a plusieurs années : nous avons investi dans [….] la compétitivité environnementale des entreprises selon une logique de « cycle de vie », en nous concentrant uniquement sur le développement de produits et de systèmes apportant de réels avantages économico-écologiques. Ce choix difficile et cohérent (qui n’a jamais été trahi) est le meilleur argument de crédibilité pour le modèle proposé. Maintenant nous pouvons emprunter des chemins différents des chemins actuels. Maintenant il est temps de comprendre si les institutions et le monde industriel sont prêts à adopter des standards environnementaux qui soient conformes à cette typologie de développement, qui améliore dans le même temps le territoire. » (Novamont, 2006d). Il faut alors intégrer dans l’activité économique de l’entreprise l’intense activité de « construction de standards … », « [la contribution à] des activités culturelles », et « la mise à disposition d’études de cas » destinées à documenter des usages durables afin « de repenser le système dans sa globalité » (http://www.novamont.com/default.asp?id=1815). Outre des expérimentations sur le terrain destinées à prouver les avantages des applications du Mater-Bi (films de paillage, sacs de compostage…), Novamont a réalisé des études portant sur des systèmes de collecte des déchets urbains en collaboration avec Federambiente (l’association des entreprises italiennes), et contribué au projet Kassel, un test à grande échelle de la réception par le public allemand d’une large gamme de produits compostables. Elle est l’un des membres-experts de l’UNIDO (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel) sur la question des polymères dégradables et a fait partie de divers groupes de travail de l'Union Européenne, comme l’European Climate Change Panel. Elle participe à une variété de projets de formation, en collaboration avec le Ministère de la recherche italien et aux activités d’associations telles que l’Association for the Development of Environmental Competitiveness in Business ou l’association Slow Food… En accord avec l’hypothèse de Porter du « double dividende », selon laquelle des contraintes réglementaires fortes peuvent s’avérer favorables à la compétitivité économique, Novamont s’est ainsi fortement impliquée dans l’exploration des standards relatifs aux produits biodégradables. Elle a participé aux travaux d'organismes de standardisation tels que le CEN (Comité Européen de Normalisation), ASTM (organisme de normalisation américain) et UNI (organisme de normalisation italien), et activement collaboré au développement et à la promotion des systèmes de Déclaration Environnementale de Produit (document fournissant des informations détaillées et vérifiables sur la performance environnementale du produit sur l’ensemble de son cycle de vie). Le mater-bi, un produit pour explorer toutes les normes ? Novamont a participé en 2000-2001 au projet pilote coordonné par l’Agence de la protection de l’environnement italienne, en accord avec les recommandations de l’Agence Européenne de l’Environnement, dans le but de poser les bases d’un système de certification national, duquel ont découlé deux « Product Category Rules », ou Règles de Catégorisation de Produit. Elle a également contribué au projet Life INTEND, qui portait sur l’élaboration du PCR pour les sacs en plastiques biodégradables, en 2006, et d’un nouveau PCR pour les matériaux plastiques, en 2010. Le Mater-Bi fait l’objet depuis 2001 d’une Déclaration Environnementale de Produit en Italie, et depuis septembre 2010 (deux mois après la sortie du PCR dédié aux matériaux plastiques) et d’une Déclaration Environnementale de Produit conforme au système international. Il est également certifié conforme aux normes en matière de contact alimentaire (EN 92-128), de recyclabilité (EN 13430), de valorisation énergétique (EN 13431) et de biodégradabilité et compostabilité (EN 13432, EN14995, ISO 17088, UNI 10785, DIN 54900, ASTM D6400, AS 4736). Il détient le label « Seedling » (label européen délivré par l’organisme allemand DIN Certco certifiant la conformité à la norme EN 13432 et EN 14995 sur la compostabilité des produits), le « Compostable Logo » (label délivré par l’organisme américain Biodegradable Products Institute pour conformité à la norme ASTM D6400), le label « Compostabile CIC » (délivré par l’organisme italien CIC-Certiquality pour conformité à la norme EN 13432), le « GreenPla » (label délivré par la Japan BioPlastics Association pour les produits conformes aux règles qu’elle 36 a édictées, notamment le recours à la norme ISO 16929 pour déterminer les critères des tests de biodégradabilité) et les labels OK Compost délivrés par l’organisme belge AIB Vinçotte pour les produits conformes, respectivement, aux normes de compostabilité indutrielle et de compostabilité dans des installations domestiques. Synthèse réalisée par Johan Van Niel pour Nieddu, Hernandez, Van Niel, 2014 DISCUSSION des différentes bioéconomies ET CONCLUSION Notre étude de cas sur la Chimie « doublement verte » nous a permis de travailler sur une dimension particulière du régime de production de connaissance et d’activités économiques : sa fonction de développement de capacités d’exploration pour les acteurs parties prenantes, car l’exploration d’espérances technologiques nécessite d’entrer dans des phases d’exploitation au moins partielle pour démontrer la pertinence des semi-produits proposés aux autres firmes. Nous retrouvons ainsi un résultat développé ailleurs (Nieddu, et al., 2014) : l’idée qu’exploration et exploitation ne pouvaient être vues comme deux séquences chronologiquement séparées en Chimie « doublement verte », conformément à la critique plus générale adressée à cette séquence, et à la notion de dominant design lorsque celle-ci est mobilisée de façon normative et performative (Gilsin & Nooteboom, 2006; Gobbo Jr. & Olsson, 2010). Nous avons montré qu’une voie dominante est bien à l’oeuvre dans les stratégies collectives. Elle relève, avec le concept de bioraffinerie et le « top10 » des grands intermédiaires candidats à la substitution, d’une proposition de valeur qui ne bouleverse pas les chaînes de valeur de la chimie, mais qui s’inscrit dans sa division traditionnelle du travail entre chimie de base et chimie de spécialité. L’intégration des douze principes de chimie verte se fait alors au sein de ces chaînes de valeur, par améliorations incrémentales sur les différentes étapes de production. Novamont apparaît comme le symptôme du fait que, comme durant les Trente Glorieuses, il existe une diversité de solutions d’articulation aux « méga-trends » de la période. Le groupe de scientifiques qui a décidé la création d’une entreprise autonome pour préserver ses outils et ses projets de recherche durant la décennie 1990 a théorisé le fait qu’elle ne s’oriente pas vers les biocarburants, malgré son adhésion au concept de bioraffinerie. L’entreprise contribue activement à la construction des standards qui l’amènent à la fois à construire une architecture de valeur originale et à développer une représentation systémique de ses produits conforme aux principes de l’économie circulaire (du produit à son recyclage en fin de vie, que ce soit en produit biodégradable et compostable, ou autre). Le cas Novamont confirme ainsi que des degrés de liberté existent dans l’assemblage des trois types de bioéconomie que nous avons mis en exergue. La persistance de patrimoines productifs Dans l’étude de programmes scientifiques menée dans l’ANR Chimie et Procédés pour le Développement Durable, qui a servi de support à cette confrontation, on aurait pu penser que certains patrimoines productifs s’éteindraient à mesure que le mimétisme avec les formes d’organisation des chaînes de valeur de la pétrochimie se mettait en place, marquant ainsi un point d’inflexion majeur vers l’exploitation d’un dominant design de la chimie du végétal. Et ce, de la même façon qu’on aurait pu penser que l’agriculture productiviste condamnait d’autres modèles de développement au début des Trente Glorieuses. Une telle interprétation relèverait d’une « version pauvre » de la théorie du sustainable transition management dont on a vu qu’elle méritait discussion. Cette version pauvre conduirait d’abord à sous-estimer les « investissements de forme » consentis par les « macro-acteurs », et l’ampleur des opérations de problématisation du secteur, menées en termes de backcasting afin d’ordonner les efforts d’apprentissage collectifs de réduire les coûts d’exploration. Mais l’on retrouve aussi la trace, après 2007, d’une réévaluation des patrimoines productifs « minoritaires », y compris chez certains des acteurs mêmes qui ont participé à la construction des 37 visions du futur institutionnelles américaines et européennes. 54 Tout se passe donc comme si les stratégies de certaines grandes firmes se trouvaient modifiées par rapport aux visions ex ante qu’elles avaient contribué à forger dans les exercices de prospective. Ce changement d’attitude peut être réinterprété ex post comme la recherche d’un portefeuille varié de technologies, par opposition avec le scénario de convergence vers un dominant design mimant la pétrochimie, que ces acteurs euxmêmes avaient cherché à imposer (Nieddu et al., 2014). Un certain nombre d’interrogations présentes dans les trois façons de mobiliser la littérature en termes de sustainable transition management présentées dans la première partie de cet article peuvent alors être retraitées dans une perspective régulationniste. Le lecteur aura remarqué les longs –et parfois fastidieux, nous le reconnaissons volontiers- détours empiriques qu’elle nécessite, dans l’analyse des programmes de recherche scientifiques, dans l’histoire des techniques, et dans les modèles économiques des firmes. Néanmoins, en documentant empiriquement la question des niches, il apparaît que celles-ci se constituent, de fait, dans l’espace d’héritages productifs particuliers, qu’elles cherchent à rénover. De la même façon, il est difficile d’interpréter l’effort des acteurs comme l’expression unique de l’émergence d’un nouveau régime sociotechnique. Une partie de cet effort est dédiée à proposer des solutions, non pas pour rendre soutenable la chimie, mais pour rendre soutenable pour certains segments des agro-industries et pour l’industrie chimique traditionnelle la transition vers l’usage des ressources renouvelables, en contribuant à intégrer cet usage dans l’ancien régime sociotechnique (et en satisfaisant une demande des industriels pour améliorer rapidement leur bilan carbone, sans avoir à modifier substantiellement leurs produits). En proposant de retrouver les zones de tensions et de rechercher le type de compromis institutionnalisés, en mobilisant sa spécificité première –son historicisme destiné à réinsérer la conjoncture dans des structures agissant sur la longue période, l’approche régulationniste permet donc bien de spécifier certains aspects à traiter dans le cadre du Sustainability Transition Management. Patrimoines, dispositifs institutionnels de régulation et régimes de production de connaissance et d’activités économiques Un autre élément de dialogue entre l’approche STM et l’approche régulationniste en termes de patrimoines productifs collectifs doit être souligné. Cette dernière permet de construire un récit séparant analytiquement, dans les matériaux disponibles, ce qui relève de stratégies d’optimisation économique des procédés et ce qui relève, avec l’introduction des principes de chimie verte dans la chimie du végétal, d’innovations visant à améliorer le bilan environnemental. Outre le fait que l’historiscisme de l’approche régulationniste permet de fournit une explication qui ne soit pas exclusivement technologique à la « dépendance au sentier », elle permet de comprendre comment les acteurs cherchent à les projeter, à travers la construction des visions pour le futur, pour prendre le pouvoir sur ce futur. C’est bien là, comme le rappellent certains sociologues (Micoud, 2005), mais aussi économistes du développement durable (Godard, 1993) la fonction sociale de l’édification de patrimoines. On a vu que certains patrimoines constituaient des « minority reports » dans la sphère académique et des voies technico-économiques minoritaires. Ceux-ci, tout comme l’agriculture de qualité au début 54 Nous avons remarqué dans notre article pour la Revue Economique que « la voie défendue par Végémat en France ne peut être considérée ni comme le seul apanage de petites entreprises, ni comme dépassée : par exemple, Dupont communique en 2008 sur un produit du même type, le « Biomax® tps Renewably Sourced™ » racheté à la société australienne Plantic pour compléter son portefeuille de produits, tandis que Roquette rouvre une communication sur des produits du même type avec son programme Gaiahub (pour tous ces exemples, voir les sites Internet des entreprises citées). De même, le responsable scientifique d’Archer Midlands, P.B. Smith, décrit explicitement, dans un colloque de l’American Chemistry Society [2011], l’intérêt simultané de sa firme pour le remplacement direct de molécules pétrolières, d’une part, et pour la valorisation des fonctionnalités de bio-advantaged molecules, d’autre part. 38 des Trente Glorieuses ne manquent pas de consistance économique. Ils mobilisent de façon originale des unités de production existantes et des savoir-faire issus des patrimoines alimentaires (ou des cosmétiques et de la pharmacie, pour l’extraction douce). Et ils portent leur propre logique d’application des principes de chimie verte.55 Il faut pour les identifier, retrouver des chercheurs seniors, peut-être plus à même de résister à la pression du formatage des appels à projets scientifiques, et moins enclins, de par leur expérience, à céder aux cycles de modes dans le monde académique. 56 Enfin le STM considère que le nouveau régime socio-technique émerge par réalignement de l’ensemble des sous-systèmes (culturel, institutionnel, scientifique, technologique…). Ce que montre notre étude, c’est la relative autonomie qui peut exister entre les régimes et les dispositifs institutionnels. En effets la dynamique de ceux-ci est donnée par la temporalité proprement politique de la problématisation du secteur qu’en font les acteurs. Les tensions entre régimes et dispositifs doivent donc être un élément du programme de travail régulationniste. De ce point de vue la problématisation produit des effets différents selon qu’elle émane de l’une des trois bioéconomies. Certains dispositifs en voie d’institutionnalisation tels que les ACV peuvent même être considérés comme des ponts organisant les compromis entre elles57. Un enjeu particulier réside donc dans la façon d’évaluer les effets des dispositifs institutionnels mis en place pour stimuler la transition vers l’usage des ressources renouvelables ; par exemple, ce sont des acteurs significatifs de l’oléochimie (approximativement à notre patrimoine productif PH3), et non de doux écologistes qui se plaignent amèrement du fait que le développement de surfactants et lubrifiants biodégradables est entravé par la croissance de la production subventionnée de biodiesel PH1 ou PH2 (voir l’éditorial très ferme que R. Verhée a donné à European Journal of Lipid Science and Technology [2010], 112, p. 427). De la même façon, les acteurs agricoles des grands pays développés s’interrogent sur les dynamiques de la Knowledge Based Bioeconomy. Leur souci est d’ancrer territorialement l’activité économique. Or le régime de production de connaissances, tel qu’il est orienté institutionnellement aujourd’hui, peut conduire à une production « aterritorialisée » et concentrée dans un petit nombre de grands complexes de bioraffineries sur le modèle de la raffinerie portuaire existante. Il crée à travers l’économie de la connaissance, et la division international du travail qu’elle permet entre conception et production, des acteurs « foot-loose », que les soutiens publics sans faille de la vieille Europe ou des Etats –Unis, dans le cadre des espérances de la révolution « biotech » n’empêchent de chercher leur développements industriels loin des contraintes environnementales du vieux monde, ou près des grandes productions en monocultures industrielles….58 Des exemples cuisants et récents semblent montrer que la « relocalisation » attendue à travers la transition vers l’usage des ressources renouveables est loin d’être acquise dans le contexte institutionnel actuel, et que les risques liés à la nouvelle vague d’intensification que cette transition va imposer est grosse de questions de développement soutenable…. 55 En effet, l’extraction de biopolymères complexes et l’expression de fonctionnalités spécifiques, sans avoir à se préoccuper des impuretés éventuelles, conduisent, par leur conception même, à minimiser les étapes et les déchets. De même, les procédés de photoréticulation ou d’extrusion réactive ont l’intérêt d’utiliser peu d’énergie et de solvants. 56 Les chercheurs nous ayant permis de documenter les « voies minoritaires » sont tous des chercheurs chevronnés, que ce soit Marquardt en Allemagne (cité plus haut), Sheldon (Pays-Bas) ou Gallezot(en France) qui considère sur la base d’un review considérable, à la fois dans le domaine des publications et celui des pratiques industrielles que « la modification simple et one pot de biopolymères en polymères fonctionnels peut être plus soutenable à la fois du point de vue économique et environnemental que la chaîne de valeur multi-étapes consistant dans la dégradation des biopolymères en petites molécules qui peuvent servir de monomères comme l’éthylène ou le propylène pour reconstruire des polymères » (Gallezot [2012], p. 1553). 57 Raison pour lesquelles, malgré les critiques méthodologiques conséquentes dont elles font l’objet, les ACV progressent irrésistiblement dans les pratiques sociales. 58 Pour ne pas être cruel en citant les cas français les plus récents, signalons les aides dégagées par Obama dans le plan de relance de l’emploi aux Etats-Unis en 2009 ; parmi les projets retenus dans ce cadre de relance de l’emploi national, deux au moins ont donné lieu à développement industriel au Brésil… 39 Bibliographie (under construction comme disent les anglais – un partie des références sont encore dans le corps du texte ; une bibliographie d’articles de chimie et biochimie en chimie verte issue de l’ANR AEPRC2V est disponible sur le site du laboratoire Regards. La bibliographie pertinente sur la bioraffinerie peut être trouvée dans Nieddu & alii, 2014, 2010. Les matériaux sur la chimie doublement verte ont été présentés dans Nieddu M. (dir.), “Vers une chimie doublement verte”, Colloque de fin de l’ANR AEPRC2V, 6 & 7 février 2014, recueil de textes provisoire disponible http://www.univ-reims.fr/gallery_files/site/1/1697/3184/5292/15352/46053.pdf Befort N., Nieddu M. (2014) Biorefineries and the bioeconomy in search of business models 10th International Conference on renewable Resources & Biorefineries 4 – 5 – 6 June, 2014, Valladolid, Spain Kurek, B. Bliard C., Nieddu, M. (2014) Les douze principes et l’innovation en chimie doublement verte, Conférence invitée par Grenwin et Agrotech Gembloux, dans le cadre de «La chimie verte, une industrie d’avenir! », journée avec P.T. Anastas, Gembloux Espace Senghor, 21 mai 2014. Nieddu M. [et al.], (2013), Mapping twenty years of Green Chem : Four Productive Heritages moving towards “Doubly Green Chemistry” in 2nd International Symposium on Green Chemistry - La Rochelle, May 21-24, 2013. Pour une discussion de la notion de régulation sectorielle et territoriale voir le doc. ci dessous, l’ouvrage coordonnés par Laurent & Dutertre, 2008, la bibliographie de ma note de lecture sur l’ouvrage de Florence Jany-Catrice dans la revue de la régulation, la thèse de Nieddu (1998), mais surtout la thèse de Florence Gallois (2012) ainsi que (même si c’est un autre secteur) : Florence Gallois, Martino Nieddu (2014) Centralisme marchand versus bricolage territorial ? Le plan Borloo face à la réalité des services à la personne, Working papers du RT6, T6 : Protection sociale. 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