Regards croisés sur les croisades, Claude Blocquaux, octobre 2002

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Regards croisés sur les croisades, Claude Blocquaux, octobre 2002
4 - LE CONTENU COGNITIF DU SUJET ET SA TRANSPOSITION DIDACTIQUE
Il s’agit ici de présenter d’une part les connaissances sur lesquelles la leçon réalisée avec les élèves doit
s’appuyer, et d’autre part la transposition didactique de ces connaissances à effectuer.
Deux problèmes importants se posent :
- "La forêt des contenus cache l’arbre de l’histoire"1. Les nombreuses connaissances sur le sujet
doivent être triées par le professeur pour aller à l’essentiel, sans pour autant dénaturer les faits, les
concepts, les notions, sans les réduire en les vidant de leur sens.
- L’histoire scolaire enseignée vit dans la dépendance morale de l’histoire historienne. Le "savoir à
enseigner" n’est pas le "savoir savant", il doit être "transposé" pour le rendre intelligible à l’élève, qui
n’est pas un spécialiste de la discipline.
L’écart entre ces deux savoirs ne doit pas donner prise à la subjectivité de l’enseignant. Ce dernier doit
avoir présent à l’esprit, dans la phase préparatoire de la leçon, ce que Henri Moniot2 appelle les
"marraines de l’histoire scolaire" :
- "L’histoire savante issue de la recherche universitaire, mais aussi l’ensemble de valeurs porteuses
qui donnent sens à la vie collective et peuvent donc inspirer la socialisation par l’école"
- "La culture qui transmet une partie du sens commun et de l’expérience générale dans le champ des
affaires humaines"
- "Un bagage de choses mémorables, d’événements(…) qui permet la fréquentation qualitative de
lieux privilégiés du passé"
Nous allons nous attacher à brosser le portrait des trois mondes qui bordent la Méditerranée au XIIème
siècle et du déroulement des croisades. Nous mettrons ainsi l’accent sur les savoirs qu’il nous semble
indispensable de mobiliser.
4.1) Le monde chrétien latin d’Occident
Le monde latin d’Occident au XIIème siècle est organisé en une société qui s’est mise en place lors de
l’éclatement de l’empire carolingien (Traité de Verdun en 843) cf. p.82 du manuel de seconde Hachette.
Le nom de "Francs" donné aux croisés par les Orientaux quand ils ont pris conscience de ce qui les
séparaient des Byzantins, traduit le fait qu’ils venaient des terres sur lesquelles avaient régné les rois
Francs à partir du Xème siècle.
Cet espace s’étend de la Germanie à l’Est en passant par la Bourgogne à l'Italie, du royaume d’Ecosse
aux royaumes chrétiens de la péninsule Ibérique en passant par le royaume de France.
Une nouvelle Europe est donc formée, entièrement de culture latine. Le latin en est la langue commune
relayée par la liturgie et les institutions ecclésiastiques.
- Le "modèle franc" organise les structures selon la société féodale.
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- A sa base, le seigneur, noble ou ecclésiastique, est propriétaire de la terre et dispose d’un pouvoir
sur les hommes qui la travaillent, les serfs. Ceux ci possèdent leur terre à titre héréditaire jusqu’à ce
que la mainmorte tende à se substituer au servage.
- Les droits du seigneur sont codifiés avec le mouvement des franchises rurales3. Chaque seigneur
est lui-même enserré dans un réseau d’obligations et de fidélités entre suzerain et vassal. Ces liens
d’homme à homme sont ordonnés en une hiérarchie féodale dont le roi prend la tête.
La diffusion s’est accompagnée d’une christianisation.
Foi chrétienne et organisation institutionnelle de l’Eglise sont les deux éléments unificateurs de
l’Occident.
Le gouvernement est aux mains d’une noblesse guerrière d’origine franque, qui assure les fonctions
judiciaire et militaire, dans le cadre d’un système vassalique. Cette solidarité jouera un grand rôle dans
le recrutement des croisades.
- Une grande "fermentation religieuse"4 marque l’Occident latin à la fin du XIème siècle.
- L’Eglise chrétienne est dirigée par le pape, patriarche de Rome, successeur de Pierre. Elle est
structurée hiérarchiquement (Évêques, Prêtres et Laïcs). Le dogme a été défini par les 7 grands
conciles œcuméniques, dont le concile de Nicée en 325 et celui de Chalcédoine en 451, et ce
jusqu’au début du VIIème siècle.
- Les points de controverse précisés par ces conciles ont porté pour l’essentiel sur la "nature du
Christ" et sur celle des "relations trinitaires".
- Le dogme, défini par ces conciles, affirme que le Christ est pleinement de nature humaine et de
nature divine, ces deux natures se complètent et s’interpénètrent sans qu’aucune dissociation ne soit
possible.
- La sainte Trinité est aussi définie par ces conciles : Dieu le père, Dieu le Fils et Dieu le Saint Esprit,
ont égale puissance, égale valeur, parfaite individualité, tout en se rejoignant en une seule personne
divine.
Au XIIème siècle, l’Eglise est parfois contestée au-delà des limites qu’elle peut tolérer. C’est le cas des
Vaudois, disciples de Pierre Valdés qui veulent restaurer la pauvreté de l’Eglise primitive, et des
Cathares qui refusent d’obéir à l’Eglise de Rome et rejettent les sacrements.
Les chrétiens aspirent à une réforme de l’Eglise, du fait de certains abus du clergé. Le Pape Grégoire VII
(1015-1085) donne une impulsion décisive à cette réforme, allant jusqu’à libérer l’Eglise de toute
emprise exercée par les pouvoirs politiques5. La théocratie ainsi défini entraîne un conflit entre le Pape
et l’Empereur d’Allemagne Henri IV :
Celui-ci refuse de renoncer à l’investiture des évêques, Grégoire VII l'excommunie, Henri IV fait élire un
antipape6 à Rome. La reddition d’Henri IV à Canossa montre, temporairement, que l’autorité du Pape
déborde du seul domaine spirituel.
L’Occident chrétien est en pleine expansion tant économiquement que démographiquement :
- défrichements des terres
- création de villes neuves et nouveaux villages
- naissances de marchés regroupés dans des villes en plein renouveau dans lesquels s’échangent
produits agricoles et objets manufacturés
- développement de la circulation monétaire et du crédit
- circulation sur les routes des marchands et des pèlerins induisant la diffusion des nouvelles et des
mouvements de pensée.
Le progrès technique se traduit dans tous les domaines:
- la charrue remplace l’araire
- le collier d’épaule améliore la traction animale
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- les moulins à eau et à vent se substituent à la seule force humaine.
Il n’existe pas une unité politique de l’Occident chrétien, néanmoins l’Eglise joue un rôle unificateur
primordial, le catholicisme romain couvrant les royaumes et empires de l’Occident chrétien fait vaciller
tout pouvoir laïc s’opposant à son emprise.
4.2) L’empire byzantin
L’empire byzantin est né de la division de l'Empire romain antique dont la partie occidentale disparaît en
476. Ses limites géographiques sont fluctuantes. A la veille de la première croisade, il voit son étendue
se réduire face à l’expansion des Turcs Seldjoukides.
La capitale de cet état est Constantinople, l’ancienne Byzance, peuplée d’environ 500 000 habitants, qui
se dit ville de l’apôtre Saint André.
L’empire est dirigé par le "basileus". C’est l’homme providentiel de l’empire. Il est revêtu de la sainteté
divine, égal des apôtres, il connaît Dieu, il en connaît la voix et la volonté.
Le patriarche de Constantinople, qui a la responsabilité d’une vaste province ecclésiastique, est nommé
par le basileus. C’est lui qui couronne l’empereur en la basilique Sainte Sophie. (Il faut attendre le
XIIème siècle pour connaître le sacre)
Depuis le schisme de 1054, il est le chef principal de l’Eglise orthodoxe.
Ce schisme du XIème siècle est considéré comme marquant la rupture entre les Eglises d’Orient et
d’Occident, et comme le point de départ de l’Eglise orthodoxe séparée de Rome.
En fait, bien d’autres ruptures étaient survenues antérieurement, qui n’avaient été que temporaires. Si
l’événement de 1054 a pris un caractère aussi décisif, c’est que depuis 6 siècles les causes de
malentendus s’étaient accumulées entre le IIIème et le XIème siècle :
- causes historiques (invasions des barbares et chute de l’empire d’occident)
- causes culturelles (culture latine et culture grecque)
- causes théologiques (conflits doctrinaux7 et schismes8)
- causes liturgiques (copte, jacobite)
- causes de discipline ecclésiastique (primauté du pape)
Les deux points principaux provoquant le schisme concernent le "filioque" et la "primauté pontificale".
Le Credo adopté au concile de Nicée (325) et de Constantinople (381) pour résumer les données
essentielles de la foi chrétienne professe "L’Esprit procède du Père".
A partir du VIème siècle, en Espagne, en réaction contre l’arianisme des Wisigoths, on a commencé à
ajouter la forme "filioque" (et du Fils) exprimant une nuance théologique sur la relation de l’Esprit Saint et
les deux autres personnes de la Trinité. La nuance apportée permettant de considérer que le Fils est
l’égal du Père dans la "procession" du Saint Esprit.
Au IXème siècle Charlemagne, heureux de faire la leçon à l’empereur byzantin, s’employa à généraliser
le "filioque" en Occident, suscitant la réprobation des orientaux aux yeux desquels il s’agissait d’une
démarche hérétique.
La primauté pontificale, c’est à dire le pouvoir de juridiction du pape sur l’ensemble des évêques, posait
à l’Orient un autre genre de question.
En effet prévalait depuis longtemps en Orient une conception essentiellement collégiale de l’épiscopat ;
en Occident au contraire les papes avaient mis l’accent sur la mission spécifique confiée par le Christ à
Pierre et à ses successeurs, les évêques de Rome, garants de l’unité de l’Eglise et de sa fidélité à la foi
originelle.
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La rupture définitive s’est produite le 16 juillet 1054 lorsque le légat du Pape, envoyé par Léon IX auprès
du patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire, pour apaiser les tensions, déposa en plein milieu
d’une célébration, sur l’autel de la basilique Sainte Sophie, une bulle excommuniant Michel Cérulaire.
Peu après, ce dernier réunit à Constantinople un concile qui procéda à l’excommunication générale des
"Latins".
A la veille des premières croisades, l’empire byzantin est dans une situation contrastée :
Politiquement, les dynasties se succèdent.
Au XIIème siècle, les COMNENES donnent plusieurs basilei dont les principaux sont Alexis Ier (1081-
1118), Jean II, son fils et Manuel Ier son petit-fils.
Mais ils ne sont pas les seuls à régner.
Les menaces extérieures sont présentes :
- attaques des Normands à partir de l’Italie du Sud et principalement de la Sicile.
- révolte des Serbes dans les Balkans.
- poussée turque en Asie Mineure (défaites byzantines à Mantzikert, en 1071, et à Myriokephalon en
1176)
Economiquement, une grande partie de la richesse provient du travail de la terre. L’essentiel des
revenus de l’Etat résulte de l’impôt prélevé sur les paysans. L’aristocratie foncière et le clergé dominent
des campagnes christianisées ; mais les techniques agricoles évoluent peu et les rendements sont
faibles.
Le commerce est fortement développé. Constantinople est au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Le
basileus perçoit des taxes sur les produits qui transitent par son empire et sur les exportations,
essentiellement de produits de luxe.
Les artisans byzantins ont une réputation fondée de grande habileté :
- plats en argent massifs
- ivoires fins ciselés
- reliquaires rehaussés de pierres précieuses sont colportés par les marchands itinérants (juifs en grand
nombre).
Sous les Comnènes, l’empire accorde aux cités marchandes italiennes des avantages commerciaux au
détriment des négociants byzantins. Ainsi les Vénitiens, dès la fin du Xme siècle, puis les Pisans et les
Génois au XIIème siècle obtiennent le droit de construire des entrepôts dans la capitale et de
commercer librement dans toute l’Europe.
Les conséquences sont désastreuses :
- partout les profits sont détournés au bénéfice des marchands itinérants.
- la monnaie grecque d’or et d’argent, jadis très recherchée, perd de sa valeur.
Sur le plan culturel, l’empire byzantin rayonne :
- splendeur de la production artistique et littéraire.
- transmission à la postérité de l’héritage gréco-romain antique.
Les bâtiments des églises adoptent le plan en croix grecque symbolisant la structure du monde :
- un carré pour la terre
- une coupole pour le ciel
A l’intérieur, la décoration respecte la hiérarchie céleste :
Le Christ Pantocrator9 et ses anges sont représentés au sommet de la coupole.
Les ouvrages des Anciens sont recopiés et étudiés dans les "scriptoria"10. Les intellectuels des XIème
et XIIème siècle ont ainsi lu les philosophes (Platon et Aristote) et imité les historiens (Hérodote et
Thucidide ).
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C’est par le relais de Byzance que la culture antique va se transmettre permettant ensuite l’éclosion de
la Renaissance dans le monde latin.
4.3) Le monde arabo-musulman
Les limites géographiques de ce monde sont données par l’extension des territoires soumis ou convertis
à l’Islam. Elles sont donc fluctuantes selon les périodes.
Le XIIème siècle voit la reconquête par les chrétiens latins d’Occident de certaines terres.
L’espace concerné est donc étroitement dépendant de la religion musulmane, qui apparaît au VIIème
siècle, et se définit par les grandes conquêtes menées d’abord par les arabes puis ensuite par d’autres
peuples islamisés tels que les Turcs.
Il faut noter que les lieux saints des Chrétiens sont aux mains des arabo-musulmans depuis le début de
l’occupation de la Palestine par ceux-ci en 638.
La prédication de Mahomet est l’acte fondateur de l’Islam, qui est simultanément une démarche de foi et
d’organisation sociale.
Le dogme de base est la croyance en l’unicité de Dieu révélé par Mahomet, dernier prophète d’une
lignée où l’on compte Abraham, Moïse et Jésus.
Mahomet naît vers 555-560 et meurt en 632 à la Mekke, en Arabie, vaste péninsule désertique et
montagneuse, parsemée de très belles oasis, aux côtes jalonnées de ports servant de débouchées aux
voies caravanières.
Les Arabes sont alors majoritairement polythéistes, mais ils sont au contact de nombreuses minorités
chrétiennes (principalement monophysites et nestoriennes) et juives. Il n’y a aucune centralisation
politique, on vit en clan et les décisions socio-économiques se prennent lors de vastes assemblées.
Vers 608-609, Mahomet commence à s’exprimer :
La parole de Dieu est proclamée oralement par lui et recueilli par ses fidèles. Elle sera fixée par écrit
vers 635, après la mort du Prophète, donnant le Coran, livre saint de l’Islam, exposé en 114 sourates.
Le clan de Mahomet s’oppose à lui, ce qui l’oblige à fuir la Mekke pour se réfugier à Médine en 622. Ce
voyage s’appelle l’Hégire, date de départ de la chronologie musulmane.
De Médine, où il a fondé la première mosquée, Mahomet entreprend la reconquête de la Mekke où il se
fixe, établit son clan et achève la dictée du Coran.
Les croyants (les musulmans) doivent se soumettre à cinq obligations, les "cinq piliers de la sagesse" :
- La profession de foi,
- La prière cinq fois par jour, précédée de la purification par l’eau,
- L’aumône (zeqat),
- Le jeûne, le ramadan, le neuvième mois de l’année,
- Le pèlerinage à La Mecque, (le Hadj), une fois dans sa vie selon ses facultés.
Le croyant qui s’est soumis à tout cela entre au paradis
Ces règles, enrichies par les théologiens, forment la charia et fixent les obligations du culte et les
relations en société.
Derrière cette religion sans sacrement ni clergé, la question de la succession de Mahomet a provoqué
une rupture entre croyants :
- Qui doit être calife11 à la tête de la communauté léguée par le Prophète ?
- Qui est en droit d’établir une dynastie ?
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