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La Lettre
N° 227 • octobre-novembre 2014
de
P
sychiatrie
F
rançaise
Certes, les fonctions de la parenté sont multiples dans le
champ de la parentalité (5) mais plus encore que des fonctions,
Gérard Neyrand montre que c’est le processus même de
parentalisation qui est au cœur des parentés :
– « Institution des parents et parentalisation »(6) :
• « Rappeler cette institution des parents est primordial pour
comprendre la parentalité...
• ... cette institution constitue la condition du lien social par
l’interdiction de l’inceste qu’elle met en œuvre, et la mise en place
de la chaîne généalogique qu’elle permet...
• ... La parentalisation sociale constitue ainsi un processus
fondateur de l’état même de parent, qui justifie que des parentés
non biologiques soient dûment enregistrées comme telles...
• ... il s’agit d’un processus qui s’enracine dans le relationnel et
passe par des affiliations. »
Les parentés non biologiques, qui initient les enfants au
processus de parentalisation, passent parfois par des voies
insoupçonnées. Ce n’est souvent qu’une fois devenu adulte,
dans l’après coup, que nous réalisons nos affiliations de
parentés.
Malheureux celui qui n’a pas croisé sur sa route une
enseignante, un éducateur, un entraîneur, une assistante
sociale... qui, sans toujours le savoir, aurait pu lui donner
envie de se prendre en charge, lui permettre de se relancer
dans la vie et de retrouver confiance dans l’avenir. C’est en
s’enracinant dans une relation avec un adulte qui est
simplement lui-même, parce qu’il se parentalise lui avant de
parentaliser l’autre qu’un jeune éprouvera le sens de son
existence. Se parentaliser pour se responsabiliser n’est jamais
acquis, et nécessite une vigilance de tous les jours !
Lorsque l’enfant perd toute confiance dans le monde des
adultes et que se multiplient les ruptures de prise en charge,
son infantile se révolte et laisse tout le monde désemparé.
Créer alors les conditions d’un éclairage de la situation,
au point le plus aigu des affects, demande souvent
beaucoup de patience et de disponibilité. L’évocation des
événements et la réminiscence des éprouvés passés peuvent
prendre beaucoup de temps. Pourtant, seule la mise en mots
permet de donner une signification aux traumatismes. Une
fois mis en sens, l’infantile débloqué (puisqu’on évoque
souvent un blocage) peut être relancé dans la direction de
l’avenir et des apprentissages.
Pour beaucoup d’enfants, il aura fallu au préalable tenir
compte des positions de tous ceux qui interviennent auprès
de lui ; tenter de les concilier quand c’est possible, en faisant
valoir l’intérêt de l’enfant, tout en respectant les différences
de vue de chacun. Cela concerne les parents et le milieu
familial bien sûr, mais pas seulement. Très souvent les
conflits sont déplacés sur les enseignants, supposés mal
formés, et le milieu scolaire en manque de moyen.
(5) Ibid., p. 38 : Gérard Neyrand, citant les anthropologues Esther Goody et
Maurice Godelier.
(6) Ibid., p. 121 : paragraphe du sous-chapitre La sublimation du genre : déni ou
dépassement dans III. Implicites et contradiction de la parentalité.
Mais le plus préoccupant, ce sont les conflits entre les
différentes approches des soins. Face aux troubles du
développement de l’enfant, la prise en compte de l’infantile,
considérée à tort comme relevant de la psychanalyse, est
encore trop souvent opposée aux tenants des approches
instrumentales, comportementales et rééducatives. Pensons
à ces enfants nés grands prématurés ou porteurs d’anomalies
génétiques, infirmes moteurs cérébraux, dyspraxiques ou
pris dans un trouble envahissant des apprentissages qui
souffrent de dysharmonies développementales. Ils ont
souvent des emplois du temps surchargés, et malgré tous
leurs efforts, ils peuvent se décourager devant leurs
différences persistantes avec les autres. Chez tous les enfants,
mais particulièrement chez ces enfants fragilisés, si
l’entourage n’est pas à l’écoute de leur souffrance, un état
dépressif peut s’installer silencieusement ou être masqué par
des troubles du comportement, avec à tout moment, le
risque d’un passage à l’acte auto ou hétéroagressif.
La présence d’une équipe de pédopsychiatrie en CMP
dans le suivi de ces enfants permet d’être attentif aux troubles
de l’humeur et de les prévenir. Elle doit pouvoir coordonner
les différentes approches, au plus près des besoins de
l’enfant. Elle peut participer aux équipes éducatives en
milieu scolaire avec l’accord des parents, et faire tiers dans les
relations entre parentalité familiale et parentalité sociale, afin
de médiatiser les divergences d’éclairage au sujet des troubles
de l’élève et de ses handicaps. La parentalité des soignants
doit être la cheville ouvrière de la parentalité sociétale, entre
parentalité familiale et parentalité sociale de l’école.
Cependant, tous les jours nous sommes confrontés à
l’exigence, aux difficultés et aux impasses possibles, pire
aux effets pervers de l’engagement, si l’on ne prend pas
le temps de s’y arrêter pour en dénouer la complexité et
la polysémie.
Engager, s’engager... Engager qui ? Engager quoi ?
S’engager vis-à-vis de qui, vis-à-vis de quoi ? Pour quels
objectifs et à qui rendre des comptes ?
Toutes ces questions touchent à l’ensemble des conflits
que l’engagement soulève et qui risquent de le mettre en
échec. À défaut d’avoir décodé les enjeux de l’engagement, la
répétition des incompréhensions et des malentendus risque
de nous laisser souvent découragés puis résignés, au risque
de l’indifférence. Essayons donc de décoder.
Engager, s’engager... distinguer les deux verbes permet
de prendre conscience de la réflexivité et de percevoir la
différence entre « j’engage » et « je m’engage ».
Différencier permet de « conjuguer ».
Commençons par engager !
Il s’agit de prendre l’initiative et de mobiliser une énergie
intérieure. Pour engager, il faut donc une motivation. Qu’il
s’agisse d’engager une partie, une discussion, une rencontre,
une relation, une démarche... nous n’avons pas tous une
motivation de même nature.