LA MISE EN SCENE
Yves Bombay
Les textes de Peter Verhelst (1962 - roman-
cier, poète et homme de théâtre amand),
quils prennent la forme de romans, de
poèmes ou de pièces de théâtre, sont tou-
jours denses, hautement poétiques, et pé-
tris dune dynamique quon ne peut appe-
ler que « corporelle ». La parole plonge
littéralement sous la peau du lecteur, et
cherche à rendre tactile tout ce qui est
normalement en dessous : les plis et replis
de la chair, la texture glissante des veines,
les tissus humides des muqueuses…
Les mots de Red Rubber Balls mont donné envie des-
sayer, avec la complicité de deux actrices (comme le préfère
lauteur, qui nest pas du genre à imposer quoi que ce soit
dans ce type de décisions), dans un espace de lumière et de
reets, deau et de sable, dombres aussi, et avec des objets
scintillants qui coupent, qui tranchent, qui dissèquent…
Et puis, cest tout simplement une très belle histoire: celle
de deux héros morts damour, et immortels damour. Celle
dune deuxième chance, où lon peut vivre (!) son amour
vraiment jusquau n fond de ses entrailles, jusquà la toute
dernière goutte de moelle, dans la plus pure radicalité des
choix, dans le plus enivrant courage des actes.
Ce sont des textes qui appellent lincarnation (cest le
cas de le dire) par des acteurs, par de vrais corps qui bou-
gent, respirent, parlent, vibrent… et qui posent le dé
impossible dune sorte de transfusion immédiate de ce
qui se passe sur la scène dans les corps des spectateurs
qui eux aussi bougent, respirent, vibrent… uand jai
découvert Red Rubber Balls (qui raconte lhistoire, les
mots, les corps, les vibrations de Roméo et Juliette après
leur mort), je me suis dit quidéalement je voudrais en
faire un spectacle pour un seul spectateur, entièrement
nu, les yeux bandés, qui se fait dorloter, caresser par
les acteurs qui lui chuchotent les mots à loreille. Idéal
impossible, jen conviens. uelques années plus tard,
Peter Verhelst lui-même a écrit et dirigé un spectacle,
Le bordel des contes de fées, pendant lequel les acteurs
massaient les spectateurs (qui gardaient leurs habits tout
de même), en leur racontant des contes. Idéal pas si im-
possible ?
Comment faire en sorte, au théâtre, que la parole de-
vienne chair ? Comment rendre lespace scénique phy-
siquement palpable ? Comment la beauté dune écriture
peut-elle agir dans les corps des spectateurs ? Et cela en
restant dans les frontières du théâtre, cest-à-dire sans
que le spectacle devienne une performance dartistes
avec « participation active » du public ?