NOTE DU METTEUR EN SCENE
A lorigine de Fosca dAude Guérit, il y a la proposition
que je lui ai faite décrire une adaptation théâtrale du ro-
man italien dIginio Ugo Tarchetti dont javais tant aimé
lhistoire, il y a des années. Javais été frappé par la mo-
dernité percutante du récit, sous la couleur éperdument
romantique de lépoque dans laquelle il avait été écrit.
Plus tard, javais vu et admiré le lm quen a fait Ettore
Scola, Passione dAmore. Je métais dit : un jour jen fe-
rai quelque chose…. Mais maintenant que la pièce existe,
elle prend pour ainsi dire toute la place – et je me vois, en
tant que metteur en scène, invité à oublier la source litté-
raire et sa mise en images cinématographiques. Je garde
certes ma grande estime pour Tarchetti et Scola, mais la
version dAude Guérit me dée à aller bien plus loin que
juste raconter la belle histoire sur un plateau.
Sous la tendre cruauté dramaturgique dAude Guérit, la
« belle histoire » est devenue une triple descente en en-
fer : lenfer de lhonnêteté envers soi-même que les trois
personnages sinigent et qui fait que tous les trois vont
faire sourir les autres… sans vraiment savoir pourquoi.
Cest juste plus fort queux. uelque chose dimpitoya-
ble sest emparé deux : lamour, tendre et respectueux,
qui ne veut que du bien mais qui est tellement exigeant
quil en devient intenable. Chacun cherche courageuse-
ment, lucidement, les réponses à des questions tellement
inextricables, tellement enfouies au n fond de leur âme,
que les choix en deviennent impossibles. On retrouve un
thème majeur dans les textes dAude Guérit : la quête iné-
luctablement solitaire des personnages vers une rédemp-
tion hypothétique dont ils ne sauraient absolument pas
dénir la nature et qui ne fait que rendre leur solitude et
leur incapacité à vraiment toucher lautre, plus grandes,
plus douloureuses.
Ce triangle parfaitement équilibré (plus que dans le
roman ou le lm – le rôle de la belle Clara a pris de
lampleur dans la version théâtrale), ces trois façons
très distinctement dessinées de raisonner, ces trois
langages subtilement diérenciés me fournissent un
véritable laboratoire scénique pour ce à quoi jas-
pire toujours : voir comment les corps, les voix et
limagination des acteurs simprègnent des mots de
lauteur pour faire vibrer lémotion du spectateur.
Le dé est aussi scénographique. A première vue,
lintrigue appelle un certain réalisme (deux cham-
bres bien distinctes dans une pension de famille, des
accessoires très quotidiens…), mais le texte lui-mê-
me mine subtilement cette solution, par les adresses
directes au public et par les petits commentaires que
les personnages en font entre eux (qui dailleurs ap-
portent au tragique de la pièce un humour, une lé-
gèreté digne de ce que seuls les vrais auteurs de théâ-
tre peuvent se permettre). Le public est là, présent,
interlocuteur silencieux mais vital…. Dautre part,
laction change très souplement despace, comme
sil ny avait ni murs, ni portes dans cette pension,
comme si le temps « logique » daller dune cham-
bre à lautre était complètement inexistant, ou
uide. Le théâtre dAude Guérit impose en toute
simplicité, doucement, sans crier gare mais implaca-
blement, ses propres lois. Des lois qui ne marchent
quau théâtre – et qui en ouvrent limmense liberté.
A nous tous doser le jouer.
Yves Bombay