Prologue - La Clef des Temps

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Prologue
Cher Lecteur,
Il me semble que le texte que je vous propose doit être lu
comme un sujet à méditer, plutôt que dans une recherche effrénée
d’une vérité absolue. Le but n’est pas d’énoncer des certitudes,
mais, en préservant sa capacité de questionnement, d’étonnement
et d’initiative intellectuelle, de partir à l’aventure d’une lecture
biblique de la science.
Difficile, lorsqu’on parle de théologie et de science, de parvenir
à se faire entendre pour ce qu’on énonce : un questionnement et
quelques émerveillements. Dans une civilisation où le lieu d’où
parle l’orateur dit plus que ce que l’orateur formule, un juif qui
parle thoraïquement de la science aurait bien du mal à aller plus
loin que le titre de son propos. Mais, prenons la clé des champs,
partons pour l’aventure, et risquons-nous à lancer cette bouteille à
la mer.
Questionner, s’étonner… c’est ce que je vous propose dans
cette confrontation de la science à la tradition midrashique juive.
Mais questionner, est-ce toujours innocent ?
Comprendre se dit en hébreu ïéáäì (Léhavine). Il s’agit d’un
mode ìéòôä (Hif’il), une forme verbale qui désigne une action que
l’on impose ou que l’on fait imposer à l’objet de cette action. Les
verbes qui se conjuguent sous ce mode décrivent une forme
d’autorité, presque envahissante. La racine de ce mot est ïéá : entre,
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séparation, différence. Comprendre, c’est discerner, ou, plus
exactement introduire, imposer une différence entre les choses,
imprimer des distances sur des faits. Il y a, dans l’action de
comprendre, une interaction avec l’objet, une perturbation de
l’objet que l’on cherche à comprendre, parce que pour
comprendre, il faut d’abord classifier les choses, et classer l’objet
étudié dans un compartiment. Il n’est donc pas possible de
comprendre sans perturber, sans délimiter des choses qui ne le sont
pas d’emblée : introduire une différence, ïéáäì, parce que c’est un
mode verbal autoritaire, perturbe déjà l’objet que l’on cherche à
comprendre. Comme si la différence que l’on introduit n’était pas
présente à l’origine.
Du point de vue de l’étymologie française, « comprendre » est
un verbe encore plus « violent » : il s’agit de prendre l’objet, avec
(cum) des concepts qui permettent de se l’approprier. Comprendre,
c’est donc saisir, englober et figer l’objet, au risque d’en faire une
idole ou un concept fossile. C’est cette préhension qu’induit le
verbe comprendre, qui fait que certains concepts (Dieu par
exemple), certains souvenirs et certains sentiments ne peuvent être
formulés sans être d’une certaine manière dévitalisés.
La langue anglaise propose une approche moins invasive du
verbe comprendre : understand, disposer un socle sous (under)
l’objet à étudier pour le faire tenir debout (stand). Il faut redresser
l’objet et le placer sur un socle, parce qu’un objet qui ne tiendrait
pas debout dans notre représentation du monde n’aurait pas droit
de cité.
La science avait déjà établi l’impossibilité de mesurer un
phénomène sans le perturber. Cette théorie a même réussi à
déterminer la perturbation minimale requise pour effectuer une
mesure donnée. Accéder à une vérité ne peut se faire sans fausser
un peu cette vérité.
Comprendre aussi, parce qu’il s’agit d’une mesure, ne peut se
faire sans altérer la vérité de ce que l’on cherche à discerner.
Question existentielle s’il en est : il n’y a pas de point fixe
suffisamment robuste pour que nous puissions nous y arrimer sans
le déplacer. Comme si nous étions plongés dans une étendue d’eau
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et prenions appui sur un rondin pour nous propulser : impossible
de prendre de la vitesse sans propulser le rondin dans la direction
opposée.
Il nous est impossible de nous arrimer à une idée sans la
déstabiliser.
C’est donc dans une démarche à pas feutrés, un éveil méditatif
dans le silence des concepts, un questionnement sincère des textes
de la tradition juive, et une réflexion prudente sur les perspectives
du Temps, que je vous invite à cette lecture.
Eternité et Modernité : La Clé des Temps.
Jacob Ouanounou
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