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Université Paul Verlaine de Metz
Domaine Sciences des Interactions Humaines et Sociales
Master mention Esthétique, arts et sociologie de la culture
UFR Sciences Humaines et Arts
Master 2 spécialité professionnelle : Arts de l’exposition et Scénographie
STEFFIN Elodie
Le décor factice :
tradition et modernité
(dans le théâtre – le cinéma – le concert)
Mémoire de Master 2 Art de l’exposition et Scénographie
Sous la direction de Madame Chantal GUINEBAULT
Septembre 2009
Suivi de
Rapport de stage de Master 2 Art de l’exposition et scénographie
Tuteurs enseignants : GOETZ Olivier et GUINEBAULT Chantal
Tuteurs professionnels : LIGER Julien, CHEVALIER Eric, ROTUNNO Donato
A Daniel Momper, mon compagnon.
Université Paul Verlaine Metz
Domaine Sciences des Interactions Humaines et Sociales
Master mention Esthétique, arts et sociologie de la culture
Master 2 spécialité professionnelle : Arts de l’exposition et Scénographie
STEFFIN Elodie
Le décor
décor factice :
tradition et modernité
(dans le théâtre – le cinéma – le concert)
Mémoire de Master 2 Art de l’exposition et Scénographie
Sous la direction de Madame Chantal GUINEBAULT
Septembre 2009
Sommaire
INTRODUCTION........................................................................................................................................3
LE THEATRE..............................................................................................................................................6
LE CINEMA ..............................................................................................................................................31
LE CONCERT ROCK ...............................................................................................................................53
CONCLUSION ..........................................................................................................................................74
TABLE DES MATIERES..........................................................................................................................77
1
« Nous pouvons y rêver sans fin, agir à notre guise,
imaginer et recréer des mondes qui,
recouverts par la toile de l’oubli,
ont depuis longtemps disparu,
en faire d’autres qui n’ont jamais existé. »
George WAKHEVITCH
Remerciements
Un grand merci, à Chantal Guinebault, ma directrice de recherche, pour avoir
cru en ce mémoire et pour ses conseils judicieux.
Je remercie également Sylvie Lefèvre et Christelle Conrad pour leurs précieuses
corrections, ainsi que Daniel Momper pour son soutien sans faille.
2
Introduction
« L’objet de la scénographie, est de composer le lieu nécessaire et propice à la
représentation d’une action, le moyen en est la mise en forme de l’espace et du
temps. »1 Ainsi pour développer une action, il faut pouvoir récréer un espace adequat,
unitaire et homogène, pour élaborer une scénographie au service d’une dramaturgie
et/ou d’une histoire. S’il n’y a pas cette notion de texte, cette organisation des actions,
au préalable, il ne peut y avoir de scénographie. De plus, « toute scénographie implique
– dans l’ordre de la réalité et dans celui de la fiction – le choix d’une perspective, d’un
cadre, d’un décor. »2 Ainsi le décor constitue l’une des parties les plus importantes de la
scénographie : la représentation de l’espace de façon réelle, ici, en opposition au virtuel.
« Le décor peut être : figuratif ou abstrait, unique ou multiples, successif ou simultané,
fixe ou changeable, statique ou dynamique, matériel ou immatériel, peint ou construit,
praticable ou non-praticable, de création ou de répertoire. Il y a toujours un décor, y
compris l’absence de décor »3. L’idée de cette recherche est de préciser alors, que ce
décor peut être réel, factice ou encore virtuel et d’analyser ces notions.
Le décor réel, comme son nom l’indique, représente ce qu’il est, sans artifice : il
utilise des matériaux concrets, non spécifique au domaine du spectacle (mobilier du
commerce, bâtiments existants et autres « ready-made »). Le décor factice (et non
fictif), quant à lui, simule une chose : il la fait paraître comme réelle alors qu’elle
n’existe pas effectivement. De plus, il ne sera jamais cette chose, mais juste son image.
Ce décor éphémère est aussi appelé – plus que tout autre - à être détruit. On le dit factice
car il est trompeur, il n’est qu’illusion. Il y a souvent confusion avec le terme fictif, qui
lui désigne un imaginaire, qualifie ce qui n’est pas réel. Mais tout spectacle est par
définition fictif tout en comportant une part de réalité : celle de sa réalisation ou du
moment de la représentation, et celle du spectateur. De fait, c’est dans cette double
réalité qui caractérise la théâtralité que s’impose le décor factice, par sa construction et
par l’illusion qu’il provoque. Le décor virtuel, quant à lui, imite aussi la réalité, mais il
1
FREYDEFONT, Marcel (sous la direction de), Petit traité de scénographie, éd. Joca seria, coll. Les
carnets du grand T, Nantes, 2008, p.23.
2
Ibid. p.25.
3
Ibid. p.29.
3
n’existe pas en soi, il ne porte aucune substance en lui (à la différence de la peinture,
des résines et autres matériaux d’imitation).
Parmi ces différents décors, ce mémoire se consacre plus précisément au décor
factice. Souvent dénigré, par son association avec l’expression « carton-pâte », il
connaît pourtant encore aujourd’hui dans le milieu du spectacle un usage apprécié et
bénéficie d’une grande considération de la part des professionnels. Le « carton-pâte » se
définit comme : « carton fabriqué à partir de déchets de papier et de colle, susceptible
d’être moulé. En carton-pâte : factice (comme un décor de théâtre, de cinéma, etc….) »4
Cette définition explique donc bien que le décor factice est un décor de « carton-pâte »
car il se fabrique parfois avec ce matériau, que nous nommons aussi papier mâché. Il a
donc un coté désuet, évoquant le bricolage du mercredi après-midi, pour le grand public
qui lui donne une connotation péjorative en toute méconnaissance de sa technicité. Les
vrais professionnels, eux connaissent la valeur de ce savoir-faire, la difficulté de son
apprentissage et l’utilité, voire l’économie, de son emploi. De plus ces dernières années,
il a connu une évolution fort intéressante. Ainsi dans le décor et dans sa pratique, ce
terme de « carton-pâte » est finalement peu utilisé par ceux qui le font (peintres,
accessoiristes) et pour cause, de nouveaux matériaux sont apparus avec des techniques
spécifiques (comme le polystyrène par exemple). L’art du factice c’est enrichi au point
que la fonction de peintre en décor recouvre dorénavant, bien d’autres connaissances.
Cependant, malgré cet intérêt, si l’on trouve quelques ouvrages sur le décor de
théâtre, en revanche, le décor factice en lui-même est extrêmement peu étudié. C’est ce
qui a donné naissance à cette envie, de ma part, liée à mes goûts et penchants
personnels, de mener une étude sur ce sujet, pour prouver que le décor factice existe en
dehors de la sphère théâtrale et qu’il s’est largement diversifié, jusqu’à devenir un parti
pris scénographique, jusqu’à proposer une esthétique originale.
Comment a évolué le décor factice, en occident, dans la représentation d’un lieu
où se déroule une action ? Comment est-il employé actuellement dans différentes
disciplines artistiques ?
C’est pourquoi, trois domaines distincts seront exposés ici, le théâtre, le cinéma
et le concert, chacun possédant des spécificités propres, face à cet usage du décor
factice. Dans un premier temps, nous examinerons l’évolution de ce décor et les
4
Définition donnée par le dictionnaire Petit Larousse 1989
4
techniques employées pour le créer, mais aussi les rapports qu’entretiennent ces
différentes spécialités entre elles. Dans une seconde partie, nous approfondirons cette
recherche par des exemples précis d’évènements actuels mettant en scène le décor
factice, pour démontrer sa capacité et son efficacité, mais aussi qu’il est plus que jamais
présent dans ces différentes sphères. Les expériences et les observations de terrain que
j’ai pu mener cette année ont été de formidables objets d’études vis-à-vis de ce
questionnement, validant de façon pragmatique la plupart de mes hypothèses, idées ou
intuitions, révélant surtout à mon sens, la modernité, d’une pratique et d’une esthétique
vieille comme la représentation en perspective. Le caractère paradoxal de cette
démonstration à d’ailleurs présider au choix d’un plan très simple : la complexité de la
problématique et des notions abordées nécessitant pour moi un cadre bien structuré. De
plus ce plan est également lié à certaines expériences que j’ai pu mener lors de mes
stages.
5
Le théâtre
6
A. Le décor dans toute sa splendeur
Le théâtre, sans doute le plus ancien des spectacles vivants avec 26 siècles d’âge,
regroupe dans son enceinte, l’opéra, le ballet et le théâtre en tous genres. Il désigne aussi
bien le lieu de la représentation que la représentation elle-même. Joué pendant des
siècles à l’extérieur, il est petit à petit devenu un spectacle de scène, enfermé dans un
écrin. Mais il s’extériorise à nouveau pour au grand dam du cinéma et de la télévision
qui certes le servent parfois. Le public toujours présent, est transporté vers un univers
d’illusion, vers le milieu de l’auteur, dans une histoire de texte et de jeu d’acteur où le
décor vient offrir ses services dans une évolution perpétuelle de la scénographie.
L’artiste fait partie intégrante du théâtre, comédien, dramaturge, scénographe, mais
aussi peintre, peintre décorateur, artiste peintre « la décoration théâtrale a presque
constamment reflété les tendances générales de la peinture. »5 La peinture, celle qui a
permis de nombreux décors et qui fait encore de nos jours rêver. Ces décors qui sur
toute la durée de vie du théâtre n’ont eu de cessent de se modifier, de se peindre, de se
construire, de se déconstruire.
1. Evolution des décors
Les premiers décors, considérés comme tels, semblent avoir fait leur apparition
pour la première fois dans le théâtre grec antique. Les écrits des philosophes grecs
comme Aristote (384-322 av. J.-C.) sont les premières mentions de thème comme le
décor ou la scénographie « Sophocle utilisa trois acteurs et introduisit les décors peints
[skènègraphia]. »6 Ainsi Sophocle fut le premier décorateur répertorié en utilisant pour
la première fois des décors peints. Ces toiles peintes, représentent la plupart du temps
des colonnades en trompe l’œil, qui reposent sur la façade de la skènè, seul élément
pouvant être considéré comme un possible décor, mais n’offrant aucune illusion de la
réalité. Souvent la végétation et le panorama environnants servaient à eux seuls de lieu
pour l’action dans ces vénérations aux dieux qui se déroulaient toujours en extérieur.
5
MOUSSINAC, Léon, La décoration théâtrale, éd. F. Rieder et Cie, Paris, 1922, p.1.
FREYDEFONT, Marcel (sous la direction de), Petit traité de scénographie, éd. Joca seria, coll. Les
carnets du grand T, Nantes, 2008, p.53.
6
7
Très vite, le théâtre grec se dirigea vers une évolution de son décor grâce à l’invention
de machinerie qui l’amène vers une image spectaculaire. Les simples toiles peintes se
transforment en prismes de bois pivotants et mobiles pour signifier les différents lieux
de l’action. Des praticables, symbolisants l’intérieur des temples par des autels, des
tombeaux et des statues, firent leur apparition ainsi que des toiles représentants des
éléments naturels tels que la végétation ou des rochers pour « stimuler l’imagination des
spectateurs et donner à la fiction le décor qu’elle réclame. »7 Les représentations
théâtrales se déroulaient souvent à l’occasion de fêtes religieuses et mettaient en scène
dieux et héros, et pour cela, ces spectacles devaient être époustouflants et à l’époque
l’effet était sans doute garanti.
Avant de créer leurs propres théâtres en pierres, les romains imitèrent les grecs
dans leur façon de représenter un espace, avec les mêmes toiles peintes et les mêmes
praticables. Mais ils avaient également instaurés une toile de fond peinte pour
symboliser le lieu de l’action. Comme ils construisirent des cirques pour les spectacles
de gladiateurs, ils firent de même pour le théâtre qui pour eux aussi, servait à vénérer les
dieux en relatant leurs exploits. Le fond de scène devient alors un élément imposant
représentant toutes sortes de statuaires que venaient compléter des toiles peintes sur
châssis coulissants et sur des prismes de bois pivotants. L’évolution du théâtre latin
puisa, sans doute, aussi des idées dans les combats de gladiateurs qui se perfectionnaient
de plus en plus au niveau des accessoires, mais aussi à la naumachie, qui demandait de
véritables prouesses techniques pour ses combats nautiques à l’intérieur des cirques.
Dans l’Antiquité, il n’existe alors que « trois types de décor peint : colonnes et frontons
pour la scène tragique, maisons et balcons pour la scène comique, bocages et cavernes
pour les mimes bucoliques. »8 Ces mêmes décors tomberont dans l’oublie avant même
la fin de l’empire romain mais seront redécouverts à la Renaissance qui les exploitera à
nouveau avant de tomber en désuétude avec le classicisme. En effet, dans la Rome
antique, les spectacles sanglants du cirque prendront le dessus sur les représentations
théâtrales qui disparaîtront pour ne refaire surface qu’au Moyen Age où le théâtre
prendra à nouveau tout son sens.
7
8
PRUNER, Michel, La fabrique du théâtre, éd. Nathan, coll. Lettres sup., Paris, 2000, p.183.
Ibid. p.184.
8
9
La représentation théâtrale médiévale, se base elle aussi sur la religion et les
textes bibliques et aura le même rôle éducatif que les vitraux. Cependant la question du
décor au Moyen Age n’est pas absolument confirmée, très peu de documents existent
sur cette période mais la majorité des chercheurs tendent vers cette opinion : « ce n’est
vraiment qu’au moyen âge, dans les drames sacrés, dans les mystères, que le décor
commença à jouer un rôle considérable. »9 Nous pouvons donc penser que le clergé
soutenu par le roi mit tout en œuvre pour rassembler les foules autour des mystères et
miracles, les premiers illustrant l’Ancien et le Nouveau Testament et les seconds la vie
des saints et des martyrs. Ces spectacles se déroulaient dans la rue sur des échafaudages
ou des mansions, des petites loges aux véritables décors construits et peints par les plus
grands artistes de l’époque. Cette scène simultanée, en opposition à nos scènes actuelles
successives, représentait vraisemblablement le Ciel, la Terre, l’Enfer ainsi que les lieux
saints à renfort de « débauches décoratives »10 où le spectateur se déplaçait selon
l’évolution du spectacle. La machinerie connut elle aussi un nouvel essor, et d’après
certains témoignages répertoriés, ces spectacles montraient un réalisme spirituel si
important que la foule et les acteurs ne discernaient parfois plus la réalité de la fiction.
Au fil du temps, les thèmes religieux firent place à des représentations plus légères tels
les moralités, farces et soties. Le décor s’employait aussi dans toute la ville lors de
visites officielles de souverains, naissaient alors des fontaines et des arcs de triomphes
occupés par des acteurs. Ainsi « allégories et fables mythologiques, musique et chants,
lumières, costumes somptueux, machines et apparitions aériennes tels sont les éléments
essentiels de ces spectacles que l’on retrouvera bientôt à l’origine du ballet et de
l’opéra. »11
A la découverte des écrits de Vitruve, la Renaissance va à l’encontre du théâtre
médiéval qu’elle juge « barbare » et souhaite ramener à nouveau la splendeur des
théâtres antiques. La construction de théâtres s’exécute alors sur les plans d’architectes
italiens tels que Serlio ou Palladio. La scénographie reprend tous les concepts latins, du
mur de fond de scène décoré en arc de triomphe avec trois ouvertures, aux prismes
pivotants (les périaktois ou périactes) en passant par les panneaux coulissants. Les toiles
de fond représentent à nouveau des décors peints typiques de l’antiquité romaine. Le
9
LAUMANN, E. M., La machinerie au théâtre depuis les grecs jusqu’à nos jours, éd. Maison Didot,
Paris, 1897, p.24.
10
PRUNER, Michel, La fabrique du théâtre, op. cit. p.185.
11
SONREL, Pierre, Traité de scénographie, éd. Librairie théâtrale, Paris, 1984, p.22.
10
rôle du décor devient également double, il précise le lieu de l’action, différent du lieu de
représentation et permet aussi de dissimuler l’acteur, quand sa présence sur scène n’est
pas indispensable, pour un plus grand réalisme. Le cadre de scène se referme sur luimême pour la recherche d’un espace toujours plus vaste. La perspective fait alors son
apparition et se conçoit alors la réalisation de nombreux bâtiments sur un espace réduit.
Pour accentuer encore cet effet de profondeur les architectes appliqueront une pente à la
scène. Les décors se construisaient alors en bois, toile ou encore staff (mélange de plâtre
et de fibre végétale) et finement peints mais de manière très théâtrale, exagérée, « plus
ornementale et symbolique qu’utilitaire »12. Mais ces décors furent abandonnés par
soucis économique et remplacé par de simples châssis peints. Sont nés de cette période,
le théâtre à l’italienne et le décor successif.
Cependant, au XVIIe siècle, la scène simultanée connaît un nouvel essor tout en
prolongeant la tradition des mystères. Tous les décors se retrouvent alors sur une même
scène et, le travail du décorateur comme le jeu de l’artiste, en sont perturbés. Une
seconde période verra le triomphe du lieu unique mais les scènes se dérouleront encore
devant un simple rideau de toile peinte où le texte dominera le décor. Il tient plus un
rôle de simple décoration et ne sert en rien l’action de la pièce. L’évolution du décor au
XVIIIe siècle relèvera surtout à de la suppression des banquettes de spectateurs de la
scène, qui jusque là encombraient les décors et empêchaient les acteurs d’effectuer
correctement leur jeu. La totalité de la scène devient alors un espace de jeu et de
plantation de décor. La scène comprend à nouveau à des décors successifs ce qui enlève
la surcharge de décor qui empêchait une totale lisibilité de la pièce. Le théâtre s’oriente
de plus en plus vers le réalisme, le décor prend alors toute son importance jusqu’à son
apogée au XIXe siècle. Avec l’arrivée de l’éclairage au gaz, l’époque romantique voit
son espace traité en image visuelle et tableaux courts. Il faut donc renouveler le décor
avec du matériel mobile, comme les praticables, escaliers et autres balcons. Les
accessoires comme les vrais meubles offrent alors de réels objets scéniques au comédien
dont le jeu devient plus réaliste. Cette révolution entraînera aussi la création de décors
spécifiques pour chaque pièce ce qui n’avait jusque là jamais été fait.
12
PRUNER, Michel, La fabrique du théâtre, op. cit. p.186.
11
Le XVIIe siècle
Le XXe siècle
12
Vers la fin du XIXe siècle, un nouveau courant de pensée, le naturalisme remet
en cause l’image scénique qui s’expose sur la scène. Ce courant tend vers un théâtre
politique, social, proche du peuple et prône la vérité, vérité du jeu, de l’espace, de la
description, « une copie exacte de la nature ».13 Le décor peint doit être aboli et seule
l’authenticité de vrais meubles et accessoires, accompagnés de décors construits et de
praticables représente la vérité qui fera du jeu de l’acteur un jeu vrai. Cependant la
technique reste classique, composée de châssis, frises et rideau de fond. Les naturalistes
rejettent le décor du répertoire qui jusque là guidait les décorateurs et proposent même
un jeu hors champ de l’acteur dans une salle de spectacle qui n’est plus plongée dans la
pénombre. D’autres encore veulent révolutionner le décor en faisant appel à des peintres
en dehors du théâtre qui malgré la richesse et la qualité de leurs œuvres ne réussissent
pas « à remodeler une plastique théâtrale ».14 Au même moment, le symbolisme
s’oppose à la fois au théâtre classique et au décor peint illusionniste ainsi qu’au
naturalisme pour mettre en avant le texte. Il plonge alors la scène comme les spectateurs
dans une pénombre ambiante pour renforcer le mystère et l’étrange du poème, pour
amener le théâtre vers une abstraction, un détournement du décor, voir son absence
totale. Cependant grâce à la « fée électricité », le décor construit se généralise et avec lui
de nouveaux moyens d’expression tels que le plateau tournant, coulissant ou encore le
cyclorama.
Le XXe siècle, Gordon Craig et Adolphe Appia, considérés comme des
« décorateurs et scénographes utopistes »15, réinventent le terme de scénographie, pour
lui donner sa définition contemporaine, qui au-delà du décor, crée tout un espace
scénique. Elle prend alors toute son ampleur. Cet espace se construit alors avec des
praticables de différents niveaux pour offrir à l’acteur, différentes aires de jeux avec un
rejet absolu de la toile peinte, « tout sur scène doit être en trois dimensions »16. Le
théâtre n’imite plus la nature mais représente un idéal qui tend vers une architecture
abstraite et rythmique, ainsi que la suppression de la coupure entre la scène et la salle.
Pour structurer l’espace G. Craig emploie aussi des screens, des paravents semblables à
des écrans verticaux qui recréer une troisième dimension. Chez A. Appia comme chez
G. Craig, se retrouvent les règles du Bauhaus, la sélection, la simplification et la
synthèse. Le constructivisme russe et le symbolisme tendent aussi vers une
13
SONREL, Pierre, Traité de scénographie, op. cit. p.89.
Ibid. p.91
15
DEGAINE, André, Histoire du théâtre dessinée, éd. Nizet, Saint Genouph, 1992, p.132.
16
Ibid. p.132.
14
13
tridimensionnalité de l’espace et une expansion de l’espace scénique vers le public. Le
décor doit profiter des nouvelles techniques et se composer avec des matériaux solides
et non plus picturaux. Pour Bertolt Brecht, le décor joue sur un mélange savant de
réalisme, de stylisation, d’abstraction et de paradoxe. Il enlève toute illusion de la scène
en ne cachant ni les projecteurs ni le changement de décor. Dans les année 60-70 a lieu
un éclatement conséquent de la scène. La technologie et la projection d’images sur la
scène intègrent ainsi le théâtre grâce à des scénographes comme Josef Svoboda. Un
retour au cadre se produit dans année 80-90 ainsi que la redécouverte des éléments de
décor classiques.
Le décor, dans l’évolution du théâtre, a pris plus ou moins d’ampleur, suivant les
périodes. Parfois l’acteur prenait le dessus, parfois le texte, néanmoins le décor, la
scénographie ont toujours eu un emploi conséquent et même par leur absence, ils se
trouvaient insidieusement représentés.
2. Composition du décor, techniques et matériaux
Après ce bref historique sur l’évolution du décor, voyons quels sont les
techniques et les matériaux utilisés pour créer les différents éléments qui composent un
décor. Cet aperçu tentera de présenter au mieux ce qui se fait actuellement en terme de
décor factice dans le théâtre et plus particulièrement à l’opéra qui est plus enclin à
l’abondance de décors. Cependant, les techniques et matériaux plus anciens, mais
toujours utilisés, trouveront aussi leur place ici, ainsi que certains éléments de décor qui
peuvent paraître désuets, mais qui possèdent néanmoins un certain intérêt.
Il existe trois types de décors : le décor peint, construit et semi-construit. Le
décor peint, ou à l’italienne, est de composition classique. Il comporte des éléments
bidimensionnels, comme les châssis ou les rideaux, auxquels s’ajoutent parfois des
praticables, le tout traité en trompe-l’œil. Les praticables se retrouvent aussi dans le
décor construit, considéré comme moderne, et se compose uniquement d’éléments
solides, le plus souvent en bois, et qui au lieu de figurer un relief, possèdent une réelle
profondeur. Le décor semi-construit additionne ces deux techniques et combine à la fois
le relief peint en trompe-l’œil et le relief véritable.
14
Le décor classique comprend donc des éléments souples et des éléments rigides.
L’élément majeur de ce type de décor fut pendant longtemps le rideau de fond ou toile
de fond qui représente le décor au lointain et clôt la scène. Il figure le lieu de l’action
dans sa globalité, comme un paysage par exemple, ou symbolise le ciel. Cette toile,
comme la majorité des éléments fluides, est en lin, en jute, ou, le plus souvent en coton.
Mais pour des raisons économiques, elle peut aussi être en papier. Le cyclorama, qui est
une toile de couleur claire « en grande largeur, sans couture, cachant toute la découverte
du fond et des côtés de la scène en un mouvement circulaire »17 , remplace de plus en
plus la toile de fond. Actuellement, les gens du spectacle nomment cyclorama, la toile
de fond neutre sur laquelle s’effectue un jeu de lumière qui permet une mise en
ambiance de la scène. Les autres types de rideaux représentent le plus souvent une
continuité de la toile de fond pour créer une perspective ou des élément distincts de
l’action comme des arbres ou une partie d’une architecture. Ces rideaux rassemblent le
rideau découpé et la principale, des sortes de toiles de fond trouées pour laisser paraître
la vraie toile de fond, et les frises utilisées pour de cacher les cintres. Le tulle peint est
aussi très utilisé, il permet d’avoir une sorte de fausse toile de fond c'est-à-dire que
suivant la lumière, le tulle sera opaque et formera la toile de fond, ou il deviendra semiopaque et donnera un effet de superposition des deux toiles, ou sa transparence ne
laissera voir que la toile de fond. Les découvertes présentent quand à elles, un au-delà,
« ce sont des écrans que l’on dispose derrière une ouverture dans un décor, tel qu’un
jardin vu au travers d’une fenêtre, un vestibule sur lequel ouvre une porte »18. Les
pendrions, des rideaux de faibles largeurs, servant à cacher les coulisses peuvent être
soit en velours noir, soit en tulle. Ils exercent le même rôle que les châssis de coulisse.
Les châssis délimitent le décor sur les cotés ce qui permet une diminution ou une
augmentation de l’espace de jeu. Ils se composent d’une armature en bois recouverte
par une toile tendue ou d’une plaque de contreplaqué entoilée. Le fond de scène se
conçoit parfois avec un châssis rigide de grande taille représentant une architecture, ce
châssis s’appelle alors une ferme. Les châssis comme les fermes peuvent être surmontés
par un couronnement, un châssis horizontal qui permet de cacher les cintres comme les
frises. Les châssis de contreplaqué sont de formes diverses et se découpent à la scie
sauteuse, très minutieusement, pour leur donner une forme adéquate.
17
18
BATAILLE, André, Lexique de la machinerie théâtrale, éd. Librairie théâtrale, Paris, 1998, p.35.
SONREL, Pierre, Traité de scénographie, op. cit. p.147.
15
16
Tous ces différents éléments seront ensuite ignifugés et peints avant d’être
montés sur scène. L’ignifugation rend « ininflammable par traitement chimique les
matières combustibles »19 . La peinture, très importante dans ce type de décor, permet
un trompe-l’œil et donc une perspective qui donnera un relief à cet ensemble. La
technique pour la représentation du dessin sur le châssis ou le rideau se nomme la mise
au carreau et permet de passer avec exactitude de la maquette à la grandeur réelle. Le
peintre exécute son travail debout sur la toile fixée horizontalement au sol. Dans cette
position il réalise des perspectives qui s’adapteront au regard du spectateur, mais aussi
de parfaites copies des différents matériaux, textures et couleurs. Pour cela, il utilise de
la peinture acrylique, qui une fois mélangée à de l’eau procurera aussi des jus, qui
serviront à peindre de grandes surfaces, ainsi qu’à créer des transparences pour des
imitations de faux marbre ou de faux bois. Il existe aussi de nombreux pigments
colorés, qui combinés à du liant, produisent des couleurs parfois plus pures. Mais ils
s’utilisent surtout lorsqu’il s’agit de couleurs métalliques, telles que l’or ou l’argent,
pour un rendu plus réaliste. Le peintre se servira aussi, dans de rare cas, de la feuille
d’or, plus contraignante, car plus coûteuse et plus difficile à maîtriser. La peinture à
l’huile, employée avant la venue de l’électricité dans les théâtres, a été bannie des
ateliers de décors à cause de son poids et des reflets qu’elle provoque sous l’éclairage.
Pour les différentes couches de peinture, et selon les effets souhaités, il travaillera avec
des balais (des brosses à longs manches), des pinceaux plus ou moins gros, des brosses
de main ou encore des éponges.
Le décor construit quand à lui se compose essentiellement de praticables, des
volumes pouvant accueillir plusieurs personnes, et ayant le plus souvent une ossature en
bois. Celle-ci se verra recouverte de différents matériaux suivant l’aspect souhaité.
Ainsi les ateliers de décors recourent au contreplaqué, au staff, au carton pâte mais aussi
à des matériaux de synthèse tels le polystyrène, la mousse polyuréthane, à toute une
gamme de tissus, mais aussi aux divers matériaux existants, que le décorateur voudra
attribuer à son décor. Ainsi pourront être sculptés des décors, aussi divers et que variés,
comme des rochers, des arbres, des statues, des colonnes, le tout parfaitement adapté au
jeu du comédien. Les praticables doivent répondre à des normes techniques et de
sécurité, pour être les plus légers possibles et sans risque, ainsi que très maniables, le
tout pour un montage et un démontage facile et sans encombre. Les structures peuvent
19
BATAILLE, André, Lexique de la machinerie théâtrale, op.cit. p.62.
17
aussi être métalliques, et l’aluminium sera privilégié, car léger et résistant. Certains
éléments de mobilier ou des accessoires, ne répondant pas aux normes habituelles, se
soumettront également aux règles de la construction théâtrale.
Une fois ces différents éléments construits, certains décors, comme ceux en
polystyrène par exemple, seront renforcés par des bandes de tarlatane (une sorte de tulle
très fin) disposé à l’aide de slastic, un dérivé du latex. En mélangeant le slastic à divers
produits naturels comme la sciure ou la paille, la pâte obtenue produit de la matière pour
le décor. La résine permet aussi d’obtenir une solidité à toute épreuve. Ensuite, ils
passeront entre les mains des peintres décorateurs. La peinture se fera plus
grossièrement que sur les châssis, car le relief existant déjà, ce dernier n’a plus besoin
d’être inventé. Le praticable se composera de différentes couches de peintures, une
sous-couche avec la couleur d’ensemble, sur laquelle se rajouteront des jus et un travail
à la gouttelette, puis pour finir, un travail plus fin s’effectuera pour les détails. Mais il
pourra aussi être travaillé de façon uniforme ou par couche épaisse ou encore très
finement suivant le rendu souhaité.
Le sol et le plafond, lorsqu’ils ne comprennent pas de frises, sont aussi traités de
différentes façons. Le sol se peint en trompe l’œil, ou se recouvre de différentes
matières comme de la moquette en fausse herbe ou plus simplement d’un tapis de danse.
Mais grâce à divers matériaux existants comme l’autocollant, le sol se décline sous
différents aspects, mat ou brillant et de toutes les couleurs. Le plafond, « châssis
suspendu au cintre imitant la décoration d’un plafond et venant se poser à plat sur le
haut des châssis verticaux »20, remplace les différentes frises pour cacher les cintres. Il
est parfois construit pour donner une réelle illusion de pièce close. Les décorateurs
comme les membres des ateliers de décors effectuent un réel travail de recherche sur la
matière pour vraiment créer la vision du scénographe.
Avec les avancées techniques et technologiques, ainsi que l’imagination toujours
plus débordante, le décor se transforme en décor virtuel, avec des projections sur toile
ou rideau de fil actuellement très à la mode. Ces mêmes projections, émises par l’arrière
des toiles pourraient sonner le glas de la peinture décorative. Mais le théâtre s’attache à
sa tradition pour le plus grand plaisir des yeux et une telle prestation aurait un coût
certain. Les effets de lumières viennent renforcer cette autre dimension, grâce à des
formes de plus en plus complexes, et expriment ainsi certains aspects du décor qui ne
20
BATAILLE, André, Lexique de la machinerie théâtrale, op.cit. p.82.
18
seraient pas réalisables comme une pluie qui tombe. De nombreux nouveaux
appareillages font leur apparition sur la scène pour emmener le spectateur toujours plus
loin dans le monde visuel du spectacle.
Depuis la création du décor, celui-ci a eu le temps de changer, de faire ses
expériences, de continuer ou pas dans une direction puis tout à coup de bifurquer. Il
laisse libre cour à l’imagination du scénographe pour la composition mais aussi pour
l’utilisation de matériaux toujours plus innovants et surprenants. Dans son évolution, le
décor de théâtre se dirige toujours vers une grande facticité. Car le théâtre reste une
mise en scène jouée, et non réelle, qui permet des dérives aussi bien dans le dialogue
que dans la scénographie. Ce parti pris fonctionne grâce à la vision que le décor doit
produire sur le public sur la petite surface que représente la scène. Le factice permet le
voyage grâce à une maniabilité et une légèreté, ainsi un même décor pourra être
présenté dans plusieurs lieux différents, ce qui est un gain de coût mais aussi le pouvoir
d’un rayonnement.
B. Le décor factice, prince de l’opéra
L’utilisation du mot « prince », en rapport avec l’expression « l’œil du prince »,
dans le titre, précise l’importance de la perspective dans le décor factice surtout lorsqu’il
s’agit de décor peint. Le trompe-l’œil et l’usage de la tridimension proposent aux
spectateurs une illusion du réel qui s’emploie abondamment dans les opéras et les
ballets. Alors que le théâtre se modernise de plus en plus, ces deux genres préfèrent
encore les dispositions classiques. Même si les nouveaux scénographes tendent vers des
réalisations scéniques plus contemporaines. Le décor factice reste une sorte
d’institution, et le public désire cette vision esthétique, qui fait partie d’un patrimoine
culturel. Effectivement, l’opéra perd de plus en plus ses voix exceptionnelles comme le
ballet ses danseurs hors pairs, et pourtant, le public demande « à voir » dans ces arts
visuels. La scénographie, au-delà de son simple support à l’acteur, se dirige vers une
importance, qui de sa fonction principale de décor, la dirige peut-être vers une œuvre
d’art à part entière. Seulement, elle ne vit que par le corps qui l’investit. Le décor factice
évolue vers une esthétique propre, pour donner au spectacle une nouvelle envergure, et
19
même si le décor sert avant tout l’œuvre générale, un décor somptueux est toujours
apprécié de l’oeil.
Les différentes œuvres étudiées, ci-après, furent programmées lors de la saison
2008-2009 de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Les décors qui les accompagnent,
présentent la particularité d’avoir été chacun entièrement réalisés dans l’atelier de décor
de ce même lieu. Ils définissent aussi les deux types majeurs de décor, le décor peint et
le décor construit.
1. Le décor peint
Le ballet fantastique Giselle ou les Willis, écrit par Adolphe Adam (1803-1856)
sur un livret de Théophile Gautier, se compose en deux actes. Sa première
représentation s’effectua le 28 juin 1841 à l’Opéra de Paris. Il s’inspire de la légende
des Willis, « ces fiancées mortes d’amour qui hantent la Forêt Noire »21 et entraînent,
une fois la nuit tombée, leurs fiancés et les voyageurs égarés, dans de folles danses
mortelles jusqu’au lever du jour. Ce ballet relate l’histoire de Giselle, une jeune
paysanne amoureuse de Albrecht qui lui a juré fidélité. « Elle danse en son honneur,
oubliant les remontrances de sa mère qui lui rappelle l’histoire des Willis. Amoureux de
Giselle, le garde-chasse Hilarion découvre qu’Albrecht n’est autre que le duc de Silésie,
fiancé à la fille du duc de Courlande. Devant tous il révèle l’identité de son rival. Giselle
en perd la raison et s’effondre sans vie. Venus tour à tour se recueillir le soir, sur la
tombe de Giselle, Hilarion et Albrecht sont la proie des Willis et de leur reine,
l’implacable Myrtha, qui les condamne à danser jusqu’à la mort. Sortant de sa tombe,
Giselle, nouvelle Willi, tente en vain d’intervenir. Albrecht ne sera sauvé que par les
premières lueurs de l’aube qui font rentrer les Willis dans leurs tombes… »22
Le décor étudié pour ce ballet, date de 2009 et fut conçu par Eric Chevalier. Ce
décor répond à des normes précises. Certaines scènes demandant un grand nombre de
danseurs, l’espace doit être volumineux pour permettre aux différents corps de ballet de
s’exprimer sans encombre. Ainsi les éléments scéniques se trouveront à cour et à jardin
ainsi qu’au lointain pour laisser un espace central dégagé.
21
22
Programme de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, saison 2008-2009, p.28.
http://tout-metz.com
20
L’acte 1 de Giselle
L’acte 2 de Giselle
21
Le premier acte se déroule sur la place d’un village. Pour figurer ce dernier,
deux entrées de baraques sont présentes, l’une à jardin en avant et l’autre plus en arrière
à cour. Ces châssis obliques, en contreplaqués, offrent une perspective grâce à un point
de fuite et à la peinture en trompe-l’œil. La peinture exprime les aspects typiques d’une
architecture, telles que les boiseries ou la spécificité des fenêtres. Elle renforce aussi
l’idée de pauvreté, avec les fissures dans les murs et la couleur composée d’un camaïeu
de brun grisâtre. Celle-ci, réalisée à l’aide de jus et avec la technique de gouttelettes,
renforce l’idée de délabrement, de ces maisons pauvres. Ce décor propose une première
situation géographique, située vers l’Allemagne ou l’Autriche, donc le cadre de la
légende, la Forêt Noire. Ces châssis offrent cependant une tridimension à l’espace, car
les différentes portes s’ouvrent et permettent ainsi un jeu de la part des danseurs. Pour
signifier le reste du village, des pendrions de tulles, de la couleur dominante des
maisons cachent les coulisses. Le spectateur a alors l’illusion d’un va et vient entre les
maisons d’un village, avec au centre sa grande place, où l’action du premier acte se
déroule.
Quelques accessoires viennent annoter ce décor, une petite charrue, des paniers
remplis de vignes et un banc. Les deux premiers servent aussi à situer et à dater l’action.
Le spectateur apprend dès le début de l’acte que les différents protagonistes reviennent
des vendanges. Le banc, quand à lui, peint en trompe-l’œil à la manière d’un banc en
bouleau, symbolise la promesse d’amour entre Giselle et son riche amant Albrecht. De
cet élément va naître toute l’intrigue.
Le fond de scène se compose d’un cyclorama, de trois fermes (châssis rigide de
grande taille représentant une architecture ou un paysage) et d’une « fausse » toile de
fond. Ainsi la lumière diffusée sur le cyclorama, exprime le temps qui passe, avec des
variations de couleurs et d’intensité, comme le déroulement d’une vraie journée. La
ferme principale, représente un château sur une montagne recouverte de forêt. Les deux
autres, forment un paysage lointain composé de champs de vignes, de forêt et de
sommets élevés. Les couleurs employées, ne permettent pas de situer réellement le
temps de l’action, entre la matinée et la soirée. Cependant, les ombres indiquent un
soleil à l’Ouest, donc le début de soirée, cela semble plus être un effet de style plutôt
qu’une vraie datation, renseignée par le cyclorama. La « fausse » toile de fond, de tulle,
reproduit une forêt dense de conifères, telle qu’il s’en observe en Forêt Noire. Cette
toile, considérée comme un faux fond, se situe devant le cyclorama et les fermes. Selon
l’éclairage, elle s’opacifie pour réduire le fond à la forêt, puis se transforme en toile
22
semi-opaque, pour dévoiler le château et le paysage, et enfin elle se fait entièrement
transparente pour ne laisser que le cyclorama et les fermes. Ce fond délimite le lieu de
l’action, et permet donc un jeu d’opacité et de transparence comme si un brouillard
envahissait le lointain ou si l’obscurité le gagnait.
Le décor factice, comme toute scénographie théâtrale, sert à identifier le lieu de
l’action. Ainsi les façades des maisons, le château et le paysage environnant rattachent
la scène à la région de la Forêt Noire. Les maisons délabrées, aux couleurs ternes,
composant le village, s’opposent à la majesté du château, aux couleurs chatoyantes et à
la finesse du trait. Au milieu de ces deux mondes que tout oppose, va naître une histoire
d’amour tragique entre Giselle, la paysanne et Albrecht, jeune homme qui s’avèrera être
duc. Dans la morosité des maisons, se pressent déjà la mort proche de Giselle. La forêt
de la toile de tulle, symbolise la barrière géographique qui les sépare, mais aussi le lieu
qui leur permettra de se réunir au-delà de la mort, un lieu neutre empli de mystère. Le
décor peint offre de nombreuses qualités dans la production d’un ballet. Grâce à la
bidimension des châssis et des toiles, il permet un espace libéré mais avec assez de
détails pour situer l’action. Ainsi une scénographie, simple, convient à un ballet pour
une bonne expressivité du corps, et la facticité dépeint avec respect l’environnement de
l’histoire avec des matériaux adéquats et adaptés à ce type de représentation. Le décor
factice permet aussi des subtilités d’images avec le jeu de lumière, qui produisent des
sous-entendus pour mieux comprendre l’intrigue.
Au deuxième acte, Giselle est décédée. Son amant et son prétendant viennent
tour à tour se recueillir sur sa tombe qui se trouve dans la forêt. Le tulle de fond peint,
comprend de nombreux troncs d’arbres qui se perdent dans les profondeurs de la nuit,
teinté de bleu et de mauve, les couleurs de la nuit mais aussi du rêve, du mystérieux, du
fantastique. Le seul élément construit du décor est la pierre tombale de Giselle, factice,
en polystyrène agrémenté d’une peinture en trompe l’œil à l’aspect de pierre. Derrière le
tulle, des danseuses apparaissent, tel des fantômes, dans la forêt, grâce à un jeu de
lumière produit par des éclairs. Le faible éclairage bleuté et la fumée qui envahit la
scène au ras du sol, renforcent l’aspect mystérieux de la scène. Les pendrions, de
couleurs similaires au fond, renvoient à la notion d’apparition fantomatique.
Le décor de cet acte surprend par sa simplicité et son efficacité. Effectivement,
composé uniquement du tulle de fond, de prendrions et d’une pierre tombale, ce décor
organise un espace entièrement libéré qui propose alors une accumulation de danseuses,
personnifiant les Willis, le thème principal de ce second acte. Le tulle créé une
23
ambiance fantastique dans son opacité mais aussi par les apparitions que suggère sa
transparence. Ce décor épuré transmet toute l’ambiance nécessaire à cette scène ouverte
sur le mystère et emporte le spectateur dans l’univers fantasmagorique des Willis et de
leur reine.
Le décor peint convient donc parfaitement à l’adaptation d’un ballet, il produit
en un minimum d’espace un maximum d’effet et de détails, déterminants à la
compréhension de celui-ci. Par l’opacité et la transparence il s’ouvre sur un au-delà qui
fonctionne très bien avec cette légende. En plus de préciser l’action, il génère des
sensations visuelles qui soutiennent la danse et emportent le public vers une atmosphère
mythique voire mystique. Dans un monde, où le numérique conquiert de plus en plus de
terrain, nous nous apercevons qu’il est possible de créer des espaces offrant des effets
spéciaux sans avoir recours à l’informatique. De plus il serait inconcevable de produire
des éléments de décor réels dans un espace si restreint. Donc le décor peint, le décor
factice, même s’il ne reflète pas les tendances actuelles, permet à la scène de produire
un décor significatif et illusoire qui, au-delà d’une illusion parfaite, engendre une force
des apparences par la technique employée. Cette illusion, provenant des techniques et
savoir-faire, se retrouve encore plus représentative dans le décor construit.
2. Le décor construit
L’opéra pour jeune public IQ et OX, a été composé par André Bon sur un livret
de Jean-Claude Grumberg23. Sa première représentation se déroula le 18 mars 2009 sur
la scène de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Christine Marest réalisa la mise en
scène et la scénographie. Il expose le récit de deux peuples, les Iqs et les Ox qui se
livrent une bataille acharnée et leur salut ne tiendra que dans l’amour de deux enfants
appartenant à ces peuples. « Tandis que la bataille fait rage entre les Iqs, adorateurs du
soleil, et les Ox, qui vénèrent le fleuve sacré, Petite Ox porte secours à Petit Iq. Fuyant
la colère des grands prêtres, les deux enfants partent en quête d’un lieu où vivre
ensemble et fonder un nouveau peuple, celui des Iquéox. »24
23
24
Cf Annexe 2
Programme de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, saison 2008-2009, p.22.
24
Les différents positionnements du décor de IQ et OX
25
26
Les lieux, de déroulement de l’action, reflètent les deux peuples qui se font face.
Ainsi, les Ox, peuple de l’eau, se trouvent sur une sorte de falaise composée d’un
ensemble de rochers massifs et les Iqs, peuple du soleil, se contentent d’un sol aride. La
falaise, qui pointe menaçante vers le peuple ennemi, comportent huit praticables de
différents niveaux, encastrables, formés de caissons de contreplaqué et recouverts de
polystyrène sculpté à la manière de roches battues aux vents et à l’eau. Ces rochers
prennent des teintes rougeâtre, brunâtre, jaunâtre, sur un fond d’ensemble noir. Aux
extrémités, là où le fleuve entre en collision avec les rochers, la couleur prend des
teintes verdâtres comme des mousses et des algues qui s’accumuleraient sur cette
surface striée. L’ensemble se recouvre d’un vernis brillant pour donner un réel aspect
d’humidité constante, et de pierres soumises sans cessent aux ravages de l’eau.
A l’opposé, la surface des Iqs, le peuple du soleil, reflète le manque d’eau
qu’éprouve le peuple. C’est un grand praticable, unique, de contreplaqué ressemblant au
mouvement du sable sous le vent. Il compte, à sa surface, de nombreuses petites plaques
de contreplaquées aux formes irrégulières, entre lesquelles se trouve un léger espace,
pour symboliser un éclatement du sol. La peinture, en trompe-l’œil, qui l’accompagne
accentue cette sécheresse par de plus petits filaments et par le renforcement des
écartements dans le sol. La couleur se dégrade du jaune sable au brun orangé, pour
accentuer les sillons. Ce praticable s’étend vers le public par la présence au niveau de la
scène, d’une toile de sol broquetée, semblable à du sable poussé par le vent. De part et
d’autre il s’accompagne de petits rochers plats aux dimensions de marches.
Les deux autres éléments importants de ce décor se constituent du soleil, le dieu
des Iqs et du fleuve, le dieu de Ox. Le premier s’exprime par une lumière semblable au
disque solaire, qui se voit parfois, obstrué par un cercle de contreplaqué pour
représenter une éclipse. Pour rendre la lumière plus diffuse et moins vive, un tulle
neutre se place devant. Le second plus intéressant, relève d’une technique particulière.
Comment reproduire une surface liquide sur la scène d’un Opéra ? Il suffit pour cela de
coller de l’autocollant effet miroir sur le sol, en l’occurrence ici, en forme de cercle.
Cette surface miroitante produit ainsi un jeu de reflet sur les rochers, identique à celui
de l’eau. Le cyclorama transmet en général un éclairage bleuté en guise de ciel. Il ne
joue qu’un rôle secondaire dans cette composition.
Les rochers, en hauteur, expriment la force du peuple de l’eau qui parce qu’il
possède ce bien rare, peut boire et manger à sa faim. Le peuple du soleil, quant à lui,
meurt petit à petit de pas pouvoir s’abreuver à sa guise. Les Ox se trouvent sur une sorte
27
d’île entourée d’eau et gardent cette précieuse denrée pour eux et attaquent quiconque
ose s’approcher de leur dieu. Les Iqs ne disposent quant à eux que de la sécheresse et la
soif. Au-delà de cette fable, cette histoire, exprime les différences entre les pays riches
du Nord et les pays pauvres du Sud, mais aussi que les croyances poussent parfois
l’Homme, à commettre l’irréparable, la destruction de sa propre espèce pour une
idéologie stupide.
Ainsi, cet opéra se déroule en quatre tableaux25, pour souligner l’évolution de
ces peuples. Cette opération se réalise par la mobilité des rochers, qui disposent tous de
roulettes, et le changement de couleur de l’éclairage. Donc, dans la première position,
les rochers font face au sol aride, haut et menaçant, pointe dirigée vers lui prêts à le
transpercer. La lumière éclaire tel le soleil. La guerre est déclarée entre les deux
peuples, l’affrontement est proche. Les praticables effectuent un quart de tour, les deux
peuples se retrouvent face à face entre les rochers et le sol de sable. Tout s’obscurcit,
seules des lueurs vertes persistent en guise d’espoir. Alors deux enfants, une petite Ox
et un petit Iq se soulèvent contre leurs grands prêtres pour éviter le massacre. La petite
Ox, pour avoir donné de l’eau à un ennemi, sera précipitée dans le fleuve pour calmer
celui-ci. Le petit Iq vient à son secours et tous deux partent sur une barque à la
recherche d’un monde meilleur. La barque correspond à un des rochers, qui lors du
changement, se détache du reste de la formation rocheuse pour remplir son rôle. Un
quart de tour se fait à nouveau. Les enfants voyagent dans des eaux inconnues et
mystérieuses. Ce mystère se matérialise par l’apparition de fumée sur scène et un
éclairage bleuté, qui transforme les différents décors. Ils arrivent enfin sur une terre, le
praticable à l’avant-scène symbolise alors celle-ci et non plu le sol aride. Les rochers
s’avancent vers ce praticable pour ne former plus qu’un seul ensemble, « l’île sous le
vent » qui deviendra le lieu de la réalisation du rêve des enfants, un peuple unique, les
Iquéox. Les rochers et le sol désertique symbolisent l’éloignement des deux peuples
puis au fur et à mesure, leur rapprochement jusqu’à ne faire plus qu’un seul et unique
peuple.
Sur cette île, les enfants découvrent de nombreuses créatures étranges avant de
fonder leur rêve. Intervient alors le dernier élément de décor, l’arbre. Cet arbre haut de
plus de quatre mètres accueille un comédien et se compose de matériaux souples
comme la mousse pour pouvoir se plier sous le vent. Un tissu de coton, de la toile à
25
Cf Annexe 3
28
beurre, le recouvre et avec le froissement de celui-ci, cela donne un aspect d’écorce à
l’ensemble. Une couleur bleue, marbrée de vert, vient lui donner un aspect féerique. Il
est maintenu dans les cintres grâce à un filet invisible, lors des représentations, ce qui
provoque un effet de surprise. Il incarne le rêve, comme la couleur bleue claire,
environnante sur scène.
Ce décor, d’une grande symbolique, regroupe des éléments bien distincts et
propose à la fois une vision simple et compliquée. Simple dans son concept, des rochers
et une plate-bande sablonneuse mais compliquée dans sa réalisation, au niveau de la
quantité et de la technique, mais aussi dans le sens qui lui est attribué. Ce décor
complexe montre les défis que peut relever le décor factice, ici la construction de
rochers à l’aspect très réaliste et d’une plate-bande de terre aride. L’effet s’exprime sans
égal face au public qui en reste bouche bée devant un tel réalisme du décor. Même
l’arbre qui à priori ne peut pas jouer un rôle, aussi véridique que le reste, par sa distance
accompli cependant une illusion presque parfaite.
Le décor factice, au théâtre, pourrait se décrire de la façon suivante, il est faux, il
se voit faux et pourtant il parait tellement réel. Le décor n’a pas besoin d’être, il lui
suffit de paraître pour remplir son rôle. Il fabrique de toute pièce une illusion non pas
hyper-réaliste mais qui définit un style précis, une esthétique, qui se base sur une bonne
gestion des matériaux et de l’espace. Le savoir-faire et la technique transforment le
décor banal en décor factice prêt à produire son effet sur scène. Ce décor éphémère, qui
lorsque le rideau tombe rejoint les autres décors souvent stockés dans d’immenses
hangars en attente d’une prochaine représentation.
Le décor factice est un choix, un parti pris, qui transforme une scène. Tout au
long de ces deux parties, s’exposèrent tour à tour, l’évolution du décor, les techniques et
les matériaux qui s’emploient pour le construire et sa mise en espace dans des
réalisations concrètes. Il en ressort que le décor factice se lie fortement à la scène qu’il
sert extrêmement bien par sa légèreté, sa maniabilité et sa solidité car ne l’oublions pas
un décor de scène se fabrique en espérant se présenter dans d’autres théâtres. Il peut
aussi être le fruit de collaboration. Mais s’il répond à ces normes précises c’est aussi
qu’il se déplace souvent grâce à la force de l’homme sur scène. Nous pouvons aussi
constater avec bonheur, que le théâtre ne se sent pas encore prêt à tourner la page du
faux, comme le prouve son historique. Même balayé de la scène, celui-ci refait toujours
29
surface. Car il faut bien l’avouer le décor factice s’attache à la scène. Mais cependant,
d’autres aspects de ce décor vont s’exprimer dans la suite de cette étude. Dans le cinéma
ou le concert, deux arts qui paraissent fort loin du théâtre, mais qui présentent une
grande ressemblance, le décor factice s’y trouve omniprésent.
30
Le cinéma
31
A. Au-delà du théâtre, le cinéma
Le premier film, réalisé par les frères Lumière en 1895, sonna le début de la
grande aventure cinématographique. Le 7e art venait de voir le jour. Cependant il y eut
de nombreuses expériences antérieures, qui menèrent à ce résultat. Des spectacles
d’optiques, avec les lanternes magiques, à la chronophotographie de Muybridge, tels
furent les prémices de ce nouvel art qui deviendra en quelques années le plus productif
et le plus commercial de tous. A ses débuts, il se confondait facilement avec le théâtre,
avec qui il entretenait des rapports forts étroits. Mais le développements des techniques
et plus proche de nous, de l’image de synthèse, le veut plus autonome, prêt à renier ses
origines avec ce théâtre qui ne s’avoue pas vaincu. Ainsi les liens qui unissent théâtre et
cinéma sont encore loin d’être brisés même si le théâtre possède des limites que le
cinéma ne connaît pas.
1. Le cinéma et le théâtre
Du théâtre, le cinéma s’inspira énormément, de la main d’œuvre, au décor, en
passant par le texte et le jeu du comédien. Dès son origine, le cinéma développe le
studio pour créer ses décors et tourner ses films sur des espaces proches de la scène
théâtrale avec ses cintres et ses dessous. La technique cinématographique imite donc
pleinement la technique théâtrale. Les premiers studios, tels des théâtres, disposent d’un
atelier avec sa verrière, d’un immense sol pour accueillir les toiles de fond à peindre,
d’une fosse pour la machinerie théâtrale et d’un espace similaire à la scène pour les
prises de vues indispensables à la réalisation du film. Mais c’est aussi par le studio que
le cinéma s’éloignera du théâtre, avec la création des effets spéciaux « domaine par où
le cinéma désormais s’affranchit du théâtre. »26 Cependant le studio gardera ses
similitudes avec l’atelier de théâtre ainsi que la main d’œuvre. Effectivement, les
différents corps de métiers présents dans la création d’un film, sont les mêmes au niveau
du théâtre. Nous retrouvons ainsi le metteur en scène, le costumier, le menuisier, le
comédien, le décorateur et tout ce qui fait le théâtre.
26
TESSON, Charles, Théâtre et cinéma, éd. Cahier du cinéma, coll. Les petits cahiers, Paris, 2007, p.5.
32
Le dispositif du théâtre s’imposera dès le début avec les créations de Georges
Méliès. Une frontalité du cadre, un plan fixe, la caméra filme ce qui s’apparente à
l’ouverture de la scène, « son quatrième mur vu par le spectateur du point de vue appelé
au théâtre " l’œil du prince ". »27 A ce semblant de scène, s’ajoute le décor copié du
théâtre, la toile de fond peinte, qui très vite se renforcera par des châssis et des
praticables. Le jeu de l’acteur, sous les traits du mime, au temps du cinéma muet,
possède cette ressemblance avec le ballet qui offre un jeu facial et gestuel très dense.
Celle-ci se renforce par la musique d’accompagnement rajoutée au film lors du
montage. Mais déjà, se dessinent les premiers écarts avec le théâtre, par les trucages de
temps. « Le théâtre se voit et se donne à voir chez Méliès (décor, cadre, division
frontale entre la scène et le public) mais la puissance d’apparition et de disparition,
propre au cinéma »28 permet à celui-ci de modeler une infinité de temps que la scène de
théâtre ne pourra jamais construire.
Le parlant, à son tour, séparera progressivement le cinéma du théâtre. En effet,
l’enregistrement des voix va permettre une disjonction des voix et du corps, mais aussi
une absence d’élocution des personnages avec la voix-off. Cependant après maintes
expériences de ce type, le 7e art redonnera en général la parole à l’acteur, qui retrouve
alors un dialogue plus théâtral, entre personnes se faisant face à face. La règle classique
des trois unités, temps, lieu et action, se retrouve aussi souvent respectée, malgré
quelques dérives lors des débuts du film. En effet, avec la mobilité de la caméra, les
changements de plans, l’intervention du montage, cette règle deviendra floue.
Néanmoins, si nous prenons en compte que ces trois unités existent par le fait que
l’action se déroule de façon logique, dans un endroit précis et à un moment donné, ces
unités retrouvent alors leur fonction. Elles s’emploient donc toujours de nos jours,
même si l’ensemble de ces unités n’est pas visible au premier coup d’œil. L’emploi
illogique de cette règle représente souvent une stylisation de la part du metteur en scène
pour rendre confus le spectateur et l’emmener vers une abstraction de cette règle.
Dans les années 20-30, le cinéma, croyant enfin s’être émancipé du théâtre, se
retrouve à nouveau confronté à ce dernier, qui devient une source d’inspiration pour le
film fantastique gothique, une théâtralité « consolidée par la facticité grandiose des
décors et le jeux des comédiens (Vincent Price, Boris Karloff) »29. Même en souhaitant
27
Ibid. p.12.
Ibid. p.13.
29
Ibid. p.30.
28
33
se distancer, s’affranchir du théâtre, le cinéma n’arrive pas à briser son continuel attrait
pour celui-ci. Le cinéma ne s’exécute pas en direct, ce qui facilite la réitération des
scènes et cette simplicité d’action, sans doute, frustre. Pourquoi l’acteur de cinéma ne se
sent-il réellement acteur que lorsqu’il devient comédien sur une scène de théâtre ? Quoi
de plus difficile que de jouer un rôle, face à un public exigeant, sans pouvoir
recommencer à tout va, en coupant la caméra et en revenant en arrière !
Le cinéma parfois essaie de retrouver cette difficulté de façon illusoire en
réalisant des films dont l’action se déroule dans le monde du théâtre ou du spectacle
comme Le fantôme de l’opéra qui fut adapté de nombreuses fois ou encore Amadeus de
Milos Forman en 1984. D’autres encore, sans grand rapport avec le théâtre,
« comportent un moment de théâtre, au sens où les personnages y vont. »30 Le cercle
des poètes disparus de Peter Weir en 1990 répond même à ces deux critères. La grande
théâtralité d’un professeur (Robin Williams) qui tente de faire apprécier à ses élèves la
poésie, nous emmène dans la sphère théâtrale. Le désir de l’un d’eux à jouer le rôle
principal dans une pièce de théâtre, tout en montrant la construction et le déroulement,
nous fait accéder à un moment de théâtre. Il se pose aussi la question d’une double mise
en scène dans ce type de film, le film et la pièce, mélange savant des deux pour une
seule unité. Le film, montrant du théâtre, propose souvent l’envers du décor, qui reste
sur scène très caché pour garder l’illusion, sauf chez certains metteurs en scène comme
Bertolt Brecht. De même, certains films, comme Klimt de Raoul Ruiz en 2006 ou
encore Ed Wood de Tim Burton en 1994, qui par le sujet et le contexte, comme la
psychanalyse, la peinture pour l’un, le film pour l’autre, à des périodes décisives du
théâtre et du cinéma, proposent une savante une hybridation de tout cela, « qui assume
ses trucs, leur fausseté merveilleuse, comme si la vie était un songe qui transforme toute
image en théâtre. »31
Le cinéma porte depuis sa naissance les stigmates du théâtre, et cela ne
s’estompe toujours pas. Ainsi de nombreuses pièces de théâtre furent transformées en
film pour le cinéma. Mais loin de leur nuirent, cela leur apporta un regain de
reconnaissance, et sont, plus que jamais, interprétées au théâtre, comme les pièces
comiques françaises, Le dîner de cons32 et Le père Noël est une ordure33. Ces pièces
30
Ibid. p.44.
Ibid. p.59.
32
VEBER, Francis, Le dîner de cons, Gaumont, 1997, couleur, 80 minutes (film) VEBER, Francis, Le
dîner de cons, 1993 (pièce)
31
34
font encore l’objet d’adaptations cinématographiques étrangères actuellement. Au-delà
du cinéma, la télévision prend parfois le relais et diffuse des pièces de théâtre filmées.
Parfois c’est le théâtre lui-même qui vient au secours de son petit frère. Ainsi des
films, qui appliquent des scénarios produits pour le monde du théâtre, n’obtiennent pas
forcément le succès escompté et se retrouvent mis en avant par la théâtralité menée,
cette fois ci, par le public. Ainsi le film The Rocky Horror Picture Show de Jim
Sharman en 1975, adaptée de la comédie musicale ou plus précisément l’opéra rock de
Richard O’Brien, ne connut à sa sortie dans les salles qu’un piètre engouement. Mais
grâce à un public de fans qui décidèrent, lors des projections en salle, d’interpréter les
différentes scènes du film devant l’écran de cinéma, aussi bien le jeu des acteurs que les
costumes, redonnèrent une seconde jeunesse à un film maintenant devenu culte. Cette
popularité lui permet ainsi d’être encore de nos jours toujours à l’affiche. Bien sûr, ce
cas est assez exceptionnel, mais il faut néanmoins en parler car représentatif d’une
nouvelle vision du cinéma-théâtre, peut-être même la communion parfaite de ces deux
arts. Le spectateur assiste aussi, de plus en plus actuellement, à des instants de cinéma
dans le théâtre, par le biais de projection vidéo, sur rideau de fils ou sur écran, qui
entraîne la scène vers un mélange astucieux entre le théâtre et le cinéma.
La salle même de projection du film, l’espace cinématographique, rappelle le
lieu théâtral. Un lieu de représentation identique, une salle composée de fauteuils où le
spectateur s’installe pour contempler une œuvre vivante. La lumière s’éteint, le
spectateur se retrouve alors seul face à l’œuvre qui va s’offrir à lui. Tel un rideau de
velours rouge qui se lève, l’écran s’illumine pour offrir toute sa splendeur au public.
« Alors, depuis mon fauteuil, je vois se déployer sur l’espace bidimensionnel de l’écran
cet autre espace, illusoirement tridimensionnel, qui est celui du monde diégétique. »34
Cet espace, offre une tridimensionnalité, qui produit alors un instant de vérité dans la
salle, comme pour la représentation d’une pièce. De plus, avec les nouvelles
technologies comme la projection de film en 3D, le spectateur entre dans l’espace de jeu
et devient lui aussi acteur, au même titre que le public qui se fait interpeller lors d’une
pièce de théâtre, où lorsque celle-ci s’étend au-delà de la scène, dans la salle.
La plus grande différence, notable, entre le cinéma et le théâtre, se trouve dans le
fait que l’un est filmé et l’autre joué en directe. Mais tout dans le cinéma rappelle le
33
POIRE, Jean-Marie, Le père Noël est une ordure, 1982, couleur, 83 minutes (film) LE SPLENDID, Le
père Noël est une ordure, 1979 (pièce)
34
GARDIES, André, L’espace au cinéma, éd. Méridiens Klincksieck, Paris, 1993, quatrième de
couverture.
35
théâtre, et le décor, surtout factice, renforce cette similitude. Cependant le cinéma se
développa d’une façon différente au théâtre, pour se centrer toujours sur un plus grand
réalisme du décor, au-delà des limites d’une scène. Il ne donne plus une illusion, il est
illusion.
2. Le décor au cinéma
Le décor de cinéma se calque dès le début sur le décor théâtral. Mais
« contrairement au décor de théâtre, le décor de cinéma, qui à l’origine n’était qu’une
toile peinte en "trompe l’œil" a évolué, par suite d’un phénomène inverse, vers une
certaine forme de réalisme, vers l’authenticité.»35 Nous rajouterons que dans cette quête
de réalisme, le décor de cinéma atteindra même une sorte d’hyper-réalisme, qui produira
alors des films aux détails tellement minutieux que çà en deviendra surréel. La fonction
du décor « est de créer un espace, un environnement, en accord avec l’esprit général du
film, de favoriser la perception par le public des dominantes de l’œuvre. »36
Après le création en 1895 du premier film par les frères Lumière, basé sur un
réalisme documentaire, de son coté, Georges Méliès décida d’utiliser cette invention
pour prolonger l’instant théâtrale et le fixer sur la pellicule. Ses premiers films, des
féeries, produisant un monde fantastique, et des actualités, avec déjà un souci
d’exactitude, voient le jour. Le fond composé d’une
toile peinte se complètera
rapidement par des châssis et des praticables, ces décors à l’aspect et à l’historique
théâtral sont « construits en menuiserie et toile dans un atelier attenant à l’atelier de
pose, et peints à la colle, comme la décoration théâtrale ; seulement la peinture y est
exécutée en grisaille. »37 En effet, le film se tournant avec une pellicule noir et blanc, la
couleur ne ressortait que comme un amas informe. Les premiers fonds imitèrent alors
les fonds photographiques. Les décors se créaient de toutes pièces, dans des studios
identiques aux ateliers de constructions des théâtres, mais avec une partie consacrée au
tournage, l’équivalent de la scène. Les studios se développent vite car ils voient l’attrait
que le cinéma produit sur le public, qui passe d’un public de fête foraine à un public
35
BARSACQ, Léon, Le décor de film, éd. Seghers, coll. Cinéma Club, Paris 1970, p.10.
PASSEK, Jean-Loup (sous la direction de), Dictionnaire du cinéma, éd. Larousse, Paris, 2001, p.208.
37
PUAUX, Françoise, Le décor de cinéma, éd. Cahier du cinéma, coll. Les petits cahiers, Paris, 2008,
p.8/9.
36
36
plus large. En 1907, la France compte une dizaine de studios, et cet engouement
s’étendra aussi en Europe et aux Etats-Unis.
Cependant, le décor cinématographique commence petit à petit à prendre ses
marques et à s’éloigner du théâtre pour trouver sa propre esthétique. Le décor
spectaculaire et entièrement construit efface la toile peinte pour mener le film vers un
réalisme et une exactitude historique dans tous les détails. Ainsi les praticables se
transforment en de véritables architectures de bois, recouvertes de staff, « plâtre à
mouler armé de fibres végétales »38. La structure obtenue est ensuite patinée pour
obtenir des reliefs minutieux. La patine marque le temps et « consiste à faire « jouer »
les matériaux : briques, ardoises, etc., mais surtout à faire vivre un décor, lui donner la
patine, l’usure du temps. »39 Le décor évolue vers le gigantesque, à l’instar du film
Caribia de G. Pastrone en 1914. Mais tout cela coûte cher et demande de la place ainsi
que de la main d’œuvre. Les metteurs en scène, qui assumaient au début les différentes
tâches nécessaires au bon déroulement du film, commencent alors à composer leur
décor différemment, grâce au trucage.
Grâce à la perspective forcée, « technique de dessin qui permet de prolonger le
décor par une maquette réduite, et de donner l’illusion d’une profondeur »40, les
immenses décors s’estompent petit à petit, ce qui produisit un gain de coût et de place.
Les châssis de contreplaqués remplacent les châssis entoilés, et le staff se généralise
dans le décor. La maquette devient un élément fort utile, toujours encore utilisée
actuellement. Elle permit la réussite de nombreux grands films, de Ben Hur de F. Niblo
en 1925 à la trilogie Star Wars de Georges Lucas (1977 à 1983).
La technique cinématographique évoluant très vite, le décor s’inspire rapidement
des techniques de construction dans le bâtiment, le décorateur se transforme en
architecte-décorateur, et voit aussi naître de plus en plus de trucages. Les glaces peintes,
interposées entre la caméra et le décor construit en taille réelle, reproduisent des parties
non réalisées du décor. Avec les maquettes réduites construites, la représentation
tridimensionnelle des glaces peintes, et l’utilisation de miroirs, viennent renforcer et
compléter le décor qui peut alors devenir moins volumineux. Les décorateurs issus du
théâtre n’interviennent plus dans le cinéma et laissent la place à des spécialistes du
38
Ibid. p.13.
BARSACQ, Léon, Le décor de film, op.cit. p.152.
40
RACHLINE, Nicole, Naissance et évolution du décor de film, Commission Supérieure Technique de
l’Image et du Son, dossier technique n°4, février 1998, p.2.
39
37
décor de film, qui vont ainsi perfectionner la mise en perspective du décor et utiliser de
nouveaux trucages pour un spectacle toujours plus grandiose.
Dans les années 20-30, de nouvelles révolutions cinématographiques, telles que
la pellicule panchromatique et le passage de 16 images par seconde à 24, renforcent le
réalisme et entraînent un décor plus minutieux, qui dorénavant se peindra en couleur. La
toile peinte se voit définitivement remplacée par les contreplaqués. « Au contraire du
décor de théâtre, celui du studio ne peut plus se permettre de faux semblant de
convention : le plan rapproché ou la profondeur de champ excluent l’irréalisme du
matériau (il doit donner l’illusion d’être ce que voit le spectateur) et le règne de la toile
peinte […] disparaît peu à peu, sous les quolibets, au profit des transparences, des
décors réels, ou des découvertes photographiques. »41 Les transparences permettent,
grâce à la projection du décor sur un écran translucide, devant lequel l’acteur joue, une
plus grande fidélité du paysage. Ces transparences se remarquent surtout lors de
séquence de voyage, où le paysage défile à l’arrière d’une voiture. Les fonds et
découvertes peints, laissent place au réalisme de la photographie. Les châssis se
standardisent et permettent ainsi leur réutilisation en changeant l’habillage suivant les
besoins. Les mouvements artistiques inspirèrent aussi les décors de cinéma, comme le
symbolisme allemand, le futurisme en France ou l’art nouveau aux Etats-Unis, certains
artistes s’essaient même au métier d’architecte décorateur.
Le décor réel et non plus réaliste, émerge au lendemain de la seconde guerre
mondiale. Qu’il soit naturel ou habité, il s’utilise rarement sans modification et pose de
nombreuses contraintes. Effectivement quoi de plus réel qu’un appartement parisien si
ce n’est un appartement parisien ? Mais ce décor réel, posent des problèmes de place
pour le matériel, de réalisation, de sonorisation, de dérogation, de voyages, et revient à
la fin à un coût équivalent à un tournage en studio. Dans le studio, tout le décor se
trouve directement sur place avec toutes les installations nécessaires. Il arrive cependant
que le décor réel réponde à toutes ses promesses et facilite alors le développement du
film qu’il sert. Mais « le faux plus vrai que le vrai demeure la loi fondamentale. »42
L’évolution du décor se fait uniquement par les techniques, plus il y a de
contraintes, plus la recherche de matériaux se fait dense. Ainsi les matériaux tels que le
bois, la toile, le staff se voient petit à petit remplacés par des matériaux modernes à
bases chimiques, tels que le polystyrène, le polyester, la fibre de verre ou encore la
41
42
PASSEK, Jean-Loup (sous la direction de), Dictionnaire du cinéma, op. cit. p.208.
Ibid.
38
résine, qui permettent une souplesse, une solidité et une rapidité d’exécution pour les
structures et les moulages. Ces dernières années, de nombreux nouveaux matériaux et
fibres ont fait leur apparition dans la construction du décor, qui, malgré une forte
ressemblance avec le réel reste factice. Ainsi le brusan « complexe d'aluminium et
textile donnant naissance à une nouvelle matière qui libère l'imagination des contraintes
de la réalité (tenue sous son propre poids, déformation sans retour élastique) »43 s’utilise
pour métamorphoser un lieu grâce à une grande gamme d’aspects, de l’iceberg à la
pierre en passant par la végétation comme la mousse. Il a permit la création de
nombreux décors du film Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal réalisé par
Steven Spielberg en 2007 et s’emploie aussi de plus en plus au théâtre et dans
l’évènementielle. L’uréthane, une matière plastique, quand à lui, permet la création
d’élément de décor et d’accessoire très réaliste et léger. A la base, il sert à la fabrication
des roues de skateboard, mais s’étend de plus en plus dans le milieu du décor. Ainsi
dans Le monde de Narnia : Chapitre 1 - Le lion, la sorcière blanche et l'armoire
magique de Andrew Adamson en 2004 toutes les armes et armures de second plan sont
réalisés dans ce matériau novateur.
Outre la recherche de réalisme, certains genres cinématographiques préconisent
une stylisation de l’espace, les féeries de Méliès en première position. Le cinéma
fantastique, de science-fiction ou encore la comédie musicale, prônent cette stylisation
qui passe par un décor non réaliste et souvent factice. Il met de coté la réalité pour
mieux emmener le public vers l’imaginaire qu’il développe. Le carton-pâte et la toile
redeviennent alors des supports appréciés dans cet univers imaginaire où le faux prend
toute son ampleur.
A vouloir toujours un plus grand réalisme de l’image, les nouvelles technologies
se mettent à la disposition du 7e art pour des décors virtuels débordant (parfois trop) de
réalité. Dès les années 50, le fond bleu apparaît, devant lequel l’acteur joue, ce qui
permettra ensuite de l’intégrer dans un décor filmé séparément. S’en suit dans les
années 70-80, l’apparition de l’incrustation et des premières images de synthèse en 3D.
Tout devient virtuel et effets spéciaux, des modifications numériques du décor au
trucage utilisé lors des tournages, comme la glace peintes remplacée par le mattepainting à trucage numérique. L’incrustation se fait à partir de fond uniforme comme le
fond bleu, et permet ainsi le mélange d’image de synthèse avec des images réelles.
43
www.obdesigner.net
39
Qu’il soit nommé art director, production designer, architecte, scénographe ou
artiste-peintre, le décorateur de film gère la question complexe de ces différents types de
décor, réel, factice et virtuel, qui actuellement s’imbriquent sans cesse les uns aux
autres, par le mélange de toutes les techniques étudiées ici. Cependant, le décor possède
toujours des ressemblances avec le théâtre mais par l’évolution des matériaux, prend un
aspect de plus en plus réel malgré sa facticité.
B. La place du décor factice dans le cinéma
Dans un monde qui se veut toujours plus réaliste, où le numérique et le virtuel
s’ancrent de plus en plus à l’image, qu’advient-il du décor factice ? En effet, au-delà
d’un simple spectacle visuel, le cinéma tend à une démonstration du réel dans le sens où
ce que le public voit à l’écran paraît d’une absolue véracité. Pour cela il en appelle au
décor réel mais aussi dans la tendance actuelle et grâce à l’évolution des procédés de
l’image, au numérique. Ainsi, toutes les séquences d’un film se retrouvent souvent
numérisées, et perdent en même temps de cette authenticité recherchée, mais le virtuel
arrange cela en quelques clics. Du coup, l’amateur de cinéma se retrouve parfois confus,
face à certaines images. Bien sûr, lorsqu’un film se regarde de manière non critique,
juste en tant que loisir, pour se détendre, cette confusion ne paraîtra pas. Il faut avoir un
œil avisé pour percevoir des aberrations dues au numérique, quoique parfois elles
surgissent sur l’écran et ne peuvent vraiment pas être niées. Ainsi des détails tellement
précis se manifesteront et le spectateur se demandera en quoi cela sert le film ! Car voir
les détails très précis d’un paysage qui se trouve au lointain, observer la moindre feuille
qui bouge alors que celle-ci dans la réalité se fondrait dans la masse, nous pousse à
considérer cela comme une pure extravagance, de l’hyper-réalisme. Encore faut-il y
apporter de l’attention. Cependant il existe encore des genres cinématographiques où la
facticité est la bienvenue et qui peut s’exposer pleinement sans crainte d’être effacée.
40
1. Le film fantastique
Le film fantastique domine la plupart des films dans l’utilisation de décor
factice, sans que cela ne gène la vision du spectateur, dans le sens où l’action se déroule
dans un monde irréel, le décor se base alors sur d’autres exigences. Le fantastique
répond à deux types de catégories. Le premier, le fantastique de situation, donne
souvent lieu à des films d’anticipations et des « films d’aventures dans lesquelles
interviennent les trucages »44 comme les transparences, les maquettes réduites, le mattepainting ou encore le dessin animée. Le second, celui qui nous intéresse ici, s’apparente
au fantastique d’atmosphère qui crée cette dernière par « le sujet, le décor, l’éclairage, et
aussi par la musique, le jeu de l’acteur, la couleur. »45
Donc, depuis l’apparition du fantastique, dès le début de l’invention
cinématographique et même lors de son grand retour dans les années 80-90, le décor
factice signe de sa présence et de son ampleur dans celui-ci. De nombreux films
exploitent ce décor et ne craignent pas, ou peu, que cela soit visible. En effet, le décor
factice s’apparente très bien avec le fantastique, car il hérita d’un coté très théâtral avec
de nombreux rebondissements et une ambiance qui approuve la surréalité. Le décor de
papier mâché ou de polystyrène ne se cache pas derrière un perfectionnisme, au
contraire, il se voit et donne à voir par la même occasion le faux de l’action. Ainsi dans
des films ou des téléfilms devenus maintenant cultes, le spectateur peut apprécier les
différentes techniques utilisées pour le décor. Cette démarche, de laisser transparaître le
faux, peut être souhaitée ou au contraire due à un manque de moyens. Cependant, dans
un cas comme de l’autre, l’effet ne change pas, car le fantastique racontant un autre
monde où rien pratiquement ne se rattache au réel, le décor factice trouve sa place dans
cet environnement.
Ainsi, dans un film, que le spectateur s’aperçoive que le décor se compose
d’éléments en papier mâché, staff, polystyrène et autres matériaux employés pour la
réalisation, n’enlève en rien le côté fantastique de l’histoire. Les grottes en papier
mâché, dans la série de film La caverne de la rose d’or (1990-1996) de Lamberto Bava
confirment bien cette hypothèse. Effectivement, au milieu d’un décor naturel, l’héroïne
se retrouve souvent confrontée à des grottes qui donnent une impression de grottes
humides, mais en même temps elles laissent transparaître qu’elles se forment à partir de
44
45
BARSACQ, Léon, Le décor de film, op.cit. p.119.
Ibid. p.119.
41
matériaux bien différents de la roche. La structure laisse se manifester, sans la nier, sa
facticité. De nombreux autres éléments se distinguent tout au long de l’histoire mais
loin de choquer, cela produit une certaine distanciation avec le réel. De plus dans ses
films, ce réalisateur a cherché à créer cette ambiance entre décor naturel en extérieure et
décor factice pour les lieux magiques. Cependant, il ne faut pas oublier que ce sont les
yeux d’un adulte qui décryptent ce décor, un enfant n’y voit que de la féerie. Mais le
factice s’emploie sans doute ici pour définir une sorte de frontière entre le réel et
l’imaginaire tout en restant très lié ; cela pour distinguer les étapes correspondant au
fantastique, non représentatif de la réalité et le monde réel tel qu’il aurait pu être au
Moyen-Age. Cependant ce type de décor se retrouve parfois floué par la remastérisation
de ces films. Ils ne sont pas conçus à la base pour une image ultra nette, comme il s’en
obtient actuellement avec les écrans LCD (Liquid Cristal Display) ou les lecteurs HD
(haute définition) qui dénaturent ce type d’image. Cette précision enlève le caractère
fantastique de la chose car le décor se détache alors trop de l’espace environnant ; cela
crée alors une cassure entre le monde factice et le monde réel. Il n’y a plus le flou
environnant qui se trouve sur la bande d’origine. L’image perd de son grain pour une
netteté, parfois, beaucoup trop nette, qui rend l’espace plat et aseptisé, qui ne
correspond pas du tout à une vision fantastique, qui se plait d’être brouillée.
Le film fantastique comme tout les genres n’échappe alors pas à la numérisation
de l’image qui souvent semble bien inutile. Prenons le cas du film français Le Petit
Poucet réalisé par Etienne Dahan en 2000, un des rares films de ce genre dans le
répertoire français de ces dernières années. Il possédait vraiment tout pour réussir grâce
au décor factice qui compose la majeure partie de ses scènes. En effet, ce film au partipris esthétique très affirmé comprend un univers irréaliste et pictural « où la stylisation
est poussée jusqu’à l’abstraction »46 ce qui correspond bien à l’adaptation d’un conte
pour enfant au cinéma. Le décor principal se compose d’une immense forêt reconstituée
facticement avec un réalisme à l’avant et un jeu de perspective pour le lointain. Les
différents arbres ne sont représentés que par d’immenses troncs constitués de staff, avec
à l’avant une végétation basse et luxuriante et à l’arrière, des feuillages peints. Le
résultat obtenu produit alors l’effet d’une forêt touffue complété à certains endroits par
une toile de fond peinte reprenant les arbres de la forêt de façon stylisée. La cabane des
parents du petit poucet comme le château de l’ogre correspondent, en grande partie, à
46
www.objectif-cinema.com
42
des éléments factices. Ce film regroupe des éléments reproduits à l’identique, des
silhouettes découpées, des fonds peints, de la maquette en volume mais aussi du mattepainting. Cette technique de trucage s’utilise surtout pour étoffer le décor et renforcer
certains détails. Cependant, des retouches numériques ont été assignées à ce décor qui
enlève un peu l’aspect factice, même s’il reste bien présent.
Au lieu d’ajouter un plus au décor, le numérique le surcharge et le rend alors
moins crédible. Le spectateur se perd dans cette forêt foisonnante d’images réelles et
virtuelles, un peu comme le Petit Poucet. Pourtant, ce film détenait tous les arguments
pour faire de ce décor, un décor factice dans les règles de l’art et par la même occasion
un pur décor fantastique. Mais le choix des réalisateurs et des décorateurs ne correspond
pas toujours à l’attente du scénario. Comme ce film se base sur un conte de fée, le décor
factice avec ses structures de staff et ses toiles peintes correspondaient tout à fait à cet
univers. Cependant, ce décor marque fortement sa présence, malgré les retouches
numériques.
Le décor factice ne doit pas forcément être visible pour exister, il crée juste une
illusion et qu’elle soit visible ou pas, dans le genre fantastique cela ne dérange pas. Par
contre, l’abondance d’image numérique et virtuelle peut parfois être néfaste au décor
comme au genre. Effectivement, l’amplitude de détail que produit le numérique
contredit parfois l’aspect d’authenticité du décor. Comme il a été dit précédemment cela
compte surtout si le spectateur fait attention. En tant que loisir, le numérique trouve sa
place au cinéma. Mais l’aspect virtuel rencontre un autre problème, celui du jeu de
l’acteur. Si tout devient virtuel, l’acteur devra se projeter dans une situation, il n’aura
plus de base visuelle ni même sensitive. Il faut être bon comédien pour conjuguer tout
un ensemble d’actions sans support, ainsi le décor factice créer ce support au corps et
par la même occasion, une perception sensorielle. Grâce à cela, le décor, malgré les
avancées technologiques, est toujours encore présent dans les studios de cinéma.
Donc au-delà, de la « pollution »47 visuelle, engendrée par le numérique, le
décor factice bénéficie encore d’un bel avenir devant lui. Même si cela implique des
retouches assistées par ordinateur, il existe encore des réalisateurs et des décorateurs
amoureux du faux, qui imaginent des mondes, sans images virtuelles, même si, sous
l’effet de la mode, personne ne peut y échapper.
47
C’est une critique personnelle.
43
La Caverne de la Rose d’Or : un décor factice
Le Petit Poucet : une forêt factice agrémentée d’une toile de fond peinte
44
Le fantastique correspond à un idéal pour le décor factice, c’est sans doute le
genre filmique qui l’emploie le plus souvent, même s’il perd ces derniers temps son
caractère de visibilité du faux. Il se cache sous des couches de peintures virtuelles et de
textures numériques en tout genre. Or il n’a pas besoin de cela pour exister, il suffit de
rendre l’image un peu moins nette, de faire appel à de bons peintres et le décor se
dévoilera sous un autre jour sans les besoins de l’ordinateur. Le fantastique
s’accompagne aussi d’autres types de films pour une sauvegarde du décor factice.
2. Les autres genres
Les autres genres cinématographiques, qui permettent l’emploi du décor factice
de façon perceptible, correspondent à la comédie musicale et les films qui mettent en
scène d’autres films. Par leur coté théâtrale et d’inspiration cinématographique, ils
plongent le public dans l’univers des faux-semblants.
Ainsi la comédie musicale, par son grand sens du spectaculaire, autorise l’usage
d’un décor fastueux et par la même occasion, factice. Elle comprend souvent des décors
grandioses, où se révèlent le kitsch et le superflu empruntés aux cabarets et scènes de
music hall. La comédie musicale, se définit comme un film musical, comprenant de
nombreuses séquences chantées et parfois dansées. Lorsque la musique employée est du
rock, celle-ci se transforme en opéra rock. Actuellement, la comédie musicale se
diversifie de plus en plus mais garde néanmoins son apparat, son cadre excessif et une
certaine naïveté.
L’une des dernières comédies musicales intéressantes, au niveau de la
conception des décors, est Moulin Rouge de Baz Luhrmann en 2001. Le spectateur se
retrouve littéralement propulsé dans un univers de paillettes et de spectaculaire dans un
Paris de l’année 1900, qui enveloppe une histoire d’amour tragique. Le premier aperçu
de ce lieu s’effectue par l’entrée du quartier de Montmartre, composée d’une arcade de
papier mâche, représentant un visage, la bouche grande ouverte par laquelle les gens
atteignent cet endroit malfamé. Tout au long de ce film, ce spectacle, une succession de
décors factices tissent les liens qui mèneront jusqu’à l’apothéose du décor final sur
scène.
45
Le premier décor monté de toutes pièces, se trouve dans la chambre de
Toulouse-Lautrec qui organise une répétition pour son spectacle Spectacular
Spectacular. Il se forme d’un décor basique avec une toile de fond peinte et un châssis
peint le tout dessinant un paysage montagneux du tyrol. Celui-ci offre un rappel à
l’univers du théâtre. Le plus important décor du film, là, où la majorité de l’action se
déroule, le Moulin Rouge, fut entièrement reproduit en studio. « Les opulents décors
célèbrent, stylisent et transposent l'univers du légendaire cabaret »48où le factice se
dévoilent en de nombreuses occasions. Ainsi un gigantesque éléphant trône, dans la
cour de ce cabaret, qui abrite trois étages, tous praticables. L’œil ne s’y trompe pas, ce
pachyderme expose au grand jour son papier mâché qui recouvre un corps de
polystyrène reposant sur une structure d’acier. La chambre placée à l’intérieur même de
cette sculpture se maintient grâce à une structure de bois. L’environnement de ce
dernier, composé de façades d’immeubles tridimensionnelles, agrémentées d’une
peinture produisant un aspect de pierre, renforce le factice de ce décor. De même que la
maquette des sites environnants du cabaret, réalisée au 1/5e « souligne ainsi
délibérément l'artificialité et la théatralité »49 et devient un vrai décor lorsque les deux
personnages principaux (Nicole Kidman alias Satine, la courtisane du Moulin Rouge et
Christian, un jeune poète, interprété par Ewan McGregor) dansent littéralement sur cette
maquette. Tout est visible dans ce film, jusqu’à la construction du spectacle final, de sa
représentation sur scène et dans les coulisses.
Le thème abordé dans cette comédie musicale autorise une manifestation
visuelle du décor factice, où même la maquette se transforme en décor de premier plan,
alors qu’en temps normal elle reste à son rôle de maquette en arrière plan, pas trop
distincte pour ne pas être soupçonnée par le public. Ce film s’apparente à un réel
spectacle dans le spectacle où la scène comme les coulisses se dévoilent et mettent en
scène les acteurs et danseurs de ce monde de paillettes et de strass. L’image numérique
participe aussi à ce film mais ne ternit pas l’image du faux, elle apporte juste son
soutient à des vues d’ensembles, d’un Paris, à l’aube du XXe siècle. Cependant, la
quasi-totalité du décor dans ce film s’effectua de façon factice. Seul certains éléments
ressortent, aux instants des spectacles et des longues tirades chantées. Mais ces derniers
offrent une très belle perspective à cette comédie, surtout le magnifique éléphant qui
correspond à l’élément central de ce décor.
48
49
www.zoom-cinema.fr
Ibid.
46
Différents décors factices de Moulin Rouge
47
48
La comédie musicale concordant à un genre cinématographique très particulier,
son décor peut prétendre à une totale illusion, dans un rêve éveillé, tout en mélodie, à
l’instar d’un opéra. Son fort lien avec le music hall et les comédies musicales qui se
déroulent sur scène, accentue son droit à l’exploitation du décor factice, à sa guise tout
en gardant une lisibilité claire de l’histoire. Ainsi, dans ce type de film, le faux,
l’artificiel s’épanouit et offre au public de magnifiques images de carton pâte qui
renvoient au monde du spectacle.
Le film dans le film autorise aussi cette manifestation du décor factice. Ce terme
sous-entend, que dans le film un ou plusieurs autres films apparaissent distinctement,
sur une durée déterminée ou faisant l’objet de tout le film. Ainsi ce genre montre
souvent l’envers du décor et permet donc au public d’apprécier le décor factice
omniprésent dans les films alors que celui-ci est souvent visible.
Le film Soyez-sympas, rembobinez réalisé par Michel Gondry en 2007, propose
un aperçu de plusieurs films à gros budget et démontre que chacun, à sa manière aurait
pu être produit avec des moyens simples, avec du factice. Tout ici est synonyme de truc
et astuce. Il montre comment des personnes, n’ayant aucune connaissance des studios de
cinéma, arrivent à créer des films avec « les moyens du bord ». Même si le décor factice
n’a pas réellement sa place dans ce film, il explique que celui-ci peut être utilisé sans
paraître ridicule. D’énormes décors se retrouvent réduits au stricte minimum et cela
fonctionne plutôt bien. Il donne en quelque sorte une leçon de morale au décor
numérique. La séquence, reprenant tout un tas de remakes de films célèbres, suffit à
prouver que le factice peut quasiment égaler les trucages numériques. Mais ce film ne
parle pas du décor en soi. Il rend aussi hommage à la cassette vidéo qui depuis les
années 2000 a été remplacé par le DVD. La cassette vidéo apporte un grain à l’image
qui à force d’être regardée change, se détériore et apporte donc en quelque sorte une vie
au film.
Ed Wood de Tim Burton en 1994 au contraire excelle dans la facticité du décor.
Ce film en noir et blanc retrace le cursus des différents films du réalisateur Ed Wood et
indique aussi la façon dont ils ont été filmés. Il décrypte la plupart des décors factices de
ses films dont le plus célèbre, Plan 9 from outer space ; tous, pratiquement, produits en
studio. Les décors réalisés par Ed Wood ne possédaient presque pas de perspectives, ils
étaient très plats avec peu de profondeur. Le décorateur de Ed Wood le film, a voulu
retranscrire cela.
49
Soyez sympas, rembobinez, le décor factice de 2001, Space Odyssey
Un décor de Ed Wood
50
Les décors furent donc reproduits presque à l’identique grâce à un véritable
travail de recherche allant même jusqu’à dans la bonne représentation des couleurs du
noir et blanc. Ce décor factice présente toute la naïveté du décor des années 50 qui
contraste avec les manipulations numériques actuelles. Avec ce film le décorateur a
voulu se rapprocher au plus près des décors créés par Ed Wood. Tout était fait avec les
moyens du bord, tout était factice et cela se voyait, comme les murs, de contreplaqué,
qui bougent lorsque les acteurs les effleurent.
Effectivement ces films qui décrivent d’autres films, souvent atypiques,
enseignent, qu’il n’est pas nécessaire de dépenser des millions dans des retouches
numériques, pour obtenir un résultat adéquat et soulignant une illusion des choses. Ils
gardent un coté authentique qui correspond à cette vision. Pour Ed Wood le décorateur
n’a pas tenté de fausser l’image, il la redonne telle quelle se faisait à l’époque. Donc
pour faire un bon film il suffit parfois d’avoir un peu plus d’imagination et de sens
pratique, une bonne technique et un bon coup de pinceau.
Que ce soit la comédie musicale ou le film dans le film, le décor factice s’affiche
dans sa propriété d’être apparent, car ces derniers acceptent cela, pour des raisons
esthétiques d’extravagance et aussi pour démontrer qu’un film a rarement besoin de
l’apport numérique. Avant l’ère de l’informatique le décor existait déjà et le factice
avec. Le fait, d’exhiber sans cesse des images toujours plus perfectionnistes, pousse le
public à en redemander. Cependant il ne faut pas entièrement dénigrer la technologie
qui apporte des solutions à l’image et qui possède comme meilleur support, le décor
factice.
Les différents genres cinématographiques étudiés prouvent, que malgré la
grande influence du numérique et de l’image de synthèse dans le cinéma, celui-ci à
encore sa place dans les films actuels. Certains décorateurs et réalisateurs recherchent
cette opposition, cet affrontement entre ces deux techniques contradictoires qui pourtant
se compensent mutuellement. Ainsi, se fabriquent des décors allant à l’encontre du
numérique, où soulignant ce trop plein d’images retravaillées, où encore liant
profondément ces deux antonymes. Lorsqu’une bonne utilité est faite de l’emploi du
numérique, comme toute nouvelle technologie, elle s’avère efficace. Malheureusement à
vouloir parfois trop bien faire, cela vient, en quelque sorte, gâcher l’ensemble du décor.
Le factice se suffit à lui-même, tout comme le numérique, mais leur liaison produit des
combinaisons parfois étonnantes. Cependant, le décor factice apporte une touche
51
d’authenticité, par son visuel et les matériaux utilisés, qui rendent le décor de film
attrayant et qui déclenchent une envie de connaître les secrets de leur construction. Il
provoque du mystère.
52
Le concert
rock
53
A. Une forme de spectacle récente
Depuis sa création au XVIIe siècle, le concert se produisit sous différentes
formes car il exprime plusieurs genres de représentation différents. « Le concert
traditionnel se définit comme une audition publique, réunissant spécialement un
auditoire en vue d’écouter de la musique. Il donne à entendre, non à voir, et exclut le
notion de spectacle pour permettre au public de se concentrer uniquement sur l’audition
de la musique. »50 Cependant, nous nous intéresserons ici à la forme la plus récente du
concert, le concert rock et pop qui donne toute son importance non seulement à la
musique mais aussi à l’aspect visuel. L’écoute se renforce par des décors, des éclairages
et même des costumes qui transforment ces concerts en de vrais shows. La gestuelle du
chanteur, très importante, permet au delà du chant d’exprimer sa musique. Ce concert se
définit alors comme la représentation d’un groupe composé de musiciens, jouant
d’instruments électriques, et d’un ou plusieurs chanteurs se produisant sur une scène,
devant un public venu pour l’acclamer. Les textes chantés, lors de ces représentations,
constituent l’œuvre des artistes, qui le plus souvent les interprètent, et ont déjà donné
lieu à un enregistrement audio préalable. Le concert sert à promouvoir un nouveau
disque et à mettre le public face à son artiste préféré, dans une performance scénique et
parfois même physique, que peut être ce spectacle. Il se déroule le plus souvent dans des
salles prévues pour cette manifestation, les salles de concerts, mais aussi dans des
stades, des bars ou encore dans des champs pour les festivals. Ce type de concert se
développa dans la deuxième moitié du XXe siècle, peu après la naissance du
rock’n’roll.
1. Le concert entre théâtralité et cinéma
Le concert rock par son aspect visuel, se rapproche du théâtre et par ses thèmes
s’identifie à un certain type de cinéma, le cinéma fantastique. Cependant il propose
aussi une source d’inspiration pour le cinéma en tout genre. Il existe de nombreux liens
qui unissent le concert et le théâtre. Plusieurs aspects seront évoqués ici pour montrer
50
ROLLIN, Monique, A propos du rock et de la musicologie, in Le rock : aspects esthétiques, culturels et
sociaux, éd. CNRS, Paris, 1994, p.55.
54
qu’il existe de réelles ressemblances entre ces différents arts, même si, à première vue,
cela semble impossible.
L’élément le plus évocateur, se trouve directement dans le lieu de représentation
du concert, sans lequel il ne pourrait pas jouir de tout son spectaculaire, la scène.
Equivalente à la scène de théâtre, elle se compose de dessus et de dessous, accueillant la
machinerie, et de toute une batterie d’éclairages. Elle dispose aussi de coulisses par
lesquelles, le groupe entre en scène comme des comédiens. Le rideau de scène, quand à
lui, est virtuellement présent. Lorsque le groupe entre sur scène, la salle entière se
trouve dans un noir total, et lorsque le spectacle commence, tel un levé de rideau, la
scène s’illumine alors de mille feux et les musiciens se mettent alors à jouer. Cette scène
s’accompagne souvent de décor, pas forcément grandiose, mais il se dégage toujours
une petite touche scénographique qui permet au public de comprendre la thématique du
groupe. Ces mêmes spectateurs se trouvent dans l’obscurité pour apprécier d’autant plus
le spectacle qui se déroule devant eux.
L’évocation de l’album-concept semble indispensable pour comprendre la suite
du développement. Un album-concept permet à un artiste de créer toute une histoire
autour d’un thème, d’un personnage qu’il invente et qu’il incarne aussi parfois. Il se
répercute sur l’imagerie du groupe, par le biais de la pochette d’album, des costumes ou
encore de la scénographie, et sur le contenu de l’album avec les paroles et la musique
qui produiront une certaine ambiance. Cette notion d’album-concept engendre souvent
une théâtralité du concert, qui se développe aussi avec des albums non conceptuels.
Le groupe, et plus particulièrement le chanteur, endosse souvent le rôle d’un
personnage fictif différent de sa personnalité civile. Il devient dès lors un comédien et
expose la vie et les déboires de cet être imaginaire, dont il écrit l’histoire au travers des
albums du groupe. Tout un jeu scénique se produit alors, au-delà d’un simple chanteur,
il se transforme en un autre. Tout au long de sa carrière il gardera la marque de ce
personnage ou au contraire décidera d’en changer, pour endosser encore une autre
personnalité. Pour parfaire cet être, il abusera de maquillage et de costumes pour le
rendre plus réaliste. L’artiste se confondra, parfois même, avec ce personnage dans la
réalité et le public l’interpellera par son nom de scène plutôt qu’avec son identité.
Plusieurs cas existent dans le monde du rock, tel que Vincent Furnier, le chanteur du
groupe Alice Cooper, souvent confondu avec son alter ego qu’est Alice Cooper, le
personnage.
55
Donc, le maquillage et le costume jouent également un rôle important dans une
mise en scène similaire au théâtre. Comme dans la Commedia Dell’arte, lorsqu’un
personnage arrive sur scène, le public sait immédiatement de qui il s’agit, grâce aux
différents masques et costumes porté par les comédiens. Il en est de même pour certains
concerts. Par exemple, lorsque le membre, d’un groupe ayant des costumes particuliers,
vient à changer, le nouveau venu se vêtira d’un autre costume pour ne pas être confondu
avec le musicien qu’il remplace. Mais le costume se porte aussi pour affirmer un certain
style musical. Costume que parfois le public lui-même reprend pour se démarquer. Le
maquillage comme le costume servent à rendre crédible le personnage incarné et à
différencier celui-ci de la personne civile, tel un acteur qui rentre dans la peau de son
personnage.
Accoutré de son costume et maquillage, le personnage donne aussi naissance à
tout un jeu de scène qui lui est propre. Son comportement, ainsi que sa gestuelle,
permettent aussi au public de l’identifier. Que se soit une icône le pop qui se trémousse
ou un rocker qui joue un solo de guitare, tous présentent la personnalité de leur musique
à travers ce jeu de scène. Plus que des musiciens, certains deviennent de vrais
comédiens et s’accompagnent sur scène de figurants ou de danseurs pour renforcer cette
notion de spectacle vivant et de théâtralité. Certains endossent leur propre rôle de
musiciens, qui s’expriment par la musique et d’autres créent tout un personnage, issu de
leur imagination, qui modifie, le temps d’un concert, leur personnalité en un double.
Chaque concert possède une scénographie, plus ou moins importante, qui
s’accompagne souvent d’un décor spécifique. Celui-ci, se composera alors avec les
instruments présents pour une simplicité, ou au contraire, se développera au travers de
superstructures pour en mettre plein la vue au public. Mais la plupart du temps, le décor
a une connotation assez théâtrale. Nous approfondirons cette notion de décor dans la
partie suivante.
Par ces différents aspects théâtraux, le concert exprime le visuel, que s’imagine
l’artiste, de sa musique et de son album. Il met en image l’œuvre musicale comme le
ballet ou l’opéra. Les ballets, « ces divertissements du XVIIe siècle dans lesquels la
musique joue le rôle principal, donne lieu à une mise en scène avec des décors, des
éclairages, des costumes souvent très élaborés. »51 Le concert rock, dont la musique
reste la composante principale, mélange aussi toute cette gamme d’artifices qui
51
Ibid.
56
produisent alors un réel spectacle scénique. Les différents sujets évoqués par le ballet
tels que la politique ou le social se retrouvent aussi dans les paroles des groupes rock.
La composition musicale du ballet et du rock, s’effectue de façon similaire. Un auteur
compositeur crée une mélodie, qui ensuite se lie à un accompagnement réalisé par les
autres membres du groupes ou un autre instrumentiste, pour des conceptions musicales
destinées à la scène.
Le concert évoque aussi l’opéra, par le chant lyrique qui est employé par certains
groupes, dont les chanteurs excellent dans ce type particulier de chant. D’autres groupes
s’accompagnent d’un ensemble symphonique, le temps d’un concert exceptionnel, pour
démontrer que rock et musique classique ne sont pas indissociables. De plus comme
lors d’un opéra, avant chaque concert, les instruments s’accordent devant le public.
Parfois le concert se présente aussi comme une histoire chantée, à l’instar de l’opéra.
Cette histoire, composée sur un album-concept, se renforcera par un décor lors de sa
manifestation sur scène. Certains groupes proposent même des spectacles, avec des
changements de décors, de nombreux figurants sur scène, portant le nom évocateur
d’opéra rock. Certains de ses opéras se retrouvent même interprétés au cinéma comme
Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1974), Rocky Horror Picture Show (Jim
Sharman, 1975) ou encore Tommy interprété par les Who (Ken Russell, 1975). Ces
films se composent de musique rock exécutée par un ou plusieurs groupes rock, voire
par des acteurs. « Pour la première fois, au lieu d’être une ponctuation sonore plus ou
moins bien venue, la musique fait partie intégrante du film.»52 Ces films deviennent
alors des sortes de concerts géants, où la scène se transforme en décor de cinéma et où
le public n’offre sa présence, que lors de la projection en salle.
Le concert, en lui-même, recourt parfois à certains aspects du cinéma, avec des
écrans géants sur lesquels se diffusent en « live » les images du concert qui se déroule
devant le public. Alice Cooper, avec son concert filmé Welcome to my Nightmare en
1975, devient le précurseur de la musique hard rock dans le film fantastique.
Effectivement, ce show macabre est considéré comme un film fantastique à part entière
et se compose de scènes tournées dans un décor et de scènes de concert, concert dans
lequel le chanteur joue de cette ambiguïté en passant du spectacle au film par la
traversée d’un écran de cinéma. Il regroupe aussi des acteurs et l’histoire cohérente du
52
CinémAction, trimestriel, article de BUREL, Marcel, Rock et fantastique : un mariage de raison, n°74,
1er trimestre 1995, p.156.
57
début à la fin s’axe autour du personnage d’Alice Cooper. De plus pour ce concert,
l’acteur « Vincent Price prête sa voix et sa diction si particulière bien avant de le refaire
pour le groupe Iron Maiden ou le clip thriller de Michael Jackson (John Landis,
1983). »53 Cet amalgame ne permet plus alors de discerner la limite entre le concert et le
cinéma. D’autres groupes comme Kiss se retrouvèrent aussi les héros de film où de
nombreuses scènes de concert venaient s’imbriquer dans l’action.
Nous pouvons remarquer, également, que de nombreux films exploitent le thème
du concert, en proposant un action qui se déroule dans le milieu du concert et de la
musique comme Rock Star réalisé par Stephen Herek en 2001. D’autres encore
montrent le concert du coté du public en filmant des acteurs qui assistent à un concert.
Ainsi les films comiques Wayne’s World (1992 et 1994) et le film fantastique The Crow
(Alex Proyas, 1994) possèdent des instants de concert. Mais au-delà des films, le
cinéma produit aussi des documentaires, sur les tournées de grands groupes ou sur des
festivals de musique devenus des sortes de pèlerinage de la musique rock.
Des groupes s’inspirent directement de certains genres de films, le plus souvent
fantastique ou horreur, et utilisent cette imagerie pour créer leur album et toute une
scénographie sur scène. « La science-fiction, l’anticipation sociale, l’heroic fantasy, les
vampires, l’épouvante, les forces occultes, le satanisme, la violence, le gore, le
romantique, les comportements psychopathologiques sont des thématiques très
largement développées par le cinéma et la littérature. En seconde main, elles sont
également l’objet d’une exploitation conséquente dans le monde du métal. »54 Ainsi le
groupe, de monstres rockeurs, Lordi, pour n’en citer qu’un, propose des musiques sur le
thème du film d’horreur, thème qui se retrouve dans leurs costumes, leurs clips et dans
leur scénographie de concert.
Le concert présente donc un ensemble de prestations, assimilables, à souhait, au
théâtre et au cinéma. Cela permet d’exprimer un monde musical où le public est
transporté à grand renfort de décor, de gestuelle et de guitares saturées. Bien que très
peu étudiée, la scénographie de concert offre une somme incroyable de décors du plus
simple au plus extravagant.
53
Ibid. p.158.
HEIN, Fabien, Hard rock, heavy metal, metal... : histoire, cultures et pratiquants, éd. IRMA, coll.
Musique et Société, Paris, 2003, p.152.
54
58
2. Le décor et le concert
« Dans le show, trois éléments principaux : la musique, les éclairages, et les
décors, contribuent à créer l’ambiance, l’atmosphère et le cadre du spectacle. »
55
Le
décor de concert se développa de façon différente, suivant deux types de concerts : les
concert en salle et le concert en plein air dans les stades pour les grands groupes de
musique. Effectivement, les techniques ainsi que les structures sont très différentes et ne
peuvent pas, de ce fait, être traitées de la même manière. Pour évoquer le décor de
concert, il faut d’abord se rappeler que le concert est sans doute la représentation la plus
mobile d’un spectacle vivant. Effectivement, les tournées de concerts pour un groupe,
traversent le monde entier, le décor doit être pratique pour le transport, donc il inclut
une légèreté, une maniabilité mais aussi une solidité.
Le premier aspect scénographique du concert ne tient pas dans le décor en soi
mais dans la simple disposition du groupe sur la scène. Le matériel par lui-même
devient alors décor. Les instruments porteront aussi la marque des prémices du premier
décor de concert, comme pour la grosse caisse de la batterie qui se retrouve souvent
affublée, d’un drapeau ou d’un autocollant sur lequel se distingue le nom du groupe ou
son imagerie. Certains groupes fonctionnent ainsi et convertissent les amplificateurs en
un mur du son gigantesque qui se changera alors en décor. Le placement des retours,
des amplificateurs, des instruments qui s’exposent sur scène en attente d’être utilisés, se
transforme alors en une scénographie. Actuellement ce type de décor s’emploie
toujours, et certains groupes mélangent même l’utilité à la conception, en créant des
structures spécifiques. Ainsi le groupe Motörhead propose dans ses concerts une rampe
d’éclairage en forme de bombardier et le groupe Mötley Crüe modifie sa batterie en une
cage batterie (drum cage).
Le premier décor, outre les instruments et la machinerie, se compose, comme
pour le théâtre et le cinéma, de la toile de fond, ici imprimée et non plus peinte. Ainsi
dans les années 70, elle apparaît pour la première fois et porte en guise d’imagerie le
logo d’un groupe. Led Zeppelin semble être l’un des premiers à utiliser cette première
scénographie d’après François Bon dans Rock’n’roll, un portrait de Led Zeppelin56. Car
dès 1972, lors de leur concert à Tokyo, des photos de l’époque attestent de ce fameux
55
GOURDON, Anne (sous la direction de), Le rock : aspects esthétiques, culturels et sociaux, éd. CNRS,
Paris, 1994, p.205.
56
BON, François, Rock’n’roll, un portrait de Led Zeppelin, éd. Albin Michel, Paris, 2008
59
premier background57. De nos jours, il reste l’élément le plus fréquemment employé
pour les scènes de concerts rock, car pratique, léger et économique en place (pour le
transport et sur scène) et en prix. Il représente le plus souvent le logo du groupe ou
encore la pochette de l’album dont il fait la promotion. Mais suivant l’imagination des
groupes, il fonctionne comme au théâtre et dépeint une architecture ou un paysage en
relation avec l’imagerie du groupe. Cette toile de fond se décline aussi en toiles de
différentes tailles, dont les amplis deviennent les supports ou qui se disposent sur une
armature spéciale, donnant à la scène une sorte de perspective et créant ainsi une sorte
d’architecture factice autour du groupe, qui l’englobe dans le monde chanté, lors du
concert.
Le décor se compose aussi comme au théâtre, de praticables, souvent sous la
forme de scène sur la scène, dont les dessous sont dissimulés par des contreplaqués
peints ou ornés de l’imagerie du groupe. La réalisation même du décor suit les
différentes étapes du dispositif théâtral, dessins, maquettes et enfin construction. Mais
certaines scènes s’apparentent à de vrais décors de films, comme pour le groupe Alice
Cooper, qui développe le récit musical, lié le plus souvent à un album-concept, au
milieu d’une réelle architecture fixe reproduite sur scène, avec des apparitions et
disparitions ainsi que de nombreux accessoires. Les différents éléments qui composent
la scénographie, pour un gain de coût et pour une mobilité, comprennent les mêmes
matériaux que le théâtre ou le cinéma, à savoir le polystyrène, le papier mâché (carton
pâte), la résine, le carton, l‘aluminium et le contreplaqué par exemple.
La scénographie d’un concert dépend directement de la taille de la scène, ainsi la
plupart des groupes possèdent différents éléments de décors qu’ils utilisent soit seuls
soit en un ensemble cohérent. La scénographie peut donc être simple puis sur une scène
plus grande se retrouver plus complexe mais toujours coordonnée. Cela arrive aussi
parfois lors d’une tournée, lorsque le groupe propose un date en extérieur, soit lors d’un
festival soit lors d’une unique représentation dans un pays, dans un stade, la scène est
donc beaucoup plus grande et la scénographie se fait alors plus conséquente.
57
Le background est le nom utilise dans la scénographie de concert pour désigner le fond de scène.
60
Le concert : du croquis à la réalisation
L’exemple de Roger Waters The Wall Berlin 1990
61
Le décor pour une petite salle de concert
Le décor pour une grande salle de concert
62
En 1965 a lieu le premier concert en extérieur, les Beatles offrent un nouveau
genre de spectacle à leur public au Shea Stadium de New-York. Cependant l’immensité
de l’espace et la quantité de spectateurs s’opposent à la petite taille de la scène tout juste
assez grande pour contenir le groupe, les instruments et le matériel de sonorisation. Dès
la fin des années 60, la scène prend de l’ampleur avec la création des premiers festivals
de musique comme Woodstock en 1969. Au milieu des années 70, « la plupart des
tournées rock étaient encore une affaire rudimentaire, avec des groupes sur une scène de
6 mètres sur 12 mètres surmontée d’un toit soutenu par l’armature de l’éclairage et des
deux haut-parleurs situés de part et d’autre de la scène. »58 A la fin des années 70, « on
accordera d’avantage d’importance aux décors, jusqu’à atteindre des excès qui
amèneront dans les années 90, l’amorce d’un retour à plus de sobriété. »59
Dès les années 80, avec l’augmentation des tournées mondiales, qui se déroulent
dans d’immenses salles et jusque dans des stades, la scénographie prend une part de
plus en plus importantes et des architectes se spécialisent dans la scénographie de
concert. C’est le cas de David Perry (Perry scenic) et Mark Fisher (Stufisch) qui dès la
fin des années 70 scénographièrent les scènes de concerts, pour des artistes de
renommée, de Pink Floyd à Black Sabbath en passant par les Rolling Stones. Il arrive
aussi que ces deux agences travaillent indirectement ensemble sur de nombreux projets.
Le développement de super structures de concerts commence alors et emploie le terme
d’architecture de concert.
Le décor se compose alors avec de nouveaux matériaux parfois même empruntés
à la construction de bâtiment, « leur palette de matériaux est l’aluminium, l'acier, le
tulle, le câblage, la toile et l’écran de projection ; leur structure sous-jacente est
habituellement faite d’échafaudages. Leur système de son et lumière est basé sur un
ensemble électronique sophistiqué. Ils comprennent aussi des tirs pyrotechniques, des
murs d’images, des vidéo-projecteurs, des ascenseurs, des nacelles élévatrices, des grues
et des générateurs portables. »60 Tout pour faire un vrai show, les structures gonflables,
les écrans de lumières, les sculptures géantes sont aussi omniprésentes. Actuellement
encore des gigantesques concerts utilisent cet ensemble de décors gigantesques et
incroyables.
58
SUTHERLAND, Lyall, Rock sets the astonishing art of rock concert design, éd. Thames and Hudson,
London, 1992, p.15. [Traduction STEFFIN, Elodie]
59
GOURDON, Anne (sous la direction de), Le rock : aspects esthétiques, culturels et sociaux, ibid.p.207.
60
SUTHERLAND, Lyall, Rock sets the astonishing art of rock concert design, ibid. p.8.
63
Des superstructures de concert
Les Rolling Stones Voodoo Lounge 1994
Jean-Michel Jarre à Houston en 1986
64
Toutes ces architectures se destinent à des lieux bien précis d’assez grande taille,
pour les accueillir, situés à des endroits stratégiques car ce genre de décor ne supporte
que quelques dates, par leur taille mais aussi par leur coût qui atteint souvent des
sommes faramineuses. Parfois, certaines scénographies investissent une ville entière,
comme le concert de Jean-Michel Jarre à Houston en 1986. La scène se trouvait dans la
ville au milieu des buildings, sur lesquels se projetaient des images et desquels partaient
tout un tas de feux d’artifices. Ces méga-scènes restent quand même rares, et le plus
souvent, les groupes ne font pas directement appel à des scénographes pour leur concert,
mais préfèrent organiser leur scénographie, eux-mêmes, avec l’appui de ces
professionnels.
Au-delà du décor, l’éclairage est le composant scénographique le plus important
car quel que soit le concert, celui-ci comportera toujours un éclairage plus ou moins
sophistiqué. Et depuis les années 70, il « contribue à créer l’atmosphère des spectacles,
à donner du relief au décor et à souligner les moments forts. »61
De nombreux groupes de musique, au-delà de l’aspect esthétique et de réelle
communication de la musique, voient dans la scénographie, souvent monumentale, un
moyen purement financier pour augmenter le prix des places et par la même occasion
leur cachet de stars comme certains grand groupe de rock ou de pop. Cependant quatrevingt-dix pour cent des groupes de hard rock ou de métal offrent à leur public une réelle
scénographie, alors que ces groupes souvent considérés, encore de nos jours, comme
underground n’ont aucun ou peu d’intérêt financier dans la réalisation de concert avec
décors, qui restent à des prix tout à fait abordables. Ces groupes proposent bien une
esthétique de leur musique qui passe souvent par le décor factice.
B. Pour une scénographie de concert : le décor factice
La scénographie de concert est souvent ignorée, peu d’articles font référence à
ce sujet, comme si elle n’avait aucune importance ou même qu’elle n’existait pas. Or
cette dernière, comme nous avons pu le constater, est un sujet vaste. Elle apporte un
grand intérêt pour l’étude de la scène, des représentations scéniques et du décor. Au
61
GOURDON, Anne (sous la direction de), Le rock : aspects esthétiques, culturels et sociaux, ibid.p.206.
65
même titre que le théâtre, le concert correspond à un réel spectacle vivant, offrant un
visuel très important. Cette vision se contente souvent juste de l’éclairage, l’élément
majeur de la représentation du concert. Mais de plus en plus, peut-être pour attirer le
public, les groupes de rock, en particulier, soignent leurs images scéniques et recréent
tout un univers sur scène, qui passe le plus souvent par le décor factice qui s’y présente
sous différentes formes. Ainsi ce dernier se compose d’éléments fixes, comme dans la
plupart des concerts, ou mobiles, pour un plus grand apport d’artifice et d’imaginaire.
Hormis, la possibilité de celui-ci à se déplacer sur scène, le décor de concert se trouve,
par définition, mobile dans le sens où, le concert étant un spectacle itinérant, son décor
est donc sans cesse en mouvement. Donc lorsqu’il sera question de mobilité dans cette
partie, cela signifiera le déplacement sur scène.
1. Le décor fixe
Le concert par son itinérance, propose souvent un décor simple composé d’une
toile de fond. Mais il arrive que, pour des raisons esthétiques, ou par souhait de rendre
les scènes moins « vides » de sens, les groupes arborent un réel décor pour rendre
l’espace plus thématique et offrir une vision scénographique de la musique. Ainsi
certaines scènes de concert se transforment en de véritables décors de théâtre où le
chanteur endosse son rôle de protagoniste le temps d’une tournée. Le décor fixe en
comparaison au décor mobile, reste inchangé tout au long du concert. Mais grâce à sa
facticité, il permet de fabriquer des décors insoupçonnables et des univers sur mesure.
Ainsi le chanteur français Renaud, propose lors de ses tournées une
scénographie toujours intéressante, produite en grande partie grâce à un décor factice. Il
fait partie des rares chanteurs français à présenter une scénographie conséquente, en
dehors de Johnny Hallyday et de Mylène Farmer, qui proposent des spectacles
monumentaux où le décor factice se perd dans un méandre d’éclairages intenses, de
lasers, de projections et d’effets pyrotechniques. Par l’exemple de Renaud, nous
pourrons aussi nous apercevoir que la scène française n’est pas en reste face aux
groupes américains, anglais ou encore allemands qui produisent toujours des
scénographies considérables lors de leurs concerts.
66
Lors de sa tournée intitulée, Tournée d’Enfer, en 2003, Renaud offrit au public,
un décor tout à fait original, très inspiré du théâtre mais aussi de ses textes. Celui-ci se
compose d’une petite place de village provençale, avec son bar, son hôtel, sa mairie
ainsi qu’une fontaine, une petite scène et un arbre. Ces différentes façades, construites
en contreplaqué, possèdent trois faces qui donnent alors un réel volume à l’ensemble.
Celles-ci, sont aussi inclinées vers l’arrière, pour créer une contre-plongée vers la scène
et ainsi former un espace aéré pour le chanteur et ses musiciens. Le bar offre une réelle
tridimensionnalité car praticable, ainsi le chanteur fait son entrée sur scène par ce
dernier en traversant la baie vitrée, qui se trouve devant le comptoir peint en trompel’œil. Au lointain, une toile de fond représente le reste du village de façon très simple,
sans artifice. A l’avant de la scène, un platane de polystyrène renforce l’idée de petit
village provençal avec, à coté, sa fontaine. L’estrade simule une scène de bal où se
produisent des musiciens, ceux-là mêmes du concert.
Ce décor retranscrit ce que le chanteur veut exprimer à son public par sa
musique et ses paroles. Il a toujours été dans un genre musical spécifique proche des
gens et racontant sa vie, donc par cette scène de fête de village, il propose au public
d’entrer dans son univers. Les différentes fenêtres des maisons s’animent de lumière
venant de l’intérieur, lors des chansons, un peu comme si celles-ci étaient habitées et
que la musique provoquait des changements d’humeur. Pour renforcer cette idée de fête,
des guirlandes de lampions sont placées tout autour de l’estrade. Le public, lorsqu’il
regarde ce spectacle, se retrouve tout à coup au milieu d’un petit village et assiste à un
concert sympathique et convivial. Ce décor montre de la pudeur, comme si le chanteur
ne se considérait pas comme un personnage célèbre. Au contraire d’autres chanteurs
français, la composition du décor se fait très intimiste comme si chaque personne du
public pouvait se retrouver sur la scène à regarder ce groupe chanter. Ce décor est à des
lieux du gigantisme de certains concerts. Il respire la simplicité et c’est en cela que le
théâtrale prend de l’importance car il plonge le public dans une histoire, ici, pas
totalement fictive. De plus le public se retrouve constamment éclairé, ce qui est assez
rare dans un concert où la pénombre, en générale, envahit la salle. Cette lumière
renforce encore cette scène conviviale où le public peut voir son voisin, lui parler s’il le
désire. Tout cela produit vraiment une illusion de bal de campagne.
67
Le décor fixe pour la Tournée d’Enfer de Renaud en 2003
68
Le décor factice permet donc grâce à des moyens simples de projeter le
spectateur dans un univers, le faire voyager et l’emmener en balade à travers les textes
d’une chanson. Malgré qu’il soit fixe, il propose une sorte de déplacement grâce aux
jeux des lumières dans les maisons et sur scène, en créant différentes atmosphères. Le
public se retrouve face à des sentiments différents, selon l’intensité et la couleur de
l’éclairage. Ce décor permet une réelle mobilité car il emporte le public dans son
univers.
Les autres décors fixes permettent aussi cela, qu’ils se composent d’une toile de
fond ou de praticables, ils organisent un voyage dans l’univers de la musique ou du
groupe qui l’interprète. Par le fait qu’il soit fixe, cela permet d’apprécier ce monde
recréé de toutes pièces, ainsi que la musique qui le compose. Le décor fixe de concert
s’apparente beaucoup au théâtre, comme si nous avions affaire à une pièce en un seul
acte, un acte de vie et de partage car le concert possède une grande connotation de
partage entre les artistes et le public. C’est sans doute pour cela que les groupes rock
créent de nombreuses scénographies, pour inviter le spectateur à partager un moment de
son intimité ou de l’intimité de l’album. Bien sûr, le coté critique voudrait que le décor
ne corresponde qu’à un apport d’argent lié à l’augmentation du prix des places de
concert. Mais les groupes ne feraient alors pas autant d’efforts, pour recréer un monde
souvent personnel, comme ici avec le chanteur Renaud.
Le décor factice, fixe, donne alors un aspect posé au spectacle, sans trop de
superficialité. Il expose une certaine intimité et offre également au groupe un espace
libre pour pouvoir bouger à sa guise. Même lorsqu’il est plus réduit, ce décor produit les
même sensations de projections dans un ailleurs, correspondant à la musique, et donc
transmettre des sentiments différents et souvent émotionnels. C’est donc grâce à la
facticité que ces décors sont réalisables et permettent une plongée dans l’imaginaire et
l’imagerie du groupe.
2. Le décor mobile
Le décor mobile, quant à lui, se compose souvent d’une base fixe, avec une toile
de fond, des praticables, sur lesquels, viennent s’ajouter différents éléments de décors,
le plus souvent factices, illusoires. Ainsi, ce décor permet des entrées fracassantes,
69
lorsqu’il se situe au tout début du spectacle. Lorsque le groupe AC/DC lors de sa
tournée, No Bull, en 1996, plonge le public dans son univers, c’est par la destruction
d’un immense mur de pierres factices, qui engendre cette immersion du public et amène
le groupe vers celui-ci. Ce mur gigantesque, restera présent tout au long du concert,
symbolisé à droite et à gauche par deux toiles imprimées, du motif de ce mur. Il offre
donc une entrée en la matière, impressionnante, mais aussi crée une tension au niveau
du public qui attend impatiemment de voir ses artistes préférés. C’est parce qu’il se
compose d’éléments entièrement factices, que ce décor est possible et permet chaque
soir de renouveler cette expérience. Mais le décor se trouve aussi parfois présent tout au
long de certains concerts, comme c’est le cas chez le groupe Alice Cooper.
Depuis qu’Alice Cooper se produit sur scène, donc depuis les années 70, il
procure à son public un véritable show toujours réalisable grâce à de nombreux décors
factices. Chacune de ses scènes s’apparente à un monde qui lui est propre et chaque
spectacle tient presque plus d’un film réalisé en direct que d’une pièce de théâtre. Le
chanteur et membre fondateur du groupe s’est largement inspiré du théâtre Grand
Guignol parisien pour ses mises en scènes macabres. Ainsi, sa tournée intitulée Brutally
live, réalisée en 2000, s’inspire de son album Brutal Planet et se compose, comme à son
habitude, d’un décor impressionnant, construit, pour la plupart des éléments, de façon
artificielle. La scène propose un astucieux mélange de décors fixes et de décors mobiles.
Le décor fixe se forme d’une toile de fond, représentant une ville industrielle détruite
qui laisse imaginer au spectateur quel genre de cataclysme a pu provoquer cela, mais
aussi de trois petites scènes, une pour le batteur, l’autre pour le claviériste et la dernière
pour effectuer des parties scéniques, le tout se retrouvant sur le scène principale. En plus
de cela, à gauche et à droite se trouvent des éléments de décors, l’un représentant une
machine à ressusciter les morts et l’autre la carcasse d’une voiture. Ces deux décors sont
entièrement factices et praticables. D’autres éléments viennent joncher cette scène déjà
bien garnie, comme des tonneaux métalliques dont nous ne pouvons distinguer s’ils sont
factices ou pas. En effet, si ces derniers sont construits de façon factice, ils sont très bien
imités, mais s’ils sont réels, ils paraissent trop peints et semblent donc faux. L’illusion
se révèle parfois fort ambiguë. Des squelettes, des tuyaux et des poutres métalliques
artificielles viennent compléter cette scène de désolation digne d’un New York 1997 ou
d’un Los Angeles 2013, des films de John Carpenter.
70
Un des décors mobiles du concert Brutally live d’Alice Cooper en 2000 : la guillotine
71
Cette scène permet déjà au public de s’immerger dans un monde imaginaire,
inspiré de l’album-concept Brutal Planet. A cela, vont s’ajouter différents décors
mobiles. Ainsi l’entrée en la matière, du concert, ne se fait pas en montrant dès le départ
toute cette scène grandiose, mais par un élément de décor, qui est amené à l’avant de la
scène et qui se trouve uniquement éclairé. Il représente une sorte de petite cabine
contenant un monstre, qui présente le show, à la manière de la série télévisée, Les contes
de la crypte (1989-1996). Celui-ci est ensuite mis de coté pour laisser place au
spectacle. D’autres éléments feront leur apparition tout au long du concert comme la
très célèbre guillotine qui vient trancher la tête d’Alice Cooper (le personnage
principal), tous les soirs, pour le plus grand bonheur du public. Ces différents éléments
sont tous factices, composés de contreplaqué, de polystyrène, d’aluminium ou encore de
résine, le tout peint à la perfection pour une illusion parfaite. Les décors fixes comme la
machine à ressusciter les morts ou la carcasse de voiture, prennent aussi un sens mobile,
car cette scène peut se rapprocher de la scène simultanée du Moyen-Age. Ainsi même si
des éléments sont fixes, ils ne seront réellement mis en valeur par la lumière, que lors de
leur utilisation. Ainsi cette fameuse machine de résurrection ne prendra son rôle que
lorsqu’il faudra redonner la vie à Alice Cooper. Donc, même si elle se trouve présente
sur scène tout au long du spectacle, son rôle ne devient effectif que lors de son
utilisation, en cela elle est mobile car elle passe d’un décor de fond au décor principal
de l’action. Il en est de même pour la carrosserie de voiture. Ces différents décors
passent vers l’avant de la scène par la lumière, et transforment ce spectacle en de petites
scénettes.
Lors des concerts d’Alice Cooper dans des salles de plus petites dimensions, où
tout le décor ne peut pas se retrouver sur scène, les différents éléments mobiles
permettent d’étoffer et de situer les lieux de l’action. Ainsi le jeu scénique s’appuie
toujours sur la même base, et le spectacle reste très intéressant et expose néanmoins tout
l’univers de ce groupe.
Donc le décor mobile, à l’instar du décor fixe, propose une incursion dans le
monde imaginaire des groupes de musiques. Mais grâce à cette mobilité, le jeu scénique
se voit renforcé pour donner, toujours, un meilleur show au public. Grâce à ces
éléments, le décor fixe se soulage des composants qui auraient rendus, à force
d’accumulation, la scène impraticable. Effectivement ce système convient très bien
aussi pour les petites scènes où un décor imposant ne fait que réduire l’espace de jeu et
détruit alors l’expérience scénique que le groupe offre aux spectateurs. Le décor mobile
72
permet donc de pouvoir gérer l’espace en direct et ainsi proposer au public un décor
extrait de la musique sans pour autant que celui-ci annihile la scène. Un trop plein de
décor détruit aussi bien l’expérience scénique que la musique elle-même car celui-ci
n’existe que pour accentuer le jeu des musiciens et pour servir la musique. Le décor, en
plus des musiciens, représente la version visuelle de la musique, le monde musicale.
Ainsi ce type de décor autorise une diversification de la scène et une
multiplication de l’action. Souvent il accompagne une chanson précise pour renforcer
son impact auprès du public car celle-ci fait partie des chansons phares d’un album. Les
décors mobiles peuvent se retrouver sous différentes formes mais gardent toujours le
même but de renfort et de multiplicité. Il s’utilise aussi sur des scènes plus petites, ne
pouvant pas accueillir de gros décors fixes.
Le décor, qu’il soit fixe ou mobile, renforce donc les sentiments exprimés par la
musique. Grâce à sa facticité, il crée différents mondes, tous plus impressionnants, les
uns que les autres. Le transport, ainsi que le montage, sont aussi facilités par sa légèreté.
Il invente des espaces scéniques sans super structure architecturale, telles qu’il peut s’en
voir dans certains concerts. Certes, certains décors sont imposants mais ces derniers
nécessitent moins de main d’œuvres, d’engins et moins de financement. Le décor
factice permet des facilités et des jeux de scènes saisissants. Le public ne cherche pas à
savoir si cela est réel, il sait que tout est faux. Ce qu’il apprécie, c’est l’image de ce
monde, l’illusion d’accéder aux paroles des chansons, pour oublier, le temps d’un
concert, sa vie et s’imprégner d’un univers imaginaire qu’il affectionne. Le concert est
une forme de spectacle récente, mais il a su faire preuve d’ingéniosité en prenant sous
son aile le décor factice qui lui promet toujours des mises en scène intéressantes et
remplies de sens, le tout exprimé par l’illusion. Ce décor répond de plus à la perfection
aux normes de la scène et de l’itinérance.
73
Conclusion
Au terme de cette recherche sur l’évolution et l’emploi du décor factice dans le
monde du théâtre, du cinéma et du concert, nous avons pu observer la manière dont
s’établissaient les liens entre ces différents spectacles qui paraissent, souvent, très
éloignés les uns des autres, mais qui regorgent pourtant de ressemblance. Ces
similitudes permettent aussi de comprendre l’évolution du décor factice dans ces
différents domaines. Ces changements ont tous des points communs, seule leur
utilisation peut diverger.
Ainsi pour le théâtre et plus précisément l’opéra, le décor factice permet la
réalisation de décors aussi bien simples que complexes, respectant des normes et des
cotes précises pour apporter à l’artiste, un espace où s’épanouir et renforcer son jeu,
grâce au soutient du décor. Dans le cinéma, le décor factice sert aussi de support à
l’acteur, dans cet univers de plus en plus numérisé, il peut alors encore retrouver des
sensations grâce à celui-ci. De plus comme au théâtre, il ne se cache pas toujours et
parfois peut s’exprimer face à la caméra et dévoiler ses matériaux de carton pâte. Dans
le concert, il traduit les sentiments et manifeste visuellement la musique. Il produit aussi
des mises en scènes spectaculaires, où le chanteur se transforme en comédien. Il
engendre une immersion presque totale du public dans un univers composé par les
groupes de musiques. Le décor factice possède de nombreux atouts qui le rendent fort
favorable à la scène et au studio de cinéma. Il est léger, maniable et possède une
certaine solidité. De plus, dans certain cas, comme les toiles de fonds, il économise
beaucoup de place. Il permet une création presque sans limite et pour les studios il se
transforme en un excellent support pour le numérique. Mais ce faux répond aussi à une
esthétique, d’affirmer que tout ceci n’est qu’une illusion, pas dans le fait de créer juste
une simple artificialité, mais dans l’expression de ces techniques qui montrent une
illusion.
Ainsi chacun des trois thèmes étudiées, que ce soit le théâtre, le cinéma ou
encore le concert, aurait pu faire l’objet d’une étude particulière, tellement le sujet se
veut vaste. De plus, en dehors de la décoration théâtrale, la plus ancienne des trois, le
décor de cinéma, comme de concert, comportent encore de nombreuses zones d’ombres,
et n’ont que très rarement été analysés, dans le cadre d’une recherche, aboutissant à un
74
ouvrage. La scénographie de concert est même inexistante à titre de recherche en
France, comme si ce décor avait moins d’intérêt que le théâtre ou le cinéma. Ici, seuls
quelques concerts se retrouvent explorés mais il existe des centaines et des centaines de
décors différents, factices ou pas, qui créent des univers sur scène pour des spectacles
toujours plus visuels. Ces décors apportent une autre vision de la scène, par la diversité
des styles musicaux surtout dans la musique rock et métal, qui se composent de
nombreuses influences, toutes visibles lors des concerts. Quand au cinéma, rien hormis
des ouvrages sur le décor en général, ne parlant du décor factice que lors de l’invention
du film et dans les années 20, comme s’il avait tout à coup disparu pour laisser place au
décor réel ou virtuel. Or, il est toujours présent même s’il se fait moins visibles, souvent
utilisé au second plan, parfois numérisé, il existe toujours et sans doute qu’avec ce trop
plein d’images informatisées il refera bientôt surface.
Malgré une grande existence, le décor factice est encore mal connu du grand
public qui le considère toujours comme un décor fait de carton pâte, sans aucun soucis
du réalisme et mal confectionné. Or le décor factice n’a jamais été aussi présent, que ce
soit dans l’évènementielle, sur les plateaux télévisés, dans les clips musicaux, les séries
télévisées ou encore dans les expositions ou les parcs d’attractions. Tous ces domaines
pourraient faire l’objet d’une étude spécifique sur ce décor. Seulement il n’offre pas
toujours une visibilité, car fait de telle façon qu’il parait réel. Cela se produit surtout
dans les séries télévisées, de Star Trek à Stargate en passant par les Desperate
Housewives ou le très sérieux NCIS, toutes ces séries ont recours au factice. Citons aussi
l’exemple des parcs d’attractions, à Disneyland tout pratiquement se compose
d’éléments factices, faits de résine. Le factice permet de créer des mondes, d’en recréer
d’autres, et en un instant, tout disparaît, pour laisser la place à un tas de poussière. Car
parce qu’il est faux et se conçoit à partir de matériaux légers et non construit pour la
durée, la fin inévitable du décor factice se définit par la poussière. Lorsque le rideau
tombe, lorsque le film est dans la boite, lorsque la tournée s’achève, la vie du décor
factice se termine et se recycle, la plupart du temps. Le décor factice parait parfois réel
et le réel parait parfois factice, alors rien n’est réellement défini.
Mais sa composition, basée sur des matériaux légers, pose une autre
problématique que scénographique, qui rend compte de l’évolution du comédien, de
l’acteur ou du chanteur, aux travers de ces décors. En effet les sensations corporelles ne
s’apparentent pas toujours à la réalité, ainsi lorsqu’un comédien ferme une porte qui se
75
trouve sur un châssis, le mouvement et son intensité ne seront pas les mêmes que sur un
décor réel. Ainsi les protagonistes doivent ils parfois jouer de finesse pour que leur jeu
se coordonne avec l’environnement dans lequel se passe l’action. Cela crée aussi un
impact sur la vision du public. Même s’il se compose d’illusions, le décor factice doit
quand même avoir une certaine crédibilité et ne pas passer pour du simple bricolage.
Car de lui émane une notion de vraisemblance, d’image qui rappelle la réalité.
Comme nous avons pu le constater, le décor factice n’est qu’une image, mais
quelle image fascinante ! « Je préfère le vraisemblable à ce qui est vrai, parce que je suis
plus attaché à l’image qu’à la réalité, que ce soit au théâtre ou au cinéma. »62 (GuyClaude François)
62
FREYDEFONT, Marcel (sous la direction de), Petit traité de scénographie, éd. Joca seria, coll. Les
carnets du grand T, Nantes, 2008, p.87.
76
Table des matières
SOMMAIRE .............................................................................................................................................1
REMERCIEMENTS..............................................................................................................................2
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION ....................................................................................................................................3
LE THEATRE..........................................................................................................................................6
THEATRE
A.
LE DECOR DANS TOUTE SA SPLENDEUR ...........................................................................................7
Evolution des décors .................................................................................................................7
Composition du décor, techniques et matériaux......................................................................14
B. LE DECOR FACTICE, PRINCE DE L’OPERA .......................................................................................19
1.
Le décor peint..........................................................................................................................20
2.
Le décor construit....................................................................................................................24
1.
2.
LE CINEMA ............................................................................................................................................31
A.
AU-DELA DU THEATRE, LE CINEMA ...............................................................................................32
Le cinéma et le théâtre ............................................................................................................32
Le décor au cinéma .................................................................................................................36
B. LA PLACE DU DECOR FACTICE DANS LE CINEMA............................................................................40
1.
Le film fantastique ...................................................................................................................41
2.
Les autres genres.....................................................................................................................45
1.
2.
LE CONCERT ROCK..........................................................................................................................53
ROCK
A.
UNE FORME DE SPECTACLE RECENTE ............................................................................................54
Le concert entre théâtralité et cinéma.....................................................................................54
Le décor et le concert ..............................................................................................................59
B. POUR UNE SCENOGRAPHIE DE CONCERT : LE DECOR FACTICE .......................................................65
1.
Le décor fixe ............................................................................................................................66
2.
Le décor mobile.......................................................................................................................69
1.
2.
CONCLUSION .......................................................................................................................................74
TABLE DES MATIERES...................................................................................................................77
MATIERES
BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................78
BIBLIOGRAPHIE
77
Bibliographie
Sources :
Sources imprimées :
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BAVA, Lamberto, La Caverne de la Rose d’Or, Paramount, 1990-1996,
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BURTON, Tim, Ed Wood, Touchstone Pictures, 1994, noir et blanc, 127
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DAHAN, Olivier, Le Petit Poucet, BAC Films, 2000, couleur, 90 minutes
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GONDRY, Michel, Soyez sympas, rembobinez, EuropaCorp Distribution, 2007,
couleur, 94 minutes
79
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LUHRMANN, Baz, Moulin rouge, UFD, 2001, couleur, 127 minutes
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RENAUD, Tournée d’enfer, 2003, couleur, 155 minutes
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coll. Découvertes Gallimard, Paris, 1995
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totale, éd. Gallimard : Musée du Louvre, coll. Art et artistes, Paris, 2003
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LARTHOMAS, Pierre, Technique du théâtre, éd. Presses universitaire de
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Revues et journaux :
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Théâtre/Public, bimensuel, article de GOETZ, Olivier, LEVERATTO, JeanMarc, L’objet virtuel au théâtre, n°185, mai 2007
80
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www.rogerwaters.org
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SHARMAN, Jim, The Rocky Horror Picture Show, 20th century Fox, 1975,
couleur, 96 minutes
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ALICE COOPER, Welcome to my Nightmare, Eagle, 1975, couleur, 84 minutes
-
WEIR, Peter, Le cercle des poètes disparus, Warner Bros, 1989, couleur, 128
minutes
81
Université Paul Verlaine Metz
Domaine Sciences des Interactions Humaines et Sociales
Master mention Esthétique, arts et sociologie de la culture
Master 2 spécialité professionnelle : Arts de l’exposition et Scénographie
STEFFIN Elodie
Lieux et dates : L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole de février à juin
Le tournage du film Fragonard au Luxembourg en juillet
Rapport de stage
Tuteurs enseignants : GUINEBAULT Chantal et GOETZ Olivier
Tuteurs professionnels : LIGER Julien, CHEVALIER Eric, ROTUNNO Donato
Sommaire
INTRODUCTION.................................................................................................................... 85
LE DECOR FACTICE............................................................................................................. 87
LE DECOR REEL ................................................................................................................. 105
CONCLUSION ...................................................................................................................... 112
TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 113
83
« Les différents ingrédients de l’opéra sont la poésie,
la musique et le décor. La poésie parle à notre esprit,
la musique à notre oreille, la peinture à nos yeux, et
tout cela contribue à nous émouvoir le cœur. »
Jean-Jacques ROUSSEAU
« Le cinéma, c'est l'opéra du vingtième siècle. On a tous
les arts : les écrivains, les acteurs, les décorateurs, les
chefs opérateurs, les musiciens, pour faire une oeuvre
totale. »
Jules PETIT-SENN
Remerciements
Remerciements
Un grand merci à Chantal Guinebault et Olivier Goetz, mes tuteurs de stages, Eric
Chevalier et Donato Rotunno qui ont rendu ces stages possibles.
Un grand merci aussi à l’atelier de décor de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole et en
particulier à Julien Liger, ainsi qu’à l’équipe déco du tournage de Fragonard et en particulier
à Laurie Colson.
84
Introduction
La recherche d’un stage ne fut pas forcément évidente car certains impératifs
s’imposaient à moi. Tout d’abord je n’envisageais pas un stage sans rapport avec ma
problématique de mémoire. Je me tournais donc vers des structures où ma problématique
prendrait tout son sens, donc vers des lieux mêlant musique et décor car mon idée première
était de travailler sur la scénographie en tant qu’œuvre d’art totale et surtout dans le milieu du
concert. Je m’intéressais donc de très près à des endroits accueillants des évènements
musicaux. Mon deuxième impératif reposait sur mon impossibilité à quitter la région par
manque de moyens, je devais donc trouver un lieu adéquat proche de chez moi c'est-à-dire en
Lorraine, Alsace, Luxembourg, mais ne maîtrisant pas totalement la langue allemand je
renonçais à rechercher un stage dans le Saarland. Je proposais donc ma candidature dans
plusieurs salles de concerts ainsi qu’au Centre Chorégraphique National de Nancy et à
l’Opéra-Théâtre de Metz. Après des demandes envoyées par courrier électronique puis en cas
de non réponse par voix postale, une seule de mes requêtes aboutit.
L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole accepte de me prendre en stage et par la suite
sera favorable à un deuxième stage au sein de son équipe. Cette réponse m’a tout de suite
motivée car c’est un lieu chargé d’histoire et un des rares opéras à posséder encore son propre
atelier de décors et de costumes. Il n’en fallait pas plus pour m’encourager. Mes attentes pour
ce stage étaient propices au lieu, un lieu unique donne l’espoir d’un stage unique. J’espérais
beaucoup apprendre sur le décor et ses techniques et pouvoir participer pleinement à la vie de
l’atelier de décor et ainsi assister aux différentes phases de création, de la proposition à
l’installation sur scène en passant par les étapes obligatoires que sont le dessin, la maquette, la
recherche de matériaux, le devis et la réalisation. Je désirais aussi découvrir le métier
d’éclairagiste et peut-être participer à certaines confections de l’atelier couture.
J’ai donc effectué deux stages bien distincts à l’Opéra-théâtre. Le premier, sous la
direction de Julien Liger, tapissier de son état, m’ouvrit les portes de l’atelier de décor et
reposait sur la fabrication de décor. Le second, sous la direction de Eric Chevalier, directeur
artistique, me transforma en assistante metteur en scène et décorateur le temps du stage.
Ma problématique ayant quelque peu changée durant ces stages, mon orientation se
dirigeait maintenant vers le décor pur. Pour mon dernier stage, Chantal Guinebault, ma
directrice de recherche, me dirigea vers Donato Rotunno, producteur et intervenant à
85
l’université de Metz. Ainsi je pourrais comparer le décor d’opéra à celui d’une production
filmique. Trois sortes de concepts m’intéressent, le décor de théâtre par le biais de l’opéra, le
décor de film et enfin celui de concert. Mais pour ce stage, il fallait d’abord trouver un film
sur lequel il serait possible que je travaille et qui se trouverait proche de chez moi. Ce n’est
que grâce à la persévérance de Madame Guinebault et à la mienne que ce stage fut accepté.
C’est ainsi qu’il me fut proposé un stage sur le tournage d’un docu-fiction « Fragonard » au
Luxembourg.
Jamais je n’aurais imaginé pouvoir trouver un tel stage. C’est une occasion rêvée pour
voir de mes propres yeux le tournage d’un film et la gestion de ses décors.
Mes attentes pour ce stage comme pour les autres sont grandes car nous espérons
toujours pouvoir apprendre un maximum de la vie professionnelle avant de l’intégrer soimême. Ainsi assister à la transformation d’un lieu en un tout autre espace fictif ou non et
comprendre plus en profondeur le métier de décorateur de film sont mes buts pour ce stage.
Ces stages se ressemblent et à la fois sont très différents car la manière de travailler le
décor n’est pas identique : l’un se trouve axé sur une totale facticité pour une légèreté et une
maniabilité et l’autre, au besoin d’un réalisme absolu, se base sur un décor totalement réel.
Ainsi en découlent mes deux parties pour ce rapport.
86
Le décor
factice
87
A. L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
1. Un lieu historique
Celui qui allait devenir l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, fut inauguré le 3 février
1752 sous l’appellation Hôtel des Spectacles du Saulcy. La construction de ce petit théâtre à
l’italienne eu lieu sous les bons augures du maréchal de Belle Isle, gouverneur de cette
époque et sur les plans de Jacques Oger, un architecte messin. Il se situe sur l’île du Petit
Saulcy, place de la Comédie. De par son ancienneté, l’Opéra Théâtre a connu de nombreuses
restructurations aussi bien de sa façade que de sa salle. Cette salle qui à son inauguration
comportait 1201 places, puis 1384 en 1777, ne compte plus que 750 places actuellement, qui
furent établis en 1963. La scène aussi allait connaître de nouveaux aménagements, notamment
la création d’une scène tournante lors de l’occupation allemande pendant la seconde Guerre
Mondiale et l’agrandissement de l’ouverture de la scène dans les années 80.
Ainsi l’Opéra-Théâtre dispose d’une scène tournante de 10,44 mètres de diamètre et
l’ouverture de la scène est de 9,10 mètres au maximum et de 7,10 mètres au minimum1. Il
possède aussi une arrière scène séparée de la scène par un rideau de fer.
Actuellement, il représente le plus vieil opéra de France encore en activité et est classé
aux Monuments Historiques. Il effectue encore une soixantaine de levées de rideau par an
dans différents registres, l’opéra, l’opérette, le ballet, le récital et la pièce de théâtre. Il est
aussi l’un des rares à posséder encore ses propres ateliers de décors et de costumes.
1
Cf Annexe 1
88
Salle / scène vue de dessus
89
Salle / scène vue de profil
90
Ensemble de l’opéra vue de dessus
91
2. Son organisation
L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole est constitué d’un personnel permanent de 95
personnes regroupé en trois équipes, administrative, artistique et technique avec à leur tête un
directeur propre à chacune. L’atelier décors qui nous intéresse ici fait parti du personnel
technique, comme l’atelier de costumes, et non du personnel artistique qui ne compte que les
régisseurs, le chœur et le corps de ballet. L’atelier décors se compose donc de six menuisiers
– ébénistes, deux à trois peintres et un tapissier parmi lesquels se trouvent un responsable et
un responsable adjoint. Cependant, pendant la durée des stages de nombreuses
restructurations au niveau du personnel ont eu lieu, ce qui a provoqué une modification de
l’organigramme. Il n’y a à ce jour plus qu’un seul directeur, Eric Chevalier (ancien directeur
artistique), et aucun responsable à l’atelier décors.
L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole est habitué à la présence de stagiaire dans son
enceinte que ce soit pour des stages professionnels ou de cursus scolaire. Le stagiaire
participe pleinement à la vie de l’atelier, il n’est pas là pour observer mais pour travailler et en
même temps apprendre. Il lui est donné de renforcer ses connaissances et n’est pas un laissé
pour comptes. Certes parfois il doit faire le travail que personne ne veut faire mais en général
il se trouve plutôt bien intégré à l’équipe.
L’Opéra-Théâtre est géré budgétairement par la Communauté d’Agglomération de
Metz Métropole en tant qu’équipement culturel. Elle se compose d’un président, Jean-Luc
Bohl, maire de Montigny-lès-Metz, d’un vice-président et des membres de la commission des
équipements culturels d’intérêt communautaire, tous siégeant au conseil municipal des
communes de la Communauté d’Agglomération de Metz Métropole. Le budget global assigné
à l’Opéra-Théâtre est de 6 400 000 euros pour la saison 2008-2009. 3 700 000 euros sont
engagés pour le fonctionnement, c'est-à-dire le personnel permanent et 2 700 000 euros pour
la production artistique comprenant les décors, les costumes, les éclairages ainsi que le
personnel artistique en tant qu’intermittents du spectacle et les achats de spectacles. Un
spectacle revient en moyenne, de la maquette à la réalisation finale, à 180 000 euros. Avec ses
750 places et ses 60 levées de rideau annuelle, l’affluence des spectateurs est d’environ 75 %
parmi lesquels une bonne majorité d’abonnés.
92
Organigrammes
Organigramme à mon arrivée
Organigramme à mon départ
93
B. Le décor à l’Opéra
1. Intervention sur les spectacles
a) IQ et OX
Dès mon arrivée à l’opéra, j’ai participé à la construction d’éléments de décor, en
l’occurrence des rochers pour l’opéra IQ et OX mis en scène et scénographié par Christine
Marest. IQ et OX est un opéra pour jeune public de André Bon sur les textes de Jean-Claude
Grumberg2. Les rochers, représentant une grande partie du décor, se composent d’un caisson
en contreplaquée avec un habillage en polystyrène sculpté à la manière d’un rocher. Ma
première tache fut de sculpter une première fois le polystyrène au fil à chaud avant qu’ils ne
soient resculptés plus précisément par les peintres. Ils étaient ensuite renforcés avec de la
tarlatane et du slastic puis recouvert de résine pour une solidité à toute épreuve. Les différents
rochers devaient supporter le poids de plusieurs personnes et étaient montés sur roulette pour
différents déplacements. Ils ont ensuite été peints à la manière de rochers se trouvant au bord
de l’eau.
En même temps je m’occupais de la création d’un élément de décor qui était
primordial à la pièce : un arbre à rêve qui accueillait un des chanteurs. A partir d’une
maquette, le tapissier et moi avons du trouver la manière dont il serait fabriqué pour qu’il
puisse tomber à terre sans blesser personne, il devait être à la fois sculpture et vêtement. Nous
décidâmes de le fabriquer en mousse recouvert de toile à beurre froissé pour donner un aspect
d’écorces. Il fut d’abord peint en vert émeraude à la demande de la scénographe puis en bleu
car cela ne lui convenait plus. Ensuite il fut parsemé de touche verte pour renforcer l’aspect
d’écorce. Mais avec le jeu de lumière sur scène, ces différentes nuances ne ressortirent
absolument pas, seul le bleu global était visible. Les décisions du scénographe ne sont pas
forcément les meilleurs aussi l’atelier de décors est parfois là aussi pour le guider. Cependant,
cela ne gâcha en rien la féerie de cet élément maintenu dans les cintres grâce à un filet sur
lequel il fut collé. Le public acclama son entrée sur scène. Le décor faisait l’effet escompté. Il
paraissait bien solide tel un arbre et lorsqu’il fut abattu pu facilement tomber sans blesser
personne. Sur ce spectacle il m’a vraiment été permis de voir toute l’évolution, des dessins à
la maquette, de la création à la représentation.
2
Cf Annexe 2
94
Du dessin à la maquette de l’élément de décor : l’arbre imaginaire
La maquette du décor de IQ et OX
La réalisation finale lors de la première représentation
95
b) Aller-Retour, Une longue nuit de Noël
Pour les opéras Aller-Retour et La longue nuit de Noël de Paul Hindemith mis en
scène par Mireille Larroche, j’aidais à la réalisation d’accessoires en carton, un service à thé
et un cornet acoustique. Je peignais aussi des éléments de décor tel des tables et des chaises.
Ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus passionnant mais il faut aussi le faire et je
soulageais ainsi l’équipe qui avait beaucoup de travail à ce moment là. Parfois, dans certains
opéras, le décor réel est aussi utilisé comme ici.
c) L’attaque du moulin
Lors de mon stage sous la direction d’Eric Chevalier, j’ai travaillé sur ses propres
spectacles. D’abord L’attaque du moulin d’Emile Zola, mise en scène et scénographie d’Eric
Chevalier3, où je réalisais en premier lieu les différents dessins techniques d’une roue de
moulin à eau, le principal élément de décor. Pour cela je partais avec des mesures très
approximatives et j’ai donc du tout réétudier et retrouver les mesures adéquates pour qu’elle
soit calibrée correctement. Je réalisais ensuite la maquette de cette roue au 1/20e en carton
plume et carton que je peignais à la manière d’une texture vieux bois ayant séjourné dans
l’eau et séché en plein soleil, une sorte de bois gris.
Cette scénographie se composait, à la fin du stage, de la roue en réalisation, d’une
cinquantaine de chaises rouges placées en cercle ainsi que d’un tulle peint représentant un
cimetière de type « américain ». Le tulle est très apprécié pour les opacités et les
transparences obtenues grâce aux effets de lumière. Au fur et à mesure du déroulement de
l’action, les chaises seraient jetées en un tas et la roue se déplacerait en formant un cercle. La
roue représente le moulin et le temps qui passe, sa dégradation montre l’évolution de la
bataille. Les chaises rouges s’associent à la présence des villageois qui s’atténue et le tas final,
la bataille finale où plus personne ne reste en vie. La roue fut fabriquée en aluminium et
contreplaqué de 20 mm, cependant si le soucis de légèreté recherché normalement dans le
décor de théâtre avait été respecté, cette structure aurait pu être beaucoup plus légère et
composée de module pour une facilité de montage et démontage.
Cet opéra fait parti de la nouvelle programmation de l’Opéra-Théâtre pour la saison
2009-2010.
3
Cf Annexes 4-5
96
Dessins techniques de la roue pour L’attaque du moulin
Maquette de la roue
97
La réalisation de l’élément de décor : la roue
La maquette de l’opéra Hamlet
98
d) Hamlet
Pour l’opéra Hamlet, scénographié par Eric Chevalier, j’ai créé la maquette du décor
de fond, fixe. Il représente un grand mur en hémicycle donnant l’illusion d’un béton fait à
partie d’un coffrage en bois donc qui gardera donc la trame du bois à sa surface. Dans cet
arrondi se trouve une ouverture sur toute la hauteur qui permettra l’entrée et la sortie des
artistes. A chaque extrémité, le mur semble avoir été déchiqueté, éventré par des bombes pour
en faire ressortir la construction intérieure composée de tiges de métal. Ce décor est encore
très vague car le metteur en scène et le décorateur n’arrive pas à se mettre d’accord sur la
composition finale et sur le point de vue à exprimer dans cette œuvre.
Cependant la première représentation aura lieu fin novembre 2009, il reste donc peu de
temps pour la construction. L’atelier doit parfois faire face à des urgences tout en ne
négligeant jamais le travail à effectuer. Une maquette doit être présentée en moyenne trois à
six mois avant la première représentation car il faut environ trois mois pour la construction
d’un décor.
2. Un apprentissage personnel
a) La tapisserie d’ameublement
L’Opéra-Théâtre de Metz Métropole possède son propre tapissier. Ce dernier étant
mon directeur, il décida de m’apprendre une petite part de son métier. Cela n’a certes rien à
voir avec la scénographie en soi mais ce fut un grand enrichissement personnel.
Parfois, l’atelier tournait au ralenti, le plus souvent par un manque de communication
pour les commandes de matériels. Pendant ce temps, j’en profitais pour renforcer mes
connaissances dans les différents domaines qui se présentaient à l’atelier. Le tapissier
commença par m’enseigner son métier. Du désossement d’un fauteuil à la réhabilitation de sa
carcasse, c’est une seconde vie qui s’offre à celui-ci. Je confectionnais donc un fauteuil de
style en garniture à l’ancienne sur un thème choisi, Metallica et un fauteuil de style en
garniture moderne sur un thème donné. Contrairement aux idées reçues, le coût et la qualité
sont les mêmes. L’un prend plus de temps avec des matériaux abordables et l’autre s’effectue
en un temps minimum avec un coût élevé au niveau des matériaux.
99
Je découvrais donc que le métier de tapissier, loin d’être ringard pouvait s’avérer fort
plastique et créatif. Cependant c’est un métier physiquement difficile où la passion et la
recherche de nouveau concept sont de rigueur pour une réussite dans le milieu privé.
b) La peinture décorative
Un autre domaine de prédilection de l’atelier est la peinture décorative très utilisée
dans les décors d’opéras. Comme celui-ci possède deux peintres décoratifs je profitais de
leurs expériences et de leurs conseils avisés. Sur les bases du livre Imitation des Marbres de
Yannick Guégan, je commençais donc mon initiation au faux marbre. Je réalisais alors cinq
faux marbres différents plus ou moins réussis dont certains très fidèles à la réalité. On me
félicitait pour ma bonne maîtrise des couleurs et la finesse de mes traits. Cette initiation fut un
succès.
Je réalisais aussi une estrade en faux métal rouillé pour accompagner le travail de fin
d’année d’une autre stagiaire en tapisserie. Avec cette estrade, je réalisais qu’avec quelques
conseils, une bonne technique et une touche personnelle, on pouvait arriver à un résultat très
réussi.
La peinture décorative fut bénéfique pour moi, j’y trouvais une facilité de création et
une minutie qui m’intéresse beaucoup pour un résultat très beau et illusoire à souhait.
c) Autres projets
Une étude de projet pour le salon privé du maire à l’Opéra-Théâtre me fut confiée. Je
devais respecter le budget de 10000 euros pour recréer un espace moderne car ce salon n’était
plus que l’ombre de lui-même et se trouvait fort désuet par le temps. Je créais donc un
agencement plus apte à recevoir un public et des meubles en croquis. J’y choisissais des
couleurs modernes comme le noir, le rouge et le blanc et y aménageais un espace plus aéré,
plus convivial et plus chic. Ce fut un très bon exercice et le budget fut largement respecté.
Je m’adonnais aussi lors de mes heures perdues à la sculpture en polystyrène et je
réalisais un serpent pour mon propre plaisir que je renforçais avec de la résine, une technique
utilisée lors de la fabrication des rochers pour IQ et OX, cela me permettait donc de mettre en
pratique ce que j’avais appris durant mon stage.
100
Fauteuil en garniture moderne
Fauteuil en garniture à l’ancienne
Estrade en aspect métal rouillé entièrement réalisée en peinture
101
Blanc veiné
Vert de Mer
Brocatelle violette
Lapis-Lazuli
102
C. Un bilan positif
1. Autoévaluation
Ce stage m’a beaucoup surpris car il m’a montré que j’étais capable d’effectuer un
travail d’équipe alors que je suis quelqu’un d’individualiste. Effectivement, j’ai essayé de
mettre de coté mon caractère un peu borné et de rester toujours à l’écoute des autres. Cela m’a
permis de réussir dans mon travail même lorsqu’il y avait des incompatibilités de caractère. Il
fallait aussi faire face aux querelles au sein même de l’équipe dans lesquelles je ne prenais pas
parti. Mais en restant polie et souriante je n’ai eu aucun problème d’adaptation.
Après quelques appréhensions du monde professionnel, grâce à certaines personnes de
l’équipe technique, j’ai très vite été mise à l’aise et acceptée presque comme une vraie
collègue de travail. Je ressentais rarement le fait d’être juste une stagiaire, la direction me
faisait pleinement confiance et je pouvais m’exprimer sans crainte. Ma frustration venait
surtout de l’attitude de certains décorateurs qui eux me considéraient comme non
professionnel, mais en faisant mes preuves je leur ai prouvé le contraire.
Je pense que je me suis bien adaptée car lorsqu’on me donnait un travail je l’effectuais
au mieux et je ne rechignais pas à la tâche. Ce qui fut fort appréciable c’est aussi le fait qu’on
me permit de réaliser mes propres expériences personnelles et surtout, qu’à chacune de mes
questions, de mes difficultés je trouvais quelqu’un pour me guider. Cependant j’éprouvais
néanmoins une grande facilité dans le travail demandé de par mon expérience universitaire.
2. Une expérience positive
L’expérience acquise pendant ce stage est pour moi positive aussi bien sur le plan
personnel que professionnel. J’aimerais vraiment bien un jour intégrer cette équipe et je crois
que cela c’est ressenti lors de mon stage, j’y suis même allée au culot pour demander à la
direction s’il n’avait pas une place pour moi. Malheureusement avec toutes les
restructurations la réponse fut négative. Même si je n’ai pas fait de la scénographie pure je me
trouve comblée par tous les acquis que j’ai pu obtenir. Je me sentais vraiment dans mon
élément dans cet atelier. Création, matériaux divers, arts, pour moi tout cela fait parti de la
scénographie, au delà de la simple interprétation d’un espace. Cette expérience me permettra
103
aussi d’étoffer mon book artistique et scénographique. J’ai vraiment obtenu un réel bagage
artistique et professionnel mais aussi une grande envie de création.
3. Relation cours / stages
Les cours étudiés lors du Master s’axaient plus sur l’exposition d’où son intitulé
néanmoins certains d’entre eux furent une bonne base pour ces deux stages. Tout d’abord les
cours théoriques sur le théâtre me permirent de m’intégrer rapidement au lieu et à son
vocabulaire spécifique. Les cours pratiques et workshop qui donnèrent lieu à des maquettes
me conférèrent de solides bases pour la réalisation des maquettes d’opéras demandées. La
réalisation de devis ainsi que l’approche artistique s’adaptèrent dans ces stages. Ainsi je
trouvais un bon appui dans les cours ayants attraits au théâtre ou à la réalisation de
scénographie théâtrale.
Cependant les cours qui me servirent le plus dans la réalisation de décor furent les cours
d’arts plastiques que j’ai suivis pendant des années. Il manque peut-être à l’enseignement des
cours sur les matériaux utilisables en scénographie, aussi bien de théâtre que d’exposition.
Mais en même temps si tout était appris en cours les stages ne serviraient plus à rien donc je
pense sincèrement que l’équilibre entre les cours et ces stages se tenaient.
104
Le décor réel
105
A. Le décor de film
1. Tarantula Productions
Tarantula Productions se trouve au Luxembourg et fait parti d’un réseau européen de
sociétés de production indépendantes regroupées sous un même label qui a vu le jour en
Belgique en 1996 sous l’appellation Tarantula Belgique. Tarantula se situe actuellement en
Belgique, Luxembourg, France et Suisse et ainsi permet des coproductions européennes et
internationales. Ce réseau a déjà permis la création de plusieurs longs et courts métrages ainsi
que des documentaires ou téléfilms. Elle est composée de deux producteurs, d’une productrice
exécutive, d’une assistante de production et d’un administrateur de production pour la filiale
luxembourgeoise.
2. Fragonard
Fragonard4 est un téléfilm de Jacques Donjean sur la vie d’Honoré Fragonard
l’anatomiste français. Voici son synopsis:
« Honoré Fragonard, médecin anatomiste, cousin de Jean Honoré Fragonard (l’un des
plus illustre peintre de genre du 18ème siècle), fût une figure extravagante et énigmatique du
Siècle des Lumières. Scientifique brillant, il a poussé à sa perfection l'art de la dissection, en
réalisant des coupes anatomiques d'une qualité exceptionnelle grâce à une méthode de
conservation des corps qui est toujours inconnue à ce jour. Il frôla la gloire mais son nom
sombra malheureusement dans l'oubli. Passionné par le monde des Arts, il fréquenta le peintre
David et bon nombre de personnalités du monde artistique de l'époque. La dualité des deux «
Fragonard » le peintre libertin et le scientifique obscur vont croiser leur destinée comme
l'image et le reflet d'un siècle tourmenté. A travers le portrait de Fragonard, c'est tout l'esprit
du 18ème siècle qui va s'offrir à la curiosité du spectateur. Praticien de génie, il défend l'esprit
scientifique contre la morale religieuse. »5
Pendant ce stage j’ai été intégrée à l’équipe de décor composée de deux chefs décor,
une assistance et trois constructeurs. Le budget total du décor pour ce film était de 17000
4
5
Cf Annexe 6
http://www.clapwallonie.be
106
euros ce qui semble peu mais les décorateurs ont néanmoins accepté le défi. Le travail du
décorateur de film se passe surtout en amont du tournage : repérage des lieux, élaboration de
décors et construction. Lorsque je suis arrivée toutes ces choses avaient déjà été faites depuis
longtemps, je m’occupais alors comme tout le reste de l’équipe du montage et démontage des
décors et des accessoires qui venaient cacher la modernité des lieux pour les transformer en de
véritables places du 18ème siècle parisien. La majorité du tournage se déroula à Liège et le reste
à Luxembourg et Paris.
Ainsi fut construite une estrade avec une guillotine, sur une place pavée parsemée de
paille pour recouvrir toutes les représentations modernes, en l’occurrence les plaques d’égouts,
et des palissades pour camoufler les éléments indignes du Siècle des Lumières (grille
moderne, gouttières et pissoirs). La paille joua un grand rôle dans le masquage des plaques
d’égout car actuellement toutes les rues en sont dotées et cela rendait les scènes encore plus
réalistes. Le but de l’équipe de décor était vraiment de cacher la modernité de la ville car on
devait vraiment avoir l’impression de se retrouver dans la ville de Paris au 18ème siècle tout en
étant en réalité dans la ville de Luxembourg actuelle et de plus tout était fondé sur le décor réel
déjà existant dans la ville. La ville de Luxembourg se prête bien à ce détournement car il
existe encore de nombreuses rues pavées avec des bâtisses anciennes. Donc mes principales
activités étaient le montage et démontage des décors ainsi que le balayage des rues après le
tournage car cela fait aussi partie du métier, rendre les lieux de tournage à la ville tel qu’on les
a trouvés.
Les résultats obtenus se trouvèrent extrêmement proches d’un Paris sombre de
l’époque de la Révolution. La caméra, les filtres et les lumières utilisés venaient encore ajouter
une touche d’authenticité au décor.
Ce téléfilm devrait normalement être diffusé fin 2009, début 2010 sur RTBF et Arte.
J’ajouterai juste que le temps entre le montage et le démontage est très long, le temps du
tournage des scènes, j’en ai donc profité pour améliorer mon jeu d’actrice en faisant de la
figuration. Même si le tournage est long, chaque jour ne représentera au final que trois minutes
dans le film.
107
Pendant la mise en place du décor devant l’ancien palais de justice de Luxembourg
Le décor final : une place à Paris au 18ème siècle
108
Une rue de Paris au Siècle des Lumières
(une rue dans le Grund à Luxembourg)
109
B. Un bilan positif
1. Autoévaluation
Ce stage a été en quelque sorte un défi pour moi car même si sa durée ne fut pas très
longue, il a été très fatigant. Premièrement tous les jours je devais faire un total de trois heures
de route et de plus les horaires étaient très variables et le temps de travail dépassait souvent
les huit heures avec des fins de tournage aux alentours de trois heures du matin. De plus
l’équipe étant ensemble depuis le début du tournage à Liège, je ne réussis pas réellement à
trouver ma place. Le temps pour faire plus ample connaissance nous manquait et il fallait
travailler vite et dur. Cependant j’ai quand même réussi à surmonter ma timidité et ma fatigue
pour poser les bonnes questions durant ce court laps de temps. Je pense sincèrement que si le
stage avait duré aussi longtemps qu’à l’Opéra-Théâtre, je me serais sans peine intégrée à cette
équipe. Je crois néanmoins que ma présence a pu soulager un peu l’équipe de décor car cette
fin de tournage se finissait à grande vitesse. Je savais aussi quand m’imposer pour les aider et
quand rester en retrait pour ne pas les déranger dans leur travail, mais peut être que parfois je
suis restée un peu trop en retrait. Cependant à aucun moment je n’ai eu l’impression de ne pas
avoir ma place dans ce domaine du décor. Tout au long du stage, je me suis sentie capable de
réaliser le travail donné. Malgré le peu de temps que les décorateurs avaient à m’accorder ils
essayaient toujours de répondre à mes interrogations et de m’expliquer leur travail.
2. Une expérience positive
Même si pour moi mon intégration ne fut pas des meilleurs, je pense que cette
expérience fut bénéfique aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Cependant si
j’avais du répondre à la question de l’expérience positive ou négative pendant mon stage je ne
suis pas sûre que la réponse aurait été la même. Effectivement n’arrivant pas très bien à
m’intégrer et physiquement fatiguée mon regard était assez différent, mais avec un peu de
recul j’admets que ce fut vraiment un stage très appréciable et dont je n’aurais jamais cru la
réalisation possible. Durant ce stage je me suis retrouvée entourée de professionnels de
l’image et du décor ce qui me permet déjà une petite incursion dans la production filmique.
Certes on ne m’a pas proposé d’emploi mais en général on a été content de mon travail. Cette
110
expérience me conforte encore plus dans mon choix de me diriger vers le métier de
scénographe décorateur aussi bien dans le théâtre, le film ou peut-être même le concert. Mais
personnellement je me vois aussi très bien dans la construction même du décor, avec tout le
travail de recherche de matériaux et de textures que cela induit.
3. Relation cours/stage
Il n’y a pas eu de réelle relation entre les connaissances acquises en cours et le stage.
Ce sont plus mes cours en arts plastiques qui m’ont été utile. C’est vrai que dans la formation
le décor de film ne se trouve jamais évoqué (basé sur le réel ou non) alors que cela devient un
parti très important de la scénographie actuellement comme le concert qui se présente sous
des formes de plus en plus scénographiques. Peut-être faut-il ouvrir plus la formation et ne
pas forcément l’axer sur l’exposition et le théâtre contemporain très plastique, alors que dans
ce stage tout était sur le réel, réel d’un lieu, de structure, d’une époque. Cela est une opinion
personnelle et comme je l’ai dit auparavant si tout s’apprenait en cours les stages n’auraient
plus d’utilité. Il faudrait peut-être donner à choisir aux étudiants entre la scénographie
d’exposition et le décor. Mais l’université est-elle capable de répondre à ces demandes ou en
a-t-elle les capacités ? Je ne peux le dire. Donc une suggestion pour les années à venir,
pourquoi ne pas faire des workshops décor de cinéma… .
111
Conclusion
Durant ces stages il m’a été permis d’aborder le décor factice et réel avec une petite
préférence pour le décor factice. Avec l’aise et le plaisir que j’éprouvais dans le travail je
pense sincèrement et sans arrogance que la scénographie et plus particulièrement le décor sont
faits pour moi. Je n’ai même jamais eu la sensation de faire un stage mais juste de créer et
c’est ce qui me plait. Ces stages m’ont apporté beaucoup de choses mais surtout la conviction
que le décor est bel et bien mon univers et donc je vais donc suivre la voie de la scénographie
en espérant trouver un emploi dans ce domaine.
Je me permets aussi de changer la définition du scénographe - décorateur qui pour moi
ne s’arrête pas seulement à un dessin ou une maquette mais qui prend toute son ampleur dans
la recherche de matériaux et la construction de son décor. Cela peut sembler utopique mais
c’est comme çà que je vois mon futur métier.
112
Table des matières
SOMMAIRE......................................................................................................................................................
83
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ...................................................................................................................................... 84
INTRODUCTION ............................................................................................................................................. 85
LE DECOR FACTICE .................................................................................................................................... 87
A.
L’OPERA-THEATRE DE METZ METROPOLE ............................................................................................. 88
Un lieu historique .............................................................................................................................. 88
Son organisation ................................................................................................................................ 92
B. LE DECOR A L’OPERA .............................................................................................................................. 94
1.
Intervention sur les spectacles ........................................................................................................... 94
1.
2.
a)
b)
c)
d)
2.
Un apprentissage personnel............................................................................................................... 99
a)
b)
c)
C.
1.
2.
3.
IQ et OX ........................................................................................................................................................ 94
Aller-Retour, Une longue nuit de Noël .......................................................................................................... 96
L’attaque du moulin....................................................................................................................................... 96
Hamlet ........................................................................................................................................................... 99
La tapisserie d’ameublement.......................................................................................................................... 99
La peinture décorative.................................................................................................................................. 100
Autres projets............................................................................................................................................... 100
UN BILAN POSITIF .................................................................................................................................. 103
Autoévaluation ................................................................................................................................. 103
Une expérience positive ................................................................................................................... 103
Relation cours / stages ..................................................................................................................... 104
LE DECOR REEL ......................................................................................................................................... 105
A.
LE DECOR DE FILM ................................................................................................................................. 106
Tarantula Productions ..................................................................................................................... 106
Fragonard........................................................................................................................................ 106
B. UN BILAN POSITIF .................................................................................................................................. 110
1.
Autoévaluation ................................................................................................................................. 110
2.
Une expérience positive ................................................................................................................... 110
3.
Relation cours/stage......................................................................................................................... 111
1.
2.
CONCLUSION ................................................................................................................................................ 112
TABLE DES MATIERES ........................................................................................................................... 113
BIBLIOGRAPHIE .......................................................................................................................................... 114
113
Bibliographie
Sources imprimées :
-
GRUMBERG, Jean-Claude, Iq et Ox, éd. Actes Sud-Papiers, coll. Heyoka Jeunesse,
Paris, 2003
-
GUEGAN, Yannick, Imitation des marbres, éd. Dessain et Tolra, coll. Arts du décor,
Paris, 2006
-
MASSON, Georges, L’Opéra-Théâtre de Metz, éd. Klopp Gérard, 2002
-
Passion de l’opéra citations, éd. Exley, Bierges, 1999
-
SHAKESPEARE, William, Hamlet, éd. Librio, Paris, 2004
-
ZOLA, Emile, L’attaque du moulin, éd. Librio, Paris, 2004
Partitions :
-
BON, André, Iq et Ox, Editions Musicales de la SALAMANDRE, Metz, 2009
-
BRUNEAU, Alfred, L’attaque du moulin, éd. Choudens, Paris, 1893
-
HINDEMITH, Paul, Aller-Retour, 1927
-
HINDEMITH, Paul, La longue nuit de Noël, 1961
-
THOMAS, Ambroise, Hamlet, éd. Heugel, Paris, 1868
Scénario :
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DONJEAN, Jacques, RAXHON, Philippe, Fragonard…le Frankenstein français ?,
2009
Sites internets :
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http://fragonard-movie.over-blog.com
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http://musee.vet-alfort.fr/
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http://opera.metzmetropole.fr
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http://www.clapwallonie.be
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www.evene.fr/citations/
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www.tarantula.lu
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