Grisélidis Grisélidis Réal De et et avec avec Coraly Zahonero De D’après D’après de la la Comédie-Française Comédie-Française de au Théâtre du Petit Louvre à 18h15 Revue de presse du 8 au 30 juillet Relâches les 14, 21 et 28 juillet 2016 Studio Théâtre - Comédie-Française Théâtre de Suresnes Jean Vilar Théâtre du Petit Louvre - Avignon Service de presse | Zef Isabelle Muraour 06 18 46 67 37 Emily Jokiel 06 78 78 80 93 [email protected] www.zef-bureau.fr Le Théâtre de Suresnes Jean Vilar Direction Olivier Meyer présente Grisélidis D’après la parole et les écrits de Grisélidis Réal Conception et interprétation Coraly Zahonero de la Comédie-Française avec Hélène Arntzen, saxophones Floriane Bonanni, violon Revue de presse Presse écrite Presse web Web Télévision Radios Service de presse Avignon | Zef Isabelle Muraour - 06 18 46 67 37 Emily Jokiel - 06 78 78 80 93 [email protected] www.zef-bureau.f PRESSE ECRITE Date : 07/08 MAI 16 Page de l'article : p.25 Journaliste : Armelle Héliot Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 1/2 CULTURE Grisélidis Réal, une femme et ses doubles THÉÂTRE Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, la sociétaire Coraly Zahonero évoque en mots et en musique un destin hors norme. sont plus ce qu'ils étaient, hommage fervent à Raymond Devos par Elliot ARMELLE HÉLIOT Jenicot, après Compagnie de Samuel [email protected] Beckett, texte difficile interprété avec blog.lefigaro.fr/theatre rigueur et sensibilité par Christian Gonon sur la musique spécialement ^i ingulis» est une série de composée par Philip Glass, voici donc quatre monologues, portés par des co- Coraly Zahonero, une femme en quête médiens français. Grisélidis en est le de la vérité d'un personnage combatdernier volet. Il célèbre une femme qui a tant : Grisélidis doit une partie de sa nomarqué les esprits et continue de fasci- toriété à sa défense des prostituées dans ner le monde du théâtre. les années 1970. Après Ce que j'appelle oubli de Laurent Dans ce cycle, chaque comédien est Mauvignier par un Denis Podalydès ha- responsable de son choix, de la mise en bité et impressionnant, après Les fous ne scène, des collaborateurs dont il s'en- Tous droits réservés à l'éditeur COMEDIE 2169487400524 Date : 07/08 MAI 16 Page de l'article : p.25 Journaliste : Armelle Héliot Pays : France Périodicité : Quotidien Paris OJD : 314312 Page 2/2 Coraly Zahonero incarne Grisélidis Réal, dans un spectacle qu'elle a elle-même conçu. toure. Ces « soles » témoignent de la diversité des personnalités, du sens de l'indépendance que les comédiens conservent par-delà la discipline de la troupe. Des moments brefs, une heure, une heure et quelque. Pas plus. Des moments très aimés du public, qui plébiscite aussi le « Cabaret Léo Ferré » qui se donne juste avant, à 18h30 (jusqu'à -dimanche). Le noir est une couleur C'est d'une passion profonde pour Grisélidis Réal qu'est né le spectacle que propose Coraly Zahonero. Elle s'est in- Tous droits réservés à l'éditeur téressée à cette femme rétive disparue en 2005, au point de remonter aux sources, de rencontrer ses enfants. Elle a obtenu des documents rares qui enrichissent cette évocation : dans le foyer du Studio-Théâtre dont la grande baie vitrée donne sur la pyramide inversée de la galerie du Carrousel du Louvre, on découvre des dessins, des peintures de Grisélidis Réal. Une révélation comme l'est la réplique de ce livre composé à la main en un pliage enfantin que l'artiste destinait à l'un de ses amoureux. S'il y a une ligne, dans la vie parfois très chaotique et douloureuse de Grisélidis Réal, c'est l'amour. Passions folles et rapports tarifés. Née en 1929 à Lausanne, elle étudie aux Arts et Métiers de Zurich. Elle veut dessiner et écrire, mais le destin en décidera autrement. Son unique roman s'intitule Le noir est une couleur comme si elle reconnaissait au plus sombre de sa vie des lueurs d'espérance. Coraly Zahonero fait de cette formule la métaphore qui soutient son spectacle dans une scénographie et des costumes de Virginie Merlin, des lumières de Philippe Lagrue. Elle a fait appel à deux musiciennes belles et douées, Hélène Arntzen au saxophone, Floriane Bonanni au violon, qui ajoutent à l'émotion. L'interprète affronte les contradictions du «personnage». Sa crudité dérangeante comme sa douceur. Sa complexité comme sa candeur. Ses faiblesses comme sa force. Grisélidis revit tout en demeurant une énigme. • Studio-Théâtre (Paris Ier) jusqu'au 8 mai. Tél.:0144 581515. Reprise au Theâtre Jean-Vilar de Suresnes (92) les 17 et 18 mai. www.theatre-suresnes.fr. Puis à Avignon Off, au Petit Louvre du 8 au 30 juillet. COMEDIE 2169487400524 CRITIQUE «GRISÉLIDIS» SORT DE SA CHRYSALIDE Par Anne Diatkine— 5 mai 2016 à 18:11 Magnétique, Coraly Zahonero incarne la prostituée et écrivaine gevenoise sur la scène du StudioThéâtre de la Comédie-Française. Coraly Zahonero dans la peau de Grisélidis Réal, au Studio-Théâtre du Francais. Photo Vincent Pontet «Singulis» : un programme en cours depuis mars de quatre monologues, portés par quatre acteurs du Français, et pour le dernier, Coraly Zahonero a choisi de faire voir et entendre Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée genevoise, auteure notamment du Noir est une couleur, et dont on peut lire aussi Grisélidis courtisane, une série d’entretiens avec Jean-Luc Hennig parus aux éditions Verticales. Yeux noirs lourdement faits, cheveux corbeau, robe en velours frappé noir, une dizaine de bracelets aux poignets : lorsqu’on regarde des photos de Grisélidis - son prénom de naissance qui provient d’un conte de Perrault -, on s’aperçoit que l’interprète a opté pour la ressemblance maximale. A travers ses mots, sa voix, son corps, l’actrice mute dans l’autre femme, comme on se réfléchit dans un miroir. Et ça marche, c’est Grisélidis qui s’adresse à nous, spectateurs, avec un léger accent suisse, son éducation contradictoire - excellente et terrible -, et finalement la subtilité de sa position et un besoin pédagogique vis-à-vis des autres, ici le public de la ComédieFrançaise, un peu moins âgé que dans les autres salles de la maison, pas complètement le tout-venant, néanmoins. La praxis sans la théorie et inversement n’a aucun intérêt, c’est ce qu’on se dit en écoutant les mots de la prostituée, qui de toute expérience fait son miel narratif et réflexif. Mouvements de main délicat, maintien parfait, buste droit, yeux qui aimantent : le corps raconte tout, et il faut redire que Coraly Zahonero, qui a tout conçu, du choix de texte à la mise en scène, est parfaite dans son incarnation. Sur scène, lorsque le rideau de velours noir se lève, la petite lampe rouge, le sapin de Noël qui clignote, le lit recouvert d’un jeté léopard dit encore le désir d’être au plus proche d’une vérité peut-être illusoire, mais en tout cas recréée. Anne Diatkine Grisélidis de Grisélidis Réal m.s. Coraly Zahonero Jusqu’au 8 mai au Studio-Théâtre (75 001), puis les 17 et 18 mai au théâtre Jean-Vilar de Suresnes (Hauts-de-Seine), et enfin au Festival d’Avignon. CANARD ENCHAINE Date : 11 MAI 16 Page de l'article : p.7 Journaliste : M. P. Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Page 1/1 ELEBREE dans les anC nees 70 pour sa defense de la prostitution et ses écrits hauts en couleur, glorifiée par l'écrivain Jean-Luc Hennig, la prostituée suisse Gnselidis Real, morte dans l'oubli en 2005, continue de fasciner Dans un spectacle sensible et grinçant, dont elle signe l'adaptation et la mise en scene, la sociétaire de la Comedie-Française Coraly Zahonero adopte Failure (cheveux longs, noir sur les yeux, robe de Gitane, bracelets autour des poignets) et la voix canaille de celle qui fit de Tous droits réservés à l'éditeur son metier « un humanisme > De la salle au plateau en forme de chambre a coucher, elle évoque des episodes de sa vie, flanquée de deux musiciennes Le style a la fois fleuri, cru et lyrique de Gnselidis est percutant Les formules sont truculentes Les propos dérangent toujours La violence des clients, elle la comprend La laideur d'un chauve obese qui n'a qu'une dent ou la difformité d'un nain bossu, elle l'embrasse Les misères de cette pauvre'humanite, elle se donne pour mission de les soulager Gnselidis est a la braguette ce que la Croix-Rouge est a l'aide humanitaire De tous ses combats, c'est l'hypocrisie de l'Eglise et des hommes politiques, « qui repartent les comites légères et le soleil au cœur » avant de faire enfermer les filles, qui la révolte le plus Cette femme passionnément libre, l'etincelante Zahonero la traite comme une reine M. P. • Vu a la Comédie-Française, a Pans En tournée COMEDIE 9972887400505 Date : 29 AVRIL 16 Page de l'article : p.50 Journaliste : Anna Nobili Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 339003 Page 1/1 T H E A T R E FEMME PUBLIQUE PAR ANNA MOBI U SEULE EN SCENE, CORALY ZAHONERO FAIT ENTENDRE LA VOIX DE GRISELIDIS REAL, ARTISTE, MILITANTE ET PROSTITUEE. On aime les acteurs du Français ensemble, on les aime aussi en solo Dans le cadre du cycle des Smgulis, Denis Podalydès a explore les mots de Mauvignier, de Elliot Jemcot, ceux de Devos et Christian Gonon, ceux de Beckett Place a la brune Coraly Zahonero, brillante dans la comedie autant que dons le drame La voilà seulement accompagnée d'une saxophoniste et d'une violoniste, pour faire entendre la parole de Grisélidis Real, après un intense travail d'adaptation de ses écrits et entretiens Grisélidis Real Quel nom I Et quelle héroïne I Beauté rare, peintre, écrivain, prostituée etfière de l'être Toute sa vie durant, cette Genevoise -disparue en 2005 -s'est écorché « les pieds et l'âme » sur le trottoir, maîs l'avait choisi Notamment via « la revolution des putes », elle s'est battue comme une diablesse pour faire reconnaître leur rôle socio I, elle qui disait aimer ses cl lents et comprendre leur misère sexuelle et affective Line parole forte et crue, un plaidoyer brûlant à l'heure où une nouvelle loi les pénalise « GRISELIDIS », lusqu'au 8 mai, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, puis les 17 et 18 mai à Suresnes (92) Tous droits réservés à l'éditeur COMEDIE 5414777400508 C'est l'une des plus fines lames de la Comédie-Française : Coraly Zahonero se glisse dans la peau scarifiée par la vie de Grisélidis Réal, prostituée militante, auteur inspirée et éternelle révoltée. Ayant écrit elle-même ce Grisélidis, elle avance sur les traces de Judith Magre, qui incarna elle aussi la prêtresse suisse du trottoir. GRISÉLIDIS. Théâtre du Petit-Louvre, 18h15. PRESSE WEB Grisélidis: un spectacle vérité sur la prostitution 9 juillet 2016/dans A voir, Les critiques, Paris, Théâtre /par Stéphane Capron Coraly Zahonero a créé ce spectacle autour de Grisélidis Réal en 2013, elle le reprend au Studio de la Comédie-Française avant de l’emmener cet été dans le Off à Avignon. Une plongée documentée et sensible dans le quotidien de la prostitution. Un spectacle qui vaut plus que tous les discours des politiques sur ce sujet. Grisélidis Réal, écrivaine, prostituée, révolutionnaire, née à Lausanne en 1929 est décédée en 2005 à la suite d’un cancer, a commencé à se prostituer en Allemagne dans les années 60 avant de devenir dans les années 70 très active dans les milieux protestataires. Cette « catin révolutionnaire » fonde un Centre International de documentation sur la prostitution et une association d’aide aux prostituées à Genève. Ses textes sont régulièrement mis en scène. On se souvient de l’adaptation de Clotilde Ramondou en 2011 lors du 1er Festival Hautes Tensions au Parc de la Villette Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, est accompagnée sur scène de deux musiciennes, Hélène Arntzen au saxophone et Floriance Bonanni au violon. Elle jouent des airs d’Europe de l’Est et du jazz. La comédienne débute le spectacle dans la salle, puis s’assied sur un coussin sur le bord de la scène pour s’adresser directement au public. Un petit grain de gouaille dans la voix lui donne de la fragilité et de l’humanité. Dans sa bouche, l’acte sexuel tarifé n’a rien de déshonorant. « Il n’y a pas de criminalité, il n’y a que de la souffrance » explique Grisélidis Réal dont les écrits analysent le comportement des clients en désacralisant « le péché de la chair » tout en faisant bien la différence entre les filles esclaves et victimes de mafieux et les autres. On rit beaucoup dans ce spectacle. Il brocarde les politiques qui fustigent la prostitution mais qui ne manquent pas de rendre visite à Grisélidis Réal ! Coraly Zahonero décrit avec beaucoup d’humour les clients: le nain bossu ou l’obèse chauve qui n’a qu’une dent. On entend la voix de la féministe engagée à la toute fin de ce spectacle touchant qui apporte une pierre documentée dans le débat toujours d’actualité sur la pénalisation des clients des prostituées. Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr Fascinante et troublante Griselidis Publié le 11 juillet 2016 Griselidis Real est morte d’un cancer à l’âge de 76 ans. Poétesse, peintre, elle était aussi prostituée et est devenue, au fil de ses publications et déclarations, un des emblèmes du féminisme qui a toujours défendu les prostituées et leur profession, défendant le rôle humain, social de la profession. On ne se remet jamais d’une enfance massacrée Coraly Zahonero s’attaque à ce récit avec détermination et douceur à la fois. Accompagnée de deux musiciennes, Hélène Arntzen au saxo et Floriane Bonnani au violon, elle incarne la prostituée avec un mimétisme étudié jusque dans les moindres détails : coiffure, maquillage, bijoux et un petit accent suisse mâtiné d’une légère gouaille. Tour à tour provocante, humaine, douce, crue, elle raconte les clients, les bossus, les petits, les brutes, ceux qui veulent parler, ce qui veulent se sentir aimés. Elle raconte aussi son enfance, sa mère , le divorce, la fuite, la prison, et comment elle est devenue, elle a choisi, de se prostituer. On ne fait pas l’amour, on soulage des hommes qui ont besoin de nous L’atmosphère est cosy, tamisée, et la mise en scène est savamment étudiée : les intermèdes des musiciennes viennent adoucir en temps venu le récit, les silences savamment dosés de Coraly Zahonero apportent respiration et laissent planer les mots en suspens dans la salle. Des mots qui sont crus parfois, tendres souvent, et le récit devient saisissant d’humanité et de ferveur, d’humilité et de charisme. Dans la dernière partie, Grisélidis s’adresse à son amant disparu et le texte devient d’une sensualité troublantemagnifiquement poétique. Que dire de plus ? On se régale devant la magnétique Coraly Zahonero, l’humour toujours savamment distillé, la dénonciation de la morale bourgeoise et hypocrite qui combat la prostitution et l’utilise en même temps. Une femme singulière, donc, hors normes, que la sociétaire du Français rend encore plus fascinante, humaine, troublante. Au Studio Théâtre, quatre propositions "solo"...ou presque Par Armelle Héliot le 2 mai 2016 17h24 | Réactions (0) Parmi les très bons moments à signaler, quatre monologues traités selon la personnalité des interprètes qui en sont complètement responsables. Denis Podalydès, avec une force intérieure retenue, quelque chose de déterminé et pourtant comme lézardé dans sa présence, a dit ce que j'appelle oubli de Laurent Mauvignier. Dans des lumières de Stéphanie Daniel, il reprend ce texte qui ne commence ni ne finit, file sur soixante pages sans que jamais la moindre pause ne soit ménagée. Urgence à dire. Le propos de Laurent Mauvigner est un peu de l'ordre de la magie. La parole n'efface rien, la parole pourtant, parce qu'elle demeure ouverte, suspendue et ouverte, laisse comme une espérance de consolation. Un homme a bu une canette dans les rayons mêmes d'un supermarché. Il a été repéré. Quatre vigiles se sont jetés sur lui. Il en est mort. C'est un fait divers véritable de l'été 2009. Laurent Mauvignier a fait ce texte d'adresse au frère. Denis Podalydès, intelligence aigüe, ultra sensibilité communicative, dit ce texte. Première station. Rupture de ton. Elliot Jenicot propose Les Fous ne sont plus ce qu'ils étaient, d'après Raymond Devos. Hommage sincère et espiègle à la fois. Le Belge qui sait tout du music hall ne pouvait que rencontrer "sérieusement" Raymond Devos un jour. Son hommage est fraternel. Parfois l'on devine même des montées de pudeur, des frémissements. Il se demande s'il sera aussi bien que le très grand homme. Ce qui est joli dans le moment Jenicot, c'est cette modestie et ce courage qu'il faut pour y aller, en toute simplicité. Le mime, la pantomime sont des moyens qu'il maîtrise. Mais il y a toujours un infime excès en plus, sous le regard de Frédéric Faye. Une interprétation virtuose et sans aucun surlignage, dans des lumières de Philippe Lagrue. La rigueur de Beckett et son goût du romanesque, c'est ce qu'a choisi Christian Gonon. Il s'est appuyé sur un dramaturge, Pascal Antonini et c'est, pour ce spectacle, Julien Barbazin qui signe les lumières, très importantes dans ce travail. Très importantes et suscitées par les textes de Samuel Beckett. Le comédien a pu utiliser la musique originale composée en 1984 par Philip Glass,Compagny. Compagnie est un texte long, difficile. une voix peu à peu dissipe la ténèbre d'où elle vient. Peut y retourner. Au commencement le texte de Compagnie n'est pas pensé pour la scène. Samuel Beckett en a composé lui-même une version scénique. On se souvient de Pierre Dux (ancien Sociétaire et Aministrateur général de la Comédie-Française, et formidable comédien) interprétant, sous le regard intransigeant de Pierre Chabert, qui connaissait très bien les écrits du futur prix Nobel de littérature, cette partition complexe. Il y a quelque chose d'un "flamenco puro", ici. C'est du pur Beckett, un acteur pur qui nous parle avant de se taire...Et le travail sur la voix, les voix est ici aussi essentiel que tenu avec art. Photographie Vincent Pontet. Seule jeune femme dans ce quatuor, Coraly Zahonero a choisi les écrits d'une femme dont on entend beaucoup la voix au théâtre ces temps-ci. Mais il est toujours intéressant de découvrir une autre façon d'incarner Grisélidis Réal et ses mots. Coraly Zahonero a puisé dans les écrits et aussi dans les interviews données ici et là par cette femme de grand caractère, cette femme dérangeante. Elle a construit un spectacle assez sophistiqué, s'entourant de deux jeunes musiciennes très douées à la belle présence : Hélène Arntzen aux saxophoens et Floriane Bonanni au violon. Dans un décor de maison confortable et mystérieuse, la comédienne a cherché une vraie ressemblance physique avec Grisélidis Réal. Longs cheveux bruns encadrant le visage, regard fardé (maquillages et coiffures de Véronique Soulier-Nguyen), lumières de Philippe Lagrue. Une atmosphère qui convient aux passages crus comme aux moments les plus mélancoliques. Grâce aux enfants de Grisélidis Réal, l'interprète donne à entendre des textes que l'on ne connaît pas forcément et surtout l'on découvre, dans le foyer du Studio, des dessins saturés, colorés et un livre, exemplaire unique créé pour l'un de ses amoureux. On reverra ce spectacle les 17 et 18 mai au Théâtre Jean-Vilar de Suresnes et, un peu plus tard, du 8 au 30 juillet, à Avignon, au Petit Louvre, dans le cadre du festival off. Et normalement, ces "Singulis" sont destinés à être repris dans la programmation de la ComédieFrançaise la saison prochaine. « GRISELIDIS », CORALY ZAHONERO, PETIT LOUVRE Posted by lefilduoff on 18 juillet 2016 · LEBRUITDUOFF – 18 juillet 2016 Grisélidis – d’après Grisélidis Réal – De et avec Coraly Zahonero de la ComédieFrançaise au Théâtre du Petit Louvre à 18h15 du 8 au 30 juillet – Relâches les 14, 21 et 28 juillet 2016. « Grisélidis » est avant tout un hymne à la liberté. Née dans les années 30 à Lausanne, Grisélidis Réal devient, d’abord par nécessité puis par choix, prostituée et très rapidement militante, menant une lutte ouverte et acharnée afin de faire reconnaître les droits de ces femmes à vivre de ce métier. Farouchement attachée aux libertés individuelles et au droit à jouir de son propre corps, elle devient, dans les années 70, une des meneuses de la « Révolution des prostituées » durant laquelle ces femmes réclamèrent simplement la reconnaissance de leurs droits. Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, prête sa voix et son corps à Grisélidis et nous offre une parole de liberté et un cri de vérité souvent crue. Grisélidis nous parle d’elle mais aussi de ses clients qu’elle considère parfois presque comme des patients à qui elle apporterait son amour quasi humaniste ou son soutien contre seulement de l’argent. Elle nous parle aussi de la vie et de tous ses faux-semblants qu’elle exècre. Elle veut avant tout jouir de son corps, être seule maitresse de sa vie, mais devient très vite aussi la porte-parole de toutes les sans-voix, de toutes ces femmes reléguées de force dans l’ombre d’une société refusant de les voir et de les nommer. La comédienne est troublante de vérité, l’incarnation est réelle et son jeu est subtil. Tout n’est que nuances, comme si Coraly Zahonero avait voulu nous peindre la vie de Grisélidis et de ses combats comme elle-même pouvait peindre ses tableaux. Sur scène, un décor simple et peu de déplacements arrivent à porter le spectateur et à le faire entrer dans l’univers de cette femme particulière qui nous paraît de plus en plus proche au fil du spectacle. Les deux musiciennes, Hélène Arntzen au saxophone et Floriane Bonanni au violon, accompagnent la comédienne et rythment sa vie, ses colères, et ses certitudes dans une pièce tout à la fois intimiste et universelle qui ne laisse personne indifférent et qui nous porte à plus d’humanité. Pierre Salles Autour du spectacle : – Exposition des dessins de Grisélidis Réal : Maison Ripert – 28, rue Bonneterie – 84000 Avignon – Les intrépides : Mardi 19 juillet 11h30 à 13h : conservatoire d’Avignon, amphithéâtre Mozart extrait de 10 mn du spectacle, avec Coraly Zahonero ACCUEILVIDÉOS Accueil > Grisélidis d’après les écrits et les paroles de Grisélidis Réal Critiques / Théâtre Grisélidis d’après les écrits et les paroles de Grisélidis Réal par Dominique Darzacq Emmenée par Coraly Zahonero, la pute insoumise passe brillamment du trottoir à la scène Ecrivain, Peintre, Prostituée, ainsi que, selon ses vœux, l’indique son épitaphe, Grisélidis Réal repose depuis 2009 au cimetière des rois de Genève, le Panthéon suisse, aux côtés de Calvin. Une manière d’ultime et éternel pied nez aux conventions de celle qui affirmait « Dieu n’existe pas. Et s’il existe c’est un con. C’est une honte d’avoir fabriqué une planète pareille », et qui hissa la prostitution au rang des sciences humaines, batailla toute sa vie contre le carcan de la morale, celle « qui culpabilise à mort », qui « massacra son enfance » et qu’elle décida de fuir à trente ans en emmenant avec elle deux de ses enfants et son amant noir, rejoignant « le grand troupeau des nomades en transhumance » Munich sera la première marche d’une descente aux enfers que Grisélidis Réal sut transformer en flamboyante réussite, la première étape d’un parcours hors normes qui la fera singulière et plurielle. Confrontée à la misère, la mère se prostitue. Jetée en prison pour avoir vendu du haschich, la diplômée de l’Ecole d’art de Genève reprend ses pinceaux, peint et écrit. Dès lors, artiste et catin, elle peint et écrit pour ne pas mourir et se prostitue pour vivre. Pute révolutionnaire, elle fait le job en militante, revendique le rôle social de la prostitution, « Nous gagnerons l’espace qui nous revient, à nous qui sommes le baume sur la blessure, l’eau dans le désert ». La cause de ses « copines », comme elle aimait à désigner les prostituées, sera son combat. S’élevant contre les maffias ignobles qui exploitent les filles, elle prônait une prostitution libre et indépendante, ira jusqu’aux Nations-Unies défendre une activité qu’elle considérait comme « un art, une science, un humanisme ». Tel du reste qu’elle le pratiquait et ne cessant de combattre l’hypocrisie d’une société qui condamne la prostitution et va aux putes éjaculer en catimini. « Je préfère crever en pute vieillie, infirme et alcoolique, droguée et cancéreuse même s’il le faut, plutôt que de m’envelopper dans le linceul blanchi de leur hypocrisie ». Ne cessant de peindre et d’écrire, d’une vie durement gagnée sur le chantier du lit, Grisélidis Réal a fait une œuvre singulière où s’enchevêtrent ses folies intimes et la folie des hommes. Le pinceau, aveu des fantasmes de l’artiste est baroque, onirique, hanté de reptiles et d’étoiles. La plume à la verve gouailleuse qui appelle un chat un chat, parle du sexe crument et de l’amour, le vrai, avec lyrisme, est celle d’une femme debout, et à sa manière d’une reine. C’est à cette femme-là, à partir de ses nombreux écrits et en osmose avec son combat pour la liberté que Coraly Zahonero nous donne à voir et entendre en un spectacle ciselé à fleur d’âme, tout à la fois drôle et bouleversant. Accompagnée de deux musiciennes : Hélène Arntzen (saxophones) et Floriane Bonanni (Violon), du trottoir « équateur invisible qui traverse la terre et écorche les pieds et l’âme », au boudoir où l’hétaïre analyse avec bienveillance le comportement de ses clients, Coraly Zahonero incarne au plus près une Grisélidis un rien gitane, lucide et passionnée et sans autre effet que la finesse et la vérité du jeu, nous fait bien percevoir ce qui sous la gouaille, gît de douleur et de poésie. Du grand art. Allez-y voir. Au Studio de la Comédie-Française où il est actuellement à l’affiche le spectacle est accompagné d’une exposition des œuvres picturales de Grisélidis. Grisélidis d’après les textes de Grisélidis Réal, conception et interprétation Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française. Avec Hélène Arntzen (saxophones), Floraine Bonanni (Violon) durée 1h10 - Photos © Vincent Pontet -collection Comédie-Française. Studio de la Comédie- Française 20h30 jusqu’au 8 mai Théâtre Jean- Vilar de Suresnes les 17 et 18 mai Théâtre du Petit Louvre Festival Off Avignon du 8 au 30 juillet Festival d’Avignon : notre sélection pour le Off (5) Par L'Art-vues Juil 21, 2016 Grisélidis, de et avec Coraly Zahonero, le Petit Louvre à 18h15 jusqu’au 30 juillet. « Moi je ne supporte pas l’injustice et l’hypocrisie, il faut mettre sur la table la vérité, il faut la regarder en face, et il faut l’accepter, il faut la soutenir, il faut la démystifier. C’est possible, au lieu de la haine, du mépris, de l’incompréhension… » Ce sont les mots de Grisélidis Réal, écrivain, peintre et péripatéticienne qui mena dans les années 70 la « Révolution des prostituées » à Paris pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. Contestant l’argument de la contrainte imposée par un souteneur, Grisélidis a toujours déclaré que la prostitution peut aussi être un choix et une libre décision, « un art, une science et un humanisme » ajoutait-elle. C’est autour de cette affirmation que la comédienne de la Comédie Française Coraly Zahonero construit le personnage hors norme de Grisélidis dans la pièce éponyme, à partir d’écrits et d’entretiens. Elle en délivre les mots dans leur nudité touchante, leur simplicité, avec une affirmation de soi qui vaut liberté. Derrière le récit anecdotique du parcours d’une vie, il y a l’évidence d’un amour du genre humain qui ne se paie pas de simples mots. Un beau moment de vérité. Luis Armengol L'Oeil d'Olivier Coraly Zahonero vs Grisélidis : Fusion passionnelle Olivier Fregaville-Gratian d'Amore 15 juin 2016 Rencontres, Théâtre Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie Française, signe une pièce intense et engagée autour de Grisélidis Réal © Vincent Pontet L’une est sociétaire de la Comédie-Française. L’autre écrivaine, peintre, « pute ». L’une n’a pas assez d’une vie pour exprimer tout ce qu’elle a en elle. L’autre en a vécu mille. Les deux sont brunes. Les deux sont des femmes lumineuses, flamboyantes, des féministes, des humanistes. La rencontre entre ces deux êtres intenses ne pouvait être que passionnelle. Dans sa loge, au-dessus de la salle Richelieu, Coraly Zahonero se confie sur ce rendez-vous virtuel avec une femme d’exception à l’histoire fascinante qui a donné naissance au Singulis Grisélidis qui sera joué cet été au festival d’Avignon. Comment êtes-vous devenue comédienne ? Coraly Zahonero : Je suis arrivée au théâtre par instinct. Née en province, Je n’allais pas au spectacle quand j’étais petite. Enfant, je cherchais un moyen d’expression. J’ai à peu près tout essayé : la peinture, la musique, le sport. Puis, un jour, j’ai vu à la télévision Francis Huster parler de théâtre. Sa façon de parler de sa passion, de son métier, m’ont touchée. J’avais 15 ans, j’étais un peu amoureuse du comédien, j’ai alors voulu essayer ce dont il parlait si bien. Mes parents m’ont offert un stage au cours Florent et j’ai eu une révélation. Je me suis sentie tellement bien sur le plateau, que j’ai eu envie de continuer. À ma demande, mes parents, qui ne sont pas du tout du sérail, m’ont inscrite au conservatoire de Montpellier et m’ont abonnée au théâtre des 13 vents. Très vite, j’ai eu mes premiers chocs : La veillée de Jérôme Deschamps avec qui j’ai travaillé depuis, et Lucrèce Borgia montée par Antoine Vitez. Ces deux spectacles ont été fondateurs pour moi. Ils ont marqué mon esprit d’adolescente. Après, tout est allé très vite. Guy Vassal, mon professeur au conservatoire, décide de produire Roméo et Juliette pour les festivals qu’il dirige dans le Sud. Il suggère au metteur en scène, Jean Négroni de m’auditionner pour être Juliette. Ce dernier m’engage immédiatement. J’ai alors 16 ans et demi. Avec l’assentiment de mes parents, j’ai tout quitté (lycée et famille) et suis « montée » à Paris pour les répétitions. Le jour où mes copains passaient le bac de français, je jouais la première de Roméo et Juliette au théâtre de Montpellier. Après cette experience, il m’était impossible de revenir à une vie normale d’adolescente et de faire ma terminale. Du coup, dès la rentrée suivante, je suis partie m’installer à Paris, où tout s’est enchainé très vite. Je n’avais pas encore 18 ans quand j’ai passé le concours du conservatoire national dirigé alors par Jean-Pierre Miquel. J’y ai été reçue à l’unanimité. Une fois administrateur du Français, Jean-Pierre Miquel m’y a engagée en 1994. J’ai alors 25 ans. Cela fait à présent 22 ans que je suis à la Comédie-Française. Coraly Zahonero incarne avec passion Grisélidis Réal © Jean-Erick Pasquier D’interprète, vous êtes devenue metteuse en scène; comment s’est opérée cette transformation ? Coraly Zahonero : Avec le temps, mon désir de théâtre s’est transformé. Aujourd’hui me confronter à la parole d’un poète, d’un auteur est presque plus important que l’acte de jouer. Quand j’ai débuté à 15-17 ans, j’étais mue par un besoin d’expression très fort. J’avais l’impression d’être si multiple qu’une seule vie ne pouvait me suffire pour dire tout ce qu’il y avait en moi. Le théâtre a canalisé cela. Aujourd’hui, ma vie de femme est construite, j’ai passé plus de 20 ans dans cette troupe magnifique, à travailler énormément, à faire des rencontres artistiques essentielles. Maintenant, j’ai besoin de questionner le monde dans lequel nous vivons. Mon engagement est devenu plus profond, plus politique aussi. La mise en scène, ou plutôt la conception de projets personnels se sont imposées naturellement. Je pense que ce qui m’est vital aujourd’hui, c’est de créer, bien plus que de jouer. J’en ai besoin pour me sentir vivante. J’ai véritablement commencé la mise en scène en 2011 avec Viento del pueblo, un spectacle musical que j’ai co-signé avec mon mari Vicente Pradal, qui est musicien. C’est la première fois que j’ai participé activement à l’adaptation et à l’écriture d’un texte. C’est un nouvel acte fondateur qui m’a permis d’appréhender autrement mon métier. Auparavant, en 2006, je m’étais essayée à la mise en scène dans un monologue, L’inattendu de Fabrice Melquiot, au studio-théâtre, c’est là que j’ai constitué ma tribu pour la première fois : Véronique Soulier N’guyen au maquillage et Virginie Merlin pour les costumes et la scénographie. J’avais alors demandé à Thierry Hancisse de me diriger. Comment, dans votre carrière, la rencontre avec Grisélidis Réal s’est-elle produite ? Portrait de Grisélidis Réal © DR Coraly Zahonero : Elle est arrivée totalement par hasard. C’est un coup de foudre absolu que j’ai eu avec cette femme. En me baladant un soir sur Facebook, je vois une petite vignette d’une vidéo postée par une connaissance. L’image m’intrigue, on y voit une vieille dame avec une toque en fausse fourrure panthère sur la tête. Son nom est magique, singulièrement beau : Grisélidis Réal… Mais qui est-elle ? J’ai cliqué et j’ai découvert un entretien de 45 minutes réalisé par Pascal Rebetez en 2002. De la première à la dernière image, je n’ai pas décroché. J’ai été totalement absorbée par le personnage, sa vie, ses convictions. Cette découverte inouïe, virtuelle, imprévue, m’a totalement bouleversée. À la fin de ce visionnage j’ai voulu en savoir plus sur elle, découvrant qu’elle était morte depuis quelques années déjà. Puis j’ai fait connaissance avec ses écrits. J’ai lu tout d’abord Le noir est une couleur, son unique roman, autobiographique. Ce livre est d’une force impressionnante. Page après page, son incroyable destin se dévoile. Son parcours est d’une grande originalité. Elle s’est terriblement mise en danger. Pour vivre, pour se créer et s’inventer, il lui fallait renaître tel un Phénix. Elle l’exprime ainsi dans ses écrits, « l’autodestruction muée en subtile et flamboyante victoire » En France, peu de gens la connaissent, il m’a donc semblé impératif de la porter sur scène. C’est une pute qui défend le droit des putes et le faisant, elle démasque les hypocrisies et les injustices de notre société. J’ai pu, grâce au théâtre, permettre à un plus large public de découvrir ce que cette femme unique a à nous dire. Partager son humanisme. Par touche, Coraly Zahonero dresse le portrait d’une pute féministe et humaniste © Jean-Eryck Pasquier Comment avez-vous adapté ses nombreux écrits, ses nombreuses prises de parole, en une pièce de théâtre ? Coraly Zahonero : J’ai fonctionné beaucoup par intuition. Durant une année, j’ai tout lu, tout écouté, tout vu, et compulsé dans mon ordinateur ce qui faisait écho en moi. Le travail a été titanesque, tant la matière était riche. J’ai été aidée par ma mère, ancienne sténodactylo, qui a gentiment retranscrit tous les entretiens de Grisélidis Réal. Pendant tout un été j’ai travaillé à construire une sorte de puzzle à partir de cette matière, organisant en monologue la parole de cette femme incroyable. Je crois que j’ai fait plus d’une quinzaine de versions différentes avant de trouver le ton juste, la bonne formule. Cela a été très artisanal. Je ne voulais surtout pas une pièce chronologique qui l’aurait enfermée dans une logique narrative. La seule chose qui était pour moi une certitude, une évidence, c’était le début et la fin du spectacle : Commencer par deux textes issus du Noir est une couleur – qui ont marqué sa renaissance au monde et construit son personnage – : la fuite et la première passe (qui en fait n’était pas vraiment la première…) et finir avec de la poésie, donc avec des textes véritablement travaillés, qui rendent compte de l’écrivain qu’elle était. Elle est née en 1929, son destin n’aurait peut-être pas été le même à une autre époque. Elle n’a jamais réussi à vivre de sa peinture ou de ses écrits. Seule la prostitution lui a permis de s’assumer et d’être libre. Malgré des épreuves terribles, elle ne s’est jamais positionnée en victime et a toujours gardé la tête haute. C’est cela que je trouve beau et puissant. Que retenez-vous de cette rencontre, de ce coup de foudre ? Grisélidis Réal revit sous les trait de Coraly Zahonero © Vicente Pradal Coraly Zahonero : Tellement de choses. Avec la parole de Grisélidis Réal, on peut construire mille spectacles. Le mien est celui de la rencontre entre elle et moi. Dans cette lettre magnifique, écrite à un ami qui l’a trahie, elle dit tout haut ce que personne ne veut entendre : à savoir que la plupart de ses clients sont des médecins, des politiques, des journalistes, des avocats, des commerçants…Elle le dit génialement avec une sincérité terrible, sans juger personne. La scène avec un client nain et bossu est un paroxysme absolu de l’humanisme contenu dans sa pratique de la prostitution. C’est extrêmement touchant et dérangeant quand elle raconte qu’elle caresse sa bosse malgré son épouvante parce-que « ça aurait très bien pu lui arriver à elle… ». Elle a une réelle empathie, une vraie compassion pour l’autre. C’est juste magnifique. Je crois que c’est en cela que réside sa force, c’est en cela aussi qu’elle est une artiste. Grisélidis a su transformer la prostitution en art, en science et en humanisme. Massacrée par l’éducation protestante qu’elle a reçue, elle a été frigide jusqu’à l’âge de 27 ans, un peu schizophrène aussi… elle a dû passer par l’autodestruction pour naître à elle-même et la prostitution fut son arme, celle qui lui a aussi permis d’aller à la rencontre des hommes. Du moins dans la première partie de sa vie. Avec sa fuite à Munich elle a provoqué le destin dans un acte de révolte insensé. Je crois, quand on analyse son parcours, que tout cela n’est pas arrivé par hasard. Elle-même l’a compris d’ailleurs, plus tard. Si une femme se retrouve dans une telle situation, à un moment de sa vie, c’est de l’ordre de l’histoire personnelle et intime. On n’a pas à la juger ni à la condamner… Afin de s’approcher au plus près du personnage de Grisélidis et de la comprendre, Coraly Zahonero est allée à la rencontre de prostituées d’aujourd’hui© Jean-Eryck Pasquier Après avoir côtoyé cette figure du féminisme, quel est votre regard sur la prostitution ? Coraly Zahonero : Dans le cadre de ce travail, je suis allée à la rencontre de prostituées d’aujourd’hui. J’ai recueilli leur témoignage. Toutes ont des destins différents. Toutes celles que j’ai rencontrées pratiquent la prostitution librement et ont en commun une grande gentillesse et souvent une grande tendresse pour leurs clients. Leur connaissance de la sexualité des hommes est impressionnante. C’est comme si elles avaient accès à des mystères, à des complexités que la plupart des femmes ne connaîtront jamais. Elles sont des techniciennes de la sexualité, dotées parfois d’une grande psychologie. J’ai mesuré à quel point c’était un métier. Pas comme un autre, évidemment, mais hautement respectable. La prostitution forcée est un autre sujet, car elle est assimilable à la traite d’êtres humains. Elle sert de paravent, de repoussoir, afin de permettre de ne pas considérer « les régulières ». Parler des femmes violées, victimes de réseaux mafieux (c’est aussi une réalité, terrible !), permet de ne pas parler de la prostitution en tant que transaction entre deux personnes adultes et consentantes. Cet amalgame effrayant et dangereux n’aide en rien à lutter contre les proxénètes et à sauver ces pauvres filles, mais réussit par contre très bien à précariser et à stigmatiser toujours davantage les travailleurs (ses) du sexe. Grisélidis Réal se raconte et crée sa légende dans le roman autobiographique Le Noir est une couleur Tant qu’il y aura de la misère, économique et sexuelle, vouloir éradiquer la prostitution, est hypocrite et irréaliste. Un monde sans prostitution, c’est un monde utopique, un monde de « bisounours ». Une fois cela posé, je trouve que la seule façon d’appréhender la chose, c’est de donner une dignité aux femmes (et aux hommes) qui la pratiquent librement, et des droits. Il faut aussi donner des moyens à ceux qui luttent contre les réseaux. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Quand la société assumera qu’elle a la prostitution qui lui ressemble, cela sera peut-être un sujet moins difficile à traiter. En leur donnant des droits, on les rend plus fortes et on les aide à pouvoir choisir leurs clients. C’est en tout cas le message des prostituées que j’ai rencontrées. La sexualité peut être difficile et douloureuse. C’est une des conséquences des tabous hérités de la judéochrétienté. L’impact des religions est immense. Elles ont fait du corps de la femme un objet souvent haï parce-que convoité. Ce n’est pas pour rien que le corps des femmes est souvent caché dans les pays religieux. Le combat, la révolte des prostituées qui crient haut et fort que leur corps leur appartient et qu’elles en font ce qu’elles veulent, est important. Car, à mon sens, seule la femme concernée peut dire si elle est humiliée par un rapport sexuel. Beaucoup de femmes peuvent l’être sans faire la pute et beaucoup de putes ne le sont pas alors qu’elles se font payer. Je trouve cela fort, extrêmement féministe comme discours. C’est révolutionnaire. Poétesse, peintre, écrivaine, Grisélidis a vécu intensément de multiples vies © Jean-Eryck Pasquier Que pensez-vous de la loi qui vient d’être adoptée et qui met le client à l’amende ? Coraly Zahonero : Elle est complètement hypocrite, c’est une catastrophe pour les travailleurs (ses) du sexe. Elle va entraîner leur précarisation. J’ai bien peur qu’à terme, cela crée une nouvelle fois, deux niveaux de prostitution : celle pour les riches, qui sera toujours cachée et qui fonctionnera avec les réseaux – l’affaire DSK résonne encore- et celle pour les pauvres qui vont refuser d’aller sur les lieux classiques de prostitution, craignant l’amende, et qui vont exiger d’aller chez la prostituée (ou ailleurs). Dans les rencontres que j’ai faites, une des femmes me disait que ça lui avait déjà été demandé mais qu’elle refusait encore, pour l’instant. Toutefois, devant la baisse de la clientèle, elle n’aura bientôt plus le choix. Alors oui, je trouve que les féministes et les politiques qui défendent l’abolitionnisme ont une vision idéologique et donc dangereuse. C’est en cela que je me retrouve dans le texte de Grisélidis Réal. Contrairement aux idées reçues et véhiculées, les hommes qui ont recours à la prostitution ne sont pas tous des pervers, des violeurs, des salopards. Ce sont le plus souvent des types à la sexualité frustrée, douloureuse ou compliquée. De nombreuses féministes, très brillantes, très intelligentes trouvent insupportable qu’un homme paye une femme pour faire du sexe avec elle. J’ai du mal à en voir la gravité, à partir du moment où la transaction se fait entre adultes consentants, je ne vois pas où est le problème. Résonne en moi ces heures de discussions avec ces prostituées, devenues des amies. Elles m’ont tellement raconté leur vie, leurs rapports aux clients. La parole de Grisélidis, que je n’ai pas connue, porte aussi celles de toutes ces femmes devenues des proches. Alors oui, je pense que la loi n’a pas à se mêler de cela, et à partir du moment où elles payent des impôts, elles doivent avoir les mêmes droits que tout le monde : la retraite, la protection médicale, etc… J’aime les femmes, profondément. Elles sont courageuses, elles sont fortes, pleine d’imagination. Grisélidis Réal est l’incarnation d’un féminisme qui me plait. En se battant pour conquérir sa propre liberté, et affirmer sa singularité, elle mène une lutte pour l’émancipation de toutes les femmes sans la détestation des hommes. Envisagez-vous de faire d’autres spectacles autour de Grisélidis ? avec délicatesse et fougue, Coraly Zahonero se glisse dans la peau Grisélidis Réal © Vincent Pontet Coraly Zahonero : Pour l’instant, je ne me pose pas la question. Je l’ai joué quatre fois en 2013, cinq fois en 2014. Le spectacle trouve enfin son chemin. Né comme une carte blanche, le spectacle continue grâce à l’accueil du public, particulièrement réceptif. Souvent, les gens sortent bouleversés. Puis, Olivier Meyer l’a programmé au TOP dans son festival » Seul (e) en scène » et il est devenu mon producteur et diffuseur avec le Théâtre Jean Vilar de Suresnes. J’ai donc pu continuer à porter le projet, à le transformer. Depuis 2014, je l’ai énormément retravaillé. Le texte ne cesse d’évoluer. J’ai rajouté des choses, j’en ai coupées d’autres. Par exemple, depuis le massacre perpétré à Charlie hebdo, on ne peut plus blasphémer de la même façon. C’est terrible ! J’ai donc voulu traiter cela aussi. La parole de Grisélidis Réal s’inscrit absolument dans la réalité du moment. C’est aussi pour cela que c’est très fort. La loi sur la pénalisation des clients tombe pile au moment où je joue le spectacle. Je me devais de le relever. Le spectacle est ainsi encore plus percutant. J’ai encore quelques pépites sous le coude et je me laisse absolument le droit de changer encore les textes. Ses enfants, qui sont ses ayant-droits me font totalement confiance. La rencontre incroyable qui nous unit, leur mère et moi, par delà sa disparition est étrange et mystérieuse, pour eux comme pour moi. Grâce à l’aide et au talent de ma maquilleuse, Véronique Soulier-N’guyen, j’ai pu réincarner Grisélidis Réal. Elle est devenue un personnage de théâtre. Une reine Egyptienne ! Elle est La Pute, une hétaïre majestueuse… Grisélidis d’après la parole et les écrits de Grisélidis Réal sera présenté au festival OFF d’Avignon Le Petit Louvre – Les Templiers 23 Rue Saint-Agricol 84000 Avignon Du 8 au 30 juillet – relâche les 14, 21, 28 à 18h15 Durée 1h10 Arkult Focus, Théâtre — 13 juillet 2016 13 h 10 min Avignon OFF 2016 : « Grisélidis », confessions d’une prostituée humaniste Marianne Guernet-Mouton Photo : Jean-Erick Pasquier Seule en scène, Coraly Zahonero – de la Comédie-Française – pour son premier Festival d’Avignon incarne l’écrivain-poète-prostituée militante Grisélidis Réal (1929-2005), après des mois passés à lire ses livres, correspondances, rencontrer et sa famille, et des prostituées pour élaborer son personnage pour une prestations saisissante. Dans un décor intimiste composé d’un lit, d’un paravent et d’une coiffeuse, Coraly Zahonero économise ses gestes mais pas ses mots, ponctués de temps à autres par la saxophoniste Hélène Arntzen et la violoniste Floriane Bonanni. Son discours semble donné à vif et retrace la vie de la femme, des moments passés avec ses clients à son activisme pour la « Révolution des prostituées », militante jusqu’aux Nations Unies. Si les mots sont parfois durs et peuvent sembler crus, c’est que Grisélidis s’est caractérisée par sa défense publique de la prostitution qu’elle considérait comme un acte d’humanisme. Par des récits de moments passés avec ses clients les plus étranges, l’actrice parvient à dresser une sorte de bestiaire du métier et à injecter de l’humour dans une prestation qui reste grave. Grave non pas pour la prostituée, mais pour le regard qu’elle jette sur le monde et sur la détresse des hommes dépêchés dans son lit pour qui le bonheur réside dans la chaleur d’une femme. Après tout, qu’est-ce qu’une putain ? Au-delà de l’image de déchéance que notre société colle à la prostitution, pour Grisélidis se prostituer était une manière de venir en aide aux hommes, de comprendre la souffrance de l’autre et de faire preuve d’humanisme. Partant de son enfance massacrée par une mère moralisatrice à outrance, la comédienne tient un discours piquant sur la politique et la religion qui fait du public une assemblée d’iconoclastes prêts à entendre que « Dieu est un con », et que l’hypocrisie du créateur doublée de la morale judéochrétienne qui sous-tend notre monde si manichéen a assassiné la sexualité. Même si Grisélidis reconnaissait se sentir piétinée après des nuits passées avec ces hommes à qui elle volait parfois un orgasme, elle était là, socialiste convaincue pour les expulsés de l’humanité. Tout de noir vêtue, marquée par des lumières rouges chaleureuses, Coraly Zahonero touche par sa sincérité et rend un hommage vibrant à l’auteure de « Le Noir est une couleur », pour qui le sexe ne menait pas à la petite mort, mais au contraire, à la grande vie. Grisélidis, d’après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française et Hélène Arntzen (saxophones), Floriane Bonanni (violon). Festival d’Avignon, Théâtre du Petit Louvre, 13, rue Saint Agricole, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, relâches les 14, 21 et 28, 18h15, durée 1h15. coups de coeur du In et du Off Grisélidis : prostituée pour l’humanité « Je suis passée de l’autre côté, celui d’où on ne revient plus. » Ainsi s’exprime Grisélidis Réal, femme libre, écrivain, peintre et courtisane suisse, qui fit de sa vie de prostituée un combat de vie, d’indépendance et de liberté. Dans son unique roman autobiographique « Noir est une couleur », mais aussi dans ses nombreuse lettres et poèmes, elle fera de la prostitution un art de vivre, une science humaine, accusant la société d’hypocrisie et de mensonges vis à vis d’une pratique salutaire mais condamnée par la morale judéo-chrétienne. « Ma mère m’a assassinée, a brisé ma sexualité » clame-t-elle. De cette enfance massacrée dont elle prendra royalement sa revanche en marge de la la loi, s’enfuyant avec un GI noir américain rencontré dans un bordel, elle prendra le contre-pied en sauvant sa propre vie et celle des hommes, cohorte infinie de pauvres et de riches, frustrés ou impuissants, qui passera dans son lit. S’emparant de ces écrits brûlants, provocants, fulgurants de beauté, Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie Française, en fait un spectacle haletant, entourée de deux merveilleuses musiciennes, au violon et au saxophone, qui ponctuent son propos. Sorcière généreuse, Gitane au grand coeur, infirmière des âmes, Coraly est une Grisélidis magnifique et gouailleuse, tendre et sulfureuse, dans sa robe de satin noir et son regard félin. Sa voix rauque et son petit accent helvétique nous ont ensorcelés. Hélène Kuttner De la cour au jardin Des critiques, des coups de coeur, des coups de gueule ! Des âneries, aussi... Beaucoup ! Grisélidis Publié le 6 mai 2016 par Yves POEY Honte à moi ! Je le confesse, non seulement je n'avais jamais rien lu de Grisélidis Réal, mais j'ignorais totalement tout de cette écrivaine, peintre, anarchiste et prostituée genevoise (1929-2005). C'est donc dans cette parfaite ignorance que je me retrouvai au Studio-Théâtre de la Comédie française pour assister à ce quatrième monologue de la série « Singulis ». Cette fois-ci, c'est Coraly Zahonero qui s'y colle. On est tout d'abord stupéfait par la transformation physique de la comédienne : non seulement, elle présente une troublante ressemblance avec le personnage, mais elle a choisi de raconter ces textes avec l'accent vaudois, ce qui fonctionne parfaitement. Pendant une heure, elle va dire les textes de cette femme si lucide sur son « métier » de prostituée. Dès son entrée en scène, je devrais plutôt dire dès son entrée dans le public et sur le proscénium, Melle Zahonero donne le ton : « Si vous avez le courage de m'écouter, vous prenez des risques ». Ces risques, ces textes, c'est en quelque sorte une sociologie de la prostitution : rien ne nous est épargné, rien n'est caché, tout est dévoilé. Derrière les propos crus, derrière la réalité parfois sordide, c'est bien entendu le rapport à l'Autre qui transparaît : ce métier qu'on dit le plus vieux du monde est pour l'auteure un « métier de service public », un métier qui aide les hommes, un métier indispensable et nécessaire, totalement assumé en tant que tel. Et dans ce registre-là, la comédienne excelle : tout à tour enjôleuse, caressante, sensuelle, mais également triste, perdue, tragique, émouvante, elle utilise une incroyable palette de jeu. C'est un véritable émerveillement que de la voir, que de l'écouter raconter, dire, expliquer... A tel que point que lorsqu'elle m'a fixé en racontant une des passes avec un micheton (j'étais à ma place favorite au troisième rang, en plein dans l'axe, à hauteur d'yeux) je me suis demandé si mes voisines n'allaient pas me regarder bizarrement en sortant de la salle. Curieuse et saisissante impression ! Et puis également le registre de l'humour. Car Coraly-Grisélidis nous fait énormément rire : les anecdotes concernant le client portugais aux "couilles énormes" (sic), ou le client à la fois nain et bossu sont des grands moments d'anthologie ! La salle rit de bon coeur. Sont évoqués également les rapports épouvantables de l'auteure avec sa mère, (ceci explique-t-il cela ?), et puis également la condition féminine, avec la peur qu'inspirent les femmes à certains hommes, notamment ceux qui ont recours à la prostitution. (Petite digression, je me suis rappelé les cours de Christian Ingrao, historien, universitaire français spécialiste de l'histoire du nazisme, qui démontre que le point commun de toutes les dictatures, de tous les fascismes, c'est justement la peur de femmes. Et je referme ma parenthèse.) Alors bien entendu, une question se pose : pourquoi avoir choisi Grisélédis Réal et son monde, Melle Zahonero ? Mes hypothèses : - Le caractère anarchiste et paradoxalement très féministe de ces textes ? - L'analogie tant de fois établie entre le métier de Mme Réal et le métier de comédienne ? - L'actualité politique récente, avec la loi de pénalisation des clients ? (A ce propos, la salle éclate de rire lorsque la comédienne, décrivant son métier, hurle « Mais il est où, le socialisme ? ») - Les trois à la fois ? Allez savoir.... Mention spéciale aux deux musiciennes qui accompagnent la comédienne, et notamment à Hélène Arntzen, excellente saxophoniste. (La symbolique de l'instrument est ici évidente. Suivez mon regard...) C'est donc une heure formidable qui nous est proposée. Une heure durant laquelle Coraly Zahonero nous raconte une histoire et surtout, un personnage. Une heure en tête à tête avec une personne incroyablement intense. Une heure de vrai théâtre. ------- Studio-Théâtre (Louvre) de la Comédie-Française Jusqu'au 8 mai - 20h30 Publié dans Critique Critique - Avignon Off Grisélidis La consolante Par Cécile STROUK Publié le 20 juillet 2016 Raconter la prostitution avec humour est en soi un tour de force. C’est tellement grave, tellement intime, tellement décrié qu’on ne s’attend pas à en rire. Et pourtant, le visage de Grisélidis Réal composé par Coraly Zahonero arrache des sourires. Des rires, même. Des rires francs et bienveillants face à l’honnêteté qu’elle emprunte pour nous parler. Cette Grisélidis avignonnaise parle moins d'elle-même que des files indiennes d'hommes rencontré sur ce matelas. Un nain bossu, un Portugais énervé, un Turc qui ne veut surtout pas qu'on le prenne pour un Arabe... Tous ces êtres que la frustration d'être ou de ne pas être accule à se tourner vers une pute. Tous ces interdits intériorisés qu'ils font exploser en cachette, honteux, dans une impression erronée de puissance. Qui les fait éructer. Quand ils éructent ! Car la jouissance n'est pas donnée à tous. Et encore moins à Grisélidis, qui ne l'éprouve qu'en compagnie de cet homme noir qu'elle aimera passionnément avant qu'il ne lui soit arraché. Finalement, c'est le seul moment où elle nous crie sa souffrance. Le reste est assumé comme un liberté absolue, qui a un prix certes - celle des maladies, des traces qui décolorent la matière du corps - mais qu'elle n'abandonne pour rien. En lutte contre l'hypocrisie bourgeoise. Avec ce grain de voix "gouaillard" et ce rythme permis par les impromptus musicaux live (violon et saxophone), elle nous prend dans son cercle. Non pas porté par le vice mais par la vertu d'une justesse sensorielle et intellectuelle. Un hymne à ce pouvoir si communément associé aux femmes : l'empathie. ThéâToile Du théâtre au cinéma mais toujours des étoiles plein les yeux Coraly Zahonero : « Je voulais faire entendre cette parole de vérité » Publié le 19 juillet 2016 par TheaToile Actuellement au Petit Louvre, tous les jours sauf le jeudi à 18h15 avec son seul-en-scène incroyable, Grisélidis, dans le cadre du Festival Off d’Avignon, Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, a pris le temps de venir nous parler plus en détail de cette figure de la prostitution et nous donner à entendre une parole sincère qui mérite de faire bouger les mentalités de ceux qui oseront partir à la découverte de ce sujet. © Stéphane Lavoué Quel est le parcours qui vous a amenée jusqu’au théâtre ? Je cherchais une expression, tout simplement. Quand j’étais petite, j’ai un peu tout fait : du dessin, de la peinture, du piano, de l’équitation, du tennis… Et puis j’ai tout abandonné. Un jour, j’ai entendu parler le théâtre. Ça m’a semblé mystérieux, très beau donc j’ai demandé à mes parents de m’emmener à Paris aux cours Florent pour faire un stage. Ils m’ont offert quinze jours de stage pour mon Noël et cela a été une révélation. Durant ce stage, on nous demandait de lire et de préparer du Marivaux, Shakespeare, Tchekhov… Ils étaient tous noté donc j’ai commencé à lire et je suis tombée sur des textes comme celui de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour. Ça m’a bouleversée. Le goût était pris et à partir de ce momentlà, je suis rentrée au conservatoire de Montpellier et puis j’ai continué. Comment s’est faite la rencontre avec Grisélidis Réal ? Par hasard ! Sur internet, je suis tombée sur un entretien et le nom m’a fait rêver, j’ai trouvé qu’il était très beau. C’était une vieille dame avec une toque en fourrure sur la tête, des yeux peints un peu à l’égyptienne et je me suis demandé « mais qu’est-ce que c’est que cette bonne femme ? ». L’entretien durait quarante-cinq minutes, je suis restée jusqu’à la fin. C’était tellement limpide, fort, précieux ce qu’elle disait. J’ai voulu en savoir beaucoup plus. Nous étions en 2011 et j’ai vu qu’elle était morte en 2005. Alors, j’ai commandé tous les livres qu’elle avait écrits. J’ai d’abord lu Le noir est une couleur puis La passe imaginaire et Les sphinx. J’ai regardé tous ses entretiens et très vite, j’ai eu l’intuition qu’il fallait porter cette parole sur une scène de théâtre. J’ai eu envie de faire un spectacle avec ça. J’ai donc travaillé plus d’un an sur le texte pour avoir un matériau comme un monologue, un texte véritablement théâtral avec tout ce qui avait fait écho en moi. Au départ, je pensais juste faire le spectacle et le mettre en scène mais on m’a convaincue que ce serait bien que ce soit moi qui le joue. A ce moment-là, j’ai fait un chemin vers elle pour essayer de créer son personnage puisqu’elle n’était plus là. Je souhaitais vraiment que ce soit elle qui revienne. Elle est morte, certes, mais mon intention était qu’elle revienne théâtralement, poétiquement, pour parler ! Elle a un style littéraire, un parler incroyable. Dans tous ses entretiens, elle est d’une clarté où tout est au scalpel. Elle a un rapport aux mots extrêmement précis. Je trouvais qu’il y avait le fond – ce qu’elle racontait – et qu’il y avait la forme. Chez elle, tout est extrêmement lié. En tant qu’actrice, je me suis dis que pour que l’on m’écoute, autant trouver son essence, c’est-à-dire ce qui fait que d’un coup, c’est elle ! C’est un vrai travail d’alchimiste et de composition mais qui est venu de manière organique, naturelle, en l’écoutant beaucoup où je me suis aperçue qu’elle articulait tout, il n’y a pas un mot, jamais, qui lui échappe. On est loin de la prostituée soumise et esclave et plus proche de la putain absolue, qui dégage quelque chose de sacré. C’était important de l’incarner avec dignité, beauté. Pour m’écouter durant une heure dix, il faut fasciner et donc il faut trouver ce qu’elle avait de fascinant. J’ai rencontré tous ses amis et ses enfants. Je suis allée à Genève, à Sion [en Suisse ndlr] chez son fils aîné qui m’a montré des pages dans son ordinateur. C’était un chemin très intime vers elle et cela a été magnifique avec beaucoup d’amitiés. J’ai aussi, par la même occasion, découvert ce métier à travers des prostituées merveilleuses qui m’ont beaucoup touchée et bouleversée. Au départ, ce n’était pas du tout mon envie de parler de la prostitution. Je voulais juste faire entendre cette parole de vérité. Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous avez fait ce chemin vers elle ? Grisélidis m’a rendue plus forte. Quand elle dit « la vérité, il faut la regarder en face, il faut la mettre sur la table, il faut la soutenir, il faut la démystifier », cette chose-là qui n’est pas facile dans la vie, pour moi, cela tombait à pile et m’a permis de dépasser certaines choses. Elle a une force et un caractère de vie inouïs. S’emparer d’elle c’est d’une telle résistance, d’un tel humanisme. C’est quelqu’un qui fait du bien. En me traversant, elle me fait du bien. Ce qui a changé en moi également, c’est mon regard sur la prostitution. C’est vraiment elle – et les femmes que j’ai rencontré grâce à elle – qui m’ont fait avoir l’avis que j’ai aujourd’hui sur le sujet. Du coup, par loyauté pour Grisélidis qui n’est plus là, aujourd’hui, je lui rends hommage en faisant un peu mien ce combat qui était tellement celui de sa vie. Même si je ne suis pas prostituée, j’ai beaucoup de respect pour ces femmes et je trouve que la loi leur fait beaucoup de mal et ce n’est pas juste. D’un point de vue légal et sociétal, il y a un chemin énorme à parcourir pour donner à ces femmes la dignité à laquelle elles ont le droit. Elles font quelque chose d’extrêmement nécessaire. Celles qui ont le courage et la nécessité de le faire le font avec intelligence et sensibilité donc je trouve qu’il faut les protéger ces femmes-là et les soutenir plutôt que de les traiter comme on le fait. On luttera beaucoup plus efficacement contre les réseaux et le proxénétisme si on protège les femmes qui le font librement. De mon côté, je porte aussi cette parole en espérant que cela puisse faire un peu bouger les esprits, les gens, le public car ça amène beaucoup d’informations. Dès que je le peux, j’essaye de dire ce que je sais sur le sujet et je commence à en savoir beaucoup. Il faut élargir les cœurs et les esprits Quelle est votre journée type durant le Festival d’Avignon ? Avant de jouer je ne fais rien. Je reste dans mon appartement, je me repose, je fais toujours une italienne, c’est-à-dire que je revois toujours mon texte, pour moi, tranquillement, presque en dormant. Si je me suis levée tôt je vais faire une petite sieste et je mange des pâtes [rires]. Tout doucement, je pars au théâtre pour y être vers 15h30. A partir de là, je me prépare. Après, quand il y a des amis, nous allons dîner ensemble. Pour le moment, je n’ai été voir que deux spectacles : Les Damnés, à la première, parce que ce sont mes camarades [les membres de la troupe de la Comédie-Française dont Coraly Zahonero fait partie ndlr] et Catherine Salviat à 21h30. J’y vais doucement parce que je suis encore bien fatiguée mais j’irai voir des spectacles plutôt à la fin du festival comme Ariane Ascaride qui joue dans Touchée par les fées juste avant moi [au Petit Louvre ndlr] mais j’irai de préférence un jeudi qui est mon jour de relâche. Quelle est votre vision du théâtre et quel rôle joue-t-il dans notre société actuelle ? Pour moi, le théâtre, c’est un miroir du monde donné aux spectateurs. Parce que c’est un spectacle vivant, c’est comme si nous nous regardions nous-mêmes. Cela peut vraiment modifier la pensée de la personne, se regarder et donc peut-être se changer. Pour moi, c’est vraiment un regard sur le monde et sur l’humain. Quels sont vos projets après Avignon ? A la rentrée, je pars en tournée avec Les rustres de Goldoni, mis en scène par Jean-Louis Benoît, que j’ai joué au Vieux-Colombier la saison dernière, de septembre à décembre inclus. J’ai un autre projet en gestation donc je préfère ne pas trop en parler pour le moment. Nous avons très envie de faire une grosse tournée avec Grisélidis et de l’emmener le plus loin possible. Nous ne l’avons joué que dix fois au Studio-Théâtre cette année dans les Singulis et au Théâtre Suresnes Jean Vilar [qui produit la tournée ndlr] et nous espérons le reprendre à Paris, en fixe, dans un théâtre où j’ai le droit de jouer en tant que sociétaire de la ComédieFrançaise mais pour le moment nous n’avons pas de dates. Théâtre ● Avignon Off 2016 ● Annihiler la souffrance et faire jaillir l'altruisme, le temps d'un petit bonheur "Grisélidis", Comédie-Française Studio, Paris >> Festival Off d'Avignon Du fond de la salle à l'avant-scène, Grisélidis (jouée par Coraly Zahonero) parle d'elle, de sa vie et tient colloque. Prostituée, sociologue, anarchiste, écrivain. Les mots hésitent à la caractériser. © Vincent Pontet, collection Comédie-Française. Accompagné par la plainte du violon et les gémissements du saxo qui peuvent s'accorder et s'exacerber en une danse endiablée, le personnage est à la lisière des mondes, joue avec l'ombre (ses ombres) pour donner du relief à la lumière. Un rideau s'ouvre comme un paravent, elle s'installe à sa table de toilette ou son lit de parade et le lointain s'élargit à l'azur. D'apartés en apartés, Grisélidis conquiert la scène de sa vie et la scène du théâtre. Ce qui pourrait être monologue fermé devient témoignage et dialogue. L'intimité est partagée. Une immense solitude enfermée par tous les tabous devient ainsi concertante et déconcerte… Car Grisélidis dit les choses en tout réalisme. Un langage populaire glisse en une langue recherchée. Sans à-coups, ni effets littéraire de genre. Jamais complaisant, jamais argotique. Plutôt que de développer un pittoresque du malheur, le personnage lucide sur lui-même et la misère qui l'accompagne, tient un discours d'amour et de compréhension. Insistant sur le rôle social éminemment positif de la prostituée. © Vincent Pontet, collection Comédie-Française. Coraly Zahonero a de l'enfant le sens de la gravité et de l'émerveillement : le caractère mutin, la conscience et la présence. Tout se passe pour le spectateur comme si cette femme avait accumulé, concentré en elle, tous les désirs inaccomplis de ses aïeules et, dans une fulguration d'énergie, avait franchi la ligne comme un accomplissement des fantômes et inversé la courbe des destins. Fût-ce au prix de la pesanteur du quotidien. La comédienne installe dans l'instantané du théâtre le miroir de la jouissance du premier amant aimant aimé, rétablit l'émerveillement de cet instant qui annihile toutes les durées de souffrance. Et de sa misère qui accompagne toutes les misères fait jaillir l'altruisme, le temps d'un petit bonheur. Ce spectacle est une très belle illustration de ce que peut être l'effet théâtre. Et Grisélidis rejoint le paradigme de Marie Madeleine. "Grisélidis" © Vincent Pontet, collection Comédie-Française. D'après la parole et les écrits de Grisélidis Réal. Conception et interprétation : Coraly Zahonero, de la Comédie-Française. Avec : Hélène Arntzen, saxophones et Floriane Bonanni, violon. Collaboration artistique : Vicente Pradal. Scénographie et costumes : Virginie Merlin. Maquillages et coiffures : Véronique Soulier-N’Guyen. Lumières : Philippe Lagrue. Durée : 1 h 10. Spectacle pour adultes. Du 27 avril au 8 mai 2016. Du mercredi au dimanche à 20 h 30. Studio Théâtre, Comédie-Française, Paris 1er, 01 44 58 15 15. >> comedie-francaise.fr ● Avignon Off 2016 ● Du 8 au 30 juillet 2016. Théâtre du Petit Louvre, Chapelle des Templiers. Entrée rue Félix-Gras, au niveau du 29 rue Saint-Agricol. Tous les jours à 18 h 15, relâche le jeudi. Tél. : 04 32 76 02 79. >> theatre-petit-louvre.fr Jean Grapin RHINOCEROS.EU DU 08/07 AU 30/07/2016 AU THÉÂTRE DU PETIT LOUVRE | DURÉE : 1H10 | POUR Y ALLER Grisélidis est belle dans sa robe noire et parée de bijoux ; elle arpente comme une reine cette chambre désuète de prostituée des années 1940. Raffinée, la voix chantante et le regard doux, elle nous raconte crûment son quotidien, les caprices sexuels de ses clients, ses tourments de femme publique. Et c’est au final une grande claque d’humanité qu’elle nous donne, elle qui a une compassion infinie pour tous les hommes, qui s’est tant battue contre la société bienpensante et pour la dignité des prostituées, prônant une sexualité féminine épanouie, plaçant l’amour comme religion et l’hypocrisie comme ennemie personnelle. C’est Coralie Zahonero, de la Comédie Fançaise, qui a adapté les écrits et interviews de cette femme hors du commun et qui l’interprète, accompagnée de deux musiciennes. Sa douceur et sa séduction, ainsi que sa diction parfaite, nous ont donné pendant une heure le sentiment de réellement rencontrer Grisélidis… Un immense merci à elle pour avoir porté cette magnifique parole féminine, encore aujourd’hui. Crédit photo : Vincent Pontet CLÉMENCE GROS Chaque semaine, la tribune des hommes et des femmes qui résistent, la voix de celles et de ceux qui proposent de changer la société. La vie sexuelle et amoureuse, littéraire et picturale de Grisélidis R. THÉÂTRE• Grisélidis Réal ou l’écriture au ventre. Entre célébration du corps noir, vertige des sens, désespérance et corps brisé, voici l’odyssée d’une courtisane au grand cœur qui pensait son métier de prostituée en termes de mission humaniste. Dans « Grisélidis » signé Coraly Zahonero, la péripatéticienne, peintre dessinatrice et écrivain est comme racontée par elle-même, sur un ton proche tour à tour de l’entretien et de la poésie à l’état sauvage. Publié le 24 juillet 2016 par Bertrand Tappolet dans la rubrique Culture "Grisélidis" de et par Coraly Zahonero. Photo de Jean-Erick Pasquier Celle qui à la fin de sa vie se gaussait de tout, y compris de la mort est dotée d’une prose « qui se permet des fulgurances magnifiques, bouleversantes, musicales. Gonflées de lyrisme, chargées d’émotion, ses phrases sont empreintes d’une magnificence baroque et de cette liberté révoltée des valses tziganes chères à l’auteure », pose la critique littéraire et nouvelliste, Anne Pitteloud. Elle ajoute : « Les écrits du moi sont bien le lieu privilégié d’une interrogation sur l’identité, où un ‘je’ mouvant se construit et s’invente dans le processus de l’écriture. » Ceci, en abordant, au sein du « texte même la question de l’écriture et de ses limites. » Grisélidis, la pièce conçue et incarnée par la comédienne Coraly Zahonero appartenant depuis seize ans à la troupe la plus prestigieuse qui soit, celle de la Comédie-Française, se scelle sur les paroles du poème Hallali, daté du 11 mai 2002 à l’Hôpital universitaire de Genève. Elles sont dites lentement par l’auteure, sur un ton appliqué et attentif détachant chaque syllabe : « Dans le ciel bleu argent / Inéluctable est l’heure, impassible l’instant / Qui fauche à la racine la fleur de notre vie, / Quand tourne et quand s’arrête la roue couleur du temps / J’abandonne mes ivresses passées / J’exile mes passions secrètes / Mains douces, mains de feu zébrant la chair obscure / Alcool noir. Alcool rouge, alcool vert / Sexe bleu, Cœur en fête. / Couchez-vous Voluptés / Comme des chiens à mes pied / Et léchez vos blessures / J’entends la nuit chanter / Bien au-delà des murs / L’aurore s’envoler / Sur son lit de velours ». En entretien autour de la petite table d’un restaurant jouxtant le Théâtre du Petit Louvre, Coraly Zahonero explique : « J’ai été bouleversée par son dernier recueil, ‘Les Sphinxs’, un livre où elle combat le cancer avec une dignité et une force incroyable. Avec la même force et dignité qui l’ont vue combattre pour les droits des prostituées. Elle y écrit : » A la fin, le silence et la poésie « . Il est ainsi beau que ce spectacle finisse aussi en poésie. D’où l’envie que les gens repartent en compagnie de la beauté absolue de cette âme après avoir entendu des choses très crues. » Et la comédienne d’évoquer « un personnage de légende éminemment théâtral ». Il l’a peut-être ramenée sur les rivages de certains rôles du répertoire qu’elle a interprété, dont Mafanwy Price qui faisait le chien dans La Mer d’Edward Bond et ses personnages en quête de vérité et d’idéaux. Une pièce d’avant le déluge et le début de la Grande Guerre, comique, tragique et férocement humaniste mise en scène par Alain Françon en 2016 à La Comédie-Française. Dans le programme de la Comédie-Française dont son actuel directeur Eric Ruf a souhaité l’ouverture sur des monologues au fil d’un programme intitulé « Singulis », Coraly Zahonero écrit : « Rencontrer les mots de Grisélidis Réal, prostituée révolutionnaire et anarchiste, fut un vrai choc, un bouleversement. Ce spectacle est né de ma volonté de restituer ce choc. J’ai eu très vite l’absolue certitude que ses mots devaient être dits, qu’ils étaient nécessaires. J’allais donc inventer son personnage de théâtre pour les mettre debout et les faire résonner sur une scène. Comme un puzzle, j’ai rassemblé tout ce qui, dans ses écrits et dans ses interviews, trouvait un écho en moi, jusqu’à ce que j’obtienne un texte homogène. Son style est unique, fait de gouaille rageuse et drôle, de poésie ciselée. Elle défie toutes les conventions, avec ses mots terribles de révolte et de beauté qui démasquent toutes les hypocrisies de notre siècle et tentent de changer le regard de la société sur ces femmes maudites, dites putains, dont elle fut l’égérie. Elle a lutté toute sa vie pour que les prostituées soient respectées, remerciées, que la société les reconnaisse, que les lois les protègent et cessent de les stigmatiser et de les punir. » Grisélidis Shéhérazade « J’ai voulu débuté avec son seul texte littéraire romanesque. Empreint d’une grande beauté, ‘Le Noir est une couleur’, se révèle si construit et travaillé. Il décrit la première passe qui n’est pas vraiment inaugurale. C’est par ce roman qu’elle s’est inventé son destin. Sa vie y bascule. Elle s’est révoltée. Voulant être libre, elle entreprend cette fuite insensée, folle avec ce Noir de quarante ans, schizophrène. C’est ce personnage théâtral qui sort de la Nuit, Grisélidis, la putain, l’hétaïre éternelle, qui revient parler. La poser ainsi en conteuse venant elle-même raconter ce qu’elle a décidé de fixer pour l’éternité. Il y fallait aussi sa révolte, sa dimension sociale fustigeant les politiques et leur hypocrisie face à l’activité prostitutionnelle », détaille la comédienne. Côté silhouette, Coraly Zahonero ne lésine pas, à l’image de son « modèle », sur le rimmel et le khôl qui dit la gitane autant que la tenue noire en velours marouflée de motifs en relief. « Moi je suis de race gitane. J’aime la nuit et son haleine invisible qui donne à l’univers son espace sans limite », entend-on dans Le Noir est une couleur. Royauté et pauvreté tzigane s’entremêlent lorsque Marina Salzmann aujourd’hui enseignante et nouvelliste consacrée par l’ancien Prix Schiller étudie il y a vingt ans « L’Univers vestimentaire dans La Passe imaginaire ». Elle écrit sur l’accessoire vestimentaire théâtralisé à la corporéité étrangère à toute fonction utilitariste en faisant du « tissu la métaphore du texte » et pointant « dans la trame discontinue de l’étoffe noire aussi bien une image de la fragmentation propre au genre épistolaire qu’une mise en abyme d’une esthétique qui marie le foisonnement stylistique et diverses figurations du lacunaire ». Ce, avec la jupe noire de deux décennies. « Elle a tellement été portée qu’elle est devenue une seconde peau. Son usure fait écho à la fatigue de ce corps dont Grisélidis Réal détaille avec un humour cru les maladies gynécologiques qu’il faut soigner à coups d’antibiotiques, les écorchures qu’il faut enduire de crèmes parfois inopérantes, ceci afin de pouvoir bientôt à nouveau travailler, boire et faire la tête. La ténacité, l’opiniâtreté physique, et le courage sont les qualités principales que la scriptrice révère chez le peuple nomade qui semble ainsi accéder à une sorte d’aristocratie. » « Gipsy Queen », « Royale Courtisane » et « populaire péripatéticienne », Grisélidis Réal décrit ses clients et activités avec une précision déconcertante et un langage cru au scalpel, quasi ethnographique et sociologique, empathique et poétique. Elle évoque le « troupeau » d’hommes de son carnet noir – dont le nain sicilien et sa bosse qui le difforme, lui, et la trouble, elle– et défend sa profession avec ardeur et fierté. Des clients qui sont souvent des migrants, des émigrés, des damnés de la terre qu’elle accueille malgré le fait que certains manquent de l’étouffer, la plaque au mur, la déchire et la brise littéralement. Ils sont nombreux les éclats d’une existence souvent chaotique qui la montre insurgée et combattante, du côté de l’amour et de la vie. À tout âge, elle résiste grâce aux petits bonheurs de la vie, comme s’acheter un petit sapin de Noël électrique pour illuminer ses derniers jours. Un sapin et sa guirlande lumineuse que l’on retrouve sur scène. Ce qui a guidé au cœur de cette volée de textes est une phrase « extrêmement juste » du journaliste Jean-Luc Hennig à l’enterrement de la Courtisane : « Un seul cri lie tous ses mots. C’est donc qu’on doit les lire tous ensemble pour Grisélidis qui est un être que l’on ne peut morceler », précisément entre ses activités prostitutionnelles, militantes, littéraires et plastiques. Un ouvrage artisanal et sisyphien Pour travailler sa partition, la comédienne a rencontré d’anciennes amies de Grisélidis Réal : Peggy, une transsexuelle, ou Sonia, aujourd’hui à la retraite. Elle a aussi échangé avec des femmes à Paris, par l’intermédiaire de Françoise Gilles, sociologue et fondatrice du Bus des femmes. « J’ai voulu aller à sa rencontre au-delà de la mort et dialoguer avec les êtres qui l’ont le mieux connues et dont elle était proche : ses quatre enfants, ses amies prostituées en activité ou retirées. C’est un travail d’alchimiste, médiumnique aussi dans la manière de prendre sa parole en moi pour la restituer. J’ai pu alors éprouver à quel point la parole de Grisélidis est encore d’une forte acuité et pertinence pour les prostituées de nos jours. J’ai ainsi épousé les combat de Grisélidis pour les droits des prostituées » La nouvelle législation pénalisant le client est dénoncée par leur syndicat français, le STRASS. Le but de cette loi est bien de mettre fin à la prostitution mais la députée Maud Olivier, à l’origine de la proposition, reconnaît que ce ne sera pas pour tout de suite. « L’objectif est de la faire diminuer, de protéger les prostituées qui veulent en sortir, et de changer les mentalités ». La France a ainsi rejoint mercredi 6 avril dernier le camp des pays européens sanctionnant les clients de prostituées (Suède, pionnière dès 1999, Norvège, Islande et Royaume-Uni). La proposition de loi socialiste renforçant la lutte contre la prostitution a été définitivement adoptée par les députés, au terme de deux ans et demi débats houleux. A l’issue du vote de l’Assemblée, l’achat d’actes sexuels sera sanctionné par une contravention de 1 500 euros (jusqu’à 3 500 euros en cas de récidive). Les prostituées ne seront plus verbalisées pour racolage et, si elles souhaitent mettre un terme à leur activité, elles pourront bénéficier d’un accompagnement social, ainsi que d’un titre de séjour temporaire pour les étrangères. On compte entre 30 000 et 40 000 prostituées en France, selon les estimations officielles, dont 80 % sont d’origine étrangère et le plus souvent victimes de réseaux de proxénétisme et de traite. Désireuse de rester « loyale » à Grisélidis Réal, Coraly Zahonero estime qu’une prostituée est celle qui pratique son activité professionnelle « librement et dans de bonnes conditions, sous la forme d’un artisanat. Tout ce qui est Eros Center s’identifie, à mon sens, au capitalisme triomphant. Mon féminisme passe par le fait que le droit des femmes est aussi celui des femmes à être putes si elles le désirent ». En vain, le STRASS (Syndicat du Travail Sexuel), s’est opposé à cette évolution législative, comme l’exprime un communiqué publié le 4 avril 2016 sur son site : « Cette mesure est dangereuse en premier lieu pour les prostitué-e-s. Les associations communautaires, de santé et de lutte contre le sida, et surtout les premier-e-s concerné-e-s n’ont eu de cesse de s’y opposer. Au mépris de cette opposition, les parlementaires risquent de voter cette loi, qui ne comporte aucune mesure bénéfique pour les travailleur-ses du sexe et qui, au prétexte de les » protéger « , va les exposer un peu plus aux violences, celles des réseaux et celles de la police, à l’isolement, et les éloigner des structures de santé, de soin et de dépistage et entraver leur accès au droit. » La création de Coraly Zahonero s’est aussi souvenue des liaisons épistolaires de l’ « aspahlteuse ». Grisélidis Réal s’est dévoilée durant dix années au gré d’une correspondance intime soutenue avec le journaliste Jean-Luc Hennig. Et c’est un amour du travail pénible et « sisyphien », qui palpite détour de cette missive envoyée de Genève au soir du dimanche 2 février 1986, où elle affirme : « La vraie Prostitution se fait en silence la plupart du temps, toute en nuances, en efforts surhumains, c’est un travail d’orfèvre, minutieux, héroïque. Il faut savoir faire jouir tout en se protégeant de l’usure et de la douleur… » Aux yeux de Hennig, la Prostitution (toujours avec une majuscule) pour Réal est « avant tout une distribution du bonheur, un soulagement des misères humaines, une espèce d’angélicat qui lui ferait effeuiller avec bonté les anomalies et les petites perversions cachées des hommes. » Le Noir est saveur et douleur A l’orée de Grisélidis, ce monologue de soi, s’élève une voix nonchalante, sinueuse, un brin nasillarde. Elle musarde, non sans morgue et ironie distanciée, sur les mots, les survolant tout en les ciselant d’un accent fleurant bon le Pays de Vaud : « A 32 ans, je me se suis enfuie avec un Noir, un fou que j’avais tiré d’une clinique psychiatrique et mes deux enfants arrachés de leur tutelle. Je partais. Je rejoignais le grand troupeau des Nomades en transhumance ». Elle évoque ensuite « le Noir sacré s’emparait du soleil et me plongeait dans les entrailles de la Nuit ». Entre un violon tzigane mélancolique et saxophone dansant, serpentant et quasi priapique, la figure du Noir est loin de ne s’incarner dans ces sexes pareils à des fleurs. Sur le plateau, elle se décline visuellement et musicalement sur la pochette de l’album Tutu dû à Miles Davis, dont le visage sorti d’une obscurité laquée et fuligineuse rejoint une esthétique de statuaire d’arts premiers, fait entrer le violon dans ses compositions. Ce dont s’est sans doute souvenu le duo de musiciennes Hélène Arntzen aux saxophones et Floriane Bonanni au violon accompagnant le Grisélidis imaginé et interprété par Coraly Zahonero, 504e Sociétaire de la Comédie française et première actrice de l’Institution théâtrale fondée en 1689 à passer les mots à corps et à cru de la plus célèbre lausannoise de l’histoire des lettres romandes dans le dernier tiers du siècle dernier. Si la photogénie du trompettiste américain évoque celle d’une divinité sculpturale façon arts premiers. Il y a aussi l’amant schizophrène Bill et l’amant Rodwell, G. I. noir américain rencontré au café Birdland à Munich. « Que son grand sexe velouté, que j’ai tenu dans mes mains blanches, pareil à un lys noir tressaillant, fasse crier d’amour les négresses luisantes, et qu’il dresse leurs seins comme des lunes de bronze… si je pouvais sentir encore en moi sa tige de feu me défoncer le ventre, tornade brûlante de l’amour noir. Oui, nous nous sommes aimés, nous nous sommes drogués, nous nous sommes anéantis dans les cris rauques du jazz. » Court, mais bon… Il faut bien tenter de remplir les ellipses d’un monologue bien trop court filant sur un tour d’horloge. Rappeler l’incantation façon cantique charnel servi par Coraly Zahonero transie en lisière de lit dans la réminiscence thaumaturgique de l’amour fou surgit d’une nuit bleu pétrole avec le saxe feulant et griffant depuis le mur aux pierres nues du fond de scène que la première phrase de son premier livre, Le Noir est une couleur d’abord intitulé « Chair vive » est : « J’ai toujours aimé les Noirs ».Et enchaîner avec ce « le noir, couleur du mystère, s’inscrit dans l’ombre de toutes choses et les pénètre comme un philtre, les ramenant à la grande nuit des origines. La race noire et bénie… » Des tréfonds d’une sordide réalité, le quotidien lugubre avec l’équarrissage d’un corps qui n’en peut plus de soigner ses plaies, la plus haute des solitudes, la détresse, la violence, la peur, les incessants mano à mano ou jeu du chat et de la souris avec la police, Grisélidis Réal remet sur le métier ses odes à la beauté noire, un tribut intense à des physiques dont la vitalité. La puissance et l’énergie la rachètent des Blancs auxquels elle ne passe rien. Et surtout pas « leurs petits cœurs secs terminés en sexes débiles… Je vous crache à la gueule et je piétine vos couilles dérisoires ! ». Les Noirs, c’est la lumière de chorégraphies languides, peau contre peau et sans fin, les boîtes à jazz. « Je me glisse dans cette jungle au chaud humus noir irisé de sueur, je disparais dans la houle des danses. » Une sorte de manière de réinventer l’instant sous la caresse et de vivre l’innocence sur un canevas archaïque et mythologique. « J’ai faim de leurs grands sexes lisses d’orchidées », confie encore l’hétaïre. Nuits debout Eprise parfois de jeunes immigrés tunisiens, elle dira son goût pour ceux de la marge : « Il faut respecter, aimer et admirer les contestataires, les fous, les marginaux, tous ceux qui hurlent, boivent, attaquent, et détruisent la puante façade de l’ordre établi, ceux qui pissent surf les trottoirs, foutent la merde, rient trop fort, chantent dans les rues, tout ça c’est de la vie, c’est du bordel vivant, ça casse les parois sinistres de cette morgue », écrit-elle pour La Passe imaginaire. A ses yeux, la Prostitution avec une majuscule est bien « une tentative d’échange et de reconstruction des rapports humains sur un mode différent » Etre péripatéticienne c’est donc recréer du lien social, réengager les humains dans des échanges pluriels (sexuel, émotionnel, intellectuel), qu’elle entrevoit à l’origine comme bloqués. N’affirme-t-elle point que « la Prostitution est un humanisme » ? Il s’agit bien de se prostituer comme travailleuse indépendante du sexe et non de proxénétisme asservissant souvent la femme à une traite d’êtres humains, la contraignant et la forçant. Défendre une prostitution choisie dans la liberté, et exercée dans des conditions acceptables sans contraintes ni pratiques mettant en danger la parturiente. Grisélidis Réal a toujours condamné avec détermination l’esclavage sexuel et le crime constitué par le trafic des êtres, des corps et des esprits. Dans cette version scénique, au fond de la chambre recrée de Grisélidis Réal est affiché un article du Temps reproduisant une contribution du Monde en date du 15 février 2014. On y lit sur la prostitution en Suisse, ces propos dénonçant les conditions de travail des péripatéticiennes en France : « Avec plus de mille prostituées en activité, 130 salons, 40 agences d’escort, Genève est victime de sa bonne santé économique dans une Europe en crise. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe (STTS) a voulu introduire des quotas de prostituées étrangères, avant d’y renoncer. » Le chômage et la pauvreté atteignent des niveaux historiques dans leur pays, ce qui pousse les filles à s’exiler et accepter n’importe quelle pratique « , affirme Angelina, représentante du STTS. Un constat partagé côté français par Thierry Schaffauser, un des fondateurs du Syndicat du travail sexuel (STRASS). » Même si la loi pour la pénalisation des clients n’est pas encore définitivement adoptée, car elle doit encore passer au Sénat, sa médiatisation a de l’impact (elle l’est depuis avril 2016, ndr). Quoi qu’il en soit, les conditions de travail en France sont mauvaises. En tant que prostituée, on ne peut pas s’associer ou louer un appartement. On ne peut pas travailler en intérieur, sauf si on est propriétaire. Quand on exerce dans les cages d’escalier, les bois ou des camionnettes, il vaut mieux rejoindre un bordel en Suisse. » » Ecrire pour et contre L’écriture engage l’être à la vie et à la mort en lisière de démence et de mort volontaire. « Ecrire c’est tuer, c’est se rouler dans la cendre, c’est échapper au suicide et à la folie. On lui crache à la gueule, on arrache vivants, seconde par seconde, ses secrets à la pourriture et on s’en nourrit. J’écris pour me vomir telle qu’on m’a faite, j’écris pour me perpétuer telle qu’on m’a aimée et blessée, caressée et ressuscitée. Aucun acte n’est raisonnable, s’il n’est pas suscité tout au fond de nous-mêmes par nos désirs cachés. Il faut leur donner la parole sous peine de mort », avance Grisélidis Réal dans un texte, « Pourquoi j’écris », publié par La Gazette de Lausanne, le 3 avril 1971. « Ecrivain-peintre-prostituée ». L’épitaphe de Grisélidis Réal au cimetière des Rois à Genève esquisse le parcours d’une femme complexe, marginale et controversée. N’aimait-elle pas à rappeler qu’elle fut admise après la publication en 1974 de son récit, Le Noir est une couleur au sein de la Société Genevoise des Ecrivains puis de la Société Suisse des Ecrivains ? Et de souligner, dans la foulée, ses « rapports suivis avec des écrivains pour lesquels j’ai la plus grande affection », parmi les lesquels Henri Noverraz, Michel Viala, Ludwig Hohl, Corina Bille, Alexandre Voisard, Nicolas et naturellement Jean-Luc Hennig. Co-fondatrice d’un centre international de documentation sur la prostitution, et d’ASPASIE, une association d’aide aux prostituées qui se séparera d’elle dans la douleur, Grisélidis Réal n’a cessé de militer en faveur des Courtisanes. Elle fut la première à obtenir pour elle, et ses paires, le certificat de « bonnes mœurs et de bonne moralité » comme n’importe quelle citoyenne du canton de Genève, la première aussi à donner des conférences dans les universités. A l’hiver 2014, Igor Schimek, fils de Grisélidis Réal lit publiquement une lettre écrite à sa mère défunte le 31 mai 2005 à 75 ans. S’il n’est pas certain que sa destinataire se serait retrouvée dans certaines lignes, elles résonnent comme un inextinguible besoin de justice et de reconnaissance qui est l’humus du spectacle Grisélidis : « Et je te comprends enfin je crois, jusqu’au tréfonds : / Ton amour pour la véritable justice ne mourra jamais. / Tu as traversé le prisme de la prostitution, / Redressé ce miroir déformant / Et rendu leur dignité à celles et à ceux qui la pratiquent avec humanité / (…) Toi Grisélidis Réal tu l’as retournée comme une chaussette qu’on enlève / Pour montrer ce qu’il y a là-dessous : / L’injustice sociale crée la misère, / Et la misère crée la prostitution. / Misère matérielle, misère affective ; / Misère du corps, de l’esprit et de l’âme. / De temps en temps, un être humain comme toi se dresse et nous dit : / J’empoigne cette misère, je l’assume et je la console, / Avec mes forces et mes faiblesses. / Pour cela j’utiliserai mon âme, mon esprit et mon corps. / Et si c’est une souffrance sexuelle, j’y répondrai avec mon sexe. » Peintre et dessinatrice ignorée L’activité plastique et graphique de Grisélidis Réal est abondante, mais trop souvent méconnue et mésestimée. Elle est diplômée d’une école d’art zurichois, la Kunst-Gewerbe Schule. En 1996, cette admiratrice de Séraphine de Senlis, Leonor Fini, Jacqueline Fromenteau, Chaïm Soutine, Modigliani, Klee, Kandinsky, Van Gogh, Chagall, déclare : « il est clair que pour moi, peindre sera toujours l’expression et la réalisation de mes visions intérieures, comme un double mythique et symbolique de la réalité transcendée à l’échelle légendaire ». Elle énonce en 1955 déjà : « J’ai beaucoup de courage et je me réjouis avant tout de faire des foulards et des dessins » Les foulards, on les retrouve suspendus sur le plateau de la pièce Grisélidis. Quant aux peintures et dessins, une exposition en met certains en valeur. Les sujets de son oeuvre peinte et dessinée qui convoquent différents matériaux et modes d’expressions ? Une faune où abondent les oiseaux et le serpent, son animal fétiche. En plus des animaux, l’artiste intègre à son bestiaire imaginaire divers êtres fantastiques dont les dragons. Son dessin retient des créatures surnaturelles célèbres, puisées aux mythologies occidentales, notamment la méduse. Elle imagine aussi des êtres hybrides, tirés d’espèces bien réelles. D’où des sortes de chimères hybrides mixées entre différents animaux ou entre l’homme et l’animal. On compte aussi une série de démons et de diables. Bertrand Tappolet Grisélidis. D’après Grisélidis Réal. De et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française. Théâtre du Petit Louvre. Avignon. Jusqu’au 30 juillet. Rens. : + 33 (4) 32 76 02 79 et www.theatre-petit-louvre.fr. Exposition des dessins de Grisélidis Réal. Maison Ripert, 28 rue Bonneterie, Avignon. En partenariat avec les Archives littéraires suisses. Quelques publications de Grisélidis Réal, dont l’ensemble de l’oeuvre et la correspondance sont déposées aux Archives littéraires suisses : Le Noir est une couleur, La Passe imaginaire, Carnet de bal d’une courtisane, Mémoires de l’inachevé, Suis-je encore vivante ? aux Editions Verticales ; A feu et à sang, recueil de poèmes, Ed. Le Chariot. Jean-Luc Hennig, Grisélidis courtisane, Ed. Verticales. WEB TELEVISION Un week-end à Avignon : nos coups de coeur Par S.Jouve, L.Houot, L.Ciavarini @Culturebox Mis à jour le 15/07/2016 à 19H39, publié le 15/07/2016 à 10H18 "Grisélidis", d'après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero, à 18H15 au Petit Louvre Au Petit Louvre à Avignon, la foule se presse pour venir voir "Grisélidis", une pièce écrite, mise en scène et jouée par Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française. En 2011, bouleversée par Grisélidis Réal, femme, écrivain, peintre, et putain, la comédienne décide de faire entendre la parole libre et poétique de cette femme exceptionnelle, découverte par hasard dans un entretien diffusé par la télé suisse romande datant de 2002. A Avignon, Coraly Zahonero de la ComédieFrançaise est "Grisélidis", écrivain peintre et putain sublime Par Laurence Houot @LaurenceHouot Journaliste, responsable de la rubrique Livres de Culturebox Publié le 12/07/2016 à 13H52 Coraly Zahonero, dans "Grisélidis" La pièce se joue depuis trois jours, et pourtant devant l'entrée du Petit Louvre à Avignon, la foule se presse pour venir voir "Grisélidis", une pièce écrite, mise en scène et jouée par Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française. Avec Hélène Arntzen au saxophone et Floriane Bonanni au violon, la comédienne, habitée, donne voix à cette femme au destin et au tempérament exceptionnel. Sur scène, pas de rideau. Un décor rassemblé au centre du plateau : un bureau, un petit guéridon, une lampe, un paravent couvert de vêtements, des tapis. La salle est pleine à craquer, les spectateurs finissent de s'installer quand du fond de la salle se fait entendre le son d'un saxophone. Deux femmes descendent l'étroit escalier qui borde les gradins tandis que l'espace s'assombrit jusqu'au noir. Puis elle entre en scène, Grisélidis. Elle s'assied, et sa voix se fait entendre, râpeuse, un brin gouailleuse, une légère pointe d'accent suisse. Elle est vêtue de noir, chevelure de jais, une frange qui barre son front. On ne l'arrêtera plus. Les mots dégringolent comme l'eau d'un ruisseau impétueux. Grisélidis a tant de chose à dire. Née entre les deux guerres (1929) à Lausanne dans une bonne famille protestante, elle entre à l'école des Arts et métiers de Zurich à 20 ans et en sort avec un diplôme de décoratrice, avant de se marier en 1950. Elle divorce, donne naissance entre 1952 et 1959 à quatre enfants de trois pères différents. Puis elle s'enfuit à Munich. "Ils viennent se venger sur une putain" Grisélidis raconte : la misère, la première passe, les clients. En allemand "faire le trottoir", se dit littéralement "marcher sur le trait", c'est ça la prostitution, "marcher en équilibre sur cette ligne de douleur", dit-elle. Les hommes. Pourquoi viennent-ils la voir ? Que viennent-ils chercher dans ses bras ? Qu'attendentils d'elle ? Pas le bonheur, ça non, Pas faire l'amour non plus, ça ressemblerait même plus souvent à un combat, dit-elle. "Ils viennent se venger sur une putain", et ils peuvent être dangereux. Il faut savoir s'y prendre, redoubler de tendresse ou bien de fermeté. "Moi, on n'a jamais pu me tuer", dit-elle. Et la misère, de ces hommes n'ont pas de femme à prendre dans leurs bras de ces hommes éduqués dans l'interdit. Il faut les comprendre. "Vous n'êtes plus vous-même, vous êtes l'autre, vous êtes dans la peau des autres", explique-t-elle, "Je les aime les gens", poursuit-elle. Pour un peu elle "leur ferait gratuit". Car c'est surtout du réconfort que viennent chercher tous ces hommes, du nain bossu au bon père de famille, en passant par le travailleur immigré; Elle les accueille tous, sans distinction, la prostitution comme humanisme. Et puis il y a les petits matins, le travail d'une longue nuit achevé. Grisélidis se regarde dans le miroir, ne reconnait plus son odeur, la matière dont elle est faite, la sensation qu'on lui a tout enlevé, et la nausée. "Je ne sais plus qui je suis", dit-elle. On remonte à l'enfance, une mère protestante, ultra rigide, qui ne perd jamais une occasion de culpabiliser sa fille. "On ne perd jamais une miette d'une enfance massacrée", dit-elle. Le bien, le mal, le bonheur imposé (se marier, avoir des enfants). Grisélidis Réal a tout envoyé balader et payé cher sa liberté. En 1969 elle écrit un roman autobiographique "Le noir est une couleur", arrête la prostitution pendant quelques années, puis replonge. Mais en 1975 elle rejoint le mouvement baptisé "la révolution des putes". Elle a trouvé une forme à son combat. Coraly Zahonero, magnifique, se donne corps et âme Sur scène, un dispositif simple, qui concentre toute l'attention du spectateur sur les mots de Grisélidis. De temps à autres, la voix se tait, relayée par la musique du violon, le chant de l'âme, ou du saxo et ses sonorités graves, sur des airs gitans qui font danser Grisélidis. Sa vie, son combat pour la liberté, ses amours, la sexualité, elle parle sans tabou, conjuguant provocation, passion, douceur, et humour. Le verbe est cru, la langue très belle. Sur scène, Coraly Zahonero, habitée par son personnage, happe le spectateur au premier mot, l'hypnotise, ne le lâche plus jusqu'au dernier, interprète magnifique de cette voix bouleversante. Elle porte le projet depuis plus de quatre ans, Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française. En 2011, bouleversée par Grisélidis Réal, femme, écrivain, peintre, et putain, la comédienne décide de faire entendre la parole libre et poétique de cette femme exceptionnelle, découverte par hasard dans un entretien diffusé par la télé suisse romande datant de 2002. Grisélidis Réal a alors 73 ans. C'est deux ans avant sa mort. "Quarante-cinq minutes d'interview, pas un 'euh', pas une hésitation, c'était une parole au scalpel. J'étais scotchée", se souvient la comédienne, qui se lance alors dans une exploration minutieuse de la vie et des écrits de cette femme "d'une grande intelligence". Coraly Zahonero à Avignon à la sortie du spectacle, "Grisélidis", le 11 juillet 2016 "J'ai capté tout ce qui me parlait d'elle", poursuit-elle. Elle lit "Le noir est une couleur", son unique roman, publié dans les années 60, mais aussi d'autres textes, comme "Le sphinx", "La passe imaginaire". Elle écoute attentivement les entretiens filmés, lit ses correspondances, rencontre ses enfants. "J'ai amassé une matière gigantesque !", s'exclame Coraly Zahonero. et elle décide d'en faire quelque chose. "Il faut faire exister cette parole de vérité qui fait du bien" "Je me suis dit, cette femme est morte. Elle n'est plus là pour se faire entendre. Moi je suis actrice, on m'écoute, il faut faire exister cette parole de vérité qui fait du bien", explique Coraly Zahonero. "Et puis je trouve qu'il y a une puissance littéraire dans ses écrits, mais aussi dans ce qui se dégage de sa parole, quand on l'écoute. Pour moi, en tant qu'actrice à la Comédie française, cela a toujours été important de faire découvrir une langue. Et Grisélidis, c'est un style", poursuit la comédienne. La comédienne passe alors une année à organiser toute cette matière, pour en faire un spectacle. Résultat, un très beau texte, cohérent, qui donne vie à un magnifique personnage. Pour travailler son rôle, Coraly Zahonero a rencontré d'anciennes amies de Grisélidis : Peggy, une transsexuelle, ou Sonia, aujourd'hui retirée. Elle a aussi rencontré des femmes à Paris, par l'intermédiaire de Françoise Gilles, sociologue et fondatrice du Bus des femmes. "Quand j'ai parlé avec ces femmes, j'ai entendu les mêmes mots que ceux de Grisélidis". "Il y a un parallèle entre le travail d'actrice et celui de prostituée. C'est une chose qui m'a intéressée dans ce projet. On entre dans la loge comme elles entrent dans leur camion à Vincennes. On se prépare pendant une heure. On se maquille. On change de nom pour devenir un personnage et on met sa vie de côté, son corps à distance. C'est la même chose et pourtant il ne viendrait à l'idée de personne de considérer le travail d'acteur comme une chose dégradante", souligne Coraly Zahonero. "Elles peuvent être pénétrées plusieurs fois par jour, sans se sentir pénétrées dans leur intimité". poursuitelle., en colère contre les politiques qui veulent interdire la prostitution. "Il faut arrêter de faire un amalgame entre la prostitution choisie, et les réseaux. Les femmes qui font partie des réseaux ne sont pas des prostituées, mais des esclaves. Avec ces politiques, on les précarise". Coraly Zahonero attend vendredi 15 juillet la visite de ses amies prostituées, qui feront le voyage pour la voir jouer "Grisélidis" à Avignon. "Un projet artistique complet, et très fort" C'est la première fois que la comédienne de la Comédie-Française joue au festival. "J'étais venue voir des copains, mais moi je n'avais jamais joué ici. C'est une première. Et je suis très heureuse, parce que ça fait trois jours qu'on joue et c'est déjà plein. Je suis hyper fière de pouvoir faire entendre cette parole ici, à Avignon. C'est l'aboutissement de quatre ans de travail". Un vrai projet complet, "un acte artistique très fort", que la Comédie-Française l'a volontiers autorisée à mettre en œuvre. Les dessins de Grisélidis Réal, et le livre de contes " Le cheval nuage", exposés à la Maison Ripert, Avignon © Laurence Houot / Culturebox "C'est important de se nourrir", conclut la comédienne, qui a aussi oeuvré pour la publication d'un livre pour enfants, dessiné dessiné à l'origine par Grisélidis pour son mari, car elle était aussi peintre. On peut d'ailleurs voir quelques-unes de ses œuvres, très fortes, dans un restaurant d'Avignon. "Grisélidis", d'après Grisélidis Réal, de et avec Coraly Zahonero de la Comédie-Française, avec Hélène Arntzen, saxophones, et Florianne Bonanni, violon (Production au Petit Louvre et diffusion, théâtre de Suresnes Jean Vilar, Direction Olivier Meyer) Théâtre du Petit Louvre (Templiers) Tous les jours à 18h15 jusqu'au 30 juillet 2016, relâche les 14, 21 et 28 juillet Exposition des oeuvres de Grisélidis Réal Maison Ripert, 28 rue Bonneterie à Avignon, tous les jours de 9h30 à 2 h du matin. A lire: Le Cheval nuage, conte illustré (1950) (Éd. l’œil pour l’œil, 2016) Le Noir est une couleur (Éd. Balland, 1974 ; Éd; d’en bas, 1989 ; Ed; Verticales, 2005) La Passe imaginaire (Édi. de l’Aire/Manya,1992 - Éd. Verticales) À feu et à sang, recueil de poèmes (Édi. Le Chariot, 2003) Carnet de bal d’une courtisane (Éd. Verticales, 2005) Les Sphinx (Éd. Verticales, 2006) 4 © J.-D. Rouiller Suis-je encore vivante ? Journal de prison (Éd. Verticales/phase deux, 2008) Mémoires de l’inachevé (1954-1993), textes réunis par Yves Pagès (Éd. Verticales, 2011) . RADIO Le Festival Off d’Avignon se poursuit jusqu’au 30 juillet…avec ses 1416 spectacles. Le plus grand théâtre du Monde peut-on lire sur les affiches. Il y a en a pour tous les goûts. Il y a de l’humour, du one man show, du théâtre classique, mais aussi beaucoup de spectacles qui parlent du monde d’aujourd’hui, et ils sont souvent portés par des comédiennes. C’est le choix de Stéphane CAPRON ce matin dans notre petit journal des Festivals, à travers 3 spectacles… Parler de la violence aveugle qui touche le monde d’aujourd’hui, c’est le thème d’un monologue écrit par Rémi De Vos et porté par une formidable comédienne, Juliette Plumecocq Mech. Le titre est à rallonge : « Toute ma vie j’ai fait des choses que je savais pas faire ». C’est à 13h30 à la Manufacture. La comédienne est allongée au sol pendant 45 minutes et raconte comment un homme agressé dans un bar et devenu un meurtrier involontaire. Dans "L’origine du Monde c’est un peu compliqué" tous les jours à 12h10 à la Conditions des Soies, 3 comédiennes racontent leurs grossesses. Un spectacle drôle, décalé, féministe, mais pas trop. Coralie Zahonero est sociétaire de la Comédie-Française. Elle interprète tous les jours à 18h15 au Petit Louvre, Grisélidis. Un texte percutant sur la prostitution, qui tranche avec tout ce que l’on peut entendre sur ce sujet. Elle porte la parole de Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée suisse décédée en 2005 et a qui beaucoup écrit sur ce sujet. Stéphane Capron RADIO NOSTALGIE "Griselidis c'est l'histoire d'une prostituée qui nous explique par le menu ce qu'est sa vie. Le texte est simple mais très fort et l'interprétation de Coraly Zahonero est d'une justesse remarquable. L'actrice n'incarne pas, elle est son personnage. L'occasion de rappeler que les prostituées, femmes que l'on refuse de voir, font office d'exhutoire certes physique mais souvent aussi social. Elles sont nécessaires mais gênantes. Un spectacle coup de poing." Sébastien Lulianella