MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 41
Lors du dernier Symposium sur
les bovins laitiers, le D
r
Jérôme
Carrier a décrit les conséquences
économiques de la mammite cli-
nique qui affecte environ 30 % des
vaches au moins une fois par lac-
tation. Selon son analyse, les coûts
directs de la mammite clinique,
incluant les médicaments, le lait
rejeté, le coût de la main-d’œuvre
et les frais de remplacement occa-
sionnés par les pertes animales
s’élèvent à 128 $ par cas. Cette
estimation n’inclut pas les frais
indirects tels que ceux reliés à la
diminution de production dans les
semaines suivant l’observation
d’un cas clinique et aux performances
réduites en reproduction. Ces deux der-
niers éléments sont plus difficiles à
estimer compte tenu des nombreux
facteurs qui les influencent.
Une équipe de chercheurs de
l’Université Cornell s’est intéressée à
l’impact de la mammite clinique sur la
production des vaches affectées (voir
le portrait de l’étude ci-dessus). Leurs
conclusions ont été publiées récem-
ment et fournissent un éclairage nou-
veau sur la question.
UNE MALADIE IMPORTANTE
Au cours de cette étude, on a
observé près de deux fois plus de
vaches adultes (32 %) ayant un premier
épisode de mammite clinique, par rap-
port aux taures (17 %). Les bactéries
d’origine environnementale ont dominé
le portrait bactériologique avec 67 %
des isolats bactériens identifiés. Les
récidives ont constitué 23 % des mam-
mites chez les taures et 35 % des mam-
mites chez les vaches adultes.
Aux fins de l’analyse, les résultats
bactériologiques de cette étude ont été
regroupés en trois catégories (voir
tableau, p. 42). Les bactéries Gram positif
incluent les streptocoques, S. aureus et
les autres staphylocoques. Les bactéries
Gram négatif incluent E. coli, le genre
Klebsiella et les autres coliformes. La
catégorie « Autres » inclut toutes
les bactéries restantes, les échan-
tillons contaminés et les résultats
négatifs à la culture. Cette catégo-
risation est aussi utilisée pour la
plupart des protocoles régissant
l’utilisation des antibiotiques et les
procédures de traitement de la
mammite clinique.
QUE SONT LES BACTÉRIES
GRAM POSITIF ET GRAM
NÉGATIF?
Au laboratoire, une technique de
coloration spéciale permet de mon-
trer les propriétés de la paroi cel-
lulaire de la bactérie. On peut ainsi
classifier les bactéries de la mam-
mite en deux grandes catégories : les
bactéries Gram positif et les bactéries
Gram négatif. Le nom Gram vient du
bactériologiste danois Hans Christian
Gram qui a mis au point la technique en
1884. Sous un microscope, les bactéries
Gram positif apparaissent en bleu tandis
que les bactéries Gram négatif appa-
raissent en rouge.
Connaître la cause
de la mammite
pour perdre
moins de lait
MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
Par PAUL BAILLARGEON, médecin vétérinaire,
Pfizer santé animale
La production de lait de votre vache est influencée
différemment selon les bactéries en cause.
LA CHRONIQUE VÉTÉRINAIRE EST SOUS LA RESPONSABILITÉ D’UN COMITÉ DE RÉDACTION QUI RÉVISE CHACUN DES ARTICLES AVANT
PUBLICATION.
GILLES FECTEAU, FMV Saint-Hyacinthe, coordonnateur du comité de rédaction; PAUL BAILLARGEON, Pfizer santé animale; GUY BOISCLAIR,
Clinique vétérinaire de Victoriaville; YVES CARON, Clinique vétérinaire St-Tite; ANNIE DAIGNAULT, Clinique vétérinaire Saint-Césaire; MAXIME
DESPÔTS, Clinique vétérinaire St-Louis-Embryobec; DAVID FRANCOZ, FMV Saint-Hyacinthe; RÉJEAN LEFEBVRE, FMV Saint-Hyacinthe; JEAN-
PHILIPPE ROY, FMV Saint-Hyacinthe; NICOLE RUEST, Clinique vétérinaire Centre du Québec; JODI WALLACE, Hôpital vétérinaire Ormstown.
Pour questions ou commentaires : gilles.fecteau@umontreal.ca.
PORTRAIT DE L’ÉTUDE
Lieu de l’étude : État de New-York
Nombre de troupeaux : 7
Nombre de lactations : 21 287
Durée : 2 à 4 ans selon les troupeaux
Production de lait (305 jours) :
10 500 kg à 11 500 kg
Comptage des cellules somatiques :
181 000 cellules/ml à
385 000 cellules/ml
Cas de mammite clinique analysés :
9 440
DIMINUTION DE LA PRODUCTION
Les chercheurs ont mesuré l’impact
de la mammite clinique sur la produc-
tion au cours d’une période de 50 jours,
même si, dans la plupart des cas ana-
lysés, la production n’avait pas atteint
les niveaux attendus à la fin de cette
période.
La diminution de production
observée lors de cette étude, pour
l’ensemble des cas de mammite, est
d’environ 170 kg, par épisode, pour les
vaches adultes. On doit noter cepen-
dant que le premier cas survient en
moyenne vers la 17
e
semaine de lac-
tation, chez les vaches adultes et que
les deuxième et troisième épisodes
sont observés dans un intervalle d’en-
viron deux mois après ce premier épi-
sode. Les chercheurs avaient déjà
démontré que plus le premier épisode
survient tôt au cours de la lactation,
plus la perte de production est impor-
tante.
Quel que soit leur âge ou la cause
de la mammite, les vaches affectées
produisent plus de lait (de 0,5 kg/jour
à 2,4 kg/jour) avant le premier épisode
que celles qui n’en sont pas atteintes.
Cette particularité est observée pour
la première fois et doit être prise en
considération dans l’évaluation des
pertes subséquentes.
Le groupe bactériologique (G+, G-
ou Autres) est le facteur de risque le
plus influent quant à l’importance de
la perte de production. Les mammites
relevées dans le groupe Gram négatif,
qui représentent 42 % de tous les cas
survenus, ont entraîné une diminution
de production de deux à trois fois plus
élevée que celles relevées dans le
groupe Gram positif (graphique 1).
MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS
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MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
GROUPES DE BACTÉRIES RESPONSABLES DE LA MAMMITE ÉTUDIÉS
PAR L’ÉQUIPE DE L’UNIVERSITÉ CORNELL
BACTÉRIES GRAM POSITIF BACTÉRIES GRAM NÉGATIF* AUTRES
Staphylococcus aureus Escherichia coli • Toutes les
Staphylococcus spp. Klebsiella spp. bactéries
Streptococcus spp. Enterobacter spp. restantes
• Les échantillons
contaminés
• Les résultats
négatifs
* Dans l’étude new-yorkaise, 94 % du groupe Gram négatif étaient constitués
de Escherichia coli et de l’espèce Klebsiella.
CE QU’IL FAUT
SE RAPPELER
CONCERNANT
LA MAMMITE
CLINIQUE
Son impact économique est
important.
La diminution de production, après
la disparition des signes cliniques,
est la portion la plus importante
des pertes causées par la mammite
clinique.
Les mammites causées par les
bactéries Gram négatif engendrent
une diminution de la production
de deux à trois fois plus impor-
tante que celle engendrée par les
bactéries Gram positif.
La perte de production est
constante et peut aller en aug-
mentant, d’un épisode à l’autre,
malgré que l’on soit en présence
de la même bactérie.
L’identification de la bactérie qui a
causé la mammite est une stra-
tégie payante et devrait être
ajoutée à votre programme de
gestion du troupeau à chaque fois
qu’une telle infection survient.
L’identification du groupe bacté-
rien, en particulier les bactéries
Gram négatif, vous aidera à
prendre de meilleures décisions
pour déterminer les moyens de
prévention et les stratégies de
traitement appropriées.
Par exemple, à la suite d’un premier
épisode de mammite chez les vaches
adultes, la diminution a été de 304 kg
pour celles affectées par des bactéries
Gram négatif comparativement à 128 kg
pour celles affectées par des bactéries
Gram positif. Lors d’un deuxième épi-
sode, l’écart a été encore plus important
puisque les bactéries Gram négatif ont
engendré une diminution de 276 kg par
rapport à une diminution de 93 kg pour
les bactéries Gram positif. La diminu-
tion observée à la suite des mammites
causées par les bactéries du groupe
« Autres » a été beaucoup moins impor-
tante que celle causée par les bactéries
des deux autres groupes.
Ces observations montrent que la
perte de production est constante ou
qu’elle augmente avec le nombre d’épi-
sodes, y compris lorsque la même bac-
térie est en cause. Cela revient à dire
que, contrairement à ce qui se produit
au cours d’autres maladies, l’expérience
d’une mammite clinique ne semble pas
procurer de protection significative lors
d’épisodes subséquents.
En regard des mammites du groupe
Gram négatif, cette absence apparente
de protection peut surprendre, compte
tenu de la protection démontrée par la
vaccination contre ce type d’infection.
Les chercheurs l’expliquent par l’inter-
valle moyen de 63 jours observé entre
les épisodes de mammite à bactéries
Gram négatif. L’expérience clinique a
en effet démontré que la protection
conférée par la vaccination diminuait
rapidement deux mois après le dernier
rappel.
POUR LIMITER LES PERTES DE
PRODUCTION LIÉES AUX
BACTÉRIES GRAM NÉGATIF…
L’utilisation d’un scellant interne et
la vaccination pendant la période de
tarissement sont deux stratégies
éprouvées pour aider à prévenir les
mammites causées par les bactéries
Gram négatif. Cependant, la perti-
nence de l’administration d’antibio-
tiques intramammaires pour le traite-
ment des mammites à bactéries Gram
négatif est un sujet depuis longtemps
débattu.
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0
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12
14
16 Autres
Gram positif
Gram négati
f
3e épisode2e épisode1er épisode
%
GRAPHIQUE 1
DIMINUTION DE LA PRODUCTION ESTIMÉE, EN POURCENTAGE
Production perdue (%) par rapport à la production anticipée au cours des 50 jours suivant
l’apparition des signes cliniques. Celle-ci n’inclut pas le lait rejeté à la suite des traitements.
?
La même équipe de recherche a
observé, au cours d’une autre étude
portant sur le traitement de 104 cas de
mammite à bactéries Gram négatif,
que le traitement intramammaire avec
un antibiotique à large spectre avait
diminué de 50 % le nombre d’infec-
tions présentes 21 jours après le début
de la mammite. De plus, les vaches
traitées produisaient environ 3 kg par
jour de plus que celles qui n’avaient pas
reçu de traitement et chez qui 40 %
(E. coli) à 75 % (Klebsiella spp.) des
bactéries avaient persisté au-delà de
21 jours. Ces chercheurs ont conclu
que le traitement de ces mammites
avec un antibiotique approprié consti-
tuait une mesure recommandable.
… AUX BACTÉRIES GRAM
POSITIF…
Lors de cette étude, la diminution
de production, pour ce groupe d’infec-
tions, a augmenté à chacune des réci-
dives. Par ailleurs, le risque de récidive
et de propagation de ces infections est
bien documenté. Un traitement com-
portant un antibiotique efficace contre
les bactéries Gram positif et une stra-
tégie appropriée est donc recommandé.
… ET AUX AUTRES BACTÉRIES
Enfin, le traitement sans antibiotique
des mammites relevées dans le groupe
«Autres» est justifiable médicalement et
économiquement. Sur la base de la dimi-
nution de production observée au cours
de cette étude, les dommages aux quar-
tiers affectés ont été beaucoup moins
importants et le risque de la propagation
de ces infections a été minime.
UN SERVICE DE DIAGNOSTIC
Plusieurs cliniques vétérinaires du
Québec offrent maintenant le service
d’un diagnostic bactériologique rapide
permettant de catégoriser les infec-
tions causant les mammites cliniques.
Consultez votre médecin vétérinaire
pour en savoir plus à ce sujet. Le dia-
gnostic bactériologique offert par des
laboratoires spécialisés demeure
cependant essentiel pour la conduite
d’un programme de santé du pis. En
outre, les résultats des études comme
celles abordées ici permettront aux
producteurs laitiers de mieux tirer profit
des informations fournies par les ser-
vices de diagnostic.
MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS
44
MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
QU’EST-CE QU’UNE
MAMMITE CLINIQUE?
Une mammite est dite subclinique
lorsque le comptage des cellules
somatiques est anormalement élevé
(généralement plus de 200 000) ou
lorsqu’une bactérie est isolée par une
culture en laboratoire. Elle est dite
clinique lorsqu’un ou plusieurs des
signes suivants apparaissent.
GRADE 1 : Seule la sécrétion de lait est
anormale (changement de texture,
présence de grumeaux, etc.).
GRADE 2 : En plus d’une sécrétion
anormale, le quartier affecté est
visuellement anormal (enflure,
rougeur, douleur, etc.).
GRADE 3 : En plus des signes décrits
précédemment, on décèle chez la
vache des caractéristiques anormales
(diminution de l’appétit, dépression,
température élevée, etc.).
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