MÉDECINE VÉTÉRINAIRE Par PAUL BAILLARGEON, médecin vétérinaire, Pfizer santé animale Connaître la cause de la mammite pour perdre moins de lait La production de lait de votre vache est influencée différemment selon les bactéries en cause. Lors du dernier Symposium sur les bovins laitiers, le Dr Jérôme Carrier a décrit les conséquences économiques de la mammite clinique qui affecte environ 30 % des vaches au moins une fois par lactation. Selon son analyse, les coûts directs de la mammite clinique, incluant les médicaments, le lait rejeté, le coût de la main-d’œuvre et les frais de remplacement occasionnés par les pertes animales s’élèvent à 128 $ par cas. Cette estimation n’inclut pas les frais indirects tels que ceux reliés à la diminution de production dans les semaines suivant l’observation d’un cas clinique et aux performances réduites en reproduction. Ces deux derniers éléments sont plus difficiles à estimer compte tenu des nombreux facteurs qui les influencent. Une équipe de chercheurs de l’Université Cornell s’est intéressée à l’impact de la mammite clinique sur la production des vaches affectées (voir PORTRAIT DE L’ÉTUDE Lieu de l’étude : État de New-York Nombre de troupeaux : 7 Nombre de lactations : 21 287 Durée : 2 à 4 ans selon les troupeaux Production de lait (305 jours) : 10 500 kg à 11 500 kg Comptage des cellules somatiques : 181 000 cellules/ml à 385 000 cellules/ml Cas de mammite clinique analysés : 9 440 le portrait de l’étude ci-dessus). Leurs conclusions ont été publiées récemment et fournissent un éclairage nouveau sur la question. UNE MALADIE IMPORTANTE Au cours de cette étude, on a observé près de deux fois plus de vaches adultes (32 %) ayant un premier épisode de mammite clinique, par rapport aux taures (17 %). Les bactéries d’origine environnementale ont dominé le portrait bactériologique avec 67 % des isolats bactériens identifiés. Les récidives ont constitué 23 % des mammites chez les taures et 35 % des mammites chez les vaches adultes. Aux fins de l’analyse, les résultats bactériologiques de cette étude ont été regroupés en trois catégories (voir tableau, p. 42). Les bactéries Gram positif incluent les streptocoques, S. aureus et les autres staphylocoques. Les bactéries Gram négatif incluent E. coli, le genre Klebsiella et les autres coliformes. La catégorie « Autres » inclut toutes les bactéries restantes, les échantillons contaminés et les résultats négatifs à la culture. Cette catégorisation est aussi utilisée pour la plupart des protocoles régissant l’utilisation des antibiotiques et les procédures de traitement de la mammite clinique. QUE SONT LES BACTÉRIES GRAM POSITIF ET GRAM NÉGATIF? Au laboratoire, une technique de coloration spéciale permet de montrer les propriétés de la paroi cellulaire de la bactérie. On peut ainsi classifier les bactéries de la mammite en deux grandes catégories : les bactéries Gram positif et les bactéries Gram négatif. Le nom Gram vient du bactériologiste danois Hans Christian Gram qui a mis au point la technique en 1884. Sous un microscope, les bactéries Gram positif apparaissent en bleu tandis que les bactéries Gram négatif apparaissent en rouge. LA CHRONIQUE VÉTÉRINAIRE EST SOUS LA RESPONSABILITÉ D’UN COMITÉ DE RÉDACTION QUI RÉVISE CHACUN DES ARTICLES AVANT PUBLICATION. GILLES FECTEAU, FMV Saint-Hyacinthe, coordonnateur du comité de rédaction; PAUL BAILLARGEON, Pfizer santé animale; GUY BOISCLAIR, Clinique vétérinaire de Victoriaville; YVES CARON, Clinique vétérinaire St-Tite; ANNIE DAIGNAULT, Clinique vétérinaire Saint-Césaire; MAXIME DESPÔTS, Clinique vétérinaire St-Louis-Embryobec; DAVID FRANCOZ, FMV Saint-Hyacinthe; RÉJEAN LEFEBVRE, FMV Saint-Hyacinthe; JEANPHILIPPE ROY, FMV Saint-Hyacinthe; NICOLE RUEST, Clinique vétérinaire Centre du Québec; JODI WALLACE, Hôpital vétérinaire Ormstown. Pour questions ou commentaires : [email protected]. MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 41 MÉDECINE VÉTÉRINAIRE GROUPES DE BACTÉRIES RESPONSABLES DE LA MAMMITE ÉTUDIÉS PAR L’ÉQUIPE DE L’UNIVERSITÉ CORNELL BACTÉRIES GRAM POSITIF BACTÉRIES GRAM NÉGATIF* AUTRES Staphylococcus aureus Staphylococcus spp. Streptococcus spp. Escherichia coli Klebsiella spp. Enterobacter spp. • Toutes les bactéries restantes • Les échantillons contaminés • Les résultats négatifs * Dans l’étude new-yorkaise, 94 % du groupe Gram négatif étaient constitués de Escherichia coli et de l’espèce Klebsiella. DIMINUTION DE LA PRODUCTION Les chercheurs ont mesuré l’impact de la mammite clinique sur la production au cours d’une période de 50 jours, même si, dans la plupart des cas analysés, la production n’avait pas atteint les niveaux attendus à la fin de cette période. La diminution de production observée lors de cette étude, pour l’ensemble des cas de mammite, est d’environ 170 kg, par épisode, pour les vaches adultes. On doit noter cependant que le premier cas survient en moyenne vers la 17e semaine de lactation, chez les vaches adultes et que les deuxième et troisième épisodes sont observés dans un intervalle d’environ deux mois après ce premier épisode. Les chercheurs avaient déjà démontré que plus le premier épisode survient tôt au cours de la lactation, plus la perte de production est importante. Quel que soit leur âge ou la cause de la mammite, les vaches affectées produisent plus de lait (de 0,5 kg/jour à 2,4 kg/jour) avant le premier épisode que celles qui n’en sont pas atteintes. Cette particularité est observée pour la première fois et doit être prise en considération dans l’évaluation des pertes subséquentes. Le groupe bactériologique (G+, Gou Autres) est le facteur de risque le plus influent quant à l’importance de la perte de production. Les mammites relevées dans le groupe Gram négatif, qui représentent 42 % de tous les cas survenus, ont entraîné une diminution de production de deux à trois fois plus élevée que celles relevées dans le groupe Gram positif (graphique 1). CE QU’IL FAUT SE RAPPELER CONCERNANT LA MAMMITE CLINIQUE • Son impact économique est important. • La diminution de production, après la disparition des signes cliniques, est la portion la plus importante des pertes causées par la mammite clinique. • Les mammites causées par les bactéries Gram négatif engendrent une diminution de la production de deux à trois fois plus importante que celle engendrée par les bactéries Gram positif. • La perte de production est constante et peut aller en augmentant, d’un épisode à l’autre, malgré que l’on soit en présence de la même bactérie. • L’identification de la bactérie qui a causé la mammite est une stratégie payante et devrait être ajoutée à votre programme de gestion du troupeau à chaque fois qu’une telle infection survient. • L’identification du groupe bactérien, en particulier les bactéries Gram négatif, vous aidera à prendre de meilleures décisions pour déterminer les moyens de prévention et les stratégies de traitement appropriées. 42 MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS GRAPHIQUE 1 DIMINUTION DE LA PRODUCTION ESTIMÉE, EN POURCENTAGE Par exemple, à la suite d’un premier épisode de mammite chez les vaches adultes, la diminution a été de 304 kg pour celles affectées par des bactéries Gram négatif comparativement à 128 kg pour celles affectées par des bactéries Gram positif. Lors d’un deuxième épisode, l’écart a été encore plus important puisque les bactéries Gram négatif ont engendré une diminution de 276 kg par rapport à une diminution de 93 kg pour les bactéries Gram positif. La diminution observée à la suite des mammites causées par les bactéries du groupe « Autres » a été beaucoup moins importante que celle causée par les bactéries des deux autres groupes. Ces observations montrent que la perte de production est constante ou qu’elle augmente avec le nombre d’épisodes, y compris lorsque la même bactérie est en cause. Cela revient à dire que, contrairement à ce qui se produit au cours d’autres maladies, l’expérience d’une mammite clinique ne semble pas procurer de protection significative lors d’épisodes subséquents. 16 14 12 10 % 8 6 4 2 0 Autres Gram positif Gram négatif 1er épisode 2e épisode 3e épisode Production perdue (%) par rapport à la production anticipée au cours des 50 jours suivant l’apparition des signes cliniques. Celle-ci n’inclut pas le lait rejeté à la suite des traitements. En regard des mammites du groupe Gram négatif, cette absence apparente de protection peut surprendre, compte tenu de la protection démontrée par la vaccination contre ce type d’infection. Les chercheurs l’expliquent par l’intervalle moyen de 63 jours observé entre les épisodes de mammite à bactéries Gram négatif. L’expérience clinique a en effet démontré que la protection conférée par la vaccination diminuait rapidement deux mois après le dernier rappel. POUR LIMITER LES PERTES DE PRODUCTION LIÉES AUX BACTÉRIES GRAM NÉGATIF… L’utilisation d’un scellant interne et la vaccination pendant la période de tarissement sont deux stratégies éprouvées pour aider à prévenir les mammites causées par les bactéries Gram négatif. Cependant, la pertinence de l’administration d’antibiotiques intramammaires pour le traitement des mammites à bactéries Gram négatif est un sujet depuis longtemps débattu. MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 43 MÉDECINE VÉTÉRINAIRE La même équipe de recherche a observé, au cours d’une autre étude portant sur le traitement de 104 cas de mammite à bactéries Gram négatif, que le traitement intramammaire avec un antibiotique à large spectre avait diminué de 50 % le nombre d’infections présentes 21 jours après le début de la mammite. De plus, les vaches traitées produisaient environ 3 kg par jour de plus que celles qui n’avaient pas reçu de traitement et chez qui 40 % (E. coli) à 75 % (Klebsiella spp.) des bactéries avaient persisté au-delà de 21 jours. Ces chercheurs ont conclu que le traitement de ces mammites avec un antibiotique approprié constituait une mesure recommandable. … AUX BACTÉRIES GRAM POSITIF… Lors de cette étude, la diminution de production, pour ce groupe d’infections, a augmenté à chacune des réci- ? QU’EST-CE QU’UNE MAMMITE CLINIQUE? Une mammite est dite subclinique lorsque le comptage des cellules somatiques est anormalement élevé (généralement plus de 200 000) ou lorsqu’une bactérie est isolée par une culture en laboratoire. Elle est dite clinique lorsqu’un ou plusieurs des signes suivants apparaissent. GRADE 1 : Seule la sécrétion de lait est anormale (changement de texture, présence de grumeaux, etc.). GRADE 2 : En plus d’une sécrétion anormale, le quartier affecté est visuellement anormal (enflure, rougeur, douleur, etc.). GRADE 3 : En plus des signes décrits précédemment, on décèle chez la vache des caractéristiques anormales (diminution de l’appétit, dépression, température élevée, etc.). dives. Par ailleurs, le risque de récidive et de propagation de ces infections est bien documenté. Un traitement comportant un antibiotique efficace contre les bactéries Gram positif et une stratégie appropriée est donc recommandé. … ET AUX AUTRES BACTÉRIES Enfin, le traitement sans antibiotique des mammites relevées dans le groupe «Autres» est justifiable médicalement et économiquement. Sur la base de la diminution de production observée au cours de cette étude, les dommages aux quartiers affectés ont été beaucoup moins importants et le risque de la propagation de ces infections a été minime. UN SERVICE DE DIAGNOSTIC Plusieurs cliniques vétérinaires du Québec offrent maintenant le service d’un diagnostic bactériologique rapide permettant de catégoriser les infections causant les mammites cliniques. Consultez votre médecin vétérinaire pour en savoir plus à ce sujet. Le diagnostic bactériologique offert par des laboratoires spécialisés demeure cependant essentiel pour la conduite d’un programme de santé du pis. En outre, les résultats des études comme celles abordées ici permettront aux producteurs laitiers de mieux tirer profit des informations fournies par les services de diagnostic. ■ 44 MARS 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS