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MÉTHODE VICE VERSA!
(de la pensée à la langue;!
de la langue à la pensée)!
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Introduction!
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L’homo habilis n’a pas seulement progressé vers
l’humanité supérieure en polissant des galets de
ses adroites mains; il a aussi poli son intelligence
grâce au langage. C’était là son meilleur outil.!
(Robert Merle, Le propre de l’homme)!
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La langue est sans doute la plus géniale invention de l’homme;
celle qui lui permet d’exprimer, avec le plus de profondeur, de
clarté, de diversité et de raffinement, toute la richesse de son
intelligence. Mieux comprendre cette invention des inventions,
c’est se donner une intelligence plus profonde, plus claire et plus
raffinée.!
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La qualité de ta langue révèle, blanc sur noir, la qualité de ton
esprit, de ton être intérieur. Elle est la signature de ta
personnalité; elle en révèle la nature, mieux que les empreintes
digitales ne révèlent ton identité physique.!
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TOUT ÊTRE HUMAIN SE DONNE LA QUALITÉ DE LANGUE QUE SON
INTELLIGENCE MÉRITE.!
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C’est dire qu’il faut consacrer à la maîtrise de sa langue
maternelle le meilleur de ses énergies intellectuelles. La
posséder à peu près, c’est se condamner à l’à-peu-près. Et l’à-
peu-près, c’est l’autre nom de la médiocrité.!
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À l’aube de la civilisation des robots, il n’est pas inutile de
rappeler que l’homme n’est pas un robot bip-bip-bippant.!
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Au Québec, depuis vingt-cinq ans, on a mis presque systématiquement de
côté, dans les écoles, le dictionnaire, la grammaire, la lecture des oeuvres
littéraires et l’analyse. Pour ne pas brimer, disait-on, la spontanéité, <la
créativité du s’éduquant>.!
Avec ce résultat que la majorité de nos éduqués bien diplômés, de
l’élémentaire à l’université inclusivement, créent des textes le
charabia spontané le dispute à l’incohérence chronique.!
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Ces dernières années, on s’est réveillé, peu à peu et péniblement, à cette
évidence. Et devant l’ampleur du désastre, on a mis en place, un peu
partout, des mesures de sauvetage national. Dérisoires. On appelle ça
<exercices correctifs>, ou <cours de rattrapage>, ou <ateliers de
dépannage>. Place au Fast Food, aux thaumaturges, bien intentionnés ou
charlatans! Une panoplie de béquilles - dont certaines de luxe - comme
remèdes au cancer du cerveau!!
Et la clientèle des handicapés augmentant de jour en jour à mesure que se
lèvent les brumes de l’illusion béate, on peut légitimement prévoir que la
course aux gadgets, prothèses mentales et cataplasmes miraculeux
connaîtra cette poussée triomphale du jogging audio-visuel en honneur
dans nos écoles polyvalentes autour des années 70. !
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Je crois pouvoir affirmer honnêtement que ces méthodes dites de
récupération, dont un bon nombre informatisées, comportent de graves
lacunes qui les rendent non seulement stériles mais encore extrêmement
nuisibles. Voici pourquoi: !
1o La méthode utilisée, l’informatique au stade primaire ou son équivalent
imprimé, amène à proposer une série d’exercices correctifs choisis parmi
les plus simplistes, ceux qui ressemblent à des opérations mathématiques
de niveau élémentaire: la langue et la pensée, pour s’ajuster à cette
tuyauterie rudimentaire, sont alors réduites à un vagissement prénatal,
au langage <petit nègre>. Ainsi, ces exercices ne portent habituellement
que sur des détails isolés, dans des phrases isolées; et encore, des
phrases du style le plus simple possible. Et cela, pour des étudiants qui ont
douze, quatorze, quinze ans de scolarité ou plus! On consolide
l’incompétence, sous prétexte de se mettre à sa portée.!
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2o Plus grave encore: on s’imagine qu’en corrigeant 3,000, voire 3,000,000
de fautes de langage possibles, on donnera une meilleure maîtrise du
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langage. Mais à quoi bon soigner, une à une, sur l’arbre linguistique, les
feuilles malades? Si la maladie est dans les racines et le tronc, on perd
son temps à guérir les feuilles: l’arbre linguistique malade continuera à
produire inépuisablement, effrontément, ses feuilles, ses fleurs et ses
fruits malades.!
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Quand tu as sous les yeux un texte bousillé, de niveau collégial ou
universitaire, des fautes de tous genres agrémentent ce texte:
l’orthographe est dysentérique, les accords se font au gré de la dyspepsie,
la ponctuation est tirée au fusil à moutarde; mais ce qui frappe le plus,
c’est l’espèce de bouillie flottent et grouillent tous ces petits
monstres. On a l’impression, justifiée, d’être devant le chaos mental: pas
de structure, pas de charpente: un amas de viande désossée et en
décomposition. De la pensée(?) désintégrée, réduite à l’état de gruau, de
compote, pour ne pas dire de compost. Tout est à faire, à refaire.!
Par commencer le travail de <récupération>? Certes, il n’existe pas de
remède miraculeux, qui assurerait une guérison spectaculaire en quelques
semaines, par exemple après 45 périodes de <rééducation>. Si on s’est
déformé systématiquement l’esprit pendant des années en pensant et en
écrivant sous la dictée du hasard, il ne faut pas espérer retrouver la santé
mentale en criant lapin ou coucou. Au moins peut-on espérer des résultats
plus sûrs et durables, si on compte, non pas sur une thérapeutique de
l’aspirine, du cataplasme, des tisanes au gingembre, du yoga ou de
l’acupuncture, mais sur une méthode qui vise en priorité à remettre de
l’ordre dans la pensée.!
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C’est ce que je tente de faire ici. Conscient que mon entreprise civique
sera beaucoup moins populaire que les méthodes expéditives et
superficielles. C’est ainsi que la DGEC, à qui j’avais soumis mon projet, m’a
fait, en substance cette réponse lapidaire comme fin de non recevoir: <<La
méthode ne répond pas aux objectifs visés par les cours de récupération.>
Apparemment, <récupérer> la langue et la pensée, ce n’est pas un objectif
que la DGEC fait sien. Elle cautionnera donc de sa haute autorité des
méthodes aussi infantiles que celles qui ont mené les deux tiers de nos
étudiants là où ils en sont. La TPS sur les livres n’est pas la seule à
<imposer l’ignorance>>.!
Quant à nos linguistes universitaires, beaucoup d’entre eux ont tendance
à cultiver une sérénité olympienne face à la désintégration linguistique et
mentale. Si je leur dis que la langue et la pensée de la majorité de nos
étudiants du collégial sont en compost, ils me font dire par M. Bibeau que
je suis méprisant et incompétent. <<Depuis quand, me dira M. Bibeau, la
qualité de la langue est-elle en relation avec la qualité de la pensée? Et
rien, jamais, ne permet de dire qu’une langue est en décomposition. Car la
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langue d’un individu ou d’un groupe est ce qu’elle est, sans plus: on n’a pas
à porter sur elle un jugement de valeur. Laissons donc la nature faire son
oeuvre, sans intervenir en médecins aussi orgueilleux qu’ignorants dans
son processus évolutif.>>!
Et c’est bien vrai qu’un beau cancer des poumons a de quoi ravir en extase
un <pulmologue> consciencieux; et tout biologiste sincère sera aux
oiseaux devant, ou dans, un marécage la pollution est à son meilleur et
offre une matière inépuisable à ses expériences scientifiques. <<L’eau
pure? faites-moi rire! Une langue et une pensée claires? quelle matière
ennuyeuse!>>!
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Actuellement, si on prend la note 60% comme seuil de passage, environ
20% des diplômés de nos cégeps réussissent les p’tits tests en français de
niveau Secondaire IV que les universités leur administrent parce qu’elles
ne font plus confiance aux diplômes publicitaires des cégeps. Avec les
méthodes pour sous-doués qu’on appliquera désormais aux élèves faibles
des cégeps, on apprendra, dans dix ans, avec une stupeur stupide, que
80% des analphabètes diplômes de nos chers cégeps sont toujours aussi
handicapés en pensée, en lecture et en écriture. On sera passé, avec
stupeur, du 20% de réussites au 80% d’échecs! <<Ça fait rien, disait
l’ancien ministre de l’Éducation, nos diplômés, ils sont forts en
originalité...>> Qu’en penses-tu, si tu n’es pas l’un de ceux qui admirent la
pensée très originale de ce cher ministre et de ses non moins chers
administrés?!
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On parle de respect. Parlons-en donc. Lequel de ces deux médecins vous
semble le plus méprisant et méprisable? Celui qui, face à un cancer du
cerveau réel, diagnostique un cancer du cerveau, et s’ingénie par la suite
à le guérir ou du moins à limiter ses dégâts? Ou le médecin qui, face au
même cancer, dit au patient qu’il n’a surtout pas de cancer, que d’ailleurs
il n’y a point de cancer du cerveau, que ledit cancer est une pure vision de
l’esprit, que la nature évolutive, si des importuns ne viennent pas la
distraire et la contraindre, sait pertinemment elle s’en va et créera
tout spontanément les animaux, les hommes et les langues dont elle aura
besoin, et que, en conséquence, ce cher client, pourtant en phase
terminale, se portera bientôt aussi bien que ta soeur, moyennant quelques
exercices de calcul mental, de préférence informatisés?!
Moi, je préfère la réaction de celui qui méprise le cancer, au lieu de
mépriser le client atteint du cancer. Je la trouve plus honnête
moralement, en plus d’être beaucoup moins imbécile. Certes, ni l’un ni
l’autre de ces deux médecins ne fera de miracles; mais faire la vérité est
pas mal plus important que faire des miracles. J’admets qu’il ne serait pas
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