1
Université de Paris -Sorbonne (IV) -ISHA
Centre d'Etudes Sociologiques de la Sorbonne (CESS) –Maison de la recherche- UFR de
Sociologie, 28-32 rue serpente, 75005 Paris.
Compte-rendu de la séance du mercredi 12 janvier 2005 suivi de la discussion avec
l'intervenant : Patrick PHARO .
Présentation de l'intervenant :
Patrick Pharo est sociologue, chercheur au C.E.R.S.ES. Le Centre de Recherche Sens,
Éthique, Société (CERSES), UMR 8137 CNRS-Université Paris V, est un centre
pluridisciplinaire, dont les travaux s'inscrivent dans une perspective de recherche qui vise à
dégager et à analyser la dimension morale des objets et des problématiques classiques de la
sociologie.
A cet égard, les recherches de Patrick Pharo s'inscrivent dans la double tradition de la
sociologie compréhensive (ou sociologie du sens) et de la sociologie morale (ou
sociologie de l'éthique).
Les recherches de l’auteur portent principalement sur les thèmes suivants :
Morale et sociologie
Naturalisme et normativi
Sciences de l'homme et sciences de la vie
Rationalité morale et rationalité utilitaire
Démocratie et civilité
Ethique de la prévention, éthique de la dépendance
Contact : :pharo@iresco.fr
Publications significatives récentes :
Sociologie de l'esprit, conceptualisation et vie sociale, Paris, PUF, 1997, 244 p.
Le sens de la justice, essais de sémantique sociologique, Paris, PUF, 2001, 145 p.
La logique du respect, Paris, Cerf, 2001, 128 p.
Morale et Sociologie, le sens et les valeurs entre nature et culture, Paris, Gallimard,
folio, 2004, 416 p.
Texte de référence présenté et discuté en séminaire du CESS :
« Le sens objectif des faits sociaux. Problèmes sémantiques de la sociologie compréhensive»,
Revue européenne de sciences sociales, Tome XXXVIII, n°119, 2000, pp. 139-157 (texte de
l’article et sommaire de la RESS correspondant consultables à partir du site du CESS).
2
Texte reproduit in extenso avec l'autorisation de l'auteur, que nous remercions
vivement de sa participation ( relecture et amendement de l’exposé et de la discussion).
Patrick Pharo préfère situer le contexte dans lequel l’article de référence, étudié en séminaire,
a été écrit, plutôt que se contenter d’un résumé. Pour en saisir le sens, il faut savoir que cet
article fait écho à une 1ère publication sur « Les problèmes empiriques de la sociologie
compréhensive », paru dans la RFS en 1985. Il a en outre fallu une quinzaine d’années de
maturation pour que ce second article voir le jour en 2000.
Après ce préambule, l’auteur souhaite introduire la discussion de son texte au moyen de 5
remarques liminaires :
1°) La question se pose du « problème ontologique » en sociologie. On connaît l’opposition
entre individualisme méthodologique et holisme, opposition qui serait aussi celle de
Durkheim contre Weber. Mais en philosophie, il s’agit du problème du monde des pensées
sans l’existence d’un monde matériel. C’est le problème du « mind body ».
En effet, dans les deux cas (IM vs Holisme) se pose la question du sens des pratiques, des
courants, des institutions, des actions et des pensées, et de leur statut dans la « vie sociale »-
Quel est-il ? Cette question importante se situe au cœur de la philosophie anglo-américaine
depuis 50 ans.
Elle se combine aussi avec la question du « naturalisme »-porteur de quel sens en science
sociale ?
2°) Dans l’article de 2000, étudié dans ce séminaire, il y a le projet, la tentative d’une
reformulation sémantique de la sociologie compréhensive.
Weber fait l’objet d’interprétations diverses quant à sa sociologie, avec tous les aléas et les
malentendus que cela induit. Mais que peut-on dire de plus précis possible quant au sens à
donner à l’action sociale, pour progresser dans sa compréhension ?
En 1er lieu, on peut penser qu’il existe des structures conceptuelles communes aux êtres et aux
sociétés, qui peuvent être pensées à la manière des modèles ayant un contenu mathématiques.
Par exemple, lorsque j’affirme que 2+2= 4 ! Nous le savons sans avoir besoin de l’accord
psychologique d’autrui ; c’est une compréhension logique et non psychologique. Or, ce savoir
commun s’appliquerait à la compréhension des faits sociaux ; il s’agit, répétons-le, d’une
structure commune aux acteurs, permettant la compréhension de s’opérer.
C’est le postulat de la compréhension, analogie du principe de la traduction linguistique,
développé par Alfred Schütz. Certains, comme Frege, imaginent un arrière-monde platonicien
« d’êtres existants », indépendant, ce à quoi je ne crois pas un instant.
On peut regrouper trois types d’arguments favorables à l’affirmation de l’existence de
contraintes conceptuelles communes aux acteurs :
1- On est « pris » par la logique. Même s'il existe des logiques qui se passent de la loi de
non contradiction. Nous avons tous, nous humains, un ensemble d’ informations
communes issues du monde terrestre ; ce monde qui est, en termes de contraintes
3
objectives, le même pour tous. Ce qui renforce la nécessité de recourir à des structures
communes de compréhension des phénomènes.
2- Enfin, s’affirme l’unité de l’espèce humaine. Ses représentants sont logiquement dotés
des mêmes capacités sociales a priori, de certaines dispositions communes.
3°) Interpréter l’activité d’autrui :
Appliquer une méthode sémantique d’interprétation ( allusion à Garfinkel et à son concept
d’accountability constante, conduisant au relativisme) –Le doute sceptique de cette école ne
« tient » pas toujours. Cela reprend une opposition à une tendance philosophique de
Wiggenstein de non- résolution de l’interprétation de la pratique.
Cette méthode du philosophe suppose deux éléments : d’une part, on postule l’existence d’un
certain contenu de pensée, et , d’autre part, on affirme l’existence d’une information qui
contredit ou confirme le contenu de la pensée à saisir.
C’est une méthode à rapprocher de la méthode de la pertinence de Sperber. Mais il accorde
peu d’importance aux contraintes conceptuelles des contenus de la pensée. La thèse de
Sperber va dans un seul sens, celui qui va du monde au « pensé ».
Enfin, Patrick Pharo souhaite achever cette introduction aux débats par deux remarques :
4°) Une remarque sur le naturalisme. Ce courant d’idées est notamment tenté de comparer les
sociétés humaines avec les comportements issus des mondes animaux. Mais, ce faisant,
accèdent-ils à la logique du monde social humain ? Les animaux sont-ils des sujets wébériens,
et les animaux sont-ils dotés de cerveaux adaptés ?
Il faut se préserver de toute confusion en distinguant ici les fonctions adaptatives du sujet de
ses fonctions conceptuelles. Cependant le modèle évolutionnaire néo- darwinien qui serait a
priori spécifique aux humains pose problème. Si ce modèle traduit une réalité qui s’applique
au monde animal, pourquoi alors ne s’appliquerait-il pas au monde humain ?
Or soutenir cela, ce serait oublier les spécificités de la fonction réflexive (une pensée qui se
déduit d’elle même). Si je dis X, j’en conclu que X. Je peux penser à ce que je pense. C’est
une qualité spécifiquement humaine. Cette réflexivité est importante pour les êtres humains
dans la mise en œuvre des pratiques ( les pratiques artistiques, par exemple).
5°) Le rapport entre individu(s) et institution (s). Ce sera bref.
En effet, l’institution comme être collectif est galvaudé. On assiste à la montée de critiques à
l’égard du « sujet collectif ». Par exemple, le Conseil de l’Ordre des médecins « pense » au
sensil élabore une doctrine valant pour tous les praticiens ;
Il faudrait faire des catégories du social comme il existe des catégories de l’entendement.
4
Compte-rendu de la discussion suivant la présentation de M. Patrick PHARO
Les participants sont membres du CESS ou doctorants des Universités de Paris IV -
Sorbonne ou de Paris V, associés au CESS :
J-M Berthelot, Professeur et Directeur du CESS ; Mme A. Devinant, Ingénieur d’études,
responsable du site et de la logistique du CESS; G. Brönner, F. Champy, J-C Marcel, Maîtres
de conférences et T.Tirbois (Prag); l'équipe des ATER et des moniteurs, allocataires-
moniteurs et des doctorants de Paris 4, Paris 5, ISHA.
Discutants : MM Béraud et Tirbois.
Discussion :
-Thierry Tirbois :
- Précisons tout d’abord que je m’appuie sur la version suivante du texte :
« Le sens objectif des faits sociaux. Problèmes sémantiques de la sociologie compréhensive »,
paru dans Les Archives Européennes des sciences sociales, Tome XXXVIII, 2000, n°119,
p.139-157.
En premier lieu, je voudrais dire l’intérêt et la difficulté qui ont accompagné la lecture de ce
texte.
L’intérêt réside évidemment dans le thème traité qui met en perspective la portée heuristique
de la sociologie compréhensive tout en déclinant les obstacles logiques rencontrés par
l’objectivation des faits sociaux. Ces obstacles sont d’ailleurs posés en termes stratégiques,
selon l’acception de Jean Baechler, c’est-à-dire sous la forme du couple « problèmes-
solutions » ( Cf. Nature et Histoire, Paris, PUF, 2000).
La difficulté que j’aie rencontré tient à la richesse du texte, qui fait appel à des théories
cognitivistes ou philosophiques plutôt contemporaines et à des auteurs que je maîtrise
insuffisamment. Et les lectures répétées du texte m’ont convaincu que je manquais du recul
suffisant qui eût été idéal pour préparer du mieux possible cette discussion. Aussi mes
questions seront- elles peut-être candides, pleines de ce qu’il me faut apprendre ; elles suivent
en tout cas le fil de mes interrogations de lecteur.
1°) D’ailleurs, ma 1ère question se forme dès les premières lignes de l’introduction de l’article.
Vous écrivez :
« On pourrait dire que toute la recherche empirique en sociologie et en histoire, qui admet
généralement le rôle causal des motifs, des idéologies ou des valeurs, qui ne sont au fond que
des faits sémantiques et non pas des choses physiques, plaide pour le second terme de
l’alternative » [ à savoir que l’observation sociale porte sur des comportements et aussi sur
des données logico –sémantiques]
Je m’interroge sur la manière dont vous pourriez distinguer radicalement choses physiques et
choses non physiques, ce qui revient à plusieurs reprises au cours de l’article. En effet, n’est –
ce pas problématique d’affirmer que les idéologies ou les valeurs ne sont que des données
logico -sémantiques et rien que cela ? Les croyances, les idéologies politiques que vous
évoquez dans le texte ne sont –elle pas aussi des éléments de la pratique, susceptibles de
5
susciter des manifestations physiques ? Finalement, sauf à justifier cette distinction
provisoirement, à des fins analytiques, est-ce que cela ne renvoie pas à une opposition binaire
de la pensée classique entre corps et esprit ?
Réponse de P. Pharo: - Non, vraiment, je ne crois pas que, conceptuellement, les croyances,
les idéologies ou les valeurs soient des pratiques ou des choses physiques. Elles ont un
support dans le cerveau et dans les pratiques, mais vous pouvez regarder aussi longtemps que
vous voulez un cerveau ou une pratique, vous n’y verrez jamais une croyance ou une valeur,
comme vous voyez un neurone ou un mouvement. Cette difficulté est fondamentale, et si on
l’esquive on n’a plus aucun moyen de traiter le problème que je pose. J’insiste sur le fait que
l’opposition en question est logique ou conceptuelle et qu’elle ne repose pas sur une
métaphysique du corps et de l’esprit. Dire qu’on « voit » une croyance ou une valeur est
simplement une erreur de catégorie, une erreur logique, rien de plus, rien de moins.
**********************************
2°) Vous utilisez dans le texte les mots de « nature » et de « naturalisation » [des faits
sociaux], dans un cas pour affirmer que la sociologie fait « encore partie des sciences de la
nature »- ce qui est une querelle qui traverse toute l’histoire de la sociologie- et dans un autre
cas, pour critiquer l’opération consistant à naturaliser les faits sociaux. Pourriez- vous
préciser, SVP, l’usage que vous faîtes du mot nature, et en donner une définition ?
Réponse de P. Pharo : - Je ne veux pas définir le concept de nature, c’est trop compliqué. Je
parle simplement ici des sciences de la nature par opposition au sciences occultes ou à la
théologie. Lorsque nous étudions les faits sociaux, nous ne préjugeons rien de leur essence
ultime : nous les observons et nous remarquons que nous les connaissons aussi par un moyen
autre que l’observation, un moyen logique. Nous essayons alors de faire la théorie de cette
situation, en tenant compte des connaissances scientifiques existantes, empiriques ou
logiques, c’est tout ce que je veux dire.
*********************
bis) Une remarque : votre programme de recherche désigné d’emblée est de « préciser les
contenus logico- sémantiques, tels que le sens et les pensées, dans l’émergence des faits
sociaux », p. 1.
L’article se déploie en 3 temps de réflexion :
Les contenus logico–sémantiques = manifestation d’un ordre logique et non empirique
ce qui problématique pour décrire l’action sociale (ontologie sociale de Durkheim),
p.2 à 8
Cette démarche de sociologie compréhensive est critiquée par Parsons, au quel
l’auteur fait réponse. P. 8 à 15.
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !