RACINES septembre 2009
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on va dire que c'est du patois. C'est
aller un peu vite. La même personne,
en Vendée ou dans les Deux-Sèvres,
se promènera dans sa langue : de
temps en temps, elle parlera fran-
çais, et de temps à autre, patois.
Entre les mots français d'une
région et ceux du patois, il y a eu,
bien sûr, des rencontres, des
échanges. Ils vont souvent du fran-
çais au patois. C'est-à-dire que le
patois emprunte beaucoup au fran-
çais. Et les patois, poitevin, sainton-
geais, qui n'ont pas de très
grandes différences, sont
encore assez vivants. Et même
si chaque clocher a son accent,
le lexique et la syntaxe sont très
largement partagés.
Pour résumer, le paysage lin-
guistique de notre région, n'est
ni moins riche ni plus riche
qu'ailleurs, mais il est varié,
avec un français qui s'y parle
selon des modalités propres à
la région. Et puis il y aussi sou-
vent des interférences avec ce
qui reste du patois qui a encore
une petite place dans ce pay-
sage. Et souvent une place
encore plus importante dans
l'esprit et dans le cœur des
gens. Parce que la langue est
considérée comme un élément
identitaire très fort.
Donc, c'est toujours la
logique ou les tournures
dont tout le monde se sert, qui
finissent par l'emporter dans le
langage usuel ?
Oui, par exemple, “il mouille à
plein temps” pour dire qu'il pleut très
fort, quand on est dans la région,
c'est une expression indéracinable.
“On est rendu”, pour dire que l'on
est arrivé, on l'entend aussi encore
un peu partout en France, mais en
Vendée c'est très courant. Le
“ramasse-bourrier” (la pelle du balai)
n'est pas un mot propre à la Vendée,
puisqu'on le dit aussi en Pays nan-
tais et dans les Deux-Sèvres. La
“since” pour la serpillère, une
“poche” pour dire un sac en papier
ou en plastique dans lequel on met
les commissions. Ce sont des mots
usuels… qui font partie du quotidien
des gens. Et la personne qui les emploie
a bien conscience de parler le français.
La “since”, c'est français depuis…
sept siècles. Mais comme ce n'est pas
dans les dictionnaires… !
Et puis bien sûr, la mogette (ou
mojette), qui n'est pas un mot origi-
naire de notre région, mais de la
langue d'Oc, du Sud-Ouest de la
France qui est remonté jusqu'à la
Loire. Et qui, lui, est un mot réperto-
rié dans Le Petit Robert depuis 2004.
Dans votre livre, vous don-
nez une définition historique
des mots, avec une explication
sur leur lieu d'origine et leur
terroir. Pourquoi ?
Quand on étudie un mot, on ne
peut pas l'isoler de la langue habi-
tuelle et aussi du langage historique.
On comprendra beaucoup mieux ce
qu'il veut dire aujourd'hui, si on sait
d'où il vient. Où ce sens à pu pren-
dre naissance dans l'état actuel de
nos connaissances, quand le voit-on
pour la première fois à l'écrit. Les
mots voyagent, les mots bougent et
le stock de mots actuels en Vendée,
vient aussi d'ailleurs, à part certains,
comme bourrine qu'on ne trouve que
dans ce petit coin où j'habite (le
Marais breton),depuis le XIVesiècle.
Il n'a jamais essaimé nulle part.
Mais un mot comme mogette (on
y revient), que la Vendée considère
comme emblématique, fait partie des
mots qui sont venus d'ailleurs. C'est
intéressant de voir qu'il y a des mots
nés en Saintonge, en Poitou, en Bre-
tagne, qu'on retrouve dans toutes ces
régions, où seulement sur la côte
Atlantique… Un mot comme “merlu-
chon”, qui n'est dans aucun des dic-
tionnaires, des millions de
Français l'utilisent pourtant, de la
Normandie jusqu'à la côte
basque, et à l'intérieur, plus ou
moins. Mais pas à Paris ! Il y a
merlu et colin (le nom parisien du
merlu) et colineau, petit colin, c'est
tout. Les grands dictionnaires en
donnent juste une définition dans
le sens argotique de merluchon :
“petit proxénète”… Les gens qui
font les dictionnaires, à mon avis
(et j'ai travaillé avec eux toute
ma vie!) ne vont pas assez sur
le terrain, n'écoutent pas, ils pré-
fèrent être entourés de mon-
tagnes de documentation
écrite… ! Il faut que les deux
aillent ensemble.
Y a-t-il une ex pression que
vous trouvez particulière-
ment savoureuse ?
En français populaire, celle qui
me plaît beaucoup c'est quand
on dit de quelqu'un “qu'il a bu l'eau
des nouilles”, qu'il n'est pas malin,
quoi ! Et une autre expression aussi,
d'ici, celle-là, qui est “faire zire”, c'est-
à-dire, dégoûter, être repoussant…
Probablement parce qu'il y a aussi
un aspect phonétique assez insolite
à l'oreille.
J'aime bien aussi “pierre de sucre”.
C'est comme sucre en pierres, cela
ne se dit plus. Cela renvoie à
l'époque où on cassait le pain de
sucre. Ma femme, lorsqu'elle vient
en Vendée, demande spontanément
une poche, mais pas quand elle est
en Alsace, où on ne la comprendrait
pas. Et moi-même, dans le langage
de tous les jours, je dis “since” ou
“ramasse-bourrier”…
“Alors que le mot merluchon
est utilisé par des millions de Français,
il n'est pas dans le dictionnaire… !”