Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Propos recueillis par Christine Grandin @ (photos Pierre Rézeau : extraites du livre La Vendée au fil des mots) RÉAGISSEZ sur acines.fr www.magazine-r Au fil des mots is a ç n a fr e d t e is to a p e d En Vendée et en Anjou, on barre la porte, on since, et on n'enfond pas son jardin quand il mouille… Voyage instructif en compagnie de Pierre Rézeau, le spécialiste des langues régionales, autour des mots du patois ou du français passés dans le langage courant. Nous avons des manières de parler très diverses selon les régions de France. Qu'en est-il dans l’Ouest et plus particulièPierre Rézeau, rement des patois auteur de La Vendée vendéen, poitevin au fil des mots (Éditions et saintongeais ? Centre vendéen de recherches historiques). Il y a deux choses à bien distinguer : la variété du français à travers l'Hexagone, souvent plus importante qu'on ne le pense. Et dans le monde, au Québec, en Belgique, en Suisse Romande, en Afrique. C'est souvent un français “passé sous silence”, car tous nos dictionnaires ne peuvent pas répertorier toutes les particularités régionales. Et puis en France, on a la présence des patois, des dialectes, “du parlanjhe” dans le langage des militants. En gros, au nord de la Loire, on les trouve assez proches du français standard (donc de la langue d'Oil), et au sud de la Loire, ils sont constitués, d'une manière générale, de l'occitan, mais dans ses variétés beaucoup plus éloignées du français parisien. Concrètement, dans nos régions des Pays de la Loire et du Poitou- RACINES 46 Charentes, les patois sont encore plus ou moins parlés, car c'est souvent un phénomène lié à la mémoire des générations qui les ont pratiqués. Il y a tout de même de petites “régions”, et le marais vendéen en est une, où le patois maraîchin est encore assez vivant. Il suffit d'aller au marché de Challans, pour l'entendre. Le français vient-il du patois, ou le patois du français ? Les gens distinguent souvent ce qui est français de ce qui est patois. Tout ce qui n'est pas du “bon” français ou du français du dictionnaire, septembre 2009 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous on va dire que c'est du patois. C'est usuels… qui font partie du quotidien aller un peu vite. La même personne, des gens. Et la personne qui les emploie en Vendée ou dans les Deux-Sèvres, a bien conscience de parler le français. se promènera dans sa langue : de La “since”, c'est français depuis… temps en temps, elle parlera fran- sept siècles. Mais comme ce n'est pas dans les dictionnaires… ! çais, et de temps à autre, patois. Et puis bien sûr, la mogette (ou Entre les mots français d'une région et ceux du patois, il y a eu, mojette), qui n'est pas un mot origib i e n s û r, d e s r e n c o n t r e s , d e s naire de notre région, mais de la échanges. Ils vont souvent du fran- langue d'Oc, du Sud-Ouest de la çais au patois. C'est-à-dire que le France qui est remonté jusqu'à la patois emprunte beaucoup au fran- Loire. Et qui, lui, est un mot répertoçais. Et les patois, poitevin, sainton- rié dans Le Petit Robert depuis 2004. geais, qui n'ont pas de très grandes différences, sont encore assez vivants. Et même si chaque clocher a son accent, le lexique et la syntaxe sont très largement partagés. Pour résumer, le paysage linguistique de notre région, n'est ni moins riche ni plus riche qu'ailleurs, mais il est varié, avec un français qui s'y parle selon des modalités propres à la région. Et puis il y aussi souvent des interférences avec ce qui reste du patois qui a encore une petite place dans ce paysage. Et souvent une place encore plus importante dans l'esprit et dans le cœur des gens. Parce que la langue est considérée comme un élément identitaire très fort. “Alors que le mot merluchon est utilisé par des millions de Français, il n'est pas dans le dictionnaire… !” Donc, c'est toujours la logique ou les tournures dont tout le monde se sert, qui finissent par l'emporter dans le langage usuel ? Oui, par exemple, “il mouille à plein temps” pour dire qu'il pleut très fort, quand on est dans la région, c'est une expression indéracinable. “On est rendu”, pour dire que l'on est arrivé, on l'entend aussi encore un peu partout en France, mais en Ve n d é e c ' e s t t r è s c o u r a n t . Le “ramasse-bourrier” (la pelle du balai) n'est pas un mot propre à la Vendée, puisqu'on le dit aussi en Pays nantais et dans les Deux-Sèvres. La “since” pour la serpillère, une “poche” pour dire un sac en papier ou en plastique dans lequel on met les commissions. Ce sont des mots Dans votre livre, vous donnez une définition historique des mots, avec une explication sur leur lieu d'origine et leur terroir. Pourquoi ? Quand on étudie un mot, on ne peut pas l'isoler de la langue habituelle et aussi du langage historique. On comprendra beaucoup mieux ce qu'il veut dire aujourd'hui, si on sait d'où il vient. Où ce sens à pu prendre naissance dans l'état actuel de nos connaissances, quand le voit-on pour la première fois à l'écrit. Les mots voyagent, les mots bougent et le stock de mots actuels en Vendée, vient aussi d'ailleurs, à part certains, comme bourrine qu'on ne trouve que RACINES 47 dans ce petit coin où j'habite (le Marais breton),depuis le XIVe siècle. Il n'a jamais essaimé nulle part. Mais un mot comme mogette (on y revient), que la Vendée considère comme emblématique, fait partie des mots qui sont venus d'ailleurs. C'est intéressant de voir qu'il y a des mots nés en Saintonge, en Poitou, en Bretagne, qu'on retrouve dans toutes ces régions, où seulement sur la côte Atlantique… Un mot comme “merluchon”, qui n'est dans aucun des dictionnaires, des millions de Français l'utilisent pourtant, de la Normandie jusqu'à la côte basque, et à l'intérieur, plus ou moins. Mais pas à Paris ! Il y a merlu et colin (le nom parisien du merlu) et colineau, petit colin, c'est tout. Les grands dictionnaires en donnent juste une définition dans le sens argotique de merluchon : “petit proxénète”… Les gens qui font les dictionnaires, à mon avis (et j'ai travaillé avec eux toute ma vie!) ne vont pas assez sur le terrain, n'écoutent pas, ils préfèrent être entourés de montagnes de documentation écrite… ! Il faut que les deux aillent ensemble. Y a-t-il une expression que vous trouvez particulièrement savoureuse ? En français populaire, celle qui me plaît beaucoup c'est quand on dit de quelqu'un “qu'il a bu l'eau des nouilles”, qu'il n'est pas malin, quoi ! Et une autre expression aussi, d'ici, celle-là, qui est “faire zire”, c'està-dire, dégoûter, être repoussant… Probablement parce qu'il y a aussi un aspect phonétique assez insolite à l'oreille. J'aime bien aussi “pierre de sucre”. C'est comme sucre en pierres, cela ne se dit plus. Cela renvoie à l'époque où on cassait le pain de sucre. Ma femme, lorsqu'elle vient en Vendée, demande spontanément une poche, mais pas quand elle est en Alsace, où on ne la comprendrait pas. Et moi-même, dans le langage de tous les jours, je dis “since” ou “ramasse-bourrier”… septembre 2009 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Mots d'hier, locutions d'aujourd'hui Barrer, verbe transitif. “fermer à clé ou au verrou”, cet emploi est issu d’un français plus ancien. Barrer “fermer avec une barre”, est usuel dans plusieurs régions de France, particulièrement dans le Grand Ouest ; sa présence dans le français d’Amérique indique qu’il remonte au moins à l’époque coloniale. Bouillée, nom féminin. “touffe (d’herbe ou de fleurs), bouquet (d’arbres)”. Attesté depuis 1746-48 en Anjou (“une bouillée ou bouillerée de légumes comme de céleri, une poignée”) et depuis le XVIII e siècle en Saintonge (“bouillées de bois”). Le mot occupe une large aire compacte dans l’Ouest de la France d’où il est passé dans les français d’Amérique (Acadie, Québec, Louisiane, SaintPierre-et-Miquelon) ; il est parfois senti comme vieillissant. Cince ou since, nom féminin. “serpillière”. Caractéristique du français du Centre-Ouest, où il est passé dans les patois pour désigner la serpillière (ou, naguère, l’écouvillon du four à pain). Le terme s’est diffusé aussi en Acadie et à Saint-Pierre-etMiquelon. Il est une survivance de l'ancien français : cince “guenille, chiffon”. Deux exemples (le premier est en contraste métaphorique). 1. – […] je vais pas me balader derrière avec une cince pour éponger. (Ph. de Villiers, France Inter, 5 avril 1995, 16 h 55) 2. En Vendée, il faut sincer avec une since, c’est-à-dire serpiller avec la serpillière. J’ai eu bien du mal à m’y faire au début ! (Message d’une Picarde ayant épousé un Vendéen.) Dérivé. cincer ou sincer verbe transitif. “passer la serpillière sur”. “[Maria] préféra ne pas franchir le seuil de la cuisine, craignant de salir le carrelage que Delphine, ce matin-là, avait cinsé deux fois” (J. Huguet, Équinoxe, 1972, p. 88). Enfondre, verbe “mouiller, tremper complètement”. Attesté en ancien français et français moyen, le mot a disparu du français de référence ; il survit en Anjou et dans le Centre-Ouest comme un archaïsme, surtout à l’infinitif et au participe passé Exemples : 1. Rien qu’à aller au car et du car ici, vous voyez, je suis enfondue. (J. Huguet, Équinoxe, 1972, p. 88) 2. Elle avait une figure de chat mouillé, les cheveux aplatis sur le crâne, des mèches collées sur le front et les joues. Lise lui apporta un linge pour s’essuyer. Enfondue, elle était belle, d’une beauté sauvage […]. (Y. Viollier, Les Pêches de vigne, 1994, p. 177). Le nom de ce légume emblématique de la cuisine vendéenne est originaire du Sud-Ouest. Gar(r)ocher, verbe transitif. Familier. “lancer (plus ou moins violemment)”. C’est à partir du français parlé entre Loire et Gironde que le mot s’est largement répandu dans les français d’Amérique, où il est attesté depuis 1752 (“garrocher quelqu’un], lui jetter des pierres”, PotierHalford, p. 126) ; de l'ancien français : guarroc “trait d’arbalète (qu’on décoche)”, croisé sans doute avec arocher “lancer des pierres”, particulièrement attesté dans le Grand Ouest à l’époque moderne. Parfois considéré RACINES 48 comme patois, il est aussi “très usité par beaucoup de très jeunes gens même non patoisants” (J. C.). […] les gamins qui leur garochaient des pierres. (Y. Viollier, Retour à Malvoisine, 1979, p. 161). Mogette ou mojette nom féminin. “haricot blanc”. Type lexical originaire du Sud-Ouest, où il est attesté depuis le XVIIe siècle. On a tenté d’expliquer l’étymologie de mogette (littéralement “petite religieuse”) par une allusion au régime alimentaire des moines ou au fait qu’ils auraient propagé ce légume, ou encore par la ressemblance entre le grain de certaines variétés et la tête d’une religieuse… On préférera y voir une métaphore qui s’appuie sur la disposition des grains dans la cosse ; sans doute, “cette métaphore [de nonnes dans un cloître] est bien ingénieuse pour être strictement populaire ; peutêtre est-elle d’origine argotique ou populaire: les légumes très usuels portent souvent de telles dénominations plus ou moins facétieuses” (J. Séguy, Les Noms populaires des plantes dans les Pyrénées centrales, 1953, p. 311312), mais le témoignage suivant confirme indirectement cette hypothèse: “On dit des Religieux renfermez dans leurs Couvens, qu’ils sont comme pois en gousse, mais que sitôt qu’ils en sont dehors, ils vont comme pois en pot” (Le Duchat, Ducatiana, Amsterdam, 1738, t. 2, p. 450). – Paradoxalement, l’intérêt pour ce légume ne cesserait de croître alors que sa production est en forte régression depuis plusieurs décennies et que sa consommation au quotidien a, elle aussi, beaucoup diminué. Autrefois nourriture répétitive des milieux modestes, la mogette est devenue, depuis une ou deux décennies, un légume emblématique de la cuisine vendéenne et, depuis 2006, Mogette de Vendée bénéficie du Label rouge (520 tonnes en sec et 256 en demisec ont été produites sous ce label en 2007). Le mot s’emploie le plus souvent au singulier collectif. septembre 2009 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Racasser, verbe intransitif. Familier. “produire un bruit sonore et insistant”. Attesté à Mouzeuil en 1900, dans une définition (“racassa”, verbe. “racasser”. Bruit que produit la vaisselle lorsqu’on la remue, qu’on la déplace, ou qu’on l’entasse ; bruit que produisent les meubles ou les vitres, etc., lorsque le sol tremble, Appraillé, p. 180). Emprunt aux patois de l’Ouest, où ce sens est attesté depuis 1809 (“Racassâér, faire les bruits que font les graines mûres dans la capsule, lorsqu’on la secoue”, Montaigu) et déjà en 1741 en Saintonge, au sens figuré “tourmenter” (Musset). Tabaillaud ou tabayaud, tabaillot, adjectif invariable. Familier. “qui ne semble pas en possession de tous ses esprits”. Français de référence familier : cinglé, fou. Attesté depuis 1903 à Blois (tabayaud“bêta”), ce mot est en usage entre Loire et Gironde ; il se rattache à un radical onomatopéique tabb-. “Alors nous, en Vendée, on a aussi nos petits mots bien à nous! une since (et le verbe sincer) pour une serpillière, barrer* la porte pour fermer à clé, tabaillo [sic] pour fou, ramasse-bourrier pour la petite pelle qui va avec la balayette et certainement d’autres encore que j’oublie pour l’instant !” Ventre à choux ou ventrachoux nom masculin et féminin, familier. Souvent avec majuscule “(surnom du Vendéen)”. Attesté en 1908 (“Dans les garnisons, un conscrit du Choletais est généralement appelé: Lexique et patrimoine Venise verte : appellation touristique du Marais poitevin. Ventre à choux. Cette région cultive beaucoup cette crucifère” VO), ce surnom semble s’être diffusé à travers la France pendant la guerre de 1914-18 (“ventre à choux, Vendéen”, A. Dauzat, L’Argot de la guerre, Paris, 1918, 287) et ce n’est sans doute pas un hasard si les Choletais ont aussi reçu ce surnom, quand on sait que l’étymologie de Cholet est issue du latin cauletum “champ de choux”. À côté d’hypothèses sans fondement sérieux, on retiendra l’explication la plus simple : que ce surnom provient de la consommation assidue du cœur des choux verts, qui se faisait naguère sur les tables vendéennes à l’automne et durant l’hiver, principalement dans le Bocage, quand ces choux fourragers occupaient d’importantes surfaces. Moins sujet que Chouan à des connotations péjoratives, ventre à choux renvoie cependant parfois à une vision passéiste et réductrice des Vendéens. – “Le Ventre à choux” est le nom d’un restaurant de Montaigu. Pierre Rézeau est né il y a 70 ans à Vouvant. Il habite pendant l'année à Strasbourg et en saison d'été dans sa maison du Pissot, à Saint-Hilaire-de-Riez. Son petit livre illustré, La Vendée au fil des mots (aux éditions du Centre vendéen de recherches historiques) se déguste comme un petit lexique d'usage quotidien du français, et par extension des mots issus du patois et passés dans le langage courant . On y trouve des locutions de l'alimentaire (avignons, rillots, préfou, fressure), des objets usuels (barricot, baquet, since, ramasse-bourrier), des actions (racasser, mouiller, pailler, garocher, enfondre). On parlait et on parle encore de cette façon en Vendée, bien sûr, mais aussi ailleurs en Anjou, en Poitou, dans le Pays nantais, et quelquefois jusqu'au Québec. En plus de la définition très détaillée du linguiste, on y trouve des extraits d'ouvrages anciens, de roman, d’émissions de radio où ces mots ont été repérés. La Vendée au fil des mots (2009), de Pierre Rézeau, édition du Centre vendéen de recherches historiques, 125 pages, 15 €, collection Les indispensables. Lire également notre article en page 9 du numéro de mai 2009. Du même auteur : Dictionnaire des noms de cépage de France (2008), CNRS éditions; Dictionnaire des régionalismes de France, géographie et histoire d'un patrimoine linguistique (2001), éditions de Boeck-Duculot. (Reproduction des définitions de mots avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur, le Centre vendéen de recherches historiques) RACINES 49 septembre 2009 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine